Chapitre II. Le « De spacio physico et mathematico » de Patrizi
p. 23-37
Texte intégral
1Bien que publié en 1587, le De spacio physico et mathematico ne prend sa signification qu’à l’intérieur de l’œuvre de maturité qui le développe et le systématise, la Nova de Universis Philosophia de 1591. Ce dernier livre reprend d’ailleurs le texte de 1587 sans le transformer autrement que sur des points de détail. La théorie de l’espace s’encadre alors dans la cosmologie de Patrizi dont elle forme une des parties les plus neuves. En tant que condition d’existence des objets, l’espace apparaît comme le milieu privilégié de l’univers et comme une réalité extérieure à toute chose.
A – Insertion du « De spacio » dans l’œuvre
2Penseur fécond, esprit aux intérêts divers, Patrizi se fixe à Ferrare après une jeunesse agitée, des voyages nombreux, une expérience politique à Chypre, des déconvenues en Espagne1. Ses préoccupations l’amènent à étudier l’histoire en 1560, la rhétorique en 1562, l’art militaire en 1583, la poétique en 1584 et surtout la philosophie pure. Deux étapes marquent ses recherches philosophiques : une critique d’Aristote avec les Discussionum peripateticorum libri IV de 1581 et un effort de reconstruction avec la Nova de universis philosophia de 1591. Entre ces deux œuvres prend place le texte que nous étudions2.
3La pensée de Patrizi s’organise autour d’une critique virulente de l’aristotélisme et d’un développement du platonisme dans un sens naturaliste. Si l’anti-aristotélisme de Patrizi est aussi injuste et violent que celui de Bruno, il présente cependant une certaine originalité dans la mesure où le philosophe de Ferrare prétend utiliser toutes les ressources que lui apporte la critique historique et philosophique. En s’appuyant sur Diogène Laërce et des témoignages antiques, il analyse, dans les Discussions péripatéticiennes la cohésion interne de la pensée aristotélicienne, l’évolution du style, l’authenticité des divers traités. Ces méthodes de critique historique, pratiquées par Valla et plus récemment par Nizzoli3, ont des résultats paradoxaux puisque l’Éthique à Nicomaque et une grande partie de la Métaphysique sont rejetées. Plus intéressante est l’étude des divers courants aristotéliciens. La place de l’averroïsme est clairement marquée en même temps qu’est critiquée l’union de la théologie et de la métaphysique aristotélicienne au Moyen-Age : « nihil in theologia arbitrati sunt passe statui nisi Aristotelecis fundamentis firmatum esset »4.
4Les autres livres sont consacrés à une réfutation serrée des grand principes physiques et métaphysiques. En utilisant des thèmes platoniciens, Patrizi montre l’ambiguïté de la notion de science chez le Stagirite : est-elle l’universel ? la somme des particuliers ? Ne convient-il pas plutôt de revenir à la théorie des Idées pour fonder sérieusement la science sur l’universel ? Enfin, des notions comme l’acte, la puissance ou le mouvement n’ont pas de statut bien défini puisqu’elles appartiennent à la fois à la physique et à la métaphysique5. De plus, la privation semble à Patrizi, comme à beaucoup de ses contemporains, parfaitement inutile : si elle est non-être, elle ne peut servir de principe premier6. La forme n’échappe pas davantage à la critique : si elle est accidentelle, « par quel moyen l’accident peut-il devenir principe de la substance ? De quelle manière, de la matière et de l’accident, résulteront les substances composées ? »7. Quant aux rapports de la matière première et de la matière déterminée, ils semblent également échapper à toute analyse. Que signifie une matière privée de toutes les formes ? Comment s’effectue le passage de la matière première qui n’occupe aucun lieu à la matière déterminée ?8 La verve de Patrizi peut s’exercer à l’infini...
5Au milieu du XVIe siècle on n’attaquait pas Aristote dans l’indifférence générale. Les polémiques suscitées par les Discussions péripatéticiennes prouvent la force de l’ancienne culture, les résistances à vaincre. C’est avec raison sans doute que Theodore Angeluzzi reproche à Patrizi de se considérer comme un novateur absolu. Une Apologia contra calomnias Theodori Angelutii suit, tandis qu’un disciple de Telesio, F. Mutus, prend la défense des thèses de Patrizi9 ; de tous ces textes, remarquablement analysés jadis par Fiorentino, se dégage une impression de vigueur et de recherches constructives10. Les penseurs les plus lucides se demandent tous comment fonder les principes de la nature. Les trois termes classiques : matière, forme et privation, sont remis en cause par suite du caractère négatif de la privation. On cherche partout à rendre compte de la nature « juxta propria principia » suivant l’expression de Telesio. Même ceux qui se disent platoniciens, comme Bruno ou Patrizi, n’ont guère confiance dans les archétypes, qualifiés d’abstractions. Le nominalisme sceptique d’un Nizzoli, le naturalisme d’un Telesio indiquent l’ampleur de la crise. Patrizi qui se dit admirateur de Telesio recherche, comme lui, à travers une sorte de retour au pré-socratisme, à comprendre la nature dans sa totalité et à son propre niveau. Tel est le but avoué de la Nova de universis philosophia.
6Le livre se divise en quatre partie : Panaugia ou théorie de la lumière, Panarchia ou principes généraux du monde (Un, ordre. Dieu), Panpsychia ou théorie de l’âme, Pancosmia ou physique. Dans cette dernière partie se trouve le De spacio physico et mathematico. La Panaugia11, où est traité le thème de la lumière, ne manque pas d’ampleur ni de poésie. Reprenant l’opposition traditionnelle entre Lux et Lumen (c’est-à-dire entre la lumière incorporelle issue de Dieu et la lumière se diffusant dans l’univers), Patrizi élabore une philosophie extraordinaire où se mêlent les lieux communs de la métaphysique, de la théologie, de la pseudo-science, et des intuitions très neuves12. S’épanchant dans l’univers entier, image de la divinité, la lumière incorporelle, principe fécondant et source de vie, agit sur le monde corporel et devient manifeste par son intermédiaire ; « Medium quoddam inter divina incorporea et corporum natura »13, elle relie entre eux tous les êtres. Elle seule fait saisir l’essence de Dieu, elle seule possède une fonction médiatrice universelle. En tant qu’images de la divinité, le soleil et les astres participent à la perfection première : ils sont incorporels par la lumière et corporels par leur étendue14. Ces idées inspirent une dialectique du fini et de l’infini, du corporel et de l’incorporel très caractéristique de la méthode de notre auteur. Il cherche à utiliser les médiations sous toutes leurs formes pour développer sa conception de l’unité de l’être. Ainsi s’ébauche une théorie de l’univers où l’idée de « corps-incorporel » et d’« incorporel-corps » forme la trame des quatre réalités fondamentales : la lumière, l’espace, la chaleur et le « fluor » (ou fluide).
7Comme l’a remarqué Fiorentino15, la question que s’est posée Patrizi est celle-ci : Comment la nature est-elle possible ? Et il a répondu : à condition que le corporel et l’incorporel puissent se trouver médiatisés, c’est-à-dire à condition qu’il existe une unité originelle. Si la question a peut-être pour nous une saveur kantienne, la solution, elle, reste traditionnelle, puisqu’il s’agit d’éviter une coupure irrémédiable entre l’âme et la matière, entre l’Un dont tout émane et les degrés inférieurs de l’être. La transformation du schéma plotinien s’opère en multipliant les intermédiaires. « Nous disons que [...] parmi les êtres, les uns sont tout à fait incorporels, les autres tout à fait corporels, mais qu’entre eux se trouvent deux intermédiaires, les incorporels corporels. Et dans ce genre est l’âme. L’autre (intermédiaire) est le corporel incorporel, dans lequel nous plaçons la nature, les qualités et les formes »16 . La nature est corps dans la mesure où elle possède les trois dimensions, incorporelle en tant qu’elle n’a pas l’antitypie caractéristique des corps purement matériels. L’incorporel peut donc se définir ainsi : « incorporum rursus est, quia nulla ci est antitypia »17. L’âme, évidemment incorporelle dans son essence, touche cependant à la corporéité dans la mesure où son action s’effectue sur des corps et à travers les corps. Nature et âme se rejoignent car « la nature en effet n’est rien d’autre que la vie du monde tout entier, dépendant de l’âme comme de sa cause »18. Cette volonté de médiatiser l’incorporel et le corporel, de faire participer tous les principes de l’univers à ces deux réalités indissolublement liées, caractérise la « nouvelle philosophie ». Par là, Patrizi espère dépasser le dualisme « impie » qu’il reproche aux aristotéliciens et aux théologiens. Dans ces conditions, le rôle de la matière purement « corporelle » devient secondaire. Toutes les philosophies de la Renaissance connaissent d’ailleurs ce problème dans la mesure où elles n’arrivent à conserver l’unité de la nature qu’au prix d’une sorte d’abandon de la « corporéité ». Sans la nier complètement, elles l’englobent dans un flux de vie où l’âme, présente en chaque point, est en même temps insaisissable parce qu’elle se diffuse partout. Comme phénomène de résistance et de cohésion des corps, l’antitypie se relie à un schéma dynamique de la matière que Leibniz n’oubliera pas quand il reprendra, dans un tout autre contexte, cette notion.
8La dialectique du corporel et de l’incorporel se complète par le jeu des quatre principes constitutifs de l’univers. D’abord vient la lumière « quae sese per omnia extendit, per omnia se fundit. Per omnia permaneat. Omnia permeando format et efficit »19. Imprégnant tous les corps, la lumière ne se distingue pas clairement de la chaleur, parce que « toute lumière est chaude et tout rayon est chaud »20. A ces deux principes voisins et complémentaires s’ajoute ce que Patrizi appelle « fluor » et que nous proposons de traduire par « fluide »21. « Nous disons que ce fluide primitif est la matière. En effet, seul le fluide peut être concentré et dilaté, raréfié et condensé, resserré et étendu »22. Sous l’action de la lumière et de la chaleur, le « fluor » qui est également froid et lourd, assure la cohésion des corps et devient par là même source de l’antitypie. Ce fluide de matière, tout comme la lumière et la chaleur, se diffuse sans discontinuité dans l’univers, descendant du ciel empyrée au monde sensible en se contractant ou s’étirant suivant les circonstances. Matière subtile et infiniment plastique, il se trouve aussi bien chez les êtres incorporels que chez les plantes, les animaux ou les pierres23. On ne peut séparer les trois premières réalités primordiales puisqu’elles s’impliquent mutuellement. Il semble cependant que la lumière soit privilégiée car elle émane directement de Dieu et transforme, à l’aide de la chaleur, le flux de matière en être vivant. Pourtant, sans l’espace qui conditionne toutes les réalités et forme la trame de l’univers, les trois premiers principes ne pourraient exister. Les quatre aspects de l’univers se présentent donc ainsi : « L’espace par lequel tout corps s’étend dans les trois dimensions. La lumière qui pénètre tous les corps par elle-même. La fluidité qui constitue tous les corps. Et la chaleur qui forme et vivifie tous les corps constitués par la fluidité »24.
9Sans doute Bacon n’avait-il pas entièrement tort, lorsqu’il parlait de retour aux pré-Socratiques à propos des dernières philosophies de la nature à la Renaissance25. Mais ce retour a une signification précise à Ferrare vers 1580 lorsque la Contre-Réforme stérilise toute pensée authentique. Le chaud et le froid, la lumière et l’espace permettent d’atteindre le « fond » de l’être et d’éviter les abstractions causées par le problème de la forme ou de la privation. En prenant une signification épistémologique et non plus seulement spirituelle la polémique anti-aristotélicienne dépasse de très loin les évasions mystiques des Florentins. En face de l’aristotélisme officiel, le platonisme du XVIe siècle doit être interprété dans son contexte créateur. Il se présente avant tout comme une critique de la physique traditionnelle au nom de l’unité de l’être. Même lorsqu’il reste fidèle à un schéma cosmologique géocentriste, comme c’est le cas pour Patrizi, il s’accompagne d’une infinitisation de l’univers qui implique un remaniement de la théologie. Sans aboutir à un monisme radical, notre auteur, guidé par son intuition de l’unité de l’être et sa théorie du lien entre le corporel et l’incorporel, se trouve obligé de repenser l’infinité divine. Dans l’Un s’unissent la nécessité et l’infinité, l’acte et la puissance : « Donc puisqu’il n’est pas fini, il est infini, et de même que son existence (hyparxis) est infinie, sa puissance est aussi infinie. Et comme sa puissance (est infinie) ses actions seront aussi infinies »26. De cette identité de l’acte et de la puissance découle l’infinité de l’univers. Certes, la nature renvoie à Dieu, comme un reflet à la source, puisque Patrizi affirme nettement la création27. Mais celle-ci ne peut se concevoir qu’à travers une étendue infinie, comme le montrent les textes consacrés à l’espace.
B – La conception de l’espace
10Il ne faut pas s’attendre à trop de subtilités ni à des fioritures dans cet exposé volontairement rapide, écrit dans un style direct, en une langue apparemment simple. En remplaçant l’emphase latine par des phrase courtes, en calquant sur le grec un certain nombre de termes, Patrizi entend montrer qu’il va à l’essentiel et ne s’embarrasse pas des coquetteries inutiles du beau langage ou de la rhétorique. En soi, ce texte est un manifeste contre un certain maniérisme humaniste de la fin de la Renaissance, comme il est un manifeste contre la conception du lieu-enveloppe-immobile.
11L’étude se divise en deux parties : l’espace physique et l’espace mathématique. Dans la première partie, Patrizi établit l’existence et la nature de l’espace qui se présente sous deux formes selon qu’on considère l’univers en tant que tel ou le monde fini contenu en lui. Si l’espace de l’univers est infini, vide et illimité, celui du monde est fini, plein et limité. La seconde partie, consacrée aux problèmes mathématiques, comporte une polémique intéressante, quoique courante à l’époque, contre la divisibilité du continu à l’infini. En soutenant la thèse du point réel, minimum de matière et base de toutes les opérations notre philosophe prétend échapper aux fausses abstractions. Curieuse conception où les lieux communs issus du pythagorisme et du platonisme se mêlent à un effort très neuf pour déterminer une théorie cohérente de l’espace abstrait. Audacieuse par ses implications cosmologiques et sa critique physique, cette tentative reste parfaitement simpliste dans ses conséquences opératoires et mathématiques.
L’espace physique et les problèmes cosmologiques
Chapitres I à III inclus : l’existence de l’espace
12Patrizi travaille avec les textes du quatrième livre de la Physique sous les yeux. Il suit l’exposé, adopte certaines analyses et retourne contre Aristote une partie de ses arguments. Pour déterminer l’existence de l’espace, l’homme part de l’expérience quotidienne qui implique l’appréhension immédiate des trois dimensions : longueur, largeur et profondeur. Cette première expérience ne se séparant pas encore de celle des corps, il convient de se demander quels sont les rapports de l’espace et des corps.
13Une première distinction s’impose. Le corps ne peut pas s’assimiler aux « choses corporelles », c’est-à-dire à ce que Descartes appellera les « qualités secondes » (blancheur, noirceur, chaud, froid, etc...). Si le corps occupe de l’espace, les « choses corporelles » n’y participent que par accident. En première approximation, l’espace paraît donc lié aux corps seuls. Mais chacun sait que tout corps est localisé et que, selon la définition d’Aristote, le lieu est l’enveloppe immobile des corps. Montrer les contradictions et les difficultés de cette affirmation, tel est le but de Patrizi
14Tout corps possède les trois dimensions, a-t-on déjà dit. Or, une enveloppe est une superficie, donc elle a deux dimensions, et il reste une des dimensions du corps qui n’est pas localisée. Qu’arrivera-t-il ensuite si le corps se meut ? Emportera-t-il avec lui son enveloppe immobile ? Que se passera-t-il si deux corps se pénètrent ou s’agrandissent ? Ces objections, classiques depuis Philopon, sont reprises sans indication de sources par notre auteur. Si la solution aristotélicienne doit être exclue, faut-il revenir à l’idée que le lieu est le corps ? Non, dit Patrizi, parce que le corps possède l’antitypie, tandis que le lieu en tant que tel se définit par les trois dimensions. Le lieu est donc différents des corps ; il leur préexiste. A ce stade de la démonstration, il ne se distingue pas encore de l’espace.
Chapitres IV à VII inclus : Espace, vide et infini
15Suivant toujours l’ordre du quatrième livre de la Physique, Patrizi aborde le problème du vide. Puisqu’il a réfuté la définition aristotélicienne du lieu et, par suite, la cosmologie qu’elle impliquait, il se trouve contraint de réhabiliter le vide pour fonder sa propre physique.
16La première question concerne l’existence du vide à l’intérieur de notre monde. Pour la prouver, Patrizi reprendra et réinterprétera certaines expériences classiques depuis l’antiquité. Les corps qui se contractent ou se dilatent doivent nécessairement posséder de petits espaces vides qui rendent compte des phénomènes d’extension ou de resserrement. De même, tout mouvement suppose une « contraction » de l’air ambiant qu’on ne peut comprendre qu’à l’aide de l’hypothèse d’un vide intercalaire entre les particules d’air. Enfin, des expériences privilégiées prouvent l’existence d’espaces vides plus importants. Si l’on inspire l’air contenu à l’intérieur d’une boule de métal rigoureusement étanche, il restera nécessairement du vide. Des outres vidées de leur contenu, des clepsydres percées en bas et fermées en haut prouveront abondamment l’existence de ce vide. Ces arguments n’ont rien de neuf. On les répète depuis des siècles. Cardan, Telesio, Bacon y attachent une grande importance, mais il faut bien admettre qu’ils n’apportent aucune preuve sérieuse. Retenons seulement la conception d’une structure poreuse de la matière et la possibilité de l’existence du vide.
17La seconde question porte sur le vide hors du monde et elle met en cause les plus célèbres discussions cosmologiques. Deux thèses retiennent l’attention de notre auteur. La première, qui correspond à l’hypothèse finitiste habituelle, admet l’existence d’un monde clos, limité par la dernière sphère. La seconde, d’origine stoïcienne, reprend l’idée d’une conflagration universelle suivie de mouvements d’expansion et de récession. Favorable à la finitude de notre monde (c’est-à-dire la terre, les planètes et la sphère des fixes), Patrizi refuse la solution aristotélicienne du problème de la dernière sphère. Il entoure ce monde d’un vide infini, ce qui lui permet de localiser l’extérieur de la dernière sphère. Écoutons ce raisonnement curieux. Imaginons un signe de zodiaque occupant une certaine place dans le ciel. Prolongeons depuis le centre du monde jusqu’à la dernière sphère les lignes qui le définissent. La projection de ce signe occupera nécessairement une place sur cette sphère, donc un lieu. Or, peut-on dire que ce lieu ne sera entouré par aucune réalité, qu’il ne sera donc pas dans un lieu par la partie extérieure de la dernière sphère ? Cela serait ridicule. En bonne logique, il convient donc de poser, hors du monde, un espace vide, capable de localiser la dernière sphère. Le bon sens l’exige, tout comme la théologie de Patrizi (à laquelle il n’est pas fait allusion dans ce passage). Si l’on se tourne vers l’hypothèse stoïcienne de la conflagration, on s’apercevra également que les diverses phases des mouvements de l’univers supposent l’existence d’un espace vide. Ainsi, que le monde soit conçu sous sa forme traditionnelle ou selon un système instable, il convient de poser l’existence d’un espace vide.
18Pour échapper aux problèmes inextricables de la localisation de la neuvième sphère, le Moyen-Age avait inventé un ciel cristallin et certains théologiens avaient ajouté un ciel empyrée. Ce n’était que reculer le problème. En admettant un espace infini et homogène hors du monde, Patrizi pense répondre à toutes les objections. Notre monde est localisé et l’univers infini s’étend hors de lui. Ainsi, l’espace apparaît-il sous deux formes. Comme espace de l’univers, il est vide, infini ; comme espace du monde, il est fini et rempli de corps. Simple et homogène sous sa première forme, il est complexe sous la seconde. Divisé par les corps, les contenant tous et les limitant, l’espace du monde perd, dans une certaine mesure, sa pureté originelle, bien qu’il reste fondamentalement, comme l’espace de l’univers, « corpus incorporeum ».
Chapitres VIII à X inclus : Primat de l’espace
19Cette partie du texte établit l’antériorité de l’espace vide par rapport aux corps, par rapport au lieu, par rapport au monde. L’espace préexiste à tout et existerait encore si l’univers disparaissait ou si Dieu n’avait pas créé le monde tel que nous le connaissons. Peut-on parler de co-existence de l’espace et de Dieu ? Un texte ambigu ne permet guère d’en décider : « Avant que nous l’habitions, ce monde que Dieu a fabriqué était vide, les atomes y volaient, le chaos tourbillonnait, la matière informe était agitée de mouvements désordonnés «28. Quoi qu’il en soit, l’espace primordial ne saurait s’assimiler à la chôra platonicienne, puisque par son infinité il est plus qu’un contenant des choses. Il convient de l’appeler substance au sens fort, puisqu’il n’a besoin de rien pour exister, puisqu’il est antérieur aux choses et se tient « sous » tous les êtres de la nature. N’étant pas corps, par suite de l’absence d’antitypie, ni incorporel pur par suite à la présence des trois dimensions, il est un corps incorporel, totalement immobile égal à soi-même, étranger à toute forme d’activité ou de passivité. Seuls les éléments, étagés autour de la terre, occupent des places déterminées de l’espace et recherchent pour cette raison leur lieu naturel.
Remarques sur l’espace physique
20En adoptant l’infinité en extension de l’espace et en conservant le système géocentrique, Patrizi se trouve au carrefour de très vieilles spéculations et d’hypothèses plus personnelles. La déduction de l’infinité de l’espace ne se sépare pas encore, chez lui, du problème théologique de l’infinité de Dieu. Mais le style de la démonstration, le choix des arguments impliquent un déplacement à tendance moniste du Deus in rebus. Aux hiérarchies divines des Néo-platoniciens, sévèrement critiquées, il substitue le thème du « tout est dans tout »29. Si l’infinité de l’univers s’appuie sur l’impossibilité de séparer en Dieu l’acte et la puissance, elle se fonde également sur l’intuition d’une unité partout présente, partout égale à elle-même ; « Dieu parcourt toutes les choses et les contient parce qu’il se contient soi-même et est en toute chose. Et parce qu’il est toujours en soi, il ne s’éloigne ni ne se détruit. Il est ce qu’il fait ; conservateur des êtres, il se conserve lui-même »30. L’infinité de l’espace, comme celle de la lumière, a d’abord pour rôle de fonder une métaphysique de l’Un. Certes, l’Un infini ne présente pas les caractères d’homogénéité que l’on trouvera chez Bruno et plus tard chez Spinoza. Suivant les niveaux, l’unité se différencie, prenant tantôt la forme du vide infini, tantôt celle de la matière du monde. Ce double aspect n’est pas sans rappeler certaines cosmologies anciennes. Mais par sa thèse du corpus incorporeum, Patrizi prétend maintenir l’unité entre les divers aspects de l’univers. Il n’empêche qu’on peut se demander ce qu’il entend par vide infini.
21Il ne peut s’agir d’un vide absolu, puisque l’espace est parcouru par la lumière, la chaleur et le fluor. Ici, vide signifie seulement absence d’antitypie, c’est-à-dire de résistance matérielle. Aussi n’est-il pas étonnant que l’espace contienne tous les corps, mais les pénètre également et soit pénétré par eux. En somme, l’espace se réduit à l’extension suivant les trois dimensions, mais il possède, comme toutes les réalités « médiatrices », une sorte de privilège qui le fait participer au corporel et à l’incorporel. Ce mixte ne pouvait guère surprendre la pensée de la Renaissance toute pénétrée de la crainte de voir séparer radicalement le corps et l’âme, la matière et l’esprit. Pour Patrizi, l’espace n’est pas une abstraction, ni seulement une condition d’existence des objets. Il est la trame réelle de l’univers, le canal par lequel se diffusent les forces qui animent la nature. Même si l’être en soi31 demeure inconnu, l’espace, lui, n’échappe pas complètement aux analyses réalistes, comme le prouvera la théorie de l’espace mathématique.
L’espace mathématique
22Toute la conception de Patrizi s’articule sur deux thèmes qui s’impliquent : il existe un minimum réel d’espace et, par suite, la division du continu à l’infini est impossible.
Chapitre I : Théorie du minimum
23En reprenant des spéculations héritées des Platoniciens et peut-être de certains atomistes, Patrizi s’élève contre les mathématiciens dont il refuse les abstractions. Son raisonnement commence par l’opposition du maximum et du minimum. Le maximum, infiniment grand, est divisible, tandis que le minimum, point ultime de toute réalité, est indivisible et ne possède pas de parties. Cette utilisation rigide de l’opposition entre les deux notions ferme la voie à toute subtilité alors qu’une dialectique de la « coïncidence » du minimum et du maximum n’était pas par principe exclue de la pensée d’un auteur qui sait, par ailleurs, pratiquer les « dépassements ». Ce même réalisme mathématique se retrouve chez Bruno qui, pourtant, sait très bien manier le passage à la limite en mathématiques. Ce rapprochement, sans doute, n’est pas fortuit. Confrontés à des problèmes semblables, des auteurs de tempéraments philosophiques divers, sont conduits à des solutions semblables. La logique interne de l’anti-aristotélisme, les faibles connaissances mathématiques des penseurs expliquent ces balbutiements32. L’existence d’un minimum réel se justifie par des raisons purement physiques : l’espace, pour exister, doit être formé de minima ayant un contenu réel.
24Comment concevoir ce minimum ? Il ne peut s’agir du point, puisque celui-ci, ne possédant aucune dimension, ne saurait constituer l’espace. Le point est seulement dans l’espace. On n’affirmera pas non plus, à la suite de certains mathématiciens, que le point est principe de la ligne. Pour le prouver, il faudrait introduire le mouvement, or celui-ci n’apparaît qu’après le point et la ligne. Une seule solution s’offre à l’esprit : considérer la ligne comme l’espace minimum et la définir comme une partie d’espace comprise entre deux points. Ce retour au binaire platonicien n’implique pas l’antériorité du point sur la ligne, mais leur mutuelle implication. En partant de ces deux éléments de base, se forment les réalités géométriques élémentaires : la surface est engendrée par trois points, le volume par quatre. Les divers minima, hétérogènes entre eux, renvoient à des réalités différentes. Seule la ligne peut être considérée comme l’espace minimum.
Chapitre II : La divisibilité du continu
25Ce chapitre essentiel est parfois difficile à interpréter car Patrizi ne nie pas grossièrement et sans subtilité la divisibilité du continu. Utilisant intelligemment la définition euclidienne de la ligne (les extrémités d’une ligne sont des points), il se retourne contre Aristote et sa théorie du continu. Il ne vise pas tant les spécialistes que les sophistes « pour qui la divisibilité du continu ne peut s’effectuer qu’en puissance et non en acte ». Si ce texte rappelle des polémiques bien connues dans les Écoles, il n’en a pas moins une certaine vigueur33.
26Tout le problème de la divisibilité du continu s’appuie sur une définition du continu et, par suite, sur une définition de la ligne. Si on admet avec Euclide qu’une ligne est terminée par des points, il est impossible, d’après Patrizi, d’admettre une divisibilité à l’infini du continu. Cette opération n’aurait une signification que si la ligne pouvait échapper aux points qui la limitent et s’il n’existait pas de minima d’espace appelés lignes. Ainsi, sans nier absolument la divisibilité du continu pour une ligne non terminée par des points, notre auteur est amené à la refuser dans le cadre de sa propre conception. Toute son argumentation tend à retrouver les lignes insécables de Platon et de Xénocrate. Il reste, cependant, à élaborer une théorie du continu qui échappe aux difficultés de celle d’Aristote. En effet, si on définit comme le Stagirite le continu par ce « dont les extrémités sont une », on aboutit à un cercle vicieux. Que signifie l’union de ces deux extrémités ? Comment peut-on obtenir du continu à partir du non-continu ? Bien plus, c’est sur ce pseudo-continu qu’on prétend pratiquer la division à l’infini. L’opération n’a aucune signification matériellement ; elle ne correspond à aucune expérience naturelle, à aucune perception possible. Enfin, elle conduit à des contradictions insolubles. Deux lignes dont l’une sera le double de l’autre, divisées à l’infini, posséderont deux infinis dont l’un sera le double de l’autre. Ces infinis seront également finis. Et Patrizi de rappeler tous les paradoxes sur l’infini qui ont fait la joie des dialecticiens subtils depuis Zénon... Ainsi la divisibilité à l’infini constitue-t-elle une ineptie. Sur un continu aussi mal conçu on ne pouvait construire que des abstractions. Il convient alors de retourner au fondement réel des mathématiques, c’est-à-dire à la ligne insécable, minimum d’espace. Deux lignes insécables peuvent s’additionner, former des figures, constituer des corps géométriques. Mais dans le sens de la division on s’arrêtera toujours à un éléments ultime.
27Les minima se diversifient entre eux. Le point, qui n’est pas encore de l’espace, apparaît surtout comme la source du nombre. La ligne droite, espace minimum entre deux points, se distingue de la ligne circulaire minima qui, elle, n’a pas besoin de point. Dans la mesure où le point échappe à la corporéité, on évite le matérialisme démocritéen. Souvent Patrizi, bien qu’il s’en défende, retrouve des accents pythagoriciens ou platoniciens. Les nombres-points, la dyade, la décade rappellent des thèmes très classiques à la Renaissance d’Aristote, en particulier d’un texte qui lui est attribué et qui s’intitule « Sur les lignes insécables » ; la doctrine de Xénocrate y est discutée. Les emprunts aux livres M et N de la Métaphysique sont également importants. Pourtant, toute cette mathématique est fâcheusement naïve puisque Patrizi, soucieux de sauvegarder le contenu concret des opérations, n’arrive pas à s’arracher au primat de la ligne minimum.
Chapitre III : Conséquences
28Avec le retour à l’espace, Patrizi prend ses distances vis-à-vis du pythagorisme. Pour lui, le continu étant antérieur au discret, le nombre ne peut être premier. L’espace universel précède toute chose et l’esprit découpe en lui des parties ou des dimensions. En conséquence, la géométrie est antérieure à l’arithmétique. Elle porte sur les réalités fondamentales puisqu’elle est science de l’espace. En ce sens les mathématiques sont, comme pour Aristote, une science intermédiaire. Mais les raisons différent : Aristote s’intéresse surtout au problème des opérations mathématiques tandis que Patrizi les relie à son onto-cosmologie des réalités de type corpus-incorporeum. A la fois corporelles et incorporelles, les mathématiques possèdent, comme l’espace, une double nature. Elles participent à la corporéité en tant qu’elles portent sur les dimensions ; elles participent à l’incorporel en tant qu’elles touchent à l’absolument simple. Proches des mathématiques, se trouvent les sciences qui s’occupent des trois autres réalités fondamentales : la lumière, la chaleur, le fluide. La classification de ces sciences rejoint la nature profonde de l’être. Mais la noblesse des mathématiques a pour origine leur participation à l’espace primordial dont, nous affirme l’auteur, la théorie a été formulée pour la première fois.
Remarques sur l’espace mathématique
29Cette seconde partie de l’ouvrage, suite logique de la première, n’en a ni l’ampleur, ni l’audace. La théorie mathématique de la ligne insécable bute sur la divisibilité du continu et se heurte à des problèmes pré-euclidiens. Tout se passe comme si la critique de l’aristotélisme et de l’abstraction mathématique avait joué au XVIe siècle comme une sorte de frein. Au nom d’un réalisme logique élémentaire, les penseurs se trouvent embarrassés par des apories dépassées depuis longtemps par le développement effectif des mathématiques. Alors que Tartaglia et Cardan polémiquent sur la solution de l’équation du troisième degré, que les imaginaires sont introduites par Bombelli, que la trigonométrie se développe, Patrizi, tout comme Bruno, s’arrête à un géométrisme simpliste lié à des spéculations physiques sur l’élément ultime de l’espace. Ce qui ne les empêche, ni l’un ni l’autre, de proclamer bien haut qu’ils révolutionnent les mathématiques et l’astronomie. Tycho-Brahé qui s’y connaissait, et qui cite Patrizi dans ses œuvres ne manque pas de relever cette incompétence profonde34.
30Ce problème des limites mentales d’un auteur mérite d’être examiné. A partir de sa conception de l’espace corpus-incorporeum, Patrizi aurait très bien pu élaborer une théorie cohérente des opérations mathématiques. Il aurait pu pratiquer la méthode chère à la plupart des auteurs : réalisme physique d’un côté, nominalisme mathématique de l’autre. Duhem a très bien montré comment Buridan et certains médiévaux ont joué sur cette doppia verità suivant les problèmes auxquels ils s’attaquaient35. Mais, en voulant l’unité et la cohérence interne, Patrizi se ferme la voie de la distinction des plans. Rien n’est plus affligeant que le passage où il tire de l’opposition du maximum et du minimum l’existence du minimum réel et fini. Pourquoi cette dissociation entre l’infiniment grand, si logiquement déduit, et l’infiniment petit refusé systématiquement ? Seule la distorsion entre les divers types de connaissance permet de répondre à cette question. Au XVIe siècle, la cosmologie devient la science noble. C’est autour d’elle que se développent les grandes polémiques mi-scientifiques, mi-religieuses du début du XVIIe siècle. Les mathématiques poursuivent leurs progrès, mais n’ont encore aucune influence décisive sur la pensée philosophique. On raisonne sur les mathématiques comme on raisonne sur la cosmologie, c’est-à-dire avec un mélange de rigueur logique et d’arguments réalistes. Lorsque Patrizi critique Aristote, il montre que rien n’empêche de concevoir un espace infini. Sa thèse, présentée avec une certaine prudence, porte avant tout sur la nature de la puissance divine : si celle-ci est infinie, si la volonté ne peut se séparer de la nécessité, alors, acte et puissance s’identifient en Dieu. Par suite, l’univers et l’espace doivent logiquement devenir infinis. Contrairement à Bruno qui réfléchit sérieusement sur Copernic et en tire d’audacieuses extrapolations, Patrizi pense le problème de l’univers à partir de l’Un, du nécessitarisme grec, de l’union de l’acte et de la puissance. L’espace est infini parce qu’il renvoie à Dieu qui s’étend partout ; l’espace se définit comme corpus-incorporeum parce qu’il dévoile un des aspects multiples de l’unité comme la lumière ou la chaleur. L’approche moniste implique cette homogénéité du tout. Une cosmologie infinitiste comme celle de Patrizi s’appuie sans doute sur des préoccupations religieuses, mais elle suppose surtout une logique interne de l’indissociabilité de l’acte et de la puissance. Il devenait alors inconcevable d’admettre une divisibilité en puissance. Si tout est un, les mathématiques répondent à la cosmologie. L’infini en extension est réel, tandis que l’infiniment petit, posé comme le résultat d’une opération seulement effectuable en puissance, ne peut se justifier. Le réalisme mathématique de Patrizi découle finalement de son ontologie. Si en Dieu acte et puissance ne peuvent se séparer, il n’y a pas de raison non plus de réserver à la divisibilité du continu un statut particulier. Ce bloc logique excluait par principe une réflexion mathématique autonome. Pour Patrizi, une pensée abstraite dont on ne peut justifier le contenu réel ne signifie rien. Quant aux exigences d’une pensée purement opératoire, elles n’entraient pas dans son champ de réflexion.
31Audacieux par son infinitisation de l’univers, traditionnel dans sa physique, réaliste en mathématique, tel est notre auteur. En gardant la terre au centre de l’univers, il est amené à conserver les hiérarchies habituelles des éléments. Parmi les opinions cosmologiques en vogue, il cite pêle-mêle Fracastoro, Copernic, Tycho-Brahé et les anciens, et conclut péremptoirement : « Haec sunt astronomorum, ut nobis quidem videntur deliria, summatim hue relata »36 ; Et cela pour une raison bien simple : les astres sont des animaux divins, mus par leurs âmes et non par des orbes (fussent-ils cristallins). Cet animisme l’éloigne, par conséquent, de toute intelligibilité de type mathématique. Pour lui. Copernic est un continuateur d’Aristarque de Samos qui participe de l’absurdité de tous les astronomes « quia putavit planetas, sicuti alla astra, orbibus infixa ferri »37. Il convient donc de revenir à la vie, ce qui n’exclut pas, d’ailleurs, un certain mouvement de la terre autour de son centre, dans le sens contraire de celui des étoiles fixes. A cela s’ajouterait un mouvement mixte des planètes38. Ces considérations, rappelant les plus anciennes cosmogonies, font sourire, mais elles permettent de comprendre pourquoi Patrizi s’est heurté au problème de la quantité et à celui de l’abstraction. Pour lui, tout est vie, et toute pensée qui enserre les êtres dans les cadres rigides d’une cosmologie mathématique ou d’un formalisme opératoire participe nécessairement à l’erreur. Sans doute certains aspects des mathématiques de la Renaissance lui fournissent-ils une excuse : « La pensée de l’arithmétique et de l’algèbre de la Renaissance reste au niveau de celle du grammairien ; elle est semi-concrète. On sait les règles générales, mais on opère sur des cas – mots ou nombres – concrets »39. Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que la philosophie ait achoppé sur cette base semi-concrète des mathématiques qu’est le minimum réel, indivisible, insensible, mais toujours présent.
32Sans doute faudrait-il ajouter d’autres freins. L’hermétisme, le pythagorisme, les spéculations mystico-religieuses sur les nombres jouent contre l’autonomie des mathématiques. Celles-ci se présentent comme une science à moitié divine dans son origine, pratique dans son utilisation quotidienne. Le nombre renvoie à une mystérieuse unité du cosmos, mais il conserve en même temps un sorte de rigidité. On ne le manie pas encore, on le contemple. De l’harmonie des sphères à la divine proportion il n’y a qu’un pas que franchit allègrement le nombre d’or. Chez Patrizi, tout se mêle encore : les réfutations du lieu-enveloppe, l’élargissement du platonisme et aussi un effort systématique pour penser l’espace comme condition d’existence des corps.
33Si l’espace apparaît comme la manifestation nécessaire de la nature, c’est finalement parce qu’il est la réalité primordiale, la substance in se et per se. Dans une pénétrante analyse consacrée à Patrizi, Saitta insiste à juste titre sur cet aspect40. Si l’espace n’était pas la substance fondamentale, l’univers perdrait son unité, la lumière, la chaleur ou le fluor n’auraient plus de réalité. Sans l’extension médiatrice entre le corporel et l’incorporel, l’univers perdrait sa trame. Ni la matière, ni l’antitypie n’enlèvent à l’espace sa qualité, c’est-à-dire l’extension suivant les trois dimensions ; aussi était-il nécessaire, pour conserver cette unité, de concevoir une matière poreuse, de l’emplir de petits espaces vides, compressibles ou capables de se dilater suivant les circonstances. Avec l’abandon du lieu-enveloppe, le corps gagne une relative indépendance : il participe à l’espace sans être absolument déterminé par son lieu naturel bien que la hiérarchie des éléments joue toujours un rôle. Cette reprise de la chôra platonicienne s’effectue dans un cadre neuf puisque l’espace devient une réalité positive, tandis que pour Platon la chôra reste affligée d’un manque ontologique puisqu’elle représente l’indéterminé, l’illimité, l’état le plus imprécis de la matérialisation41. Par là s’accomplissait la transformation d’un concept ancien.
34Cette homogénéité positive de l’espace deviendra rapidement une nécessité pour la science : Galilée la supposera. Descartes, Henri More, Leibniz l’approfondiront en la décantant de l’animisme et en la reliant aux recherches sur le mouvement42. Nul n’ignore les cheminements difficiles de cette épuration, les discussions sur l’espace absolu et l’espace infini chez Newton, sur l’âme et l’étendue matérielle chez Descartes, sur l’étendue intelligible et l’étendue matérielle chez Malebranche. La théologie y jouera encore un rôle important. Dans cet énorme travail où la science moderne fait l’apprentissage de sa jeune puissance, la place de Patrizi n’est pas négligeable. Sa célébrité et son audience ont contribué à préparer les esprits à d’autres révolutions.
35Peut-on, pourtant, comme certains l’ont suggéré, considérer Patrizi comme une sorte de précurseur du kantisme ? Fiorentino l’affirme : « L’espace comme intuition pure dans la philosophie de Kant relie les fonctions sensitives et intellectuelles en une unité à priori ; l’espace, comme corps incorporel, dans la philosophie de Patrizi, réunit la matière et la forme, le corps et l’âme dans un moyen terme qui n’est ni l’un, ni l’autre... »43. Certes. Mais qu’entendre par là ? La connaissance, pour notre auteur, est « coitio quaedam cum suo cognobili », c’est-à-dire saisie adéquate d’un être44. Mais lorsqu’il s’agit de l’espace et de Dieu, cette connaissance est par principe impossible. L’être en tant que tel est inconnaissable, affirme plusieurs fois Patrizi45. Par là serait évité le réalisme de l’espace. Bien qu’inconnaissable, l’espace serait une condition de toute relation de l’esprit au monde. Ces analogies séduisantes n’ont guère de fondement. L’infinité de l’espace exclut son adéquation à un esprit fini, mais son unité substantielle, son antériorité à tout acte de connaissance en font une réalité qui préexiste à l’homme et qu’aucun acte de la mens ne peut circonscrire. La substantialité de l’espace renvoie à une ontologie réaliste parce que l’espace ne peut se séparer des trois autres principes fondamentaux (lux, calor, fluor) qui sont des modalités de l’activité divine. Le fameux texte où Patrizi affirme que l’esprit (mens) découpe l’espace ne saurait faire illusion. Il s’agit tout simplement de montrer que, par-delà l’unité indifférenciée de l’espace, il se produit des distinctions qui doivent être attribuées à l’homme46. Mais ce découpage vient en second lieu. Il se produit après, parce que l’espace mathématique est en définitive subordonné à l’espace physique. Abstrait, l’espace mathématique doit cependant se rapporter à son contenu physique, et c’est tout le drame de la divisibilité du continu. Les connaissances ne peuvent en aucun cas déterminer les conditions de la saisie de l’être. Il n’y a pas de primauté du cogito, mais seulement une référence continuelle à une réalité antérieure. Cette position réaliste caractérise selon nous la pensée de Patrizi47.
36Ainsi, la disparition de l’espace-agrégat, préparée de longue date par certaines philosophies antiques, devenue effective dans l’art dès la fin du XVe siècle, est acquise pour la réflexion théorique à la fin de la Renaissance. Patrizi systématise sur ce point toutes les tendances de son siècle. Entre les divers types d’activité, les points de contact ne s’établissent pas toujours, les synthèses ne se formulent pas encore, parce que l’espace dont on découvre l’importance continue à échapper à une mathématique solide. Si l’âme libérée de ses tourments s’élance avec ferveur vers l’infini, si les peintres prétendent représenter plus exactement le monde, la pensée philosophique réfléchit encore sur le continu avec des arguments hérités des polémiques d’antan. Elle renouvelle l’image du monde sans inventer encore de nouveau moyens d’expression. A la fin du XVIe siècle, il est pourtant admis que le lieu doit être considéré comme une détermination secondaire d’un espace immense, homogène et sans bornes.
Notes de bas de page
1 A. L. Crespi, La vita e le opere de Patrizi, Milan, 1931. P. M. ARCARI, Il pensiero politico di F. Patrizi da Cherso, Rome, 1935, où se trouve étalement un résumé de sa vie. Les grandes dates de cette vie : 1529, naissance à Cherso, en Istrie ; semble voyager très jeune sur les galères de son oncle ; 1542, Venise, Ecole d’Abaque ; 1547, Padoue, où il étudie le grec (qu’il connaissait peut-être déjà grâce à ses voyages) ; 1551, retour à Cherso pour la mort de son père ; plusieurs voyages ; maladie de 11 mois ; 1560, Venise, Dialoghi della storia qui le lancent ; est envoyé à Chypre par Contarini ; 1568, retour en Italie ; il lit Telesio et lui fait des objections ; part pour l’Espagne dans l’espoir de s’enrichir par le commerce des livres et des manuscrits grecs ; échec ; 1578, à 49 ans, commence à enseigner à Ferrare, c’est là qu’il publiera ses oeuvres essentielles ; 1592, Aldobrandini devenu Pape sous le nom de Clément VIII l’appelle à Rome : dernières années assombries par des ennuis avec la Congrégation de l’Index ; mort en 1597.
2 Liste des principales oeuvres : Della storia (Venise, 1560) ; Della rhetorica (Venise, 1562) ; Discussionum peripateticorum libri IV (Venise, 1571), seconde édition (Bâle, 1581) ; La milizia romana di Polibio, di Tito Livio e di Dionigi (Ferrare, 1583) ; De spacio physico et mathematico (Ferrare, 1587) ; Della nova geometria (id) ; Apologia contra calomnias Theodori Angelutii (Ferrare, 1584) ; Parere in difesa di L. Ariosto (Mantoue, 1585) ; Della poetica (Ferrare, 1586) ; Nova de universis philosophia (Ferrare, 1591, Venise, 1593) ; Paralleli militari (Rome, 1594).
Il faut ajouter de nombreuses traductions, celle de Proclus (1583), de Philopon (1583), des textes attribués à Hermès Trismégiste (1591) et une édition de la Théologie d’Aristote (1591).
Un certain nombre de textes n’ont pas été publiés de son vivant, en particulier l’Apologie par laquelle il se défend devant la Congrégation de l’Index. A ce sujet, voir L. Firpo, « Filosofia italiana e Controriforma » in Rivista di Filosofia, XII, 1950, pp. 150-13 : T. Gregory, « L’Apologie di F.P., Rinascimento IV ; 1953, pp. 89-104 et du même, « l’Apologia e le Declarationes di F.P. in Medioevo e Rinascimento, Studi in onore di B. Nardi, Florence, 1955,1, pp. 385-424.
3 Nizzoli, De veris principiis et vera ratione philosophandi contra pseudophilosophos, Paris, 1553.
4 Discussionum peripateticorum libri IV, t. I, chap. XIII, pp. 164-165.
5 Ibid., t. III, p. 349 sq.
6 Ibid., Op. cit. Livre IV, II : « Si itaque privatio revera est non ens : cur nobis pro principio nobilissimae scientiae, pro principio rerum ipsarum ponitur ? ».
7 Discussionum peripateticorum libri IV, 14, 2 : « Si dicant accidentali, quonam pacto accidens substantiae erit principium ? Qomodo ex materia et accidente, substantiae compositae constabunt ? ».
8 Ibid., IV, 396.
9 Cette édition contient les objections d’Angeluzzi et les réponses de Patrizi.
10 Fiorentino, B. Telesio, 2 vol., Florence, 1872.
11 D’après O. Kristeller, Eight philosophers of the Renaissance, Stanford, 1964, pp. 119 et 176, l’origine du terme Panaugia doit être cherchée dans Philon d’Alexandrie, De opificio mundi, section 31.
12 Les sources évidentes sont Platon, Plotin, Denys l’Aréopagite et surtout FICIN, De Sole et Lumine, Opera omnia, 1, pp. 965-986, Éd. de Bâle, 1493. Pour les détails, voir O. Kristeller, Supplementum ficinianum, t. 1, pp. 12-11.
13 Nova de Universis philosophia, p. 2, verso.
14 Ibid., p. 2 : « Sol et astra, si haec propriis. si tuce quoque solis luceant, mediae quaedam essentiae sunt et substantiae. Incorporeae simul, quo ad lucem et corporeae quo ad dimensionem ».
15 Fiorentino, B. Telesio, op. cit., p. 400, t. I : « Il Patrizi si è proposte il problema : com’è possibile la natura ? ed ha primieramente avvertito la neccessità di un’unità originaria, dove il corporeo e l’incorporeo si trovassero germinalmente rinchiusi, di pai di una opposizione che sboccia da queslo germe, e che riempiende lo spazio comincia ad insinuarsi delle differenze ».
16 Nova de universis philosophia, op. cit., Panpsychia, p. 59 : « Diximus [...] inter entia, alia esse incorpora penitus, alia penitus corpora, media vero inter haec esse duo, incorpora corporea. Et in hoc genere esse animum. Alterum esse corporeum incorporeum. In quo naturam reponimus, et qualitates et formas ».
17 Ibid., pp. 74-75.
18 Nova de universis philosophia, op. cit., p. 27 : « Natura enim nihil est aliud, quam una totius mundi vita ab anima pendens ut a sua causa ». Cette définition, toute la Renaissance pourrait l’accepter. Mais en général on n’insiste pas sur le rôle médiateur de l’« incorpus corporeum » ou du « corporeum incorporeum ». Ces distinctions manquent d’ailleurs de précision.
19 Ibid., p. 1 : Mais comme la lumière pure (lux) est incorporelle, il convient de parler surtout de la lumière diffuse (lumen) quand il s’agit de l’univers, p. 10 : « Lumen est corpus incorporeum ».
20 Nova de universis philosophia, op. cit., p. 75. Il ne faut pas chercher trop de rigueur dans les textes de Patrizi. A la page 1, la lumière « format et efficit » ; à la page 92 « corpora omnia se ipso inficit » tandis que la chaleur « format et vivificat ».
21 Les traductions de ce mot diffèrent. O. Kristeller, Eight philosophers..., op. cit. p. 124 : « Fluor (humidity) which is considered as passive and material principle ». SAITTA ; Il pensiero.... op. cit., p. 565 : « Questo qualcosa è il fluoré primitivo... ». Nous avons préféré fluide à flux parce que le terme « fluide » permet mieux de rendre compte des phénomènes de condensation et d’étirement dont parle Patrizi.
22 Nova..., p. 121 : « Materiam dicimus fluorem ilium primaevum. Fluor, namque solus, et contrahi et dilatari, et rarescere, et densari et cogi et extendi potest ».
23 Ibid., p. 78v.
24 Nova de universis philosophie, Pancosmia, XIII, p. 92 : « Spacium, quo trino omne corpus constat. Lumen, quod corpora omnia se ipso inficit. Fluor, qui corpora omnia constituit. Et calor, qui corpora omnia a fluore constituta et format et vivificat ».
25 F. BACON, De principiis atque originibus secundum fabulas Cupidinis et Coeli : sive Parmenidis et Telesii et praecipue Democriti philosophia tractata in fabula de Cupidine, Philosophical works, t. III, Ed. Ellis and Spedding, 7 vol., Londres 1887-1892. Ce livre est intéressant parce que les critiques que fait Bacon de la philosophie de Telesio sont valables pour celle de Patrizi. Nous les retrouverons.
26 Nova de Univ. philo., p. 14 : « Cum ergo finitum non sit, infinitum est, et sicuti hyparxis infinita est, sic etiam potentia infinita est. Et sicut potentia, actiones quoques eius erunt infinitae ».
27 Ibid., p. 83 : « Summa ergo potentia, summa bonitas, summa voluntas, ad summam Dei gloriam [...] infinitum creavit mundum ut in en finitum quoque mundus comprehenderetur ».
28 De spacio physico, p. 14.
29 Nova de universis philosophia, Panarchia, XVI, p. 36, critique du Dieu néoplatonicien.
30 Nova de universis philosophia, Panarchia, p. 41 v : « ... Omnia illa permeat ipse et capit, quoniam ipse se ipsum capit, et in se ipso est. Et quia semper in se ipso est, neque se abit, neque aboletur, et ipse ea quae facit sit, servator entium, servator sui ipsius est » (P.S., pourquoi sit ?).
31 Ibid., p. 42 : « Ens autem ipsum non per se cognosci ».
32 On a l’habitude de considérer Patrizi comme un penseur à tendance mathématique et Bruno comme un cosmologue. Cette distinction nous paraît parfaitement arbitraire. Patrizi est aussi mauvais mathématicien que Bruno, et il ignore, comme lui, tout du développement des mathématiques en son siècle. Cardan, Bombelli ou Benedetti lui sont totalement étrangers.
33 Duhem, Système du monde, op. cit., t. VIII, chap. I, L’infiniment grand et l’infiniment petit, pp. 3 à 68.
34 Kepler, Gesammelle Werke, Munich, 1938-1959, t. XIV, p. 92. Lettre de Tycho-Brahé à Kepler du 9 décembre 1695, p. 92, où T.B. proteste contre l’incompétence profonde de Patrizi en astronomie : « A Magino vero, si qui alii hujus speculationis conscii sunt, hac occasione habuerunt, inter quos etiam est Franciscus Patritius qui ejus mentionem in erudito alias De Nova Philosophia volumine facit, is quidem meam esse expresse asserit, sed eam ita pervertit, et per ignorantiam male accommodat, et contra me ipsius postulata et assumpta eam coinquinat et insectatur, ut plurima isthic ex ipsius relatione apposita, pro mets non agnoscam, quod etiam publiée protestabor ».
35 Duhem, Système du monde, op. cit., t. VII, pp. 37-38.
36 Nova de universis philosophie, p. 91.
37 Ibid., p. 91.
38 Nova de universis philosophia, p. 104 : « concludamus igitur, et sidera moveri ab ortu in occasum. Et quia velocitas impossibilis est visa, terram quoque necessarium fuit moveri, motu contrario ab occasu in ortum [...]. Et tertius dabitur planetarum quasi mistus motus, qui ab oriente oriatur partim, partim oriatur ab accidente.. ».
39 Histoire générale des sciences, t. II, La science moderne, pp. 50-51, in chap. I, Les mathématiques, du à A. Koyré.
40 Saitta, Il pensiero italiano nell’ umanesimo et nel Rinascimento, t. II, Il Rinascimento, 1ère éd. Bologne 1949-1951, 2°me Florence, 1961 ; pp. 533 à 578 Sur l’espace substance, p. 564 : « Insomma lo spazio infinito, ontologicamente considerato, è l’originario, e corne taie fonda la natura e la mente, ma non è fondato. La concezione dell’essere ha in lui un predominio assoluto su quelle del conoscere, e l’essere è niente altro che lo spazio... ».
41 Platon, Timée, 51 b.
42 B. Brickman, On physical space, Introduction, in Journal of the History of Ideas. 1943, p. 225 : « It remained for Patrizi to reformulate the platonic conception of an indépendant space in the form destined to be so influential upon the seventeeth century scientists. Originating thus in the platonic tradition, absolute space reached Gassendi through Campanella and through Gassendi and Henri More came to Newton’s famous scholium [...] Patrizi first elevated space to that pre-eminence wich More and Newton emphasized ».
43 Fiorentino, Telesio, op. cit., t. I, p. 396 : « lo spazio, corne intuizione para nella filosofia kantiana accoppia la funzione sensitiva e l’intellettiva in una unità a priori ; lo spazio corne corpo incorporeo nella filosofia patriziana, collega materia e forma, corpo ed anima in un termine medio, che non è nè l’uno, né l’altro ». P.S. : Nous laisson à Fiorentino cette interprétation de l’espace chez Kant... Nous aurions plutôt parlé du schématisme...
44 Patrizi, Nova de universis philosophia, p. 31 v.
45 Ibid., p. 31 v : « Intellectus ergo non cognoscit ipsum ens, sed ejus efflorescentem claritatem ».
46 Voir, p. 122.
47 En quoi nous sommes en désaccord avec Fiorentino (op. cit.) et aussi avec Cassirer, Individuum und Cosmos in Philosophie der Renaissance, Leipzig, 1926, chap. IV. Cassirer insiste trop, à notre avis, sur l’émergence du Cogito dans la pensée de la Renaissance et cela parce qu’il postule implicitement que le kantisme forme les cadre a priori de toute philosophie.
Nous avons développé ce point ailleurs, Giordano Bruno et la conception de la nature, p. 54.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Mousikè et aretè
La musique et l’éthique de l’Antiquité à l’âge moderne
Florence Malhomme et Anne-Gabrielle Wersinger (dir.)
2007
Unité de l’être et dialectique
L’idée de philosophie naturelle chez Giordano Bruno
Tristan Dagron
1999
Aux sources de l’esprit cartésien
L’axe La Ramée-Descartes : De la Dialectique de 1555 aux Regulae
André Robinet
1996