Chapitre I. La Ramée et les mathématiques
p. 153-159
Texte intégral
1La chaire de mathématiques du Collège Royal qui devait porter le nom de La Ramée n’est pas un incident de l’histoire. C’est le signe de l’inversion culturelle en cours de développement où il faut chercher autre part que dans le cadre universitaire aristotélicien des lieux d’enseignement moderne.
1 – Dialectique et mathématique
2La Dialectique de 1555 s’achève par une revue des applications de la méthode aux diverses “sciences et doctrines” (p. 127). La Ramée rappelait les fruits recueillis par sa grammaire, par son étude des orateurs et des poètes, et par cette application nettement affirmée de la dialectique à la mathématique : “Nulle science, voire des Éléments d’Euclide desquels la méthode est estimée très parfaite, n’est assez soigneusement jugée et colloquée par cette méthode artificielle, comme plus amplement sera montré quelque jour en ces Éléments disposés par cette voie”. Le sens de la relation entre logique et mathématique n’est donc pas celui qu’on s’accorde à concevoir traditionnellement : les procédures mathématiques ayant un tel poids culturel qu’elles transforment les règles de la logique. En fait les dialecticiens, et celui qui compose les Regulae, ont conscience qu’il y a une science universelle plus englobante que les mathématiques qui en pénètre les différentes parties et les subordonne les unes aux autres. C’est la dialectique qui permet d’observer les discontinuités entre arithmétique et géométrie et c’est au nom de sa méthode que La Ramée commente le rapport entre géométrie et arithmétique avancé par Euclide.
3Dans son manifeste De la remontrance de P. de la Ramée faite au Conseil privé... (1567), au sujet de “la profession royale en mathématique”, La Ramée s’élève contre Dampêtre Gosel et Jacques Charpentier qui ont occupé la chaire sans se faire aucun devoir d’enseigner valablement. Or “les mathématiques étaient véritablement les premières et les plus anciennes de toutes les disciplines libérales, grandement profitables et utiles à la vie de l’homme, soit en guerre, soit en paix, soit aux champs, soit à la ville... L’ordre des mathématiques n’est donc point comme d’une histoire, là où vous pouvez entendre et déclarer un passage à la fin, au milieu, au commencement sans rien entendre au précédent : mais en la mathématique l’ordre y est non seulement profitable et utile, mais totalement nécessaire. La première de ces disciplines c’est l’arithmétique, art de bien nombrer toutes choses qui peut tomber en nature de nombre en ajoutant, déduisant, multipliant, divisant, tous nombres entiers et rompus en comparant leurs raisons et propositions : la seconde c’est la géométrie, art de bien mesurer, toute chose sujette à mesure, comme longueur, largeur, hauteur et généralement toutes grandeurs tant planes que solide, soit du ciel, soit de la terre ou en quelque autre sujet mesurable. Cette partie seconde ne se peut aucunement entendre ni pratiquer sans la première, car mesurer, c’est nombrer les intervalles, c’est comparer les raisons et proportions des figures. L’astrologie (astronomie) qui s’ensuit ne se peut pareillement ni concevoir, ni démontrer sans l’arithmétique et géométrie. Car l’astrologie n’est autre chose qu’arithmétique à nombrer les degrés, minutes, et toutes autres parties dans les mouvements des corps célestes, ce n’est autre chose que géométrie à mesurer les triangles, les cercles, les sphères de toutes figures qui y sont, et ainsi des autres disciplines mathématiques, voire bien davantage les propositions d’arithmétique, géométrie, astrologie sont bâties de tel ordre que qui ne connaît la première ne peut entendre la seconde, qui n’entend l’une de l’autre ne peut entendre la troisième, bref si un écolier a perdu une seule leçon en mathématiques, qu’il ne retourne plus à l’école, car il n’entendra rien à ce qui s’ensuit” (p. 5-7).
4Dampêtre estime qu’Euclide a écrit pour les enfants : “mais c’est un volume contenant en quinze livres tout ce que les hommes depuis la création du monde ont acquis de vraie et solide science : deux fois deux font quatre, et ont été quatre, et seront quatre éternellement, cela n’est point sujet à l’opinion ni à l’autorité des hommes...” (p. 9). Commencer par l’astronomie comme l’a fait Dampêtre, “c’est commencer à bâtir par le faîte de la maison en méprisant les fondements” (p. 13) Quant à Charpentier qui enseigne depuis 22 ans la philosophie en latin, sans aucune connaissance de la littérature grecque, sans aucun savoir mathématique, c’est pour un militant de la Pléiade le pire des abus que de lui confier la chaire de mathématiques. Durant deux heures, Charpentier n’eût pour toute réponse “comme il avait grand défaut de mathématiques” que “d’invectiver contre Ramus, disant que c’est un homme violent, importun, impérieux, qu’il avait renversé la grammaire, la rhétorique, la logique, la philosophie, les mathématiques, qu’il avait fait tout un monde nouveau. En quoi, ajoute Ramus, il lisait quelque chose de vérité encore que ce ne fut pas à propos, mais il parlait ambigument”. La Ramée se console en évoquant le personnage et la destinée de Socrate dont la sagesse fut “qu’il maintenait que tous les arts libéraux se devaient rapporter à la vie humaine, pour faire l’homme plus avisé à bien délibérer et plus prompt à bien exécuter, et qu’il y avait dans les écoles trop d’enseignements et de livres, trop de subtilités et d’ergoteries sans utilité, sans usage”.
5Ce concept d’usage qui rend toute dialectique concrète, est également valable en ce qui concerne les mathématiques. La Ramée s’estime au contact entre un monde ancien et un monde nouveau. Jamais les scolastiques ne se sont occupés des mathématiques et l’Organon ne leur fait aucune place. Or Charpentier continue cette tradition en enseignant qu’il ne convient pas “de penser comme faisait Socrate que les mathématiques se devaient rapporter à l’usage de la vie humaine, que c’est une grande erreur : et dit que bien compter et mesurer sont les ordures et fientes des mathématiques” (p. 45). La Ramée reproche aussi à Charpentier de lire en un jour deux grandes leçons, l’une en astrologie, l’autre en logique d’Aristote, “n’entendant toutefois rien au vrai et originel langage d’Aristote, voire n’entendant en logique ni usage, ni pratique, ni utilité aucune pour entendre et imiter la logique des poètes, des orateurs, des philosophes, des mathématiciens, et généralement de tous personnages de grande invention, de grand jugement pour façonner et conformer l’écolier à leur exemple” (p. 48).
6Cette violente polémique, appuyée par la parution du Proemium mathematicum (1567) adressé à Catherine de Medicis, donne l’occasion à La Ramée de répondre au fond en trois livres. D’abord l’histoire des mathématiques du Livre I est la première qui soit ainsi composée : elle a pour objectif de mettre en évidence l’ancienneté et la richesse des courants mathématiques depuis la plus haute antiquité, autrement dit, bien avant Aristote et sans Aristote. Le Livre II traite de l’utilité des mathématiques, en tant qu’art et pour tous les arts. Le Livre III dénonce la récusation de l’obscurité des mathématiques et fait la louange de leur clarté et de leur précision. La Ramée explicite le “bene numerandi” et le “bene metiendi” pour en faire la source des lumières qui illustrent les sciences et les arts.
2 – Les écrits mathématiques de La Ramée
7Les proclamations que nous avons rapportées sont déjà inscrites dans la bibliographie de La Ramée, son arithmétique et sa géométrie étant publiées en 1549.
81. L’Arithmeticae Libri tres (1549, 1557, 1569) a pour caractéristique de comporter nombre d’exercices après les énoncés théoriques. L’arithmétique est définie comme un art “analytique”, qui “permet d’instruire la science par une voie facile et transparente (“perspicua”). Sa matière répond à des principes universels, c’est-à-dire non seulement nécessaires et homogènes, mais appropriés, de sorte que les choses générales soient enseignées généralement et les spéciales spécialement. Sa forme provient de la méthode et de l’ordre des préceptes, de sorte que l’on ait premièrement ce qui est premier, au milieu ce qui est médian, et dernier ce qui est dernier”. La raison et la proportion règnent dans les nombres, applicables aux grandeurs aussi bien qu’à toutes les choses nombrées. Le nombre est premier en nature avant la grandeur (“natura prier magnitudine”). Si bien que l’ordre des sciences mathématiques consacre la prééminence de l’arithmétique sur la géométrie. Les éléments des mathématiques répondent à ces “lois logiques”, qui sont les trois lois de la dialectique. Dans ce contexte se manifeste la transparence des principes (retenons “principiorum perspicuitas”), opposée à l’obscurité des notions. Ce sont les principes qui jouent pour les novices ou les débutants (Préface).
9Le Livre I traite du nombre et des espèces des nombres. L’arithmétique, “doctrine du bien nombrer”, considère le nombre comme une multitude composée par les unités. Le nombre est abstrait, c’est-à-dire ou absolu (Livre I) ou comparé (Livre II), et figuré (Livre III).
10Le nombre abstrait absolu n’entre pas en comparaison, il est sans qualité ni quantité. Il est à la base de la “numération” (p. 1), laquelle est simple (addition et soustraction) ou composée (multiplication et division). L’addition est une “numeratio simplex” où le nombre est ajouté au nombre, la soustraction (“subductio”) également qui soustrait le nombre au nombre. Il en va de même de la multiplication et de la division. Puis La Ramée étudie les nombres premiers et composés, pairs et impairs, parfaits et imparfaits, selon que le nombre est égal ou inégal à lui-même.
11Le nombre comparé du Livre II est celui qui entre dans la raison ou proportion, science qui permet d’appliquer le nombre aux grandeurs, de comparer la ligne avec la ligne, la superficie avec la superficie, un corps avec un autre. La Ramée expose la règle d’or sur l’invention des quantités proportionnelles et les opérations qui s’y rapportent.
12Le nombre figuré du Livre III est celui qui “par sa propre force et nature répond à la figure géométrique”, “il a même le nom de figure”. Deux espèces en sont distinguées : le nombre plan qui a une raison avec un autre nombre composant les côtés d’une figure ; le nombre solide, qui comporte trois nombres en relations pour désigner un corps de la nature du cube.
13L’arithmétique se dispose dialectiquement à la manière des dichotomies de l’invention. Nous retiendrons deux termes du lexique raméen de cette arithmétique.
14a) Chaque fois qu’il expose une des opérations arithmétiques, La Ramée décompose la manière dont chaque nombre doit intervenir dans le calcul : aucune opération ne sera convenable si l’on ne procède pas à une “inductio”. Cette induction consiste à énumérer tous les nombres qui doivent intervenir dans l’opération et à barrer chacun d’eux après usage pour être sûr à la fois d’avoir effectué une énumération complète et de ne pas en avoir oublié au passage.
15b) Quand La Ramée au Livre II aborde la question des “comparata”, il les définit par “habitude ipsorum inter se, ut ratio et proportio” (p. 38), leur manière d’être entre eux.
16Retenons que J. Peletier du Mans dans son Arithmétique (1540, 1554) définit en français la proportion comme “une certaine habitude et regard que les quantités ou grandeurs ont les unes avec les autres” (p. 169).
17Jumelée avec la Geometria, cet ouvrage reparut sous forme d’Arithmetica libri duo (1569, 1570) etc...
182. L’Euclides (1544, 1549) entreprend l’éloge des mathématiques, premières de tous les arts à faciliter la connaissance de l’infinie variété de la nature. Les mathématiques reposent sur l’ordre et la disposition, appliquant la formule générale de la méthode : le premier d’abord etc...“comme cette chaîne d’or d’Homère qui unissait et reliait”. Il n’y a rien “de plus adapté, de plus lié, de plus solide” que les principes des mathématiques qui fournissent de sérieux fondements pour les démonstrations : à partir de ces principes, tout est conclu “perspicue et evidenter”, d’autres complexions sont nouées et la relation est telle que si on touche une lettre tout est modifié. Pythagore et Platon ont été conduits à penser que de si excellentes connaissances étaient inscrites dans l’âme (“insitas”, “ingeneratas”), à titre de modèles innés et éternels (“ingenitis et aeternis exemplis”). Ils donnèrent à cette discipline le nom de “mathêsis” comme d’une réminiscence ou d’une remémoration, comme le dit Proclus. Ce ne sont pas des sciences inventées par l’homme, mais “divinement imprimées dans nos âmes” (p. 1-2). Leur histoire commence dans la plus haute antiquité.
19Cet Euclides s’intéresse aux “simples énoncés” qui commandent l’édifice mathématique : “Signum, est cujus pars nulla est” ; après le point, la ligne, les différentes figures, les parallèles etc... Les figures que l’élève dispose pour lui-même aident à comprendre les démonstrations. En suivant les livres d’Euclide ainsi réduit à leurs axiomes, on parvient à la constitution d’une “mathêsis “originale avec la définition de la partie (“magnitudo magnitudinis, minor majoris, quando minor metitur majorem”). On retrouve au Livre V, I, 3, la définition de la “ratio” comme “habitudo” : “duarum magnitudinum ejusdem generis aliquatenus ad invicem quaedam habitudo” ; la proportion est “rationum identitas”.
20Les Livres VII, VIII, IX, X, font mention du retour à l’arithmétique avec la définition de l’unité (“qua unumquodque existons unum dicitur”), des nombres, des nombres proportionnels, des commensurables, des incommensurables (“quae sub nullius communis mensura dimensionem cadunt”), traités de nombres rationnels et nombres irrationnels.
21Le retour du Livre XI à la géométrie est accusé avec la définition du solide, qui comporte longueur, largeur et profondeur (“crassitudinem”). Les derniers Livres traitent du cercle, des pyramides, et posent le problème : dans un cube donné inscrire une pyramide.
223. L’Algebra (1560) concerne essentiellement la science des proportions. “L’algèbre est la partie de l’arithmétique qui par des proportions figurées continues instaure une numération propre” (p. 2). L’algèbre comporte deux parties : l’une concerne “la simple numération des choses figurées”, l’autre leur comparaison. La comparaison s’exprime dans les équations. “L’équation est ce par quoi les choses figurées sont égales entre elles selon l’hypothèse”.
234. Le Proemium mathematicum (1567) et l’ultime ouvrage de synthèse des Scholae mathematicae (1569) condensent l’ensemble de ces enseignements, pour les projeter sur le siècle à venir par de nombreuses éditions que chaque mathématicien enrichira à sa manière. Dédié à Catherine de Médicis et à la gloire de la cour des Come à Florence, La Ramée réclame la création de 1.000 chaires de mathématiques en Europe qui apprendront à “bien calculer” et à “bien mesurer”. Ces ouvrages renferment une prodigieuse lexicographie de “mathesis”.
24a) La “mathêsis” est la “prima hominum scientia”. Le concept désigne une science première, plus ancienne, plus globale que les différents “arts mathématiques”, que la “progressio mathematicae”, que les divers courants des “mathematicorum”. Ces “arts mathématiques” couvrent de la physique à la politique, aux arts de la guerre et de la paix.
25b) Dans ces contextes historiques des mathématiques, La Ramée emploie indifféremment “mathêsis”, “mathemata”, “mathematices artes”, “mathematicis elementis”, “mathematica”, ce qui met “mathêsis” et “mathematica” en relation de vicariance banale, sans attente de différentiation conceptuelle majeure.
26c) Quand la “mathêsis” est prise au sens dialectique, ce dont le manuscrit 6659 du Fonds Latin de la Bibliothèque Nationale de Paris témoigne (NB, p. 52- 55) le débordement supra-mathématique est évident. Dans la ligne de son commentaire du mythe de Prométhée du Philèbe, la “mathêsis” est “la flamme”, “la lumière étincelante de la sagesse divine qui se manifeste dans nos esprits”, qui libère l’esprit de la prison du corps “grâce au nombre et à la mesure qui font naître la concorde de la raison” ; c’est sans aucun signe et sans argument que la céleste voix nous admoneste de rechercher “la vérité”. Plutôt que “mathema”, “mathêsis” a le sens d’une science dialectique innée qui couvre l’ensemble des connaissances. La “mathêsis” est strictement définie dans son contenu quand La Ramée mentionne le nombre et la mesure, concept-clé de son “ars numerandi” et de son “ars metiendi”.
27d) Seul le manuscrit de 1536 accrédite le terme de “meta-mathêsis” pour désigner, sous l’empire de Ficin vraisemblablement, le don de la vérité au-delà du signe, qui rejoint par cette force intellectuelle porteuse de lumière inscrite dans la nature de l’âme la manière dont les bienheureux possèdent cette science divine dans leur demeure éternelle.
28e) Mais, on va le voir de suite, un autre sens de “mathêsis” prend naissance dans le Proemium, en raison de l’application de la dialectique à la relation entre arithmétique et géométrie.
295. Ces deux derniers ouvrages majeurs après avoir démontré l’antiquité, l’utilité et la clarté des mathématiques, après l’avoir mise sous la tutelle de la dialectique générale, qui accomplit la distinction entre “mathêsis” et “mathematica”, insistent sur l’ordre interne aux Éléments d’Euclide qui sont cette fois-ci commentés dans le détail de leur disposition, ce que n’entreprenait pas encore l’Euclides.
30Il y a “deux lumières mathématiques” : l’arithmétique et la géométrie. Cette spécificité des sciences est assurée par la loi d’homogénéité : traiter la rhétorique rhétoriquement, la grammaire grammaticalement, l’arithmétique arithmétiquement, la géométrie géométriquement etc... Devenue litanie, cette loi raméenne causera bien des difficultés aux mathématiciens ramistes, et d’abord à son auteur. Car on doit d’abord penser que cette loi de spécificité entre disciplines empêche toute application de l’une à l’autre.
31Un second principe, très explicité, donne le pas à l’arithmétique sur la géométrie. Le nombre est plus simple que la figure à laquelle il pourra s’appliquer, mais pas l’inverse. Selon la loi interne à la méthode on doit donc d’abord traiter de l’arithmétique, ce que fit La Ramée, puis de la géométrie. Pour Proclus, selon Aristote, l’arithmétique est “prius et simplicius”. Or la lecture dialectique des Éléments provoque une double conflagration. Qu’en est-il de la loi d’homogénéité puisqu’Euclide traite de la géométrie arithmétiquement ? Qu’en est-il de la définition de la méthode puisqu’il consacre d’abord six livres à la géométrie, puis quatre à l’arithmétique, puis de nouveau cinq livres à la géométrie ? Les mathématiques euclidiennes sont donc en conflit avec la dialectique raméenne. Or La Ramée défend la priorité du point de vue de la dialectique, promet la critique d’Euclide et annonce qu’il faudra réviser l’ordre des Éléments.
32On peut en conséquence discerner un nouveau sens de “mathêsis”, qui pour les deux disciplines arithmétique et géométrique “terra parens quaedam est” (Proemium, p. 226). C’est la “mathêsis “qui permet l’application de l’une à l’autre, en raison de cette signification dialectique plus simple et plus générale.
336. On ne saurait passer sous silence le rôle de Copernic dans ces considérations mathématiques. Le Proemium aussi bien que les Scholae mathematicae en font un éloge appuyé et libre, très différent des mots couverts et des rétractations cartésiennes.
34Les orbes aristotéliciennes ont empêché tout progrès dans l’application des mathématiques à l’"astrologie” (le terme est encore valable au sens scientifique) : “Ce n’est qu’à notre époque que Copernic, astrologue qu’il ne faut pas seulement comparer aux anciens, mais qu’il faut admirer absolument en astrologie, ayant rejeté l’antiquité des hypothèses, n’appela pas simplement des hypothèses nouvelles, mais des hypothèses admirables qui démontraient l’astrologie non pas selon le mouvement des astres, mais selon le mouvement de la terre” (Scholae, p. 49). “Et merci au ciel que Copernic se soit attaché plutôt à cette pensée d’une astrologie constituée à l’écart des hypothèses : il lui était en effet plus aisé de décrire une astrologie répondant à la vérité des mouvements des astres que de faire mouvoir la terre par quelques travaux des géants, pour nous permettre d’observer les étoiles fixes à partir du mouvement de la terre” (p. 50).
35J. Kepler avait été pressenti pour occuper la chaire Ramus du Collège de France. Il s’en ouvrit à M. Mäslin et fit l’éloge des conceptions théoriques de La Ramée. Kepler renvoie aux Scholae mathematicae, f. 49-50, en précisant, que ce n’est pas là la Géométrie. En cet endroit La Ramée se déclare pour une conception des “hypothèses astrologiques” qui convient aux positions de Kepler : “La Ramée estime qu’il faut éviter les hypothèses qui ne font que croire ou postuler sans prouver, et il loue cette astronomie dépourvue d’hypothèses (“absque hypothesibus”) qui se satisfait de la seule nature des apparences des orbes célestes. Il est donc proche de moi et de Copernic ou des deux ensemble”. La Ramée a raison de “rejetter les hypothèses soit vraies, soit naturelles soit fausses”. “Quiconque étudie une astronomie sans hypothèses peut prétendre à la chaire de Ramus. Or je constitue une astronomie sans hypothèses. Donc je puis prétendre à la chaire de Ramus. Je prouve la majeure par la magnifique proposition de La Ramée... Je prouve la mineure par un dilemne. En effet ou bien Ramus veut une astronomie sans aucune hypothèse, ou bien sans des hypothèses telles qu’elles ne peuvent être démontrées. Si cette solution-ci, Ramus est insensé ; si cette solution-là, il est comme Copernic qui avait de telles hypothèses que j’ai démontrées par ma propre invention, et j’ai ainsi satisfait à ce que voulait La Ramée” (Ges. Werke, t. 13, p. 141 et 165, oct. 1597, 6 janv. 1598).
367. Ces ouvrages mathématiques de La Ramée ne cesseront d’être réédités soit pour eux-mêmes, soit accompagnés de commentaires, soit intégrés dans de successives révisions. Les plus éminents auteurs mathématiciens s’y sont arrêtés. Ces révisions sont à leur tour rééditées si bien que jusque vers 1630 l’équipement culturel en mathématiques dispose des ouvrages de La Ramée. Ses travaux d’optique seront publiés par son collègue Fr. Risner et par J. Pena, Opticae libri quatuor ex voto P. Rami novissimo (1606, 1615).
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