Antisthène et la tradition antiplatonicienne au ive siècle
p. 31-51
Texte intégral
1Parmi les socratiques, Antisthène est le seul pour lequel les sources antiques attestent explicitement l’existence d’une attaque doctrinale menée contre Platon. Il est par conséquent le premier et le plus ancien philosophe à pouvoir être légitimement inscrit dans une histoire de l’antiplatonisme dans l’Antiquité. Il est également le premier philosophe à avoir inscrit dans la sphère de l’activité littéraire les thèmes de sa polémique, en composant un ouvrage spécifiquement dirigé contre son adversaire, ouvrage qui constitue le plus ancien document de la tradition philosophique antiplatonicienne – distincte de la tradition littéraire antiplatonicienne – du IVe siècle. Il semblerait, vu l’état de notre documentation, que tout ce que nous pouvons dire sur cette affaire doive se réduire à ces affirmations et à quelques gloses supplémentaires ; en fait, il est possible d’aller plus loin, maintenant que, à la suite de tant d’enquêtes sur des points particuliers, la philosophie d’Antisthène a été pour la première fois reconstruite dans son ensemble. Et puisque c’est à moi que revient la responsabilité de cette reconstruction, il sera bon de rappeler, en guise de préliminaires, certains éléments qui, tout en servant à définir les termes de l’opposition d’Antisthène à Platon, fournissent une introduction au problème plus vaste que je me propose de traiter ici1.
2Étant donné que la critique d’Antisthène ne porta pas seulement, comme chacun sait, sur la théorie platonicienne des Idées, mais également sur le concept de définition, le point de référence le mieux assuré pour évaluer la documentation en notre possession est sans aucun doute l’écrit auquel j’ai déjà fait allusion et qui est mentionné au sixième tome du catalogue des œuvres d’Antisthène transmis par Diogène Laërce : le Sathon, dont le titre, en substituant Σάθων à Πλάτων, renvoie à l’équivalence σάθη = πόσθη, et signifie quelque chose comme le français « couillon »2. Si la place occupée par cette œuvre dans le catalogue de Diogène Laërce permet de conclure qu’elle avait un contenu logico-dialectique3, l’épithète injurieuse, qui offre l’exemple le plus ancien d’une déformation satirique du nom de Platon, en confirme, dans un style proche de la ἰαμβική ἰδέα, le caractère fortement polémique. En ce sens, elle rappelle le titre du pamphlet dirigé contre Isocrate et Lysias, Ἰσογράφης καὶ Δεσίας : Celui qui écrit des périodes équilibrées [référence ironique au goût d’Isocrate pour la symétrie calculée des périodes oratoires] et celui qui noue [correspondant à Λυσίας, « celui qui dénoue », allusion ironique au fait que Lysias ne savait pas tirer ses clients de leurs embarras judiciaires]. Sur le contenu du Sathon, notre principale quoique non exclusive source d’information, ce sont les commentateurs d’Aristote. Ils évoquent le mot d’esprit que l’Antiquité tint pour emblématique de la position d’Antisthène dans des contextes où il est fait mention de l’Idée platonicienne et où Antisthène apparaît comme étant à l’origine des critiques encourues par la ποιότης4 et de toutes celles niant la subsistance positive de l’Idée5, du genre et de l’espèce6, de l’universel7. Un témoignage d’Elias restitue la plaisanterie d’Antisthène dans sa formulation certainement la plus simple et dans un contexte pour ainsi dire neutre, eu égard aux utilisations et aux transformations auxquelles le mot fut soumis dans la tradition littéraire :
Il faut aussi, à propos de la qualité, traiter brièvement de la position d’Antisthène et de ses disciples, qui disent ; « je vois l’homme, mais je ne vois pas l’hominité ! », et de cette façon suppriment totalement la qualité8.
3L’examen des diverses formulations du mot d’Antisthène transmises par les commentateurs d’Aristote, des différents contextes théoriques dans lesquels il apparaît et enfin de la valeur, elle aussi différente, que chaque témoignage lui reconnaît, permet de conclure que, dans l’intention initiale d’Antisthène, ce mot devait soutenir un raisonnement ayant pour objectif de retirer à l’Idée toute portée ontologique et, parallèlement, d’en affirmer le statut purement mental9. C’est ce qui ressort, sous une forme particulièrement significative, d’un texte de Simplicius qui, dans un passage de son commentaire aux Catégories d’Aristote, non seulement accepte la position d’Antisthène, mais l’inclut dans une série de remarques destinées à montrer le primat du ποιόν sur la ποιότης ;
Le qualifié (τὸ ποιόν) nous est plus connu et plus proche que la qualité (ἡ ποιότης), s’il est vrai que certains éliminent la qualité, comme n’ayant aucune subsistance, alors que nul n’élimine le qualifié, et s’il est vrai qu’Antisthène admet voir le cheval, mais ne pas voir la chevalité ; s’il est vrai que l’un se voit avec les yeux, tandis que l’autre est saisie par le raisonnement ; que l’un est considéré dans l’ordre de la cause, tandis que l’autre suit comme un effet ; que l’un est un corps et un composé, tandis que l’autre est simple et incorporelle10.
4Les termes ἱππότης et ἀνθρωπότης indiquent pour leur part qu’Antisthène trouva la source de sa critique ironique dans le terme ποιότης, qui est un hapax chez Platon et qui apparaît dans un passage du Théétète consacré à la discussion de la thèse selon laquelle tout se meut. L’examen de la thèse des mobilistes y est développé d’un point de vue particulier :
Considère maintenant cet aspect de leur doctrine. De la chaleur, de la blancheur, de quelque détermination que ce soit, n’avons-nous pas dit qu’ils décrivent la génération à peu près comme suit : translation de chacune d’elles et de sa sensation dans l’intervalle entre l’agent et le patient ; le patient devenant sentant, mais non point sensation, l’agent (ποιοῦν) devenant qualifié (ποιόν τι), mais non point qualité (ποιότητα) ? Peut-être cette « qualité » te paraît-elle un mot insolite et en même temps n’en comprends-tu pas la signification générale : vois donc à examiner la chose cas par cas11.
5Le passage se présente, dans son ensemble, comme une justification de l’usage d’un terme que Platon avait probablement lui-même introduit dans le langage philosophique12. La nouveauté de ce vocable est d’ailleurs soulignée par le jeu linguistique que comporte la partie centrale du passage cité ; ce jeu résulte du rapport étymologique arbitrairement établi entre ποιέω et ποιόν, auquel est aussitôt opposé le néologisme ποιότης. Conscient du fait que ce dernier terme semblera peu clair à son interlocuteur, Socrate s’empresse d’expliquer en quel sens il l’emploie et pour quelle raison il l’a introduit dans la discussion. Le raisonnement qui suit vise avant tout à cerner la différence qui existe dans des couples de notions comme θερμότης – θερμόν, λευκότης – λευκόν : dans l’optique des mobilistes, en effet, l’agent ne devient ni chaleur ni blancheur, mais chaud et blanc. Ensuite est souligné le manque total de stabilité de ces déterminations, puisque pour les héraclitéens, et en vertu de la distinction formulée auparavant par Socrate13, il faudra voir un mouvement aussi bien dans l’altération (ἀλλοίωσις) que dans la translation (φορά). La conséquence est que ce qui s’écoule s’écoule et ne reste même pas blanc, mais que de la blancheur elle-même il y a écoulement, donc changement en une autre couleur. D’où la conclusion, qui met en évidence l’objectif fondamental poursuivi par Socrate : montrer, en répétant ce qui avait déjà été dit dans le Cratyle, comment dans cette optique se révélera impossible tant l’acte de dénomination que, de façon générale, toute forme de connaissance14.
6Devient alors clair le sens de la distinction entre θερμότης et θερμόν, et, en définitive, entre ποιότης et ποιόν : elle vise à mettre en lumière la différence entre le phénomène en tant que tel, conçu par les héraclitéens comme permanente altération et translation, et l’exigence de stabilité, reliée par Platon au problème de la détermination linguistique et gnoséologique que requiert la considération du phénomène lui-même. Le terme ποιότης apparaît donc « comme un nom forgé pour désigner cette absence, dans le phénomène de la sensation, de la fixité qui conviendrait à ce qu’on croit en être l’objet »15. En ce sens, et dans la mesure où la réponse platonicienne au problème consistera à chercher hors de la sphère sensible le principe de détermination qui lui manque, le terme ποιότης semble forgé pour faire apparaître, contre le sensualisme, l’exigence de stabilité que représente l’Idée.
7En tenant compte de cela, il est facile d’obtenir une première indication sur ce que signifie la déclaration attribuée à Antisthène par les commentateurs d’Aristote. L’objectif poursuivi par le Socratique était de nier la subsistance réelle de la ποιότης et, par conséquent, de refuser le statut ontologique que Platon conférait à l’Idée. Contre la position platonicienne selon laquelle l’εἶδος garantissait la stabilité et la rectitude de la dénomination, Antisthène admettait seulement l’existence du « qualifié » (ποιόν), c’est-à-dire de l’individu concret muni d’attributions déterminées. C’est de lui, et non de l’Idée, que tire son fondement l’ὀνομάζειν, et l’Idée elle-même est dotée d’une existence purement mentale dans la mesure où elle est une pure abstraction (ἐν ψιλαῖς ἐπινοίαις εἶναι). C’est ce qui résulte en particulier d’un témoignage d’Ammonius, qui rapproche l’ἀνθρωπότης et l’ἱππότης d’Antisthène d’entités comme le τραγέλαφος dont la réalité est liée à la fonction mentale au moyen de laquelle on se les représente, au sens où, pour autant qu’elles seront objet d’ἐπίνοια elles se révéleront existantes, inexistantes dans le cas contraire :
Antisthène soutenait que les genres et les espèces sont de purs concepts. Il disait en effet : « je vois le cheval, mais je ne vois pas la chevalité », et encore : « je vois l’homme, mais je ne vois pas l’hominité ». Il disait de telles choses en se fiant à la seule sensation, incapable qu’il était de parvenir, par le raisonnement, à une compréhension plus élevée16.
8Cela étant posé, le point de vue propre d’Antisthène se trouve confirmé, et trouve en même temps confirmation la motivation la plus profonde de sa critique, à savoir que la connaissance se réalise au moyen de l’analyse logico-linguistique entendue au sens de la doctrine de l’ἐπίσκεψις τῶν ὀνομάτων, une telle étude constituant l’ἀρχὴ παιδεύσεως17. Il s’ensuit que la dialectique ne requiert pas de fondation métaphysique et que c’est elle, au contraire, qui se pose comme première et comme fondatrice par rapport au savoir.
9Une thèse de Gorgias, exposée dans la deuxième section du Περὶ τοῦ μὴ ὄντος, permet d’identifier une des sources théoriques possibles de la réduction de l’universel platonicien à un pur concept, qui est à la base de la critique d’Antisthène. Il est bon d’avoir présente à l’esprit l’argumentation de Gorgias, telle que nous la restitue la version du traité donnée par Sextus :
Et comme les choses qu’on voit, ce qui fait qu’on les dit visibles, c’est qu’on les voit ; et que les choses qu’on entend, ce qui fait qu’on les dit audibles, c’est qu’on les entend ; et que les choses qu’on voit, nous ne les éliminons pas parce qu’elles ne s’entendent pas, pas plus que nous ne donnons congé aux choses qu’on entend parce qu’elles ne se voient pas (puisque chacune doit être jugée par le sens approprié, mais non par un autre) : de même aussi les choses qu’on pense, même si on ne les voit pas par la vue et si on ne les entend pas par l’ouïe, existeront, puisqu’elles sont conçues par l’organe du jugement, qui leur est propre. Si donc quelqu’un pense que des chars courent sur la mer, même s’il ne les voit pas, il doit croire qu’il y a des chars qui courent sur la mer. Mais cela est absurde : par conséquent ce qui existe, on ne le pense ni ne le comprend18.
10Cette argumentation, que certains trouvent passablement obscure, voire tout bonnement contradictoire19, en réalité devient claire si on se rappelle qu’elle fait suite à deux démonstrations tendant à montrer que le pensé n’est pas doué d’existence objective20. Ici, au contraire, Gorgias expose une possibilité différente, à savoir que τὰ φρονούμενα existent en tant qu’ils sont conçus par l’organe du jugement qui leur est relatif : hypothèse qui correspond parfaitement à la considération, positive cette fois, que fait valoir Antisthène sur le terrain des Idées platoniciennes. Parallèlement, l’exemple des chars qui courent sur la mer, utilisé par Gorgias dans sa première argumentation pour réduire à l’absurde la thèse selon laquelle le pensé existe, sert maintenant à représenter, comme déjà les exemples de Scylla et de la Chimère dans sa deuxième argumentation, le cas de ces produits de l’imagination qui, de toute façon, peuvent être pensés indépendamment de l’attestation de réalité que, seule, garantit la perception visuelle : illustration par un exemple analogue à celle à laquelle recourait Antisthène quand il opposait la réalité objective du cheval, objet de la vue, à cette entité purement imaginée et non perceptible qu’est l’Idée du cheval. Ainsi, et sans procéder autrement que le Socratique se livrant à une polémique antiplatonicienne, Gorgias conclut lui aussi à l’impossibilité de faire découler d’une telle supposition une quelconque croyance en la subsistance positive des réalités pensées.
11Si du point de vue de l’histoire de la philosophie la désintégration de l’équation εἶναι = νοεῖν constitue visiblement le terrain théorique sur lequel se développe l’objection d’Antisthène, la pertinence de l’objection elle-même peut être appréciée à la lumière de deux considérations supplémentaires. D’une part, l’existence d’idées d’individus empiriques constituait à tout le moins un problème pour Platon. C’est ce que montre en particulier la reprise, dans le Parménide, de la question déjà exploitée par Antisthène dans sa critique et sur laquelle Socrate lui-même déclare être en difficulté (ἐν ἀπορίᾳ) : savoir si l’on doit ou non admettre une Idée d’homme séparée de la totalité des individus empiriques et si l’on doit admettre, de manière analogue, l’existence d’idées pour les autres entités concrètes21. D’autre part, le thème du νοεῖν, entendu dans le sens d’un argument relatif à la possibilité de penser les choses corruptibles (νοεῖν τι φθαρέντος), était certainement utilisé dans les milieux de l’école pour démontrer l’existence d’idées des individus empiriques. C’est ce qui ressort de la formulation, empruntée au Περὶ ἰδεῶν d’Aristote, que donne de ce même argument Alexandre d’Aphrodise dans son commentaire de la Métaphysique :
L’argument qui fonde l’existence des Idées sur le fait qu’on pense se présente comme suit. Si, lorsque nous pensons un homme, un être terrestre ou un animal, nous pensons quelque chose qui est au nombre des réalités, sans penser aucune des choses particulières, – car même une fois celles-ci détruites, en persiste la pensée, – il est évident que, outre les choses particulières et sensibles, existe ce que nous pensons, que ces choses-là existent ou qu’elles n’existent pas : en effet, ce n’est certainement pas un non-étant que nous pensons alors. Or, cela que nous pensons est précisément la Forme ou l’Idée22.
12L’intérêt de ce passage est double. Tout d’abord, il établit clairement que, même dans le milieu de l’école, des arguments en faveur de l’Idée furent tirés de la considération des individus empiriques singuliers, ce qui confirme la légitimité de l’objection formulée par Antisthène, qui se fonde, à ce qu’il semblerait, sur les exemples de l’homme individuel et du cheval individuel. En second lieu, ce passage met en évidence que le point névralgique de l’argumentation consistait dans le fait d’admettre l’équation νοεῖν = εἶναι et dans l’exclusion corrélative de la possibilité de penser un non-être. Il est opportun de rappeler qu’Aristote lui-même nous fournit une critique de cet argument, tant dans le premier livre de la Métaphysique23 que dans l’exposé, toujours emprunté au Περὶ ἰδεῶν, que nous en a transmis Alexandre :
<Aristote> dit que cet argument établit qu’il y a des Idées même des choses qui se corrompent et qui sont détruites, par exemple de Socrate et de Platon : et en effet, nous les pensons et nous gardons d’eux une image que nous conservons même alors qu’ils ne sont plus ; car il y a une image même des choses qui ne sont plus. Mais nous pensons aussi les choses qui n’existent pas du tout, comme le Centaure et la Chimère : par conséquent, cet argument non plus ne démontre pas l’existence des Idées24.
13Il est aisé de voir comment deux observations polémiques – l’existence d’images de choses qui ne sont plus et la possibilité de penser même des choses qui n’existent pas du tout – permettent ici à Aristote de réfuter l’argument du νοεῖν τι φθαρέντος et, par ce moyen, de rendre vaine toute démonstration de l’existence des Idées qui, de quelque façon que ce soit, serait tirée du νοεῖν. La réapparition de l’exemple de la Chimère dû à Gorgias est, à cet égard, particulièrement significative. Elle offre d’ailleurs une confirmation d’ordre historique supplémentaire au rapprochement établi plus haut entre l’ἀνθρωπότης et l’ἱππότης d’Antisthène et la Chimère du Περὶ τοῦ μὴ ὄντος. Par là s’éclaire en outre la façon dont, dans tous ces cas, on a affaire à des schèmes polémiques visant à montrer l’illégitimité du passage de la sphère du νοεῖν à celle de l’εἶναι, avec pour conséquence l’exclusion de la subsistance objective du produit de la pensée. En tenant compte de cela, précisément, et en conclusion de l’examen développé jusqu’ici, il est opportun de s’appuyer sur un texte du Parménide de Platon, important pour les échos de la critique d’Antisthène qui s’y laissent apercevoir. On sait que, dans la première partie du dialogue, Socrate, devant les apories soulevées par la position des εἴδη, introduit l’hypothèse de la Forme-concept, hypothèse en vertu de laquelle chaque Forme, comme le voulait Antisthène, ne serait autre qu’un νόημα ἐν ψυχαῖς :
– À moins, Parménide, aurait dit Socrate, que chacune de ces Formes ne soit la pensée de ces choses, et qu’il ne lui convienne de se produire nulle part ailleurs que dans les âmes. Ainsi, en effet, chaque Forme serait unique et ne serait plus exposée à tout ce qui se disait tout à l’heure.
– Alors, aurait dit Parménide, chacune de ces pensées est unique, mais pensée de rien ?
– Mais c’est impossible, aurait répondu Socrate.
– Plutôt de quelque chose ?
– Oui.
– De quelque chose qui est ou qui n’est pas ?
– Qui est.
– Ne serait-ce pas quelque chose d’un que cette pensée pense comme présent sur toutes choses, tout en étant une certaine forme unique ?
– Si.
– Alors, ne sera-ce pas une Forme, cela dont on pense qu’il est un, et qui sur toutes est toujours identique ?
– Inévitable à nouveau, à ce qu’il paraît25.
14La coïncidence est évidente entre l’objection d’Antisthène et la thèse exprimée au début de la première réplique de Socrate selon laquelle la Forme constitue une pure entité mentale qui ne subsiste en aucun autre lieu que l’âme. Tout aussi évident est le fait que Platon veut ici rejeter ou nier formellement toute interprétation des Idées de type conceptualiste26. Une preuve a contrario en est donnée par le fait que l’affirmation de Socrate qui suit immédiatement replace la thèse, présentée cette fois sous la forme d’une hypothèse, dans le contexte d’une problématique manifestement étrangère à l’argumentation d’Antisthène et au contraire parfaitement congruente avec les intentions de Platon dans la première partie du dialogue. Socrate déclare en effet que, dans cette perspective, toute Forme se trouverait douée d’unité (ἕν), par quoi seraient évitées les difficultés résultant de l’hypothèse de la participation, dont on avait auparavant discuté27. L’argumentation qui suit montre le caractère contradictoire de l’hypothèse en question. Prenant pour point de départ un présupposé qu’on ne peut pas ne pas mettre en relation avec la thèse d’Antisthène affirmant que tout ce qui est pensé n’est pas nécessairement réel, Parménide montre au contraire que le νόημα est toujours pensée de quelque chose (τινός), donc pensée de quelque chose qui est (ὄντος) : conclusion dans laquelle je suis enclin à voir la réplique, typiquement éléatique, de Platon à la célèbre équation d’Antisthène, éléatique elle aussi : λέγειν = λέγειν τι = λέγειν τὸ ὄν28. S’il en est ainsi, un même contenu devra être présent en toutes choses et être doué d’un certain caractère unique, en vertu de quoi il se trouvera être une Forme. Mais alors, si la réalité correspondant au νόημα est εἶδος et si l’on revient au problème de la participation, on aura deux conséquences, toutes deux absurdes : ou bien il résultera que chaque chose est constituée de pensées, si bien que tout pense ; ou bien les choses, tout en étant des pensées, seront pourtant privées de pensée29.
15L’expression νόημα ἐν ψυχαῖς, comparée aux expressions ψιλή ἐπίνοια et ψιλή ἔννοια qui appartiennent au vocabulaire philosophique de l’Antiquité tardive et que l’on trouve chez Ammonius et chez Tzetzes, restitue, je crois, sinon la formule employée par Antisthène pour désigner le statut des Idées platoniciennes, à tout le moins une terminologie qui, historiquement parlant aussi bien que sur le plan théorique, put être la sienne. À cet égard il convient de rappeler que le terme νόημα, rare dans Platon et qui a ordinairement chez lui un sens général, est utilisé dans ce passage du Parménide dans une acception certainement technique et avec une insistance qui a déjà été remarquée30. Dans la philosophie préplatonicienne, après une occurrence isolée chez Xénophane, le terme apparaît quatre fois chez Parménide, puis deux fois chez Empédocle et enfin une fois chez, respectivement, Gorgias, Antiphon et Antisthène31 : l’empreinte éléatique du mot, et plus encore l’équation νοεῖν = εἶναι, valide aux yeux de Parménide, montrent bien le différend théorique et polémique qu’impliquent la délégitimation ontologique du νόημα opérée par Antisthène et son assignation ἐν ψυχαῖς. Se trouve par là également précisée la spécificité de la position d’Antisthène par rapport à celle qu’adoptèrent à l’égard des Idées platoniciennes les philosophes de Mégare. La critique que ces derniers adressaient à Platon soulignait la séparation entre l’universel intelligible et l’individu empirique, dans le but de rendre vaine la notion platonicienne de methexis : dans cette optique, l’antithèse entre l’un et le multiple passait au premier plan et il en découlait les conclusions logico-linguistique que l’on sait quant à l’impossibilité de la prédication, exception faite des jugements d’identité. Que ce soit dans un horizon polémique ou dans la perspective de sa propre problématique, pareille issue ne s’offrait pas à Antisthène – lequel, sans aucun fondement dans la documentation qui nous est parvenue, et d’une façon certainement arbitraire du point de vue théorique, a été identifié avec les ὀψιμαθεῖς du Sophiste32. Une telle issue, en réalité, n’aurait jamais pu se présenter à lui, étant donné qu’à ses yeux l’Idée était dépourvue de substantialité : l’hypothèse de la participation, que présupposent toutes les argumentations mégariques, se trouvait donc exclue dès le départ. Conséquence : la possibilité de n’aboutir qu’à une tautologie n’arrivait même pas à se formuler – résultat inévitable pour un Stilpon mais, à l’inverse, entièrement absent de l’horizon d’un Antisthène pour qui la définition, sur laquelle devait se conclure l’ ἐπίσκεψις τῶν ὀνομάτων, était le fondement même de la notion de science33. Bien différente de la position des Mégariques avec laquelle on a eu tort de la confondre, la position d’Antisthène s’est plutôt perpétuée dans cette veine de la tradition antiplatonicienne que représentent, dans la deuxième moitié du IVe siècle, les philosophes de l’école d’Erétrie, Théopompe de Chios et d’autres penseurs que les sources anciennes leur avaient déjà rattachés : ils constituent un maillon important permettant d’attester la continuité de la tradition antisthénienne et du type d’antiplatonisme dont celle-ci fut porteuse dans l’Antiquité.
16J’ai déjà cité le passage de Simplicius dans lequel il est question d’Antisthène et où, parmi les différentes remarques tendant à montrer le primat du ποιόν sur la ποιότης, aussitôt après le rappel du mot célèbre du Sathon, apparaît l’argument, lui aussi attribué à Antisthène34, selon lequel le ποιόν se voit avec les yeux tandis que la ποιότης, elle, est saisie par le raisonnement. Suit l’affirmation que le ποιόν est un corps et un composé (σῶμα καὶ σύνθετον) alors que la ποιότης est simple et incorporelle (ἁπλοῦν καὶ ἀσώματον). Or cette remarque correspond littéralement à une thèse de l’école d’Erétrie certainement fondée, comme on va le voir, sur des idées dues à Antisthène : en ce sens il est très probable qu’elle figurait déjà dans le Sathon. Toujours de Simplicius, en effet, nous apprenons que
les philosophes d’Erétrie aussi supprimèrent les « qualités », les tenant pour entièrement dépourvues d’un élément commun substantiel et les considérant au contraire comme subsistantes dans les êtres individuels et composés35.
17Si le rejet de la substantialité de la ποιότης nous ramène directement à Antisthène, l’affirmation suivante montre que les Erétriens rapportaient également les qualités à l’individu concret, sujet de la prédication ; la définition de ce dernier comme substance composée correspond elle aussi littéralement à la thèse attribuée par Aristote à Antisthène et à son école (οἱ Ἀντισθένειοι) dans un passage bien connu de la Métaphysique auquel il me faudra revenir plus loin. Si, parvenus à ce point, nous nous rappelons que, dans ce même passage, l’essence platonicienne est considérée par l’école d’Antisthène comme un simplex, nous obtenons une coïncidence quasi complète avec la troisième remarque que comporte le texte de Simplicius d’où nous sommes partis : n’échappe à ce jeu de rapprochements que l’équation ποιόν = σῶμα, déclaration fort importante, implicite toutefois d’une certaine manière dans l’affirmation du Sathon ne tenant pour réels que l’homme individuel et le cheval individuel. La référence faite par Aristote à l’école d’Antisthène permet en tout cas d’éclaircir la portée du témoignage d’Elias déjà cité : la négation de la ποιότης y est expressément référée à Ἀντισθένης καὶ οἱ περὶ αὐτόν ; que cette négation ait fait école, c’est ce que confirme la place qu’occupe cette thèse chez les commentateurs d’Aristote aussi bien que les autres témoignages examinés jusqu’ici.
18La coïncidence est encore plus complète et précise entre les doctrines d’Antisthène et la position définie par Théopompe de Chios dans son écrit Contre l’enseignement de Platon (Κατὰ τῆς Πλάτωνος διατριψῆς) ; après le Sathon, ce dernier constitue le deuxième grand document de la tradition antiplatonicienne au IVe siècle, et son orientation théorique en fait un témoin important de la tradition antisthénienne elle-même à l’époque préhellénistique. Bien différent du reste de l’activité littéraire de Théopompe qui, on le sait, fit œuvre d’historiographie, cet écrit doit certainement être tenu pour une œuvre de jeunesse ; il devait être dirigé contre l’aspect le plus connu et discuté de l’enseignement de Platon, – tel est le sens du terme διατριψή, qui apparaît dans le titre36, – reprenant ainsi les thèmes et les motifs fondamentaux qu’avait fait valoir Antisthène dans sa critique. Ce pamphlet peut être daté des années comprises entre 343 et 332 (mais le moment de sa rédaction est plus probablement proche de la première de ces deux dates) ; il appartient donc à la période pendant laquelle Théopompe séjourna à la cour de Macédoine, où, comme nous en informe une lettre de Speusippe – dont l’authenticité semble certaine, et sur la valeur historique de laquelle ne subsiste en tout cas aucun doute – il se livra à une intense propagande antiplatonicienne :
Je sais que parmi vous se trouve aussi Théopompe. C’est un homme plein d’aigreur, qui a répandu des calomnies contre Platon, disant qu’il n’est pas vrai que ce soit Platon qui ait posé les premières bases de ton règne, qu’il n’est pas vrai non plus qu’il s’affligeait s’il arrivait chez vous quelque chose de fâcheux et qui ne témoignât pas d’un climat fraternel. Donc, pour mettre un terme à l’arrogance de Théopompe, ordonne à Antipater de lui lire son histoire de la Grèce, et Théopompe comprendra qu’il a mérité d’être repoussé par tous, et qu’il ne mérite pas d’avoir la chance de faire partie de ta suite37.
19Il est tout à fait vraisemblable que l’écrit Contre l’enseignement de Platon se soit inscrit dans ce climat d’attaque et de diffamation réciproque auquel peut avoir contribué, entre autres, l’attitude favorable adoptée par Théopompe envers Isocrate, dans une période où aussi bien Speusippe qu’Aristote lui manifestèrent au contraire de l’hostilité38. Les fragments qui nous sont parvenus – et qui n’ont, jusqu’ici, jamais été examinés en totalité – confirment, certes, la diversité des motifs de cette polémique ; mais ils permettent aussi d’inscrire l’attaque contre Platon dans un contexte plus large, où la question de la position à prendre à l’égard du groupe socratique devait être incontournable. Cette indication ressort en particulier du fragment qui nous a été transmis par Athénée :
Et en effet Théopompe de Chios, dans son traité Contre l’enseignement de Platon, dit : « On pourrait trouver que la plupart de ses dialogues [SC. ceux de Platon] sont inutiles et faux, et qu’ils ne sont pas de lui : tirés pour la plupart des diatribes d’Aristippe, il y en a aussi quelques-uns qui viennent des écrits d’Antisthène, et beaucoup de ceux de Bryson d’Héraclée »39.
20Le jugement négatif porté sur l’activité littéraire de Platon dans la première partie du fragment est un thème récurrent dans la tradition antiplatonicienne du IVe siècle ; quant à l’accusation de plagiat qui est exposée ensuite, elle trouve un précédent dans les observations polémiques d’Alcimos, lequel, dans le but bien sûr de diminuer l’originalité de sa pensée, accusa Platon d’avoir emprunté sa théorie des Idées au pythagoricien Epicharme. L’accusation de plagiat sera récurrente dans la génération immédiatement postérieure à Théopompe : nous la retrouvons chez Aristoxène et en outre chez le péripatéticien Dicéarque, qui ne se limitera pas à censurer le style des dialogues platoniciens mais suscitera une polémique doctrinale se rattachant au moins en partie à la ligne philosophique que nous examinons ici40. Est caractéristique de Théopompe, en revanche, le fait que, outre une critique d’ordre littéraire, il fait état d’oppositions à l’intérieur du cercle socratique en mettant en avant les philosophes représentatifs des trois grandes écoles rivales de l’école platonicienne : l’école Cyrénaïque avec Aristippe, l’école mégarique avec Bryson, l’école cynique (ou, plus exactement, celle qui sera plus tard appelée cynique)41 avec Antisthène. Que la polémique antiplatonicienne soit corrélative d’une prise de position explicite en faveur d’Antisthène, c’est ce qu’atteste un fragment rapporté par Diogène Laërce :
Antisthène est le seul, parmi tous les socratiques, que loue Théopompe ; il dit qu’il était habile à parler et qu’il attirait à lui tout un chacun par sa conversation harmonieuse42.
21La fidélité de Théopompe aux positions théoriques d’Antisthène ressort de la suite du passage de Simplicius déjà cité à propos des Erétriens. Théopompe y est immédiatement rapproché d’eux :
Et Théopompe montra, sur la base de ces arguments, que le doux est un corps, tandis que la douceur n’en est pas un43.
22Ce fragment offre un exemple clair du rôle joué par le Sathon dans la tradition antiplatonicienne du IVe siècle : construit sur l’opposition γλυκύ – γλυκύτης, il tend à montrer qu’aucune réalité objective ne correspond au deuxième terme, et en ce sens il se révèle une parfaite réplique du fragment du Sathon, construit sur l’opposition entre ποιόν et ποιότης. L’équation γλυκύ = σῶμα confirme et précise la thèse, rapportée aux Erétriens dans la partie précédente du passage, d’après laquelle ne sont réelles que les déterminations concrètes propres aux individus empiriques. Mais surtout elle apporte une confirmation explicite à l’équation ποιόν = σῶμα qui figure dans le premier passage de Simplicius cité plus haut : preuve de plus que ce texte est une sorte de résumé des positions théoriques propres à la tradition antiplatonicienne du IVe siècle. Étant donné l’importance du thème matérialiste qui ressort indubitablement de ce fragment, on aimerait pouvoir décider si cette thèse est à attribuer au seul Théopompe, ou si elle remonte déjà à Antisthène. Outre le fait qu’il est difficile d’attribuer à Théopompe une quelconque originalité ou même simplement une autonomie sur le plan philosophique, la deuxième hypothèse pourrait s’appuyer sur la célèbre « gigantomachie » du Sophiste où Platon expose la doctrine matérialiste en mentionnant précisément la thèse attestée pour Théopompe, c’est-à-dire le concept de la corporéité des qualités44. Et que ce problème ait constitué un thème de réflexion rien moins que secondaire pour les philosophes appartenant à la tradition antiplatonicienne du IVe siècle, c’est ce que confirme le texte que nous examinons, là où il est fait référence à la fois aux Erétriens, à Dicéarque et à Théopompe :
En effet, ceux-ci ne posèrent les qualités ni comme corporelles ni comme incorporelles, mais ils supposèrent qu’elles ne sont autres que de purs concepts, des mots vides auxquels ne correspond aucune réalité, comme par exemple « hominité » et « chevalité »45.
23Ce fragment est important, aussi bien comme témoignage autonome sur les philosophes auxquels il fait référence que parce qu’il prouve de façon définitive que les positions théoriques qu’on a rappelées jusqu’ici ont leur source chez Antisthène. On retrouve dans ce texte, avant tout, la thèse fondamentale d’Antisthène selon laquelle les ποιότητες sont des ψιλαὶ μόναι ἔννοιαι, de purs produits conceptuels dépourvus de toute réalité substantielle. Que cette thèse provienne d’Antisthène, c’est ce que démontrent plus avant les exemples – dans lesquels nous retrouvons jusqu’aux termes forgés par le Socratique, ἀνθρωπότης et ἱππότης – servant à montrer comment la ποιότης, envisagée cette fois sous son aspect linguistique, se réduit, étant donné son manque de substantialité, à un simple flatus vocis. Fort significative est aussi l’indication selon laquelle les ποιότητες ne sont ni σώματα ni ἀσώματα, ce qui précise le sens de la précédente déclaration de Théopompe sur la γλυκύτης en montrant que la ποιότης était conçue par tous ces philosophes comme une entité purement mentale et abstraite, irréductible à l’alternative corporel / incorporel. Le dernier fragment qu’on peut légitimement rapporter à l’écrit Contre l’enseignement de Platon établit que ces thèses s’inscrivaient dans une critique plus générale du statut accordé par Platon à l’Idée. Le texte, que je rapprocherai plus loin d’un témoignage bien connu et déjà cité d’Aristote sur Antisthène, nous a été transmis par Épictète :
Ce qui trompe la plupart des hommes est précisément ce qui a trompé le rhéteur Théopompe, qui reproche quelque part à Platon de vouloir définir chaque réalité. Que dit-il en effet ? « Aucun d’entre nous n’a-t-il dit avant toi “bon” ou “juste” ? Ou bien, ne comprenant pas le sens de chacun de ces termes, n’articulons-nous que des sons vides et privés de signification ? »46.
24Théopompe se fait ici encore une fois l’écho fidèle de la position d’Antisthène dans la mesure où il propose à son tour la critique qui avait été le propre du Socratique, celle des définitions platoniciennes : à ces définitions et à leur prétention à saisir l’essence, considérée comme seule garantie de l’objectivité et de l’univocité des mots de la langue. Théopompe oppose la valeur sémantique immédiate des ὀνόματα, qui ne requiert pas de fondation ontologique et qui en ce sens apparaît libérée, comme chez Antisthène, de toute théorie de l’essence. La dernière partie du fragment est d’ailleurs manifestement un rappel de la réduction des ποιότητες à des paroles vides, attestée par Simplicius à propos des Erétriens et de Théopompe ; elle recèle une pointe évidente contre Platon et sa conception de l’universel, mais ramène aussi à l’aspect linguistique de l’objection voulant que l’Idée soit « non signifiante », aspect déjà exploité par Antisthène dans le Sathon et présent par la suite, comme on l’a vu, chez tous les philosophes qui se réclameront de lui.
25Des textes que nous avons examinés jusqu’ici, il résulte qu’il exista au IVe siècle une tradition antiplatonicienne dotée de caractères spécifiques et philosophiquement homogène, et qui avait pour orientation de nier la substantialité de l’universel et de réduire les Idées à de purs produits conceptuels ; cette tradition trouvait sa source dans le Sathon. La thèse d’Antisthène, qui s’accompagnait chez lui du rejet de la fondation métaphysique du langage que Platon demandait à l’εἶδος, constitue, tant historiquement que théoriquement, l’origine directe de la conception des idées comme images mentales qui fut plus tard celle des Stoïciens47. Mais elle fut reprise avant eux par les philosophes d’Erétrie et par Théopompe de Chios, auteur d’un écrit Contre l’enseignement de Platon dans lequel il se réclamait explicitement d’Antisthène ; ce sont eux qui relancèrent la thèse antisthénienne du primat du ποιόν sur la ποιότης, soutenant en outre, avant les Stoïciens, la corporéité des qualités inhérentes aux individus empiriques compris comme substances composées, et, au moins en ce qui concerne Théopompe, reprenant à leur compte la conception sémantique d’Antisthène et sa critique des définitions platoniciennes.
26À la lumière de ces conclusions, il convient maintenant de prendre en considération un passage d’Aristote qui se trouve dans le livre H de la Métaphysique et qui constitue pour nous le dernier témoignage que l’on puisse inscrire dans la tradition du Sathon :
De sorte que la difficulté que soulevèrent les partisans d’Antisthène, et d’autres aussi peu formés, a une certaine pertinence. Ils soutenaient qu’il n’est pas possible de définir l’essence parce que la définition est un discours long, mais qu’il est possible, en revanche, de définir et d’expliquer la qualité d’une chose ; par exemple l’argent : on ne dira pas ce que c’est, mais on dira que c’est comme de l’étain48.
27Parmi tous ceux qu’Aristote apporte sur Antisthène, ce témoignage est le seul dans lequel le nom d’Antisthène est remplacé par l’expression οἱ Ἀντισθένειοι, à laquelle vient s’ajouter la mention d’un autre groupe de philosophes qui ne sont pas mieux identifiés ; c’est pourquoi ce texte a été souvent cité pour prouver la diffusion des doctrines logiques d’Antisthène et l’existence d’une école liée à son nom, à une époque antérieure à la constitution du cynisme. L’examen auquel nous avons procédé jusqu’ici permet de comprendre quelle est la signification du mot Ἀντισθένειοι, et en outre – compte tenu de la dette de Théopompe vis-à-vis d’Antisthène et surtout de l’objectif antiplatonicien de l’aporie rappelée dans la Métaphysique – il devient manifeste qu’avec l’expression οἱ οὕτως ἀπαίδευτοι Aristote se réfère proprement à Théopompe de Chios. Ce dernier, vers 343, se trouvait certainement parmi les intellectuels grecs qui entouraient Philippe de Macédoine et il demeura longtemps à la cour, jusqu’à son rappel par Alexandre à Chios. Or, comme on sait, Aristote fut appelé par Philippe à la cour de Macédoine en 343-342 et il y resta jusqu’en 335, année de son retour à Athènes. C’est postérieurement à cette date que furent rédigés les trois livres Z, H, Θ de la Métaphysique, que Düring situe dans la seconde période athénienne, entre 334 et 33249. Il importe surtout de ne pas oublier, car c’est là le point décisif pour l’identification, que la critique des définitions platoniciennes, avec la mention explicite du concept de τί ἐστι figurant dans le passage de la Métaphysique, est attestée pour Théopompe par le fragment de son écrit que nous a conservé Epictète.
28Quant à l’intérêt théorique du témoignage d’Aristote, il réside en ceci : montrer que la négation par Antisthène de la réalité de l’essence devait nécessairement avoir pour contrepartie, dans le domaine logique et encore une fois dans un but antiplatonicien, la négation de la possibilité de définir celle-ci. Il est significatif, en ce sens, que l’argumentation polémique élaborée par les Antisthéniens limite l’exclusion de l’ὁρισμός à la définition prétendant énoncer l’essence et laisse en revanche subsister la définition qui énonce la qualité propre : pareille argumentation vise à établir – et c’est en cela qu’elle reçoit l’approbation d’Aristote – que le τί ἐστι auquel Platon confère l’être entraîne avec lui sa propre indéfinissabilité50. La conclusion, que le simplex peut simplement être nommé – conclusion seulement implicite dans ce raisonnement – ressort plus clairement du témoignage d’Épictète sur Théopompe, qui, sur ce point également, confirme et précise le sens du passage aristotélicien : à la prétention platonicienne de ἕκαστα ὁρίζεσθαι se substitue la simple profération des noms, c’est-à-dire la reconnaissance du fait que, en lui-même, chacun d’eux est naturellement porteur de sens.
Notes de bas de page
1 Sur Antisthène, je me permets de renvoyer à mon ouvrage, Oikeios logos. La filosofia del linguaggio di Antistene, « Elenchos. Collana di testi e studi sul pensiero antico » XX, Napoli, 1990. Les fragments et témoignages ont été rassemblés par F. Decleva Caizzi, Antisthenis fragmenta, « Testi e documenti per lo studio dell’antichità » XXVIII, Milano-Varese, 1966, et par G. Giannantoni, Socratis et socraticorum reliquiae, « Elenchos. Collana di testi e studi sul pensiero antico » XVIII, vol. II, Napoli, 1990 (cité par la suite S.S.R.).
2 Ou plus exactement, si on respecte la vulgarité du vocabulaire, quelque chose comme l’argot « braquemart » ou, mieux encore, « chibre ». On sait que le Sathon était cité dans un écrit important qui appartient à la tradition antiplatonicienne de l’époque hellénistique, le Πρὸς τὸν Φιλοσωκράτην du grammairien Hérodicos de Babylone, membre, à Pergame, de l’école de Cratès. Cet écrit fut à son tour la source d’Athénée, XI, 507a (= S.S.R., V A, 147). Pour l’occasion qui suscita cet écrit, cf. Diogène Laërce, III, 35 (= S.S.R., V A, 148) qui rattache la genèse du Sathon à l’attaque que Platon avait lui-même lancée contre la doctrine antisthénienne du οὐκ ἔστιν ἀντιλέγειν dans l’Euthydème, 287 a, passage où la tradition voyait une allusion à Antisthène, comme le montre Diogène Laërce, IX, 53 (= S.S.R. V A, 154). Pour le titre, cf. Photius, Lexicon, s. v. σάθη, et les Scholia in Theocritem, IV, 62 c Wendel (à propos desquels voir R. Fenk, Adversarii Platonis, diss. Jena 1913, p. 80). Des témoignages d’Hérodicos et de Diogène Laërce il résulte que le Sathon était un dialogue, et puisqu’il est hautement probable que la discussion de la doctrine des Idées (c’est-à-dire de la doctrine dans laquelle Platon s’était, de la façon la plus voyante, éloigné de Socrate : voir Aristote, Métaphysique, N, 9, 1086a37-b5) ait été développée dans un dialogue socratique, il est raisonnable de conclure que Sathon, c’est-à-dire Platon, ait été l’interlocuteur principal de Socrate dans un dialogue où le « maître » devait démontrer au « disciple » la thèse d’Antisthène, selon laquelle les Idées ne sont autres que de purs concepts.
3 Pour une analyse des tomes six (qui contenait les écrits à caractère logico-dialectique) et sept (qui contenait les écrits relatifs au problème de la paideia) du catalogue des œuvres d’Antisthène, voir A. Brancacci, Oikeios logos, op. cit., pp. 21-34, en particulier pp. 28-29 pour le Sathon. Sur cet écrit, voir également F. Dümmler, Akademica. Beilrage zur Literaturgeschichte der sokratischen Schulen, Giessen, 1889, p. 202.
4 Voir Simplicius, In Aristot. Cat., 8b25, p. 208, 28-32 (= S.S.R., V A, 149).
5 Voir Tzetzes, Chiliades, VII, 605-609 (= S.S.R., V A, 149).
6 Cf. Elias, In Porphyr. Isagog., 1, 9, p. 47, 12-19 ; Ammonius, In Porphyr. Isagog., p. 40, 6-10 (= S.S.R., V A, 149).
7 Cf. David, In Porphyr. Isagog., 1, 9, p. 109, 12-19 ; Elias, In Porphyr. Isagog., 1, 9, p. 47, 12-19 (deest in S.S.R.).
8 Elias, In Aristot. Cat., 8b25, p. 208, 28-30 (= S.S.R., V A, 149).
9 Pour tout cela, je renvoie à mon ouvrage Oikeios logos, op. cit., pp. 175- 177.
10 Simplicius, In Aristot. Cat., 8b25, p. 211, 15-21 (deest in S.S.R.) : γνωριμώτερον δὲ καὶ προσεχέστερον ἡμῖν τῆς ποιότητος τὸ ποιόν, εἴπερ τὴν μὲν ποιότητα καὶ ἀναιροῦσί τινες, ὡς μηδὲ ὑφεστῶσαν ὅλως, τὸ δὲ ποιὸν οὐδεὶς ἀναιρεῖ, καὶ τὸν μὲν ἵππον ὁρᾶν ὁμολογεῖ ὁ Ἀντισθένης, τὴν δὲ ἱππότητα μὴ ὁρᾶν, καὶ τὸ μὲν ἐν ὀφθαλμοῖς ὁρᾶται, ἡ δὲ τῷ λογισμῷ καταλαμψάνεται, καὶ τὸ μὲν ἐν αἰτίου τάξει προηγεῖται, τὸ δὲ ὡς ἀποτέλεσμα ἕπεται, καὶ τὸ μέν ἐστι σῶμα καὶ σύνθετον, τὸ δὲ ἁπλοῦν καὶ ἀσώματον.
11 Platon, Théétète, 182a4-b1 : Σκόπει δή μοι τόδε αὐτῶν· τῆς θερμότητος ἢ λευκότητος ἢ ὁτουοῦν γένεσιν οὐχ οὕτω πως ἐλέγομεν φάναι αὐτούς, φέρεσθαι ἕκαστον τούτων ἅμα αἰσθήσει μεταξύ τοῦ ποιοῦντός τε καὶ πάσχοντος, καὶ τὸ μὲν πάσχον αἰσθητικὸν ἀλλ’ οὐκ αἴσθησιν ἔτι γίγνεσθαι, τὸ δὲ ποιοῦν ποιόν τι ἀλλ’ οὐ ποιότητα ; ἴσως οὖν ἡ “ποιότης” ἅμα ἀλλόκοτόν τε φαίνεται ὄνομα καὶ οὐ μανθάνεις ἁθρόον λεγόμενον· κατὰ μέρη οὖν ἄκουε.
12 Voir P. Chantraine, Études sur le vocabulaire grec, Paris, 1956, p. 21.
13 Voir Platon, Théétète, 181b-182a.
14 Cf. ibid., 182b-e ; Cratyle, 439d-440e.
15 Comme l’observe M. Narcy, « Qu’est-ce qu’une figure ? Une difficulté de la doctrine aristotélicienne de la qualité », Concepts et catégories dans la pensée antique, Études publiées sous la direction de P. Aubenque, Paris, 1980, p. 205.
16 Ammonius, In Porphyr. Isagog., p. 40, 6-10 (= S.S.R., V A, 149) : Ὁ τοίνυν Ἀντισθένης ἔλεγε τὰ γένη καὶ τὰ εἴδη ἐν ψιλαῖς ἐπινοίαις εἶναι λέγων ὅτι “ ἵππον μὲν ὁρῶ, ἱππότητα δὲ οὐχ ὁρῶ ” καὶ πάλιν “ ἄνθρωπον μὲν ὁρῶ, ἀνθρωπότητα δὲ οὐχ ὁρῶ ”. Ταῦτα ἐκεῖνος ἔλεγε τῇ αἰσθήσει μόνῃ ζῶν καὶ μὴ δυνάμενος τῷ λόγῳ εἰς μείζονα εὕρεσιν ἑαυτὸν ἀνενεγκεῖν. Cf. Id., ibid., p. 41, 4 et Tzetzes, Chiliades, VII, 605-609.
17 Pour la doctrine de l’ἐπίσκεψις τῶν ὀνομάτων et la conception de la dialectique chez Antisthène, je renvoie à la reconstruction que j’en ai donnée dans Oikeios logos, op. cit., pp. 119-171.
18 Sextus Empiricus, Advenus Mathematicos, VII, 81-82 (= 82 B 3 D.K.) : (81) Ὥσπερ τε τὰ ὁρώμενα διὰ τοῦτο ὁρατὰ λέγεται ὅτι ὁρᾶται, καὶ τὰ ἀκουστὰ διὰ τοῦτο ἀκουστὰ ὅτι ἀκούεται, καὶ οὐ τὰ μὲν ὁρατὰ ἐκψάλλομεν ὅτι οὐκ ἀκούεται, τὰ δὲ ἀκουστὰ παραπέμπομεν ὅτι οὐχ ὁρᾶται (ἕκαστον γὰρ ὑπὸ τῆς ἰδίας αἰσθήσεως ἀλλ’ οὐχ ὑπ’ ἄλλης ὀφείλει κρίνεσθαι), οὕτω καὶ τὰ φρονούμενα καὶ εἰ μὴ βλέποιτο τῇ ὄψει μηδὲ ἀκούοιτο τῇ ἀκοῇ ἔσται ὅτι πρὸς τοῦ οἰκείου λαμψάνεται κριτηρίου. (82) Εἰ οὖν φρονεῖ τις ἐν πελάγει ἅρματα τρέχειν, καὶ εἰ μὴ βλέπει ταῦτα, ὀφείλει πιστεύειν ὅτι ἅρματα ἔστιν ἐν πελάγει τρέχοντα. Ἄτοπον δὲ τοῦτο· οὐκ ἄρα τὸ ὂν φρονεῖται καὶ καταλαμψάνεται.
19 Voir G. Calogero, Studi sull’ eleatismo, Roma, 1932, pp. 199-203.
20 Voir Sextus Empiricus, Advenus Mathematicos, VII, 78-80.
21 Cf. Platon, Parménide, 130c1-6.
22 Alexandre d’Aphrodise, In Aristot. Meta., pp. 81, 26-82, 1 (= De Ideis, fr. 3 Ross) : Ὁ λόγος ὁ ἀπὸ τοῦ νοεῖν κατασκεύαζων τὸ εἶναι ἰδέας τοιοῦτός ἐστιν. Εἰ ἐπειδὰν νοῶμεν ἄνθρωπον ἢ πεζὸν ἢ ζῷον, τῶν ὄντων τέ τι νοοῦμεν καὶ οὐδὲν τῶν καθ’ ἕκαστον – καὶ γὰρ φθαρέντων τούτων μένει ἡ αὐτὴ ἔννοια – δῆλον ὡς ἔστι παρὰ τὰ καθ’ ἕκαστα καὶ αἰσθητὰ ὃ καὶ ὄντων ἐκείνων καὶ μὴ ὄντων νοοῦμεν· οὐ γὰρ δὴ μὴ ὄν τι νοοῦμεν τότε. Τοῦτο δὲ εἶδός τε καὶ ἰδέα ἐστίν.
23 Cf. Aristote, Méta., A, 9, 990b1-15.
24 Alexandre d’Aphrodise, In Aristot. Meta., p. 82, 1-7 : Φησὶ δὴ τοῦτον τὸν λόγον καὶ τῶν φθειρομένων τε καὶ ἐφθαρμένων καὶ ὅλως τῶν καθ’ ἕκαστά τε καὶ φθαρτῶν ἰδέας κατασκεύαζειν, οἷον Σωκράτους, Πλάτονος· καὶ γὰρ, τούτους νοοῦμεν καὶ φαντασίαν αὐτῶν φυλάσσομεν καὶ μηκέτι ὄντων σώζομεν· φάντασμα γάρ τι καὶ τῶν μηκέτι ὄντων. Ἀλλὰ καὶ τὰ μηδ’ ὅλως ὄντα νοοῦμεν, ὡς Ἱπποκένταυρον, Χίμαιραν· ὥστε οὐδὲ ὁ τοιοῦτος λόγος ἰδέας εἶναι συλλογίζεται.
25 – Ἀλλὰ, φάναι, ὦ Παρμενίδη, τὸν Σωκράτη, μὴ τῶν εἰδῶν ἕκαστον ᾖ τούτων νόημα, καὶ οὐδαμοῦ αὐτῷ προσήκῃ ἐγγίγνεσθαι ἄλλοθι ἢ ἐν ψυχαῖς· οὕτω γὰρ ἂν ἕν γε ἕκαστον εἴη καὶ οὐκ ἂν ἔτι πάσχοι ἃ νυνδὴ ἐλέγετο.
– Τί οὖν; φάναι, ἓν ἕκαστόν ἐστι τῶν νοημάτων, νόημα δὲ οὐδενός ;
– Ἀλλ’ ἀδύνατον, εἰπεῖν.
– Ἀλλὰ τινός ;
– Ναί.
– Ὄντος ἢ μὴ ὄντος ;
– Ὄντος.
– Οὐχ ἑνός τινος, ὃ ἐπὶ πᾶσιν ἐκεῖνο τὸ νόημα ἐπὸν νοεῖ, μίαν τινὰ οὖσαν ἰδέαν ;
– Ναί.
– Εἶτα οὐκ εἶδος ἔσται τοῦτο τὸ νοούμενον ἓν εἶναι, ἀεὶ ὂν τὸ αὐτὸ ἐπὶ πάσιν ;
– Ἀνάγκη αὖ φαίνεται (Platon, Parménide, 132 b 4-c 8).
26 Voir E. Gilson, L’Être et l’essence, Paris, 2e éd. 1972, pp. 32-34 ; Y. Lafrance, « Sur une lecture analytique des arguments concernant le non-être », Revue de philosophie ancienne 2, 1984, pp. 41-76.
27 Cf. Platon, Parménide, 130e4-131e8.
28 Pour cette équation, cf. Proclus, In Plat. Cratyl, 37 (= S.S.R., V A, 155), et les observations qu’a faites sur elle P. Aubenque, Le Problème de l’être chez Aristote, Paris, 4e éd. 1977, pp. 100-104 ; A. Brancacci, Oikeios logos, op. cit., pp. 256-257.
29 Cf. Platon, Parménide, 132c9-11.
30 Voir G. Colli, La natura ama nascondersi, a cura di E. Colli, Milano, 1988, p. 313 n. 8.
31 Pour Antisthène, voir Porphyre, Scholia ad Odyss., α 1 (= S.S.R., V A, 187). Les occurrences dans Parménide sont : B 16, 4 (τὸ πλέον ἐστὶ νόημα) ; B 8, 50 (νόημα ἀμφὶς ἀληθείης) ; B 8, 34 (ταὐτὸν νοεῖν τε καὶ οὕνεκέν ἐστι νόημα) ; Β 7, 2 (εἷργε νόημα), D.K. Pour Xénophane, voir B 23, 2 ; pour Gorgias, B 11 ; pour Antiphon, B 9, D.K.
32 Cf. Platon, Sophiste, 251b-c. Pour le rejet de cette identification, voir A. Brancacci, Oikeios logos, op. cit., p. 239 (et tout le contexte).
33 Pour toute cette partie, cf. ici., ibid., pp. 85-118 et 226-262.
34 Sur ce point, cf. id., ibid., p. 177.
35 Simplicius, In Arist. Cat., p. 216, 12-14 (= S.S.R., III F, 19) : Διὸ καὶ οί ἀπὸ τῆς Ἐρετρίας ἀνῄρουν τὰς ποιότητας ὡς οὐδαμῶς ἐχούσας τι κοινὸν οὐσιῶδες, ἐν δὲ τοῖς καθ’ ἕκαστα καὶ συνθέτοις ὑπαρχούσας.
36 C’est à tort que I. Düring, Herodicus the Cratetean. A Study in Anti-Platonic Tradition, Stockholm, 1941, p. 145, traduit Criticism of the discourses of Plato, traduction qui supposerait un pluriel : cf. Diogène Laërce, II, 77, à propos de Bion de Boristhène, où διατριψαί équivaut précisément à des « écrits laissés en héritage », ou encore à des « leçons recueillies par des disciples », comme le note B. Schouler, Libanios. Discours moraux, Paris, 1973, p. 32 n. 1.
37 Epist. Socr., XXVIII, 12 (= Speusippe, fr. 156 Isnardi Parente). Sur cette lettre, voir la note de commentaire de M. Isnardi Parente, Speusippo. Frammenti, « La scuola di Platone », vol. I, Napoli, 1980, pp. 391-402.
38 Là-dessus, voir I. Düring, Herodicus, op. cit., pp. 144 sqq.
39 Athénée, XI, p. 508c-d (= 115 fr. 259 F.G.H. = S.S.R., V A, 42) : Καὶ γὰρ Θεόπομπος ὁ Χῖος ἐν τῷ κατὰ τῆς Πλάτωνος διατριψῆς “τούς πολλούς ”, φησί, “τῶν διαλόγων αὐτοῦ ἀχρείους καὶ ψευδεῖς ἄν τις εὕροι· ἀλλοτρίους δὲ τούς πλείους, ὄντας ἐκ τῶν Ἀριστίππου διατριψῶν, ἐνίους δὲ κἀκ τῶν Ἀντισθένους, πολλούς δὲ κἀκ τῶν Βρύσωνος τοῦ Ἡρακλεώτου”.
40 Sur Alcimos, qui fut l’auteur d’un ouvrage en quatre livres dirigé contre le mathématicien platonicien Amyntas, voir E. Schwartz, s. v. Alkimos, R.E., I, col. 1543-1544, et, pour des indications bibliographiques supplémentaires, M. Untersteiner, Problemi di filologia filosofica, a cura di L. Sichirollo et M. Venturi Ferriolo, Milano, 1980, p. 125.
41 Sur ce problème, voir A. Brancacci, « Ι κοινῇ ἀρέσκοντα dei Cinici e la κοινωνία tra cinismo e stoicismo nel libro VI (103-105) delle Vite di Diogene Laerzio », Aufstieg und Niedergang der romischen Welt, hrsgb. von W. Haase und I. Temporini, Teil II, Principal, Bd. 36.6, Berlin-New York, 1992, pp. 4049- 4075.
42 Diogène Laërce, VI, 14 (= S.S.R., V A, 22 = 115 fr. 295 F.G.H.) : Τοῦτον (sc. Άντισθένην) μόνον ἐκ πάντων Σωκρατικῶν Θεόπομπος ἐπαινεῖ καί φησι δεινόν τ’ εἶναι καὶ δι’ ὁμιλίας ἐμμελοῦς ὑπαγαγέσθαι πανθ’ ὁντινοῦν.
43 Simplicius, In Aristot. Cat., 8b25, ρ.216, 16-17 (= 115 fr. 359 F.G.H.) : Καὶ Θεόπομπος δὲ τὸ μὲν γλυκύ σῶμα διὰ ταῦτα ἀπεφήνατο συνεστηκέναι, τὴν δὲ γλυκύτητα οὐκέτι.
44 Cf. Platon, Sophiste, 247c.
45 Simplicius, In Aristot. Cat., p. 216, 12-14 (= S.S.R., III F, 19) : Οὔτε γὰρ σώματα οὔτε ἀσώματα ἐτίθεντο εἶναι τὰς ποιότητας, ψιλὰς δὲ μόνας ἐννοίας αὐτὰς ὑπελάμβανον διακένως λεγομένας κατ’ οὐδεμιᾶς ὑποστάσεως, οἷον ἀνθρωπότητα ἢ ἱππότητα.
46 Epictète, Diss., II, 17, 5-6 (= 115 fr. 275 F.G.H.) : Τὸ δ’ ἐξαπατῶν τούς πολλούς τοῦτ’ ἔστιν, ὅπερ καὶ Θεόπομπον τὸν ῥήτορα ὅς που καὶ Πλάτωνι ἐγκαλεῖ ἐπὶ τῷ βούλεσθαι ἕκαστα ὁρίζεσθαι. Τί γὰρ λέγει; “ Οὐδεὶς ἡμῶν πρὸ σοῦ ἔλεγεν ἀγαθὸν ἢ δίκαιον; ἢ μὴ παρακολουθοῦντες τί ἐστι τούτων ἕκαστον ἀσήμως καὶ κενῶς φθεγγόμεθα τὰς φωνάς ;”
47 Voir Aëtius, I, 10, 5 (= S.V.F., II, fr. 360) ; pour Zénon en particulier, voir Stobée I, 136, 21 (= S.V.F., I, fr. 65). Pour la position des Stoïciens, je renvoie à la récente analyse de J. Brunschwig, « La théorie platonicienne du genre suprême et l’ontologie platonicienne », Matter and Metaphysics, ed. by J. Barnes and M. Mignucci, Napoli, 1988, pp. 76-85.
48 Aristote, Méta., H, 3, 1043b23-28 (= S.S.R., V A, 150) : Ὥστε ἡ ἀπορία ἣν οἱ Ἀντισθένειοι καὶ οἱ οὕτως ἀπαίδευτοι ἠπόρουν ἔχει τινὰ καιρόν, ὅτι οὐκ ἐστιν τὸ τί ἐστιν ὁρίσασθαι (τὸν γὰρ ὅρον λόγον εἶναι μακρόν), ἀλλὰ ποῖον μέν τί ἐστιν ἐνδέχεσθαι καὶ δίδαξαι, ὥσπερ ἄργυρον, τί μέν ἐστιν οὔ, ὅτι δ’ οἷον καττίτερος.
49 Voir I. Düring, Aristotele, trad. ital., Milano, 1976, p. 663.
50 Sur le passage d’Aristote, voir A. Brancacci, Oikeios logos, op. cit., pp.231-236.
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