Ludwig Wittgenstein, un Platon sans platonisme
p. 101-126
Texte intégral
J’ai lu le Parménide de Platon. Ce dialogue me semble parmi les plus profonds que Platon ait écrits.
Entretiens avec Mc O’Drury (1948)
L’étrange ressemblance d’une recherche philosophique (surtout peut-être en mathématiques) avec une recherche esthétique.
Remarques Mêlées (1936)
1Les Recherches philosophiques distinguent, dans le corpus resté à l’état de chantier que nous a légué Wittgenstein, deux grandes constellations de questions1. La première, ordonnée au problème de la règle et de l’inférence, renvoie à des préoccupations qui entrent dans le cadre de recherches sur les fondements des mathématiques et ont servi de matrice à l’élaboration de la conception de la Sprache. C’est en effet au cours de l’exploration de cette constellation que s’est imposé le philosophème central, les jeux de langage, définis comme des « objets de comparaison » que le philosophe doit se donner s’il veut faire apparaître la logique de notre langage, telle que la découvrent les différentes figures de son usage. La seconde constellation, à la fois plus diffuse et plus ramifiée, regroupe une série de recherches sur les fondements de la psychologie. Elle contient la micro-analyse des concepts psychologiques les plus variés, ainsi que quelques esquisses de classification de ces mêmes concepts. Dans les notes fragmentaires – et quelque peu désordonnées – qui consignent cette recherche restée à l’état d’ébauche, deux concepts reviennent obsessionnellement : celui de Seherlebnis et celui de Bedeutungserlebnis. La façon dont Wittgenstein les aborde, en montrant l’irréductibilité définitive de la vue de l’aspect au simple voir et celle du « prendre-en-tel-sens » à la compréhension sous sa forme primaire, indique clairement que les recherches dans lesquelles il était ici engagé visaient prioritairement à explorer les sédimentations toujours multiples des formes de vie marquées du sceau du rapport à la langue.
2Si l’on veut avoir quelque chance de placer sous leur vrai jour ces deux groupes de recherches, il faut d’abord remarquer qu’elles ne visent pas à inscrire le travail philosophique dans l’horizon des savoirs déjà constitués. Wittgenstein insiste en effet sur le point suivant : il ne s’agit pas de recherches ayant un caractère technique, les premières étant aussi peu mathématiques que les secondes psychologiques. Et de fait rien n’est plus étranger à son approche des questions philosophiques que les tentatives en tout genre d’inscrire la philosophie dans un partage du type Naturwissenschaften / Geisteswissenschaften, non seulement parce qu’il dénonce comme un simple leurre l’idée que la psychologie pourrait un jour se constituer en science véritable2, mais aussi – et plus profondément – parce qu’il n’est rien moins qu’évident pour lui qu’il faille ranger les mathématiques au nombre des sciences. Si, en effet, Wittgenstein prend toujours soin de distinguer la mathématique de la physique mathématique, c’est qu’il est tout particulièrement attaché à récuser les assimilations hâtives entre ce que l’on pourrait reconnaître comme le sens profond, immémorial, du mathématique – lequel se découvre, selon lui, dans sa capacité à produire la grammaire d’une langue – et son sens second, historique – i.e. le captage du mathématique par la théorie physique.
3Quel peut bien être dans ces conditions le rapport de la philosophie à son dehors ? A l’égard de la psychologie la question est relativement simple, l’attitude ne pouvant être que celle du mépris, s’il est vrai que la psychologie n’a pas d’objet qui lui soit propre. Mais à l’égard de la mathématique il en va tout autrement, d’autant que Wittgenstein est convaincu que seule une compréhension du geste mathématique peut permettre d’élucider, par des procédures d’analogie, la grammaire de notre langue, grammaire dont il veut montrer qu’en réalité elle « contraint toute notre vie »3. Rien de surprenant par conséquent à ce que le rapport de la philosophie à la mathématique soit à ses yeux un rapport privilégié et tout à fait central, puisque ce dont il s’agit est, en fin de compte, de confirmer l’adage pythagoricien rendu célèbre par Dedekind : « ἄει ὁ ἄνθρωπος ἀριθμήτιζει » – mais en lui donnant un tout autre sens que celui qu’il avait chez ce dernier.
4Cependant si l’on veut cerner le sens du projet, il faut également remarquer que l’économie du rapport de la philosophie aux mathématiques est réglée par ce que l’on pourrait nommer une déontologie de la non-ingérence. Pour Wittgenstein, il va de soi qu’une recherche sur les fondements des mathématiques et un travail intra-mathématique s’excluent l’un l’autre. La métaphore du directeur et de ses employés, introduite par les Remarques Mêlées pour éclairer le seul commerce légitime qui puisse s’établir entre le philosophe et le mathématicien, est particulièrement significative de ce point de vue, puisqu’elle montre que le philosophe qui se voudrait aussi mathématicien se trouverait très vite dans la situation d’un « directeur incompétent qui, au lieu de faire son travail et de se contenter de s’assurer que ses employés font le leur, le leur enlèverait », se trouvant ainsi « surchargé d’un travail étranger »4.
5On ne saurait dire plus clairement – du moins à ceux qui veulent bien l’entendre et dont Wittgenstein a toujours douté qu’ils soient encore nombreux aujourd’hui – que les instruments de l’activité philosophique n’étant pas ceux de l’activité mathématicienne, la philosophie, sauf à tomber dans l’illusion constitutive de l’idée de méta-théorie, ne saurait se constituer more geometrico. Si donc une patiente exploration des fondements des mathématiques demeure nécessaire pour frayer le chemin philosophique, ce ne peut être pour aucune des raisons que les philosophes modernes ont invoquées dans leur quête d’un prétendu « fondamentum inconcussum » ou « commencement absolu », en mimant les exigences internes à la mathématique. Il faut au contraire tenir bon sur le fait que « le travail philosophique est en quelque sorte paresse mathématique »5. Il l’est, pourrait-on ajouter, eo ipso, dès lors que la philosophie fait effectivement ce qu’elle devrait – dès qu’une recherche sur les fondements des mathématiques s’efforce de « décrire la géographie telle qu’elle est maintenant », au lieu de tenter d’« édifier un nouveau monument » (toujours supposé, cela va de soi, aere perennius), ou encore de « construire un nouveau pont », à la suite du mathématicien6.
6On soupçonne par là que l’ambition ultime du projet est de rendre à nouveau possible une philosophie autonome, qui ne soit plus condamnée à se survivre dans l’ombre des sciences mathématisées. Voilà qui suffirait peut-être à excuser les trop célèbres colères de Wittgenstein contre la théorie des ensembles et qui, en tout cas, permet de dégager le présupposé fondamental de la philosophie des jeux de langage. Selon ce présupposé, le captage théorique du fondement n’est qu’un leurre. Il condamne par avance au cercle logique tous les projets qui en reprennent l’idée – aussi bien ceux qui viennent de la mathématique elle-même et qui, tel le programme hilbertien (considéré par Wittgenstein comme paradigmatique du leurre), croient en la possibilité d’une auto-fondation, que ceux qui viennent de la philosophie et qui, s’ils refusent bien l’auto-fondation, cherchent en revanche à constituer une Théorie des formes de théorie, soit une « science nomologique » au sens husserlien. En effet, le fondement – ou plutôt les fondements, car la racine est toujours multiple – n’est jamais un fondement en raison. C’est pourquoi Wittgenstein peut à bon droit affirmer que premièrement l’essence du mathématique se découvre aussi dans le fait qu’il existe un « usage civil » des signes mathématiques7 et que deuxièmement « sous certains rapports », le mathématicien « ne sait pas ce qu’il fait »8 – ce qu’il convient de rapporter à cette autre affirmation : « les vrais fondements de sa recherche ne frappent pas du tout un homme. »9
7Au bout du compte, si le rapport de la philosophie aux mathématiques est tout à fait décisif dans l’économie du projet wittgensteinien, c’est pour la seule raison que les mathématiques constituent un matériau d’analyse privilégié pour la philosophie, laquelle, pas plus pour Wittgenstein que pour Merleau-Ponty, n’est « une création de l’esprit reposant sur elle-même ».
8Or la façon dont les Recherches philosophiques caractérisent l’activité philosophique en réaffirmant, à l’encontre des présupposés fondamentaux de la philosophie moderne, son entière souveraineté, ne peut manquer de rappeler l’ἀνυπόθητον en son sens platonicien. L’analogie est pour le moins frappante au moment où les Recherches, après avoir ordonné la démarche philosophique aux exigences de l’élucidation grammaticale et opposé cette démarche au constructivisme caractéristique du geste scientifique, remarquent d’abord qu’il ne doit « rien y avoir d’hypothétique » dans une considération philosophique10, pour affirmer ensuite que la clarté à laquelle vise la philosophie est « vraiment une clarté absolue »11. On la retrouve également dans d’autres notations comme celle-ci : « Elever un édifice, cela ne m’intéresse pas. Ce qui m’intéresse est d’avoir devant moi, transparents, les fondements des édifices possibles12. »
9Sur cette lancée, on pourrait aisément mettre en évidence d’autres consonances entre Platon et Wittgenstein, en remarquant par exemple que l’on peut lire sous la plume du second que « le travail du philosophe est une compilation de souvenirs dans un but bien déterminé »13, ou que penser c’est s’étonner14, mais aussi que la philosophie des jeux de langage se comprend elle-même comme une synopsis – « synopsis de banalités » disait un texte du début des années 30.
10A quoi il faut ajouter un témoignage direct qui montre que Wittgenstein a lui-même compris son propre projet en référence à celui de Platon. C’est à lui en effet qu’il pensait, lorsqu’à la question de savoir en quel sens ce qu’il faisait était encore de la philosophie, il répondit en un passage du Cahier Bleu que les sujets dont il traitait formaient « l’un des rameaux de cette branche qui fut autrefois désignée du nom de philosophie »15. La preuve en est que le cours « Philosophie » (1932-1933) qui servit de matériau de base à la dictée du Cahier bleu, explicite cette réponse en convoquant nommément Platon :
Ma méthode constante est de mettre en évidence des erreurs de langage. J’emploierai le mot « philosophie » pour désigner l’activité consistant à mettre en évidence des erreurs de ce genre. Pourquoi souhaité-je nommer philosophie notre présente activité, alors que nous appelons aussi philosophie celle de Platon ? Peut-être en raison d’une certaine analogie entre ces activités, peut-être aussi en raison du développement ininterrompu de la matière. A moins encore que la nouvelle activité ne prenne la place de l’ancienne parce qu’elle dissipe effectivement les malaises mentaux que l’ancienne était supposée dissiper16.
11Ces analogies particulièrement significatives semblent indiquer la présence d’une « amitié stellaire » entre les deux philosophes, mais aussi la possibilité de percer à jour certaines des énigmes de la philosophie de Wittgenstein en rapportant son projet à celui de Platon.
12C’est cette mise en rapport que nous voudrions ici esquisser et dont nous voudrions montrer qu’elle permet de comprendre pourquoi, dans la perspective wittgensteinienne, la conjonction de recherches sur les fondements des mathématiques et de recherches sur les fondements de la psychologie est nécessaire à l’atteinte de la « clarté absolue ».
I
13De ce qui précède, il ressort que l’une des ambitions de Wittgenstein fut de se mesurer avec Platon. Mais son intention n’était certainement pas de reconstituer un platonisme, fut-il rajeuni. La philosophie des jeux de langage prend en effet le contrepied de la théorie des Idées, puisque d’une part elle oppose la thèse des « airs de famille » à l’idée d’une communauté d’essence reliant toutes les choses que nous nommons d’un seul nom, et que d’autre part elle s’insurge contre la conception « pneumatique » de la pensée qui sous-tend la détermination platonicienne de l’Idée. On ne saurait donc être surpris de trouver aussi, sous la plume de Wittgenstein, des remarques fort sévères à l’égard de Socrate et de Platon, remarques dont l’objectif le plus général est de montrer qu’en vérité « rien n’est caché » et qu’il est donc nécessaire de réélaborer à nouveaux frais la question de l’essence17. Les reproches qui leur sont adressés, particulièrement audibles dans les textes de 1932-1935, attestent qu’en ces années décisives au cours desquelles la seconde philosophie naquit à elle-même, Wittgenstein lisait les dialogues platoniciens. Ils montrent également que ce qui l’intéressait prioritairement en eux était de repérer ceux des présupposés du platonisme qui recroisaient les présupposés de la philosophie de l’atomisme logique. De fait, la critique du platonisme et celle du Tractatus se superposèrent si bien dans son esprit qu’il en vint à attribuer à Platon lui-même la thèse d’Antisthène sur les στοιχεῖα exposée par le Théétète, en 201e-202c18.
14Toutefois Wittgenstein, soucieux comme à son habitude de discuter les questions elles-mêmes plutôt que les doctrines des philosophes, ne s’engagea pas dans une réfutation expresse du platonisme. Aussi ne saurait-on procéder sur le seul fondement des critiques qu’il adressait à Platon à la confrontation de leurs projets philosophiques respectifs. Les remarques critiques, outre qu’elles projettent abusivement sur les questions platoniciennes l’ombre portée du Tractatus, sont en effet trop lacunaires et ne dépassent pas, le plus souvent, le niveau de la simple suggestion. D’autre part, il n’en va pas autrement pour ce qui est des notations qui attestent au contraire la présence d’un fil caché circulant entre les deux projets. Pour essayer de comprendre le différend sans perdre de vue les consonances, il est donc nécessaire de partir non des fragments portant sur Platon, mais de la thèse connue sous le nom de grammaticalisme qui, bien qu’elle ne soit jamais expressément présentée par Wittgenstein lui-même en termes de réfutation du platonisme, focalise néanmoins l’ensemble des composantes antiplatoniciennes de son projet.
15L’idée-source du grammaticalisme est de destituer l’en soi en montrant qu’en réalité les règles grammaticales ne reflètent aucune signification qui leur pré-existerait, mais qu’il leur appartient au contraire de donner une signification aux signes, ce dont elles s’acquittent en fixant des paradigmes de signification. Elle atteint frontalement le « troisième règne » frégéen. A Frege, Wittgenstein reproche en effet sa croyance aux objets mathématiques et à leurs « étranges propriétés »19, car, explique-t-il, le cube géométrique par exemple n’est pas un autre cube qui, à la différence des cubes physiques, serait exact, mais la représentation imagée (la « bildliche Darstellung »20) des règles d’emploi du mot « cube » :
Il y a un genre de méprise auquel il est important de prêter attention, parce qu’il est très répandu. Il consiste à croire que le cube réel et le cube géométrique sont comparables. La géométrie n’est pas une physique des lignes droites et des cubes géométriques. Elle constitue la signification des mots « ligne » et « cube ». Le rôle que le cube joue dans la géométrie du cube est celui d’un symbole, non celui d’un solide auquel les cubes réels inexacts seraient comparables21.
16Mais la critique wittgensteinienne du platonisme n’est pas axée sur les seuls objets mathématiques. La raison en est qu’aux yeux de Wittgenstein il ne suffit pas de refuser de multiplier les entités sans nécessité pour véritablement débusquer l’en soi. Le Tractatus n’avait-il pas fait sienne la devise d’Ockham22, refusé de réifier le nombre mais aussi les constantes logiques23, et cependant reconstitué un platonisme ? N’avait-il pas cru en effet qu’il existait, par-delà les configurations instables d’états de choses, une substance stable du monde, laquelle consisterait en des « objets simples » réunis dans une structure logique parfaitement rigide ?
17Or la seconde philosophie entend ne pas retomber dans ce piège. A cette fin elle entreprend de débusquer l’idée de machinerie logique, ce qui la conduit à invalider les présupposés sous-jacents à la logique de Frege et à celle de Russell, mais aussi au Tractatus. Au premier, Wittgenstein reproche d’avoir conçu les lois logiques comme des super-lois de la nature24 ; au second, d’avoir eu la naïveté de croire que si nous déduisons telle proposition de telle autre, c’est parce qu’elle en découlerait déjà25, tout comme si le schéma de l’inférence était préformé dans quelque τόπος οὐράνιος, alors que c’est à l’inverse la manière dont nous employons les signes qui prouve – c’est-à-dire montre – le caractère tautologique de la règle d’inférence26. Et le Tractatus lui-même ne sort pas indemne de ces critiques dévastatrices. Certes sa position fondamentale n’était pas celle de Frege ni celle de Russell, mais sa détermination de la logique comme « image qui reflète le monde »27 l’engageait néanmoins à reconstituer, sous une forme résiduelle, un platonisme.
18Pour mettre un terme à tout risque de prolifération des arrières-mondes, il fallait donc cesser de croire non seulement que les propositions mathématiques porteraient sur des nombres ou des figures, alors qu’elles traitent de symboles, mais encore que « “p ᑐ q” serait un énoncé portant sur l’implication, à la façon dont “Les lions sont fiers” en est un portant sur les lions »28, et enfin que les propositions de la logique seraient constituées de « signes essentiellement nécessaires » qui manifesteraient l’« échaffaudage du monde »29.
19C’est à cette fin que le second Wittgenstein distingue deux catégories de recherches, d’une part les recherches factuelles et d’autre part les recherches grammaticales ou conceptuelles (lesquelles recroisent très largement les recherches sur les fondements des mathématiques), et qu’il montre que le logicien, le mathématicien et le philosophe ne peuvent être concernés que par des recherches de la seconde catégorie :
Quel rôle le cube joue-t-il dans la géométrie du cube et dans le développement de celle-ci ? Pour répondre à cette question, il nous faut distinguer deux sortes de recherches : la recherche portant sur les propriétés d’un objet et la recherche portant sur la grammaire de l’emploi d’un mot par lequel on fait référence à cet objet. Je veux dire qu’une recherche portant sur les propriétés des lignes droites et des cubes géométriques n’est pas possible30.
20A y bien regarder, la décision de destituer l’en soi en le grammaticalisant est une réponse à l’argument du troisième homme, dont Wittgenstein reconnaît le caractère mortifère lorsqu’il explique que la méprise fort répandue, commise encore par Frege, « consiste à croire que le cube réel et le cube géométrique sont comparables ». Le problème est donc ici le même que celui présenté par Socrate dans le Parménide, au moment où il remarque que si l’on prend la ressemblance comme critère de la participation et que l’on suppose que « les formes elles-mêmes se tiennent à titre de paradigmes dans la φύσις », alors on verra surgir par-delà ces premières formes, de nouvelles formes encore, et cela ad infinitum (132d – 133a).
21Mais une fois l’impasse reconnue, Platon tentait d’effacer le « dualisme brutal » qui caractérisait sa première conception de l’apparence et de la réalité en montrant « qu’il n’y a qu’une seule réalité et un seul monde, mais à des degrés divers d’ordre et de confusion, de luminosité et d’opacité »31. Wittgenstein pour sa part tente de lever l’objection tout autrement.
22A ses yeux, pour échapper au piège de la ressemblance, ce qu’il faut n’est pas renoncer à penser la forme comme paradigme, mais cesser de la concevoir comme un en soi. Car en vérité, expliquent les Recherches Philosophiques32, « ce qu’il faut apparemment qu’il y ait, appartient au langage ». Ainsi le paradigme devient-il un « instrument du langage », une « unité de mesure » qui sert à la comparaison. Et Wittgenstein de remarquer que, d’une unité de mesure – du mètre étalon conservé au Pavillon de Breteuil, par exemple –, on ne saurait dire ni qu’elle a ni qu’elle n’a pas un mètre de long. Il n’y aurait en effet aucun sens à comparer l’objet de comparaison lui-même aux différents objets dont il permet de comparer les longueurs.
23La conclusion s’impose : prendre quelque chose comme paradigme, ce n’est pas, contrairement à ce que le platonisme voudrait nous faire accroire, attribuer à cette chose « une quelconque étrange propriété, mais seulement caractériser la nature particulière de son rôle dans le jeu de la mesure avec le mètre ». Le problème n’était donc pas de tenter, à la manière de Platon, de combler l’abîme qui sépare l’apparence (dans le langage des Recherches : la réalité) de la réalité (c’est-à-dire l’idéal), mais à l’inverse de cesser de chercher l’idéal dans la réalité, c’est-à-dire de cesser de croire que celui-ci serait, d’une manière ou d’une autre, caché en elle :
Ce que nous voulons dire est qu’il ne saurait y avoir du vague en logique. Or nous vivons dans l’idée que l’idéal « doit » se trouver dans la réalité, alors que nous ne voyons pas encore comment il s’y trouve et que nous ne comprenons pas l’essence de ce « doit ». Nous croyons qu’il doit se cacher dans la réalité ; car nous croyons le voir déjà en elle33.
24Dans la perspective wittgensteinienne par conséquent, la faille de la théorie des Idées n’est pas dans la séparation de l’idée, puisqu’il s’agit en fait de ré-inscrire l’idée séparée sous l’intitulé de la règle, mais dans la participation du sensible à l’intelligible. C’est elle en effet qui rend crédible non seulement l’hypothèse d’une commensurabilité entre le paradigme et les objets auxquels il est appliqué, mais aussi celle d’une supra-réalité celée dans la réalité.
25Plusieurs remarques s’imposent au vu de ces premières analyses. Premièrement les deux hypothèses que la seconde philosophie invalide sont la clef de voûte du Tractatus, puisque celui-ci, pour étayer l’idée de substance stable du monde, pose l’isomorphie de la structure propositionnelle et de la structure des états de choses, présupposant ainsi l’existence d’un accord formel entre le langage et la réalité – lequel accord permettait à la pensée de donner une image (Bild) des faits et, en même temps, de représenter (au sens de l’Abbildung) l’échafaudage logique du monde. Deuxièmement le projet des Recherches est bien de retourner la conception initiale, ainsi que l’affirme le§ 108, puisque c’est vers la mise à plat de ces deux hypothèses que converge en fait l’ensemble des différents arguments avancés par Wittgenstein à l’encontre du Tractatus. Troisièmement il semble bien, malgré le caractère lacunaire et seulement suggestif des remarques concernant Platon, que l’intention des Recherches ait été de montrer que les deux hypothèses en question se trouvaient déjà dans le Théétète et de suggérer qu’en définitive le Tractatus n’avait fait qu’accomplir le destin du platonisme.
26Il est pour le moins surprenant en effet qu’elles citent, en des points stratégiques de l’analyse, deux passages du Théétète – d’abord Théétète 201e – 202c, ensuite Théétète 189a. La première citation, que nous avons déjà évoquée, concerne les στοιχεῖα. Elle apparaît au § 46, c’est-à-dire dans le premier mouvement du texte qui vise à faire paraître la faille de l’atomisme ; la seconde au§ 518, qui appartient au mouvement conclusif, lequel a pour objectif de sauver l’idée de proposition-image en expliquant pourquoi il est nécessaire de saborder la thèse de l’Abbildung. Or dans le second passage cité, Socrate soutient une thèse où l’on pourrait reconnaître l’affirmation d’une harmonie pré-établie entre la pensée et l’être, et donc en quelque sorte la version originale de l’accord formel avancé par le Tractatus. Ce qu’explique Socrate est en effet que représenter (vorstellen, dans la traduction citée par Wittgenstein, qui correspond à δοξάζειν dans le texte original), c’est représenter quelque chose (Etwas/ἕν τι), et représenter quelque chose qui est (Wirkliches/ὄν τι).
27Mais, tandis que Théétète 201e – 202c donnait lieu à une réfutation, Théétète 189a n’est accompagné d’aucun commentaire au sens propre. La stratégie est ici bien différente puisque le § 518 déplace aussitôt le problème, non sans un certain humour, en le reformulant de la façon suivante : « Et celui qui peint, ne devrait-il pas peindre quelque chose – et qui peint quelque chose ne peindrait-il rien de réel ? En effet, quel est l’objet de la peinture : le portrait de l’homme (das Menschenbild), par exemple, ou l’homme que le portrait (Bild) représente ? » Or les paragraphes qui suivent immédiatement, en s’appuyant sur la différence du tableau de genre et du tableau portrait (cf. § 522), compliqueront considérablement la question de Socrate en vue de montrer que le Vorstellungsbild ne tire pas son pouvoir significatif de la transposition réaliste que nous pouvons, le cas échéant, en faire, mais de son appartenance à un contexte de choses familières34. En quoi l’on pourrait reconnaître une réaffirmation des attaches de la pensée à l’être, mais en un autre lieu et sous une autre forme que chez Platon.
28Cette étrange lecture en pointillé du Théétète semble indiquer qu’il existe en réalité dans les Recherches une réfutation du platonisme visant à réapproprier un fonds platonicien, mais qu’elle est codée35 ; et que réfuter le platonisme veut dire rompre tous les différents ponts que Platon et une grande partie de la tradition – y compris le Tractatus – avaient institués entre l’idéel et le réel.
29La réfutation proprement dite s’effectue selon deux axes. Le premier consiste à montrer que le platonisme propose un traitement irrecevable de la question de la signification, le second qu’il repose sur la reconstruction d’une « réalité » qui n’a d’autre teneur que celle d’une fiction théorique. Les deux axes se recoupent dans une remise en cause de la notion d’élément qui laisse exsangue la philosophie de l’atomisme logique.
30Le point de départ consiste à établir que l’acte de dénommer, accompagné du geste ostensif, ne suffit pas à donner une signification au signe et que par conséquent il est totalement erroné de croire que les noms possèderaient une signification indépendante. L’argument est le suivant :
N’en va-t-il pas ainsi : l’image d’une tache noire et d’une tache blanche sert simultanément de paradigme de ce que nous comprenons par « plus clair » et « plus foncé » et de paradigme pour « blanc » et « noir ». [...] Cette liaison, liaison des paradigmes et des noms, est construite dans notre langue. Et notre proposition [« le blanc est plus clair que le noir »] est hors du temps parce qu’elle énonce seulement la liaison des mots « blanc », « noir » et « plus clair » avec un paradigme36.
31Ce n’est pas, on le voit, le simple fait de montrer une couleur en la dénommant qui permet de donner une signification à un nom de couleur, mais la mise en rapport de ce nom avec le paradigme du clair et du foncé. C’est dire que « blanc » n’est un signe signifiant que pour autant que « sa place dans la grammaire », c’est-à-dire dans l’échelle qui va du plus clair au plus foncé, est déterminée, et qu’il est donc parfaitement illicite de faire appel au modèle de l’objet et de sa désignation pour résoudre le problème de la signification des noms. L’illusion serait en effet d’assimiler signification et dénomination à la manière de Platon, ou encore de ne reconnaître, à la suite du Tractatus, comme noms véritables que ceux qui ont un porteur et d’en conclure que tous les noms sont nécessairement les représentants des « éléments de l’être » (ou « objets simples »)37.
32L’argument qui permet d’invalider ce préjugé est l’idée que le système des couleurs, de même que tout autre système conceptuel, doit être construit dans la langue elle-même. Cette exigence montre qu’on n’est pas en droit de sauter par-dessus la langue en supposant que nous contemplerions directement l’idée, de couleur par exemple, par l’œil de l’âme. Effectivement l’interprétation wittgensteinienne de la relation interne, telle qu’elle s’exprime à travers la liaison du nom et du paradigme, elle-même comprise comme trame de ce que nous disons, correspond à une approche totalement inédite de l’idéel qui permet de comprendre quelle est l’erreur de l’hypothèse de l’œil mental et de la conception pneumatique de la pensée qui en est le corrélat. Certes cette approche reprend bien ce qui fait à tout jamais la force de Platon – à savoir tout simplement la thèse selon laquelle l’idée n’est pas dans les choses, thèse réaffirmée, entre tant d’autres, par le passage suivant des Fiches :
N’allez pas croire que vous avez en vous le concept de couleur parce que vous regardez un objet coloré – de quelque façon que vous le regardiez. (Pas plus que vous ne possédez le concept de nombre négatif parce que vous avez des dettes)38.
33Mais, si nous disons que ce Platon-là est sans platonisme, c’est parce qu’avec Wittgenstein, les relations idéelles ont cessé d’être le vrai au-delà des choses, c’est-à-dire un idéal lui-même « réellement » distinct du réel, auquel il n’offrirait que le jeu inexorablement extérieur de la participation. En d’autres termes, les « idées » ne sont plus des propriétés profondes, soutenant dans l’être les simples « apparences » auxquelles nous aurions affaire.
34Désormais en effet les propriétés et relations externes ne s’opposent plus aux propriétés et relations internes à la manière dont la profondeur s’oppose à la surface. Leur différence est la suivante : les premières sont soumises aux intempéries, tout comme les « machines réelles », les secondes au contraire ont, de même que les « machines symboliques », une « rigidité particulière », mais une rigidité qui tient à ce que tout symbolisme, du fait qu’il a pour fonction de fixer une norme de représentation, est eo ipso indifférent aux événements extérieurs, et non, à ce qu’il serait fait d’on ne sait trop quel métal inaltérable qui nous découvrirait les objets « vrais » des apparences39. Désormais par conséquent le monde ne réfère plus à un ensemble d’ingrédients vrais en soi.
35Formuler ainsi les choses permet aussi de reconnaître ce qu’il y a d’incurablement platonisant et donc de proprement « métaphysique » dans la philosophie de l’atomisme logique : nommément, l’idée que les faits seraient des complexes d’objets, qu’un cercle rouge, par exemple, consisterait en rougeur et circularité. De fait, cette hypothèse est bien l’une de celles que Wittgenstein attribue à Platon lui-même. L’un des rares reproches qu’il lui adresse nommément – et qui recroise très largement les critiques dont les Recherches assortissent leur citation du Théétète 201e – 202c – est en effet le suivant :
Le discours de Platon sur la recherche de l’essence des choses était très proche d’un discours sur la recherche des ingrédients d’un mélange, comme si les qualités étaient les ingrédients des choses40.
Quand on dit : « Cette forme consiste en ces formes » – on imagine la forme comme un beau dessin, on imagine un beau support ayant cette forme, sur lequel en quelque sorte sont tendues les choses qui ont cette forme. (Cf. la conception platonicienne des propriétés comme ingrédients d’une chose.)41
36Mais si telle fut l’erreur rédhibitoire scellée dans le platonisme résiduel du Tractatus, on ne saurait cependant caractériser sur son seul fondement le platonisme comme tel. Si l’on suit les méandres des analyses wittgensteiniennes, celui-ci apparaît en effet comme une hydre à plusieurs têtes. La preuve en est que, si Wittgenstein reconnut à Frege le mérite de lui avoir expliqué qu’il était dépourvu de tout fondement de croire qu’un cercle rouge serait un complexe de rougeur et de circularité42, il n’en refusa pas moins de corriger cette erreur en s’engageant dans la voie frégéenne à laquelle il reproche au contraire, comme nous l’indiquions, d’hypostasier l’en soi. Ainsi les Remarques sur les fondements des mathématiques retournent-elles l’une des propositions cardinales des Fondements de l’arithmétique. Là où Frege affirmait : « pour moi, un concept est un prédicat possible », elles rétorquent : « Un concept n’est pas essentiellement un prédicat »43, pour montrer ensuite qu’il convient de le concevoir comme « une sorte d’image [entendons, de schème] à laquelle nous comparons les objets »44.
37Libérer Platon du platonisme exigeait donc que soient conjurés non seulement le piège de l’atomisme mais aussi celui dans lequel Frege s’était laissé prendre. Le piège en question était l’hypothèse de la « nature prédicative » des concepts, qui permettait d’associer à des « fonctions » insaturées des « parcours de valeurs » fermés sur eux-mêmes et d’établir la possibilité pour tout concept véritable de représenter un objet logique – possibilité qui, on le voit, ne fait que reporter un peu plus loin la confusion entre propriétés profondes et relations internes, c’est-à-dire l’erreur même du platonisme.
38De cette erreur, Wittgenstein fut très tôt convaincu qu’on ne pouvait sortir qu’en reconnaissant l’irréductibilité ultime de l’exemple. C’est en effet toujours sur un exemple, comme le rappellent inlassablement les Recherches (et, faut-il ajouter, sur le mutisme de l’exemple) que s’ouvre la compréhension de la relation interne. Aussi ne saurait-on considérer l’exemple comme « un mode indirect de l’explication »45, ni a fortiori comme une « attrape »46. Il faut à l’inverse lui reconnaître un pouvoir euristique véritable ; non qu’il s’agisse de revenir sur l’acquis primordial du Ménon – c’est-à-dire sur le fait qu’il est impossible de répondre à la question de l’essence par une énumération –, mais parce que le cas particulier, pris avec la règle qu’il applique, montre ce que la règle à elle seule ne saurait montrer. L’illusion serait en effet de croire que le système des règles, à tout le moins dans les cas où son champ d’application est strictement délimité (c’est-à-dire dans le cadre des langages formels), permettrait de déterminer univoquement et exhaustivement les objets du champ dont il énonce les propriétés fondamentales.
39S’il n’en va jamais ainsi, cela veut dire que les propriétés en question ne correspondent à aucun élément commun que l’on retrouverait identiquement en chaque cas particulier, et que par conséquent la croyance en l’ens communis, qui est en fait dans le cadre du platonisme orthodoxe l’argument central de la réification de l’Idée, est dépourvue de tout fondement. Mais le problème rebondit aussitôt du fait que cette croyance, à la différence de la croyance en l’en soi, n’appartient pas en propre au platonisme et qu’elle est en réalité une illusion dont se nourrissent aussi sous une forme à peine amodiée – celle de la croyance en la généralité – certaines figures de l’antiplatonisme, plus particulièrement en logique et en fondements des mathématiques.
40Ainsi Wittgenstein, qui se serait vanté d’être le seul philosophe à Cambridge à n’avoir jamais lu une seule ligne d’Aristote, n’en accusait pas moins la logique aristotélicienne d’avoir introduit en philosophie « un mode général du discours » particulièrement dangereux. Car les schémas généraux qu’il permet de dégager sont certes très utiles à la caractérisation des processus mathématiques et des formes logiques du raisonnement, mais croire qu’ils permettraient, à eux seuls, de rendre raison de tous les cas particuliers reviendrait à troquer les pièges de l’en soi contre ceux de la généralité, dans lesquels se laissera encore prendre un mathématicien de la taille de Dedekind47 ; et donc à tomber de Charybde en Scylla.
41Aussi ne peut-on déterminer sur le seul fondement de la critique de l’en soi la signification de l’antiplatonisme wittgensteinien. La critique de la généralité, qui manifeste la nécessité de fonder la synopsis sur le cas particulier, constitue en effet la seconde stratégie de cette forme complexe et subtile d’antiplatonisme que fut celui de Wittgenstein. C’est donc vers elle qu’il convient, pour finir, de nous tourner.
II
42Les formulations les plus ouvertement antiplatoniciennes des thèses wittgensteiniennes se trouvent, pour la plupart, dans la section I des Remarques sur les fondements des mathématiques, où l’on peut lire : « Le mathématicien est un inventeur, non un découvreur », ou encore : « Ce qui appartient à l’essence, je le dépose dans le langage. Le mathématicien crée l’essence. »48
43Mais en mettant ainsi en avant l’inventivité du mathématicien, Wittgenstein n’entend pas rejoindre le camp d’un intuitionniste comme Brouwer qui, s’il souligne à bon droit que les mathématiques sont une activité, se méprend cependant totalement en les comprenant comme de libres créations de la volonté. Et il n’entend pas non plus, à l’extrême opposé, se rallier à Cantor, qui conçoit la mathématique comme une « libre mathématique » dont l’exercice serait « dépourvu de contraintes » mais reconstitue néanmoins un platonisme49 ; ni même à Dedekind, que l’on peut, sous bien des rapports, considérer comme l’une des figures les plus pures de la libre créativité, puisqu’il détermine les nombres comme les « libres créations de l’esprit humain » émanant directement « des pures lois de l’entendement »50, et n’hésite pas à affirmer, dans une lettre à Weber du 24 janvier 1888, que « nous sommes de race divine et possédons [...] le pouvoir de créer ».
44En fait, l’approche wittgensteinienne des questions de fondements, outre qu’elle n’a que dédain pour le finitisme brouwerien, refuse avec une égale véhémence le réalisme platonisant de Frege et les différentes variantes de l’antiplatonisme en mathématiques. Il s’agit en effet pour elle de montrer que le mathématicien, s’il n’a pas affaire à des êtres existant en soi et pour soi, ne saurait cependant ni bricoler des « objets de pensée » tout droit sortis d’un entendement qui tirerait toute chose de son propre fonds51, comme le croit Dedekind, ni être en présence de simples marques sur le papier comme le croient certains formalistes, Hankel par exemple.
45L’un des passages où Wittgenstein aborde le thème de l’inventivité en mathématiques reprend l’exemple même par lequel Frege explicitait son différend avec les formalistes52. Mais il le fait en déplaçant brutalement le problème de façon à renvoyer dos à dos la thèse frégéenne et celle des tenants de la libre créativité. Frege opposait à Hankel l’idée suivante : « Le mathématicien ne peut pas créer arbitrairement quelque chose, aussi peu que le géographe ; lui aussi doit seulement découvrir ce qui est là et lui donner un nom »53. Wittgenstein pour sa part reprend la métaphore géographique ainsi :
Chercher quelque chose a une signification différente dans les expressions « chercher quelque chose au Pôle Nord » et « chercher quelque chose en mathématiques ». La différence entre une expédition d’exploration au Pôle Nord et une tentative pour trouver une solution mathématique est que, dans le premier cas, il est possible de décrire à l’avance ce que l’on cherche, tandis qu’en mathématiques, lorsque vous décrivez la solution, c’est que vous avez achevé l’expédition et que vous avez trouvé ce que vous cherchiez. La description de la preuve est la preuve même, tandis que pour trouver la chose que l’on cherche au Pôle Nord [il ne suffit pas de la décrire]. Il nous faut faire l’expédition54.
46En affirmant, à l’encontre de Frege, la spécificité des recherches mathématiques par rapport aux recherches scientifiques, le passage justifie la nécessité d’introduire la distinction entre recherches grammaticales et recherches factuelles que nous avons déjà exposée. Mais la façon dont il aborde le problème nous met aussi en présence de ce que l’on pourrait nommer le paradoxe constitutif du mathématique. Le paradoxe en question tient à ce que, si l’expédition mathématique, à la différence de l’expédition scientifique, ne découvre rien qui serait déjà là, elle ne peut cependant rien « décrire » qu’elle ne le trouve.
47Le point mérite qu’on s’y arrête parce qu’il renvoie à une quaestio disputata majeure, sur laquelle Frege et les formalistes s’opposaient frontalement – la question de savoir si les définitions sont abréviatives ou bien créatives. Le premier justifiait sa conception de la définition comme stipulation abréviative, logiquement superflue, par l’idée (d’origine platonicienne) que « les noms correctement construits doivent toujours dénoter (bedeuten) quelque chose »55 et que définir n’est pas autre chose que dénommer. A quoi les seconds rétorquaient qu’en réalité les signes ne renvoient à aucun archétype qui leur préexisterait et qu’ils tirent leur signification des règles de formation et des règles d’inférence qui rendent possible le calcul en déterminant la « fonction » (ou « place ») du signe dans le système, à la manière dont les règles du jeu d’échec déterminent les possibilités de déplacement des différentes pièces sur l’échiquier.
48Or la philosophie des jeux de langage tranche la question des définitions dans un sens analogue aux formalistes. L’idée que le mathématicien crée l’essence en inventant un nouveau calcul, mais aussi, d’une façon plus générale, la décision de grammaticaliser l’en soi et l’explicitation de la notion de jeu de langage en référence au jeu d’échecs ne laissent en effet aucun doute sur le fait que Wittgenstein reconnait aux formalistes le mérite d’avoir montré que les signes n’ont de signification qu’à l’intérieur d’un système. A ce niveau d’analyse, l’accord est bien réel, puisque les Remarques sur les fondements des mathématiques n’hésitent pas à accréditer l’idée de définition créative. Ainsi affirment-elles que : « Le présupposé (die Annahme) est que les définitions ne servent qu’à abréger l’expression pour la commodité de celui qui calcule, alors qu’en fait, elles font partie du calcul [...] <et> permettent de créer des expressions qui ne pourraient l’être sans elles56. »
49Mais l’interprétation que Wittgenstein donne de cette situation, en référence au paradoxe que nous venons de relever, est aux antipodes de celle des formalistes. Le paradoxe supprime en effet toute possibilité de penser l’introduction de nouvelles expressions comme une création libre, qui manifesterait le caractère purement stipulatoire des règles de formation. Il justifie au contraire une caractérisation de l’« énoncé mathématique » comme « détermination conceptuelle qui suit une découverte »57, laquelle caractérisation exige que l’on éclaire les créations mathématiques par le seul caractère imprévisible de la découverte – ou pour mieux dire de la « trouvaille »– dont les nouvelles déterminations conceptuelles sont les concrétions.
50Mais si tel est le ressort véritable de l’inventivité du mathématicien, cela veut dire que le système des règles n’est pas une mécanique qui pourrait fonctionner aveuglément, et que par conséquent l’autonomie du calcul signifie tout autre chose que ce que croient les formalistes pré-hilbertiens, mais aussi Hilbert lui-même. Loin d’engendrer des calculs vivant en autarcie, cette autonomie montre au contraire qu’il est possible de construire correctement une preuve ou de la suivre pas à pas sans du tout comprendre ce qui a été prouvé, et que pour pouvoir la comprendre il faut aussi avoir « trouvé l’application »58.
51Or la nécessité du passage par l’application est l’épine dorsale de la critique de la généralité. A y bien regarder en effet, Wittgenstein n’a jamais formulé qu’un seul reproche à l’encontre des sémantiques ensemblistes : n’avoir pas reconnu la nécessité de ce passage, avoir cru pouvoir s’en dispenser en recourant aux extensions infinies.
52La critique du « théorème de Dedekind sur la droite des nombres » que l’on trouve dans la section V des Remarques sur les fondements des mathématiques permet de déterminer le sens et les enjeux de ce reproche. Dedekind visait à constituer les réels en un corps inextensible par le procédé de la coupure. Wittgenstein ne nie pas que la coupure soit une méthode de calcul véritable, mais il montre qu’elle ne saurait cependant nous donner ce que Dedekind voudrait qu’elle nous donnât – c’est-à-dire l’ensemble des réels en extension.
53La coupure, explique-t-il, est une illustration particulièrement dangereuse (cf. § 29) qui nous livre tout nombre rationnel ou irrationnel en lui assignant une place sur la droite des nombres, mais en supposant que le fait qu’on le connaisse ou non n’aurait aucune importance (cf. § 37). C’est ici que le bât blesse, car la supposition revient à croire qu’il en irait avec les fractions décimales infinies comme avec « un ensemble de choses qui ne tiendraient pas toutes dans une main et qu’il faudrait transporter enfermées dans une boîte », et que l’infini n’aurait donc qu’à « s’arranger comme il peut dans la boîte »59. Or le malheur veut que nous connaissons des nombres à développement décimal infini qui suivent une loi (1/3, par exemple), et que nous en connaissons aussi dont le développement est irrégulier (π, par exemple), mais que nous ne connaissons rien qui nous permettrait de déterminer où se trouvent les vides que les seconds sont supposés remplir sur la droite des nombres.
54Si la notion de « coupure en un point irrationnel » est une image fallacieuse, c’est parce qu’elle conforte la théorie des ensembles dans l’idée qu’une « combinaison du calcul et de la construction » (§ 37) non seulement pourrait nous dispenser d’effectuer l’application, mais encore pourrait nous donner plus que ce que nous donne la recherche des lois de nombres réels particuliers·, en clair, qu’elle nous permettrait de « dominer la généralité des fonctions mathématiques » (§ 40). Mais il n’en est rien, car si le procédé de la coupure permet de « déterminer de plus en plus le concept de la règle de construction d’un nombre à développement décimal illimité », il laisse indéterminé le « contenu du concept » (cf. § 40). Il ne nous conduit donc pas à une généralité supérieure, contrairement à ce que pense Dedekind, mais montre à l’inverse que « nous employons des concepts de nombres qui sont infiniment plus difficiles à saisir que ceux que nous produisons ouvertement » (§ 36) et que, par conséquent, « die Praxis muβ für sich selbst sprechen »60.
55La leçon qu’il convient de retirer de la fin de non recevoir que Wittgenstein adresse aux théories des ensembles est la suivante : il ne sert à rien de montrer, à l’encontre du platonisme, que ce sont les règles qui créent l’essence, si l’on ne reconnaît pas qu’elles-mêmes n’ont force de règle que pour autant qu’elles sont effectivement mises à l’épreuve et reconnues, dans cette épreuve même, comme règles. Aussi est-ce l’effectuation de l’application – ou si l’on préfère, « l’expérience », mais l’expérience en un sens à la fois non empiriste et non naïf –, et non comme le croyait Dedekind « le pouvoir créateur de l’esprit », qui est à la source de l’applicabilité des mathématiques à elles-mêmes. C’est elle et elle seule en effet qui peut nous découvrir les propriétés formelles que les énoncés mathématiques, et d’une façon plus générale les énoncés grammaticaux, déposent dans le langage, sous forme de déterminations conceptuelles :
Le mot inversé prend un nouveau visage. Et si l’on disait : celui qui a inversé la série 12 3 apprend à son sujet qu’inversée elle donne 3 2 1 ? Et ce qu’il apprend n’est pas une propriété de ces traits d’encre mais de cette séquence de formes. Il apprend une propriété formelle des formes. La proposition qui énonce cette propriété formelle est prouvée par l’expérience (Erfahrung) qui montre la naissance de telle forme de telle façon à partir de telle autre61.
56Nous nous arrêterons sur ce fragment qui, en réalité, nous met en présence de l’énigme centrale de la philosophie des jeux de langage. L’affirmation selon laquelle il est nécessaire, pour pouvoir reconnaître une propriété formelle, de voir la naissance d’une forme à partir d’une autre, n’est pas en effet sans conséquences fondamentales sur l’articulé général des questions wittgensteiniennes.
57D’abord, elle permet de vérifier que la solution wittgensteinienne à la question des fondements vise à montrer qu’en dernière analyse, les énoncés mathématiques sont des « propositions d’expérience » durcies en règles62, que l’on n’est pas en droit de situer dans un quelconque τόπος οὐράνίος comme le font aussi bien platoniciens qu’antiplatoniciens. Or cette thèse est essentielle, car c’est sur elle que repose la possibilité de développer une analogie entre les langages formels et le langage ordinaire. Certes les différences ne manquent pas, puisque la plupart des termes des langues naturelles, à la différence de ceux des langages formels, n’ont pas de définition du tout63, mais l’application n’en est pas moins soumise, ici comme là, à la même loi d’airain qui montre que l’on doit « laisser l’usage des mots nous enseigner leur signification », de même qu’en mathématiques, il faut « laisser la preuve nous enseigner ce qui a été prouvé »64, au lieu de nous mettre en quête – spéculairement s’entend – d’une substance dont on présume qu’elle se trouverait derrière le substantif, ou d’une extension idéale non écrite dont on présuppose qu’elle serait symbolisée par le « ad infinitum ».
58Ensuite l’idée que l’« Erfahrung » est cela même qui prouve la propriété formelle en faisant voir une transformation de formes atteste la présence d’une circulation souterraine, que Wittgenstein tenait manifestement pour essentielle, entre les recherches mathématiques et les « recherches esthétiques » qui consistent essentiellement en la recherche de solutions à des problèmes de transformations de formes. Il faut en effet, remarque-t-il, contrôler la qualité contrapuntique d’un thème, au même titre qu’un théorème mathématique65. Mais l’analogie montre également qu’il n’y aurait aucun sens à faire des mathématiques le lieu de l’assurance et de l’art celui du risque, puisque c’est la « trouvaille » qui, ici comme là, est la solution du problème. En dernière analyse, la « clarté absolue » dont parlent les Recherches (et où nous avons reconnu en commençant l’άνυπόθητον wittgensteinien) ne renvoie pas à autre chose qu’à cette trouvaille, laquelle n’est jamais l’œuvre du hasard mais celle du « feeling for the rules » que l’entraînement aux règles permet de développer66.
59Aussi convient-il de reconnaître, dans l’architecture complexe des questions wittgensteiniennes, une réappropriation de l’ἀεὶ ὄν dont Platon avait fait la question de la philosophie. C’est lui en effet que Wittgenstein retrouve sous la forme de ce que nous avons présenté comme le paradoxe constitutif du mathématique. La réappropriation est certes violente, puisqu’elle fait voler en éclats la théorie des Idées et la théorie de la Réminiscence. Car, d’une part, les recherches sur les fondements des mathématiques établissent l’« inexorabilité de nos mesures » en déjouant le leurre de la transcendance, et, d’autre part, les recherches sur les fondements de la psychologie, en reposant à nouveaux frais la question de l’expérience et de son imprévisibilité, évitent le psychologisme transcendantal de l’anamnèse. Pourtant il s’agit bien d’une réappropriation véritable, l’un des objectifs majeurs de Wittgenstein étant de montrer qu’il n’y a absolument aucun sens à croire que l’on pourrait « prolonger l’expérience dans la pensée »67, et donc de réaffirmer les attaches de la pensée à l’être.
60Certes la façon dont il les réaffirma contredisait le platonisme, mais son antiplatonisme était tout le contraire d’une fin de non recevoir adressée aux questions platoniciennes. S’il rompait tous les ponts que Platon avait instaurés entre un idéel hypostasié en idéal et un réel rabaissé à l’apparence, ce n’était pas, en effet, en vue d’invalider les questions que le fondateur de la philosophie avait soulevées, mais au contraire en vue de les réinscrire sous l’intitulé d’une « praxologie » dont l’un des mérites – et non le moindre – fut de montrer que les véritables « Amis des Formes » sont les « Enfants de la Terre ».
Notes de bas de page
1 Recherches philosophiques, traduites sous le titre Investigations philosophiques, Paris, Gallimard, 1961, II, xiv : « Une recherche est possible à l’égard des mathématiques, tout à fait analogue à notre recherche concernant la psychologie. Elle est tout aussi peu mathématique que l’autre psychologique. Il n’y a pas en elle de calcul, elle n’est donc pas, par exemple, une logistique. Elle pourrait mériter le nom de recherche sur les “fondements des mathématiques”. » (p. 364 ; passage retraduit).
2 Voir par exemple ibid., II, xiv : « La confusion et le vide qui règnent en psychologie ne s’expliquent pas par le fait que la psychologie est une “jeune science” ; son état n’est en rien comparable à celui de la physique, par exemple, à l’époque de ses débuts. (La comparaison serait plutôt avec un certain rameau de la mathématique, la théorie des ensembles.) Car il y a en psychologie des méthodes expérimentales et une confusion conceptuelle. (De même que dans l’autre cas, une confusion conceptuelle et des méthodes de démonstration.) » (p. 363, passage retraduit).
3 Voir Remarques sur les couleurs, III, § 303 : « Que notre langue soit réglée, cela contraint toute notre vie. »
4 Op. cit. (2e éd.), p. 29 (1931). Signalons en outre que l’idée réapparaît sous une forme quelque peu différente, p. 43 (1937). Il s’agit cette fois de mettre en évidence la différence en montrant l’inaptitude du mathématicien, lequel « n’est pas équipé des instruments visuels qui conviennent à une recherche de ce genre », à trouver dans la forêt des baies que le philosophe, quant à lui, trouve sans le moindre mal, parce qu’il « sait où il faut regarder ».
5 Remarques sur les fondements de mathématiques, Paris, Gallimard, 1983, V, § 52, p. 252. (Soit dit en passant, il faut n’avoir pas lu les textes de Wittgenstein sur la question, ou n’y avoir rien compris, pour interpréter la « paresse » dont parle ici Wittgenstein comme le fait Alain Badiou dans son essai intitulé Conditions. Si le fait mérite d’être signalé, c’est pour la raison qu’il conjugue sous une forme caricaturale la stratégie de la déformation avec celle de l’évitement – deux stratégies qui ont trop souvent interdit l’accès au corpus wittgensteinien.)
6 Ibid. V, § 2, p. 221.
7 Ibid., V, § 2.
8 Ibid., V, §5, p. 224 : « Quelqu’un développe les mathématiques, donne de nouvelles définitions et trouve de nouveaux théorèmes – sous certains rapports, on peut dire qu’il ne sait pas ce qu’il fait. »
9 Recherches philosophiques, § 129.
10 Op. cit., I, § 109.
11 Op. cit, I, § 133 (c’est Wittgenstein qui souligne).
12 Remarques Mêlées (1930), p. 19.
13 Recherches philosophiques, I, § 127 (traduction modifiée).
14 Cf. Études préparatoires, § 565 : « Un étonnement est essentiel au changement d’aspect, et s’étonner, c’est penser ». L’idée apparaît également en de nombreux autres endroits, par exemple. Remarques Mélées : « ... sauf à nommer primitif le fait de ne pas s’étonner des choses, mais alors ce sont précisément les hommes d’aujourd’hui qui sont primitifs, et c’est Renan lui-même, quand il croit que l’explication scientifique pourrait supprimer l’étonnement » (p. 17).
15 The Blue Book, Oxford, Basil Blackwell, 1958, p. 66 (nous soulignons).
16 Les Cours de Cambridge 1932-1935, Mauvezin, T.E.R., 1992, p. 43.
17 Le thème du « rien n’est caché » est un thème récurrent dans les Recherches philosophiques. Voir plus particulièrement § 126 et §435.
18 Le §46 des Recherches philosophiques cite longuement Théétète 201e – 202c. La citation correspond à l’exposé par Socrate de la thèse d’Antisthène sur les στοίχεια. Mais Socrate réfute ensuite l’idée selon laquelle les στοιχεῖα seraient des ἄλόγα, d’abord au moyen d’un argument dialectique portant sur la différence du τὸ ὅλον et du τὸ πᾶν, puis par une analyse de l’apprentissage de l’écriture. Wittgenstein cependant ne tient aucun compte de cette réfutation et le contexte montre qu’il attribue la thèse exposée en 201e – 202c à Platon lui-même.
Or l’inconnaissabilité des objets simples était le présupposé fondamental du Tractatus, puisqu’il permettait d’articuler l’une sur l’autre logique et mystique. En effet le jeune Wittgenstein montrait d’une part que ce que nous rencontrons dans l’expérience, ce ne sont pas des « objets réellement simples », mais seulement des « objets complexes fonctionnant comme objets simples » – sur cette distinction cardinale, voir Carnets 1914-1916, Paris, Gallimard, 1971, p. 133 – et d’autre part que ce que nous connaissons a priori ce ne sont pas les « objets simples » eux-mêmes mais seulement le fait qu’il doit en exister (Cf. Tractatus, 5.55 et 5.5571). On conçoit donc aisément les raisons pour lesquelles les Recherches se sont arrêtées sur ce passage du Théétète plutôt que sur ce qui suit.
Reste la question de savoir si cette erreur de lecture invalide ou non leurs analyses eu égard à Platon. A quoi il faut, croyons-nous, répondre de façon négative. Car le fait que Wittgenstein attribue à Platon une thèse qui n’est pas la sienne ne menace cependant pas la question posée par les Recherches, puisque cette question ne porte pas sur l’inconnaissabilité des éléments, mais sur le fait qu’on soit ou non en droit de faire appel à des éléments originels, fonctionnant comme principe d’explication ultime. Or il y a, comme l’on sait, des στοιχεῖα chez Platon même, et ils ont précisément la fonction du definiens.
19 Voir plus particulièrement Remarques sur les fondements des mathématiques, V, § 5.
20 Cette notion, qui sous bien des rapports recouvre celle de schème (parfois employée par Wittgenstein), apparaît au § 295 des Recherches philosophiques.
21 « Le Cahier Jaune », § 5, dans Les Cours de Cambridge 1932-1935, p. 70.
22 Voir Tractatus 3.328 et 5.47321.
23 Voir Tractatus 4.0312 d’une part et 6.021 d’autre part.
24 Voir entre autres Lectures on the Foundations of Mathematics, Chicago and London, The University of Chicago Press, 1976, Cours XIX à XXVI.
25 Remarques sur les fondements des mathématiques, I, § 19-21, p. 41-42.
26 Voir, outre les analyses de la section I des Remarques sur les fondements des mathématiques, les cours XXIX et XXX des Lectures on the Foundations of Mathematics, dont les analyses sont bien plus claires et déliées.
27 Tractatus, 6.13 : « La logique n’est pas une théorie, mais une image qui reflète le monde. »
28 Lectures on the Foundations of Mathematics, XXIX, p. 279. Remarquons que le passage vise expressément Russell, mais aussi Frege.
29 Voir Tractatus, 6. 124.
30 « Le Cahier Jaune », § 5, dans Les Cours de Cambridge 1932-1935, p. 70. Notons que ce passage précède immédiatement celui dont nous sommes partis.
31 Nous reprenons ici l’interprétation de Léon Robin, dans Platon, Paris, P.U.F., 1968, p. 124et, sur le « dualisme brutal », p. 93.
32 Nous reprenons, dans ce paragraphe et dans le suivant, l’argumentation du § 50 des Recherches philosophiques, en en modifiant la traduction.
33 Recherches philosophiques, § 101 (traduction modifiée).
34 Sur ce point, voir aussi les analyses des Fiches, Paris, Gallimard, 1970, §§194-293.
35 Il faut signaler que Théétète 189a est également cité dans la Grammaire philosophique, Paris, Gallimard, 1980, I, §90, où il est accompagné d’une autre analyse qui recroise très largement celle des Recherches, bien que sa thématique soit différente.
La citation et son analyse réapparaissent sans modification dans les Fiches, § 69, où Wittgenstein rangeait ceux de ses fragments qui lui paraissaient à la fois pertinents et importants. C’est là l’indice de ce qu’une fois réélaborée, la question posée par ce passage du Théétète pourrait constituer la clef des questions wittgensteiniennes elles-mêmes.
36 Remarques sur les fondements des mathématiques, I, § 105, p. 71-2 (traduction modifiée).
37 Voir par exemple le §59 des Recherches qui résume la thèse de l’atomisme en ces termes : « Un nom signifie seulement un élément de la réalité, ce qui reste identique en tout changement, qui ne peut être détruit. »
38 Fiches, § 332 (nous soulignons).
39 Remarques sur les fondements des mathématiques, I, § 102, p. 70.
40 « Philosophie », § 31, dans Les Cours de Cambridge 1932-1935, p. 50.
41 Remarques sur les fondements des mathématiques, I, §71, p. 59 (traduction modifiée).
42 Voir Grammaire philosophique, I, Appendice 1, p. 206 : « Dire d’un cercle rouge qu’il consiste en rouge et en circularité, c’est faire un usage fallacieux de mots. (Frege le savait et me le disait.) »
43 Remarques sur les fondements des mathématiques, V, § 47, p. 250.
44 Remarques sur les fondements des mathématiques, VII, § 71, p. 342.
45 Voir Recherches philosophiques, §71, que l’on rapprochera de Grammaire philosophique, I, § 76, où Socrate est nommément pris à parti.
46 Grammaire philosophique, II, 9, p. 278 : « Les exemples sont des signes ordinaires, non des résidus ni des attrapes. »
47 Remarques sur les fondements des mathématiques, V, §40, p. 247 : « Dedekind donne un schéma général des modes d’expression, pour ainsi dire une forme logique du raisonnement. Une formulation générale d’un processus. [...] On introduit un mode général de discours très utile à la caractérisation d’un processus mathématique. (Tout comme dans la logique aristotélicienne. Mais le danger est qu’avec ce mode général on croit posséder l’explication de tous les cas particuliers.) »
48 La première citation est récurrente ; voir par exemple op. cit, I, § 168, p. 94 et I, Annexe 2, § 2, p. 107. On trouvera la seconde in op. cit., I, § 32, p. 46.
49 Sur le réalisme de la doctrine cantorienne des transfinis, voir l’interprétation de J. Cavaillès, dans Philosophie mathématique, Paris, Hermann, 1962, p. 84- 99.
50 R. Dedekind, Was sind und was sollen die Zahlen ?, cité par Jean Cavaillès in Philosophie mathématique, p. 120 et Méthode axiomatique et formalisme, Paris, Hermann, 1981, p. 56.
51 Pour Richard Dedekind en effet « une chose est tout objet de notre pensée » ; et lorsque « différentes choses a, b, c, ... conçues d’un même point de vue, sont réunies dans l’esprit, [...] elles forment un système S », lequel système « comme objet de pensée est également une chose ». (Voir. J. Cavaillès, Philosophie mathématique, p. 121-122).
52 En réalité, aucun texte de Wittgenstein portant sur cette question ne dit (du moins à ma connaissance) expressis verbis que l’exemple est repris de Frege – ce qui est pourtant le cas.
53 G. Frege, Fondements de l’arithmétique, Paris, Le Seuil, 1969, p. 219. Nous reprenons ici la traduction de ce passage par Jean Cavaillès, dans Méthode axiomatique et formalisme, p. 57. Nous lui devons également la confrontation Frege-Hankel.
54 Les Cours de Cambridge 1932-1935, p. 19.
55 G. Frege, Grundgesetze, I, §29.
56 Remarques sur les fondements des mathématiques, III, §2, p. 138 (nous soulignons).
57 Ibid., IV, §47 : « Car l’énoncé mathématique est une détermination conceptuelle qui suit une découverte. »
58 Ibid., V, §25.
59 La métaphore de la boîte telle que nous l’exposons ici se trouve dans Grammaire philosophique, II, 40, p. 472.
60 De la Certitude, § 139.
61 Remarques sur les fondements des mathématiques, IV, §50, p. 215 (nous soulignons).
62 Voir ibid., VI, §22, p. 267 : « C’est comme si nous avions durci la proposition d’expérience (Erfahrungssatz) en règle. Et maintenant [...] nous avons un nouveau type de jugement. »
63 Voir notamment The Blue Book, p. 25 : « Nous sommes incapables de clairement circonscrire les concepts que nous employons ; non parce que nous ne connaissons pas leur définition réelle, mais par qu’il n’en existe aucune “définition” réelle. »
64 Recherches philosophiques, II, xi, p. 353.
65 Voir Remarques sur les fondements des mathématiques, VI, § 1, ainsi que VII, §11.
66 Sur l’énigmatique notion de « sentiment des règles », voir « Leçons sur l’esthétique », I, § 15, dans Leçons et conversations, Paris, Gallimard, 1971.
67 Fiches, § 256 : « Les philosophes qui croient que l’on peut pour ainsi dire prolonger l’expérience dans la pensée devraient penser que l’on peut transmettre la parole par téléphone, mais non la rougeole. » Et également, § 260 : « Ce n’est qu’en apparence que l’on peut aller au-delà de toute expérience possible. »
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