Le gassendisme « frivole » de Saint-Évremond
The “frivolous” gassendist philosophy of Saint-Evremond
p. 57-69
Résumé
It is not always easy to understand how and why the philosophy of P. Gassendi came to be a key-reference for a certain kind of French writer towards the end of the seventeenth century or to describe its new meanings and functions in contexts which seem so remote from its original background. The writings of Saint-Evremond may provide some enlightening insight into this historical enigma, for they unveil, in very subtle ways, some of the diffuse hermeneutic procedures which led to a « frivolous », non-speculative – but aesthetically inspiring and fruitful – approach to epicureanism. In this paper, we concentrate on two kinds of such typical shifts in focus, namely: – in the field of knowlege, on the image of « skepticism » associated with Gassendi’s philosophical writings and oral teaching; and – in the realm of ethics, on the reappraisal of the epicurean philosophy of pleasure.
Texte intégral
1Dans l’histoire des lectures que l’on a pu faire de Gassendi, la postérité « libertine » et « mondaine » a souvent constitué une sorte d’écran, de prisme déformant : nul doute que cette « ombre portée » n’ait rétroagi sur la compréhension même de l’œuvre ; qu’elle n’ait influé en particulier sur les débats de naguère relatifs aux « ambiguïtés » sous-jacentes, voire à une « duplicité » clandestine du discours gassendien.
2Mais il y a un envers du problème, souvent relégué par les études gassendiennes en une sorte de demi-silence, en une zone de fausses évidences et de sous-entendus. S’il y a eu « ombre portée » de la postérité, de quoi exactement cette ombre est-elle faite ?
Quels sont les reliefs de l’œuvre de Gassendi qu’elle épouse (et qu’elle déforme) de préférence ?
D’où proviennent au juste les lumières qui lui donnent forme et mouvement (car cette « ombre », nous l’allons voir, est extrêmement mobile) sur des territoires aussi étrangers, de prime abord, à son contexte d’origine ?
3L’exemple de Saint-Évremond, de par sa situation historique d’exception (entre la génération de la Fronde et celle de Régence) et l’extrême diversité des domaines qu’il éclaire, est sans doute précieux pour saisir quel mode de lecture fit de Gassendi une référence philosophique centrale aux yeux d’un certain type d’écrivains. Au prix de quelle sélection (il y a des vides et des pleins, des absences et des points saillants dans l’intérêt pour Gassendi) ? Au prix de quelles déviations, de quels contre-sens, de quels contre-emplois ? Sans doute n’est-il pas simple d’habituer le regard à osciller entre une entreprise philosophique immense et l’esthétique fluide de lettres et de petits traités où le souci de vérité est fort loin de constituer un horizon unique. Mais cette oscillation est nécessaire : car on s’aperçoit chemin faisant que ces variations d’apparence volontiers frivole reposent sur toute une épaisseur de lectures philosophiques précises ; que la coupure entre l’univers de l’érudition humaniste et celui de l’écrivain dit « mondain » est loin d’être aussi claire et distincte qu’on a pu le supposer parfois.
Dérives sceptiques
4Si l’on en croit Saint-Évremond lui-même, l’héritage premier légué par Gassendi fut un certain scepticisme. Mais de quel type de scepticisme s’agit-il au juste ? L’usage du scepticisme obéit-il, ici et là, aux mêmes fins ?
Prélude : rencontre avec « le plus éclairé des philosophes »
5Dans le Jugement sur les sciences ou peut s’appliquer un Honneste Homme (recueil de 1666), la rencontre entre Saint-Évremond et Gassendi est présentée comme séminale :
« Au milieu de ces méditations qui me desabusoient insensiblement, j’eus la curiosité de voir Gassendy, le plus éclairé des Philosophes et le moins presomptueux. Après de longs entretiens où il me fit voir tout ce que peut inspirer la raison, il se plaignit que la nature eût donné tant d’étenduë à la curiosité, et des bornes si étroittes à nôtre connaissance. » (II, 10)1
6Saint-Évremond met l’accent sur le statut exceptionnel de Gassendi dans l’arène philosophique, sur la longueur des entretiens et sur l’effet décisif qu’ils eurent. Mais que restitue-t-il de cet enseignement oral ? En premier lieu, il fait une ellipse presque totale sur le contenu positif éventuel des entretiens, recouvert par une formulation ambiguë, vaste et vague (« ou il me fit voir tout ce que peut inspirer la raison »). En revanche, Saint-Évremond s’attarde avec insistance sur le moment purement négatif des conversations.
« [...] il se plaignit que la nature eût donné tant d’étenduë à la curiosité, et des bornes si étroittes à nôtre connoissance ; qu’il ne le disoit point pour mortifier la présomption des autres, ou par une fausse humilité de soy-même, qui sent tout à fait l’hypocrisie ; que peut-être il n’ignorait pas ce que l’on pouvait penser sur beaucoup de choses, mais de bien connoître les moindres, qu’il n’osoit s’en asseurer » (II, 10).
7Autant le contenu de l’entretien demeure mystérieux, autant sa clôture critique nous est vivement restituée par un discours indirect où tout lecteur de Gassendi percevra l’écho de ces modalisations en chaîne qui sont un des traits dominants du style gassendien2.
8En fait, l’analogie entre les deux démarches tourne court. Dans les Exercitationes3, la prise de conscience pyrrhonienne préludait à un immense travail critique et à l’affirmation de la « libertas philosophandi ». Sous la plume de Saint-Évremond, la phase sceptique n’a pas une fonction inchoative, mais conclusive – en ce qui concerne la philosophie du moins. Tel est l’effet immédiat des entretiens :
« Alors une science qui m’étoit des-ja suspecte me parut trop vaine pour m’y assujettir plus long temps ; je rompis tout commerce avec elle, et commençay d’admirer comme il étoit possible à un homme sage de passer sa vie en des recherches inutiles » (II, 11).
9En l’espace de quelques lignes s’opère un déplacement de point de vue symptomatique à maints égards : des incertitudes de la raison on glisse à l’inutilité de son exercice. L’écart entre « étendue de la curiosité » et « bornes de la connaissance » n’est nullement aménagé. Et la critique sceptique gassendienne du dogmatisme est hâtivement transmuée en critique de toute activité philosophique, quelle qu’elle soit.
10Ainsi, de l’éloge de Gassendi, on en arrive à l’effet aberrant suivant : rencontrer Gassendi, ou comment pour un « honnête homme » se dégager une fois pour toutes de la philosophie, de ses errements et tourments. Et si on la contemple une dernière fois, dans la lumière si douce du scepticisme, c’est un peu à la façon d’Orphée, d’un regard ultime qui tue.
11On sera troublé, néanmoins, par l’étape suivante : les Mathématiques ; celles-ci échappent au doute sceptique et à la débâcle des savoirs trop spéculatifs :
« Les Mathematiques à la vérité ont beaucoup plus de certitude, mais quand je songe aux profondes méditations qu’elles exigent, comme elles vous tirent de l’action et des plaisirs pour vous occuper tout entier, ses démonstrations me semblent bien cheres, et il faut être fort amoureux d’une vérité pour la rechercher à ce prix là » (II, 11. Nous soulignons).
12Un déplacement presque imperceptible conduit d’une critique (gnoséologique) du savoir à une critique (morale) de la volonté de savoir. On perçoit mieux ce qui se cachait derrière l’usage du doute sceptique hérité de Montaigne et de Gassendi. C’est la Vérité en tant que valeur qui est mise en question. Dans la vie que se donne l’« honnête homme », la vérité ne vaut pas par elle-même : elle représente un type de plaisir parmi d’autres, qui ne saurait être exclusif sous peine de devenir suspect et malsain. La critique d’une passion excessive pour les « profondes méditations » ressemble à s’y méprendre à la critique épicurienne traditionnelle de l’amour-passion et de ses fantasmes d’unicité (« et il faut être fort amoureux d’une vérité pour la rechercher à ce prix là »). On mesure mieux, dès lors, la distance qui sépare l’« honnête homme » des terres gassendiennes où il a fait une brève et décisive incursion. C’est cet « amour », dont il est fait état dès la première phrase du Syntagma, qui se dérobe soudainement. Et si Gassendi reprenait la hiérarchie épicurienne traditionnelle qui consiste à subordonner le savoir au bonheur, la vérité constituait pour la physique et l’éthique un horizon commun : ici, l’éthique joue contre la vérité. Tel est du moins le sens apparent de la formule gnomique qui constitue la charnière de ce traité.
« [...] car à parler sagement nous avons plus d’interest à joüir du monde qu’à le connoître. » (II, 12).
Dans le sillage des Exercitationes
13En fait, le Jugement sur les sciences fait écho à un texte plus ancien : l’homme qui veut conoistre toutes choses, ne se conoist pas luy-mesme. Si Gassendi ici n’est pas directement nommé, la critique évremondienne semble se situer au voisinage le plus immédiat des Exercitationes. Dans la première version de ce texte, le lecteur est frappé par l’inflation insolite du paragraphe consacré à Aristote. Ce n’est pas seulement une question de volume : c’est le style même du discours qui se modifie, alourdi par l’argumentaire qu’il restitue, probablement sous l’effet – telle est l’hypothèse de R. Ternois – d’une lecture encore trop fraîche des Exercitationes.
14Mais que puiserait-il au juste dans l’argumentaire des Exercitationes ? Pas une seule fois Saint-Évremond n’entre dans les thèses d’Aristote. La critique se focalise exclusivement sur son mode d’énonciation, sur l’image de la pensée qui en émane : son obscurité, ses ambiguités, les accidents de sa diffusion. Il découpe dans Gassendi des éléments bigarrés qu’il restitue sous forme de collage. (II, 123-124).
15Par un mouvement accumulatif qui peut faire penser à certaines comédies de Molière, la critique générale de la scolastique dégénère en une farce baroque du savoir. Dans cette avalanche de lieux communs (« Je ne vous dis rien icy que d’autres n’ayent dit devant moy »), Saint-Évremond retient et développe un élément de la quatrième exercitatio qui semble l’intéresser au plus haut-point (cf. lib I, Ex IV, art. 7, trad. Rochot, p. 102) et primer sur tout le reste : il y aurait, dès les origines, une duplicité fondamentale, « libertine » en quelque sorte, du discours d’Aristote, scindé entre une diffusion privée, aristocratique d’une part, et de l’autre une version publique, radicalement différente :
« Aussitost que les portes du lycée étoient fermées, et qu’il croyoit estre en liberté, il parloit un autre langage ; c’est là qu’il avoüait bien plus nettement qu’il ne fait dans son Traité de l’Ame, que rien n’est plus impenetrable que sa nature, son origine et sa durée » (II, 125).
16Après ce long détour, le questionnement pyrrhonien reprend son cours. Et il semblerait que le sens général de ce que l’on a pu appeler le « fidésme » soit ici ressaisi en ses grandes lignes. Mais s’il en reproduit extérieurement les figures, Saint-Évremond va en infléchir subtilement le sens. Et l’on va retrouver, sur le terrain de la métaphysique, le même type de geste, de déplacement intempestif du point de vue sceptique : de la critique du dogmatisme des philosophes à la vanité de toute recherche ; et du constat de la vanité fondamentale de la Raison à l’apologie de la superficialité jouissive. Or, si l’on scrute le texte avec attention, on s’aperçoit que le véritable lieu de dérapage est une référence à l’Ecclésiaste.
Variations fidéistes autour de l’ Ecclésiaste
17Gassendi avait, dans les Exercitationes notamment, évoqué l’Ecclésiaste contre les aristotéliciens en marchant, comme il le disait un peu plus loin, « sur les traces de Pyrrhon »4.
18C’est ce que fait aussi, de toute évidence, Saint-Évremond. Seulement, la « rhétorique de la lecture » n’est pas du tout la même. Là où Gassendi, conformément à ce qu’on a pu appeler sa « rhétorique de la concordance », isole dans le texte biblique un sens que, sur un plan supérieur, l’Ecclésiaste partagerait avec toutes sortes d’autres philosophies païennes (Socrate, Platon, Carnéade, Pyrrhon, mais aussi Épicure), Saint-Évremond, lui, va y projeter une série de contradictions, d’ambiguïtés, d’indéterminations irréductibles et exhiber sous toutes leurs facettes une polysémie vivante qui lui soit propre, une instabilité foncière du sens, une série non de concordances externes mais de discordances internes.
19Aussi nous avertira-t-il dès l’abord que de l’Ecclésiaste on peut faire, ou plutôt, on « semble » pouvoir faire des lectures contradictoires : les unes pieuses, les autres impies :
« Salomon qui fut le plus grand de tous les Rois et le plus sage de tous les hommes, semble fournir aux impies de quoy soûtenir leurs erreurs dans le temps qu’il instruit les gens de bien à demeurer fermes dans l’amour de la vérité » (II, 129).
20Mais de quelles « erreurs » s’agit-il, et de quelle « vérité » ? Cette polysémie, le paragraphe suivant la laisse en suspens.
« Quand il (Salomon) fait parler les libertins dans l’Ecclesiaste, ne voit-on pas qu’il rapporte à la seule sagesse, la conoissance de nous mesmes ? [...] »
21Si le sens de l’Ecclésiaste est ambivalent c’est qu’il y aurait derrière le « masque », la « personne » de Salomon deux sujets d’énonciation ou plutôt deux voix distinctes. Le Je qui s’exprime est à la fois celui de Salomon et celui du libertin qu’il « fait parler » ! Pour Montaigne et pour Gassendi, l’Ecclésiaste était un miroir du scepticisme en général. Sous la plume de Saint-Evremond, le miroir immédiatement se dédouble : il reflète simultanément une image pieuse et une image libertine du scepticisme. D’où un protocole herméneutique tout à fait singulier : il faut imaginer, devant un texte aussi ambivalent, qu’il y a délégation de parole, ou même une sorte de discours indirect libre dont les marques grammaticales (« les libertins disent que ») auraient été mystérieusement gommées – « les libertins » intervenant dans le texte biblique comme une sorte de collectivité transhistorique.
22Mais où ce jeu de masques commence-t-il et où s’arrête-t-il ? Quand Salomon fait-il parler les libertins, quand s’exprime-t-il en son nom propre ?
23Saint-Évremond va multiplier les marques grammaticales de la négation : apparemment, le sens fidéiste du propos demeure, comme dit Ternois, « irréprochable »5 ; mais la pression continue des formes négatives finit par engendrer des « idées accessoires » beaucoup moins « fermes ».
24Comment lire au juste l’énoncé suivant ?
« A moins que la Foy n’assujetisse nostre raison, nous passons la vie à croire, et à ne croire point ; à vouloir nous persuader, et à ne pouvoir nous convaincre. » (II, 130 ; souligné par nous).
25Dans la phrase finale, la surabondance des formes négatives ricochant les unes sur les autres fera plutôt apparaître cet écart entre raison et foi comme une mise à l’écart du discours religieux : en ce qui concerne l’Immortalité de l’Âme,
« [...] vous trouverez qu’il n’appartient qu’à la Religion d’en décider. Pour moi, je vous avouë que sans elle, la pensée de l’Eternité n’ocuperoit pas le moment le plus inutile de ma vie. » (?) (II, 133)
26On s’aperçoit en outre que sous ces motifs topiques du fidéisme se dissimule une autre dimension, qui nous éloigne davantage encore de Gassendi et d’où procède la dérive ultime de ce petit traité : du constat de la vanité on glisse à une apologie – voire à une technique – de l’erreur :
« C’est, Monsieur, selon moy en quoy consiste la plus fine sagesse : pourveu qu’on se trompe toûjours, pourveu qu’on s’estourdisse bien sur tout ce qui fait de la peine et qu’on ne songe à l’avenir que pour mieux profiter du present, pourveu enfin qu’on ait reduit sa raison à ne raisoner plus sur les choses que Dieu n’a pas voulu soûmettre au raisonement, c’est tout ce qu’on peut souhaiter. » (II, 131 ; nous soulignons).
27« Pourveu qu’on se trompe toujours [...] » : du simple constat, pyrrhonien (tout est vanité, nous nous trompons) on dévie vers l’injonction « morale » (puisque tout est vanité, trompons nous nous-mêmes) et dans l’opération, la forme pronominale « se tromper » devient active.
28Cette thérapeutique de l’illusion au sein d’une économie du plaisir, compensant la vanité « objective » du monde par une vanité « subjective » pleinement assumée fait dévier le sens même du scepticisme ; ou du moins de celui que lui attribuait Pierre Gassendi, qu’il soit question de science ou de métaphysique.
29Ici le non-savoir est le fondement d’une attente et d’une recherche ; là, il cautionne directement la jouissance de l’illusion. Car le raisonnement semble simple : si l’illusion est générale, l’essentiel est de faire en sorte qu’elle procure le moins de douleur possible. Mais comme le notait H. Friedrich à propos de Montaigne, la vanité dont il s’agit ici est loin d’être un simple néant. La sagesse de l’Ecclésiaste est une sagesse de l’infinie variabilité de l’humain et des apparences qui tout à la fois l’environnent et le constituent. Aussi pourra-t-elle servir de clef à Saint-Évremond lorsque, beaucoup plus tard, il s’emploiera à définir sa propre interprétation de l’éthique du Jardin, dans la lettre « sur la Morale d’Épicure » (III, 425-438) – au prix d’autres déplacements encore.
Dérives épicuriennes
30En sa genèse même, le traité sur la morale d’Épicure (IV, 425-438) fut l’objet d’un étrange chassé-croisé. Il efface un précédent traité, attribué faussement à Saint-Évremond pendant près de cinquante ans et dont l’auteur est vraisemblablement Sarasin6. Cet effacement eut lieu un demi-siècle plus tard. Alors que le traité attribué à Sarasin était contemporain des recherches de Gassendi – « avec lequel, rappelle Festugière, Sarasin se rencontrait chez le coadjuteur Paul de Gondi », et dont le De Vita et moritus Epicuri fut imprimé en 1647- Saint-Évremond écrit, ou plutôt réécrit en son propre nom « sur la morale d’Épicure » à la suite d’une visite de Bernier en Angleterre7. Entre temps la situation générale de l’épicurisme s’est profondément modifiée.
31Saint-Évremond fait dès l’abord état d’une évidence de la morale épicurienne, d’une stéréotypie de l’argumentation qui la sous-tend et qu’il serait inutile de rappeler trop longuement : l’épicurisme, loin d’être présenté comme une doctrine méconnue, peut être désormais résumé de la façon la plus elliptique qui soit (III, 425).
32Mais cette « évidence » de l’épicurisme est un effet de trompe-l’œil, cette clarté d’ensemble cache un noyau d’obscurité ; car quel sens faut-il donner au mot « volupté » ?
« Cependant je ne connois pas bien quelle estoit la volupté d’Épicure ; car je n’ay jamais veu des sentiments si divers que ceux qu’on a eus sur les mœurs de ce Philosophe » (III, 426).
33Par la disposition même de ses paragraphes, Saint-Évremond suggère une sorte d’aberration logique en ce qui concerne le statut et la réception de l’épicurisme : on peut reconnaître comme évidente la place (souveraine) de la volupté sans savoir exactement quelle elle est ; on s’entend sur son statut (topique du Souverain Bien) sans qu’il n’y ait, semble-t-il, le moindre consensus sur sa nature et ses limites.
Sur les traces du De Vita et Moribus Epicuri
34Saint-Évremond accorde alors toute son attention au débat sur la vie d’Épicure, dont Sarasin faisait l’économie. Dans le De Vita et Moribus Epicuri, les ressources de l’éloquence judiciaire étaient mobilisées pour faire face aux accusateurs d’Épicure. Nul doute que l’ouvrage de Gassendi ne serve ici de toile de fond à la démarche de Saint-Évremond, en ses premiers mouvements du moins : les éléments fournis par l’érudition gassendienne permettraient d’acquérir une meilleur « définition d’image » du Souverain Bien, en reconstruisant ce « référent » ultime que serait la « vie » du philosophe.
35Alors est convoquée, sous une forme énumérative et elliptique, une suite d’« auctoritates » favorables ou défavorables à Épicure. Mais Saint-Évremond se borne à maintenir une symétrie presque parfaite entre accusateurs et défenseurs. Là où Gassendi compare, argumente, réfute, lui se contente de juxtaposer. Cet aplatissement du débat sur la vie ressemble à un jeu à somme nulle, où les gains et les pertes, où les opinions contradictoires s’équilibrent : « parmi les chrétiens » eux-mêmes, Gassendi et Bernier ne contrebalancent-ils pas les Pères de l’Eglise ?
36Dans la somme des opinions sur Épicure, le « je » jusqu’ici assez en retrait, fait soudain irruption comme sujet de croyance, affirmant une interprétation qui prend le contre-pied de la thèse de Sarasin :
« Je ne croy pas qu’il ait voulu introduire une volupté plus dure que la vertu des stoïques. Cette jalousie d’austérité me paroit extravagante dans un philosophe voluptueux, de quelque manière qu’on tourne sa volupté » (III, 429).
37Insensiblement, on quitte le terrain de la « vie d’Épicure »– peu productif jusqu’ici – pour revenir aux « évidences » de la volupté, recommencer un travail de définition, mais en négatif : on ne sait pas vraiment ce qu’est la volupté en tant que Souverain Bien, mais on peut énoncer, par variations successives, ce que vraisemblablement elle n’est pas. Les définitions de Sarasin, mais aussi celles de Gassendi et de Bernier, servent en quelque sorte de limites extrêmes (un peu au sens du De finibus ciceronien) à l’enquête de Saint-Évremond.
« Beau secret de déclarer contre une vertu qui oste le sentiment au sage, pour établir une volupté qui ne luy souffre point de mouvement. Le sage des Stoïciens [...] est un vertueux insensible ; celuy des Epicuriens est un voluptueux immobile. Le premier est dans les douleurs sans douleur, le second goûte une volupté sans volupté » (III, 430).
38On voit quel rôle essentiel Saint-Évremond fait jouer dès l’abord au « mouvement », dans la compréhension et même dans la définition générique de l’épicurisme. Le perdre trop de vue, en faire la réduction, c’est, selon lui, susciter un évidement sémantique des notions fondamentales (douleur, plaisir) et faire que les expressions « douleurs sans douleur » et « volupté sans volupté » s’équivalent : voici ce qui advient dans le langage même de l’éthique quand on veut trop amoindrir et neutraliser la différence entre vertu stoïcienne et volupté épicurienne.
39Aux « aménagements de sens » (O.R. Bloch) de la lecture gassendienne de l’Éthique, Saint-Évremond substitue une interprétation aussi plate et minimale que possible ; là où, par chevauchement de citations très diverses, Gassendi s’attachait à faire apparaître des concordances entre la volupté d’Épicure et des idéaux de toute autre provenance, Saint-Évremond pose quelques questions naïves qui, tout à rebours, extrémisent les divergences.
« Quel sujet avoit un philosophe qui ne croyait pas l’immortalité des esprits, de mortifier ses sens ? Pourquoy mettre le divorce entre deux parties composées de même matière, qui devoient leur avantage dans le concert et l’union de leurs plaisirs ? » (III, 430).
40Ce contresens délibéré sur les réévaluations néo-stoïciennes et chrétiennes d’Épicure – a-t-il jamais été question de « mortification des sens » ou de « divorce » entre le corps et l’âme chez Gassendi ou même dans le texte de Sarasin ? – a surtout ici une fonction ironique, vite perceptible : il permet une attaque indirecte à l’encontre de valeurs ascétiques qui, selon Saint-Evremond, n’ont de sens que par les plaisirs espérés dans l’Autre Monde.
« Je pardonne à nos Religieux la triste singularité de ne manger que les herbes, dans la veue qu’ils ont d’acquérir par là une éternelle félicité. Mais qu’un Sage qui ne connoit d’autres biens que ceux de ce monde ; que le docteur de la volupté se fasse un ordinaire de pain et d’eau pour arriver au souverain bonheur de la vie, c’est ce que mon peu d’intelligence ne comprend pas » (III, 439).
41Selon les analyses du De Vita et moribus Epicuri, une méditation sur l’épicurisme peut prédisposer à une meilleure compréhension de ce qu’est la vraie religiosité non seulement en ce qu’elle permet de détruire les « superstitiones » qui s’y mêlent, mais aussi en ce qu’elle donnerait les moyens de définir une image plus pure de la piété que ne le font Sénèque et Cicéron en particulier : piété indépendante de l’attente de quelque « bénéfice » que ce soit venant du Divin (cf. en particulier O.V 201b- 202a).
42L’ironie de Saint-Évremond travaille précisément à la jointure de ces deux types d’arguments (critique des superstitions ; des Dieux on n’attend aucun bienfait).
« La piété qu’on luy donne pour les Dieux, n’est pas moins ridicule que la mortification de ses sens. Ces Dieux oisifs, dont il ne voyoit rien à espérer ni à craindre, ces Dieux impuissants ne méritoient pas la fatigue de son culte ; et qu’on ne me dise point qu’il alloit au temple de peur de s’attirer les magistrats, et de scandaliser les citoiens ; car il les eût bien moins scandalisez pour n’assister pas aux sacrifices, qu’il ne les choqua par des écrits qui détruisoient des Dieux établis dans le monde, ou ruinoient au moins la confiance qu’on avoit en leur protection » (III, 431 ; nous soulignons).
43Autrement dit, l’hypothèse du masque, dont O.R. Bloch a souligné l’importance dans l’histoire générale du matérialisme et de ses interprétations, ne serait pas même nécessaire dans le cas d’Épicure. Et il n’est pas utile de projeter sur lui la dualité intus -foris (« intus ut libet, foris ut moris est » : à l’intérieur fais ce qui te plaît, à l’extérieur fais selon la coutume) ; dualité que Claude Reichler décrit au début de l’Âge Libertin comme essentielle pour l’émergence au XVIIe siècle d’un type nouveau du libertinage : le libertin honnête8.
Pour une pluralité des hypothèses
44Parvenu en ce point, Saint-Évremond soudain s’interroge sur les acquis de sa propre réflexion ; et sur le sens (direction, signification) de ce cheminement interprétatif :
« Mais quel sentiment avés vous d’Épicure, me dira t’on. Vous ne croyez ni ses amis ni ses ennemis, ni ses partisans ni ses adversaires. Quel peut estre le jugement que vous en faites ? » (III, 431-432).
45Comment prendre position au cœur de cette dialogique ? L’interprète d’Épicure doit-il s’arrêter là, quelque peu abasourdi par cette polyphonie de voix discordantes ?
46Saint-Évremond pour sa part revendique comme sienne une autre stratégie : il faut recommencer le protocole de lecture, ressaisir tout ce qu’on a pu écrire sur Épicure mais en y cherchant autre chose : non pas une image unitaire de la Volupté comme Souverain Bien, mais une multiplicité d’images en perpétuel mouvement. En postulant, tout simplement, qu’en son sens même la vie d’Épicure fut originairement multiple et contradictoire ; que sous l’hétérogénéité des images de sa volupté se dissimule un modèle lui-même hétérogène.
« Je pense qu’Épicure estoit un philosophe fort sage, qui selon le temps et les occasions aimoit la volupté en repos, ou la volupté en mouvement ; et de cette différence de volupté est venue celle de la réputation qu’il a euë » (III, 432).
47Au cœur de la pensée épicurienne du plaisir, Saint-Évremond isole une opposition traditionnelle (« volupté en repos », « volupté en mouvement ») mais il lui fait jouer un rôle inouï : elle serait l’origine de toutes les divergences d’interprétation sur Épicure ; elle constituerait le paradigme sous-jacent de toutes ces contradictions dont il esquisse à nouveau, mais sous un autre jour, la typologie (III, 432).
48Projetée dans l’espace fluide de la Vie, la distinction entre « plaisirs sensuels » et « voluptés spirituelles » n’apparait désormais que comme une variante secondaire de l’alternance vitale entre mouvement et repos. Et il ne s’agit nullement de les hiérarchiser dans l’absolu l’un par rapport à l’autre, d’opposer résolument la figure d’Épicure à celle d’Aristippe comme le fait par exemple Gassendi lorsqu’il s’attache à définir la « vera felicitas » du Jardin. Car dans l’optique de Saint-Évremond, la seule valeur de vérité qui tienne dès lors qu’il s’agit de la vie, c’est la variabilité elle-même.
49Ici encore, l’intertexte de l’Ecclésiaste refait massivement surface : en lui s’abîment et convergent les lectures apparemment les plus divergentes de la morale d’Épicure. Le point de vue de la vanité est celui qui permet d’unifier les perspectives sur la volupté tout en les diversifiant à l’infini :
« Il y a tems de rire et tems de pleurer, selon Salomon ; tems d’estre sobre et tems d’estre sensuel, selon Épicure ». (III, 433).
50Le texte de l’Ecclésiaste sert ainsi de matrice rhétorique pour énoncer l’épicurisme : Saint-Évremond on le voit, va jusqu’à inventer une maxime d’Épicure « à la manière de » l’Ecclésiaste... Cette projection permet d’effacer un postulat qui conditionne la pertinence la plus élémentaire du projet de Gassendi ; et qui consiste à supposer tout d’abord qu’Épicure ait voulu produire des énoncés univoques, que leur mode d’énonciation ait été « uniforme. Or,
« Où est l’homme si uniforme qui ne laisse voir de la contrariété dans ses discours et dans ses actions ? Salomon mérite le nom de sage autant qu’Épicure pour le moins, et il s’est dementi egalement dans ses sentiments et dans sa conduite ». (III, 434 ; nous soulignons).
51Dans le champ de l’éthique épicurienne, l’effet de sens produit par l’Ecclésiaste nous éloigne encore plus radicalement des recherches de Gassendi qu’il ne le faisait dans celui du scepticisme fidéiste. Et l’ombre portée du « libertin » se projette plus explicitement encore sur l’interprétation de l’épicurisme moral :
« Outre cela un homme voluptueux l’est il également toute sa vie ? Dans la Religion, le plus libertin devient quelquefois le plus devot.
« Pour moy je regarde Épicure autrement dans la jeunesse et la santé, que dans la vieillesse et les maladies ». (III, 433 ; nous soulignons).
Dissolution de la notion de Souverain Bien
52On assiste donc, chemin faisant, à la dissolution de la notion même de « Souverain Bien » : elle a servi de cadre rhétorique pour fixer une image canonique de la volupté ; mais voici que cette image s’anime, se pluralise, excède les limites qu’on désirait – semble-t-il – lui assigner et se dérobe. Si la volupté est effectivement reconnue comme principe ultime de l’axiologie épicurienne, on découvre qu’il y aurait, comme sous-entendu, un principe de ce principe : la variabilité, voire l’hétérogénéité de la vie, assumées comme telles. Tel serait le fond – inavouable, impensable même pour les interprètes « ascétiques » de l’épicurisme – qui rendrait compte, très simplement, de l’extrême variété des témoignages et des commentaires répercutés par la doxographie.
53Mais cette « pluralité des hypothèses » concernant la vie d’Épicure n’est pas présentée comme un choix gratuit et aléatoire. A la croisée des variations extrêmes sur la nature de la volupté, Saint-Évremond fait apparaître ce qui ferait la pertinence ultime du passage d’une image du plaisir à une autre : le temps. Au paradigme récurrent de l’Ecclésiaste, il juxtapose soudain deux exemples qui vont au-delà d’une pure et simple variabilité : Montaigne et Bernier deviennent par leurs contradictions propres, les emblèmes du travail continu du temps. Tel est le sens qu’il faut donner, en premier lieu, à l’écart séparant l’essai I, 20 (« que philosopher c’est apprendre à mourir ») de l’essai III, 12 (« De la physionomie ») : il renverrait moins à une inconséquence de la pensée ou à une vanité du « discours » (méditer sur la mort, ne penser qu’à la vie) qu’à une logique sous-jacente du corps déclinant (III, 434-435).
54L’exemple de Bernier est juxtaposé à celui de Montaigne à titre de symptôme. Il incarnerait une certaine variabilité de la pensée gassendienne elle-même dans le siècle : sa signification et sa force évolueraient avec le temps – tout comme celles de la volupté d’Épicure saisie en tous ses états :
« Monsieur Bernier, ce grand partisan d’Épicure, avouë aujourd’huy qu’après avoir philosophé cinquante ans, il doute des choses qu’il avoit crû plus asseurées9 ».
55Le point de vue de la vie permet d’effacer la différence entre Épicure et les cyrénaïques que Gassendi, dans le « De Felicitate » de l’Ethique, considerait comme philosophiquement décisive ; ou plutôt d’en jouer de façon optimale : au lieu de se donner deux philosophies du plaisir, mieux aurait valu s’en donner une seule, qui fût double.
56L’interprétation néo-stoïcienne de la volupté d’Épicure serait alors pertinente, mais localement. La définition négative de « l’indolence » et de la tranquillité comme Souverain Bien exprime un moment de la vie, un état de la conscience et du corps déclinant. Et la morale doit être interprétée non pas sous la forme d’un système, mais sous les espèces d’un récit clandestin, qu’il faudrait débusquer sous la généralité des catégories éthiques :
« Comme il tomba dans les infirmités et les douleurs, il mit le souverain bien dans l’indolence, sagement à mon avis, pour la condition où il se trouvoit ; car la cessation de la douleur est la félicité de ceux qui souffrent »10.
57Sous des termes généraux (« Souverain Bien, indolence... ») il faut savoir décrypter le travail incessant de la vie qui les interprète, en fait varier la force et le statut. C’est pourquoi le grand débat philosophique où s’inscrivait le De Vita, et qui semblait servir de décor à la méditation évremondienne, peut prendre tout à coup dans ce contexte des allures de trompe-l’œil. Car l’hypothèse évremondienne, en sa simplicité provoquante, ne lui doit en définitive pas grand chose, si ce n’est une série d’images plus ou moins colorées et contradictoires d’Épicure en fonction desquelles elle crée librement ses propres hypothèses : de la foule des auctoritates se dégagent soudain les affirmations et les choix d’un je souverain -cette interprétation évremondienne subjective de la philosophie morale étant, encore une fois, bien plus proche de l’esthétique des Essais que de l’exégèse gassendienne.
Lignes de fuite de l’interprétation : Épicure dans l’empire du divertissement
58On perçoit donc mieux ce qui constituerait la « frivolité » de l’interprétation évremondienne de Gassendi : en chacune des trois dérives (scepticisme, fidéisme, épicurisme moral), il y a déperdition de sens, mais il y a aussi décentrement de point de vue. A chaque fois, l’interprétation est une « appropriation » de tel ou tel « aspect » de la philosophie (le lexique du scepticisme étant fort utile à cette entreprise, l’incertitude du savoir cautionnant, en sa vanité, la souveraineté d’un choix subjectif)– Et des figures étrangères, et fuyantes (en particulier celles de « l’honnête homme » et du « libertin ») s’y projettent et s’y éprouvent.
59Il ne saurait être question de fabriquer, en guise de « divertissement » pervers, une micro-philosophie de Saint-Évremond, mais de s’interroger sur les relations entre philosophie et littérature au XVIIe siècle. Il semble qu’une certaine image du gassendisme y ait joué un rôle nodal, qu’elle ait, par des voies indirectes et subtiles, aidé certains écrivains à se situer face à l’horizon du savoir (en mouvement), de l’éthique (en crise) – et aussi de l’histoire. On sait que dans la Querelle où se croisent toutes ces lignes de force, Charles Perrault fera de Gassendi un pôle de référence proche des Anciens, contre Descartes11.
60Or, tout autre est le point de vue de Saint-Évremond. Dans un important traité touchant à l’esthétique de la Tragédie (De la Tragédie ancienne et moderne, IV, 171), on lit :
« Il faut convenir que la Poëtique d’Aristote est un excellent ouvrage : cependant il n’y a rien d’assez parfait pour régler toutes les nations et tous les siècles. Descartes et Gassendi ont découvert des vérités qu’Aristote ne connoissoit pas ; Corneille a trouvé des beautés pour le théâtre qui ne lui étoient pas connuës ; nos Philosophes ont remarqué des erreurs dans sa Physique ; nos poëtes ont vû des défauts dans sa Poëtique [...] » (nous soulignons).
61Mais cette évaluation esthétique résolument « moderne » de l’héritage gassendien, qui le fait participer indirectement à une nouvelle conscience de soi de la littérature dans l’histoire, suppose en arrière-plan toute cette gamme subtile d’interprétations déviantes, dont on a essayé de décomposer le mouvement.
62L’oxymore impertinent choisi pour titre (« Gassendisme frivole ») semble impliquer la dissolution du premier terme au profit du second : de gassendien ici que reste-t-il au juste ?
63Mais on découvre aussi, chemin faisant, que l’élément « frivole » qui tend à le recouvrir est loin d’être aussi léger qu’il ne le semble pour les besoins immédiats de la séduction ; qu’il s’élabore sur des strates complexes où l’érudition joue aussi son rôle, que certaines images de la pensée léguées par le gassendisme ont partiellement servi à structurer le grand jeu du savoir et du non-savoir, de la morale et du plaisir dans un espace littéraire et critique qui lui échappe.
Notes de bas de page
1 Les chiffres entre parenthèses renvoient aux Œuvres en prose de Saint-Évremond, éd. R. Ternois, Paris : Didier (STFM), 1965. Les chiffres romains indiquent le tome, les chiffres arabes, la page.
2 Il est même possible que par-delà les entretiens et le souvenir de cette parole vive, la mise en scène de l’entretien interfère avec un souvenir plus précis des Exercitationes, et que les errements sceptiques du jeune Saint-Évremond répètent (d’assez loin) ceux dont Gassendi faisait état dans sa préface.
3 Exercitationes Paradoxicœ adversus Aristoteleos [...], 1re éd. Livre I seul : Grenoble, 1624, 2e éd. posthume, Livres I & Il : Lyon, 1658, Op. III 97-212 ; éd. et trad. B. Rochot, Paris : Vrin, 1959.
4 Exercitationes Paradoxicae Adversus Aristoteleos, trad. B Rochot, Paris : Vrin, 1959, pp. 491- 493.
5 Cf. II, 109 : « Les phrases sont faites de mots irréprochables.
6 Cf. Œuvres de J.-F. Sarasin, Tome 2 (œuvres en prose), éd. P. Festugière ; Paris : Champion, 1926, pp. 37 et suivantes. P. Festugière écrit : « Bien que cette dissertation ait été, à partir de 1683, insérée dans les nombreuses éditions des "Œuvres mêlées” de Saint-Évremond qui se sont succédé jusqu’à l’édition authentique, elle doit être restituée à Sarasin ».
7 Il est possible, selon R. Ternois, que cet écrit, qui paraît être une réfutation de Sarasin, ait été provoqué par l’Abrégé de la Philosophie de Gassendi, que Bernier publia de 1674 à 1678 et dont la seconde édition, « revue et augmentée », parut en 1684 (rééd. Paris : Fayard, “Corpus des œuvres de philosophie en langue française”, 1992). Cf. ibid. III, 421.
8 Cf. Claude Reichler, l’Âge libertin, les Éditions de Minuit, Paris, 1987, en particulier pp. 22-42. À propos de l’hypothèse du masque, cf. O Bloch, Le Matérialisme p. 25 ; cf aussi Jean Salem, Tel un dieu parmi les hommes, l’éthique d’Épicure, Paris : Vrin, 1989, pp. 175 et suivantes.
9 Peut-on voir là, avec R. Ternois, une allusion aux Doutes de Mr. Bernier sur quelques-uns des principaux Chapitres de son Abrégé de la Philosophie de Gassendi (publié en 1682) ? En fait, il est difficile de percevoir à quel titre la figure de Bernier intervient au juste dans cet argumentaire : ces « choses » dont il doute « aujourd’huy » concerneraient-elles seulement la sphère du savoir, et plus spécialement celle de la physique – comme c’est le cas, en effet, dans l’ouvrage de 1682 ?
10 Ibidem, p. 437. Nous soulignons.
11 « L’un [Descartes] se distinguoit par la profondeur de sa méditation, l’autre par l’estendue de sa littérature. L’un vouloit que tous ceux qui l’avoient devancé n’eussent presque rien connu dans les choses de la Nature ; l’autre taschait à faire voir par de favorables interpretations que les Anciens avaient pensé les mesmes choses qu’on regardoit comme nouvelles. » (Nous soulignons) Charles Perrault, Hommes Illustres qui ont paru en France pendant le XVII. siecle, 1700. in-f° I, 64, cité par H. Berr, Du scepticisme de Gassendi, trad. B. Rochot, Paris : Albin Michel, 1960, p. 96.
Auteur
Université de Paris-Sorbonne, UFR de Philosophie moderne, Paris IV, 1 rue Victor Cousin, 75230 – Paris Cedex 05.
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