Chapitre V. Le jeu causal dans la Politique d’Aristote
Eidétique et typique
p. 89-110
Texte intégral
1Nous nous proposons d’examiner à présent la structure des analyses causales dans la Politique d’Aristote. Le choix de ce texte précis peut être justifié en rappelant, sans entrer dans le détail de l’argumentation, que l’exégèse s’accorde désormais à penser que l’ouvrage que nous connaissons sous ce titre porte bien sur des principes à part entière, à savoir sur les principes d’existence et d’intelligibilité des communautés politiques humaines envisagées du point de vue de leur formation et de leur essence aussi bien que du point de vue de leur capacité à durer dans le temps1. Or, si cet ouvrage atteint les principes du bios politikos et s’il n’est donc pas seulement, comme l’estimait encore Hegel, un recueil n’ayant pour objet que « la connaissance des moments internes de l’État et la description des différentes constitutions »2, il s’ensuit qu’Aristote a nécessairement dû chercher à y mettre en évidence une structure causale explicative, puisque, comme on le sait, les principes de ce qui est sont aussi pour lui les causes du savoir de ce qui est3.
2Cela étant, l’analyse du jeu causal dans la Politique conduit à interroger la méthode adoptée par le Philosophe dans son enquête sur les principes. Nous nous demanderons donc si la recherche des causes dans le domaine dit des « choses humaines » (ta anthrôpeia ou ta anthrôpina pragmata), c’est-à-dire dans le domaine de la praxis, présente une spécificité méthodologique. Notre question consistera principalement à savoir comment, dans la philosophie d’Aristote, l’objet politique se laisse déterminer et se laisse comprendre par ses causes. À cet égard il y aura lieu de distinguer l’analyse du jeu causal dans la formation des cités de l’analyse de ce même jeu lors des bouleversements affectant ces cités. La deuxième et la troisième partie de l’étude seront consacrées à ces deux versants de l’analyse causale, que nous nommerons respectivement une « eidétique » et une « typique », après avoir esquissé, dans une première partie, le cadre général dans lequel vient s’inscrire la connaissance des causes chez Aristote.
I. Connaissances et causes dans l’aristotélisme
3Aristote relie toujours la connaissance (epistèmè) à la découverte d’une structure causale opérant à l’intérieur d’un certain genre d’étant. Cela ne veut toutefois pas dire qu’il ne reconnaîtrait et ne tiendrait pour authentique qu’un seul mode du savoir portant sur les causes, et que ce mode serait l’epistèmè theôrètikè. De plus, évoquer comme nous venons de le faire une structure causale « opérant » à l’intérieur d’un genre ne signifie pas non plus qu’Aristote aurait recours dans ses explications à une conception techniciste de la cause, c’est-à-dire à une causalité productrice d’effets, selon un modèle anthropocentrique étendu à l’univers entier4. Il faut par conséquent clarifier ces deux points et préciser ce que l’on doit comprendre par epistèmè et par aition.
4Une brève remarque est encore requise en préalable pour dire que, puisque les structures causales opèrent nécessairement au sein d’un genre d’étant, l’epistèmè ne peut, dans l’aristotélisme, qu’être régionale. La metabasis eis allo genos se voyant ainsi interdite5, et la possibilité d’une science ontologique générale portant sur l’étant en tant qu’étant (to on hèi on) s’en trouvant compromise, Aristote a dû forger dans la Métaphysique la doctrine si particulière du pros hen legomenon, afin de ménager la possibilité d’une connaissance ontologique dont l’objet, l’être, soit paradoxalement non générique mais aussi – et surtout car cela sauve la connaissance – non homonymique6.
5Mais pour ce qui va suivre il suffira de nous en tenir aux savoirs régionaux dont l’objet est effectivement circonscrit par un genre. Tel est le cas des actions humaines, puisqu’elles ressortissent d’un domaine précis, celui de la praxis, et puisqu’Aristote considère que ce domaine possède ses principes propres – ce qui signifie, pour reprendre une formule de Pierre Pellegrin dans l’Introduction à sa traduction de la Politique, que pour notre philosophe « les réalités éthiques et politiques n’ont pas à trouver hors d’elles-mêmes d’explications »7. Venons-en maintenant à la clarification des notions d’aition et d’epistèmè.
6En premier lieu, dire qu’une cause opère, ce n’est pas soutenir qu’elle produit un effet. La critique des Modernes, depuis Bacon, à l’encontre de la théorie aristotélicienne des causes n’est par conséquent qu’une suite de malentendus sur l’idée de cause elle-même. Des interprètes aussi différents que Grégory Vlastos, dans une étude novatrice consacrée au Phédon de Platon, ou Martin Heidegger, dans son analyse de « La question de la technique »8, ont rendu justice au sens grec de l’aition qui, comme Jacques Follon l’a également rappelé9 signifiait, « selon l’excellente définition de Platon, tout “ce en vertu de quoi une chose vient à l’existence” » – c’est-à-dire, dans les termes mêmes du Cratyle (413 a 3- 5) auquel il est ici fait référence, di’ ho gar gignetai, tout’ esti to aition – kai ‘Dia’ kalein ephè tis touto orthôs ekhein dia tauta.
7Cette définition platonicienne est centrée sur un jeu de mot autour du terme dia, qui est répété trois fois, et on pourrait la traduire ainsi : « la cause, c’est en effet ce pourquoi quelque chose vient à l’être – et c’est pourquoi on m’a dit qu’il était bon de l’appeler le “Pourquoi” ». On voit qu’une telle conception de l’aition ne fait pas référence à la causalité productrice. Elle signifie plutôt que, dans l’horizon de pensée grec, une cause est conçue comme ce qui répond à sa façon d’un état de choses qu’elle ne produit pas, mais dont elle permet de rendre compte sous un certain aspect. C’est la raison pour laquelle Vlastos a proposé de comprendre to dia ti au sens de the because, c’est-à-dire comme ce qui répond à la question « pourquoi ? » et qui explique par là même le fait examiné (to hoti)10. Ces précisions auront leur importance lorsque nous examinerons le statut de la causalité finale dans la Politique et son rapport à la causalité efficiente. Il est en effet bien clair que, si l’on conçoit toutes les formes de la causalité sous la forme générale d’un « faire » producteur, la nature qui « fait » de l’homme un zôon politikon apparaîtra, à la lecture du livre I de la Politique, comme un pur et simple deus ex machina fictif… Quant à la causalité formelle exercée par la « constitution » (politeia), sur laquelle Aristote insiste fortement au livre III, elle ne manquera pas d’apparaître comme une cause « productrice » aussi abstraite que stérile. Elle évoquera, par exemple, l’idée que s’en faisait Léon Robin (dans l’article classique qu’il a consacré en 1909 à la « conception aristotélicienne de la causalité ») lorsqu’il marquait sa réserve vis-à-vis de « cette conception toute logique et analytique de la causalité » qu’Aristote aurait formalisée abstraitement en syllogismes11.
8La seconde clarification générale porte sur la notion d’epistèmè, dont il n’est pas exagéré de soutenir que sa compréhension conditionne dans une très large mesure l’entente de l’aristotélisme tout entier et de sa situation par rapport au platonisme. Nous avons rappelé que, pour Aristote, savoir c’est connaître une structure causale. Ainsi se constituent des savoirs régionaux tels que l’epistèmè mathèmatikè, l’epistèmè phusikè, l’epistèmè èthikè ou encore politikè. Ce serait une erreur de penser de manière univoque l’epistèmè en la concevant comme une connaissance théorique des causes. On alignerait par là l’aristotélisme sur le platonisme en méconnaissant ce fait essentiel, sur lequel Günther Bien a insisté dans son étude importante de 1973, qui est que « la philosophie pratique (en tant que politique) en général a trouvé chez Aristote sa toute première fondation »12. Car, si Aristote peut effectivement fonder la philosophie pratique en tant que telle, c’est parce qu’il reconnaît à la praxis humaine sa pleine autonomie au titre d’expression à part entière d’une forme de rationalité, et donc d’une forme de logos et d’alètheia, hors de la juridiction de la theôria. Pour le dire autrement, l’epistèmè praktikè aristotélicienne, qui est le mode générique de la connaissance éthique et politique, ne désigne pas la connaissance théorique qu’un philosophe appliquerait sur le domaine des actions humaines13 ; elle représente au contraire une connaissance pratique au sens le plus fort de la connaissance, et donc un dévoilement pratique du jeu causal au sein des actions humaines. Cette epistèmè n’est rien d’autre, rien de plus mais rien de moins, que l’intelligence ou la compréhension que l’homme agissant bien, l’homme prudent ou le bon nomothète, a de sa situation pratique. Aussi n’est-elle pas une spéculation philosophique normativement appliquée à la praxis, mais plutôt ce qu’on peut appeler, en reprenant la formulation judicieuse proposée par Harold H. Joachim, une « pensée immergée dans l’action (a thought merged in doing or acting) »14.
9Lorsqu’on tient compte d’une telle détermination de la connaissance pratique – comme il faut le faire pour rendre justice à la pensée d’Aristote – , on est conduit à admettre qu’il existe une connaissance pratique des causes qui n’est pas une application de la connaissance théorique. C’est donc que l’homme prudent et le bon nomothète agissent bien lorsqu’ils agissent en connaissance pratique de cause, si l’on nous permet de le formuler ainsi, et que le dévoilement pratique de la vérité – ou, pour le dire au plus près des formules d’Aristote, le dévoilement de l’alètheia praktikè évoquée au livre VI de l’Éthique à Nicomaque – n’est pas une mise en pratique de la theôria, tout en étant une connaissance réelle. Richard Bodéüs a fort bien montré comment la question du rapport entre philosophie et politique s’en trouve reformulée et aiguisée jusqu’au paradoxe :
Pour Aristote, le politique, dans la situation qui est la sienne, ne cherche pas à savoir ce que lui enseigne le philosophe, mais ce qu’il doit faire pour satisfaire le mieux aux exigences de sa situation. (…) On voit donc le problème : le philosophe s’adresse au politique dans un discours qu’il espère utile pour ce dernier, mais qui ne lui indique pas ce qu’il cherche à savoir. Il lui parle du mieux dans l’absolu, mais lui laisse comprendre que cet absolu n’est probablement pas ce qu’il doit poursuivre là où il se trouve, comme étant le mieux !15
10Il est donc bien établi qu’Aristote ne revendique en aucun cas pour le philosophe une connaissance pratique des causes, et que, lorsqu’il professe son Éthique et sa Politique, il met lui-même en œuvre une epistèmè qui ne peut être que theôrètikè, puisque sa recherche constitue toujours une théorie. Pour ce qui touche à la connaissance du jeu causal dans la Politique, il est dès lors essentiel de ne pas confondre les deux niveaux du savoir théorique et du savoir pratique, et de reconnaître que la connaissance pratique de la vérité pratique (si l’on nous autorise cette redondance) en est une à part entière. Cette position interprétative est la seule qui puisse peut-être permettre de clore les interminables débats autour de la part d’idéalisme platonicien et de réalisme empirique chez Aristote puisque, comme Pierre Aubenque l’a clairement vu,
Parler de l’empirisme ou de l’intellectualisme d’Aristote, de sa propension plus ou moins grande pour la théorie ou pour une pratique immédiatement appuyée sur l’expérience, n’a aucun sens et ne peut mener à rien, tant que l’on ne s’est pas demandé pourquoi Aristote fait dépendre la vertu du savoir et, si oui, de quel savoir16.
11Par conséquent, rien n’empêche de poser en principe absolu de la philosophie aristotélicienne, considérée dans toute son extension, l’affirmation de Metaph. α, 1, 993 b 23-24, selon laquelle « nous ne connaissons pas le vrai sans connaître la cause (ouk ismen de to alèthes aneu tès aitias) », mais c’est à la condition de prendre l’epistèmè, la vérité et même le « nous » impliqué dans la connaissance, comme des pollakhôs legomena… Cette condition est requise par l’autonomie de la praxis par rapport à la theôria, qui est aussi celle, éminemment aristotélicienne, de la phronèsis vis-à-vis de la sophia. Disons, en anticipant sur ce qui va suivre, que l’eidétique théorique du philosophe est une chose et que la typique pratique du législateur en est une autre, même si dans les deux cas – celui de la découverte théorique de l’eidos et celui de la mise en lumière de types pratiques déterminants – la connaissance du jeu des causes demeure bien le but poursuivi, mais selon deux modalités différentes dont chacune possède une acribie et une légitimité propres.
II. Le jeu causal dans la formation des cités : eidos et telos
12Le livre I de la Politique explique à partir d’un principe de finalité la genèse des cités, c’est-à-dire le processus de leur formation en tant que communautés humaines spécifiques chronologiquement postérieures aux familles et aux villages. Ceci est bien connu, mais on doit aussi rappeler que l’exposition de la genèse chronologique des cités, « en commençant par le commencement » (ex arkhès) comme le dit Aristote au début du chapitre 2 du livre I (1252 a 24), est précédée par une vingtaine de lignes constituant le bref chapitre 1, et que dans ces lignes-là Aristote soumet en vérité la considération de la chronologie à une téléologie axiologique liée à la poursuite d’un bien par les familles, puis par les groupes villageois et enfin par les cités. En effet, lorsqu’on suit les étapes de cette téléologie il apparaît que l’éminence axiologique du bien visé par la cité ne dérive pas du processus de formation des groupes humains, mais que c’est, à l’inverse, l’analyse génético-chronologique effectuée au chapitre I, 2 qui est d’avance placée sous la juridiction d’un principe de finalité hiérarchisant les formes de communautés et, avec elles, les formes de pouvoir. Aussi lit-on dans les toutes premières lignes de la Politique :
Puisque toute cité, nous le voyons, est une certaine communauté (koinônia tis), et que toute communauté a été constituée en vue d’un certain bien (agathou tinos heneken) (…), il est clair que toutes les communautés visent un certain bien, et que, avant tout, c’est le bien suprême entre tous que vise celle qui est la plus éminente de toutes (tou kuriôtatou pantôn hè pasôn kuriôtatè) et qui contient toutes les autres17.
13Voilà pour ce qui a trait à la hiérarchisation axiologique des communautés. Ce qui suit enchaîne immédiatement sur la hiérarchisation des pouvoirs qui en découle, puisqu’Aristote ajoute : « Quant à ceux qui pensent qu’être homme politique, roi, chef de famille, maître d’esclave c’est la même chose, ils n’ont pas raison » (a 7-9). L’ensemble du premier livre n’a d’ailleurs pas d’autre propos que d’analyser les aspects spécifiques des différents pouvoirs et leur caractère naturellement nécessaire (lorsqu’ils ne sont pas pervertis) – non sans qu’Aristote ait précisé que la spécificité de chacun de ces pouvoirs n’a rien à voir avec la question du nombre des administrés, ce qui veut dire qu’elle ressortit véritablement d’un questionnement eidétique et non pas matériel18. Il suit de ces remarques qu’évoquer à propos du livre I de la Politique un principe de finalité naturelle est parfaitement légitime, mais que ce n’en serait pas moins une méprise que de voir dans ce principe le symptôme d’une œuvre occulte ou d’une « poussée » d’une nature productrice dont les effets mécaniques se feraient sentir tout au long de l’histoire humaine. On trouve, tout au contraire, dans les premières phrases de la Politique une pré-détermination eidétique de la cité en termes de « communauté la plus éminente » (kuriôtatè koinônia)19. Pour reprendre les mots mêmes du Philosophe, il est en effet clair que si « nous voyons » (horômen, a 1) fort bien que toute cité est une certaine communauté, en revanche nous ne voyons absolument pas, comme si nous constations une quelconque donnée empirique, que la cité est la « plus éminente » des communautés : c’est là une évaluation axiologique qui détermine un eidos en partant du but visé, donc du telos. Ce type d’analyse est d’ailleurs en parfaite conformité avec la partie méthodologique du livre I des Parties des animaux, dans laquelle Aristote, s’opposant à Empédocle, affirme que la genesis est en raison de l’ousia et non l’inverse : hè gar genesis heneka tès ousias estin, all’ ouk hè ousia heneka tès geneseôs20. Par conséquent, en politique comme en biologie, c’est la forme qui, en tant que finalisation ou achèvement d’une nature et d’une matière propres, explique au premier chef la genèse de ce qui est ; ce qui confirme bien que « la nature formelle est plus éminente (kuriôtera) que la nature matérielle »21. Mais cela, le voyons-nous aussi banalement que nous pouvons voir la configuration apparente d’un corps matériel ou d’un groupe d’hommes ? La réponse ne peut qu’être négative : l’éminence de l’eidos, ne devient visible que par le biais d’une éducation philosophique et théorétique du voir, c’est-à-dire par la mise en œuvre d’une réduction de ce qui est donné à son eidos, au fil d’une quête de la forme con-venante à la matière22.
14La réduction à la forme à laquelle il vient d’être fait allusion est opérée aux livres II et III de la Politique. Elle passe, dans un premier temps, par la traversée critique des apories auxquelles se sont heurtés les prédécesseurs d’Aristote sur ce sujet. Nous ne pouvons passer ici au crible l’ensemble des difficultés non résolues qu’Aristote relève chez Platon, Phaléas de Chalcédoine et Hippodamos de Milet, puis dans les constitutions qui ont été appliquées à Sparte, à Athènes, à Carthage ou en Crète. Relevons seulement que l’ordre d’exposition de ces apories n’est pas indifférent pour ce qui concerne le jeu des causes. Aristote commence, comme on s’en souvient, par les trois théoriciens de la cité. Il leur adresse la même critique de fond, qui est de ne pas avoir bien effectué la réduction théorique de la matière immédiatement offerte à leur réflexion (les diverses richesses, les terres, le nombre des habitants, le territoire de la cité) à l’eidos de l’objet politique comme tel. Le fil directeur de ses analyses critiques est qu’aucun d’eux n’a su penser le jeu entre causalité matérielle et causalité formelle :
Phaléas a été en effet au nombre de ceux pour qui « le plus important c’est de bien règlementer ce qui concerne les richesses » matérielles (to peri tas ousias einai megiston, II, 7, 1266 a 37-40). Hippodamos, quant à lui, « inventa la division régulière des villes et découpa le Pirée » (8, 1267 b 22-23), et Aristote n’omet pas d’ajouter qu’il « s’estimait capable de discourir sur la nature entière » (b 28) : autant dire qu’il a été attentif à la répartition des éléments physiques de la cité, ou à l’inverse à un urbanisme fonctionnaliste abstrait, plutôt qu’à l’interaction entre les deux causalités matérielle et formelle. Quant à Platon, nous l’évoquerons plus en détail dans un instant, mais on doit se souvenir de ce jugement d’Aristote sur la constitution des Lois : « tout en voulant la rendre plus adaptée aux cités [réelles], Socrate est insensiblement ramené à la constitution précédente », celle, utopique, de la République
II, 6, 1265 a 3-4.
15C’est seulement après cette discussion avec les théoriciens du régime idéal, à partir du chapitre II, 9, qu’Aristote examine les constitutions qui ont effectivement existé. Il critique alors, soit leur finalité elle-même (par exemple la finalité guerrière posée par la constitution spartiate23), soit surtout l’inadéquation de certains de leurs moyens, c’est-à-dire de certaines de leurs dispositions légales, avec l’esprit (ou avec la forme) de leur constitution, ce qui les fragilise de l’intérieur. Tout se passe dans ces cités comme si la matière légale, celle des nomoi, ne trouvait pas (ou venait s’opposer à) sa forme constitutionnelle :
Ainsi les lois qui accordent, à Sparte, une grande liberté aux femmes sont-elles « dommageable[s] à la fois pour le but que se propose la constitution et pour le bonheur de la cité »24 ; alors qu’en Crète c’est la loi autorisant l’acosmia, c’est-à-dire la vacance pure et simple du pouvoir des Cosmes, qui « montre bien que l’organisation (taxis) crétoise a bien quelque chose d’une constitution, mais qu’elle n’est pas vraiment une constitution mais plutôt un régime d’arbitraire »25.
16On voit que cet ordre d’exposition, qui va des théoriciens aux politeiai réelles, souligne qu’en politique comme en tout autre savoir la lacune la plus grave est celle qui concerne la connaissance du jeu causal dans toute son extension, comme cela est très manifeste chez les théoriciens de l’idéal, mais comme cela peut encore s’avérer vrai sur le terrain de la pratique historique.
17Maintenant, qu’est-il exactement reproché à Platon ? À l’auteur de la République Aristote reproche longuement, aux chapitres II, 1-5, de n’avoir pas véritablement procédé à une réduction de la matière à la forme, mais plutôt à une survalorisation de la cause formelle vis-à-vis de la cause matérielle, et d’avoir ainsi écrasé en quelque sorte les différenciations naturelles dans la cité sous l’impératif abstrait de l’unification. Une cité, rappelle-t-il, « doit être une unité composée d’éléments différant spécifiquement (ex hôn dei hen genesthai, eidei diapherei) »26, et non pas une unité absolue. Il en découle que l’égalitarisme sans limitations matérielles spécifiques de la République, c’est-à-dire la communauté de tous les biens, des femmes et des enfants, ruine la cité en tant que plèthos, et qu’à l’inverse « serait-on à même de réaliser cette <unité>, on devrait se garder de le faire, car ce serait mener la cité à sa perte »27. À l’opposé, à l’auteur des Lois Aristote fait grief, au chapitre II, 6, d’accorder trop peu d’importance cette fois à la causalité formelle, ce qui veut dire à la politeia : « la plus grande partie du traité des Lois », lit-on en 1265 a 1-2, « étant remplie par des lois (nomoi), <Platon> ne dit que peu de choses sur la constitution (politeia) ». On pourrait ajouter que dans ce dernier traité Platon règlemente la matière politique en négligeant de préciser son rapport spécifique à l’eidos de la cité : de quel milieu (meson, 1265 b 28), de quel mixte entre démocratie et oligarchie s’agit-il là ? La question reste en suspens, c’est pourquoi la rigueur manque à ce texte, comme elle manque aussi aux écrits de Phaléas et d’Hippodamos : on légifère sur la répartition des richesses ou des terres, sur le nombre optimum de citoyens, mais on raisonne en fait davantage en physiologue, comme Aristote le laisse entendre à propos d’Hippodamos, qu’en politologue ou qu’en homme politique.
18De Pittacos, législateur de Mytilène, Aristote écrira au chapitre II, 12, qu’il fut « un artisan de lois (nomôn dèmiourgos), mais pas de constitution » (1274 b 18-19) ; c’est donc en simple technicien de la législation qu’il a agi, sans se soucier assez du principe constitutionnel régissant, ou devant régir, sa cité. Or, il est très frappant que lorsqu’Aristote critique la loi par laquelle Hippodamos prévoyait, dans son projet de constitution idéale, d’encourager les innovations en matière législative, c’est le même reproche d’une confusion entre la temporalité technique et celle politique qui est mis en avant, du fait que cette confusion contrevient gravement à l’exigence de stabilité des bonnes constitutions, car « l’exemple tiré des techniques est faux, et ce n’est pas la même chose de changer un art et une loi »28.
19Les exposés diaporématiques du livre II précisent donc, par voie négative et selon une méthode qui est constante chez Aristote, l’exigence de réduction bien conduite de l’objet politique à l’eidos approprié à sa matière. Cette réduction sera opérée dans le livre suivant, dont il vaut la peine, pour notre propos, de citer les premières lignes :
Pour celui qui mène une investigation sur les constitutions (peri politeias), c’est-à-dire sur ce qu’est chacune d’elles et sur ses propriétés, l’investigation pour ainsi dire première c’est de considérer la cité : qu’est-ce enfin que la cité (ti pote estin hè polis) ? Car en fait il y a une controverse sur ce point : les uns prétendant que c’est la cité qui a accompli telle action, les autres que ce n’est pas la cité mais l’oligarchie ou le tyran. Par ailleurs, nous voyons que toute l’activité de l’homme politique c’est-à-dire du législateur concerne la cité (ousan peri polin). Enfin, la constitution est un certain ordre entre les gens qui habitent la cité (hè de politeia tôn tèn polin oikountôn esti taxis tis)29.
20Ces lignes exposent en toute clarté la nature de la pluralité des causes repérables dans le champ politique. Elles signifient en effet que savoir ce qu’est la cité, c’est savoir ce qui s’y fait et qui le fait, mais que c’est aussi savoir en vue de quoi cela est fait, et enfin selon quel principe d’ordonnancement interne des choses et des gens. Bref, c’est reconnaître une structure causale efficiente, finale, matérielle et formelle (la forme apparaissant de prime abord comme une certaine taxis). Mais cette pluralité est vouée à demeurer sans cohérence tant que l’on mêle sans discernement le niveau matériel (celui des choses et des gens) au niveau formel (celui de la cité en tant qu’objet politique). De là les « controverses » auxquelles il a été fait allusion. Et de là aussi, mais a contrario, la réduction qui suit immédiatement : celle de la cité, prise strictement comme objet politique, non plus à l’ensemble de ses éléments matériels, mais à ses parties constituantes déterminées par rapport à son eidos30. Ceci a lieu par le biais d’un passage abrupt de la polis au politès :
Mais puisque la cité fait partie des composés, comme n’importe lequel des touts formés de plusieurs parties (ek pollôn moriôn), il est clair qu’il faut d’abord mener une recherche sur le citoyen (ho politès). La cité, en effet, est un ensemble déterminé de citoyens, de sorte que nous avons à examiner qui il faut appeler citoyen et ce qu’est le citoyen (tina khrè kalein politèn kai tis ho politès esti)31.
21Aristote fait donc nettement le départ entre la description matérielle stricto sensu des éléments nécessaires à la cité et l’analyse morphologique de cette dernière : l’analyse qu’il faut conduire est celle de la cité en parties (moria) relatives à son eidos, soit l’analyse de la cité en tant qu’objet d’une connaissance d’ordre strictement politologique. Par essence, en effet, le citoyen n’est ni l’habitant de la ville, ni l’enfant né de parents autochtones, ni celui qu’on a pu faire citoyen par décret. Réduit à son eidos, le citoyen est simplement celui que la constitution reconnaît apte à participer, sans aucune limitation temporelle, aux magistratures. Il ne semble donc pas exagéré de dire qu’Aristote procède, en ce chapitre III, 1, par variation eidétique, puisque l’eidos du citoyen est obtenu comme le reste invariant d’une série de variations conduite à partir de 1275 a 5 : on examine et l’on exclut d’abord le cas de celui qui est devenu citoyen par décret, c’est-à-dire par naturalisation, puis le cas du simple habitant du territoire urbain, puis celui du citoyen seulement passif (l’enfant ou le vieillard), et enfin le cas du citoyen qui ne participe que temporairement aux affaires politiques. Reste alors l’invariant de la variation, qui est le citoyen haplôs32.
22Les modalités de reconnaissance constitutionnelle de la citoyenneté peuvent bien varier dans l’espace et dans le temps, il reste que l’invariant eidétique de ces variations historiques détermine, comme le dit Aristote, le politès haplôs33. Sa définition générale est obtenue par le biais de la célèbre analogie du chapitre III, 4, selon laquelle de même que la sécurité active de la navigation est l’affaire de tout matelot en général, de même celle de la constitution est l’affaire de tout citoyen en général car,
bien qu’ils soient différents, la sécurité de la communauté est leur affaire, et la constitution est cette communauté (hè sôtèria tès koinônias ergon esti, koinônia d’ estin hè politeia). C’est pourquoi l’excellence du citoyen est nécessairement fonction de la constitution34.
23C’est pourquoi aussi, ajouterons-nous, les définitions spécifiques qu’Aristote donnera ultérieurement des citoyens d’une démocratie, d’une oligarchie et d’une monarchie seront elles aussi fonction de la constitution particulière dont ils représentent une partie formelle. Leur eidos est donc parfaitement connaissable, et partant aussi l’eidos de leur cité en tant que « communauté de constitution entre <les> citoyens » (III, 3, 1276 b 2 : koinônia politôn politeias). On parvient ainsi à une définition de la cité qui est rigoureusement eidétique puisqu’elle ne la détermine ni par l’étendue, les remparts ou le territoire, ni non plus par la race et le nombre des habitants35. La réalité matérielle a donc bien été réduite à la réalisation de la forme dans une certaine matière spécifique, ce qui ne consiste ni à nier abstraitement la matière (critique adressée à Platon) ni, à l’inverse, à l’hypostasier (reproche fait à Hippodamos), mais bien plutôt à la considérer comme une condition de la forme adéquate. C’est la raison pour laquelle Aristote soutiendra que ce qui a rapport au nombre des citoyens et à la configuration du territoire figure parmi les moyens nécessaires à l’action politique du nomothète, en tant que « matière appropriée (oikeian hulèn) convenablement apprêtée » à cette action36, ce qui veut dire, dans le cadre de ce livre consacré à la meilleure constitution haplôs, en tant que matière « idéale ».
24Finalement, l’analyse de la formation des cités et de leur telos met en lumière le rôle de premier plan de la causalité formelle exercée par la politeia eu égard à l’identité et donc à la permanence de la cité. Aristote conclura sur ce point par ces mots : « Il faut dire que la cité est la même (autè) principalement en regardant sa constitution », (III, 3, 1276 b 10-11), avant d’ajouter que la politeia est « en quelque sorte la vie de la cité (bios tis poleôs) »37 – ce qui confirme bien par voie analogique, si l’on se souvient de la leçon du chapitre II, 4 du de Anima sur la causalité exercée par l’âme, qu’une politeia est cause formelle et finale d’une cité concrète38.
III. Le jeu causal dans l’histoire des cités : eidos et tupos
25Nous venons de vérifier que pour Aristote une politologie, c’est-à-dire une connaissance théorique de l’eidos de la cité en général et des conditions des eidè des cités spécifiques, est possible. Elle l’est, c’est un point qui mérite d’être souligné, même si la politeia (qui est justement cet eidos) ne constitue pas un genre mais un ordre d’entités hiérarchisées où l’on peut discerner le meilleur, puis ce qui est moyen, médiocre et enfin déviant39. Il faut même dire que, dans ce domaine, la connaissance théorique des causes est non seulement possible mais encore tout à fait souhaitable, et que c’est ce qui explique qu’Aristote ait lui-même jugé bon d’enseigner ces matières à un public (supposé, il est vrai, avoir suffisamment d’expérience et de jugement critique). Mais, à quoi cette connaissance qui ne prétend pas être épitactique peut-elle bien servir aux nomothètes40 ? On peut tout d’abord répondre qu’elle incitera sans doute les hommes politiques à agir en fonction de l’eidos constitutionnel de leur cité. La politologie aristotélicienne leur rappellera l’existence d’un critère final et formel pertinent pour l’évaluation et la clarification de la portée intentionnelle de leurs actes : entendent-ils contribuer à la conservation de la politeia existante ou bien à son changement et, dans cette éventualité, à quel changement ? Il reste cependant assuré qu’Aristote ne prétend aucunement leur enseigner quels sont les moyens concrets à mettre en œuvre pour agir comme ils entendent le faire.
26La question peut néanmoins être envisagée sous un autre angle. La sensibilisation des nomothètes au critère final et formel de la politeia peut en effet les amener à comprendre les raisons, sinon des succès ou des échecs qui émaillent l’histoire (qui sont, les uns comme les autres, innombrables et qu’il n’est de toute façon pas question de prévoir par le biais d’un savoir théorique), du moins de certains types de changements, positifs aussi bien que négatifs, qui peuvent survenir du fait même de la primauté de la causalité constitutionnelle. Ce sont en somme des évolutions typiques de l’histoire politique qui pourront être découvertes par le biais de la connaissance des politeiai, dans la mesure où l’eidos spécifique de chaque cité contient en lui la typique d’une évolution qui est possible, sans qu’elle soit, bien entendu, certaine et prédéterminée. Discerner cette typique ce n’est assurément pas, pour le nomothète, apprendre comment agir en vertu d’une connaissance théorique du passé ou, cas plus improbable encore, de l’avenir. C’est bien plutôt travailler, dans le présent de l’action et grâce à la familiarité acquise avec l’histoire et avec la pratique institutionnelle, à surmonter autant qu’il est possible l’écart éventuel entre la matière de cette pratique et la connaissance eidétique qui est la sienne. Lorsqu’en effet un magistrat s’avise que la politeia de sa cité (qui peut être monarchique, démocratique, oligarchique ou aristocratique, ou bien être un mixte de plusieurs de ces espèces) comporte en elle certaines potentialités typiques d’évolution, il se trouve à même d’agir mieux sur la matière politique à laquelle il a concrètement affaire, et donc sur les conditions de l’eidos de sa cité. Peut-être même qu’en dessinant ainsi la typique du possible et du convenable que comporte en puissance l’eidos constitutionnel de sa cité il agira au mieux, dans le sens de la consolidation ou de la transformation de cet eidos, compte tenu de la situation dans laquelle lui-même et la cité se trouvent.
27Est-ce là ce que nous avons appelé « agir en connaissance pratique de cause » ? Tout d’abord, il est clair que ce n’est pas chercher à appliquer une norme théorique sur le réel, et que ce n’est pas non plus dresser l’inventaire technique des erreurs et des succès passés, avec l’espoir de les éviter ou de les répéter désormais. Ni savoir théorique ni savoir technique, cette epistèmè bien spécifique cherche à améliorer la matière politique41 pour que la forme constitutionnelle choisie par le législateur comme visée de son action – que cette action soit conservatrice, réformatrice ou plus radicalement novatrice encore – puisse avoir de bonnes chances de durer, et pour que soit surmonté dans la mesure du possible, par la recherche des conditions concrètes d’une forme, le dualisme entre forme et matière. Car, si dans le cas le plus favorable, celui de la constitution excellente kat’ eukhèn, le législateur dispose, comme on l’a vu, d’une matière convenablement appropriée à son action, dans les cas historiques plus concrets le législateur doit savoir adapter à ses vues, par la loi et par l’éducation, la matière politique qu’il rencontre : les citoyens et leurs aspirations. Il y faut une familiarité avec la pratique qui autorise, semble-t-il, à parler ici de « connaissance pratique de cause » – ce qui est à comprendre au sens où, dans cette connaissance, le type vient en somme relier, tel un moyen terme, les deux extrêmes de la connaissance eidétique et de l’activité pratique. Mais il ne peut jouer ce rôle charnière que parce que son discernement par le nomothète suppose un héritage des faits d’expérience vécus dans le passé et réfléchis par lui conformément à la rationalité interne de la praxis et des choses humaines dont il est familier.
28Vérifions ces points sur les textes eux-mêmes. « Mais d’où vient que les constitutions changent, de combien de manières et comment », demande Aristote au tout début du livre V42, avant d’ajouter :
Quelles sont les voies de la ruine pour chaque constitution et de quelles formes vers quelles formes ces transformations s’opèrent-elles surtout, de plus quelles sont les manières de sauvegarder les constitutions en général et chacune en particulier, et aussi par quels moyens chacune assurerait le mieux sa sauvegarde : voilà ce qu’il faut examiner à la suite de ce qui a été dit.
1301 a 21-25
29À ces questions il est répondu, dès le chapitre suivant, par une typique : les causes des dissensions civiques (staseis) se déterminent tupoi, lit-on en 1302 a 19 sq., en trois classes : « l’état d’esprit des séditieux, <puis> en vue de quoi ils agissent, et aussi, troisièmement, quels sont les origines des troubles politiques et des dissensions entre citoyens. » Autrement dit, trois sortes de causes rendent typiquement compte des bouleversements historiques dans les cités : le sentiment d’inégalités injustifiées, l’aspiration à abolir ces inégalités, et enfin les causes circonstancielles liées à l’expérience d’excès patents, tels que la démesure, le mépris, la disproportion du pouvoir43. Typiquement donc, la stasis politique provient de disparités vécues par les citoyens comme injustifiables. Mais par rapport à quoi sont-elles injustifiables ? La réponse est immédiate : par rapport à la politeia de leur cité. La « matière délictueuse », si l’on peut dire, n’est ressentie comme telle qu’eu égard aux principes constitutionnels. C’est pourquoi, juste après avoir posé la question des causes des changements, en V, 1, Aristote rappelle que dans les régimes populaires, du fait même de la nature du régime, tous les citoyens se croient égaux en tout, alors que dans les oligarchies, les citoyens « posent en principe qu’ils sont inégaux en tout parce qu’ils <le> sont par la richesse ». Mais ce qui vaut pour ces deux formes de régimes déviants vaut aussi pour les constitutions droites, car l’égalité des valeureux elle-même, celle des spoudaioi, qu’ils soient citoyens d’une cité régie par une constitution démocratique excellente ou bien citoyens d’une aristocratie du mérite, – cette égalité de valeur donc, porte en elle la possibilité de revendications, soit à plus d’égalité en tous les domaines, soit à une plus grande différenciation d’avec les non-valeureux. Quant aux mixtes obtenus, comme c’est le cas dans de très nombreuses cités, entre les trois formes droites de constitution, ils sont encore bien plus sujets à des changements, du fait de leur conception intrinsèquement instable du meson comme mélange. C’est à ce niveau que de petites causes inaperçues (légère modification du cens ou enrichissement général, création de neopolitai, etc.) pourront provoquer de grands bouleversements, tel que le passage d’une forme de constitution oligarchique à une démocratie. Aristote en donne de nombreux exemples au chapitres 4 à 7 du livre V44, et conclut son analyse par ces mots :
Les gouvernements constitutionnels [ou « polities »] et les aristocraties sont principalement ruinés quand on s’écarte de la justice au sein de la constitution elle-même (en autèi tèi politeiai tou dikaiou parekbasin) ; car le principe (arkhè) de leur ruine c’est, pour le gouvernement constitutionnel, de ne pas bien mélanger démocratie et oligarchie, et pour l’aristocratie de ne pas mélanger ces deux composantes et la vertu, etc.45.
30Il est donc clair que, lorsque la constitution témoigne d’une conception instable du meson comme mélange maladroit des principes (précisons : un mélange maladroit eu égard à la nature de la matière politique en cause), ce mélange constitutionnel porte en lui, à titre de « principe » (arkhè, 1307 a 7), une possibilité plus ou moins accentuée de changement constitutionnel. Inversement, la stabilité du mélange, son bon dosage et le rôle que peut y jouer la classe moyenne, sont des facteurs favorables à la durée de la constitution mixte – par exemple, dans le cas typique entre tous aux yeux d’Aristote, celui de la neutralisation par la classe moyenne des intérêts adverses des extrêmes). Plus généralement, chaque eidos constitutionnel, qu’il soit pur, mêlé à d’autres, voire même dévié, a pour principe d’ordonnancement des parties du corps politique une certaine idée de l’ison et du dikaion qui préfigure typiquement ce qui, par variation, pourra apparaître injuste et inégal aux citoyens de ce régime, et donc favoriser les dissensions internes. Nous disons bien « typiquement », et pas « nécessairement », car il ne s’agit pas d’une prédétermination du devenir par des lois de l’histoire des constitutions ; autrement dit, il ne s’agit pas, comme chez Platon et plus tard chez Polybe et Cicéron, d’un nécessaire enchaînement cyclique des constitutions.
31S’il en va bien ainsi, il est salutaire pour la réussite des initiatives politiques des nomothètes qu’ils sachent – pour reprendre les termes de la métaphore qu’Aristote emploie en V, 9, 1309 b 22 sq. – que, de même qu’un nez qui n’est pas parfaitement droit demeure encore agréable à regarder lorsqu’il est aquilin ou camus, alors qu’il est perçu comme désagréable si l’écart avec le juste milieu représenté par le nez droit s’intensifie au-delà d’un certain seuil, de même, plus un régime politique présente un eidos déviant par rapport au meson kritikon de l’excellence et moins longtemps il paraît supportable aux citoyens, ce qui veut dire qu’un tel régime a toute chance d’engendrer rapidement des tendances séditieuses. Une certaine typique de la durée des régimes46 se joue par conséquent dans la compréhension, par les nomothètes, du meson qui détermine les constitutions : si ces régimes sont des mélanges de plusieurs formes constitutionnelles (selon une idée du meson qu’on pourrait nommer ontique), ils sont portés, à proportion du degré de dysharmonie du mélange et du rôle dévolu à la classe moyenne, à être sensibles aux petites causes génératrices de sentiments d’inégalités. Mais si le meson qui les définit est, à un niveau plus axiologique cette fois, l’excellence politique (celle de la plupart des citoyens, de quelques uns ou d’un seul), leur stabilité a toute chance d’être plus grande. Tout dépend en ce cas de l’éducation des citoyens, en tant que facteur déterminant de la reproduction ou de la transformation des mœurs, des valeurs et des conduites relativement à l’esprit de la constitution, c’est-à-dire en tant que facteur d’amélioration de la matière politique, tant il est vrai que, comme Aristote en prévient ses auditeurs, qui sont appelés à intervenir dans les affaires publiques,
Le plus efficace de tous les moyens dont on a parlé pour faire durer les constitutions, et qui est aujourd’hui négligé par tous, c’est de donner une éducation conforme aux différentes constitutions. Car aucune des lois les plus utiles ne sera du moindre profit, même si elle est ratifiée par l’ensemble du corps politique, si les citoyens ne sont pas dotés de dispositions, c’est-à-dire éduqués, dans la perspective de la constitution47.
32Rappelons, pour conclure, la question que se pose Aristote dans sa Métaphysique lorsqu’il se trouve confronté au problème de la double détermination formelle et matérielle des substances sensibles, et lorsque, pour dépasser ce dualisme, il introduit la problématique du passage de la puissance à l’acte. Cette question est énoncée ainsi : « Qu’est-ce donc qui fait l’homme un, et pourquoi est-il un et non plusieurs ? (ti oun estin ho poiei hen ton anthrôpon, kai dia ti hen all’ ou polla) »48. Le rappel de cette interrogation suggère que la question que le nomothète doit résoudre dans et par sa pratique est analogue, et qu’elle peut s’énoncer en ces termes : « Qu’est-ce donc qui fait la cité une et stable dans le temps ? ». La réponse à la première question était : « il n’y a de l’unité aucune autre cause que l’action du moteur, qui opère le passage de la puissance à l’acte » (1045 b 21-22)49. De manière analogue, dans le domaine des « choses humaines », la réponse – donnée cette fois sur le terrain de la pratique et non plus sur celui de la théorie – sera que le magistrat, pour éviter les divisions et la stasis, pour éviter donc de causer la ruine de sa cité et pour la faire durer, devra régler son action sur le type de spécificité que la politeia de sa cité confère déjà à la matière politique qui en constitue, en retour, la condition. Il devra, pour le dire avec plus de précision, régler son action sur le type de spécificité que la politeia confère déjà, en acte dans les lois et les institutions, et aussi en puissance dans les dispositions d’esprit, à la matière politique qu’il travaille : il devra, soit respecter ce type général, en agissant en bon réformateur, soit le bouleverser en connaissance pratique de cause.
33Au bout du compte, c’est ainsi que se conçoit le jeu des causes en politique, et c’est également ainsi que nous pouvons comprendre que la politique soit, comme on l’a dit, « l’art du possible », ou encore, comme le professe Aristote lui-même50, l’art du juste milieu, du possible et du convenable.
Notes de bas de page
1 Cf. G. Bien, Die Grundlegung der politischen Philosophie bei Aristoteles, Freiburg-München, Alber, 1973 ; R. Bodéüs, Le Philosophe et la Cité. Recherches sur les rapports entre morale et politique dans la pensée d’Aristote, Paris, Les Belles Lettres, 1982 ; P. Pellegrin, « Nature, excellence, diversité. Politique et biologie chez Aristote », dans Aristoteles’« Politik ». Akten des xi. Symposium Aristotelicum (hgg. von G. Patzig), Göttingen, Vandenhoeck et Ruprecht, 1990, p. 124-151.
2 G. W. F. Hegel, Leçons sur l’histoire de la philosophie, tr. fr. P. Garniron, t. III, Paris, Vrin, 1972, p. 592.
3 Voir sur ce point le passage bien connu de Metaph. Δ, 1, 1013 a 14-17 : « Le point de départ de la connaissance d’une chose est aussi nommé le principe de cette chose (arkhè legetai tou pragmatos) […]. Les causes se prennent en autant d’acceptions que les principes, car toutes les causes sont des principes (panta gar ta aitia arkhai). » Sur le rapport entre scientificité, causes et principes, cf. J. Moreau, « Archè et aitia chez Aristote », dans L’Attualità della problematica aristotelica (Atti del Convegno di Padova, 1967), Padova, 1970, p. 133-152 ; A. Stevens, L’Ontologie d’Aristote. Au carrefour du logique et du réel, Paris, Vrin, 2000, p. 36-41 ; L. Couloubaritsis, « Causalité et scientificité dans la Métaphysique d’Aristote », dans Kῆποɩ. Mélanges offerts à André Motte, Liège, Centre International d’Étude de la Religion Grecque Antique, 2001, p. 213-226.
4 Cf. a contrario O. Hamelin, Le Système d’Aristote, Paris, Alcan, 1920 (cours de 1904-1905 à l’E.N.S., publié par L. Robin), 15e Leçon, p. 260-279, qui évoque le jeu des causes comme « effet » d’un déterminisme, et même de deux déterminismes fondamentaux : celui de la forme et celui de la matière. L’auteur va jusqu’à reprocher à Aristote de ne pas avoir été assez mécaniste dans sa conception de la causalité, même si, ajoute-t-il, « il y a dans Aristote, au sujet de la cause motrice, un certain nombre de textes où on le voit approcher assez près de la notion de cause proprement dite ou mécanique, notion déjà dégagée en partie par Démocrite » (p. 271) !
5 Cf. An. Post. I, 7 ; I, 28 ; Metaph. I, 7, 1057 a 26-27.
6 Cf. sur ce point central P. Aubenque, Le Problème de l’être chez Aristote, Paris, P.U.F., 1962, Ire Partie, chap. 2, p. 94-250 ; L. Couloubaritsis, Aux origines de la philosophie européenne. De la pensée archaïque au néoplatonisme, Bruxelles, De Boeck, 1992, chap. vi, § 5, p. 459-491 ; A. Stevens, op. cit., chap. iii, p. 61-156 ; W. Lezsl, Aristotle’s Conception of Ontology, Padova, Antenore, 1975, passim.
7 P. Pellegrin, Aristote. Les politiques, traduction inédite, introduction, bibliographie, notes et index, Paris, GF-Flammarion, 1990, p. 23 ; voir en outre G. Bien, op. cit., IIe Partie, chap. vi-x.
8 Respectivement, G. Vlastos, « Reasons and Causes in the Phaedo », The Philosophical Review, LXXVIII, 1969-3, 291-325 ; M. Heidegger, « La question de la technique », Essais et conférences, tr. fr. A. Préau, Paris, Gallimard, 1958, p. 9-48 (en particulier p. 12-17). Cf. aussi M. Hocutt, « Aristotle’s Four Becauses », Philosophy, XLIX, 1974, 385-399.
9 J. Follon, « Réflexions sur la théorie aristotélicienne des quatre causes », Revue Philosophique de Louvain, LXXXVI, août 1988, 317-353 (ici p. 328). On consultera avec profit l’étude de M. L. Gill, « Aristotle’s Theory of Causal Action in Physics », Phronesis, XXV, 1980, 129-147.
10 Cf. G. Vlastos, art. cit., passim ; M. Hocutt, art. cit., p. 385-387.
11 « Sur la conception aristotélicienne de la causalité » (1909-1910), repris dans L. Robin, La Pensée hellénique des origines à Épicure, Paris, P.U.F., (1941), 19672, p. 423-485 (ici p. 438). Rappelons que L. Robin estimait, en s’appuyant sur Metaph. Z, 9, 1034 a 31-32, qu’Aristote avait conçu le syllogisme causal par le truchement d’une simple analogie avec la production technique (le passage de Z, 9 en question est le suivant : « Le principe de toute production c’est, comme dans les syllogismes, l’essence formelle, car c’est bien de l’essence que partent les syllogismes, et c’est d’elle aussi que partent les productions »). Cette interprétation se retrouvera chez L. Brunschvicg, L’Expérience humaine et la causalité physique, Paris, P.U.F., (1922), 19493, IIe Partie, livre VI, p. 131-153, ainsi que chez J.-M. Le Blond, Logique et méthode chez Aristote, Paris, Vrin, 1939, p. 73-106 (cf., p. 93-94).
12 Op. cit., chap. i, p. 11. Cf. en outre R. Bodéüs, op. cit., p. 78-93 ; P. Rodrigo, Aristote et les “choses humaines”, Bruxelles, Ousia, 1998, p. 13-65 et supra, chap. i.
13 C’est néanmoins le point de vue que semble encore défendre E. Berti, « Phronèsis et science politique », dans Aristote politique. Études sur la Politique d’Aristote, P. Aubenque (éd.), Paris, P.U.F., 1993, p. 447-449.
14 H. H. Joachim, Aristotle. The Nicomachean Ethics. A Commentary by the late H. H. Joachim, ed. by D. A. Rees, Oxford, Clarendon Press, 1951, p. 14 (cf., p. 13-16) ; et R. Bodéüs, op. cit., p. 47-48 et p. 57-59.
15 R. Bodéüs, Politique et philosophie chez Aristote, Namur, Société des études classiques, 1991, p. 59 et p. 61.
16 P. Aubenque, La Prudence chez Aristote, Paris, P.U.F., 1963, p. 30 (nous soulignons).
17 Pol. I, 1, 1252 a 1-6. Nous utilisons ici, comme dans toute la suite de cette étude, la tr. fr. de P. Pellegrin, op. cit.
18 Cf. Pol. I, 1, 1252 a 9-13.
19 De même qu’on lit aussi dans ces pages, comme on le sait, une pré-détermination eidétique du logos en termes d’aisthèsis agathou kai kakou kai dikaiou kai adikou kai tôn allôn (1253 a 16-17).
20 Part. Anim. I, 1, 640 a 18-19. Pour l’application de ce principe à la politique, cf. W. L. Newman, The Politics of Aristotle, with an introduction, two prefatory essays and notes critical and explanatory, 4 vol., Oxford, Clarendon Press, 1887, t. I, p. 27-28 ; P. Pellegrin « Nature, excellence, diversité… », art. cit.
21 Part. Anim., I, 1, 640 b 28-29.
22 Une telle réduction est tout à la fois présupposée et appelée par le début du livre I de la Politique, dans et par l’ambiguïté de formules telles que celle qui ouvre le volume : Epeidè pasan polin horômen koinônian tina ousan…, ou bien encore celle, célèbre mais hautement équivoque, de I, 2, 1253 a 7-9 : politikon ho anthrôpos zôon pasès melittès kai pantos agelaiou zôou mallon, dèlon.
23 Cf. Pol. II, 9, 1271 b 1-6 (ce thème est repris des Lois de Platon).
24 Cf. ibid., II, 9, 1269 b 12-1273 a 10.
25 Ibid., II, 10, 1272 b 9-11.
26 Ibid., II, 2, 1261 a 29-30.
27 Ibid., II, 2, 1261 a 21-22.
28 Ibid., II, 8, 1269 a 19-20.
29 Ibid., III, 1, 1274 b 32-38.
30 Aristote précisera, en Pol. VII, 8, 1328 a 21-25, que « puisque, comme dans les autres composés naturels, les conditions sans lesquelles le tout n’existerait pas ne sont pas parties du système total, il est évident qu’il ne faut pas considérer comme des parties d’une cité tout ce que les cités possèdent nécessairement ».
31 Pol. III, 1, 1274 b 38-1275 a 1.
32 Cf. III, 1, 1275 a 5-35.
33 III, 1, 1275 a 19 et 22. Sur la question de la synonymie du mot « citoyen », voir les remarques d’A. Stevens, op. cit., p. 128-129.
34 Pol. III, 4, 1276 b 28-31.
35 Cf. Pol. III, 3 en entier, avec les allusions ironiques à l’étendue du Péloponnèse (qui ne constitue certes pas une grande cité) et à celle de Babylone (qui n’est plus une cité), ainsi que la comparaison de la cité avec un chœur : la tonalité du chœur n’a rien de physique mais dépend de la forme musicale tragique ou comique, et il en va de même pour la cité dont la “tonalité” politique sera donnée par sa politeia.
36 Cf. Pol. VII, 4, 1325 b 40 sq.
37 Pol. IV, 11, 1295 a 40-b 1. Cf. P. Pellegrin, « Nature, excellence, diversité… », art. cit., p. 128, qui tire à juste titre de cette analogie la conclusion que « le bon nomothète agira donc comme la nature à l’égard des vivants. Pour obtenir des organismes excellents il s’efforcera d’établir des mélanges harmonieux de parties bien adaptées à leur fonction » (p. 149).
38 Cf. de An. II, 4, 415 b 7-416 a 9.
39 Sur le problème des antéro-postérieurs et de leur définition commune, cf. A. Stevens, op. cit., p. 121-130.
40 La question a été, comme nous l’avons dit, clairement posée par R. Bodéüs, cf. Le Philosophe et la cité…, loc. cit., chap. ii, et Politique et philosophie…, loc. cit., chap. ii-iii.
41 Il est assez remarquable que W. L. Newman ait aperçu cette exigence, dès 1887, dans son Introduction, suggestive à plus d’un titre, à sa traduction anglaise de la Politique. Regrettant en effet que la téléologie axiologique de Pol. I ne soit pas accompagnée d’études historiques portant sur l’action concrète des États (cf. t. I, p. 62 : « We look in vain for a careful historical investigation into what the State can do »), Newman note qu’Aristote semble finalement admettre, avec réalisme, que la longévité des constitutions imparfaites peut représenter un but politique : the durability of the constitution, rather than its favourableness to good life, seems here [sc. en Pol. IV, 8] to be the aim he keeps in view. Puis il ajoute qu’en ce cas the End is kept in view in selecting the Matter of the State and in improving it by the education and law (p. 63, nous soulignons). L’opposition entre réalisme et idéalisme demande certes à être repensée (elle l’a été par P. Pellegrin, qui a montré, en partant des travaux de Newman, qu’en vérité l’excellence politique ne s’oppose pas au “réalisme”, mais qu’elle se dit plutôt dikhôs : selon la vertu elle-même et selon la durée), mais il n’en reste pas moins que l’intuition, par Newman, d’une « amélioration » de la matière politique est très précieuse.
42 Pol. V, 1, 1301 a 20-21 : Ek tinôn de metaballousin hai politeiai kai posôn kai poiôn.
43 Cf. Pol. V, 2-3. Sur le sens de tupos et de tupoi voir G. Roux, « Le sens de Tupos », R. E. A., LXIII, 1961-1, p. 5-14.
44 Les premiers mots de V, 4 sont à noter : « Les séditions ne naissent pas au sujet de petites choses mais à partir de petites choses (ou peri mikrôn all’ ek mikrôn) » (1303 b 17-18).
45 Pol. V, 7, 1307 a 5-10 (nous soulignons).
46 Durée qui est, il faut le répéter contre toute lecture désenchantée des livres dits « réalistes » de la Politique, un aspect de l’aretè politique, même si ce n’est pas le meilleur de ses aspects. Cf. en particulier P. Pellegrin, « Nature, excellence, diversité… », art. cit., p. 137-151.
47 Pol. V, 9, 1310 a 12-17. Voir aussi VIII, 1-2. Il ne fait pas de doute que, pour Aristote, les principes de l’éducation traditionnelle sont à revoir, et qu’ils le sont, en chaque cas, en tenant compte de la cause formelle agissant dans les cités, c’est-à-dire en fonction des politeiai.
48 Metaph. H, 6, 1045 a 14-15. Sur la question de l’unité, et plus généralement sur les rapports entre ontologie et hénologie, cf. L. Couloubaritsis, « La métaphysique s’identifie-t-elle à l’ontologie ? », dans Herméneutique et Ontologie. Hommage à Pierre Aubenque, J.-Fr. Courtine et R. Brague (éd.), Paris, P.U.F., 1990, p. 297-322.
49 C’est ce qui conduit L. Couloubaritsis à affirmer que, « au livre Eta, Aristote tente de surmonter ce dualisme [matière / forme] en mettant en évidence un dualisme plus nuancé, celui de la puissance (matière) et de l’acte (actualisation de la matière grâce à la spécificité [l’eidos] se manifestant comme forme). S’approchant ainsi davantage du réel matériel, il montre que l’unité de l’étance [de l’ousia] est garantie par la cause efficiente qui produit la différenciation dans la matière en lui imposant une spécificité », Aux origines de la philosophie européenne…, loc. cit., p. 471 (nous soulignons). Cf. aussi P. Moreau, op. cit., p. 151-152.
50 Cf. Pol. VIII, 7, 1342 b 34.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Thémistius
Paraphrase de la Métaphysique d’Aristote (livre lambda)
Thémistius Rémi Brague (trad.)
1999
« L’art de bien lire »
Nietzsche et la philologie
Jean-François Balaudé et Patrick Wotling (dir.)
2012
L’Idée platonicienne dans la philosophie contemporaine
Jalons
Sylvain Delcomminette et Antonio Mazzu (dir.)
2012
La fêlure du plaisir, vol. 2
Études sur le Philèbe de Platon II. Contextes
Monique Dixsaut (dir.)
1999
La connaissance de soi
Études sur le traité 49 de Plotin
Monique Dixsaut, Pierre-Marie Morel et Karine Tordo-Rombaut (dir.)
2002
L’Euthyphron de Platon
Philosophie et religion
Platon Jean-Yves Chateau (éd.) Jean-Yves Chateau (trad.)
2005