Sénèque et le platonisme (à propos des lettres 58 et 65)
p. 103-115
Texte intégral
1Sénèque, adepte de la philosophie stoïcienne, fait souvent acte de fidélité aux maîtres, Chrysippe et Posidonius notamment. Dans les premières Lettres à Lucilius, il entreprend de fréquentes incursions dans le camp épicurien, non tanquam transfuga sed explorator, non en transfuge mais en éclaireur. Selon la méthode chrysipienne, il use des points de convergence entre le Jardin et le Portique pour rendre sa parénèse plus efficace. Quant à Platon, il est assez rare qu’il le cite nommément, assez rare aussi que l’on puisse déceler dans son œuvre, de façon suffisamment sûre, la présence de textes platoniciens sans que le nom de leur auteur soit prononcé. D’une manière générale, les références semblent provenir du fonds culturel de Sénèque, qui devait bien entendu inclure les grands dialogues, plutôt que de doxographies ou d’autres auteurs, mais rien n’indique un contact assidu avec l’œuvre du maître de l’Académie. Dans la Consolation à Marcia, allusion est faite aux mots du Phédon sur l’apprentissage de la mort par les vrais philosophes, au style indirect, comme à une proclamation faite par Platon au genre humain, dans une anaphore qui en amplifie le sens et en accroît la force persuasive1. Dans ce même ouvrage et dans la Consolation à Polybe, est évoquée l’alternative posée par Platon dans l’Apologie de Socrate : la mort est une fin totale ou un passage vers l’au-delà2. Un point de doctrine est aisément reconnaissable : l’être de l’homme est son âme d’origine divine, aspirant à se libérer de la prison du corps et à gagner sa vraie demeure. Ces références étaient évidemment appelées par le sujet et appartenaient à la tradition du genre littéraire. Dans le De otio, Sénèque insère une traduction libre du texte de la République sur la non-participation du sage aux affaires de l’Etat, s’il est trop corrompu3.
2Il y a lieu de mettre à part deux Lettres (58 et 65) offrant un intérêt tout particulier sur les rapports de Sénèque et du platonisme, car y sont mises en discussion et évaluées, dans leur rapport à la vie morale et à la vision du monde, des thèses attribuées à Platon. Mais, comme on découvre, dans le cours de leur exposé, la présence d’éléments péripatéticiens ou stoïciens ou des références implicites à des exégèses, on perçoit qu’elles ne viennent pas de lui en ligne directe mais d’une doxographie ou d’un commentaire au Timée. C’est, en effet, ce dialogue, dont un court passage est librement traduit dans la Lettre 65, qui est ici l’ouvrage de référence. La Lettre 58 a pour sujet les divers modes d’étant selon Platon ; la Lettre 65 est un exposé des conceptions stoïcienne, aristotélicienne et platonicienne de la causalité. Des ressemblances de structure sont manifestes : ici et là, Sénèque rapporte à Lucilius une conversation qu’il a eue avec des amis sur le sujet proposé et sollicite son arbitrage ; ici et là, après l’exposition des thèses, Lucilius reproche à Sénèque l’inutilité de sa démarche pour en appeler la justification.
3La Lettre 58 donne le sentiment très net que Sénèque n’a pas une pratique habituelle de l’œuvre de Platon, puisque, dit-il, c’est par hasard qu’au cours d’un entretien avec des amis la conversation est tombée sur lui et s’est engagée autour de problèmes relatifs à la traduction. On a déploré l’indigence de la langue latine, n’ayant pas d’équivalents pour un grand nombre de notions. C’est le cas pour le mot ὄν que Sénèque regrette d’avoir à rendre par une tournure verbale « quod est ». Et, à ce propos, un ami lui apprend que d’après Platon l’étant peut se dire selon six modes4. Sauf à supposer assez gratuitement un artifice littéraire, c’est donc un acquis tout récent que Sénèque transmet à Lucilius. Et, afin de lui faire comprendre que la division platonicienne est conçue selon un ordre hiérarchique, il commence par lui dire que, suivant Aristote et les Stoïciens, d’un genre premier τὸ ὄν dérive l’ensemble de ce qui est, genres, espèces, individus : genus primum – corporalia et incorporalia – animantia et inanima – animalia et sata – species (homo, canis, equus) – individus. Les Stoïciens ajoutent même, au-dessus du primum genus, un genre encore plus général, le τι, le quid, le quelque chose, auquel s’oppose ce qui n’existe qu’en imagination5.
4Que Sénèque ait ajouté de lui-même ces considérations ou qu’elles viennent de son informateur, elles indiquent clairement que la division ne remonte pas directement à Platon, mais à des interprètes ayant subi l’influence d’Aristote et des Stoïciens. Et, de fait, elle ne peut, telle qu’elle se présente, être issue du Timée, l’ouvrage, qui, de toute évidence, a servi de base aux interprétations6. En premier lieu, le sixième mode ne correspond pas à une notion platonicienne, mais aux incorporels du stoïcisme. Ensuite, si le premier mode « quod est » paraît bien être le monde intelligible, éternel objet de pensée vraie, opposé par Platon au monde sensible, objet de l’opinion7, le démiurge du Timée ne semble pas être à identifier comme l’étant par excellence, dieu transcendant doué de toute puissance et à placer au-dessus des Idées, du modèle exemplaire. C’est au contraire le cas si les Idées sont conçues comme des pensées de Dieu. Rien n’indique ici que Sénèque se réfère à cette conception, mais la Lettre 65 montre qu’il la connaissait8. Dans cette perspective, des deux premiers degrés de la hiérarchie, constituant le monde intelligible. Dieu et les Idées, modèles exemplaires, on passe aux deux autres, l’idos, conçu à la fois en termes platoniciens comme la copie du modèle et en termes aristotéliciens comme la forme unie à la matière pour façonner le monde sensible, puis au monde sensible lui-même. De son deuxième à son quatrième degré, le schéma sénéquien semble donc bien reproduire une division hiérarchique quadripartite, fondée sur l’opposition entre monde intelligible et monde sensible : Dieu – Idées – idos – monde sensible. Si l’adjonction du sixième mode, comme degré inférieur d’étant, est aisément explicable dans l’optique ontologique, il n’en va pas de même pour le premier. Mais précisément, les indications fournies par Sénèque à son sujet sont d’ordre non pas ontologique mais logique (Quod generaliter est... sub oculos non uenit. Animal non uidetur : cogitatur). Il est cogitabile en tant que primum genus. Et, en effet, pour les Stoïciens, les genres sont de purs objets de pensée, tandis que les espèces ou les individus sont des réalités sensibles9.
5Cette vue platonicienne du monde, Sénèque la fait contribuer à son enseignement moral, dont un point essentiel est qu’il ne faut donner place en soi ni au désir ni à la crainte. Or, puisque selon Platon le monde sensible n’a pas d’être véritable, puisqu’il est soumis au devenir et à la mort, c’est folie de nous attacher aux objets de nos désirs que sont les biens extérieurs et les biens du corps et de redouter ce qui est une donnée de l’expérience la plus immédiate. Après une très brève invitation à la contemplation, Sénèque revient au terrain de l’éthique. De même que le démiurge maintient en vie le monde sensible par l’effet de sa providence, de même nous pouvons prolonger notre vie en vainquant par notre propre providence, c’est-à-dire par notre raison, nos passions. L’interrogation sur la légitimité de la prolongation de la vie conduit au problème du suicide, dont il est traité jusqu’à la fin de la Lettre 10.
6La Lettre 65 complète les données fournies par la Lettre 58, puisqu’elle rapporte, sans que Sénèque dise cette fois s’il tient ou non cette indication d’un informateur, que Platon définissait celui qui est au sommet de la hiérarchie des étants comme la cause efficiente et la cause finale de l’univers. Mais, avant d’en venir à cette application cosmogonique, le Romain expose les trois doctrines de la causalité selon un ordre polémique, en commençant par la plus simple qu’il approuve, celle des Stoïciens, pour passer aux plus complexes qu’il rejette, celles d’Aristote et de Platon ; il renverse ainsi l’ordre chronologique et dit que Platon a ajouté aux quatre causes aristotéliciennes, matérielle (ex quo), efficiente (a quo), formelle (in quo), finale (propter quod), une cinquième, le modèle exemplaire (ad quod). Cette manière de présenter les choses montre que, là aussi, la source n’est pas Platon lui-même mais un auteur nourri d’aristotélisme11.
7Avant de donner son opinion sur les trois doctrines de la causalité qui viennent d’être exposées, Sénèque, au moment où il demande à Lucilius d’arbitrer le débat, s’exprime, de manière assez inattendue, en disciple de Platon plutôt qu’en stoïcien, puisqu’il proclame qu’il n’y a pas de critère absolu de choix et qu’à défaut de vérité on doit se contenter de vraisemblance. Ici Sénèque ne se limite pas à la thèse ordinaire du Portique, pour lequel la vérité n’est pas à la portée du non-sage, de celui dont la raison n’a pas atteint un total développement, mais il va jusqu’à dire qu’elle échappe à la connaissance de l’esprit humain. Le Romain semble bien s’être souvenu des propos de Timée, selon lequel l’homme est incapable d’une vraie science de l’être et du divin mais borné à une croyance fondée sur la vraisemblance12.
8Cela n’empêche pas Sénèque de faire, dans la suite immédiate, allégeance à la position stoïcienne : la seule véritable cause est la raison divine agissant sur la matière. En dehors de cette cause efficiente, il n’y a que des causes accessoires qui dépendent d’elle. Les critiques adressées à Platon sont visiblement conduites à partir de commentaires à son œuvre. La cause exemplaire est assimilée à la cause instrumentale : le modèle est considéré comme un instrument nécessaire au même titre que la lime ou le ciseau13.
9Au paragraphe 15, Sénèque fait poser à Lucilius la même question qu’à la fin de la Lettre 58 : en quoi ces spéculations contribuent-elles à l’éducation morale ? La réponse est à la fois identique et différente : le Romain ne trouve plus seulement dans la vue platonicienne du monde une sorte d’auxiliaire à l’éthique stoïcienne, un surcroît de raisons pour l’extinction des désirs et l’affrontement serein de la mort, mais il en reçoit, de façon beaucoup plus nette, une impulsion vers la contemplation de la nature et le divin. Et c’est un plaidoyer en faveur de cette orientation nouvelle qu’il adresse à son disciple.
10Le début de la réponse rappelle encore de près un passage du Timée : la réflexion sur soi-même et sur le monde, en nourrissant l’activité de l’âme, l’élève et la rend légère, autrement dit, préserve, pour sa libération future et le retour à ses origines, la part de divin qui est en elle et que la pesanteur des passions issues du corps menace constamment de détruire14.
11Dans le texte cité, Platon émet un doute sur la possibilité offerte à l’homme d’accéder à l’immortalité. Pour Sénèque, c’est encore bien davantage un objet de croyance plutôt que de certitude et lui-même parle ailleurs à ce propos de beau rêve15.
12Mais, quelle que soit cette incertitude au sujet de l’immortalité de son âme, l’homme a le moyen, dès ici-bas, d’entrer en contact avec la divinité par la contemplation de l’univers, produit de l’ordre divin, avec lequel il doit entrer en harmonie et Platon poursuit après le passage cité :
Τῷ δ’ἐν ἡμῖν θείῳ συγγενεῖς εἰσιν κινήσεις αἱ τοῦ πάντὸς διανοήσεις καὶ περιφοραί· ταύταις δὴ συνεπόμενον ἕκαστον δεῖ [...] τῷ κατανοουμένῳ τὸ κατανοοῦν ἐξομοιῶσαι […] τέλος ἔχειν τοῦ προτεθέντος ἀνθρώποις ὑπὸ θέων ἀρίστου βίου
et les mouvements qui ont de l’affinité avec le principe divin qui est en nous ce sont les pensées du tout et ses révolutions circulaires. Il faut que chacun les suive [...] que celui qui contemple se rende semblable à l’objet de sa contemplation et qu’il atteigne l’achèvement parfait de la vie que les dieux ont proposée aux hommes
Timée, 90d.
13Il est, à tout le moins, fort possible que Sénèque ait eu quelque réminiscence de ces lignes, lorsqu’il voit dans la contemplation de la nature le vrai chemin de la liberté et le vrai repos de l’âme et revendique, en outre, le droit de donner à la physique, à l’étude de la structure et de l’origine de l’âme et du monde une place prépondérante dans l’ensemble de la philosophie16. C’est probablement vers la même période qu’il écrivait sur les problèmes de la physique ses livres des Questions naturelles, dédiées au même Lucilius. Dans la préface du livre I, il met la physique bien au-dessus de l’éthique comme partie de la philosophie, en montrant toute la distance qui sépare les deux disciplines consacrées l’une au divin, l’autre à l’humain, car, dit-il, l’homme n’est vraiment lui-même que s’il s’élève au-dessus de l’humain. Dans une telle optique, la morale n’est qu’une propédeutique à une connaissance supérieure17.
14Les derniers paragraphes de la Lettre 65 sont, au contraire, très proches par leur démarche du final de la Lettre 58, ce qui confirme, de manière évidente, leur parenté. Le rôle dévolu à l’étude de la nature est de procurer à l’éthique la base théologique et anthropologique de ses préceptes. Après sa vibrante apologie de la physique, Sénèque revient, en effet, immédiatement à l’éthique, presque dans les mêmes termes que dans la précédente lettre : le mépris du corps qu’enseigne le platonisme est le meilleur garant de la liberté intérieure et de la rectitude morale, puisque toutes les craintes et tous les vices ont leurs racines dans un excès d’attachement à sa vie et à son bien-être. Puis, dans le paragraphe de conclusion, c’est un nouveau retour à la physique, venant apporter à cette morale son fondement : la parenté de nature entre le monde et l’homme. L’être du monde est l’intellect divin agissant sur la matière, celui de l’homme est son intellect, qui doit agir sur le corps et le plier à son service. La transcendance de l’intellect humain par rapport au corps est à l’image exacte de la transcendance de Dieu par rapport au monde. Plus haut, au §14, Sénèque a critiqué les platoniciens considérant le monde achevé comme sa propre cause et a souligné la différence absolue qu’il établit entre le monde et Dieu, sa cause transcendante18. Par sa définition de l’homme, que précise et confirme la Lettre 121, Sénèque place son stoïcisme dans le sillage du Premier Alcibiade 19. Une telle attitude permet difficilement de voir en Antiochus d’Ascalon la source des deux Lettres.
15Laissant de côté l’identification trop conjecturale d’une source précise, on rappellera que Sénèque a eu une connaissance, sûrement indirecte mais sans doute aussi directe, de doxographies et de commentaires d’auteurs platoniciens pénétrés d’Aristotélisme. La Lettre 65 semble bien, en outre, porter des traces d’une relecture récente du Timée. Mais ce qui importe vraiment, en définitive, c’est ce que Sénèque paraît avoir retenu de l’héritage platonicien pour l’intégrer à une vue du monde et à une éthique stoïciennes : le mépris du corps, la définition de l’homme par son intellect, l’aspiration à une immortalité, perçue comme incertaine mais ayant pour alternative une fin absolue, également libératrice de toute crainte, la contemplation de l’ordre du monde, que chaque être humain doit s’efforcer de reproduire dans son microcosme, la transcendance de Dieu et, peut-être un doute sur la capacité de l’esprit humain à accéder à la vérité.
Notes de bas de page
1 οἱ ὀρθῶς φιλοσοφοῦντες ἀποθνῄσκειν μελετῶσι – « Ceux qui, au sens droit du terme, se mêlent de philosopher s’exercent à mourir » (Phédon, 67 e). Inde est quod Platon clamat : sapientis animum totum in mortem prominere, hoc uelle, hoc meditari, hac semper cupidine ferri in exteriora tendentem – « Voilà pourquoi Platon proclame que l’âme du sage s’élance tout entière vers la mort, c’est l’objet de sa volonté, c’est l’objet de sa méditation, c’est le désir constant qui l’emporte hors du monde » (Cons. à Marcia, 23,2). Voir A. Setaioli, Seneca e i Greci, Citazioni e traduzioni nelle opere filosofiche, Bologna, 1988, p. 122 ; dans ce même livre, p. 126-140, est présenté un résumé critique des diverses interprétations proposées pour les deux lettres et leurs sources.
2 Platon, Apol. de Socrate, 40-41. Cons. à Marc., 19, 4 ; Cons. à Pol., 9, 2 ; voir L.A. Seneca, I dialoghi, vol. sec., Milano, 1990, éd. G. Viansino, avec le commentaire, p. 518-519 ; voir aussi, par exemple, R. Hoven, Stoïcisme et Stoïciens face au problème de l’au-delà, Paris, 1971, p. 114.
3 Platon, Rép., VI, 496c-d ; Sénèque, De otio, 3, 3. Voir L.A. Seneca, De otio, éd. I. Dionigi, Brescia, 1983, 83-86 ; en outre, I. Dionigi, Seneca, De otio, 3, 3 e Platane, Respublica, 496c-d : analogia o dipendenza ?, Studi Pasoli, Bologna, 1981, 23-45.
4 Sex modis hoc [sc. quod est] a Platane amicus noster, homo eruditissimus, hodierno die dicebat – « Cet étant est dit par Platon selon six modes, disait hier notre ami, homme de très grande culture » (Ep. 58, 8). Comme il a déjà été souvent observé et malgré quelques avis en sens contraire, l’hypothèse émise par E. Bickel, selon laquelle l’amicus évoqué dans la Lettre 58 serait un affranchi chargé par Sénèque de lui procurer des renseignements bibliographiques n’est pas solidement fondée (E. Bickel, « Senecas Briefe 58 und 65. Das Antiochos-Poseidonios Problem », Rh. M., 1960, p. 7-8).
5 Ep. 58, 8-15.
6 Primum illud “quod est" nec uisu nec tactu nec ullo sensu comprenditur : cogitabile est – « le premier étant n’est saisi ni par la vue ni par le toucher ni par aucun autre sens : il est objet de pensée » (Ep. 58, 16). Secundum ex his quae sunt ponit Plato quod eminet et exsuperat omnia ; hoc ait per excellentiam esse [...] Quid ergo hoc est ? deus scilicet maior ac potentior cunctis – « Comme deuxième étant Platon met celui qui surpasse et domine tout ; il dit que c’est l’étant par excellence [...] Quel est donc cet étant ? Evidemment Dieu, plus grand et plus puissant que tout » (Ep. 58, 17). Tertium genus est eorum quae proprie sunt ; innumerabilia haec sunt, sed extra nostrum posita conspectum [...] Propria Platonis supellex est : “ideas" uocat, ex quibus omnia quaecumque uidemus fiunt et ad quas cuncta formantur. Hae immortales, immutabiles, inuiolabiles sunt. Quid sit idea, id est quid Platoni esse uideatur, audi : “idea est eorum quae natura fiunt exemplar aetemum”. Adiciam definitioni interpretationem [...] Volo imaginem tuam facere. Exemplar picturae te habeo, ex quo capit aliquem habitum mens nostra quem operi suo imponat ; ita illa quae me docet et instruit faciès, a quo petitur imitatio, idea est – « Le troisième genre comprend ceux qui sont des étants au sens propre : ils sont innombrables mais placés en dehors de notre vue [...] C’est l’outillage intellectuel particulier de Platon : il les appelle “idées” ; c’est d’elles que tout ce que nous voyons est fait, d’après elles que toutes les choses sont façonnées. Elles sont immortelles, immuables, inaltérables. Écoute ce qu’est l’idée, c’est-à-dire, ce qui pour Platon est l’étant : “l’idée est le modèle éternel de ce qui se fait dans l’univers”. J’ajouterai à la définition une explication [...] Je veux faire ton portrait. Tu es le modèle de mon tableau, à partir duquel mon esprit saisit un dessin pour le traduire dans son œuvre ; ainsi la figure qui me guide et me conduit, que je cherche à imiter, voilà ce qu’est l’idée » (Ep. 58, 18 19). Quartum tocum habebit idos [...] Paulo ante pictoris imagine utebar Ille cum reddere Vergilium coloribus uellet, ipsum intuebatur. Idea erat Vergilii faciès, futuri operis exemplar ; ex bac quod artifex trahit et operi suo imposuit, idos est [...] Alterum exemplar est, alterum forma ab exemplari sumpta et operi imposita ; alteram artifex imitatur, alteram facit – « L’idos tiendra la quatrième place [...] Un peu avant, je faisais une comparaison avec le peintre. Ce dernier, lorsqu’il voulait représenter Virgile avec des couleurs, portait le regard sur lui. L’idée était la figure de Virgile, modèle de l’œuvre future ; ce que l’artiste en tire et reproduit dans son œuvre, c’est l’idos [...] L’une est le modèle, l’autre la forme tirée du modèle et reproduite dans l’œuvre » (Ep. 58, 20- 21). Quintum genus est eorum quae communiter sunt ; haec incipiunt ad nos pertinere ; hic sunt omnia, homines, pecora, res. Sextum genus est eorum quae quasi sunt, tanquam inane, tanquam tempus – « Le cinquième genre comprend les étants au sens courant ; ceux-ci commencent à nous regarder ; ici, il y a tout, hommes, bétail, objets. Le sixième genre comprend ceux qui sont pour ainsi dire des étants, comme le vide, comme le temps » (Ep. 58, 22).
Pour les notions de genre et d’espèce, Sénèque a invoqué expressément l’autorité d’Aristote (Ep. 58, 8-10). Ici, il emploie genus comme synonyme de modus, ainsi qu’au paragraphe 8, où le mot est rapporté à Platon. En fait, modus est également une notion aristotélicienne (en grec, τρόπος), voir E. Bickel, art. cité, p. 1, avec références à Aristote, Méta., 9, 1, 1051a17 et Pol., 3, 6, 1278b31.
7 τί τὸ ὂν ἀεί, γένεσιν δὲ οὐχ ἔχον, καὶ τί τὸ γιγνόμενον μὲν ἀεί, ὂν δὲ οὐδέποτε ; τὸ μὲν δὴ νοήσει μετὰ λόγου περιληπτόν, ἀεὶ κατὰ ταῦτα ὄν, τὸ δ’αὖ δόξῃ μετ’ αἰσθήσεως ἀλόγου δοξαστόν, γιγνόμενον καὶ ἀπολλύμενον, ὄντως δὲ οὐδέποτε ὄν – « Quel est donc l’être éternel qui ne naît point et quel est celui qui naît toujours et n’est jamais ? Le premier est appréhendé par l’intellection et le raisonnement, car il est constamment identique. Quant au second, il est l’objet de l’opinion jointe à la sensation irraisonnée, car il naît et meurt mais n’est jamais réellement » (Timée, 27d-28a).
Contre W. Theiler (Die Vorbereitung des Neuplatonismus, Problemata, 1930, 1-60), E. Bickel a bien montré que « quod est » ne peut traduire οὐσία, que Sénèque rend par essentia, terme emprunté à Cicéron et à Fabianus, tandis qu’il réserve « quod est » à la traduction de τὸ ὄν.
8 Nihil autem ad rem pertinet utrumforis habeat exempta ad quod referai oculos an intus, quod ibi ipse concepit et posuit. Haec exemplaria rerum omnium deus intra se habet numerosque uniuersorum quae agenda sunt et modos mente complexus est ; plenus est his figuris quas Plato « ideas » appellat – « Mais il n’importe en rien de savoir s’il possède en dehors de lui un modèle pour y porter le regard ou s’il l’a au-dedans de lui et l’a lui-même conçu et mis en place. Les modèles de toutes les choses, Dieu les possède à l’intérieur de lui-même et son esprit a saisi les rapports numériques et les modalités de tout ce qu’il doit façonner » (Ep. 65, 7).
Τὰ παραπλήσια δὴ καὶ περὶ θεοῦ δοξαστέον ὡς ἄρα τὴν μεγαλόπολιν κτίζειν διανοηθεὶς ἐνενόησε πρότερον τούς τύπους αὐτῆς, ἐξ ὧν κόσμον νοητὸν συστησάμενος ἀπετέλει καὶ τὸν αἰσθητὸν παραδείγματι χρώμενος ἐκείνῳ – c’est donc à peu près ainsi que pour Dieu on doit estimer qu’ayant décidé de fonder la grande cité, il en a d’abord conçu les types dont il réalisa en les ajustant le monde intelligible pour produire à son tour le monde sensible en se servant du premier comme modèle » (Philon d’Alexandrie, De opiftcio mundi, 19).
εἴτε γὰρ νοῦς ὁ θεὸς ὑπάρχει εἴτε νοηρόν, εἴσιν αὐτῷ νοήματα καὶ ταῦτα αἰωνία τε καὶ ἄτρεπτα εἰ δὲ τοῦτο εἴσι αἱ ἰδέαι – « que Dieu soit esprit ou qu’il soit un être pensant, il a des pensées et ces pensées sont éternelles et immuables ; s’il en est ainsi les idées existent » (Albinos, Didaskalikos, IX, 3).
ἑαυτὸν ἂν οὖν καὶ τὰ ἑαυτοῦ νοήματα ἀεὶ νοοίη καὶ αὕτη ἡ ἐνέργεια αὐτοῦ ἰδέα ὑπάρχει – « cette intelligence doit donc toujours se concevoir elle-même en même temps qu’elle conçoit ses propres pensées et son acte même est l’idée » (Albinos, Didaskalikos, X, 3).
Idea intellectus dei est aetemus aetemi – « l’idée est la pensée éternelle d’un Dieu éternel » (Chalcidius, Comm. au Timée, 336) ; idea [...] perfectus intellectus dei – « l’idée pensée parfaite de Dieu » (ibid., 363, 7).
9 γένος δὲ ἐστὶ πλειόνων […] ἐννοημάτων σύλληψις – « le genre est la réunion d’un certain nombre d’objets de pensée » (Diogène Laërce, VII, 60).
τὸ εἰδικόν […] αἰσθητόν – « l’espèce [...] réalité sensible » (Chrysippe dans Aetius, Placita, IV, 9 13, Dox. Gr., p. 398 15 Diels).
Voir P. Hadot, Porphyre et Victorinus, Paris, 1968, p. 159-160.
10 Ep. 58, 22-37.
11 His (sc. causis) quintam Plato adicit exemplar, quant ipse “idean " uocat ; hoc est enim ad quod respiciens artifex id quod destinabat effecit – « A ces causes Platon ajoute une cinquième, le modèle que lui-même appelle l’idée ; c’est, en effet, en regardant vers lui que l’artiste a accompli ce qu’il se proposait » (Ep. 65, 7).
καλεῖν εἰώθασι τὸ μὲν τέλικον αἴτιον δι’ ὅ, τὸ δὲ παραδειγματικὸν πρὸς ὅ, τὸ δὲ δημιουργικὸν ὑφ’ οὗ, τὸ δὲ ὀργανικὸν δι’ οὗ, τὸ δ’ εἶδος καθ’ ὅ, τὴν ὕλην ἐξ οὗ ἢ ἐν ᾧ, ταύτα καὶ αὐτῷ τῷ Πλάτωνι δοκοῦντα τὰ ὀνόματα λαμβάνοντες – « on a coutume d’appeler la cause finale “à cause de quoi”, la paradigmatique “vers quoi”, la démiurgique “par quoi”, l’instrumentale “au moyen de quoi”, la forme “selon quoi”, la matière “de quoi” ou “dans quoi”, en adoptant ces termes qui ont agréé à Platon lui-même » (Proclus, In Tint., I, p. 357, 12-16).
Haec omnia mundus quoque, ut ait Plato, habet : facientem, hic est deus ; ex quo fit, haec materia est ; formant, haec est habitus et ordo mundi quem uidemus ; exemplar scilicet ad quod deus hanc magnitudinem operis pulcherrimi fecit ; propositum, propter quod fecit. Quaeris quod sil propositum deo ? bonitas. Ita certe Plato ait : quae deo faciendi mundum fuit causa ? bonus est ; bono nulla cuiusquam boni inuidia est ; fecit itaque quam optimum potuit. – « Toutes ces causes le monde lui aussi, comme dit Platon, les comporte : le constructeur, c’est Dieu ; de quoi il est fait, c’est la matière ; la forme, c’est la configuration et l’ordre du monde que nous voyons ; le modèle, c’est évidemment ce selon quoi Dieu a construit cette œuvre magnifique ; la fin, à cause de quoi il l’a construite. Tu demandes ce qu’est la fin pour Dieu ? sa bonté. C’est du moins ce que dit Platon : quelle cause a déterminé Dieu à construire le monde ? il est bon ; celui qui est bon n’a aucun sujet d’envie ; il l’a construit le meilleur qu’il a pu » (Ep. 65, 9-10).
Λέγωμεν δὴ δι’ ἥντινα αἴτιαν γένεσιν καὶ τὸ πᾶν τόδε ὁ συνιστὰς συνέστησεν. ’Aγαθὸς ἦν, ἀγαθῷ δὲ οὐδεὶς περὶ οὐδενὸς οὐδέποτε ἐγγίγνεται φθόνος τούτου δ’ ἐκτὸς ὢν πάντα ὅτι μάλιστα ἐβουλήθη γενέσθαι παραπλήσια ἑαυτῷ – « Disons donc pour quelle cause celui qui a formé le devenir et le monde les a formés. Il était bon, et en ce qui est bon, nulle envie ne naît jamais à nul sujet. Exempt d’envie, il a voulu que toutes choses naquissent le plus possible semblabes à lui » (Timée, 29 d-e). Trad. de Cicéron : itaque omnia sui similia generauit.
Βουληθεὶς γὰρ ὁ θεὸς ἀγαθὰ μὲν πάντα, φλαῦρον δὲ μηδὲν εἶναι κατὰ δύναμιν – « le Dieu a voulu que toutes choses fussent bonnes : il a exclu, autant qu’il était en son pouvoir toute imperfection » [ou : « et que, dans la mesure du possible, rien ne fût mauvais »].
Trad. de Cicéron : cum constituisset deus bonis omnibus explere mundum, mali nihil admittere, quoad natura pateretur (« dans la mesure où la nature le tolérait »).
Καὶ ἀγαθὸν μὲν ἐστι διότι πάντα εἰς δύναμιν εὐεργετεῖ, παντὸς ἀγαθοῦ αἴτιος ὤν – « et il est le bien, parce qu’il répand ses bienfaits sur toutes les choses, selon ses moyens [ou « selon leur capacité »], car il est la cause de tout ce qui est bon » (Albinos, Didaskalikos, X).
Itaque consequenter cuncta sui similia, prout cuiusque natura capax beatitudinis esse poterat, effici uoluit – « aussi bien, en conséquence, il a voulu que toutes les choses fussent façonnées semblables à lui, dans la mesure où la nature de chacune était apte au bonheur » (Comm. de Chalcidius à 29 d-e) ; uolens [...] deus bona quidem omnia prouenire, mali porro nullius, prout eorum quae nascuntur natura fert : – « Dieu voulant que tout se développât dans le sens du bien, sans aucun mal, dans la mesure où la nature de ceux qui naissent le comporte » (id. à 30 a).
« Mais il ne donne pas en proportion de ses grâces [...] il donne selon les capacités de ceux qui reçoivent ses bienfaits. En effet, ce qui est dans le devenir n’a pas pour nature de recevoir autant de bien que Dieu a pour nature d’en faire » (Philon d’Alexandrie, De opificio mundi, 23).
Ces divers textes, qui viennent d’être cités à la suite de celui de Sénèque, permettent de mieux comprendre ce que veut dire exactement le philosophe romain, lorsqu’il écrit que Dieu a fait le monde le meilleur qu’il a pu : fecit quam optimum potuit ; bonus est : bono nullo cuiusquam inuidia est la traduction presque littérale de Timée 29 e : ἀγαθός […] φθόνος, ici et là est affirmée la bonté totale de Dieu ; fecit [...] quam optimum potuit n’est, au contraire, qu’une adaptation assez libre de la suite du texte platonicien. Cicéron, dans sa traduction, rend l’idée de la similitude de la créature au créateur, mais pas la notion de limitation présente dans ὅτι μάλιστα et le quantum potuit sénéquien. En revanche, la traduction de βουληθείς […] κατὰ δύναμιν concorde certainement avec les interprétations de Philon d’Alexandrie et de Chalcidius et probablement avec celle d’Albinos sur la raison pour laquelle Dieu n’a pas doté la créature de toute la perfection qui était en lui : c’est que la créature n’avait pas la capacité de l’accueillir ; le εἰς δύναμιν d’Albinos signifie, selon toute probabilité, suivant la capacité des hommes à accueillir les bienfaits de Dieu. À la lumière de ces textes, le fecit quam optimum potuit sénéquien pourrait être rendu ainsi : il lui a donné le degré d’excellence compatible avec son statut de créature.
En outre, le rapprochement du passage de Sénèque avec certains textes de Philon d’Alexandrie révèle que des incertitudes existaient dans leurs sources sur la conception de la cause finale et sur la manière de la désigner. Pour définir les causes, Sénèque envisage successivement la statue façonnée par un artiste (Ep. 65, 5-6) et le monde édifié par Dieu (Ep. 65, 9-10). Dans le premier cas, l’artiste est reconnu comme la cause efficiente, tandis que sont présentés trois exemples possibles de cause finale : l’argent, la gloire, la ferveur religieuse. Mais, dans le second, si Dieu est bien donné comme la cause efficiente, la cause finale n’est pas, comme le laissait pressentir le parallélisme établi, le bien des hommes, mais la bonté de Dieu. Dans le De Cherubim (124), Philon montre que le monde appartient à Dieu, car il est la cause créatrice de toute chose et ne peut être assimilé à un instrument. Dans l’énumération des causes nécessaires pour aboutir à une existence que distingue le commentaire venant à la suite (125), seul Dieu est considéré comme cause (αἴτιον), mentionnée avant la matière, l’outil, le motif (le τὸ δι’ ὅ désigné par le αἰτία, termes avec lesquels le propositum et le propter quod de Sénèque offrent une correspondance rigoureuse). Philon compare ensuite la création du monde à la construction d’une maison ou d’une cité, en distinguant comme éléments nécessaires le constructeur (par quoi, cause créatrice), les pierres et le bois (de quoi, matière), les outils (avec quoi), la protection et la sécurité des citoyens, désignées successivement par τινὸς ἕνεκα (auquel correspondrait le latin cuius rei causa) et par δι’ ὅ, expressions qui reprennent le substantif αἰτία. Mais, plus loin, lorsque Philon revient directement à la création (127), il donne la bonté de Dieu comme cause finale, toujours désignée par le terme αἰτία, tandis que Dieu par qui le monde a été fait est sa véritable cause (αἴτιον). Les hésitations sur le statut et l’expression de la cause finale, dont Sénèque se fait plus loin l’écho ("Propositum" inquit "artificis, propter quod ad faciendum aliquid accedit, causa est”. Ut sit causa, non est efficiens causa, sed superueniens, Ep. 65, 14), doivent avoir leur origine dans des discussions d’inspiration stoïcienne sur les conceptions aristotélicienne et platonicienne de la cause. Sur les définitions de la cause par δι’ ὅ et sur l’enjeu de ces définitions, voir J.J. Duhot, La conception stoïcienne de la causalité, Paris, 1989, p. 143 et 152 notamment.
12 Fer ergo index sententiam et pronuntia quis tibi uideatur uerisimillimum dicere, non quis uerissimum dicat ; id enim tam supra nos est quam ipsa ueritas – « Porte donc en juge ta sentence et proclame celui qui te paraît dire le plus vraisemblable, non pas celui qui dit le plus vrai ; car ce vrai est au-dessus de nous tout autant que la vérité elle-même » (Ep. 65, 10).
Εὰν οὖν, ὧ Σώκρατες […] μὴ δυνατοὶ γιγνώμεθα πάντῃ πάντως αὐτούς ἑαυτοῖς ὁμολογουμένους λόγους […] ἀποδοῦναι, μὴ θαυμάσῃς ἀλλ’ ἐὰν ἄρα μηδενὁς ἦττον παρεχώμεθα εἰκότας, ἀγαπᾶν χρῆ, μεμνημένους ὡς ὁ λέγων ἐγὼ ὑμεῖς τε οἱ κριταὶ φύσιν ἀνθπωπίνην ἔχομεν – « si donc, ô Socrate, nous ne parvenons pas à nous rendre capables de produire des raisonnements cohérents en tous points, n’en sois pas surpris ; mais si nous vous en apportons qui ne le cèdent à aucun autre en vraisemblance, il faut nous en satisfaire, nous souvenant que moi qui vous parle et vous les juges nous ne sommes que des hommes » (Timée, 29c).
13 Exemplar quoque non est causa sed instrumentum causae necessarium. Sic necessarium est exemplar artifici quomodo scalprum, quomodo lima. Sine his procedere ars non potest, non tamen hae partes artis aut causae sunt – « Le modèle aussi n’est pas une cause mais un instrument nécessaire à la cause. Le modèle est nécessaire à l’artiste comme le ciseau, comme la lime. Sans eux l’art ne peut aller de l’avant, ce ne sont pourtant pas des parties de l’art ou des causes » (Ep. 65, 13).
14 [...] ista [...] omnia [...] attollunt et leuant animum, qui graui sarcina pressus explicari cupit et reuerti ad illa quorum fuit. Nam corpus hoc animi pondus ac poena est ; premente illo urguetur, in uinclis est, nisi accessit philosophia et illum respirare rerum naturae spectaculo iussit et a terrenis ad diuina dimisit – « toutes ces réflexions élèvent et rendent légères l’âme, qui, oppressée par un lourd fardeau, désire se déployer et revenir vers les lieux qui ont été son séjour. Car le corps est la charge et le châtiment de l’âme. Sous sa pression, elle est écrasée, elle est enchaînée, si la philosophie n’est pas venue, ne l’a pas invité à respirer au spectacle de la nature, ne lui a pas donné un élan du terrestre vers le divin » (Ep. 65, 16).
τῷ δὲ περὶ φιλομαθίαν καὶ τὰς ἀληθεῖς φρονήσεις ἐσπουδακότι καὶ ταῦτα μάλιστα τῶν αὑτοῦ γεγυμνασμένῳ φρονεῖν μὲν ἀθάνατα καὶ θεῖα, ἄνπερ ἀληθείας ἐφάπτηται, πᾶσα ἀνάγκη που, καθ’ ὅσον δ’ αὗ μετασχεῖν ἀνθρωπίνῃ φύσει ἀθανασίας ἐνδέχεται, τούτου μηδὲν μέρος ἀπολείπειν – « mais quand un homme a cultivé l’amour de la science et les pensées vraies et quand de toutes ses facultés il a exercé principalement la capacité de penser aux choses immortelles et divines, un tel homme, s’il parvient à toucher la vérité, il est sans doute absolument nécessaire que, dans la mesure où la nature humaine peut participer à l’immortalité, il puisse en jouir entièrement » (Timée, 90b-c).
15 luuabat de aeternitate animarum quaerere, immo [...] credere ; praebebam enim me facilem opinionibus magnorum uirorum rem gratissimam promittentium magis quam probantium [...] cum subito [...] tam bellum somnium perdidi – « J’avais plaisir à m’interroger sur l’immortalité des âmes ou plutôt à y ajouter foi ; car je me prêtais avec complaisance aux opinions des grands hommes qui nous promettent la plus grande félicité plus qu’il ne nous en donne la preuve, lorsque soudain j’ai perdu un si beau rêve » (Ep. 102, 2).
16 Haec [sc. naturae contemplatio] libertas eius [sc. animi] est, haec euagatio : subducit intérim se custodiae in qua tenetur et caelo reficitur – « Là [dans la contemplation de la nature] est sa liberté [de l’âme], là son déploiement ; elle se soustrait pour un moment à la prison, où elle est détenue, et la vue du ciel lui rend ses forces » (Ep. 65, 16) ; animas /... J in rerum naturae contemplatione requiescit- « l’âme trouve son repos dans la contemplation de la nature » (ibid., 17) ; [...] Interdicis mihi inspectione rerum naturae ? – « m’interdis-tu l’étude approfondie de la nature ? » (ibid., 19).
17 Quantum inter philosophiam interest [...] et ceteras artes, tantum interesse existimo in ipsa philosophia inter illam partem quae ad homines et banc quae ad deos pertinet – « Autant il y a de différence entre la philosophie et les autres arts, autant il y en a, selon moi, dans la philosophie elle-même, entre la partie qui a pour domaine les hommes et celle qui a les dieux » (N.Q., pr. I) ; o quam contempla res est homo, nisi supra humana surrexerit – « ah ! combien l’homme est chose méprisable, s’il ne s’élève pas au-dessus de l’humain » (ibid.).
Voir P. L. Donini, « Dio, la naturae l’uomo nelle Questioni Naturali », dans P. L. Donini, G.F. Gianotti, Modelli filosofici e letterari, Lucrezio, Orazio, Seneca, p. 209-242, et surtout p. 221-224.
18 Illud uero non pro solda ipsis subtilitate dixerunt totum mundum et consummatwn opus causant esse ; multum enim interest inter opus et causant operis – « ils ont soutenu cette proposition, qui ne répond pas à leur habituelle subtilité, que le monde tout entier et l’œuvre achevée sont une cause ; car il y a une grande différence entre l’œuvre et la cause de l’œuvre » (Ep. 65, 14).
Voir J. Pépin, Théologie cosmique et théologie chrétienne, Paris, 1964, p. 284.
19 hominis constitutionem rationalem esse – « la structure de l’être humain est d’essence rationnelle » (Ep. 121, 14).
μηδὲν ἄλλο τὸν ἄνθρωπον συμβαίνειν ἢ ψύχην – « l’homme n’est rien d’autre que son âme » (Premier Alcibiade, 130 c).
Voir J. Pépin, Idées grecques sur l’homme et sur Dieu, Paris, 1971, surtout p. 115-131.
Auteur
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Thémistius
Paraphrase de la Métaphysique d’Aristote (livre lambda)
Thémistius Rémi Brague (trad.)
1999
« L’art de bien lire »
Nietzsche et la philologie
Jean-François Balaudé et Patrick Wotling (dir.)
2012
L’Idée platonicienne dans la philosophie contemporaine
Jalons
Sylvain Delcomminette et Antonio Mazzu (dir.)
2012
La fêlure du plaisir, vol. 2
Études sur le Philèbe de Platon II. Contextes
Monique Dixsaut (dir.)
1999
La connaissance de soi
Études sur le traité 49 de Plotin
Monique Dixsaut, Pierre-Marie Morel et Karine Tordo-Rombaut (dir.)
2002
L’Euthyphron de Platon
Philosophie et religion
Platon Jean-Yves Chateau (éd.) Jean-Yves Chateau (trad.)
2005