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    Plan détaillé Texte intégral LES AGENTS DE TRANSMISSION LEURS SOURCES LES VICTIMES L’ORIGINE DE CES ACCUSATIONS DE PLAGIAT DÉFINITION DU PLAGIAT ET LITTÉRATURE SUR CE THÈME REMARQUES POUR CONCLURE Notes de bas de page Auteur

    Contre Platon, vol. 1

    Ce livre est recensé par

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    Table des matières

    Les accusations de plagiat lancées contre Platon

    Luc Brisson

    p. 339-356

    Remerciements

    N.B. Je remercie Jean-Marie Flamand et ma fille Anne qui m’ont aidé à corriger les épreuves de cet article.

    Texte intégral LES AGENTS DE TRANSMISSION Athénée de NaucratisDiogène LaërcePorphyre LEURS SOURCES Théopompe de ChiosSatyrosAlcimos de SicileDouris de SamosAristoxène de Tarente LES VICTIMES Des philosophesDémocritePythagore et PythagoriciensDes philosophes socratiquesProtagorasDes poètesAuteurs comiquesHomère L’ORIGINE DE CES ACCUSATIONS DE PLAGIAT AristoteIsocrate DÉFINITION DU PLAGIAT ET LITTÉRATURE SUR CE THÈME REMARQUES POUR CONCLURE Notes de bas de page Auteur

    Texte intégral

    1Au iiie siècle après J.-C., plusieurs auteurs se firent l’écho d’accusations de plagiat portées contre différents philosophes et notamment contre Platon. Ces accusations nous paraissent ridicules, à nous qui avons une autre pratique de l’histoire de la philosophie. Cependant un historien de la philosophie se doit de prendre en considération ces accusations. Il peut ainsi mesurer à quel point sa pratique diffère de celle de ses prédécesseurs, et, par choc en retour, se rendre compte de sa dépendance à leur égard. D’un point de vue plus général, en outre, ce thème permet de reconsidérer les rapports entre théologie chrétienne et philosophie grecque, car le plagiat a permis à nombre d’auteurs ecclésiastiques de justifier l’annexion au christianisme de l’essentiel de la philosophie grecque1.

    2J’essaierai ici de remonter dans le temps en indiquant les agents de transmission des accusations de plagiat portées contre Platon et en évoquant leurs sources en fonction des victimes supposées de ces plagiats. Cela fait, je serai en mesure, après avoir tenté de définir ce qu’on tenait pour un plagiat dans l’Antiquité, d’avancer quelques hypothèses sur l’origine des accusations portées contre Platon (tout cela se trouve résumé dans le tableau ci-joint). Cette façon de procéder permet, si on l’applique à d’autres objets, de mieux comprendre comment travaillaient les « historiens de la philosophie » dans l’Antiquité.

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    LES AGENTS DE TRANSMISSION

    3En ce qui concerne les accusations de plagiat portées contre Platon, je ne citerai que trois témoignages2 : celui d’Athénée de Naucratis (Deipnosophistes, XI, 507e, 508c-d)3, celui de Diogène Laërce (III, 9-18) et celui de Porphyre chez Eusèbe de Césarée (Préparation Évangélique, X, 3).

    Athénée de Naucratis 4

    4D’Athénée de Naucratis, un érudit qui vécut à la fin du iie et au début du iiie siècle de notre ère, nous ne possédons plus qu’un seul livre, les Deipnosophistes, dans lequel cependant allusion est faite à deux autres ouvrages, aujourd’hui perdus. On continue de s’interroger sur la question de savoir ce que signifie ce titre. Faut-il comprendre δειπνοσοφισταί comme « le banquet des sages », « les sages au banquet » ou « les autorités sur les banquets » ? J’aurais tendance à opter pour la première solution. En effet, la forme dialoguée de l’ouvrage, qui a pour cadre général un banquet comme celui donné par Agathon pour fêter sa victoire au concours de tragédie en 416 avant J.-C. et qu’évoque le Συμπόσιον dans le corpus platonicien, s’inspire de Platon. Plus précisément, Athénée raconte à son ami Timocrate tout ce qui s’est dit lors du banquet offert par Larensius, un riche et savant Romain, féru d’érudition, qui réunissait chez lui les esprits les plus distingués de son temps. Les convives sont des juristes, dont Ulpien, des poètes, des orateurs, des grammairiens, des philosophes, des médecins, dont Galien, des musiciens. Les sujets de conversation sont multiples et disparates : musique, danse, vin, anecdotes piquantes ou licencieuses, littérature et même philosophie. Il n’y a pas d’ordre, sinon celui de la succession des plats composant le banquet.

    5Opposant farouche à Platon, Athénée de Naucratis ne perd pas une occasion de s’en prendre au philosophe et de le dénigrer. Ainsi cite-t-il, entre autres, les propos d’antiplatoniciens notoires, comme Théopompe et Hérodicos de Babylone.

    Diogène Laërce5

    6Diogène Laërce reste une figure énigmatique : on ne sait pas interpréter l’épithète qui qualifie son nom et on éprouve les plus grandes difficultés à le dater. Comme les philosophes les plus récents qu’il cite sont Théodosius, le sceptique, Sextus Empiricus et Satuminus, qui tous ont vécu au troisième siècle, et comme d’autre part il ne fait allusion ni au néopythagorisme ni au néoplatonisme – il ne parle pas de Plotin notamment – on a voulu situer Diogène Laërce dans la première moitié du IIIe siècle. Diogène Laërce n’est connu que par l’ouvrage qui lui a été attribué : Vies et doctrines des philosophes célèbres [en dix livres]. Sur ces dix livres, l’un est consacré à Platon ; il s’agit du troisième, où l’on trouve une dédicace à une Platonicienne (III, 47), ce qui pourrait d’ailleurs laisser penser que, à l’origine, ce livre était le premier. Ne fût-ce que pour ne pas déplaire à la dédicataire, Diogène Laërce ne se montre pas antiplatonicien. Pourtant il ne semble pas très à l’aise, lorsqu’il expose la doctrine platonicienne, dont il propose une interprétation médio-platonicienne assez ancienne et fortement influencée par le Stoïcisme ; embarras qui laisserait entendre qu’il n’est pas platonicien lui-même.

    7Cela dit, toute une section du livre III (9-18) est consacrée aux plagiats dont se serait rendu coupable Platon à l’encontre d’un certain nombre d’auteurs.

    Porphyre

    8Porphyre est surtout connu comme le disciple de Plotin6, et comme le responsable de l’édition des Ennéades, terminée vers 301, que nous continuons d’utiliser.

    9Mais, avant de devenir le disciple de Plotin à Rome, Porphyre, dont on peut placer la naissance vers 233, fréquenta l’École de Longin à Athènes avant 263. C’est une scène de la vie de cette école que nous décrit Porphyre. Dans les Écoles platoniciennes, comme celle de Longin à Athènes et celle de Plotin à Rome (Vie de Plotin, 15.1, cf 2.39-42), on fêtait l’anniversaire de Platon7. Cet anniversaire tombait le 7 Thargélion (mois athénien qui va de la mi-mai à la mi-juin) et coïncidait avec l’anniversaire d’Apollon. Cette coïncidence est loin d’être fortuite, car elle permettait de souligner la nature apollinienne de Platon. Les fêtes en l’honneur de ces anniversaires donnaient lieu à un banquet suivi de lectures de poèmes et de conférences, ou de discussions philosophiques. C’est au cours de l’une de ces discussions que le stoïcien Calliétès fait allusion au plagiat dont se serait rendu coupable Platon à l’encontre de Protagoras, ce qui ne manquait pas de piquant en la circonstance.

    10Comme l’ouvrage de Porphyre intitulé Ἡ φιλόλογος ἀκρόασις est aujourd’hui perdu, le passage incriminé nous est parvenu par l’intermédiaire d’Eusèbe de Césarée (P.E., X, 3) dont il sert le dessein général. Au livre X de sa Préparation Évangélique en effet, Eusèbe de Césarée veut prouver que les Grecs doivent aux Hébreux toute leur science et que, à ce titre, ce sont des plagiaires ; aussi cite-t-il l’anecdote de Porphyre, pour montrer comment les Grecs se plagiaient entre eux, et comment de ce fait il n’est pas étonnant qu’ils aient plagié les Hébreux.

    11Bref, au troisième siècle, un certain nombre d’érudits s’employaient à montrer que Platon ne présentait aucune originalité, que ce soit sur le plan de la forme ou sur celui du fond. Pour leur part, les Chrétiens, s’inspirant en cela de certains Juifs, prétendaient que les philosophes grecs devaient leur sagesse aux Hébreux8.

    LEURS SOURCES

    12Il est difficile de retracer l’origine de l’idée suivant laquelle les philosophes grecs auraient plagié les Hébreux, mais on sait bien sur qui s’appuient Athénée de Naucratis, Diogène Laërce et Porphyre pour évoquer les plagiats dont Platon se serait rendu coupable, car ces trois auteurs du iiie siècle après J.-C. citent nommément leurs sources.

    Théopompe de Chios 9

    13Historien (circa 376-324 avant J.-C), Théopompe fut un disciple d’Isocrate, dont il adopta le point de vue, suivant lequel la philosophie doit être la servante de la politique. Violemment antiplatonicien, il aurait écrit un Κατὰ τῆς Πλάτωνος διατριβῆς où, selon Athénée de Naucratis, il dénonçait notamment les plagiats de Platon aux dépens d’Aristippe, d’Antisthène et de Bryson.

    Satyros

    14Diogène Laërce donne comme source de l’anecdote suivant laquelle Platon aurait fait acheter par Dion à Philolaos trois livres contenant des doctrines pythagoriciennes (III, 9) un Onétor qui citerait certains autres auteurs, dont Satyros. On ne sait rien sur Onétor. De tendance péripatéticienne, Satyros aurait à Alexandrie écrit sous Ptolémée Philopator (221-204 avant J.-C.) des Vies d’hommes illustres. Mais, tout comme Hermippe, un contemporain plus jeune que lui, Satyros semble se rattacher à une tradition qui remonte à Timon de Phlionte (circa 325-235 av. J.-C.), philosophe sceptique, sectateur de Stilpon puis de Pyrrhon qui aurait écrit des Silles (Σίλλοι) en hexamètres dactyliques contre les philosophes dogmatiques, dont Platon.

    Alcimos de Sicile10

    15Diogène Laërce donne Alcimos de Sicile comme source de l’accusation de plagiat dont Platon se serait rendu coupable contre Épicharme et par voie de conséquence contre Pythagore. Rhéteur et historien (fin ive-début iiie siècle), Alcimos de Sicile aurait été le disciple de Stilpon, le troisième chef de l’École mégarique ; disciple de Diogène le Cynique et d’Euclide de Mégare, Stilpon aurait notamment refusé la distinction platonicienne entre le sensible et l’intelligible.

    16J’aurais tendance à identifier cet Alcimos avec l’auteur du Contre Amyntas 11, où Platon est accusé d’avoir plagié Épicharme, et dont Diogène Laërce cite un large extrait en III, 9-17.

    Douris de Samos

    17Historien et critique littéraire, amateur de sensationnel et peu scrupuleux, Douris de Samos qui fut peut-être le disciple de Théophraste, lui-même disciple d’Aristote, semble, si on en croit Athénée de Naucratis (Deipnosophistes, XI, 504 b = F.G.H. 76, fr. 72 Jacoby), avoir été sinon l’initiateur, du moins l’agent de transmission de l’anecdote concernant le plagiat dont se serait rendu coupable Platon à l’encontre de Sophron, et qu’évoque Diogène Laërce en III, 18.

    Aristoxène de Tarente12

    18Philosophe (né vers 375-360 av. J.-C.) qui aurait été le disciple du pythagoricien Xénophile, puis d’Aristote, dont il ne se prive pas de déformer la pensée, notamment lorsqu’il accuse Platon d’avoir plagié Démocrite (D.L., IX, 40, cf. III, 25) et Protagoras (III, 37, 57).

    19Ces cinq auteurs, qui sont tous des antiplatoniciens farouches, auraient vécu à la fin du ive et au début du iiie siècle avant J.-C., soit cinq siècles (un demi-millénaire) avant ceux, c’est-à-dire Athénée de Naucratis, Diogène Laërce et Porphyre, qui les citent sans les replacer dans leur contexte historique ; ce sont par ailleurs pratiquement des contemporains de Platon.

    20Tout cela montre que sinon du vivant de Platon, du moins peu de temps après sa mort, se manifestait un antiplatonisme virulent.

    LES VICTIMES

    21Les auteurs dont Platon aurait plagié les œuvres se répartissent en deux groupes : ce sont des philosophes ou des poètes. Dans le groupe des philosophes, on retrouve des prédécesseurs de Platon, comme Pythagore, Protagoras, Démocrite ou des contemporains, comme Aristippe, Antisthène et Bryson. Dans le groupe des poètes, on trouve Épicharme, Sophron et même Homère.

    Des philosophes

    22Avant d’énumérer les accusations de plagiat dont Platon se serait rendu coupable, Diogène Laërce évoque les trois grandes influences qui se seraient exercées sur Platon : « Il fit une synthèse entre les doctrines d’Héraclite, de Pythagore et de Socrate. Dans le cadre de sa philosophie, pour le sensible, il suivait en effet Héraclite, pour l’intelligible, Pythagore, pour la politique, Socrate » (D.L., III, 8). Cet ordre d’exposition pourrait bien refléter l’existence d’un lien naturel entre influence et plagiat. En effet, si l’on y regarde de plus près, on constate que les accusations de plagiat dont se serait rendu coupable Platon se répartissent entre ces domaines : monde sensible (Démocrite, sur lequel se serait exercée l’influence d’Héraclite), formes intelligibles (Pythagore et les Pythagoriciens), éthique et politique (les Socratiques).

    23Bref, les accusations de plagiat lancées contre Platon semblent bien résulter d’une interprétation malveillante du témoignage d’Aristote (cité infra p. 352) sur les influences philosophiques qui se seraient exercées sur Platon, témoignage qui, au cours des âges, aurait vu son caractère agressif s’accroître.

    Démocrite13

    24Très tôt, les lecteurs de Platon avaient remarqué que le philosophe ne mentionne jamais Démocrite (D.L., III, 25), alors qu’il semble s’en être beaucoup inspiré, notamment dans l’explication qu’il fournit du monde sensible et donc dans le Timée14. On pouvait se dire que Platon avait évité de polémiquer avec Démocrite parce qu’il avait choisi une voie radicalement différente, notamment en subordonnant une explication purement mécanique à la téléologie. Mais Aristoxène de Tarente découvre une raison moins honorable : Platon aurait plagié Démocrite, et cet antiplatonicien véhément illustre son propos par cette anecdote révoltante. Platon aurait essayé de mettre la main sur tous les exemplaires disponibles sur le marché de l’œuvre de Démocrite pour les brûler et ainsi effacer dans les flammes les traces de ses plagiats. Des Pythagoriciens seraient alors intervenus pour l’en empêcher (D.L., IX, 40). La mention des Pythagoriciens présente un double intérêt dans le contexte de cette anecdote. Elle permet de rappeler l’accusation de plagiat portée contre Platon à l’encontre de Pythagore et elle met en évidence le caractère exotérique de la doctrine de Démocrite en l’opposant au caractère ésotérique de celle de Pythagore.

    Pythagore et Pythagoriciens

    25L’accusation qui présente le plus de signification philosophique est certainement celle qui concerne le plagiat dont se serait rendu coupable Platon aux dépens de Pythagore ou des Pythagoriciens.

    26Comme on estimait qu’Epicharme avait été le disciple de Pythagore, tout ce que Platon lui aurait emprunté, selon Alcimos, reviendrait en dernière instance à Pythagore15. Or Platon aurait emprunté à Pythagore des éléments fondamentaux de sa doctrine de l’intelligible :

    • l’opposition entre le sensible et l’intelligible ;

    • l’idée suivant laquelle le sensible est perçu par le corps, alors que l’intelligible est perçu par l’âme sans l’aide du corps ;

    • la distinction au sein des Formes entre celles qui sont indépendantes et celles qui sont relatives ;

    • la participation du sensible à l’intelligible ;

    • la réminiscence qui a pour instrument la ressemblance.

    27Par ailleurs, l’allusion par Platon à l’achat à Philolaos de livres contenant des doctrines pythagoriciennes se rattacherait à l’anecdote qui expliquait que Platon aurait copié un écrit pythagoricien pour écrire le Timée. Cette accusation paraissait d’autant plus fondée que l’interlocuteur principal du Timée était Timée, un citoyen de Locres, en Italie du Sud, où les Pythagoriciens étaient bien implantés, et que, de plus, la cosmologie platonicienne s’exprimait avant tout dans un langage mathématique qui caractérisait les Pythagoriciens.

    28L’anecdote relative au plagiat dont le Timée serait le résultat comporte plusieurs versions16. La source la plus ancienne se trouve représentée par trois vers satiriques de Timon de Phlionte17 cités par Aulu-Gelle, suivant lesquels Platon aurait acheté pour une grosse somme d’argent un petit poème qui lui aurait servi à écrire le Timée. Timon ne précise pas quel était l’auteur de ce petit livre. Mais Jamblique (In Nicomachi arithmeticam, p. 105.10-17 Pistelli), Proclus (In Tim., I, 1. 8-13 Diehl) et l’auteur des Prolégomènes à la philosophie de Platon (5. 27-31 Hermann) estiment qu’il s’agit du Timée de Locres 18 ; selon eux, Platon se serait inspiré de la doctrine de Pythagore, mais n’aurait pas copié l’écrit.

    29Sur la foi d’Hermippe de Smyrne19, Diogène Laërce (VIII, 85) considère le Pythagoricien Philolaos comme l’auteur du livre qu’aurait copié Platon pour écrire le Timée. Or, Diogène Laërce connaît deux versions de cette acquisition ; suivant la première, Platon aurait acheté ce livre, tandis que, suivant la seconde, Philolaos le lui aurait donné pour avoir obtenu de Denys le jeune la libération d’un de ses disciples emprisonné.

    30Enfin, s’appuyant sur Satyros un contemporain d’Hermippe, mais un peu plus jeune que lui, Diogène Laërce (III, 9, cf. VIII, 15 & 84) rapporte que Platon demanda à Dion d’acheter à Philolaos trois livres concernant la doctrine de Pythagore. Diogène Laërce ne parle pas ici de plagiat, mais l’accusation semble aller de soi.

    31Quelle que soit la version retenue, cette anecdote était transmise pour illustrer la conviction, largement répandue même chez les Platoniciens, suivant laquelle le platonisme dérivait du pythagorisme20. Cette conviction constitue le socle sur lequel repose le phénomène exégétique des « doctrines non écrites » de Platon.

    Des philosophes socratiques

    32En faisant de Platon un plagiaire d’Aristippe21, d’Antisthène22 et de Bryson23, on considérait l’influence socratique sur Platon dans un sens défavorable, comme on le constate quand on lit Athénée24. Cette accusation est d’autant plus piquante qu’elle laisse entendre que Platon aurait plagié des gens de l’entourage de Socrate, avec qui il se serait par ailleurs trouvé en très mauvais termes, suivant ce que rapporte Diogène Laërce (III, 36-37). Cela dit, une tradition transmise par Diogène Laërce (III, 6) voulait que Platon ait été le disciple d’Euclide à Mégare.

    Protagoras

    33L’accusation de plagiat aux dépens de Protagoras ne laisse pas de surprendre. Pour écrire la République, Platon aurait démarqué les ’Αντιλογίαι, Arguments contraires (80 B 5, D.K.6), de Protagoras (III, 37 & 57). Dans cet ouvrage dont il ne reste plus rien, Protagoras devait produire sur chaque sujet traité la thèse et l’antithèse. Si tel était bien le cas, seul le premier livre de la République aurait pu être concerné par cette accusation. Mais Diogène Laërce insiste sur le fait que c’est tout l’ouvrage, dont il sait qu’il comporte dix livres (D.L., III, 25), qui est visé par cette accusation. Pour sa part, suivant Porphyre, Calliétès le Stoïcien se serait aperçu, en lisant le traité Sur l’être (80 B 2, D.K.6) dans lequel Protagoras se serait élevé contre ceux qui prétendaient que l’être est un, à quel point Platon avait plagié Protagoras, peut-être dans la seconde partie du Parménide.

    Des poètes

    34Platon aurait plagié Épicharme, à qui il aurait emprunté sa doctrine de l’intelligible, Sophron, de qui il se serait inspiré pour créer les personnages de ses dialogues, et même Homère, à qui il aurait pris la croyance en l’immortalité de l’âme.

    Auteurs comiques

    35Épicharme aurait écrit des comédies à Syracuse sous le règne de Gélon (485-478) et sous celui de Hiéron (478-467) ; la tradition en faisait un disciple de Pythagore. Pour sa part, Sophron est un Syracusain du ve siècle av. J.-C. qui avait écrit des mimes. Genre voisin de la comédie, le mime ne se bornait pas, comme aujourd’hui, à l’imitation de gestes typiques. Il représentait par le chant des scènes bouffonnes et des parodies. C’est au mime, qui était le divertissement populaire par excellence, que, au troisième livre de la République (396b), semble s’attaquer Platon, qui, dans le Philèbe (48a-50e) notamment, s’en prend à la comédie.

    36Faire de Platon un plagiaire d’auteurs comiques permettait d’atteindre plusieurs objectifs. On laissait entendre que Platon s’inspirait de ce qu’il prétendait tenir dans le plus grand mépris ; les auteurs comiques le lui auraient bien rendu en se moquant de lui, comme le rappelle Diogène Laërce (III, 26-28). À travers l’accusation de plagiat à l’encontre d’Épicharme, on rejoignait, en l’étayant, un thème important : le plagiat dont se serait rendu coupable Platon à l’encontre de Pythagore et des Pythagoriciens. Et surtout on faisait montre d’ingéniosité et de culture, car l’accusation de plagiat, qui traduit un jugement critique, présente une portée d’autant plus grande que l’emprunt présumé est moins évident25.

    Homère

    37Enfin, Athénée de Naucratis, alléguant Iliade, XVI, 856-857 à l’appui de son accusation, écrit : « L’âme en effet, qu’il imagine immortelle et séparée du corps lorsqu’elle a été délivrée de ce dernier, c’est Homère qui en a parlé le premier » (Deipnosophistes, XI, 507e). Homère, c’est indéniable, a joué un rôle considérable pour répandre parmi les Grecs la croyance en l’immortalité de l’âme26 ; mais, il est difficile de ne pas admettre que, dans le Phédon (69e-70b) et dans la République (III, 386a-c)27, Platon s’en prend violemment à la représentation homérique de l’âme. Une fois de plus, seul l’emprunt est retenu ; la critique disparaît.

    L’ORIGINE DE CES ACCUSATIONS DE PLAGIAT

    38Connaissant l’identité de ceux qui les premiers accusèrent Platon et sachant quelles auraient pu être les victimes de ce délit, on peut avancer les hypothèses suivantes concernant l’origine véritable de ces accusations : Aristote certainement et peut-être Isocrate.

    Aristote

    39La plupart des accusations de plagiat dont on charge Platon résultent d’une interprétation malveillante de passages connus de l’œuvre d’Aristote, qui, pour sa part, n’accuse jamais Platon de plagiat.

    40En ce qui concerne les influences qui s’exercèrent sur Platon (III 8), tout le monde dans l’Antiquité devait avoir en tête ce passage célèbre du premier livre de la Métaphysique d’Aristote :

    Après les philosophies dont nous venons de parler, survint la théorie de Platon, en accord le plus souvent avec celle des Pythagoriciens, mais qui a aussi ses caractères propres, bien à part de la philosophie de l’École italique. Dès sa jeunesse, Platon, étant devenu d’abord ami de Cratyle et familier avec les opinions d’Héraclite, selon lesquelles toutes les choses sensibles sont dans un flux perpétuel et ne peuvent être objet de science, demeura par la suite fidèle à cette doctrine. D’un autre côté Socrate, dont les préoccupations portaient sur les choses morales, et nullement sur la Nature dans son ensemble, avait pourtant, dans ce domaine, cherché l’universel, et fixé le premier la pensée sur les définitions.
    Méta., A, 6, 987a29-b4, trad. Tricot.

    41Cette remarque incisive et si claire du disciple le plus célèbre de Platon semble avoir inspiré à des critiques malveillants d’abord l’idée que Platon avait plagié ceux dont Aristote se borne à dire que Platon s’en inspire, puis les anecdotes rendant cette idée plus vivante, lui donnant ainsi plus de crédibilité ; ainsi auraient vu le jour les anecdotes sur les plagiats à l’encontre de Pythagore et des Pythagoriciens, de Démocrite et des philosophes socratiques. Bref, entre influence et plagiat, la marge est étroite.

    42L’accusation selon laquelle Platon aurait plagié des auteurs comiques pourrait bien avoir pour origine ce passage de la Poétique, où Aristote remarque : « Quant à l’art qui imite par le langage seul, prose ou vers [...], il est resté sans dénomination jusqu’à ce jour. En effet, nous n’avons pas de terme commun qui s’appliquerait à la fois aux mimes de Sophron et de Xénarque et aux dialogues socratiques » (Poétique, I, 1, 1447a28-b11). L’idée d’imitation associée à celle de comédie aurait pu inspirer à un détracteur farouche de Platon l’idée suivant laquelle Platon aurait plagié des auteurs comiques, idée qu’il aurait par la suite illustrée à l’aide d’une anecdote.

    43Enfin, l’accusation de plagiat aux dépens d’Homère peut s’expliquer par les attaques de Platon contre la représentation de l’âme que se fait Homère. Cela dit, on notera que dans le premier livre du De anima (404a29-30, cf. Métaphysique F, 5, 1009b28-33), Aristote cite l’opinion d’Homère sur l’âme (en fait sur l’identification de la pensée avec l’âme) un peu avant celle de Platon.

    Isocrate

    44On notera que les accusations voulant que Platon ait plagié les Socratiques sont portées par Théopompe, un disciple d’Isocrate. Il ne serait pas du tout surprenant que l’École d’Isocrate (fondée vers 393 av. J.-C.), la rivale par excellence de l’Académie (fondée vers 387 av. J.-C.), ait lancé ces ragots qui ne donnaient pas à Platon la part belle et qui rappelaient par la même occasion les dissensions qui se manifestèrent dans le cercle des Socratiques.

    45Bref, le témoignage de contemporains prestigieux de Platon comme Aristote ou Isocrate relatif aux influences philosophiques et littéraires qui se seraient exercées sur Platon aurait, au cours des décennies qui suivirent immédiatement la mort du philosophe, été déformé dans un sens négatif, par des antiplatoniciens notoires dont les accusations de plagiat auraient été reprises sans aucun esprit critique près d’un demi-millénaire plus tard.

    DÉFINITION DU PLAGIAT ET LITTÉRATURE SUR CE THÈME

    46Quelques remarques ressortissant à l’étymologie pour commencer. Le terme « plagiaire » vient du latin plagiarius : celui qui vole les esclaves d’autrui. On pense généralement que ce terme latin est de même racine que le grec πλαγίος : « oblique », « fourbe ». Suivant K. Ziegler, qui cite le dictionnaire des frères Grimm, le terme allemand « Plagiat » résulterait lui-même d’un emprunt fait au français au début du xixe siècle.

    47Même si l’étymologie n’apporte pas en ce domaine un grand secours, la définition la plus simple et la plus claire du plagiat semble être la suivante : un vol littéraire. Cette définition comprend deux volets : vol et propriété littéraire.

    48Voler, c’est s’approprier le bien d’autrui soit par force soit à son insu de diverses façons. Dans le cas du plagiat, il ne peut y avoir appropriation par force, car ce qu’on s’approprie n’est pas un bien matériel. C’est un bien littéraire, qu’on ne défend donc pas avec son corps. Cette dernière remarque implique une conscience plus ou moins forte de la propriété littéraire : or, en Grèce ancienne, cette conscience ne semble pas s’être exprimée avant Hésiode. Par ailleurs, la propriété littéraire implique comme moyen de transmission privilégié l’écriture ; on ne voit pas très bien en effet comment on pourrait parler d’originalité dans un contexte exclusivement oral.

    49Si l’on y regarde de plus près, on s’aperçoit que le vocabulaire du plagiat en Grèce ancienne illustre bien ces considérations.

    50Le verbe le plus souvent utilisé pour désigner l’action de plagier est κλέπτω, d’où viennent deux substantifs κλοπή, le vol, et κλέπτης, le voleur. Le verbe λαμβάνω, prendre, s’emparer de, véhicule la même idée, mais de façon plus imprécise ; ce verbe est souvent construit avec παρά + le génitif, qui indique le point de départ, l’origine.

    51Pour être moins brutal, on peut employer des verbes qui ont pour préfixe συν- : συμφέρω, « s’accorder avec », συμπίπτω, « se rencontrer avec », et συγχράομαι, « user avec l’accord de », « profiter ». Le verbe ὑφαίρεμαι, « détourner à son profit », rapporte le même procédé au vol ; le verbe προς-ωφελέω au passif, « s’aider de » et le substantif ὠφελία, « aide », véhiculent un peu la même idée, même si ὠφελία peut vouloir dire « pillage ».

    52Par ailleurs, comme on se trouve dans un contexte littéraire, un contexte où intervient la chose écrite, plagier c’est « copier » μεταγράφω, « transporter » μεταφέρω, « transposer » μετατίθημι, d’un écrit à un autre.

    53Enfin, à la différence d’un écrit qui appartient en « propre » (ἴδιος) à son auteur, l’ouvrage d’un plagiaire appartient à « autrui » (ἀλλότριος).

    54Cela dit, il existait dans l’Antiquité toute une littérature portant exclusivement sur ce thème du plagiat28.

    REMARQUES POUR CONCLURE

    55Le thème du plagiat est donc beaucoup moins marginal qu’on ne pourrait le croire, et il renvoie à une pratique de l’histoire de la philosophie radicalement différente de celle qui est la nôtre, une pratique dont pourtant nous sommes encore tributaires. Ces différences sont de deux ordres.

    56Dans l’Antiquité, une doctrine philosophique apportait à celui qui s’en réclamait vérité et règle de vie. Dans cette perspective, on ne pouvait faire référence à une doctrine sans lui décerner l’éloge ou le blâme, sans marquer son adhésion ou sa répulsion ; on était forcément pour ou contre cette doctrine. Or, pour qui était confronté à une doctrine philosophique rivale, deux attitudes étaient possibles : le rejet pur et simple ou l’annexion. Le plagiat fournissait un instrument pouvant servir dans les deux cas.

    57Le plagiat permettait de dévaloriser complètement une doctrine en montrant qu’elle n’était qu’une pâle imitation d’une autre, une autre qu’en principe elle aurait dû combattre. Un bon exemple de cette pratique est la dénonciation du plagiat dont Platon se serait rendu coupable à l’égard d’Aristippe, d’Antisthène et de Bryson29.

    58Mais le plagiat permettait aussi d’annexer une philosophie à une autre en deux étapes ; d’abord on dévalorisait la seconde en la présentant comme une copie de la première ; ensuite on incorporait la seconde à la première en insistant sur sa ressemblance avec elle. L’exemple le plus intéressant de cette attitude est la démarche qui consiste à faire du Platonisme un succédané du Pythagorisme. Cette idée largement exploitée par les Néoplatoniciens se trouve à la base du courant d’interprétation qui attribue à Platon un corps de doctrines ésotériques dont on ne trouverait que des indices dans les écrits de Platon et dont la transmission purement orale était réservée à un tout petit cercle d’initiés.

    59Par ailleurs, dans l’Antiquité, la philosophie ne fut jamais radicalement séparée de la littérature. Par voie de conséquence, une accusation de plagiat lancée contre un philosophe et visant un poète ne présentait rien de surprenant. Dans le cas de Platon, un critique faisait montre de son érudition et de sa virtuosité lorsqu’il arrivait à prouver que le philosophe avait plagié un auteur de mimes, un poète comique, ou même Homère.

    60Nous qui avons établi une ligne de partage très claire entre philosophie et littérature, nous pour qui la philosophie est devenue une activité qui ne définit plus vraiment ni nos critères de vérité ni nos règles de vie, nous ne considérons plus l’accusation de plagiat comme un véritable enjeu théorique ou même littéraire. À la limite, ce n’est plus qu’une affaire juridique et surtout économique.

    61Mais l’historien de la philosophie contemporain reste tout de même tributaire de la conception que l’on se faisait auparavant du plagiat. Et, s’il n’arrive pas à se remettre dans l’atmosphère de l’époque, il risque de commettre de graves erreurs d’appréciation. Cette dérive se trouve bien illustrée par tous les développements consacrés à ce qu’on qualifie de « philosophie non écrite » de Platon, phénomène qui demande à être replacé dans le cadre d’une tentative d’annexion du platonisme au pythagorisme remontant à l’Ancienne Académie.

    Notes de bas de page

    1  Sur le thème du plagiat dans l’Antiquité : Eduard Stemplinger, Das Plagiat in der griechischen Literatur, Berlin, Teubner, 1912 ; Konrad Ziegler, dans R.E. XX, 2, 1950, s.v. Plagiat, col. 1956-1997 ; Wolfgang Speier, Die literarische Fälschung im heidnischen und christlichen Allertum. Ein Versuch ihrer Deutung, « Handbuch der Altertumswissenschaft » I, 2, München, Beck, 1971.

    2  À ces témoignages, il faut ajouter les deux suivants qui, malgré leur excentricité, restent particulièrement intéressants. Dans son Commentaire sur le Timée (I, 75, 30-76,10 Diehl), Proclus écrit : « Tout ce discours sur les Atlantins, les uns ont dit que c’est purement et simplement de l’histoire, ainsi Crantor [fr. 8 Mette (Lustrum 26, 1984)], le premier exégète de Platon. Selon Crantor aussi, les contemporains de Platon disaient de lui par raillerie qu’il n’était pas l’inventeur de sa république, mais l’avait copiée sur les institutions des Égyptiens [cf. Luc Brisson, « L’Égypte de Platon », Les Études Philosophiques, 1987, p. 153-167], et qu’il avait attaché tant d’importance aux propos des railleurs qu’il avait rapportés aux Égyptiens cette histoire sur les Athéniens et les Atlantins, pour leur faire dire que les Athéniens avaient réellement vécu sous ce régime à un certain moment du passé. En témoignent, dit Platon [Timée, 23a], les prophètes aussi des Égyptiens, qui disent que ces choses ont été gravées sur des stèles conservées jusqu’à ce jour » (trad. par A.-J. Festugière). Comme l’écrit A.-J. Festugière dans une note à sa traduction, le sens de cette remarque semble être le suivant : froissé par l’accusation d’avoir copié les institutions des Égyptiens (μεταγράψαντα τὰ Αἰγυπτίων), Platon prend les Egyptiens comme garants du fait que l’Athènes ancienne a vécu sous cette constitution et donc que cette constitution n’est pas un emprunt. L’intérêt de ce témoignage réside dans sa proximité par rapport à Platon, car il remonte à l’ancienne Académie.
    Par ailleurs, Colotès de Lampsaque (ive-iiie siècle av. J.-C), qui était un disciple et un admirateur fanatique d’Épicure, avait écrit plusieurs ouvrages contre Platon : Contre le Lysis, Contre l’Euthydème, Contre le Gorgias et Contre la République. C’est probablement dans ce dernier pamphlet qu’il accusait Platon d’avoir plagié Zoroastre en écrivant le mythe d’Er (Clément d’Alexandrie, Stromates, V, 14, 103, 2-4).

    3  Le long passage ici considéré est introduit par ces mots : Περὶ δὲ τῶν ἐν τοῖς διαλόγοις αὐτοῦ λελεγμένων [κεκλεμμένων (participe parfait passif de κλέπτω) Kaibel] τί ἂν καὶ λέγοι τις ; Si on accepte la leçon de Kaibel, tout le passage, qui va de 507e à 508d, décrit les « vols » et donc les plagiats dont se serait rendu coupable Platon :
    1.– l’immortalité de l’âme aux dépens d’Homère (507e-f) où sont cités des vers de l’Iliade (XVI, 856-857) ;
    2.– l’idée et la pratique de la législation dans les Lois et dans la République viennent directement de Lycurgue (Lacédémone), de Solon (Athènes) et de Zaleucos (Thurium) (507 f-508 b). Les prolégomènes [anonymes] à la philosophie de Platon (1.18-19 Westerink) prétendent que c’est pour imiter Solon, son ancêtre, que Platon aurait écrit ces deux dialogues ; cette assertion ne se retrouve que dans le Commentaire sur l’Alcibiade par Olympiodore (2.17-21 Westerink) ;
    3.– ce que Platon dit sur la nature dans le Gorgias et dans le Timée est inspiré de ses prédécesseurs (508b-c) ;
    4.– certains dialogues viennent directement de philosophes socratiques (508 c-d), par exemple Aristippe, Antisthène et Bryson.
    Même si la correction de Kaibel me paraît très intéressante et probablement justifiée, je ne considérerai comme accusations effectives de plagiat que les cas 1 et 4.
    Cela dit, le problème est de savoir quel auteur cite Athénée de Naucratis dans ce long passage. S’agit-il de Théopompe de Chios (IVe siècle av. J.-C., voir infra) qu’il cite nommément à la fin (508c) ou d’Hérodicos de Babylone, qui aurait lui-même pu citer Théopompe de Chios dans son Πρὸς τὸν Φιλοσωκράτην, écrit au iie siècle av. J.-C. contre les Socratiques, dont Platon ? Sur Hérodicos de Babylone, voir Ingemar Düring, Herodicus the Cratetean. A study in anti-Platonic tradition, Kungliga Vitterhets Historie och Antikvitets Akademiens Handlingar, del. 51 : 2, Stockholm, Wahlström & Widstrand, 1941. Pour les fragments qui subsisteraient du Πρὸς τὸν Φιλοσωκράτην dans les Deipnosophistes d’Athénée de Naucratis, voir la section 2 du livre de Ingemar Düring, qui comporte ces divisions :
    1.– Les philosophes stratèges (V, 215c-216c)
    2 – Les anachronismes dans la philosophie de Platon (V, 216c-218e)
    3 – La rivalité entre Platon et Xénophon (V, 218f-219a)
    4.– La malignité et les calomnies des Socratiques (XI, 504e-507e)
    5.– Les écrits (XI, 507e-508e) et les disciples de Platon (XI, 508e-509e).

    4  D. Ph. A., I, 1989, Athénaios de Naucratis (n° 482), p. 644-648 [F. Caujolle-Zaslavsky].

    5  Sur Diogène Laërce et sur les différents livres de ses Vies et doctrines des philosophes célèbres, ci. A.N.R.W., II, 36.5 et 6, 1992 ; et plus précisément sur le livre III consacré à Platon, l’article de Luc Brisson, A.N.R.W., II, 36.5, p. 3619- 3760 + indices.

    6  Qui lui-même fut d’ailleurs, entre 263 et 268, accusé par des gens d’Athènes d’avoir plagié Numenius (V.P., 17).

    7  Pour plus de précisions, cf. Porphyre, La Vie de Plotin, Paris, Vrin, I, 1982, p. 103-104 ; II, 1992, p. 265-266.

    8  C’est dans ce contexte qu’il faut situer cette autre déclaration d’Eusèbe. Commentant une citation du dialogue Sur le Bien de Numenius (P.E., XI, 10, 12- 14 = fr. 8 des Places), Eusèbe fait ce commentaire : « Voici les dires de Numenius, quand il interprète et tire au clair à la fois ceux de Platon et ceux, beaucoup plus anciens, de Moïse. C’est donc à bon droit qu’on lui fait honneur de ce propos que lui prête la tradition : “Qu’est-ce en effet que Platon, sinon un Moïse qui parle grec ?” »

    9  Comme on l’a vu dans la note 3, il est difficile de déterminer si l’accusation de plagiat à l’encontre d’Homère vient de Théopompe ou d’Hérodicos de Babylone, le disciple de Cratès. Quoi qu’il en soit, une telle accusation était en accord avec les tendances d’Hérodicos et de Cratès. Voici en effet ce qu’écrit I. Düring : « What they have in common is the harsh anti-platonic tendency. The animosity against Plato has its root in the Homerolatry of the Pergamese school of grammar, but there are no traces of it in the fragments left of Crates’ work. The doctrine of the school thought that Homer was the source of all knowledge, and as Plato had expelled Homer from his Ideal State – Herodicus stresses this twice and after him Heraclitos in the Ὁμηρικὰ προβλήματα – he had, in the eyes of a fanatic disciple of the school, committed an unpardonable offence. It is not likely that Herodicus speaks on behalf of Crates, he is his partisan. In the same way Isocrates has his Cephisodorus, Aristotle his Chamaeleon, Epicurus his Colotes » (p. 13).

    10  D. Ph. A., I, 1989, s.v. Alcimos (n° 90), 110-111 [Richard Goulet]. L’identification avec l’historien siciliote du même nom (F.G.H., 560 Jacoby) ou avec l’orateur (s.v. Alcimos (n° 91), D. Ph. A., I, 1989, p. 111 [Robert Muller]) reste possible.

    11  En grec ancien, on lit Πρὸς Ἀμύνταν ; j’interprète donc le πρός dans le sens de « contre ». Originaire d’Héraclée sur le Pont, Amyntas fut un mathématicien réputé qui, comme son compatriote Héraclide, fréquenta l’Académie. Cela dit, cette identification ne va pas de soi, car il n’est pas aisé de distinguer entre divers personnages du nom d’Amyntas, Amyclos ou Amyclas, dont plusieurs étaient originaires d’Héraclée sur le Pont ou d’Apollonie. D. Ph. A., i, s.v. Amyclas (n° 148), p. 174 [Bruno Centrone et Richard Goulet] ; Amyclos d’Héraclée (n° 149), p. 175 [Bruno Centrone] ; s.v. Amyntas d’Héraclée (n° 152), p. 175-176 [Tiziano Dorandi] et peut-être aussi, s.v. Amyntès (n° 153), p. 176 [Tiziano Dorandi]. On notera que le Pythagoricien qui aurait dissuadé Platon de détruire par le feu les ouvrages de Démocrite selon Aristoxène de Tarente (fr. 131 Wehrli = D.L., IX, 40, cité plus bas, p. 348) avait pour nom Amyclas.

    12  D. Ph. A., I, s.v. Aristoxène de Tarente (n° 417), p. 590-593 [Bruno Centrone].

    13  Voir Jean Bollack, « Un silence de Platon », Revue de Philologie 41, 1967, p. 242-246.

    14  C’est ce qu’on peut constater en relisant un certain nombre de passages aristotéliciens qui opèrent des rapprochements entre Démocrite et Platon : De caelo, III, 2, 300b16 ; III, 8, 307a16 ; IV, 5, 312b21 ; De gen. et corr., I, 8, 325b30 sq. Pour une revue d’ensemble, cf. R. Ferwerda, « Democritus and Plato », Mnemosyne 25, 1972, p. 337-378.

    15  Pour une analyse en ce sens du témoignage d’Alcimos, voir l’article de K. Gaiser, « Die Platon-Referate des Alkimos bei Diogenes Laertios (III, 9-17) », dans Zetesis. Mélanges E. de Strycker, Anvers-Utrecht, De Nederlandsche Boekhandel, 1973, p. 61-79.

    16  Pour plus de précision, voir Alice Swift Riginos, Platonica. The anecdotes concerning the life and writings of Plato, « Columbia Studies in the classical tradition » 3, Leiden, Brill, 1976, p. 169-174.

    17  Philosophe sceptique (320-230 av. J.-C.) qui aurait été le sectateur de Pyrrhon et qui écrivit des Σίλλοι (Silles) en hexamètres contre les philosophes dogmatiques, dont Platon.

    18  Un faux du début du IIe siècle av. J.-C. L’édition la plus récente est celle de W. Marg, Leiden, Brill, 1972.

    19  Hermippe de Smyrne (IIIe siècle av. J.-C.) se rattache à l’École péripatéticienne. Il écrivit, sur la vie de philosophes et de législateurs notamment, une œuvre immense dont s’inspira beaucoup Plutarque. Amateur de sensationalisme, Hermippe falsifie délibérément l’histoire.

    20  Sur ce prétendu rapport, cf. H. Chemiss, Aristotle’s Criticism of Presocratic Philosophy, Baltimore, John Hopkins Press, 1935, p. 43-46, 223-226, 386-392 ; Aristotle’s Criticism of Plato and the Academy, Baltimore, Johns Hopkins Press, 1944, p. 181-194 ; The Riddle of the early Academy, The University of California Press, Berkeley/Los Angeles, 1945, p. 48-59.

    21  Voir D. Ph. A., I, s.v. Aristippe de Cyrène (n° 356), p. 370-371 [F. Caujolle-Zaslawsky].

    22  Voir D. Ph. A., I, s.v. Antisihène (n0211), p. 245-253 [M.-O. Goulet-Cazé].

    23  Bryson a dû vivre au ive siècle, mais les renseignements le concernant sont trop contradictoires pour qu’on puisse se faire une idée précise concernant son activité. Cf. Robert Muller, Introduction à la pensée Mégarique, « Bibliothèque d’Histoire de la Philosophie. Cahiers de Philosophie Ancienne n° 6 », Paris-Bruxelles, Vrin-Ousia, 1988, p. 60-65.

    24  « Théopompe de Chios, dans son livre Κατὰ τῆς Πλάτωνος διατριβῆς, dit : “Il n’est pas difficile de se rendre compte que la plupart des dialogues de Platon sont inutiles et mensongers ; d’ailleurs, le plus grand nombre d’entre eux ne sont pas de lui, car ils viennent de l’enseignement d’Aristippe, quelques-uns mêmes viennent d’Antisthène ; plusieurs autres viennent de Bryson d’Héraclée” » (Deipnosophistes, XI, 508c-d).

    25 Voir Walter Burkert, Lore and Science in ancient Pythagoreanism [1962], transl, by Edwin L. Minar Jr., Cambridge (Mass.), Harvard Univ. Press, 1972, p. 227.

    26  Par exemple, Erwin Rohde, Psyché. Le Culte de l’âme chez les Grecs et leur croyance à l’immortalité [1893], trad. française par A. Reymond [faite sur la KP éd. 1925], Paris, Payot, 1952, p. 31 sq., 165 sq.

    27  Plusieurs passages homériques sont alors allégués, dont Iliade, XVI, 856-857, vers aussi cités par Athénée de Naucratis.

    28  On trouvera un inventaire des travaux anciens consacrés au plagiat dans les ouvrages cités dans la note 1.

    29  Pour un exposé général sur l’antiplatonisme dans l’Antiquité, on lira Ingemar Düring, Herodicus the Cratetean (cité n. 3), p. 132-172.

    Auteur

    Luc Brisson

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    1  Sur le thème du plagiat dans l’Antiquité : Eduard Stemplinger, Das Plagiat in der griechischen Literatur, Berlin, Teubner, 1912 ; Konrad Ziegler, dans R.E. XX, 2, 1950, s.v. Plagiat, col. 1956-1997 ; Wolfgang Speier, Die literarische Fälschung im heidnischen und christlichen Allertum. Ein Versuch ihrer Deutung, « Handbuch der Altertumswissenschaft » I, 2, München, Beck, 1971.

    2  À ces témoignages, il faut ajouter les deux suivants qui, malgré leur excentricité, restent particulièrement intéressants. Dans son Commentaire sur le Timée (I, 75, 30-76,10 Diehl), Proclus écrit : « Tout ce discours sur les Atlantins, les uns ont dit que c’est purement et simplement de l’histoire, ainsi Crantor [fr. 8 Mette (Lustrum 26, 1984)], le premier exégète de Platon. Selon Crantor aussi, les contemporains de Platon disaient de lui par raillerie qu’il n’était pas l’inventeur de sa république, mais l’avait copiée sur les institutions des Égyptiens [cf. Luc Brisson, « L’Égypte de Platon », Les Études Philosophiques, 1987, p. 153-167], et qu’il avait attaché tant d’importance aux propos des railleurs qu’il avait rapportés aux Égyptiens cette histoire sur les Athéniens et les Atlantins, pour leur faire dire que les Athéniens avaient réellement vécu sous ce régime à un certain moment du passé. En témoignent, dit Platon [Timée, 23a], les prophètes aussi des Égyptiens, qui disent que ces choses ont été gravées sur des stèles conservées jusqu’à ce jour » (trad. par A.-J. Festugière). Comme l’écrit A.-J. Festugière dans une note à sa traduction, le sens de cette remarque semble être le suivant : froissé par l’accusation d’avoir copié les institutions des Égyptiens (μεταγράψαντα τὰ Αἰγυπτίων), Platon prend les Egyptiens comme garants du fait que l’Athènes ancienne a vécu sous cette constitution et donc que cette constitution n’est pas un emprunt. L’intérêt de ce témoignage réside dans sa proximité par rapport à Platon, car il remonte à l’ancienne Académie.
    Par ailleurs, Colotès de Lampsaque (ive-iiie siècle av. J.-C), qui était un disciple et un admirateur fanatique d’Épicure, avait écrit plusieurs ouvrages contre Platon : Contre le Lysis, Contre l’Euthydème, Contre le Gorgias et Contre la République. C’est probablement dans ce dernier pamphlet qu’il accusait Platon d’avoir plagié Zoroastre en écrivant le mythe d’Er (Clément d’Alexandrie, Stromates, V, 14, 103, 2-4).

    3  Le long passage ici considéré est introduit par ces mots : Περὶ δὲ τῶν ἐν τοῖς διαλόγοις αὐτοῦ λελεγμένων [κεκλεμμένων (participe parfait passif de κλέπτω) Kaibel] τί ἂν καὶ λέγοι τις ; Si on accepte la leçon de Kaibel, tout le passage, qui va de 507e à 508d, décrit les « vols » et donc les plagiats dont se serait rendu coupable Platon :
    1.– l’immortalité de l’âme aux dépens d’Homère (507e-f) où sont cités des vers de l’Iliade (XVI, 856-857) ;
    2.– l’idée et la pratique de la législation dans les Lois et dans la République viennent directement de Lycurgue (Lacédémone), de Solon (Athènes) et de Zaleucos (Thurium) (507 f-508 b). Les prolégomènes [anonymes] à la philosophie de Platon (1.18-19 Westerink) prétendent que c’est pour imiter Solon, son ancêtre, que Platon aurait écrit ces deux dialogues ; cette assertion ne se retrouve que dans le Commentaire sur l’Alcibiade par Olympiodore (2.17-21 Westerink) ;
    3.– ce que Platon dit sur la nature dans le Gorgias et dans le Timée est inspiré de ses prédécesseurs (508b-c) ;
    4.– certains dialogues viennent directement de philosophes socratiques (508 c-d), par exemple Aristippe, Antisthène et Bryson.
    Même si la correction de Kaibel me paraît très intéressante et probablement justifiée, je ne considérerai comme accusations effectives de plagiat que les cas 1 et 4.
    Cela dit, le problème est de savoir quel auteur cite Athénée de Naucratis dans ce long passage. S’agit-il de Théopompe de Chios (IVe siècle av. J.-C., voir infra) qu’il cite nommément à la fin (508c) ou d’Hérodicos de Babylone, qui aurait lui-même pu citer Théopompe de Chios dans son Πρὸς τὸν Φιλοσωκράτην, écrit au iie siècle av. J.-C. contre les Socratiques, dont Platon ? Sur Hérodicos de Babylone, voir Ingemar Düring, Herodicus the Cratetean. A study in anti-Platonic tradition, Kungliga Vitterhets Historie och Antikvitets Akademiens Handlingar, del. 51 : 2, Stockholm, Wahlström & Widstrand, 1941. Pour les fragments qui subsisteraient du Πρὸς τὸν Φιλοσωκράτην dans les Deipnosophistes d’Athénée de Naucratis, voir la section 2 du livre de Ingemar Düring, qui comporte ces divisions :
    1.– Les philosophes stratèges (V, 215c-216c)
    2 – Les anachronismes dans la philosophie de Platon (V, 216c-218e)
    3 – La rivalité entre Platon et Xénophon (V, 218f-219a)
    4.– La malignité et les calomnies des Socratiques (XI, 504e-507e)
    5.– Les écrits (XI, 507e-508e) et les disciples de Platon (XI, 508e-509e).

    4  D. Ph. A., I, 1989, Athénaios de Naucratis (n° 482), p. 644-648 [F. Caujolle-Zaslavsky].

    5  Sur Diogène Laërce et sur les différents livres de ses Vies et doctrines des philosophes célèbres, ci. A.N.R.W., II, 36.5 et 6, 1992 ; et plus précisément sur le livre III consacré à Platon, l’article de Luc Brisson, A.N.R.W., II, 36.5, p. 3619- 3760 + indices.

    6  Qui lui-même fut d’ailleurs, entre 263 et 268, accusé par des gens d’Athènes d’avoir plagié Numenius (V.P., 17).

    7  Pour plus de précisions, cf. Porphyre, La Vie de Plotin, Paris, Vrin, I, 1982, p. 103-104 ; II, 1992, p. 265-266.

    8  C’est dans ce contexte qu’il faut situer cette autre déclaration d’Eusèbe. Commentant une citation du dialogue Sur le Bien de Numenius (P.E., XI, 10, 12- 14 = fr. 8 des Places), Eusèbe fait ce commentaire : « Voici les dires de Numenius, quand il interprète et tire au clair à la fois ceux de Platon et ceux, beaucoup plus anciens, de Moïse. C’est donc à bon droit qu’on lui fait honneur de ce propos que lui prête la tradition : “Qu’est-ce en effet que Platon, sinon un Moïse qui parle grec ?” »

    9  Comme on l’a vu dans la note 3, il est difficile de déterminer si l’accusation de plagiat à l’encontre d’Homère vient de Théopompe ou d’Hérodicos de Babylone, le disciple de Cratès. Quoi qu’il en soit, une telle accusation était en accord avec les tendances d’Hérodicos et de Cratès. Voici en effet ce qu’écrit I. Düring : « What they have in common is the harsh anti-platonic tendency. The animosity against Plato has its root in the Homerolatry of the Pergamese school of grammar, but there are no traces of it in the fragments left of Crates’ work. The doctrine of the school thought that Homer was the source of all knowledge, and as Plato had expelled Homer from his Ideal State – Herodicus stresses this twice and after him Heraclitos in the Ὁμηρικὰ προβλήματα – he had, in the eyes of a fanatic disciple of the school, committed an unpardonable offence. It is not likely that Herodicus speaks on behalf of Crates, he is his partisan. In the same way Isocrates has his Cephisodorus, Aristotle his Chamaeleon, Epicurus his Colotes » (p. 13).

    10  D. Ph. A., I, 1989, s.v. Alcimos (n° 90), 110-111 [Richard Goulet]. L’identification avec l’historien siciliote du même nom (F.G.H., 560 Jacoby) ou avec l’orateur (s.v. Alcimos (n° 91), D. Ph. A., I, 1989, p. 111 [Robert Muller]) reste possible.

    11  En grec ancien, on lit Πρὸς Ἀμύνταν ; j’interprète donc le πρός dans le sens de « contre ». Originaire d’Héraclée sur le Pont, Amyntas fut un mathématicien réputé qui, comme son compatriote Héraclide, fréquenta l’Académie. Cela dit, cette identification ne va pas de soi, car il n’est pas aisé de distinguer entre divers personnages du nom d’Amyntas, Amyclos ou Amyclas, dont plusieurs étaient originaires d’Héraclée sur le Pont ou d’Apollonie. D. Ph. A., i, s.v. Amyclas (n° 148), p. 174 [Bruno Centrone et Richard Goulet] ; Amyclos d’Héraclée (n° 149), p. 175 [Bruno Centrone] ; s.v. Amyntas d’Héraclée (n° 152), p. 175-176 [Tiziano Dorandi] et peut-être aussi, s.v. Amyntès (n° 153), p. 176 [Tiziano Dorandi]. On notera que le Pythagoricien qui aurait dissuadé Platon de détruire par le feu les ouvrages de Démocrite selon Aristoxène de Tarente (fr. 131 Wehrli = D.L., IX, 40, cité plus bas, p. 348) avait pour nom Amyclas.

    12  D. Ph. A., I, s.v. Aristoxène de Tarente (n° 417), p. 590-593 [Bruno Centrone].

    13  Voir Jean Bollack, « Un silence de Platon », Revue de Philologie 41, 1967, p. 242-246.

    14  C’est ce qu’on peut constater en relisant un certain nombre de passages aristotéliciens qui opèrent des rapprochements entre Démocrite et Platon : De caelo, III, 2, 300b16 ; III, 8, 307a16 ; IV, 5, 312b21 ; De gen. et corr., I, 8, 325b30 sq. Pour une revue d’ensemble, cf. R. Ferwerda, « Democritus and Plato », Mnemosyne 25, 1972, p. 337-378.

    15  Pour une analyse en ce sens du témoignage d’Alcimos, voir l’article de K. Gaiser, « Die Platon-Referate des Alkimos bei Diogenes Laertios (III, 9-17) », dans Zetesis. Mélanges E. de Strycker, Anvers-Utrecht, De Nederlandsche Boekhandel, 1973, p. 61-79.

    16  Pour plus de précision, voir Alice Swift Riginos, Platonica. The anecdotes concerning the life and writings of Plato, « Columbia Studies in the classical tradition » 3, Leiden, Brill, 1976, p. 169-174.

    17  Philosophe sceptique (320-230 av. J.-C.) qui aurait été le sectateur de Pyrrhon et qui écrivit des Σίλλοι (Silles) en hexamètres contre les philosophes dogmatiques, dont Platon.

    18  Un faux du début du IIe siècle av. J.-C. L’édition la plus récente est celle de W. Marg, Leiden, Brill, 1972.

    19  Hermippe de Smyrne (IIIe siècle av. J.-C.) se rattache à l’École péripatéticienne. Il écrivit, sur la vie de philosophes et de législateurs notamment, une œuvre immense dont s’inspira beaucoup Plutarque. Amateur de sensationalisme, Hermippe falsifie délibérément l’histoire.

    20  Sur ce prétendu rapport, cf. H. Chemiss, Aristotle’s Criticism of Presocratic Philosophy, Baltimore, John Hopkins Press, 1935, p. 43-46, 223-226, 386-392 ; Aristotle’s Criticism of Plato and the Academy, Baltimore, Johns Hopkins Press, 1944, p. 181-194 ; The Riddle of the early Academy, The University of California Press, Berkeley/Los Angeles, 1945, p. 48-59.

    21  Voir D. Ph. A., I, s.v. Aristippe de Cyrène (n° 356), p. 370-371 [F. Caujolle-Zaslawsky].

    22  Voir D. Ph. A., I, s.v. Antisihène (n0211), p. 245-253 [M.-O. Goulet-Cazé].

    23  Bryson a dû vivre au ive siècle, mais les renseignements le concernant sont trop contradictoires pour qu’on puisse se faire une idée précise concernant son activité. Cf. Robert Muller, Introduction à la pensée Mégarique, « Bibliothèque d’Histoire de la Philosophie. Cahiers de Philosophie Ancienne n° 6 », Paris-Bruxelles, Vrin-Ousia, 1988, p. 60-65.

    24  « Théopompe de Chios, dans son livre Κατὰ τῆς Πλάτωνος διατριβῆς, dit : “Il n’est pas difficile de se rendre compte que la plupart des dialogues de Platon sont inutiles et mensongers ; d’ailleurs, le plus grand nombre d’entre eux ne sont pas de lui, car ils viennent de l’enseignement d’Aristippe, quelques-uns mêmes viennent d’Antisthène ; plusieurs autres viennent de Bryson d’Héraclée” » (Deipnosophistes, XI, 508c-d).

    25 Voir Walter Burkert, Lore and Science in ancient Pythagoreanism [1962], transl, by Edwin L. Minar Jr., Cambridge (Mass.), Harvard Univ. Press, 1972, p. 227.

    26  Par exemple, Erwin Rohde, Psyché. Le Culte de l’âme chez les Grecs et leur croyance à l’immortalité [1893], trad. française par A. Reymond [faite sur la KP éd. 1925], Paris, Payot, 1952, p. 31 sq., 165 sq.

    27  Plusieurs passages homériques sont alors allégués, dont Iliade, XVI, 856-857, vers aussi cités par Athénée de Naucratis.

    28  On trouvera un inventaire des travaux anciens consacrés au plagiat dans les ouvrages cités dans la note 1.

    29  Pour un exposé général sur l’antiplatonisme dans l’Antiquité, on lira Ingemar Düring, Herodicus the Cratetean (cité n. 3), p. 132-172.

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    Brisson, Luc. « Les accusations de plagiat lancées contre Platon ». In Contre Platon, vol. 1, édité par Monique Dixsaut. Paris: Vrin, 2007. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.vrin.8977.
    Brisson, Luc. « Les accusations de plagiat lancées contre Platon ». Contre Platon, vol. 1, édité par Monique Dixsaut, Vrin, 2007, https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.vrin.8977.

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    Dixsaut, Monique, éd. Contre Platon, vol. 1. Paris: Vrin, 2007. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.vrin.8782.
    Dixsaut, Monique, éditeur. Contre Platon, vol. 1. Vrin, 2007, https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.vrin.8782.
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