Chapitre premier. Esthétique et poétique de l’écriture mémorialiste
p. 18-43
Texte intégral
1Le statut semi-confidentiel des Mémoires, rédigés dans le secret et l’isolement, écrits pour les proches, ou encore leur vocation de documents pour servir à l’histoire de France (brouillons à mettre en forme) expliquent qu’ils n’aient fait l’objet d’aucune théorisation. En dépit de cette absence de théorisation, ou encore d’institution du genre, on constate une convergence d’autant plus étonnante de ces textes. Les définir comme un genre implique qu’on leur reconnaisse un air de famille tant dans la forme que dans le contenu. L’analyse de l’écriture mémorialiste vise à établir les éléments communs à tous les Mémoires et qui, au delà des variantes textuelles spécifiques, expliquent cet « air de famille ». Cette parenté non-concertée des Mémoires semble indiquer l’existence chez les mémorialistes d’un même « outillage mental »1 présent au moment de l’écriture et susceptible d’expliquer la similitude de pratiques isolées. De cet outillage mental on ne perçoit que des traces éparses sous la forme des modèles invoqués2, de visions du monde, de croyances, et des pratiques scripturales à l’œuvre dans les textes. On les repère en analysant les différents discours auxquels recourent les mémorialistes pour construire leur argumentation. Cet outillage mental est activé par les situations psychologiques similaires à l’origine de l’écriture mémorialiste et qui correspondent au sentiment de privation du statut social de l’auteur. Spolié de ses droits, il l’est du même coup de son identité. Le nouveau rapport des nobles à l’histoire se lit dans leur volonté d’assumer eux-mêmes la façon dont ils y seront représentés.
2De même qu’il est difficile de repérer les modèles d’écriture dont disposent les mémorialistes, il n’est pas non plus facile de définir l’esthétique de l’écriture mémorialiste d’après ce que les mémorialistes nous en disent. Leurs déclarations sur l’œuvre se concentrent essentiellement dans les préfaces et, si on les retrouve dans le corps des Mémoires, elles reprennent les mêmes arguments ou bien portent sur l’organisation du texte. Elles signalent le début et la fin des digressions : « Or, faut retourner à nostre matière principale, et à ce siège que ledit duc tenoit devant Nancy [...] »3 ; ou elles mentionnent les sources de l’information relatée et la position du mémorialiste par rapport à ses sources (témoin oculaire ou bien témoin de seconde main) ; ou elles justifient de la présence d’un épisode par rapport à l’économie globale du texte :
Je me fusse bien passé de ce propos, si ce n’eust esté pour monstrer, que bien tard un prince se doit mettre sous la main d’un autre, ni aller chercher son secours en personne ; et ainsi, pour retourner à ma principale matière4.
3De façon générale, ce métadiscours reflète les intentions des mémorialistes, et par là présente un intérêt ; mais il est parfois plus fécond d’observer les réalisations textuelles concrètes qui font apercevoir l’esthétique mémorialiste.
4Les Mémoires partagent tout d’abord une même situation d’énonciation5. Quel que soit le statut du mémorialiste, le récit de ses actes est motivé par le sentiment d’une injustice touchant sa personne et qu’il se doit de réparer6. L’entreprise mémorialiste se fonde sur une cause à plaider, une image à défendre. L’écriture mémorialiste, de fait, se constitue en une argumentation serrée où il s’agit de défendre les actes d’une carrière officielle qui participent de façon intrinsèque à l’image personnelle de leur protagoniste. Suivant les traditions de la rhétorique classique7, le mémorialiste évoquera rapidement les attaques, les diffamations dont il a été l’objet, de telle sorte que la noirceur des chefs d’accusation soulignera l’intégrité de son comportement. Ces accusations se présentent comme une série de discours rapportés, contre lesquels le mémorialiste s’insurge et à partir desquels il organise son apologie. Dans ce simulacre de procès, le mémorialiste prend en charge à la fois l’accusation et la défense ; quant au lecteur, il est institué en juge après Dieu. Cette situation définit le contrat de lecture des Mémoires. Si l’on en croit Commynes, ils viennent pallier un manque : qui juge les grands ? Car pour les petits et les pauvres, le problème ne se pose pas, ils sont assez punis du fait de leur état :
Mais des grands princes ou des grandes princesses, de leurs grands gouvernements et des conseillers des provinces et villes désordonnées et désobeyssantes à leur seigneur, et de leurs gouverneurs, qui s’informera de leur vie ? L’information faite, qui l’apportera au juge ? Qui sera le juge qui en prendra la connoissance, et qui en fera la punition ?8
5La question préoccupe Commynes, il y revient quelques pages plus loin en reprenant la même formulation qui, à partir des termes très concrets d’« information », « plainte », « juge », et « punition », pose le décor du tribunal. Indirectement les Mémoires où sont consignés les faits historiques participent à l’instruction du procès des grands et prennent ici leur sens premier de dossier réunissant les pièces nécessaires à la juridiction :
J’ay donc demandé dans un article précédent qui fera l’information des grands, et qui l’apportera au juge, et qui sera le juge qui punira le mauvais ? Je réponds à cela que l’information sera la plainte et clameurs du peuple qu’ils foulent et oppressent en tant de matières, sans en avoir compassion ni pitié ; les douloureuses lamentations des veufves et orphelins, dont ils auront fait mourir les maris et pères [...] et généralement tous ceux qu’ils auront persécutés, tant dans leurs personnes qu’en leurs biens. Ceci sera l’information, et leurs grands cris pour plaintes et piteuses larmes les présenteront devant Nostre Seigneur, lequel sera le vray juge, qui par adventure ne voudra attendre à les punir jusques à l’autre monde, mais les punira en cettuy-cy9.
6Avant d’entamer le récit-plaidoyer de sa vie, le mémorialiste multiplie ses promesses de ne dire que la vérité, et en un sens, elles tiennent lieu de serment non pas sur la foi, mais sur cette nouvelle Bible qu’est la vérité historique. Si pendant la narration, l’auteur a tous les pouvoirs, c’est en revanche au lecteur qu’il appartient, en dernier lieu, de juger. Son verdict est sollicité pour valider l’image du mémorialiste et de façon générale, sa vision de l’Histoire.
7Evoquant le sort tragique de Savonarole, condamné au bûcher avec ses compagnons pour ses prédictions parce que, à la colère de certains Italiens, elles s’avéraient exactes, Commynes relate que le pape :
leur envoya pouvoir et commissaire pour faire le procès ; et, fin de compte, ils les bruslèrent tous trois. Les charges n’estoient sinon qu’il mettoit discort en la ville, et que ce qu’il disoit de prophétie, il le sçavoit par ses amys qui estoient du Conseil. Je ne les veux point accuser ni excuser, et ne sçay s’ils ont fait bien ou mal de l’avoir fait mourir ; mais il a dit maintes choses vrayes, que ceux de Florence n’eussent sçu luy avoir dites. Mais touchant le roy, et des maux qu’il dit luy devoir advenir, luy est advenu ce que vous voyez : qui fut, premier la mort de son fils, puis la sienne : et ay vu des lettres qu’il escrivoit audit seigneur10.
8Tout en prétendant s’en défendre Commynes n’en donne pas moins son avis : la justesse des prédictions de Hièronyme aurait dû faire qu’on l’épargnât. Si Commynes relate cette affaire, c’est parce que sa situation de « conseiller maudit » pour avoir raison le rend solidaire du destin du frère « devin ». Hièronyme menace le roi du châtiment de Dieu s’il ne vient pas chasser les tyrans d’Italie. Le devin et le conseiller se trouvent, à l’égard du roi, dans des situations presque semblables : tous deux préconisent une certaine politique, repoussée par le roi et dont ils seront en dernier lieu victimes. Commynes souligne indirectement par cette anecdote le sort injuste du conseiller : derrière le récit ponctuel du procès de Hièronyme se profile son propre procès qui se déploie tout au long du texte. Il insiste sur sa position de neutralité et prétend s’en tenir aux informations qu’il apporte, laissant au lecteur le soin de juger. Le récit exemplaire du rôle du narrateur et des enjeux du texte, illustre ainsi la situation très particulière dans laquelle le lecteur est placé : sans aucune dérobade possible, son jugement est sollicité. Les faits d’après lesquels le lecteur jugera relèvent de l’argumentation que met en place l’écriture mémorialiste, leur présentation oriente de façon déterminante le jugement du lecteur. Qui, après l’exposé de Commynes, oserait condamner Hièronyme ?
9L’écriture mémorialiste se compose d’un discours historique dans lequel s’inscrit le discours personnel ; ces deux discours s’égrènent au fil d’une chronologie à la fois historique et affective. Les grands temps du récit sont ceux qui marquent les différentes étapes de la vie du mémorialiste, le récit d’enfance ou bien le récit des premiers succès, celui de la grâce, écriture de l’âge d’or, de la jeunesse promue au rang du mythe, « tout me sourit » : puis survient le récit de la disgrâce, événement central dans la vie du mémorialiste, et motivant l’écriture des Mémoires. L’expérience de la disgrâce ne représente pas seulement un des mobiles psychologiques de l’écriture des Mémoires, elle appelle et impose en réponse un type très particulier de discours. L’accusé doit se disculper et, pour ce faire, il a recours à un discours relevant du plaidoyer. Les Mémoires de Commynes font, à juste titre, figure de pionnier du genre puisqu’il semble que ce soit dans ce texte qu’on trouve pour la première fois la combinaison discursive qui, selon nous, crée un nouveau genre. Celui-ci n’émerge, en effet, qu’à partir du moment où, aux formes historiographiques objectives, s’ajoute le besoin d’une revendication personnelle qui adopte la forme la plus efficace, et d’ailleurs souvent éprouvée dans le propre passé du mémorialiste, celle du plaidoyer. Commynes donne le ton de cette écriture volontairement démystifiante. Les impératifs de clarté et de précision caractérisent cette écriture mais participent également de la stratégie rhétorique. Il s’agit de convaincre de l’authenticité des faits rapportés : le sentiment de transparence du récit résulte en grande partie de la clarté et de la précision de l’écriture, à laquelle contribue également la rationalisation extrême des arguments.
10La grande majorité des récits sont écrits à la première personne et cet emploi est associé par le mémorialiste à la prise en charge totale de ce qui est écrit. Non seulement, il assume la responsabilité de ce texte, mais encore il apporte son nom, sa personne, son passé et son prestige en garantie de ce qui y figure. Le mémorialiste, par ces interventions fréquentes dans le texte, rappelle et souligne son statut de narrateur, détenteur de l’information et du savoir. Ces rappels ne sont pas naïfs, ils réactivent d’une certaine façon la situation conflictuelle du narrateur avec le pouvoir qui dispense une autre version de l’histoire. L’écriture mémorialiste, de ce fait, est une écriture à la fois polémique et militante. Elle cherche à convaincre de la réalité de l’image du mémorialiste et se fait dissidente lorsqu’elle dénonce et brise les mythes, déplace les accents ou pose les couronnes sur des têtes jugées plus méritantes.
11Cette énonciation de l’histoire dans une situation de marginalité est intimement liée à la naissance de la notion de personne, non plus définie en accord avec un groupe et son idéologie, ce qui l’autorise à s’en faire le porte-parole, mais contre eux. Cette situation de marginalité est trop incertaine, pour s’exprimer à la Renaissance. A ce stade, les choses peuvent se dire du point de vue de l’individu, mais seront-elles reçues ? Cette incertitude qui pèse sur le crédit que le lecteur accordera au récit explique que les mémorialistes n’exploitent pas leur marginalité, mais, tout au contraire, prétendent que leurs comportements, leurs choix ont été conformes à un système de valeurs morales, à caractère universel. L’intérêt de cette attitude qui consiste à éviter de revendiquer sa marginalité est d’être révélatrice d’un moment tout à fait particulier dans l’histoire de la notion de personne. L’individu a une conscience suffisamment aiguë de lui-même pour entreprendre d’écrire ses Mémoires ; mais, informé de l’image péjorative attachée à son entreprise, il met en place tout un système justificatif fonctionnant comme stratégie de compensation de la marginalité.
12Ainsi les Mémoires naissent de la conjonction de plusieurs types de discours différents, chaque texte réalise une combinaison et un dosage spécifiques de ces discours. Pour les Mémoires de Commynes par exemple, le plaidoyer se lit en filigrane de la biographie royale et permet le discours des conseils aux princes. Les deux derniers discours perçus comme modèle officiel des Mémoires n’interviennent cependant pas dans la structure profonde du récit ; ils jouent en quelque sorte le rôle de couverture générique permettant l’intrusion d’un discours implicite et inavoué : le discours personnel qui se greffe sur le discours du plaidoyer. Quand Commynes défend telle ou telle position au nom du bon sens et de l’intérêt, il plaide également pour son système de valeur, pour sa vision du monde.
13La participation de ces discours aux Mémoires est marquée par la présence d’un certain nombre de formes caractéristiques : des portraits et descriptions où le sujet s’estompe devant la pénétration du regard du mémorialiste, on le voit déjà avec Commynes et cette tendance ira en s’accentuant. Outre les panégyriques, cette valorisation du narrateur l’autorise à ajouter de nombreuses considérations morales et des leçons. L’ensemble des Mémoires de Commynes est articulé à partir d’une chronologie épousant celle de la vie de Louis XI mais reflétant surtout les différents moments de sa carrière de conseiller. La biographie royale et les conseils aux princes déterminent en partie les formes du récit ; le plaidoyer, lui, conditionne ses contenus et son économie. Disgracié et emprisonné, Commynes a rédigé un plaidoyer visant à sa disculpation, mais aussi à sa réhabilitation « professionnelle ». Relevé par J. Dufournet11, cet élément est significatif pour comprendre les visées de l’écriture mémorialiste. La réhabilitation représente l’enjeu du discours personnel centré sur la représentation du moi chez Commynes et ceux qui le suivront. Les stratégies rhétoriques du plaidoyer, telles qu’elles sont exposées par Quintilien12, sont reprises et mises en œuvre dans un texte centré sur la réhabilitation du protagoniste. Les Mémoires les plus anciens datant de la fin du xve siècle comme ceux de Commynes et du « jeune advantureux », cachent leur jeu et s’annoncent comme une biographie royale ou récits de campagnes militaires, genres consacrés. Cependant, l’auteur de cette biographie, et les mémorialistes en général, se considérant comme les victimes d’un pouvoir politique injuste, le texte aura de par cette dissonance un aspect insolite si on le compare aux canons du genre de la biographie. En dépit des emprunts à la biographie royale et aux conseils aux princes, la spécificité générique des Mémoires relève du plaidoyer qui leur confère leur structure fondamentale. Assurant le modèle de l’organisation profonde du texte, le plaidoyer épouse ses impératifs de rigueur, de logique, et sa rhétorique pour convaincre ses lecteurs. Les critères du plaidoyer rejoignent ceux de l’historiographie moderne, prônée par les humanistes. Ils confèrent au genre sa nouveauté de même qu’ils assurent son adéquation aux besoins de l’époque13.
14 Pionnière, pour mettre son public en confiance, cette expression de l’individu s’appuie dans un premier temps sur les solides déterminations génériques de chacun des discours qu’elle investit. Dans un deuxième temps, la juxtaposition de ces discours neutralise leur spécificité générique et permet leur appropriation par le discours personnel. La biographie royale retrace les étapes triomphantes du règne du souverain dont la gloire rejaillit inévitablement sur le fidèle conseiller qui s’arrange pour qu’on comprenne qu’il en est l’artisan secret. Ainsi valorisés, qu’ils aient eux aussi été conseillers ou encore soldats, Commynes et les autres mémorialistes s’accordent le droit de théoriser leur expérience sous la forme de préceptes. Ici Commynes indique le traitement à réserver aux ambassadeurs :
Et pourraient demander ceux qui liraient cet article, les remèdes que j’y ai vus, qui en sçauroient plus que moy ; mais voicy que je feroye. Ceux qui viennent des vrays amys et où il n’y a point de matière de suspection, je seroye d’avis qu’on leur fist bonne chère, et voir le prince assez souvent, selon la qualité dont serait la personne dudit prince : j’entends qu’il soit sage et honneste (car quand il est au contraire, le moins le montrer est le meilleur)14.
15La mise en valeur du conseiller ne va pas sans ternir quelque peu l’image du roi, qui dès lors n’est plus l’infaillible représentant de Dieu sur terre. La notion d’individu s’élabore à partir de cette revendication fondamentale des Mémoires, qui au fil de l’écriture se transforme rapidement en critique. De là, il semble que l’autorité abusivement détenue par le pouvoir investit celui qui, victime, en dénonce les méfaits, conférant ainsi à sa revendication une force nouvelle. En dépit des serments répétés des mémorialistes dans leur préface, les Mémoires ne se contentent pas de donner un récit transparent des événements passés. L’écriture mémorialiste dépasse largement celle d’un rapport puisqu’elle choisit et organise les faits en une construction logique et orientée par les besoins rhétoriques du mémorialiste cherchant à donner de lui une certaine image et à justifier sa vision du monde.
16Sauf pour de Thou qui rédige ses Mémoires en latin, le français est la langue employée pour tous les Mémoires sans jamais donner lieu à une réflexion allant au-delà de la simple mention alors qu’à la même époque l’histoire s’écrit encore souvent en latin. L’usage du français dénote ici la volonté des mémorialistes de se démarquer de la littérature historique conventionnelle et de s’aligner sur les nouveaux principes historiographiques. Ecrire en français plutôt qu’en latin pourrait exprimer la volonté d’atteindre un public plus large, mais si c’était le cas, les mémorialistes auraient plutôt choisi les langues vernaculaires mieux connues de leur entourage que le français. Le choix du français est à considérer en fonction des deux autres alternatives possibles ; le latin, comme les langues vernaculaires sont évités parce qu’elles confineraient les Mémoires à un public trop réduit et entraveraient leur caractère novateur. Implicitement l’usage du français donne aux Mémoires un caractère officiel, ils sont rédigés dans la langue de la cour. La langue dans laquelle s’exprimaient les grands capitaines ou les hommes politiques à la cour doit être également celle des Mémoires en vertu du principe de transparence de l’écriture que posent les mémorialistes dès la préface. Leur récit se fera au plus près de la réalité pour respecter le critère de vérité et garantir l’exactitude historique de leur narration. Mais, même si les sphères du pouvoir sont concernées, le français, depuis 153215, est bien la langue officielle, et plus précisément celle de la justice. L’usage du français semble aller de soi : hormis Commynes qui le signale parce qu’il délègue à l’archevêque Cato la tâche de la rédaction « en vers et en latin »16, la majorité des mémorialistes le pratique sans ressentir le besoin de s’en justifier.
17Le style est volontairement médiocre. Il ne s’agit plus d’une histoire jouée aux grandes orgues, briguant le statut de l’épopée ; sa facture sera celle d’un brouillon ; ses personnages seront les hommes quotidiens, représentés de la façon la plus vraisemblable et la plus humaine possible, sans que les mémorialistes cherchent à les auréoler de prestige, ou à les figer dans des attitudes héroïques. En adoptant une forme humble, les mémorialistes misent sur sa souplesse, sur son absence de contraintes ; cette forme les séduit précisément parce qu’elle les laisse libres de la pratiquer et de la modeler à leur guise17. A part d’Aubigné, aucun mémorialiste ne jouit de la renommée d’un homme de lettres. Les plus instruits sont aussi les plus exposés à l’influence de la littérature, leur écriture est soignée, claire et se lit comme un œuvre littéraire. On pense en particulier aux Mémoires de Marguerite de Valois et à ceux d’Henri de Mesme. Le style est le vecteur par lequel se transmet le message paradoxal des Mémoires : ils s’écrivent dans un style humble pour transmettre l’idée de la grandeur du personnage. Mais le style, c’est encore davantage au sens où il représente la manifestation la plus intime de l’auteur et nous met en contact direct avec ce qui définit l’unicité de l’individu. Transposé dans le domaine sensoriel, le style correspondrait à la respiration, au son de la voix, bref à une présence à la fois physique et spirituelle. La personnalité en général très forte des mémorialistes marque le style de son empreinte et confère au récit son rythme mais aussi sa saveur, sa coloration et en dernier lieu définit son authenticité.
18Marguerite de Valois cherche à prouver qu’elle a compris l’histoire politique à laquelle elle a été impliquée, cette volonté se reflète dans la structuration même de son écriture et se traduit par des phrases principales décrivant l’événement central auxquelles se greffent un nombre important de causatives et de relatives. A première lecture, l’impression est celle d’un texte dense sinon touffu puis les explications deviennent vite indispensables à la lecture apportant ce sentiment de compréhension lumineuse où il ne manque rien.
19De fait, les Mémoires naissent d’un amalgame de formes apparentées à la narration historique, mais, et c’est là que réside leur nouveauté, centrées sur la représentation du moi-narrateur et protagoniste. Les différentes formes qui composent les Mémoires ne relèvent pas du hasard, leur détermination générique rencontre les intérêts argumentatifs du mémorialiste. Si l’essentiel des Mémoires apparaît comme une narration historique empruntant aux modèles de la chronique et du rapport militaire ou diplomatique, il est bien clair que cette narration se plie aux besoins de la représentation du moi. On comprend que le choix des types de discours qui s’organisent spécifiquement autour de la personne soit privilégié comme le plaidoyer, la confession, l’état médical et mental, etc.
20Le mémorialiste présente son apologie comme un plaidoyer, il expose en suivant assez scrupuleusement la chronologie toutes les pièces du dossier de sa carrière parmi lesquelles les accusations lancées contre lui, il s’agit de défendre sa réputation et même plus son image pour la postérité car les rôles qu’il a tenu s’inscrivent au registre de l’histoire nationale. Le ton de la confession se rencontre dans les passages où Dieu est évoqué soit comme témoin, soit comme ultime destinataire du texte, il génère un ton humble accompagné de quelques formules de repentir mais il ne donne jamais lieu à des épanchements intimes. Quant à l’état médical, il est mentionné pour souligner la gravité de la réaction du mémorialiste à la suite d’événements marquants. Marguerite de Navarre s’alite dès qu’ Henri, duc d’Anjou et Catherine de Médicis lui retirent leur confiance. A la vue du spectre (de sa mère) d’Aubigné tombe gravement malade. A l’annonce de la mort de son fils, Charlotte de Mornay s’évanouit. Toutes ces mentions vont dans le même sens : elles soulignent la fragilité de l’individu, ses sensibilités et surtout ses limites.
21 La chronologie historique et objective, telle qu’on la trouve dans les formes précédemment évoquées, fait souvent place à une chronologie personnelle, sans qu’on puisse proprement parler de rupture, mais plutôt de glissement. En effet, la chronologie personnelle et affective du mémorialiste est, elle aussi, liée aux événements historiques, mais l’auteur se réserve le droit de relater les faits en fonction de leur impact psychologique et donc subjectif plus que de leur occurrence chronologique et objective. La forme de la narration historique pose un cadre qui garantit l’exactitude des faits relatés, le discours personnel en y introduisant sa chronologie propre y suscite toutes sortes de perturbations. Par le discours personnel, le narrateur assume les fonctions du régisseur, tire les ficelles de la narration, décide de l’éclairage, des accents, des silences, des accélérations, des ralentissements, et même des omissions qui représentent autant de « turbulences » temporelles du récit. Obligé d’intervenir pour signaler et justifier les ruptures chronologiques, travaillant à expliquer la cohérence du récit, le narrateur y occupe une place centrale : il devient indispensable non seulement au récit mais surtout à sa compréhension. Médiateur entre les informations qu’il apporte et le lecteur, il est lié de façon organique à son texte.
22Le passage suivant, extrait des Mémoires de Commynes, montre bien l’ingérence du narrateur dans son récit. Il aurait pu adopter une formulation neutre : « Ce qui mouvoit... » ; mais la formule choisie est beaucoup plus volontaire et marque clairement la soumission du récit, de son organisation à la volonté toute puissante du narrateur :
Or est il temps que j’achève de desclarer qui mouvoit ledit connestable, le duc de Guyenne et de ses principaux serviteurs (vu les bons tours, secours et grandes honnestetés que ledit duc de Guyenne avoit reçues dudit duc de Bourgogne), et quel gain ils pouvoient avoir à mettre ces deux grands en guerre, qui estoient en repos en leurs seigneuries. Jà ay dit quelque chose, et que c’estoit pour maintenir plus surement leurs estais, et que le roy ne brouillast parmy eux, s’il estoit en repos18.
23Cette exposition est typique de la narration historique dans les Mémoires : celle-ci ne se contente pas d’informer mais intègre l’information à un système signifiant, mettant en jeu, ici par exemple, une série de causalités. Celle ci est donnée dans une hiérarchie (raison principale, raison secondaire), synonyme d’ordre et de sens, dont Commynes revendique la responsabilité :
Mais cela n’estoit point encores la principale occasion ; mais estoit que le duc de Guyenne et eux avoient fort désiré le mariage dudit duc de Guyenne avec la seule fille et héritière du duc de Bourgongne, car il n’avait point de fils [...]. Or regardez quel tour ces gens prenoient pour cuyder parvenir à leur intention, et contraindre ledit duc de bailler sa fille19.
24L’impératif « regardez » est très fréquent dans les Mémoires de Commynes, il s’adresse au destinataire Cato et vise le lecteur en général, l’impliquant ainsi dans les différentes phases de la narration :
Ainsi concluez que toute cette guerre se faisoit pour contraindre ledit duc à se consentir à ce mariage ; et que l’on abusoit le roy, de luy conseiller d’entreprendre cette guerre ; et que de toutes ces intelligences que on luy disoit avoir au pays dudit duc n’estoit point vray, mais tout mensonge, ou peu s’en falloit20.
25En dépit du ton catégorique nécessaire pour asseoir la démonstration (« Ainsi concluez... »), l’autorité du mémorialiste sur son lecteur est cependant beaucoup plus précaire que celle de l’auteur d’œuvres de fiction. Pour ces dernières, c’est un pacte de lecture de l’ordre du tout ou rien qui relie l’auteur au lecteur ; celui-ci accepte ou non d’entrer dans l’univers imaginaire qui se déploie dans l’œuvre. Pour les Mémoires, en revanche, le pacte de lecture est constamment mis à l’épreuve : l’univers de référence est de l’ordre du réel, de l’Histoire. L’entreprise paraît infiniment plus complexe. Tout se passe comme si le mémorialiste, en brossant le cadre historique connu du lecteur, y inscrivait simultanément l’histoire de sa vie. Elle procède d’une reconstruction que le lecteur corrobore à chaque instant avec un savoir historique extérieur et antérieur aux Mémoires et dont le souvenir s’émousse au fil des ans. Ainsi, il est impossible d’établir avec certitude les données historiques, concernant la Saint Barthélemy par exemple21. C’est pourquoi, sans négliger l’importance du savoir historique événementiel, il semble au moins aussi pertinent de s’intéresser au contenu du discours personnel et à son historicité.
26 Le modèle discursif le plus proche du discours personnel est sans doute celui du plaidoyer, en raison de la similitude de leur structure argumentative. Le principe démonstratif est sous-jacent à la représentation de la personne. Pour convaincre le lecteur de la cohérence du portrait, l’auteur doit donner de lui une image aussi unie et rationnelle que possible, étayée du maximum de preuves. Or il est intéressant d’observer que le même phénomène est à l’œuvre dans l’écriture de l’histoire. Le narrateur ne peut pas livrer les événements en vrac, dans le désordre de leur occurrence, dans leur incohérence. La tâche de l’historien, une fois qu’il a réuni ses documents, est de les organiser, et là, il s’avère que le principe de chronologie n’opère pas une classification suffisamment significative. Intervient alors tout l’arsenal de la rationalisation : il faut lier les événements entre eux, ce qui implique de remonter à un temps antérieur à celui de la narration. La rupture de la chronologie historique de la narration a pour conséquence l’introduction d’une autre chronologie qui épouse les principes de la logique du récit, et surtout celui de la causalité. Une fois ces digressions achevées, il faut resituer le lecteur, non plus dans la chronologie historique puisqu’elle a été brisée mais dans la chronologie interne de la narration. Ainsi il apparaît que la narration historique est soumise au discours personnel et à la solide armature rhétorique qui organise le texte en profondeur.
27L’adhésion du lecteur est en grande partie liée à la rationalité de la narration. Le texte est crédible non pas tant parce que la chose racontée est véridique mais parce qu’elle est logique, se comprend et est acceptée en tant que telle. Ainsi l’analyse de l’écriture mémorialiste permet de démontrer le fonctionnement d’un mécanisme assez subtil liant le rationnel au vraisemblable, alors que ce lien est totalement illusoire : ce n’est pas parce que les choses paraissent plausibles qu’elles ont nécessairement une réalité historique.
28La caractéristique essentielle de l’écriture mémorialiste, on l’a vu, réside dans l’imbrication de ces deux discours de nature différente, et ayant des statuts opposés :
- d’une part le discours historique, descriptif, explicatif, rationalisant, précis à en être quelquefois sec comme un rapport. Ce discours a des modèles déclinés, le plus saillant est celui des Commentaires de César. Il est en tout cas public, officiel et est souvent l’œuvre d’un historien professionnel. Ce récit doit se plier aux impératifs de l’historiographie, portant sur la diversité de la documentation, sur son authenticité ainsi que sur une exposition rigoureuse et rationnelle des faits ;
- d’autre part le discours personnel, qui représente le pôle qui nous intéresse le plus en raison de sa nouveauté dans l’horizon culturel de la Renaissance. Son intérêt vient de ce qu’il exprime à nos yeux l’une des premières manifestations de cet individualisme spécifique de la Renaissance. Certes, il n’a pas fallu attendre la Renaissance pour voir des nobles disgraciés et démis de leur statut, mais ce n’est, en revanche, que dans le contexte de la Renaissance que les nobles ont recours à l’écriture pour défendre leur nom.
29L’initiative que prennent les nobles d’opposer leurs récits aux décisions catégoriques du pouvoir manifeste un nouveau rapport d’un certain type d’individus à l’histoire : elle revêt à leur yeux une signification et une importance qu’elle n’avait pas auparavant. Si leur combat est perdu dans le présent, il leur importe que leur nom, la gloire de leurs actes atteignent la postérité. Se sentant trahis par le pouvoir, les mémorialistes n’ont plus aucune raison de faire confiance aux récits des historiens plus ou moins commandités par le roi. Le conflit avec le pouvoir se double, comme le signale P. Nora, d’un conflit de classes : les historiens sont des roturiers, peu enclins, sans doute, à chanter les louanges de cette vieille noblesse d’épée dont elle ne cesse de ronger les attributions :
Cette fortune des Mémoires s’affirme fortement en France, au temps de la Renaissance, et elle sera si durable que certains pourront y voir par la suite un genre spécifiquement français. Elle tient au prestige social d’une aristocratie traditionnellement peu cultivée, mais qui n’entend pas être dépossédée au profit de roturiers, si savants soient-ils, du droit de raconter l’histoire ; à la nécessité, vaguement ressentie, d’opposer à une historiographie toujours plus ou moins orientée par le pouvoir royal, un libre témoignage, à la qualité, enfin, de certains chroniqueurs médiévaux et surtout le plus remarquable d’entre eux, Commynes, dont le rayonnement fut immense et dont les Chroniques, rebaptisées Mémoires, fournissent un modèle de narration historique capable de rivaliser avec les anciens22.
30La nécessité de parer à l’attaque et à la « dépossession » est vitale car elle met en cause toutes les composantes de leur identité (rang, statut, qualités personnelles, gloire acquise). Cette identité est liée à la nouvelle conception de la personne, et s’élabore à partir d’une redistribution des notions chevaleresques et traditionnelles de l’honneur, de la gloire, de la justice, auxquelles s’ajoute, à la Renaissance, la notion de la responsabilité personnelle devant la vie, notion chrétienne où s’inscrit l’initiative personnelle.
31Les circonstances politiques et psychologiques s’enrichissent du débat sur l’historiographie qui pose le témoignage direct comme principe essentiel du récit et d’où les mémorialistes tirent la légitimité de leur entreprise. Ils sont les protagonistes et donc les témoins les plus directs et les mieux informés, leur récit sera le « plus » historique. Dès la préface, les mémorialistes déploient un effort considérable pour situer génériquement leurs écrits par rapport à cette problématique historiographique. Implicitement, leur embarras à manier une nouvelle forme, eux, qui dans l’ensemble ne sont pas des hommes de lettres, se lit au travers des différents modèles qu’ils invoquent pour permettre au lecteur de situer ce type de témoignage.
32Résultant d’une conjoncture politique et culturelle complexe, les Mémoires représentent une nouvelle tribune où l’individu, soudainement dépouillé des attributs qui le définissaient, crie à l’injustice et surtout cherche à prouver par l’écriture qu’en marge des décisions du pouvoir, il n’en poursuit pas moins son existence. Cette attitude constitue l’étape significative et indispensable qui conduira à l’individu causa sui de l’ère moderne, et à l’apparition en corollaire de l’autobiographie.
33A partir de la Renaissance et de l’avènement d’un pouvoir royal centralisé, au-delà de la fonction se profile l’individu. Ce dépassement explique l’entreprise mémorialiste : toute atteinte dans le domaine qu’on qualifiera de professionnel est perçue comme une atteinte à la personne dont la dimension dépasse désormais le seul domaine social. L’analyse de l’écriture mémorialiste passe par l’étude des liens qui unissent le discours personnel au discours historique ; ils traduisent au niveau de l’écriture, les catégories précédemment évoquées de la personne et de la fonction.
34Les modèles du discours personnel et plus exactement ceux de la représentation du moi sont beaucoup plus complexes à repérer que ceux du discours historique, ils ne sont pas déclinés et s’inscrivent en creux dans le texte. Si les Confessions de saint Augustin sont considérées par les théoriciens de l’autobiographie comme l’ancêtre modèle du genre, il semble que la large diffusion de ce texte en France ait eu lieu au xviie siècle plutôt qu’à la Renaissance. La pratique de la prière personnelle et de la confession chrétienne ont à coup sûr encouragé l’expression personnelle mais l’ont aussi maintenue dans les limites du contexte religieux. Les modèles classiques comme les Vies de Plutarque ont sans doute influencé une certaine façon de présenter la personne et surtout privilégié certains segments de son histoire comme annonciateurs et d’emblée significatifs de ce qui adviendra. Les schèmes de la poésie lyrique23, en ce qu’ils autorisent et indiquent les modalités d’une expression profane de l’individu, ont pu contribuer à libérer le discours personnel des interdits religieux qui l’aliénaient, mais il est en quelque sorte transcendé par le cadre de la fiction dans lequel il se déploie et demeure de toute façon tributaire des modèles fictionnels littéraires.
35Même quand les modèles sont déclinés comme c’est le cas dans les Mémoires-Journaux de Pierre de L’Estoile24 qui se recommande des Essais de Montaigne, la modalité de fonctionnement du modèle reste encore obscure. On ne voit pas très bien en quoi l’entreprise de Montaigne a pu guider celle de Pierre de L’Estoile. Dans les grandes lignes de leurs projets, on constate chez l’un et l’autre une même vision de l’homme toutefois leur pratiques scripturales sont diamétralement opposées : Montaigne tente de cerner l’homme à partir de lui-même alors que L’Estoile relate les comportements, consigne les dires, les écrits et n’ajoute qu’un commentaire de surface, témoin de l’opinion d’une classe beaucoup plus que de celle d’un individu25.
36Le repérage des modèles du discours personnel est d’autant plus délicat que la plupart des mémorialistes sont des hommes de guerre qui, en dépit des progrès de l’humanisme, demeurent encore héritiers du mépris de leur classe pour les lettres26. Les romans et les poèmes, bon pour les femmes et leurs damoiseaux, ne font pas bon ménage avec la poudre et le glaive. De même, l’intensité de l’expression personnelle ainsi que sa qualité dépendent de la formation et de la richesse du bagage littéraire des auteurs. Ainsi les Mémoires de Marguerite de Valois, ceux de d’Aubigné, de Charlotte du Plessis-Mornay, et d’Henri de Mesmes ne sont pas comparables à ceux de soldats, comme Pape, Saint Auban, ou Merle. Les motifs de l’écriture sont semblables, mais les réalisations reflètent, bien entendu, les compétences littéraires des auteurs. Plutôt que d’émettre un jugement de valeur, il s’agit surtout par cette comparaison de mettre en relief les facteurs déterminant l’expression personnelle : l’humanisme et l’essor qu’il apporte dans l’étude des belles lettres joue ici un rôle déterminant.
37L’avantage des Mémoires, genre historique à référent réel et à tendance laïque, à la Renaissance, est d’offrir un tout autre contexte à l’épanouissement du discours personnel. Il s’y libère du cadre religieux et l’historicité de son commentaire lui interdit tout recours à la fiction. Cette alliance du discours personnel à l’historique et à l’officiel détermine un champ nouveau et profane propice à l’expression de l’individu. Le discours personnel, tel qu’il apparaît dans les Mémoires, se distingue des autres discours personnels susceptibles de lui avoir servi de modèle, du fait de son lien structurel au discours historique. Il le conditionne, sémantiquement et formellement.
38Cette dichotomie des Mémoires et l’interdépendance de ses deux discours avaient déjà été signalées en des termes voisins dans les notices que rédigent les historiens Michaud et Poujoulat. Le malaise qu’ils éprouvent devant l’irruption du discours personnel dans le cadre historique se lit tout d’abord dans l’incapacité consciente à le nommer :
Ainsi il y a deux parties à considérer dans les Mémoires : la partie historique, et la partie que j’appellerai philosophique, faute de trouver un autre nom qui y soit plus applicable27.
39L’historien éprouve le besoin de hiérarchiser ces deux types de discours, et de condamner les intrusions du narrateur pour le « désordre » qu’elles y jettent. L’état d’esprit qui a présidé à cette édition des Mémoires est marqué par la conception positiviste de l’histoire au xixe siècle. C’est ce qui explique le parti pris catégorique contre le discours personnel (« sans contredit ») et en revanche, mais dans le même ordre d’idées, la louange de la chronologie, apanage du récit historique par excellence :
La partie historique est sans contredit la plus importante et la plus remarquable. L’ordre chronologique n’y est assez exactement suivi que depuis François Ier jusqu’à la fin du règne de Charles IX, c’est à dire pour ce qui concerne le maréchal de Tavannes. Sur les règnes d’Henri III, de Henri IV et de Louis XIII, on ne trouve que des faits isolés, semés ça et là suivant le besoin que le vicomte de Tavannes pouvait en avoir pour appuyer ses enseignements et ses conseils28.
40Puis l’historien semble se rappeler que, somme toute, Tavannes ne s’était pas assigné comme but d’assurer la cohérence chronologique d’une édition historique du xixe siècle, et il amorce un revirement qui retire à sa critique toute pertinence. Il va même jusqu’à accorder au mémorialiste qu’après tout son récit est conforme à son « plan », mais assurément c’est lui faire trop d’honneur et le mot « plan » est rapidement remplacé par celui de « liberté », pris dans un sens ironique que souligne le dernier mot, sérieux, cette fois et destiné à caractériser définitivement et sans équivoque la démarche du mémorialiste, celui de « désordre », comble de l’horreur pour l’homme méthodique que doit être l’historien :
C’était une conséquence nécessaire du plan que l’auteur s’était tracé, où plutôt de la liberté qu’il s’était donnée. Mais on comprend aisément quel désordre cela jette dans les Mémoires29.
41A la critique de la partie historique « la plus importante et la plus remarquable » succède la critique de la partie philosophique que nous apparentons au discours personnel :
Il faut le dire, la partie philosophique est la partie la plus faible, j’ajouterai la partie la plus ennuyeuse de l’ouvrage. Les dissertations du vicomte de Tavannes ne sont souvent que des divagations écrites en assez mauvais style, et empreintes de l’irritation que sa disgrâce lui avait causée. Elles sont d’ailleurs jetées au hasard, sans plan, sans méthode, sans liaison. Elles ne servent pour la plupart qu’à rendre la lecture des Mémoires difficile et fatigante30.
42Les notices que l’historien prend la peine de rédiger, d’ailleurs fort utiles au lecteur pour l’aider à se repérer dans le dédale de la narration historique, sont aussi destinées à vanter les mérites de la collection, car si ce texte est illisible, pourquoi donc le publier ? Comme s’il était gêné par la sévérité de ses critiques, l’historien atténue quelque peu son jugement :
Cependant il est possible de temps à autre d’en tirer quelque profit [...] on pourrait y puiser d’utiles notions sur les mœurs et les idées de la noblesse au xvie siècle31.
43Si ces quelques lignes semblent annoncer les nouvelles positions idéologiques des historiens, préludant à la « nouvelle histoire », à l’école des Annales et à l’histoire des mentalités, elles demeurent toutefois minoritaires au xixe siècle. La tendance générale de la critique historienne et celle qui a présidé à l’édition des Mémoires visent la dévalorisation catégorique du discours personnel, dénonce l’intrusion de la subjectivité dans la narration historique pour promouvoir une vision et une écriture « objective » de l’histoire. Nantis de ce type de présupposés théoriques et idéologiques, les historiens du xixe siècle ne pouvaient entreprendre qu’une lecture très déformante des Mémoires, négligeant ce pour quoi, à mon sens, les Mémoires furent écrits : permettre l’expression d’un individu défendant son identité, c’est-à-dire, dans la langue du xvie siècle, son honneur.
44Cet aspect traditionnellement dévalorisé de l’écriture mémorialiste représente en fait sa motivation profonde et lui confère son organisation. Si l’on retient cette perspective, la distribution hiérarchique et traditionnelle des discours est totalement inversée, le discours personnel tient le premier rang parce que c’est à partir des besoins rhétoriques de la représentation du moi que s’organise et se déploie le discours historique. Davantage, les événements de la narration historique sont secondaires et subordonnés, ils ne servent que de support à la représentation du protagoniste dans l’histoire. La preuve en est, comme s’en plaint assez Michaud d’ailleurs, que si le protagoniste ne l’a pas animée, l’histoire ne sera pas mentionnée. Sa présence dans le temps du récit est entièrement et uniquement conditionnée par l’activité du mémorialiste. Le maréchal n’ayant pas été spécialement actif sous Henri III, Henri IV et Louis XIII, Tavannes, fidèle à la logique interne de l’écriture mémorialiste, ne s’étend pas sur leur règne, alors qu’il en est contemporain. Et s’il parle du maréchal, son père, c’est que le rappel de ses prouesses fait voir combien son sort à lui, fils d’un tel père, est injuste. La Cour l’a spolié de la jouissance de la gloire acquise par le père. Telle est la logique qui gouverne l’écriture de ses Mémoires, et qui détermine le segment d’histoire rapporté.
45Dans une certaine mesure, les mémorialistes sont responsables de la méprise qui marque la lecture de leur textes, mais ils n’en sont pas coupables. Tout se joue autour des interdits qui pesaient sur le discours personnel. A cause de sa nouveauté, de son caractère polémique et subversif dans le cas des Mémoires, il fallait le protéger et le parrainer, voire le déguiser. La ressemblance formelle entre la narration historique et l’écriture mémorialiste se prêtait bien au subterfuge adopté par l’ensemble des mémorialistes. Ce que contiennent ces écrits est vrai, disent-ils, et au xvie siècle quoi de plus véridique que l’histoire, quoi de plus vrai qu’un rapport ou une déposition devant la cour (de justice) ? A cette différence essentielle – que les mémorialistes de la Renaissance ne sont pas encore à même de formuler – qu’il ne s’agit plus de défendre une vérité absolue ou bien même collective, et parfois nationale, mais plutôt une vérité personnelle, relative, qui, par essence, pose problème.
46Aucune place n’est faite aux Mémoires du xvie siècle dans les anthologies actuelles de la littérature, si ce n’est parfois à Commynes, retenu non pas pour sa valeur littéraire mais parce qu’il est le premier à donner l’exemple de l’historiographie moderne en français. En revanche les anthologies mentionnent les Mémoires du xviie siècle, pour signaler leur valeur littéraire ou bien leur portée moraliste comme pour les Mémoires de Saint-Simon par exemple. Que s’est-il passé entre les xvie et les xviie siècles qui puisse rendre compte de l’accès des Mémoires à la canonisation générique ? Cette attitude de l’institution littéraire est justifiée par les critères établis au cours d’une longue tradition, ne retenant que les chefs- d’œuvre littéraires canonisés, ou bien couronnant ceux qui leur ressemblent le plus. Ainsi que le montre M.-T. Hipp, les Mémoires du xviie siècle sont informés par les schèmes romanesques, beaucoup plus que ne l’étaient les Mémoires du xvie siècle. Il semble que la perméabilité de ces textes à l’influence romanesque a déterminé d’une part l’évolution du genre des Mémoires, et a, d’autre part, également assuré sa promotion comme genre reconnu32.
47L’idée que les mémorialistes eux-mêmes se faisaient de leur Mémoires n’est pas si différente de l’attitude institutionnelle des anthologies. Il est clair, en effet que les mémorialistes du xvie siècle ne visaient pas à écrire une œuvre littéraire. S’ils en attendaient une certaine forme de gloire, celle-ci était d’un autre ordre que celle dont jouit l’artiste. Du point de vue du mémorialiste, son œuvre est déjà accomplie, avant le texte et hors de lui. Il s’est réalisé sur le champ de bataille, ou au service de l’état, mais puisque sa gloire est remise en doute, davantage même, quand souvent son nom est diffamé par les mauvaises langues ou par un gouvernement peu pressé de reconnaître les services rendus pour repousser l’échéance de leur rétribution, alors il ne lui reste plus que sa plume pour se rendre justice, il ne se bat plus pour acquérir la gloire mais pour défendre une gloire qu’il croyait acquise.
48Il ne s’agit pas d’une écriture à prétention artistique mais bien d’un rapport d’activités construit selon les règles du plaidoyer. Dépourvus d’ambitions littéraires, mais animés d’un besoin vital de reconnaissance, les mémorialistes considèrent l’écriture comme un moyen, souvent le seul et ultime, pour faire reconnaître les services rendus, convaincre de leur véracité, afin de recouvrer leur gloire active de soldats ou d’hommes politiques, mais certainement pas d’écrivains. Le parallèle ébauché ici entre le mémorialiste et l’écrivain pour souligner la spécificité de l’écriture mémorialiste comparée à l’écriture artistique met en évidence un aspect typiquement renaissant et cette fois commun aux deux sortes auteurs ; l’un et l’autre voient dans la gloire de quoi nourrir l’image de leur être. Pour l’écrivain, l’acte glorieux se réalise dans et par l’écriture, dans une transparence totale. Le mémorialiste, dont la gloire est à la fois antérieure et extérieure à l’écriture, ne dispose cependant plus que de l’écriture pour défendre son passé qui lui est aussi un statut. Méfiant à l’égard d’un outil qu’il ne manie pas toujours très bien, mais fort de la puissance existentielle de son message, le mémorialiste prend sa plume, comme jadis il avait pris l’épée et pose le principe de transparence du récit à son passé. Les commentaires qu’il ajoute à la narration de ses exploits n’en sont qu’un prolongement, et possèdent eux aussi une valeur d’exemple :
en consignant ses propres actions, l’auteur, d’une certaine façon, les met à distance et les compose comme en un portrait de lui-même ; « le beau commentaire » qu’un Monluc y attache accorde à chacune d’elles une sorte de valeur exemplaire et la traite comme une matière qui n’est plus tout à fait sienne33.
49 Cette distanciation sert la rhétorique apologétique du mémorialiste : en objectivant ses arguments, il augmente leur pertinence. De même, les Mémoires jouent sur une certaine confusion entre le temps objectif de l’histoire et la chronologie personnelle.
50Le passage du discours historique au discours personnel s’effectue grâce à la « souplesse » chronologique des Mémoires, le temps officiel se confond et parfois s’efface devant le temps privé. De même la bivalence de la notion de personne, officielle et privée, permet au mémorialiste de figurer à la fois dans le cadre historique et dans le cadre personnel. L’atout majeur de l’écriture mémorialiste, c’est la manipulation du temps que la linéarité de l’écriture lui permet. Elle le donne comme un, alors qu’il est multiple. Le passé du souvenir apparaît composé d’une mosaïque de passés surgissant dans le désordre. La durée de chacun est affaire de mémoire, c’est là encore qu’intervient la subjectivité. Quand l’individu restitue son expérience, il doit unifier non seulement les fragments de temps qui l’ont composée mais encore et surtout les différentes facettes de son identité qui y ont participé. Le principe d’unification apparaît donc inhérent à la stratégie de représentation du sujet.
51Mais à l’instar du temps, la cohésion du Je est une illusion de surface. Les scissions sont visibles et elles se manifestent dans ces arrêts du récit proprement dit pour y introduire des informations acquises a posteriori. Ces ruptures de la narration se perçoivent à la différence des points de vue qu’elles induisent : elles sont émaillées de jugements de valeur, comme, par exemple, la courte apologie du marquis de Beaupréau par Marguerite de Valois, qui réunit dans la même haleine l’évocation de l’enfance et le savoir postérieur qui ne peut être que celui de l’adulte :
(en l’esprit duquel la nature, pour avoir fait trop d’effort de son excellence, excita l’envie de la fortune jusques à luy estre mortelle ennemie, le privant par la mort, en son an quatorziesme, des honneurs et couronnes qui estoient justement promises à la vertu et magnanimité qui reluisoient en son esprit)34.
52L’écriture mémorialiste, et c’est là un de ses atouts, donne comme unique et cohérent ce qui est rupture et morcellement. Les clivages du Je, s’estompant dans la linéarité de l’écriture, sont de plus cimentés par la visée argumentative qu’ils servent. Tout l’enjeu d’un tel texte réside dans la cohérence du message qu’il livre. Les clivages du « Je » s’expriment par des fractures chronologiques. Marguerite de Valois, adulte, commente rétrospectivement une scène de son enfance afin d’y inscrire des qualités personnelles permanentes et innées. Ces digressions adultes trouent le récit d’enfance en ce qui concerne leur contenu mais aussi la syntaxe. Elles s’expriment par des relatives, marquant les ramifications de la phrase et de la pensée ; elles peuvent être encore plus marquées typographiquement, véritables îlots dans la narration comme la longue parenthèse citée ci-dessus.
53Cette technique d’écriture rend la lecture des Mémoires parfois déroutante : le texte apparaît comme une foisonnante forêt de pistes. A peine le lecteur s’est-il engagé dans l’une qu’il est aussitôt ramené à l’autre. Cependant si l’on se sent souvent submergé par la multitude des informations et des personnages, puisque l’enjeu du texte réside dans la cohérence de son message, finalement on ne se perd que pour mieux se retrouver. Le mémorialiste en multipliant les pistes rend compte de la densité de l’histoire (et de sa propre vie) et se pose aussi comme l’unique guide capable de mener le lecteur au terme du labyrinthe qu’il a bâti.
54A ce titre, le discours personnel assume un rôle très particulier dans les Mémoires, il représente un principe organisateur qui choisit, classe et présente les événements historiques épars en un tout cohérent. Dans un univers entièrement régi par les conceptions religieuses comme c’est le cas à la Renaissance, l’absurde n’a pas de place, il est hérétique : toute chose possède une signification au sens où elle est l’effet de la volonté divine. Les hommes de la Renaissance sont intimement persuadés que le monde a un sens même s’ils sont souvent impuissants à le déchiffrer. Le discours personnel produit du sens, et de façon générale, au xvie siècle, il cherche à déceler la volonté de Dieu au travers d’une carrière de vie. L’écriture mémorialiste est animée par la recherche du sens global de l’existence, au moment précis où sa signification publique et sociale est remise en question par les décisions arbitraires du pouvoir. L’échec subi dans le domaine social entraîne un repli sur les valeurs de la personne qui à la Renaissance se définissent à partir des catégories du spirituel et du religieux.
55Partant, peut-on conclure à la spécificité d’une écriture catholique par rapport à l’écriture protestante ? Le protestantisme a-t-il eu le temps d’instaurer une façon de penser et de sentir assez différente pour se manifester dans l’écriture ? Il semble que le récit mémorialiste parce qu’il est centré autour d’un récit de vie, est par là-même lourdement tributaire des conceptions religieuses, seules à définir, à la Renaissance, le sens de l’existence. Les récits des protestants présentent de ce point de vue une unité qui les distingue des récits des catholiques. Le récit de vie d’Agrippa d’Aubigné est structuré par les notions protestantes d’élection et de prédestination. Les divers épisodes de sa vie s’inscrivent dans le cadre religieux protestant et en tirent leur signification : le contexte dramatique de la naissance, la mort de la mère, son apparition fantomatique et la forte fièvre qu’elle provoque, le serment exigé du père devant les pendus de la conjuration d’Amboise, les poursuites et menaces qui pèsent sur sa vie, son obstination à s’opposer à la politique d’Henri IV et à ses conversions qui, aux yeux de d’Aubigné, représentent autant de compromissions inacceptables. Puis, emblématique, ce surnom de « bouc du désert » qui définit et résume tout à la fois le sens de sa vie. Tous ces épisodes convergent pour signifier l’élection d’Agrippa, ils ont valeur d’épreuves envoyées par Dieu pour permettre à l’élu de témoigner sa foi35.
56La même structure organise les Mémoires de Charlotte Du Plessis-Mornay36, ils culminent et s’achèvent avec l’annonce de la mort du fils aîné, accueillie et présentée comme une « épreuve » envoyée par Dieu pour détacher le couple du monde. De façon générale, les Mémoires protestants donnent le sentiment que le destin de l’individu se joue entièrement sur terre et sa narration aligne les preuves de l’élection. Si elle est une source de joie spirituelle, l’élection se traduit néanmoins pour les premiers protestants du xvie siècle dans la réalité par des brimades et des persécutions incessantes, il leur faut toute l’ardeur de la foi pour les subir et même s’en glorifier comme de la preuve du choix de Dieu. Les récits catholiques, en revanche, sont marqués par l’espoir de la récompense, qui leur sera accordée s’ils l’ont méritée, après leur mort, une fois que leurs actes auront été pesés. Ainsi pourrait-on dire qu’à destin ouvert correspondra un récit ouvert, tandis que la prédestination en établissant un cadre où tout est déjà déterminé confère aux récits protestants un aspect clos.
57De même que cet essai de typologie du genre des Mémoires ne retiendra pas la religion comme critère distinctif et significatif, il ne retiendra pas non plus le critère du sexe. D’ailleurs, trois exemples seulement de mémorialistes femmes ne nous permettent pas d’établir une spécificité de l’écriture mémorialiste féminine. Quand bien même elle existerait, à quoi serait-elle imputable ? A une éducation différente de celle des hommes, à des expériences de vie spécifiquement féminines, à des références littéraires différentes susceptibles de faire intervenir des modèles d’organisation du récit autres que ceux que nous repérons dans les récits masculins ? S’il s’agissait de bourgeoises ou mieux de femmes du peuple, qui, d’après les thèses de R. Muchembled37, furent les agents privilégiés de la transmission de la culture orale et populaire, il y aurait lieu de penser que leurs Mémoires, si elles en eussent écrit, auraient reflété cet aspect de la culture, s’opposant à la culture masculine, catholique et dominante.
58Evelyne Berriot-Salvadore consacre un chapitre de son livre aux « écrivaines », elle signale le Journal de Louise de Savoie comme marquant un premier jalon dans l’histoire des écrits féminins en tant que « première découverte du pouvoir médiatique de l’écriture : justification pour soi-même et apologie destinée à une opinion publique »38. On ne peut pas déterminer l’influence du Journal de Louise de Savoie sur nos mémorialistes dans la mesure où aucune d’elles ne s’y réfèrent et que la forme de leurs Mémoires n’a pas grand chose de commun avec ce Journal essentiellement structuré par sa chronologie événementielle.
59Ni pour Jeanne d’Albret, Charlotte Du Plessis-Mornay, ou Marguerite de Valois, le fait d’être femme n’est au centre de leurs préoccupations. Marguerite, on l’a vu, campe d’elle l’image d’un personnage politique presque asexué, ce qui lui permet d’intérioriser les normes de l’idéologie masculine dominante. Son état de femme ne sert qu’à renforcer l’image de martyre qu’elle s’applique à tracer au long de ses Mémoires, elle l’exploite pour souligner les discriminations que lui vaut son sexe. Martyrisée en tant que fervente catholique, elle le sera également dans son destin de femme : mariée contre son gré à Henri de Navarre alors qu’elle aimait de Guise, trompée avec ostentation par un mari dont elle ne voulait pas, Marguerite multiplie pourtant les preuves de bonne volonté et en fait état avec une humilité ironique. Elle porte assistance à ses maîtresses, à Fosseuse en particulier, qu’Henri IV emmène en cure aux mois voyants de sa grossesse alors que Marguerite l’attend. L’ironie subtile qui accompagne ses descriptions compense élégamment la part d’apitoiement sur son propre sort :
je passay le temps de ce sejour de (Baniere) en l’attendant, et versant autant de larmes qu’eux beuvoient de gouttes des eaux où ils estoient, bien que j’y fusse accompagnée de toute la noblesse catholique de ce quartier-là, qui mettoit toute la peine qu’elle pouvoit pour me faire oublier mes ennuis39.
60Cédant aux instances d’Henri IV, qui la réveille au point du jour en lui disant :
Mais obligez moy tant que de vous lever à cette heure, et aller secourir Fosseuse qui est fort mal. Je m’asseure que vous ne voudriez, la sentant en cet estat, vous ressentir de ce qui s’est passé. Vous sçavez combien je l’aime ; je vous prie, obligez-moy en cela40,
61Marguerite assiste Fosseuse de son mieux :
Je la feis promptement oster de la chambre des filles, et la mis en une chambre escartée, avec mon médecin et des femmes pour la servir, et la feis tres-bien secourir. Dieu voulut qu’elle ne feit qu’une fille, qui encore estoit morte41.
62Dieu récompense les méritants, certes, mais Marguerite est martyre et le dénouement de cette situation invraisemblable ne manque pas de le rappeler. Une fois Fosseuse délivrée, Marguerite, estimant s’être acquittée, se met au lit pour se remettre de ses émotions, c’est alors qu’Henri IV vient lui demander de se relever pour aller rendre visite à Fosseuse, comme elle le faisait quand ses filles « estoient malades », et pour calmer les rumeurs. Marguerite refuse et, martyre, subit l’injuste colère du roi :
Il se fascha fort contre moy, et, ce qui me despleust beaucoup, il me sembla que je ne meritois pas cette recompense de ce que j’avois fait le matin. Elle le meit souvent en des humeurs pareilles contre moy42.
63Exilée à Usson, Marguerite sera admise de nouveau à la Cour, à la fin du siècle, en échange du divorce qu’elle finit par consentir à Henri IV, après la mort de Gabrielle d’Estrées en 1599. Ses Mémoires ne concernent pas cette période, ils s’interrompent en 1582, alors que Marguerite aurait pu parler de ses succès littéraires, des esprits brillants qu’elle attire ; est-ce parce que cet aspect-là ne s’accorde pas à l’image de victime qu’elle donne d’elle-même, qu’il est délibérément passé sous silence ?
64Quant à Charlotte, elle se fait l’archiviste des écrits, des paroles, en bref de tout ce qui touche à l’activité militante de son mari. Epouse modèle, elle lutte à ses côtés, subit ses disgraces et persécutions, l’accompagne dans ses exils, en bref partage le terrible destin de l’Elu. Pour l’une comme pour l’autre, le modèle masculin est si présent qu’on peut se demander s’il n’écrase pas toute velléité d’expression plus spécifiquement féminine. De plus d’extraction noble, elles ont probablement reçu une éducation intellectuelle assez semblable à celle de leur compagnon et très large pour l’une et l’autre. L’étude est thématisée comme palliatif à la solitude, elle représente pour les Duplessis-Mornay un premier terrain d’entente :
et puis j’avois pris plaisir, depuis que je m’estois retirée à Sedan, pour passer plus doulcement ma solitude, en l’arithmétique, en la painture et en autres estudes dont quelquefois nous devisions ensemble, de sorte que je fus bien ayse qu’il continuast à me venir voir, et en peu de temps, l’affectionnay autant que pas un de mes frères, combien que je ne pensasse point à mariage43.
65Pour Marguerite de Valois l’étude est l’activité du repli dont le plaisir était occulté par la vie de cour :
Je receus ces deux biens de la tristesse et de la solitude à ma première captivité, de me plaire à l’estude, et m’adonner à la devotion, bien que je ne les eusses jamais goustées entre les vanitez et magnificence de ma prospere fortune44.
66La figuration en victime est une attitude qu’on constate également dans les récits masculins, elle semble davantage imputable à la stratégie mémorialiste en général, et ne saurait caractériser l’écriture féminine. Elle atteint pourtant un sommet dans le récit de Marguerite de Valois ; celle-ci assiste à la Saint Barthélemy sans savoir de quoi il relève ;
Pour moy, l’on ne me disoit rien de tout cecy, Je voyois tout le monde en action ; les huguenots desesperez de cette blessure ; messieurs de Guise craignans qu’on n’en voulust faire justice, et se suchetans tous à l’oreille. Les huguenots me tenoient suspecte parce que j’étois catholique, et les catholiques parce que j’avois espousé le roy de Navarre, qui estoit huguenot45.
67Le même motif revient presque mot pour mot une centaine de pages plus loin. Il s’agit d’un motif central à la compréhension des Mémoires de Marguerite de Valois, et à partir duquel on observe l’émergence de la notion d’individu ; Marguerite expose avec lucidité qu’il lui est totalement impossible de s’identifier à l’une ou l’autre des deux factions :
Des le commencement de cette guerre, voyant que l’honneur que le Roy mon mary me faisoit de m’aimer me commandoit de ne l’abandonner, je me resolus de courre sa fortune ; non sans extrême regret de voir que le motif de cette guerre fust tel, que je ne pouvois souhaitter l’avantage de l’un ou de l’autre que je ne souhaitasse mon dommage ; car si les huguenots avoient du meilleur, c’estoit la ruine de la religion catholique, de qui j’affectionnois la conservation plus que ma propre vie. Si aussi les catholiques avoient l’avantage sur les huguenots, je voyois la ruine du Roy mon mary46.
68L’impasse dans laquelle se trouve Marguerite ne peut se résoudre que dans l’écriture. Sa situation intenable avait de quoi encourager le repli sur soi, mais, avec la belle vitalité des mémorialistes, elle aussi refuse de s’avouer battue et ouvre avec ses Mémoires une nouvelle tribune. C’est une situation identique qui motive l’écriture des Mémoires de Jeanne d’Albret, ainsi que le résume Evelyne Berriot-Salvadore :
On connaît bien les circonstances troublées de la fin de la deuxième guerre civile qui obligent la reine de Navarre à se réfugier avec son fils, à la Rochelle. Là dans une situation la plus précaire qui soit, celle d’une reine qui a abandonné ses sujets, celle d’une mère qui, prématurément fait de son fils le chef exposé des armées rebelles, elle s’empare de sa plume comme d’une arme pour écrire à la fois un plaidoyer et un pamphlet. Journal à rebours, là encore, puisque la décision qui l’a conduite à La Rochelle en ce mois de septembre 1568 trouve sa justification dans les événements qui commencent en 1560. le souci principal, traduit par les trois mots qui « scandent » sa déclaration – Dieu, le Roy, la Patrie – est de manifester un loyalisme que nul ne puisse prendre en défaut. Le plus grave de ses devoirs politiques lui semblent être celui qui l’engage comme mère d’un prince protestant47.
69L’écriture crée un nouvel espace entièrement investi par la volonté apologétique du mémorialiste. Coupé du monde qui le rejette, il adresse à un public bienveillant le récit de ses actes et leur commentaire. Manifestant un savoir dont il est souvent le seul détenteur (tableaux des coulisses de l’histoire, des motivations, des choix), le mémorialiste se redresse et, à l’auréole de son prestige passé, tout en actes, s’ajoute celui du narrateur sensiblement différent. Le prestige du narrateur est inhérent à la richesse et au pouvoir de conviction du commentaire. C’est dans ces discours insérés entre deux narrations de faits que l’intelligence, le savoir, en bref, les qualités de la personne se donnent à lire. C’est également par ce biais que le mémorialiste recouvre le pouvoir qui lui avait été dénié. L’écriture des Mémoires joue un rôle palliatif et compensateur : retravaillant la représentation de la disgrâce, elle en atténue la gravité et de façon générale se prête à la reconstruction d’un passé glorieux pour atténuer l’amertume d’un présent solitaire et désœuvré. Mais ce qui semble prégnant de significations, c’est l’influence qu’exerce dorénavant l’écriture sur les nouvelles déterminations de la personne en lui ouvrant un champ qui n’avait jamais auparavant été investi sur ce mode.
Notes de bas de page
1 Le terme d’« outillage mental » est utilisé par G. Duby et R. Mandrou dans leur Histoire de la civilisation française, Moyen Age-xvIe siècle, Paris, A. Colin, 11e édition, 1968, p. 369, dans un chapitre décrivant l’essor intellectuel du long xvie siècle imputé essentiellement à la diffusion du livre.
2 Parmi les modèles fréquemment évoqués, signalons celui des Commentaires de César pour les soldats (Monluc par exemple), l’Histoire de Bayard par le Jeune Adventureux, les Mémoires de Commynes dans les Mémoires des frères du Bellay, eux-mêmes évoqués par d’autres mémorialistes.
3 Commynes, op. cit., p. 1182.
4 Ibid., p. 1181.
5 Par situation d’énonciation, on désigne les conditions présidant à l’écriture et déterminant le statut du narrateur au moment de l’écriture.
6 Le sentiment d’injustice est à l’origine de l’acte d’écriture, il est dû à une disgrace, ou bien à des rumeurs diffamantes, ou encore à une atteinte aux biens et revenus du mémorialiste par le pouvoir.
7 Le modèle rhétorique des Mémoires est celui du plaidoyer, et sans références explicites il semble cependant que les instructions de Ouintilien informent la rhétorique des mémorialistes. Voir : Ouintilien, Institution oratoire, en particulier livres VI et VII.
8 Commynes, Mémoires, éd. rit., livre V, § XIX, p. 1228.
9 Ibid., p. 1230.
10 Ibid., p. 1446.
11 J. Dufournet, La destruction des mythes dans les Mémoires de Philippe de Commynes, Genève, Droz, 1966, p. 8.
12 Quintilien, op. cit., voir note 5, p. 18.
13 C.-G. Dubois, La conception de l’histoire en France au xvie siècle, Paris, Nizet, 1977. L’auteur explique que l’art d’écrire l’histoire préoccupe moins les historiens à la Renaissance, car, « s’ils s’intéressent aussi à l’écriture, c’est comme un moyen au service d’une fin autre. La fin est la vérité : la nouvelle rhétorique sera régie par la fidélité aux faits relatés », p. 72.
14 Commynes, op. cit., § VIII, p. 1087.
15 Edit de Villers-Coterets donnant au français le statut de langue officielle dont l’usage est obligatoire dans le domaine de la justice, des décrets et des ordonnances royales, sous François Ier.
16 Commynes, op. cit., préface.
17 Etudiant la question du genre des Mémoires au xviie siècle, E. Lesné-Jaffro parvient à la même constation, ce qui nous permet de considérer l’a-formalité des Mémoires comme un caractère constitutif du genre que son essor laissera intact :
« Dans ce sens l’absence de prise en compte du genre par la théorie ne peut que séduire le mémorialiste. Les Mémoires apparaissent comme une forme sans contrainte ».
« La question du genre des Mémoires chez l’abbé Arnauld, Bussy-Rabutin et Mademoiselle de Montpensier », in La cour au miroir des mémorialistes, 1530-1682, Actes du colloque du centre de philologie et de littératures romanes de Strasbourg, 16-18 novembre 1989, sous la direction de N. Hepp, Paris, Klincksieck, 1991, p. 194.
18 Commynes, op. cit., Livre III, § II, p. 1061.
19 Ibid.
20 Ibid., p. 1063.
21 Le même événement, la Saint Barthélemy est relaté dans les Mémoires de Marguerite de Valois, ceux de Charlotte Duplessis-Mornay, ceux de Villeroy, ceux du duc de La Force, et ceux du duc d’Angoulême. Ils relatent tous la nuit du massacre de la Saint Barthélemy et ses conséquences pour chacun d’entre eux, mais le récit est mené de leur point d’observation à la fois étroit et partiel. Or en réunissant ces textes dans une même collection, les éditeurs voulaient offrir un tableau général des différents règnes comme s’il suffisait pour l’obtenir de mettre les témoignages bout à bout. Ceci revenait à assigner aux différents Mémoires une uniformité de point de vue que, par définition, ils ne sauraient avoir. La lecture de ces témoignages ne permet en aucun cas d’établir si la Saint Barthélemy a été un acte prémédité, et par qui, ou bien une escalade incontrôlée de violence après le meurtre de Coligny. Le duc d’Angoulême fait preuve d’une conscience précoce du problème de la représentation de la Saint Barthélemy :
« Et parce que tous les historiens qui en ont escrit, l’ont fait si diversement, que leurs plumes ont plustost donné matière aux esprits plus curieux de douter de la forme de ce malheur que de l’eclaircissement pour en apprendre la vérité, j’en feray le récit véritable avec le moins de paroles qu’il me sera possible ; ensuite de quoy, je pousseray cette relation jusques à ce que le roy Henri quatriesme, son successeur, prit les fauxbourgs de Paris, la veille de la Toussaints 1589 ».
Il est pratiquement impossible d’établir une image cohérente du déroulement ou des motifs de la Saint Barthélemy à partir de ces multiples points de vue. L’historicité et l’information exploitable résident dans la façon dont les événements sont présentés et dans la stratégie rhétorique qu’ils servent plutôt que dans leur contenu événementiel, partiel.
22 P. Nora : « Les Mémoires d’Etat : de Commynes à de Gaulle » in Les lieux de mémoire, vol. II, La Nation, Paris, Gallimard, 1986, p. 355-400.
23 M. Zink, La subjectivité littéraire, P.U.F., 1985.
24 P. de L’Estoile, Mémoires-Journaux, éd. Petitot, également cité par C.-G. Dubois, op. cit., p. 198-199.
25 C.-G. Dubois, op. cit., p. 198-199.
26 L’homme de guerre au xvie siècle, Actes du colloque de l’Association RHR Cannes 1989 publié par G.-A. Pérouse, A. Thierry, A. Tournon, Université de Saint-Etienne, 1992. Voir, en particulier, l’article d’A. Thierry, « L’homme de guerre dans l’œuvre d’Agrippa d’Aubigné », où il explique que même d’Aubigné, à qui on ne peut pas reprocher de mépriser les belles lettres, avait cependant un autre ordre de priorité : « Au moment où l’historiographie devenait la spécialité de ceux que l’on appelle aujourd’hui les intellectuels, il (d’Aubigné) revendiquait fièrement la supériorité de l’expérience sur les qualités proprement littéraires », p. 143.
27 Mémoires de Tavannes, notice de Michaud et Poujoulat, Paris, 1838, première série, tome 8, p. 16.
28 Id. Le même type d’explications se retrouve dans de nombreuses autres notices rédigées par Petitot justifiant ici les coupes importantes réalisées dans le manuscrit des Mémoires de P. Hurault :
« Nous n’en publions que la partie historique. Un tiers de l’ouvrage est consacré à des détails de famille et à des discussions d’intérêt avec madame de Sourdis [...] »
Puis, péremptoire, il ajoute :
« Dans ce que nous avons supprimé il n’y a rien qui puisse piquer la curiosité du lecteur. Nous avons conservé tout ce qui concerne les obsèques du chancelier, le deuil de sa maison, la cérémonie de la remise des sceaux de l’Etat au Roi parce que cette partie du récit de l’abbé de Pontlevoy retrace les usages du temps » Cela voudrait-il dire que les parties personnelles sont ahistoriques ? C’est en tout cas ce que pense l’historien et qui explique que la publication des Mémoires du xvie siècle a été tributaire, au xixe siècle, d’une certaine idée de l’Histoire, reflétant le goût d’une époque : « Ses Mémoires sont forts intéressants lorsqu’ils deviennent historiques [...] », p. 405.
29 Tavannes, op. cit., p. 16.
30 Ibid., p. 17.
31 Id.
32 M.-T. Hipp, Mythes et réalités, Paris, Klincksiek, 1976.
33 J. Céard : * Formes discursives, III. Les formes du commentaire » in Précis de littérature française, sous la direction de R. Aulotte, Paris, P. U, F., 1991, p. 155-92, et surtout p. 180-81.
34 Marguerite de Valois, op. cit, p. 37-38.
35 Cette idée montrant que le protestantisme explique la vision du monde d’Agrippa d’Aubigné est également développée par G. Mathieu- Castellani, Le Corps de Jézabel, P.U.F., 1991, qui l’illustre, non pas comme ici à partir du champ restreint de ses Mémoires, mais pour l’intégrale de ses écrits.
36 Charlotte du Plessis-Mornay. Mémoires, éd. Mme de Witt, Paris, S.H.F., 1868.
37 R. Muchembled, Culture populaire et culture des élites, Paris, Flammarion, 1978, p. 85-101.
38 Evelyne Berriot-Salvadore, Les femmes dans la société française de la Renaissance, histoire des idées et critiques littéraire, vol. 285, Genève, Droz, 1990. Cf. p. 127-133 sur Charlotte Arbaleste Du Plessis-Mornay ainsi que p. 391 : caractérologie de « l’écrivaine » où sont évoqués, dans une perspective comparative, les cas de Jeanne d’Albret et de Marguerite de Valois. E. Berriot-Salvadore attribue à Marguerite de Valois une revendication entière de sa féminité, alors qu’il me semble qu’elle se revendique davantage en tant qu’individu intelligent et analysant qu’en tant que femme :
« Mais si l’on retrouve, chez Marguerite, la volonté de justification déjà présente dans les mémoires de Louise de Savoie ou de Jeanne d’Albret, à aucun moment n’apparaît le sentiment d’une faiblesse ou d’une infériorité féminine qu’il s’agirait de démentir. Ses sentiments, ses jugements, et ses réactions font partie d’une vérité authentique qu’elle ne prétend pas chercher dans l’objectivité de l’événement. [...] Le but poursuivi ne l’empêche pas de montrer avec une orgueilleuse jouissance, sa personnalité de femme, intelligente et lettrée. Elle prend la plume pour écrire sans fard, sa propre histoire certes, mais elle tient à manifester d’abord sa parfaite maîtrise du jeu littéraire et notamment sa distance lucide avec le genre apologétique qu’elle va ensuite elle-même adopter ».
39 Marguerite de Valois, op. cit., p. 166.
40 Ibid., p. 167.
41 Id.
42 Ibid., p. 168.
43 Charlotte du Plessis-Mornay, op. cit., livre I, p. 83.
44 Marguerite de Valois, op. cit., p 90. Plus haut Marguerite développe la même idée :
« Ce que je faisois plus pour le mespris de l’offense que de sa satisfaction ; ayant passé le temps de ma captivité au plaisir de la lecture, où je commençay lors à me plaire ; n’ayant cette obligation à la fortune, mais plustot à la Providence divine, qui des lors commença à me produire un si bon remede pour le soulagement des ennuis qui m’estoient preparez à l’advenir », p. 89.
45 Ibid., p. 42.
46 Ibid., p. 158.
47 Evelyne Berriot-Salvadore, op. cit.
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