Chapitre VI. La dynamique de l’Hexis chez Aristote
L’état, la tenue et la limite
p. 111-126
Texte intégral
1 Hexis est un terme du vocabulaire technique aristotélicien qui est usuellement traduit par « état », « disposition stable », « habitus », « manière d’être », ou encore « possession ». Ce terme a été reçu par Aristote, de Platon d’une part, de la sophistique et des médecins hippocratiques d’autre part, et plus généralement encore, de l’usage de la langue grecque. Aristote a donc procédé, comme pour de nombreux autres concepts fondamentaux de sa pensée – tels que phronèsis, ousia, ergon et energeia, politeia – à un héritage sélectif, c’est-à-dire, aussi bien, à un héritage inventif, dont l’enjeu a consisté à réorienter ce qui était déjà à son époque une tradition philosophique, en modifiant (dans une proportion qu’il nous faudra évaluer) le sens de ce qui lui était transmis.
2En préambule à cette étude, et en guise de pierre de touche, rappelons cette citation de l’Éthique à Nicomaque qui, avec une simplicité peut-être trompeuse, exprime l’essentiel de la conception de l’hexis chez Aristote :
La disposition stable (hexis) se définit par ses actes (energeiai) et par ses objets (kai hôn estin). (Eth. Nic., IV, 4, 1122 b 1)
3Cette précision nous est donnée au milieu d’un développement sur la vertu morale de magnificence, mais elle a un intérêt tout à fait général dans la mesure où, comme Gauthier et Jolif le précisent avec raison dans leur Commentaire de l’Éthique à Nicomaque, elle signifie qu’un « état habituel (hexis) se définit par ses actes, c’est entendu (…) ; mais aussi – et c’est le pivot du raisonnement – par ses objets »1. Pierre Aubenque a lui aussi remarqué que, par cette formule, « Aristote manifeste la double face [de l’hexis], qui ne se définit pas seulement par un certain type de disposition subjective, mais aussi par la référence à un certain type de situation »2.
4Ainsi donc, une hexis, ce serait une manière d’être relevant tout à la fois de l’habitualité subjective et d’une typique objective. Ce serait cela, pour Aristote du moins. Reste à justifier par l’étude des textes une telle acception du terme, et à en analyser les enjeux et les conséquences métaphysiques.
I. L’Équivocité de l’hexis
5Parmi les textes qui traitent de notre notion3, le plus prometteur semble être celui de Metaph. Δ, 20 dans la mesure où il s’agit, avec ce chapitre du « dictionnaire philosophique » d’Aristote, de définir expressément un genre, l’hexis, divisé en ses espèces4. Mais on se trouve là aux prises avec un texte très dense, qui fait intervenir en demi-teinte aussi bien le rapport à Platon – et à travers Platon, aux sophistes et à Hippocrate – qu’un certain rapport à l’usage du mot hexis en grec. Il faut donc avancer prudemment dans le commentaire, en gardant en mémoire un point doctrinal important que le « dictionnaire » du livre Δ ne souligne pas, puisque ce n’est précisément qu’un dictionnaire, mais qu’il présuppose bien plutôt. Ce point est que l’hexis aristotélicienne qualifie non seulement le comportement éthique, mais aussi la science et la technique, autrement dit l’epistèmè et la tekhnè. Il y a en effet place dans l’aristotélisme pour des « manières d’être », (hexeis) pratiques, théorétiques et poiètiques ou techniques : ce sont à chaque fois des aspects qualitatifs stables du sujet et de la situation objective qui sont ainsi nommés. D’un point de vue doctrinal l’hexis a ainsi une extension très large qui couvre les champs de la theôria, de la poièsis et de la praxis ; par suite, il importe de ne pas la cantonner au comportement pratique. C’est ce qui ressort en toute clarté des trois passages suivants de l’Éthique à Nicomaque :
- En II, 4, 1106 a 12 les vertus morales sont dites être des hexeis, des dispositions stables qui qualifient l’âme qualitativement eu égard à la « façon » (hôs) dont elle éprouve les plaisirs et les peines5. Aristote ajoute ensuite, pour souligner la portée de ce trait : « Ainsi, nous avons établi génériquement la nature de la vertu. »6
- En VI, 1139 b 31 l’epistèmè théorétique est dite constituer une hexis apodeiktikè, c’est-à-dire, littéralement, une « disposition stable à la démonstration » ; et Aristote précise un peu plus haut que l’objet de cette hexis « existe nécessairement », qu’il ne peut donc pas être autre que ce qu’il est. Ceci confirme tout à la fois que le savoir théorétique est une hexis et que cette disposition est relative à un type d’objet spécifique7.
- Enfin, en VI, 4, 1140 a 10 la tekhnè est définie comme hexis meta logou alèthous poiètikè8, ce qui peut se traduire, si l’on veut conserver à alètheia son sens usuel de « vérité », par « disposition stable à produire vraiment – ou véritablement, véritativement – selon la règle »9. Au chapitre suivant la phronèsis, la prudence, est quant à elle comprise comme « disposition stable pratique, vraie et réglée (hexin alèthè meta logou praktikèn), concernant ce qui est bon ou mauvais pour l’homme »10.
6L’ensemble de ces déterminations doctrinales relatives à la vertu morale, à la prudence, au savoir théorétique et au savoir-faire technique, pose évidemment un grand nombre de problèmes exégétiques. Mais le seul point sur lequel il importe ici d’insister est qu’Aristote en appelle effectivement à chaque fois à l’hexis, à la disposition qualitative stable, à une certaine manière d’être. Plus précisément, il en appelle, soit à une hexis orientée au vrai, dans le cas des excellences intellectuelles (sophia, tekhnè, phronèsis), soit à une hexis orientée au juste milieu, lorsqu’il s’agit des vertus ou des excellences spécifiquement morales11. C’est pourquoi le chapitre huit du Traité des Catégories peut affirmer sobrement, en une sorte de résumé de la doctrine constante du Stagirite, que « les sciences et les vertus sont des hexeis »12.
7Nous pouvons maintenant revenir à la définition de l’hexis en Metaph. Δ, 20. Dans ce chapitre Aristote détermine cette disposition qualitative selon deux axes ou deux « tropes » :
8Le premier est l’axe de l’avoir ou du posséder : Hexis de legetai hena men tropon hoion energeia tis tou ekhontos kai ekhoumenou, « On appelle hexis, en un sens, une activité (ou : un acte) de ce qui possède (ou : a) et de ce qui est possédé (ou : eu). »13 L’exemple donné est celui du vêtement : le vêtement que l’on « possède » certes, mais au sens où on « l’a » sur soi et non pas au sens où on le conserve seulement dans une armoire – puisqu’il s’agit d’une energeia et non d’une simple dunamis. Bref, l’exemple pris par Aristote est celui du vêtement porté et, corrélativement, celui du port du vêtement. Or, cette caractérisation de l’hexis vient très précisément de Platon : elle provient du Théétète, dans un contexte qui concerne la science, l’epistèmè, et où il s’agit de contrer Protagoras. Nous y reviendrons tout à l’heure, mais cette provenance laisse d’ores et déjà entrevoir tout l’arrière-plan métaphysique de notre texte, puisqu’avec le débat du Théétète entre Platon et Protagoras, ce qui est mis en question n’est autre que la possibilité même de la connaissance, et donc le sens de l’être qui rendra possible ou qui interdira un certain type de connaissance ou de savoir.
9Le second « trope » suivi par l’analyse de Metaph. Δ, 20 est introduit à la ligne 1022 b 10 : à partir de cette ligne il va être question de « ce qui est en un bon état ou en un mauvais état » (è eu è kakôs diakeitai, b 10-11). Le point de vue adopté est donc à présent résolument axiologique et réflexif, ou intransitif. Il est axiologique, puisqu’on considère désormais un bon ou un mauvais état, c’est-à-dire, au bout du compte, le degré d’excellence de ce qui est en question. Et il est réflexif ou intransitif, puisqu’on évalue l’hexis elle-même. L’exemple proposé par Aristote est ici celui de la santé, qui est assurément caractéristique d’une hexis axiologique et réflexive : on se porte bien ou mal (cf. 1022 b 12).
10À la fin du passage que nous considérons (b 13-14) Aristote remarque en outre qu’une disposition stable axiologique s’entend et se dit aussi bien des parties d’un tout que de ce tout lui-même : un organe peut-être dit en bonne santé, de même qu’un corps vivant tout entier, et une partie d’une machine peut être dite fonctionner bien ou mal, de même qu’on peut l’affirmer de la machine dans son ensemble. Ceci ne comporte pas de difficulté spéciale. Mais en revanche, ce qui constitue une réelle difficulté, c’est la transition entre le premier et le second axe des développements qui nous sont présentés en Metaph. Δ, 20. De quelle nature cette transition peut-elle bien être ? Nous devons répondre à cette question avant de revenir au dialogue d’Aristote avec Platon et Protagoras à propos du premier sens de l’hexis.
11La logique de l’enchaînement opéré par Aristote tire tout d’abord parti d’un fait de langue – elle en tire parti, mais ce n’est pas pour autant qu’elle se fonde sur ce fait linguistique14. Ce fait de langue indo-européen est, ainsi qu’Émile Benveniste l’a montré15, que la fonction syntaxique apparemment transitive du verbe avoir – fonction qui le différencierait du verbe être, lequel représente assurément le « verbe d’état par excellence » – n’est qu’une illusion :
Avoir a la construction d’un verbe transitif ; il n’en est pas un pour autant. C’est un pseudo-transitif (…). Au sein même des langues indo-européennes, c’est une acquisition tardive, qui mit longtemps à s’imposer et qui reste partielle. L’expression la plus courante du rapport indiqué en nos langues par avoir s’énonce, à l’inverse, par « être-à », constituant en sujet ce qui est l’objet grammatical d’un verbe avoir. (…) Avoir n’est rien d’autre qu’un être-à inversé16.
12Autrement dit, les deux sens de l’hexis qu’Aristote distingue en Metaph. Δ, 20 s’articulent effectivement l’un à l’autre selon la logique même de la langue grecque, dans laquelle l’avoir, l’ekhein d’où dérive l’hexis, dit tout aussi bien une possession, un « avoir » solide, qu’un « être-à », et même un « être » tout court – deux modes d’être entre lesquels se renversent les fonctions grammaticales du sujet et de l’objet, comme c’est le cas des chaussures qu’on a aux pieds lorsqu’on en est chaussé, ou des armes qu’on a elles aussi lorsqu’elles sont à nous et qu’on en est effectivement équipé. Dès lors Aristote peut proposer en exemple de la catégorie de l’avoir, au chapitre quatre du Traité des Catégories, ceci :
Avoir, c’est comme : il est chaussé, il est armé (Ekhein de hoiôn hypodedetai, hôplistai)17.
13La formule est évidemment très paradoxale, mais elle dit bien, grâce à l’emploi des deux formes verbales hypodedetai et hôplistai qui sont des verbes au parfait, et même au parfait moyen, que la catégorie de l’avoir nomme un mode d’accomplissement qui concerne finalement le sujet lui-même18. Comme le remarque très justement Benveniste, cet ensemble de traits s’éclaire par « la nature profonde du parfait : c’est une forme où la notion d’état, associée à celle de possession, est mise au compte de l’auteur de l’action ; le parfait présente l’auteur comme possesseur de l’accomplissement »19.
14On devine alors comment Aristote peut passer de la possession à l’axiologie : s’il le peut, c’est qu’il suit les possibilités de langue du parfait moyen, lequel fait toujours signe vers un accomplissement de soi du sujet. C’est d’ailleurs ce que retrouve à sa manière (en insistant sans doute trop, nous y reviendrons, sur le caractère statique de l’hexis-état) René-Antoine Gauthier lorsqu’il écrit, à propos de l’hexis du vertueux :
Il faut méditer tous ces textes pour comprendre ce qu’Aristote veut dire lorsqu’il nous dit que la vertu est une hexis, un état habituel, un « avoir » ; c’est du solide, et le vertueux aristotélicien est un propriétaire sûr de soi. On comprend les invectives passionnées de Luther contre cette notion d’hexis ; elle est aux antipodes de sa conception de l’homme pécheur, à qui ses vertus ne sont que prêtées et qui doit à tout instant les mendier de Dieu avec crainte et tremblement20.
15Nous dirons donc, pour conclure sur ce premier point, que les deux sens de l’hexis qui se succèdent sans lien apparent en Metaph. Δ, 20 sont en fait intimement liés par la réversibilité de l’avoir et de l’être, et par celle aussi de la possession et de l’évaluation axiologique de soi. Le premier de ces sens, la « possession », accentue davantage l’aspect objectif de l’hexis, alors que le second accentue l’aspect subjectif, c’est-à-dire la « manière d’être », l’habitus. Mais la leçon profonde de ce chapitre définitionnel de la Métaphysique est qu’aucun des deux sens ne va sans l’autre, puisque, comme c’est d’ailleurs toujours le cas chez Aristote, si l’hexis est certes bien un pollakhôs legomenon (ici, plus spécifiquement, un dikhôs legomenon), cette pluralité de sens tend vers une unité tendancielle : elle est pros hèn – sinon, la philosophie d’Aristote ne serait guère, le plus souvent, qu’un catalogue ou un répertoire des significations multiples : une « rhapsodie » disait, malencontreusement, Kant.
II. Les enjeux métaphysiques de l’hexis
16Comme nous l’avons signalé tout à l’heure, hexis appartient déjà au vocabulaire philosophique de Platon. Aristote reçoit donc ce terme du fondateur de l’Académie, et en particulier de son dialogue le Théétète. Il en infléchit cependant le sens et la portée d’une façon qui demande maintenant à être appréciée.
17On se souvient de la distinction introduite par Socrate, en Théét. 197 b, entre « avoir la science » (epistèmès hexin) et « avoir acquis la science » (epistèmès ktèsin). Cette distinction intervient à un moment où la fin du dialogue est proche et où l’entretien entre Socrate et Théétète porte sur l’opinion dite « droite ». Socrate s’avise alors qu’on n’a toujours pas déterminé ce que veut précisément dire « savoir » ; c’est pourquoi il propose, en guise de préalable méthodologique, de distinguer l’hexis de la ktèsis. Le jeune Théétète ne comprenant pas bien le sens de cette opération, Socrate lui suggère deux exemples, celui du vêtement et celui des oiseaux en cage. Examinons tout d’abord le premier :
Eh bien, à moi, il n’apparaît pas que ce soit la même chose, avoir acquis et avoir (tôi kektèsthai to ekhein). Par exemple, si quelqu’un ayant acheté un manteau et en étant le propriétaire, ne le portait pas, nous ne dirions pas qu’il l’a, mais, qu’il l’a acquis, si, bien sûr. (197 b)
18Par analogie, il s’ensuit que savoir, c’est comme porter effectivement le manteau que l’on avait acquis, c’est comme l’avoir (sur soi). Savoir est donc une hexis active, et non pas une simple acquisition passive, une ktèsis. Autrement dit, d’après ce premier exemple, la science s’avère être un exercice effectif, ou une activité réelle, c’est-à-dire ce qui s’appellera chez Aristote une energeia.
19Le second exemple, exposé en 197 c-d, est plus complexe. Il s’agit du chasseur qui a capturé des colombes, donc qui les a « prises » (kektètai, 197 c 5) et qui les garde ensuite, littéralement, « sous la main » (hypokheirious, c 9) dans un colombier. Bien que ce chasseur ait bel et bien capturé les colombes, on ne peut pas véritablement dire, remarque Socrate, qu’il les a au sens de l’avoir-en-main. On ne peut en réalité dire que ceci : ce qu’il a effectivement c’est, et c’est seulement, « la possibilité (dunamis) de les saisir et de les avoir (ekhein) quand il le veut » (197 c 7-8).
20Par analogie ici encore, on dira que savoir, c’est tout autre chose qu’une vague capacité, tout autre chose donc qu’une dunamis purement indéterminée. Savoir, c’est, ou bien avoir en main les connaissances que l’on a acquises et en faire un réel usage (khrèsis), ou bien avoir le pouvoir effectif de se saisir de ces connaissances parce qu’on les a déjà sous la main, exactement comme le possesseur des colombes dans le colombier a la possibilité déterminée de les saisir. Autrement dit, d’après ce second exemple, la science est soit un acte, soit une puissance polarisée dans un sens spécifique, c’est-à-dire une aptitude effective, bref, ce qu’Aristote thématisera comme puissance seconde ou, identiquement, comme entéléchie première – celle(s) par exemple, de l’homme effectivement instruit mais endormi, qui conserve entière son aptitude à actualiser, à son réveil, ses connaissances dans un domaine et dans un sens bien précis21.
21Voilà donc ce que signifie hexis chez Platon22. Dès lors, il devient clair que lorsqu’Aristote détermine, en Metaph. Δ, 20, le premier sens de l’hexis comme « une certaine activité (energeia tis) de ce qui possède et de ce qui est possédé », et lorsqu’il en donne pour exemple le vêtement que l’on a, au sens de l’avoir sur soi, il suit de très près les thèses développées dans le Théétète. Mais il associe néanmoins explicitement l’hexis à une certaine energeia, alors que Platon associait plutôt l’acquisition passive (la ktèsis) à la dunamis (passive elle aussi) pour les opposer toutes les deux à l’hexis active. Cette différence d’accent montre qu’Aristote, non seulement reprend le sens actif de l’hexis platonicienne, mais encore le souligne thématiquement en l’associant au concept d’energeia, ce que Platon, lui, ne faisait pas. De plus, et ce point est capital, l’hexis aristotélicienne ne s’oppose plus frontalement à la dunamis, comme c’était le cas dans le Théétète – où « l’avoir » effectif (l’hexis comme avoir en main) s’opposait à la « possibilité » issue de l’acquisition (l’avoir sous la main) –, puisqu’en effet Aristote, plus nuancé dans son analyse que son prédécesseur, fait droit à la « puissance seconde » en tant que modalité de l’hexis qui prédispose dynamiquement à l’acte par l’effet de ce qu’on peut appeler une rétention temporelle des acquis ou, plus simplement, une « aptitude ». C’est pourquoi Aristote remarque en Éthique à Nicomaque V, 1 que, si la dunamis est toujours puissance des deux contraires lorsqu’elle est encore indéterminée, ou première, il est en revanche des cas où
une hexis qui produit un certain effet ne peut pas produire aussi les effets contraires : par exemple, en partant de la santé on ne produit pas les choses contraires à la santé, mais seulement les choses saines.
tr. fr. J. Tricot, 1129 a 14-17
22Certes, ce n’est pas toujours le cas, puisque la science du médecin, par exemple, celle qu’il « possède » actuellement, peut produire la guérison mais aussi la mort (dans l’hypothèse d’un médecin savant mais mal intentionné), mais il reste qu’une hexis morale ne produira jamais intentionnellement le contraire de l’acte qu’elle vise. L’indétermination foncière de la puissance première rode donc encore, en quelque sorte, dans les hexeis théorétiques (c’est ce qui explique qu’Aristote puisse soutenir en Metaph. Γ, 2 que c’est « l’intention », la proairèsis, qui fait le sophiste, et non son manque de science, ni même sa science, par elle-même axiologiquement indéterminée) ; mais cette indétermination est totalement étrangère aux hexeis éthiques et à la prudence. Comme Joseph Moreau l’écrit avec pertinence, la vertu aristotélicienne « exclut toute ambiguïté d’utilisation ; plutôt qu’à la médecine, également capable de ruiner ou de conserver la santé, c’est à la santé elle-même qu’elle est comparable »23.
23Au bout du compte il apparaît que ce serait une erreur préjudiciable que de ne voir dans l’hexis qu’un état passif : la « possession » est bien plutôt ici un port actif, le port du vêtement par exemple, mais aussi bien le port de soi-même. On peut également dire qu’elle est une tenue : la tenue vestimentaire, mais aussi la tenue active de soi-même dans l’existence. Par conséquent, il n’est pas inapproprié, loin de là, de traduire hexis, dans le contexte éthique, par « tenue », comme l’a proposé Ingeborg Schüssler24.
24Mais, s’il en est ainsi, on ne peut que s’étonner de rencontrer, au chapitre I, 9 de l’Éthique à Nicomaque, un passage dans lequel Aristote oppose l’hexis à l’energeia et à « l’usage » effectif. Ce passage semble contredire ce que nous venons d’établir en suivant Metaph. Δ, 20, si bien qu’on se trouve devant une alternative : l’hexis est-elle donc active ou bien passive chez Aristote ? Le texte en question est celui-ci :
Il y a sans doute une différence qui n’est certes pas négligeable, suivant que l’on place le bien suprême (to ariston) dans la puissance ou dans l’usage, dans un état habituel ou dans l’activité (en hexei è energeiai). En effet, l’état habituel peut fort bien ne produire aucun bien, tout en étant présent en nous, comme dans le cas de celui qui dort ou qui est inactif de quelque autre manière25.
25Il ne fait pas de doute que l’hexis est prise ici en un sens résolument passif, puisque l’argument est que le bonheur humain ne saurait consister simplement en une possession inactive de quelque bien. De plus, il s’agit là de la toute première occurrence d’hexis dans le texte de l’Éthique à Nicomaque… Que faut-il en penser ?
26En fait, il n’y a pas d’alternative entre passivité et activité, car Aristote argumente ici ad hominem, contre précisément Speusippe et Xénocrate – c’est-à-dire contre deux platoniciens ! –, qui déterminent le bonheur comme « possession [passive] des biens » (hexis agathôn ou ktèsis). C’est donc l’hexis au sens de Speusippe et de Xénocrate qui s’oppose à l’energeia, et ce n’est ni l’hexis platonicienne ni celle aristotélicienne26. C’est là un point essentiel, et l’on ne saurait trop insister sur le sens actif de l’hexis aristotélicienne – ce que masquent en partie la traduction latine par habitus, et surtout les traductions par « état stable », voire « habitude » ou « manière d’être ». Bref, si la vertu peut être définie comme une hexis, et même comme une hexis proairètikè (Eth. Nic. II, 2, 1106 b 36), c’est-à-dire comme « habitude préférentielle » (J. Moreau), ou « état habituel qui dirige la décision » (Gauthier-Jolif), ou encore « disposition à agir d’une façon délibérée » (J. Tricot), ce n’est pas tant parce que la vertu morale est un état stable que parce qu’elle est, lorsqu’on la considère en tant que puissance seconde, une tenue active du désir, ou, lorsqu’on la prend comme acte, un certain tranchant de la décision. Sa stabilité est ainsi bien plus dynamique que statique : c’est la constance du désir ou le ferme maintien de ce qui a été décidé.
27En résumé, on dira qu’Aristote joue, à propos de l’hexis, Platon contre les platoniciens (Speusippe et Xénocrate), ou qu’il effectue un « retour à Platon », si l’on peut s’exprimer ainsi, contre les platoniciens qui affaiblissent la notion d’hexis27.
28Maintenant, essayons de comprendre plus précisément pourquoi Aristote effectue ce retour à Platon. Pour cela il faut revenir aux enjeux du Théétète et montrer qu’ils se concentrent justement autour du sens de l’hexis. En effet, avant le passage auquel nous nous sommes référés tout à l’heure – celui où Socrate distingue « l’avoir » de « l’avoir acquis », l’hexis à la ktèsis – Protagoras lui-même avait déjà fait allusion à l’hexis (plus exactement, il l’avait fait par la bouche de Socrate, qui s’est offert à le « défendre » en son absence, cf. 166 a). Autour de cette notion se cristallise ainsi une bonne part des enjeux de ce dialogue sur le savoir.
29Protagoras défend, dans les pages auxquelles nous nous rapportons à présent (166d sq.), sa doctrine de l’homme mesure de la vérité. Passons sur le fait, accessoire dans notre perspective, que c’est Socrate qui défend Protagoras, et qui se fait forcément par là même mesure de la vérité du discours d’un autre, alors que ce discours voudrait précisément que chacun soit la mesure de sa propre vérité ! Ce dispositif narratif est en somme déjà une réfutation en acte de la thèse protagoréenne. Mais laissons cela. La thèse dont Socrate se fait le porte-parole est celle-ci :
Moi, j’affirme que la vérité, c’est ce que j’ai écrit : que mesure, en effet, est chacun de nous de ce qui est ou non (…) ; à qui est en état de faiblesse (asthenounti) apparaissent – c’est-à-dire sont – amères les choses qu’il mange, tandis que pour celui qui est en bonne santé (hugiainonti), ce qui est – c’est-à-dire ce qui apparaît –, c’est le contraire (…). Mais on doit opérer un changement dans l’un des deux sens, car, de ces deux dispositions [stables] (hexis), l’une est meilleure. Et de la même façon, dans l’éducation aussi (en tèi paideiai) on doit opérer un changement, d’une disposition donnée (apo hexeôs) à celle qui est meilleure.
tr. fr. M. Narcy, 166 d – 167 a
30La défense de Protagoras consiste, d’après ce passage, à ancrer l’opinion d’un chacun dans son état dispositionnel physique ou psychique, et – grâce au paradigme sous-jacent de la médecine – à justifier en même temps la paideia sophistique en montrant qu’elle produit un changement bénéfique du point de vue évaluateur : de même que le médecin peut faire passer le corps de l’état d’asthénie à l’état de bonne santé, de même Protagoras peut faire passer l’âme faible à un état meilleur pour elle et pour la cité. On voit que l’idée d’un ancrage ou d’un lest de l’opinion dans l’hexis va ici de pair avec celle d’évaluation et d’amélioration axiologique, et que le modèle de ce type de paideia est celui de la bonne santé – une santé rendue tout à la fois bonne et stable grâce au régime prescrit par le médecin hippocratique28.
31Il n’est sans doute pas faux de voir dans toute la suite du dialogue l’incessante tentative de Socrate pour fragiliser cette thèse sur la paideia sophistique, dont le cœur est le concept d’hexis au sens de l’état. Le point culminant sera bien entendu atteint dans le passage par lequel nous avons commencé, puisque c’est là que l’hexis platonicienne finira par s’opposer franchement à tout état passif de possession (que Platon nommera la ktèsis) pour devenir une « prise en main » effective, par l’âme, de ses connaissances et, ultimement, d’elle-même.
32Il ne semble pas erroné non plus de soutenir qu’au début du chapitre Δ, 20 de sa Métaphysique, Aristote ne fait guère que thématiser à nouveau tout cela dans la formule qui définit l’hexis comme « une certaine activité (energeia tis) de ce qui possède et de ce qui est possédé ». Il s’ensuit que, si Aristote revient à Platon, contre les platoniciens ultérieurs, c’est pour parer à une réelle déviance du platonisme : pour parer à la déviance doctrinale qui ramène Speusippe et Xénocrate sur le terrain de Protagoras, à savoir sur le terrain de l’état. Car sur ce terrain-là aucune perfection de soi n’est possible, mais seulement des améliorations des contenus sous la conduite d’un expert. Autrement dit, si la perfection ou l’accomplissement doit se jouer dans la tenue, bien plus que dans les contenus, il faut que l’hexis soit :
- ou bien un certain acte déterminant, une energeia dont la manière, bien plutôt que la matière, soit familière au sujet ;
- ou bien une inclination stable vers cet acte, une dunamis seconde.
33Cet acte ou cette inclination sont répétitifs et habituels, si l’on veut, dans la mesure où ils ne doivent pas être seulement passagers. Mais leur répétition devra conserver à chaque fois son tranchant et sa vigueur, c’est-à-dire son energeia ou sa tendance vers elle, tant il est vrai qu’energeia est, chez Aristote, le nom le plus approprié de l’être. Pour l’ensemble de ces raisons, l’hexis aristotélicienne semble finalement très proche de « l’habitualité » husserlienne comprise comme pouvoir de fonder ses actes en habitus réitérés ; même si, assurément, Aristote reste très évasif sur les questions de temporalité qui retiendront longuement Husserl, et même si l’habitude, l’ethos, paraît constituer souvent encore, chez lui, le fond passif de l’hexis (surtout lorsqu’il l’oppose, comme état stable, à la diathèsis passagère).
34Quoi qu’il en soit de telles limites, l’hexis, telle qu’Aristote nous la présente, porte en elle une conception dynamique vectorielle de l’être. Il faut entendre par là une conception de l’être en tant que tension vers (et intention de) cet accomplissement bien déterminé que représente, en chaque situation, l’energeia (ou l’entéléchie seconde) conjointe du sujet et de l’objet. C’est un point dont on trouve l’intuition dans ces quelques lignes de René-Antoine Gauthier :
Si Aristote, après Platon, affirme l’existence de cet intermédiaire entre la puissance [indéterminée] et l’acte qu’est l’état habituel [sc. l’hexis], c’est qu’à ses yeux l’acte, une fois posé, ne disparaît pas tout entier : il laisse dans la puissance sa trace, et cette trace n’est pas, comme le pli qui reste dans le papier, usure et amoindrissement ; elle est surcroît et enrichissement. La puissance en s’exerçant se dispose à s’exercer mieux29.
35Le point central est bien là en effet : l’hexis ne permet pas seulement à un acte de se répéter, et donc de s’exercer à nouveau grâce aux vertus formatrices bien connues de l’habitude, mais, en le polarisant activement, elle le conduit à s’exercer mieux, d’une part, et elle le conduit aussi, d’autre part, à réaliser conjointement l’accomplissement de son objet selon une typique déterminante. Par exemple, toute hexis morale favorise la constance du comportement subjectif, mais aussi, simultanément, la détermination typique comme « juste milieu » du but intentionnellement visé en chaque cas spécifique, c’est-à-dire sa détermination comme excellence critique entre deux défauts adverses (qu’il s’agisse de justice, de courage, de libéralité, etc.). De même, toute hexis apodeiktikè théorétique, c’est-à-dire toute « disposition stable à démontrer », tend à accroître le sérieux de l’étude et la constance dans la recherche scientifique des causes de l’objet étudié, et elle tend aussi à spécifier de mieux en mieux ce qui, dans cet objet, relève d’une typique de la nécessité, autrement dit ce qui constitue le « connaissable » comme tel.
36Cette convenance réciproque, qui est caractéristique de l’hexis aristotélicienne, impose par conséquent le primat de ce que l’on pourrait appeler un principe de limitation régionale : conformément à ce principe, toute « manière d’être » ordonne sa propre excellence à son objet, et elle le fait exactement dans la mesure où son objet s’ordonne conjointement à elle. Aussi Thomas d’Aquin n’a-t-il pas craint d’écrire dans sa Somme théologique, en forçant quelque peu le trait, que « l’habitus n’est pas une disposition de l’objet à la puissance, mais plutôt une disposition de la puissance à l’objet » (I-II, q. 50, a. 4) ; ou bien encore, avec plus de nuance cette fois, que « les actes diffèrent entre eux suivant la diversité des objets […], mais les habitus sont certaines dispositions envers les actes ; donc les habitus aussi se distinguent suivant leurs divers objets » (q. 54, a. 2).
37Bien évidemment, l’enjeu métaphysique de ce principe de limitation régionale est considérable, puisqu’il y va, tout simplement, avec lui de l’impossibilité de ce qui deviendra la mathesis universalis ! Chaque hexis apodeiktikè se voit en effet ainsi régionalement limitée et ajustée à son objet – plus exactement, à l’eidos de son objet. Sur ce point on ne peut que renvoyer aux travaux décisifs dans lesquels Jean-Luc Marion a montré comment Descartes a accompli, dès la première de ses Règles pour la direction de l’esprit, « une tâche considérable : inverser le centre de gravité de la relation du savoir à ce qu’il sait »30, et que cela imposait nécessairement de libérer la « sagesse humaine » du joug eidétique de l’hexis. D’où la lettre même de la première Règle cartésienne :
Les études doivent avoir pour but de donner à l’esprit (ingenium) une direction qui lui permette de porter des jugements solides et vrais sur tout ce qui se présente à lui (…). Car, toutes les sciences n’étant rien d’autre que la sagesse humaine, qui reste une et la même quelle que soit la différence des objets auxquels on l’applique, et qui ne leur emprunte pas plus de distinctions que la lumière du soleil n’en emprunte à la variété des choses qu’il éclaire, il n’est besoin d’imposer aux esprits aucune limite.
38En clair, et nous conclurons sur ce point qui a été déterminant pour l’histoire de la métaphysique, la « méthode » et la mathèsis cartésiennes supposent l’abandon radical de l’hexis apodeiktikè aristotélicienne au profit d’un savoir universel dans sa forme – autrement dit, au profit d’un savoir qui ne se modèle plus sur aucune « science particulière », mais qui accroît simplement « la lumière naturelle de [notre] raison »31. De ce point de vue, la dynamique de l’hexis a bel et bien constitué l’exacte antithèse métaphysique de l’ordre méthodique cartésien.
Notes de bas de page
1 R.-A.Gauthier et J.-Y.Jolif, Aristote. L’Éthique à Nicomaque, Introduction, traduction et commentaire, Louvain-Paris, Béatrice-Nauwelaerts, 19702, II-1, p. 265 ad 1122 a 35-b 2 (ouvrage noté désormais : Gauthier-Jolif).
2 P. Aubenque, La Prudence chez Aristote, Paris, P.U.F., 1963, p. 64 (souligné par l’auteur).
3 Outre Metaph. Δ, 20, sur lequel nous allons revenir, les passages essentiels sont :
1) Cat. 8, qui évoque ce que l’on dit relativement à l’ousia du point de vue de la « qualité » (poiotès), à savoir la dunamis (puissance, capacité), la diathèsis (disposition passagère), le pathos (affection, qualité affective), l’eidos (ou skhèma, morphè, au sens de la figure et de l’aspect) et enfin l’hexis.
2) Cat. 15 et Metaph. Δ, 23, qui traitent tous deux de la catégorie de « l’avoir » (ekhein) ; mais, comme cela est étymologiquement attesté, et comme Aristote s’en fait l’écho, hexis est une forme dérivée de ekhein.
4 Cf. Metaph. Δ, 20, 1022 b 4 : Hexis de legetai hena men tropon… ; b 10 : allon de tropon hexis legetai… ; b 13 : Eti hexis legetai…
5 Cf. également Eth. Nic. II, 2, 1104 b 27-28 ; 3, 1105 a 14-16 (sur le rôle du hôs).
6 Ho ti men oun esti tôi genei hè aretè, eirètai (1106 a 12-13). La vertu morale sera ensuite déterminée spécifiquement comme une disposition stable du sujet à la « médiété » (mesotès), et ce relativement à lui-même. La visée du « juste milieu » n’est ainsi ni purement subjective ni purement objective ; elle présente bien, selon le mot de P. Aubenque que nous avons rappelé, une « double face ».
7 Dans les Topiques, l’epistèmè est explicitement déterminée comme un « relatif » (pros ti). Cf. Top. VI, 6, 145 a 15-18 ; et R. Bodéüs, Le Philosophe et la Cité. Recherches sur les rapports entre morale et politique chez Aristote, Paris, Les Belles Lettres, 1982, p. 47 (avec la n. 4). Le même commentateur relève, dans son ouvrage ultérieur, Politique et philosophie chez Aristote, Namur, Société des études classiques, 1991, que l’apodeixis du savoir provient, dans la langue grecque, du verbe deik-numi, soit de « l’indication impérative de ce qu’il faut faire, émanant de l’activité politique (…), deik-numi est de même racine que dikè » (p. 18). Le rapport architectonique entre savoir théorétique et politique pourrait donc s’en trouver inversé, comme le montre la suite de cette éclairante étude.
8 Cette définition est reprise en 1140 a 21. Pour un commentaire argumenté, cf. Gauthier-Jolif, op. cit., II-2, p. 460-462.
9 Gauthier-Jolif traduisent par « état habituel raisonné de possession du vrai qui dirige la production » ; J. Tricot par « disposition à produire accompagnée de règle vraie ». Il faut remarquer que alèthous ne qualifie pas ici l’hexis elle-même (alors qu’en b 21 alèthè qualifiera cette hexis spécifique qu’est la « prudence » ; voir sur ce point important Gauthier-Jolif, op. cit., II-2, p. 461).
10 Eth. Nic., VI, 5, 1140 b 20-21.
11 « On remarquera que la vérité est pour la vertu intellectuelle ce qu’est pour la vertu morale le juste milieu », notent judicieusement Gauthier-Jolif, op. cit., II-2, p. 449, ad 1139 b 12-13.
12 Cat. 8, 8 b 29. Le contexte porte explicitement sur la différence entre hexis et diathèsis (« disposition passagère »), qui ressortissent toutes deux de la catégorie de la « qualité » (poiotès). Dans cette approche plutôt statique l’hexis-état est une qualité plus stable que la diathèsis.
13 Metaph. Δ, 20, 1022 b 4-5.
14 La thèse d’une fondation des catégories de pensée d’Aristote dans les catégories de la langue grecque a été soutenue, on s’en souvient, par É. Benveniste dans une célèbre étude de 1958, aujourd’hui reprise dans les Problèmes de linguistique générale, t. I, Paris, Gallimard, p. 63-74. On lira également la réponse sans concession de J. Derrida, « Le supplément de copule. La philosophie devant la linguistique », Marges de la philosophie, Paris, Minuit, 1972, p. 209-246.
15 Cf. E. Benveniste, « “Être” et “avoir” dans leurs fonctions linguistiques » (1960), Problèmes de linguistique générale, op. cit., t. I, p. 187-207.
16 Ibid., p. 194-195 et 197. Ainsi dit-on, en grec ancien, Esti toi khrusos (avec un datif d’attribution dont le sens littéral est : « À toi est l’or »), au lieu de dire, comme le fait la langue française, « Tu as (ou : tu possèdes) de l’or ».
17 Cat. 4, 2 a 3.
18 On sait en effet que le parfait nomme le résultat présent d’une action passée achevée, ou accomplie ; alors que le moyen implique que le sujet soit “intéressé” à l’action transitive qu’il effectue. D’où la valeur spécifique du parfait moyen.
19 E. Benveniste, op. cit., p. 200.
20 R.-A. Gauthier, La Morale d’Aristote, Paris, P.U.F., 1958, p. 74. Pour l’auteur il ne fait aucun doute que le désir du vertueux aristotélicien se caractérise par la stabilité sans faille de sa soumission absolue à la raison (cf., p. 73). De là l’interprétation quasi “foncière” de l’hexis que donne ce commentateur.
21 Sur la question essentielle de la dualité de sens de la puissance et de l’entéléchie, cf. surtout Phys. VIII, 4, 255 a 30-b 5 ; de An. II, 5, 417 a21-b 2 ; Metaph. Θ, 6, 1048 a 32-b 4 ; ainsi que les bons commentaires de J. Moreau, Aristote et son école, Paris, P.U.F., 1962, p. 117 et p. 169 ; L. Couloubaritsis, Aux origines de la philosophie européenne, Bruxelles, De Boeck, 1992, p. 428-430.
22 Ce sens se retrouve, comme l’a montré J. Burnet, en Philèbe, 11 d, où l’eudaimonia est comprise, pour la première fois semble-t-il, comme une hexis active de l’âme. Cf. J. Burnet, The Ethics of Aristotle, edited with an introduction and notes, London, Methuen, 1900, p. 3 n. 3 ; A.-J. Festugière, Contemplation et vie contemplative selon Platon, Paris, Vrin, 19754, p. 292 n.8 : « L’hexis du Philèbe suppose une khrèsis [c’est-à-dire un usage effectif] ; elle équivaut à l’energeia d’Aristote » ; Gauthier-Jolif, op. cit., II-1, p. 66 ad 1098 b 32-33 ; R.-A. Gauthier, La Morale d’Aristote, op. cit., p. 70-71.
23 J. Moreau, op. cit., p. 212.
24 Cf. I. Schüssler, « La question de l’eudaimonia dans l’Éthique à Nicomaque d’Aristote », Études Phénoménologiques, 16-17, 1992-1993, 79-102 et 3-26.
25 Eth. Nic. I, 9, 1098 b 31 sq.
26 Cf. A.-J. Festugière, op. cit., p. 292 ; Gauthier-Jolif, op. cit., II-1, p. 66 ; H.-H. Joachim, Aristotle. The Nicomachean Ethics, Oxford, Clarendon Press, 1951, p. 81-82.
27 Il ne faut donc pas maximiser le rôle de l’ethos, de l’habitude, dans la constitution de « l’état habituel » : certes, l’ethos joue son rôle dans l’hexis morale, tout comme l’étude (mathèsis) joue le sien dans l’hexis intellectuelle, mais la simple répétition passive ne forme pas davantage le caractère (l’èthos) que le rabâchage ne forme l’esprit. Sur le caractère nécessairement actif que l’habitude doit revêtir, cf. R.-A. Gauthier, La Morale d’Aristote, op. cit., p. 71-72.
28 Voir en particulier, dans la Collection hippocratique, le traité Du Régime, I, 32, 1. Le paradigme médical est prégnant dans l’ensemble du discours prêté à Protagoras (jusqu’en 167 d).
29 La Morale d’Aristote, op. cit., p. 72.
30 Cf. J.-L. Marion, L’Ontologie grise de Descartes. Science cartésienne et savoir aristotélicien dans les Regulae, Paris, Vrin, 1975 (texte cité, p. 25).
31 Cf. Règle I, in fine : « Si quelqu’un donc veut sérieusement rechercher la vérité, il ne doit pas faire choix d’une science particulière : elles sont toutes unies entre elles et dépendantes les unes des autres. Qu’il pense seulement à accroître la lumière naturelle de sa raison, non pour résoudre telle ou telle difficulté d’école, mais pour que, dans chaque circonstance de sa vie, son entendement montre à sa volonté ce qu’il faut choisir. » Il faut, bien entendu, comprendre que les « circonstances de [la] vie » sont devenues inessentielles pour la direction de l’ingenium.
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