Les Jésuites et l’autorité de la Rhétorique d’Aristote
p. 331-346
Texte intégral
1En vain chercherait-on chez les jésuites des travaux d’érudition précis portant sur la lettre même de la Rhétorique d’Aristote1. Si, depuis la fondation de leur Compagnie en 1540 par saint Ignace de Loyola jusqu’à leur interdiction par le Pape en 1773, ces hommes de parole et d’action ont indiscutablement contribué à faire connaître l’art rhétorique en général, et la Rhétorique d’Aristote en particulier, cela s’est fait surtout par leur rayonnement auprès du grand public, par l’enseignement des collèges, et par la formation dispensée dans les noviciats, où ces « soldats du Christ » se préparaient à « vaincre », par la prédication et la controverse, « les hérétiques, les Turcs et autres infidèles »2. Dans cette double perspective3-de l’enceinte des collèges au monde à conquérir-la Rhétorique d’Aristote occupe à première vue peu de place, auprès de Cicéron, Quintilien, des rhéteurs hellénistiques et de la Poétique d’Aristote dans les classes, auprès de saint Paul Apôtre et saint Jean Chrysostome comme modèles pour la prédication, et pour la controverse, auprès de l’Organon d’Aristote étudié à la lumière de saint Thomas d’Aquin. Cependant, un examen attentif de quelques-uns de leurs ouvrages qui recourent explicitement à la Rhétorique d’Aristote montre que les passages cités apportent, en réponse aux attaques adverses, bien plus que l’ornement d’une référence prestigieuse : sur quelques points de prédilection, la caution du Philosophe.
2Si aucun jésuite ne s’illustre dans l’établissement, le commentaire ou la traduction de la Rhétorique d’Aristote4, la Compagnie sait reconnaître l’excellence philologique et sans exclusive puiser aux meilleures sources. Lors de la lente maturation collective du programme d’éducation des collèges qui aboutit en 1599 à la Ratio studiorum5 connue sous le nom du général de l’ordre, le P. Acquaviva, c’est au grand érudit romain Marc-Antoine Muret que s’adresse le P. Perpinien pour obtenir des éclaircissements sur la Rhétorique d’Aristote : où placer les divisions de l’ouvrage, le découpage reçu n’étant pas satisfaisant ? Et quels rapports entretiennent exactement la rhétorique et la dialectique6 ? Dans la bibliothèque qu’il établit pour les noviciats en 1593, le P. Antoine Possevin recommande7, pour la Rhétorique d’Aristote, en plus des commentaires de Pier Vettori sur le texte grec8, la traduction latine d’Antonio Riccoboni9, puisque celle de Marc-Antoine Muret ne va pas au-delà des deux premiers livres10. Enfin, lorsqu’on 1703 la Compagnie décide d’admettre, dans les collèges d’Europe, les langues vernaculaires aux côtés des langues anciennes11, la Ratio discendi et docendi du P. Joseph de Jouvancy, destinée aux jeunes jésuites qui poursuivent leurs études supérieures tout en commençant à enseigner dans les collèges, inclut dans sa bibliographie12 La Rhétorique d’Aristote en François par François Cassandre13, dont la seconde édition revue et corrigée de 1675 s’impose à tous comme un chef-d’œuvre14. C’est donc ordinairement en latin, calquant parfois le grec, et souvent en italien ou en français, que sont citées, circulent et se discutent chez les jésuites les propositions de la Rhétorique d’Aristote ; aussi en userai-je de même, non sans privilégier les ouvrages où l’original grec affleure.
3Fondamentalement néo-latine, puisque tout texte était rédigé en latin ou traduit en latin depuis l’italien, l’espagnol, le portugais ou le français, dès lors qu’il méritait l’audience internationale de la Compagnie15, l’œuvre rhétorique des jésuites a été peu traduite dans les langues modernes ; elle compte une centaine de titres publiés entre 1540 et 1773, aisément accessibles – au latiniste – dans les bibliothèques de la Compagnie16, restaurée en 1814 ; pour les manuscrits, l’essentiel se trouve au Vatican, bien des documents ayant péri lors des expulsions qui s’échelonnent en Europe de 1759 à 1773. Cette œuvre imposante, deux savants l’ont, en France, tirée naguère du dédain ou de l’oubli : Marc Fumaroli17, en ressaisissant, entre 1570 et 1650, l’esprit de la rhétorique humaniste des jésuites, sa philosophie ; et le P. François de Dainville18, en retraçant, du XVIe au XVIIIe siècle, les linéaments de sa pédagogie. C’est donc sur le fond d’un rappel synthétique de leurs conclusions touchant Aristote que j’apporterai quelques éléments nouveaux, me perchant comme un nain sur leurs épaules de géants.
4S’il est permis de parler d’un « âge de l’éloquence » en France, entre la fin des guerres de religion et le début de la première querelle des anciens et des modernes, c’est qu’en cette période assez brève, jésuites et gallicans s’entendent pour développer, les uns au service de l’Église catholique, les autres au service de la monarchie française, une conception cicéronienne de la Rhétorique, alliant l’éloquence à la philosophie pour le plus grand bien de la Cité, de Dieu ou des hommes19. Car un esprit éclairé ne saurait passer sa vie en compagnie de ses pairs, cherchant de bonne foi, dans des discussions d’égal à égal, à progresser avec eux vers la vérité ; si tel était le cas, la Dialectique lui suffirait. Le devoir d’un esprit éclairé est aussi parfois de se risquer seul devant un auditoire ignorant ou rebelle, de se faire orateur, orator, ῥητῶρ, en « mission » dit le XVIIe siècle, sur le front de l’ignorance et de la rébellion ; et c’est pourquoi la Rhétorique, comme discipline « vulgaire »20, lui est un bagage indispensable en plus de l’élitaire Dialectique, à condition toutefois que cette Rhétorique cultive, face à la Dialectique, la spécificité que lui crée ce devoir primordial, éminemment cicéronien, de responsabilité envers le grand public. Et c’est ici que, face aux ramistes21, qui confient à la seule Dialectique la recherche des arguments et leur mise en ordre22, inventio & dispositio, et cantonnent la Rhétorique dans l’art de rédiger et de prononcer un discours élégant et clair23, elocutio & pronuntiatio, jésuites et gallicans vont justifier par l’autorité incontestée du Philosophe leur attachement à l’Orateur ; selon l’heureuse formule de Marc Fumaroli, c’est « faire d’Aristote le bouclier de Cicéron »24.
5Cette option fondamentale va se monnayer en une cascade d’emprunts caractéristiques à la Rhétorique d’Aristote25. À commencer par la définition même de la discipline rhétorique, non comme simple art de bien dire, ars bene dicendi, mais comme art de persuader, ars persuadendi, avec le recours à la notion de pithanon, τὸ πιθανόν « ce qui est propre à persuader »26, fidèlement illustrée depuis Aristote par l’image du médecin qui méthodiquement tente de guérir son malade mais n’y parvient pas toujours. Second emprunt caractéristique, la division de la rhétorique, non pas en deux parties comme chez les ramistes, mais comme chez Aristote27, Cicéron et Quintilien28, en quatre parties au moins : εὕρεσις, euresis, inventio, l’invention ; τάξις, taxis, dispositio, la disposition ; λέξις, lexis, elocutio, l’élocution ; ὑπόϰρισις, hypocrisis, actio, Faction oratoire, cette dernière pouvant ou non se dédoubler, comme chez Cicéron et Quintilien, en memoria, mémoire, et actio, action proprement dite, joignant elle-même au travail de la voix, pronuntiatio, prononciation, la difficile maîtrise de l’attitude et des gestes. Négligeant de citer ces références pédantes, les écrits jésuites à l’usage du monde n’en conservent pas moins dans toute son ampleur cet ambitieux programme :
C’est une chose humainement divine et divinement humaine de sçavoir dignement manier d’esprit et de langue un subject, le concevoir en l’âme avec de belles et judicieuses pensées, ranger ses pensées d’une sage ordonnance, les revestir d’un riche langage, et les porter à l’oreille de l’auditeur avec une mémoire ferme, une voix vivement esclattante, et doucement pénétrante, et d’une pareille séance de tout le corps, se faire efficacement entendre ; planter de nouvelles opinions et nouveaux désirs ès coeurs et en arracher les vieux ; fleschir et plier les volontez raidies ; s’adresser et roidir les tortues et lasches : et victorieusement persuader et dissuader ce qu’on veut29.
6Pour se démarquer de l’invention dialectique, l’invention proprement rhétorique insiste sur deux notions communes à la Rhétorique et à la Poétique d’Aristote qui assurent à ces disciplines leur statut d’arts agissant sur le public par l’imaginaire. La première est le vraisemblable30, τὸ εἰϰός, eïkos, probabile, centrale au théâtre mais requise aussi de l’orateur, dans la mesure où il ne manie pas, sur des prémisses certaines, la déduction et l’induction au sens strict, mais bien, comme l’y autorise expressément Aristote31, sur des prémisses probables, l’enthymème et l’exemple, enthymema et exemplum, ἐνθυμήμα ϰαὶ παράδειγμα. La seconde semble n’être qu’une qualité du style : la convenance32, τὸ πρέπον, prepon, convenientia ; mais elle s’ancre dans la conviction que persuader, c’est persuader quelqu’un : τò πιθανόν τινὶ πιθανόν ἐστι33. Or ce quelqu’un n’est pas un pur esprit : créature d’angoisse, il n’accorde pas sa confiance à n’importe qui, aussi l’orateur devra-t-il faire montre de qualités propres à l’inspirer34 ; créature de désir, il a des passions, bonnes et mauvaises, dont l’orateur doit tenir compte et tirer parti pour le mener à ses fins35 ; ce double ajustement s’appelle au xviie siècle « les mœurs de l’orateur et les passions du public »36, mores et affectus, τὰ ἤθη ϰαὶ τὰ πάθη, et l’on estime souvent que, dans la Rhétorique d’Aristote, « la meilleure partie [...], c’est le traité des passions »37, c’est-à-dire le début du Livre II, où l’examen des sentiments qu’il convient d’inspirer au public (colère et retour au calme, attirance et aversion, crainte et assurance, honte et fierté, gratitude et ingratitude, pitié, indignation, envie, émulation) est suivi de portraits contrastés, de la jeunesse, de la vieillesse et de l’âge mûr, des nobles, des riches et des hommes de pouvoir38. L’orateur enfin rencontre son public dans des circonstances précises, qu’Aristote ordonne en trois genres39, genera, εἴδη, autour des trois grands modes d’exercice de la parole publique propres à la démocratie athénienne : συμϐουλευτιϰόν, deliberativum, le genre délibératif ou politique, διϰανιϰόν, judiciale le genre judiciaire, ἐπιδειχτιϰόν, demonstrativum, le genre épidictique ou démonstratif ou de l’éloge. Par-delà les changements survenus dans les institutions avec la christianisation et la royauté, le parlementaire du xviie siècle, l’avocat, le prédicateur40, pouvaient méditer longuement le système de corrélations ternaires déployé par Aristote : lieux d’exercice (la tribune, le barreau, la chaire), types de public (l’assemblée, le tribunal, la foule), perspectives (l’avenir, le passé, l’intemporel), actions de l’orateur (conseiller et déconseiller, accuser et défendre, louer et blâmer), passions à inspirer (l’espoir et la crainte, la clémence et la sévérité, l’admiration et le mépris), valeurs à discriminer41 (l’utile et le nuisible, le juste et l’injuste, le beau et le laid), arguments à mettre en œuvre (les possibles et le préférable, les faits réels, l’amplification). Or c’est bien ce divers complexe de l’ethos, du pathos et des genres, que le prépon se propose d’harmoniser42.
7Tel est le faisceau de notions, toutes exclues des traités ramistes, qui, à l’usage des orateurs du XVIIe siècle, font d’Aristote le bouclier de Cicéron contre l’angélisme élitaire des logiciens. Or, dans le même esprit de responsabilité, il arrive aussi qu’Aristote soit convoqué pour combattre l’excessive frivolité littéraire qui parfois se fait jour dans les rangs mêmes des jésuites. Dans son Orator christianus de 1612, le P. Reggio espère faire taire les délicats qui déprécient l’éloquence de saint Paul en leur montrant que les Épîtres de l’Apôtre obéissent bien aux règles de la Rhétorique d’Aristote43 ; et le foisonnant théâtre44 où le P. Louis de Cressolles convoquait en 1620 les figures les plus captieuses de la Seconde Sophistique trouve un censeur sévère en la personne du P. Claude Clément qui en donne en 1635 une version drastiquement abrégée45, où ne subsistent de cette sylve que les acerrimi judicii : Aristote, Cicéron, Quintilien, ces « trois chênes de l’Éloquence judicieuse, dont la sève s’alimente aux racines profondes de la Philosophie46 ». Enfin, aux antipodes de cette austérité relative, c’est l’appréciation positive que donne Aristote de l’émulation47, aemulatio, ζῆλος. et dans son portrait des jeunes gens, de leur goût pour la plaisanterie48, jocosiras, εὐτραπελία, qu’invoquent les jésuites pour justifier contre leurs détracteurs la pédagogie d’émulation, de belle humeur et de jeu qui règne dans leurs collèges et fait la part belle aux joutes oratoires, au théâtre, aux fêtes, données plusieurs fois par an devant toute la ville49. Or ce qui se passe en ces occasions s’éloigne parfois de la doxa aristotélicienne50 et n’est sans doute pas de nature à apaiser toutes les craintes suscitées par tant de stimulation ; ainsi dans ce « Dialogue de Conrad et d’Élysée sur le jeu théâtral », Exercice 100 des Progymnasmata latinitatis du P. Pontanus :
ELYSEE – La plupart des étudiants en lettres ont bien besoin de la bienveillance et de la générosité d’autrui ; or, quand ils se sont fait remarquer par la qualité de leur interprétation et qu’ils ont ainsi recueilli la faveur du public, ils trouvent facilement – et sans même à le demander – des personnages riches et nobles qui s’offrent à leur fournir, d’une année à l’autre, de quoi assurer leur entretien. Je pourrais en citer de multiples exemples ; d’ailleurs je fais moi-même partie du nombre, car, pour avoir paru ne pas trop mal jouer le rôle de Salomon enfant, dans une comédie intitulée « Le Couronnement de Salomon », je porte à mon crédit, au titre d’un illustre et opulent bienfaiteur, la somme annuelle de cinquante pièces d’or51.
8Nous voici au seuil de l’univers scolaire des collèges de jésuites, que les travaux du P. de Dainville ont su ressusciter, en retraçant en particulier, dans un article fameux52, « l’évolution de l’enseignement de la rhétorique au dix-septième siècle ». Partant de quelques grands manuels et de plusieurs dizaines de cours manuscrits composés dans leur sillage53, le P. de Dainville y discerne trois grands moments. Dans un premier temps, le programme d’études fixé en 1599 par la Ratio studiorum du P. Acquaviva, est fidèlement mis en œuvre grâce à deux manuels complémentaires, l’un de préceptes, l’autre d’exercices : le De arte rhetorica libri tres ex Aristotele, Cicerone & Quintiliano praecipue deprompti, du P. Cypriano Soarez54, et les Progymnasmata latinitatis du P. Jacob Pontanus, 1594, dont les dialogues ad hoc permettent, tout en exerçant sa mémoire et ses talents d’acteur, d’engranger sans larmes exemples et formules, préceptes et maîtres-mots, comme en témoigne l’exercice 100, déjà cité, dialogue – théâtral – sur le jeu théâtral :
ELYSEE – Si la pièce que l’on donne est écrite en latin élégant, il s’ensuit généralement que les acteurs, en l’apprenant, retiennent presque par cœur tous les rôles (qu’ils entendent d’ailleurs à chaque répétition), font ainsi des progrès certains dans la connaissance du latin et la technique du discours et se constituent une sorte de bagage qui les aide à écrire et à s’exprimer. En outre cet exercice développe à la fois la pénétration et, grâce à la connaissance du τὸ πρέπον – à condition bien sûr d’y prendre garde – le discernement, qualité dont il faut faire preuve quand on dispose les éléments d’une œuvre et qui nous apparaît lorsque nous prêtons attention, pour chaque personnage, à la façon dont son langage est adapté ϰαθ’ὅλου à sa propre nature, à son caractère, à ses mœurs. C’est à cette tâche avant toute autre que s’attelle le poète qui doit « imiter » et reproduire l’universel dans le particulier.55
9Jusqu’au milieu du siècle, les cours manuscrits sont concordants, transmettant avec des vues aristotéliciennes sur l’imitation, des positions cicéroniennes sur l’orateur et sur la rhétorique, déployée selon « les quatre parties traditionnelles dans leur ordre habituel : l’invention, la disposition, l’élocution et la prononciation (voix, geste, mémoire) »56, tandis que le détail des lieux, des tropes et des figures est puisé chez Quintilien. Cependant au fil des années, l’héritage se complique et se diversifie ; sous l’influence du P. Pelletier, apparaît, tiré du livre II de la Rhétorique d’Aristote, un « traité des passions » que le P. Soarez avait négligé57 ; sous l’influence du P. de Cressolles, s’introduit tout un cortège de genres panégyriques cultivés par la seconde sophistique : éloges des personnes, des villes et des régions, célébrations d’anniversaire, de mariage ou de funérailles, remerciements, félicitations pour un succès ou une guérison, vœux au voyageur, adieux et retrouvailles, qui limitent d’autant les grands genres aristotéliciens ; tandis que l’Essay des Merveilles de Nature du P. Binet58 amène à profusion dans les classes, en latin puis en français, les « mots propres du laboureur, du vigneron, du marinier, du veneur », inépuisables réservoirs de métaphores pour les « peintures » où les jésuites sont passés maîtres59.
10Après 1660, les cours manuscrits, diversement sensibles à ces orientations nouvelles, deviennent fort discordants : voilà donc la rhétorique traditionnelle en « crise ». Le P. François Pomey tente une première harmonisation en proposant, pour les exercices, de se rallier directement à la seconde sophistique avec une nouvelle traduction des antiques Progymnasmata d’Aphtonios, complétés par un recueil de préceptes cicéroniens60 ; le P. de Jouvancy va parachever cette évolution en renversant l’ordre d’exposition des préceptes, l’élocution passant devant l’invention et la disposition61, si bien que l’ensemble suit désormais pas à pas la progression du cursus des collèges, d’ailleurs reprécisé dans la Ratio discendi et docendi : dès la classe de troisième, exercices préparatoires ou progymnasmata, inspirés d’Aphtonios, avec fables, narrations, brefs dialogues ou chries, amplifications ; en classe de seconde, pour la composition de vers latins, et pour des traductions de qualité dans les trois langues (latin, grec, vernaculaire), étude de l’élocution ; en classe de première enfin, pour la composition en latin et en français des différents discours (parallèles, harangues, controverses), étude de l’invention et de la disposition. Le Candidatus rhetoricae du P. de Jouvancy qui fixe ces nouvelles dispositions en 1712 sera régulièrement réédité au xviiie siècle62 : comme manuel gradué de style et de composition à l’usage des classes, il est sans doute inégalé ; mais il ne contient plus une seule allusion à la Rhétorique d’Aristote, plus un seul mot de grec, tournant désormais en vase clos dans le petit monde bien rodé des exercices et des épreuves scolaires63.
11Le P. de Dainville lui-même a senti mieux que d’autres64 que cette « puérilisation » de la rhétorique n’a pu se faire sans résistances : il signale la protestation toute cicéronienne du P. Gabriel-François Le Jay65, et insiste sur la rébellion que l’amour de Sénèque inspire au P. Charles Porée66 ; mais il a tôt fait, me semble-t-il, de saluer en lui « l’avènement d’une rhétorique nouvelle », puisque ses cours manuscrits ne seront jamais édités67 alors que, face au Candidatus rhetoricae du P. de Jouvancy, deux autres rhétoriques jésuites paraissent alors et se maintiendront, d’abord jusqu’en 1773 puis au début du xixe siècle : la riche Bibliotheca du P. Le Jay68, qui distingue soigneusement rhétorique et poétique, et le De arte rhetorica libri V du P. Dominique de Colonia69, du collège de la Trinité de Lyon, dont le P. de Dainville ne mentionne pas l’existence ; ni Marc Fumaroli d’ailleurs, puisque cette date tardive est en dehors de son champ d’investigation. Or à mes yeux, cette petite rhétorique jésuite là ancre sa résistance aux réformes de Jouvancy dans une lecture personnelle de la Rhétorique d’Aristote.
12Le manuel du P. de Colonia reflète bien l’évolution du goût qui marque les dernières années du XVIIe siècle, et se conforme néanmoins aux directives pédagogiques de la Ratio discendi et docendi de 1703 ; il s’ouvre en effet sur les progymnasmata d’Aphtonios, la fable, la narration, la chrie, l’amplification, suivis de quelques définitions touchant la Rhétorique, sa nature, ses fins, son domaine, ses parties. Après ces préliminaires viennent les cinq livres annoncés ; les trois premiers traitent de l’élocution (les figures et les tropes, la période, les styles), de l’invention (lieux intrinsèques et extrinsèques) et de la disposition (de l’exorde à la péroraison avec l’examen des arguments dans la confirmation) ; le livre IV, « des différents genres », joint à la tripartition aristotélicienne douze genres panégyriques venus de Ménandros et du pseudo-Denys par l’intermédiaire de Quintilien et du P. de Cressolles, ainsi qu’un traité des passions tiré du livre II de la Rhétorique d’Aristote ; le livre V enfin, après quelques pages de préceptes sur la mémoire, la voix et le geste, offre un véritable trésor de citations latines remarquables-loca exquisitissima – dont de nombreux épigrammes de Juvénal, de Martial et d’Ausone, et même de Palladas en latin, venus pour la plupart de l’Agudeza y arte de ingenio de Baltasar Gracian70. Or ce traité « baroque », qui fourmille d’exemples néo-latins71 et ne recourt au français qu’une fois en près de quatre cents pages72, use du grec plus de quarante fois ; soit pour expliquer des termes empruntés au grec par le latin savant73 ; soit pour citer ses références, Aristote, treize fois nommé, équilibrant à lui seul treize auteurs moins classiques : Gorgias, Isocrate, Hérodote, Eumène, Ménandre, Zénon, Chrysippe, Carnéade, Pyrrhus, Apollodore Pictor, Julius Pollux, Philostrate, et, pour seul Père de l’Église, saint Grégoire de Nazianze, le Thaumaturge74. Dans cet environnement inhabituel – où Démosthène et saint Paul brillent par leur absence – Aristote lui-même est cité tantôt de façon classique, et tantôt de façon plus inattendue. Ainsi, la Poétique d’Aristote est citée trois fois, deux fois dans l’élocution, pour distinguer figures de mots et de pensée, περὶ λέξεως ϰαὶ διάνοιας75, et définir les figures de mots comme des modifications, ἐξαλλαγαὶ τῶν ὀνομάτων76, saluant au passage l’ancienneté de ces notions ; tandis que dans les progymasmata, l’exposé sur la narration plus vraisemblable que vraie ne s’orne pas d’un simple rappel de la notion d’εἰκός mais du fameux paradoxe, intégralement cité : εἰϰός πολλὰ γίνεσθαι παρὰ εἰϰός77, le vraisemblable, c’est que beaucoup de choses se produisent contre le vraisemblable. Quant à la Rhétorique d’Aristote, il arrive qu’elle affleure comme une simple réminiscence78, ou dans un appel général à l’autorité des anciens : post Aristotelem, Tullium & Fabium...79, mais dans huit cas sur dix, la citation est spécifique et souvent explicite : c’est cum Aristotele, avec Aristote-et contrairement à Cicéron et Quintilien – que Colonia divise la rhétorique en quatre parties seulement, rattachant la mémoire à la prononciation80, et si au chapitre des mœurs des différents âges, conditions et peuples, Aristote n’est mentionné que comme l’un des maîtres de l’art81, et le tableau contrasté de la jeunesse et de la vieillesse fourni en latin par l’Ars Poetica d’Horace, pour en expliquer le détail, telle l’expresion spe longus, lent à espérer, c’est le texte même de la Rhétorique d’Aristote – δύσελπις – qui resurgit82. D’autre part il est clair que Colonia adhère personnellement aux positions d’Aristote quand il le félicite d’appeler « sans art », inartificialia seu arte carentia, ἄτεχνοι83, les preuves extrinsèques (lois, rumeurs, archives, jurisprudence, aveux sous la torture, témoignages) qui ne doivent rien à l’art spécifique de l’orateur, l’eikos, et ne brillent que par leur autorité, auctoritate sola nituntur84... autorité d’ailleurs fallacieuse dans le cas de la torture et Colonia se fait ici l’écho des protestations de Grotius. Et il manifeste un goût évident pour l’art de la sophistique lorsqu’il cite parmi les dilemmes, juste avant l’argument du crocodile85, cet enthymème apparent qu’Aristote dans sa Rhétorique appelle « chiasme » car il peut être retourné « croisé » :
Une prêtresse interdisait à son fils de parler devant le peuple : « si, disait-elle, tu soutiens l’injustice, tu provoqueras la colère des dieux ; et celle des hommes, si tu soutiens la justice. » Ce dilemme, l’ingénieux adolescent le retourna contre sa propre mère : « en vérité, il n’est pas difficile de parler devant le peuple ; car si je soutiens la justice, je serai l’ami des dieux ; et celui des hommes, si je soutiens l’injustice »86.
13Cependant le passage de la Rhétorique d’Aristote que Colonia cite avec le plus d’enthousiasme, en grec, en latin et en grandes lettres, c’est la « célèbre définition de la période » : λέγω γὰρ περίοδον λέξιν ἔχουσαν ἀρχὴν δὲ τελευτὴν δὲ μέγεθος εὐσύνοπτον87, periodum esse orationem quae haheat principium & finem, & magnitudinem, quae uno quasi aspectu perlustrari facile possit, une période est un énoncé qui a un commencement et une fin, et une dimension telle que l’on puisse l’embrasser d’un coup d’œil. Le commentaire qu’il en donne, en termes de « suspens du sens », sensus suspensus, et de « nouement », nexus, de ses membres, liés entre eux, inter se connexi, comme les pierres précieuses d’un seul et même bijou88, laisse assez deviner qu’un épigramme et sa pointe, une énigme et sa clef, un dilemme recroisé, une repartie, peuvent illustrer cette période-là non moins que la houle cicéronienne. D’ailleurs, examinant un peu plus loin si la période peut avoir moins de deux membres et plus de quatre, Colonia admet avec réticence la notion de période « simple », simplex, ἀφελής, c’est-à-dire à un seul membre, monocolos, μονόϰωλος, que lui impose la Rhétorique d’Aristote89, mais il préfère penser, avec Démétrios de Phalère et Hermogène de Tarse, que la véritable période, l’oratio perfecta, doit toujours avoir deux, trois ou quatre temps, comme la danse.
14Notons en dernier lieu deux absences remarquables : Colonia ne mentionne donc ni le pithanon ni le prepon ! Or en examinant les endroits où ces mots devraient apparaître, on mesure combien ce silence est calculé. Lors de la définition de la rhétorique, Colonia ne veut pas choisir entre l’ars bene dicendi et l’ars persuadendi et campe donc la figure non pas d’un mais de deux personnages ayant chacun leur office : le rhetor, gardien du bien dire, et l’orator, ouvrier de persuasion90. Quant au prepon, dès qu’il est question de la nécessaire adaptation du discours à la diversité du réel, Colonia lui substitue une notion plus exigeante encore qu’il tire librement de la Rhétorique d’Aristote, où elle est présente mais peu thématisée : τὸ ἕϰαστον, le propre de chacun, qui au fil des pages revient en περὶ ἕκαστον : sur chaque sujet, en ϰαϑ’ ἕϰαστον, selon le caractère de chacun ; Colonia se composerait-il donc, contre une vulgate affadie, un Aristote de rêve, au-delà d’Aristote ?
15À le lire de près, on saisit en tout cas, dans l’étrangeté même de son propos, si loin du nôtre, si peu cicéronien, quel trésor rhétorique singulier peut se mettre à couvert sous ce bouclier qu’est l’autorité d’Aristote.
Notes de bas de page
1 Les jésuites érudits ou scriptores, tels les PP. Fronton du Duc, Sirmond, Petau, de Cressolles, ont consacré leurs travaux aux Pères de l’Église ou à la Seconde Sophistique ; voir M. Fumaroli, L’Âge de l’Éloquence. Rhétorique et « res litteraria » de la Renaissance au seuil de l’époque classique, Genève, Droz, 1980, p. 249 ; 2e éd. Paris, Albin Michel, « Bib. de l’Évolution de l’Humanité », 1994, même pagination.
2 Selon le titre du grand manuel en italien du P. Antoine Possevin, alias Antonio Possevino, Il soldate christiano, con l’instruttione dei capi dello essercito catolico [...] libro necessario a chi desidera sapere i mezzi per acquistar vittoria contra heretici, Turchi et altri infedeli, Roma, her. V & L. Dorici, 1569.
3 Je ne parlerai ici ni des travaux logiques, mathématiques et scientifiques des jésuites, renvoyant sur ce point à Luce Giard édit.. Les Jésuites à la Renaissance. Système éducatif et production du savoir, Paris, P.U.F., « Bib. d’histoire des sciences », 1995, ni des théoriciens jésuites de l’esthétique baroque, renvoyant sur ce point à Mercedes Blanco, Les Rhétoriques de la pointe. Baltasar Gracian et le conceptisme en Europe, Paris, Champion, 1992.
4 Le texte grec de référence reste longtemps celui qu’établit et commente Pier Vettori à Florence en 1548 ; il en paraît vingt-sept traductions aux XVIe et XVIIe siècles, dont dix-sept en latin ; quatre en italien : F. Figliucci 1548, B. Segni 1549, A. Caro 1570, A. Piccolomini 1571 ; quatre en français : J. du Sin 1608, R. & R. Estienne 1624-1630, F. Cassandre 1654, A. Bauduyn de la Neufville 1669 ; une en néerlandais : W. van Schaep 1677 ; et une en anglais « by the translators of the Art of Thinking » 1686. Pour leur recension et leur analyse, voir Pierre Lardet, « Les traductions de la Rhétorique d’Aristote à la Renaissance » dans Traduction et traducteurs au Moyen-Âge, G. Contamine édit., Paris, Ed. du CNRS, IRHT, 1989, p. 15-30, et P. Lardet, « La Rhétorique d’Aristote à la Renaissance. Traductions italiennes et traductions françaises » dans Italia ed Europa nella linguistica del Renascimento, M. Tavoni et al. édits., Modena, F.C. Panini, 1996, vol. 1, p. 523-545.
5 Ratio atque institutio studiorum Societatis Jesu, dans G.M. Pächtler, Monumentae Germaniae paedagogica, vol. 5, Berlin, 1887 ; trad. française H. Ferté, Programme et règlement des études de la Société de Jésus, Paris, Hachette, 1892.
6 Lettre citée par le P.F. de Dainville, La Naissance de l’humanisme moderne (1940), Genève, Slatkine Reprints, 1969, p. 104. Sur Muret et son rôle auprès des jésuites, voir M. Fumaroli, op. cit., p. 162-169.
7 A. Possevin, Bibliotheca Selecta qua agitur de ratione studiorum ad Disciplinas & ad Salutem omnium gentium procurandam (1593), 2e éd., Venise, Silicatium, 1603, 2 t. en 1 vol. in-folio, t. II, p. 582.
8 P. Victorii Commentarii in très libros Aristotelis de arte dicendi, Florence, B. Giunta, 1548.
9 A. Riccoboni, Aristotelis Ars rhetorica, L. I, Padoue, 1577 ; L. I, II & III, Venise, 1579, puis Francfort, 1588 et 1593 ; Hanau, 1588, 1606 et 1630 ; Lyon, 1590 et 1618 ; Vicence, 1594 ; Genève, 1597 et 1606-1607 ; Avignon, 1599 ; Paris, 1619, 1625, 1629, 1630, 1645 et 1648.
10 « Marc-Antoine Muret, professeur à la Sapienza de Rome, traduit et commente le livre II (1577), y ajoute le livre I (l’année de sa mort : 1585) mais avait renoncé pour le livre III, jugeant la tâche impossible. » P. Lardet, « La Rhétorique d’Aristote... », op. cit., p. 19.
11 C’est Rome qui impose cette décision au P. de Jouvancy ; voir sur ce point F. de Dainville, L’Éducation des jésuites (XVIe∼XVIIIe siècles), Paris, Ed. de Minuit, 1978, p. 245-246.
12 J. de Jouvancy, Ratio discendi & docendi, Lyon, Périsse & Barbou, 1725, in fine 3 ; pour les références de l’Aristotelis Rhetorica latine, Jouvancy renvoie à la Bibliotheca de Possevin (ibid. p. 43).
13 F. Cassandre, La Rhétorique d’Aristote en François, Paris, Louis Chamhoudry, 1654 ; 2e éd. Paris, Denis Thierry, 1675 ; puis Amsterdam, 1698, La Haye, 1718 et Amsterdam, 1733.
14 « Jamais il n’y a eu de traduction, ni plus claire, ni plus exacte, ni plus fidèle » affirme la Préface au Traité du sublime, traduit du grec de Longin (1674) ; voir Boileau, Œuvres complètes, Paris, Bib. de la Pléїade, 1966, p. 1071.
15 « Partout où l’on parle la langue de Rome, l’Empire de Rome est debout. Une armée pédagogique, dont le quartier général est à Rome, dont les collèges jésuites des diverses assistances nationales sont les castra, occupe les territoires reconquis par les armes des princes, par la diplomatie des nonces, par l’éloquence des missionnaires, et enracine la culture et la foi romaines à l’intérieur d’un limes qui rêve d’englober l’Europe entière et le monde. » M. Fumaroli, op. cit., p. 179.
16 À Chantilly, la bibliothèque du centre jésuite « Les Fontaines » dispose d’une centaine d’ouvrages en trois fonds disjoints, accessibles manuellement à partir des fichiers C 402 et C 403 Bouhours-Vavasseur (15 titres), C 404 à C 424 Alvarez-Weitenauer (80 titres), C 425 et C 426 Aphtonios-Possevin (5 titres).
17 M. Fumaroli, op. cit., en particulier pour les jésuites, p. 162 à 423.
18 F. de Dainville, L’Éducation..., op. cit., en particulier pour les humanités classiques, p. 167 à 307.
19 Dans le De oratore, L. III, §§ 55-61, Cicéron reproche à certains philosophes grecs (Pythagore, Démocrite, Anaxagore... mais aussi Socrate) de s’être détournés de la vie publique pour pouvoir consacrer tout leur temps à l’étude ; comme si l’étude n’était pas faite pour préparer à la vie publique. Sur cette question centrale, voir A. Michel, Rhétorique et philosophie chez Cicéron, Paris, P.U.F., 1960.
20 Ce souci de Bon Pasteur pour son troupeau, d’évêque-orateur pour le « vulgum pecus » des fidèles anonymes, est aussi au cœur des rhétoriques borroméennes ; voir M. Fumaroli, op. cit., p. 141.
21 Face aussi aux jésuites hyperlogiciens de la première génération, tels le P. Pedro de Fonseca qui, dans ses Institutionum Dialecticarum libri octo de 1574, « semble faire fusionner argumentation dialectique et argumentation rhétorique qu’Aristote distinguait avec soin » ; M. Fumaroli, op. cit., p. 145, n. 206.
22 « Invencion » et « Iugement, aussi appelé Disposition » dit Pierre de La Ramée, alias Ramus, Dialectique (1555), Genève, Slatkine Reprints, 1972, p. 5.
23 « Élocution » et « Prononciation » dit Antoine de Fouquelin de Chauny, La Rhétorique française (1555), dans F. Goyet éd., Traités de poétique et de rhétorique de la Renaissance, Paris, Le Livre de poche classique, 1990, p. 351.
24 M. Fumaroli, op. cit., p. 117, n. 148.
25 Par commodité, je suis l’édition bilingue usuelle en France aujourd’hui : Aristote. Rhétorique, Paris, Les Belles-Lettres, 3 vol., vol. 1 et 2, texte et trad. M. Dufour, 1967, vol. 3, texte et trad. M. Dufour (✟) et A. Wartelle, 1973 ; sans renoncer à la référenciation Bekker, devenue traditionnelle dans la communauté internationale.
26 Aristote, éd. cit., vol. 1, p. 75, 1355615.
27 Aristote, au début du livre III, annonce trois parties, qu’il détaille d’abord en εὕρεσις, τάξις, λέξις, puis aussitôt en εὕρεσις, λέξις, ὑπόϰρισις, éd. cit., vol. 3, p. 38-39, 1403b6-21.
28 On comprendra que je ne détaille pas ici les options retenues par Cicéron et Quintilien.
29 P. Louis Richeome, dans sa réponse, adressée à Henri IV, aux attaques d’Antoine Arnauld contre les jésuites : Plainte apologetique au Roy Tres-Chrestien de France [...] contre le libelle de l’auteur sans nom intitulé le Franc et véritable discours [...] Bordeaux, J. Millanges, 1603, p. 241. Sur le P. Richeome, prédicateur « vedette » à la Cour, et sur ses « peintures spirituelles », voir M. Fumaroli, op. cit., p. 257-263.
30 Aristote, éd. cit., vol. 1, p. 80, 1357a34.
31 Aristote, éd. cit., principe : vol. 1, p. 78, 135665 ; développements : vol. 2, p. 98-135, 1391b7-1403a32.
32 Aristote, éd. cit., vol. 3. p. 54, 1408a10.
33 Aristote, éd. cit., vol. 1, p. 79, 1356626.
34 Aristote, éd. cit., principe : vol. 1, p. 76-77, 1356a5-10 ; développements : vol. 2, p. 59-60, 1377b28-1378a18.
35 Aristote, éd. cit., principe : vol. 1, p. 77, 1356a14 ; développements : vol. 2, p. 60-98, 1378a18-1391b7.
36 « L’ithos et le pathos » dit en 1672 le pédant de Molière, Les Femmes Savantes, acte III, sc. 3, v. 972.
37 C.P. Richelet, Dictionnaire français, article RÉTORIQUE, Genève, Widerhold, 1680 ; 2e éd. Amsterdam, Elzévir, 1706-1709.
38 Le XVIIe siècle ajoute à cette liste les mœurs des peuples ; dans son Palatium Reginae Eloquentiae de 1641, le P. Gérard Pelletier déploie ces portraits sur cent vingt-huit pages in-folio ; voir M. Fumaroli, op. cit., p. 343-349.
39 Aristote, éd. cit., principe et développements : vol. 1, p. 83-143, 1358a36- 1377611.
40 La Bibliotheca du P. Possevin, composée en 1593 mais toujours recommandée aux novices en 1703, est l’instrument d’une rhétorique militante, celle de Judith qui se pare de boucles d’oreilles, de bagues, de talons hauts pour s’insinuer en courtisane sous la tente d’Holopherne... et lui trancher la gorge (A. Possevin, L. I, op. cit., t. I, p. 38) ; or dans le Ciceronianus qui forme sa rhétorique, il accorde une attention particulière au prepon aristotélicien (L. XVIII, ibid., t. II, p. 582) ; ce souci s’éclaire à la lecture des livres intermédiaires (L. IX à XI) qui pour le jeune missionnaire détaillent pays par pays la conduite à tenir : chez les juifs, respect des rites et connaissance parfaite des prophéties d’Isaïe (ibid., t. I, p. 438) ; chez les mahométans, chasteté absolue, honnêteté irréprochable en affaires (ibid., t. I, p. 444) ; en Chine et au Japon, où le supplice ignominieux de la croix fait horreur, insister sur la piété filiale du Christ, son obéissance, qui sont vertus prisées là-bas (ibid., t. I, p. 457) ; Aristote, par le prepon, se fait ici le bouclier des rites chinois.
41 Réfutant au nom du Vatican, dans son Istoria del Concilia di Trente de 1656- 1664, l’histoire jugée hérétique de Paolo Sarpi (Istoria del Concilia tridentino, 1619), le cardinal Sforza Pallavicini, pratique en jésuite une stricte séparation des genres : lorsque Sarpi reproche à la politique pontificale de faire fi de l’honnêteté et de la justice. Pallavicini rétorque en citant « la règle que donne Aristote dans son incomparable traité de la Rhétorique, savoir que, dans le genre démonstratif, l’orateur tire ses arguments de l’honnêteté ; dans le judiciaire il s’appuie sur la justice, mais dans le délibératif, il se règle sur l’utilité. » S. Pallavicini, Histoire du Concile de Trente, trad. Zaccharia, Montrouge, Migne, 1844, 3 vol., vol. 2, p. 731. Aristote, par la séparation des genres, se fait ici le bouclier du Pape et de sa Realpolitik.
42 Τὸ δὲ πρέπον ἕξει ἡ λέξις, ἐὰν ἡ παθητιϰή τε καὶ ἠϑιϰὴ καὶ τοῖς ὑποκειμένοις πράγμασιν ἀνάλογον : « le style aura de la convenance s’il exprime les passions et les caractères, et s’il est proportionné aux affaires traitées », Aristote, éd. cit., vol. 3, p. 54, 1408a10.
43 Voir M. Fumaroli, op. cit., p. 187.
44 P. Louis de Cressolles, Theatrum veterum rhetorum, oratorum, declamatorum quos in Graecia nominabant σοφιστάς, Paris, Cramoisy, 1620.
45 P. Claude Clément, Musei sive bibliothecae tam privatae quam publicae extructio, instructio. cura, vis, libri IV, Lyon, J. Prost, 1635.
46 M. Fumaroli, op. cit., p. 311.
47 ἐπιειϰής ἐστιν ὁ ζῆλος ϰαὶ ἐπιειχῶν : « l’émulation est une passion honnête et de gens honnêtes », Aristote, éd. cit., vol. 2, p. 89, 1388a35.
48 ἡ γὰρ εὐτραπελία πεπαιδευμένη ὕϐρις ἐστίν : « la plaisanterie est, en effet, une démesure tempérée par la bonne éducation », Aristote, éd. cit., vol. 2, p. 92, 1389b11. À saint Paul qui condamne l’eutrapélie (Ephésiens, V, 4), le P. Vavasseur, dans son De ludicra dictione de 1658, oppose l’autorité d’Aristote (Éthique à Nicomaque, IV, 14 et Rhétorique II, 12) ; voir M. Fumaroli, op. cit., p. 333, n. 270.
49 Voir à ce sujet le bel article de Jacqueline Lacotte, « La notion de “jeu” dans la pédagogie des jésuites au XVIIe siècle » avec un choix de textes traduits, Revue des sciences humaines 40, 1975, p. 251-267.
50 Doxa qui veut que les jeunes gens ne soient pas « amis de l’argent » (φιλοχρήματοι) « parce qu’ils n’en ont pas encore éprouvé le besoin » ; Aristote, éd. cit., vol. 2, p. 91, 1389a14.
51 Trad. J. Lacotte, loc. cit., p. 266.
52 P.F. de Dainville, op. cit., p. 185-208 ; première parution : revue XVIIe siècle, 1968, n° 80-81.
53 Ces manuels ne sont guère entre les mains des élèves ; ce sont plutôt des livres du maître, à partir desquels les régents élaborent et les cours de préceptes et les sujets d’exercices qu’ils dictent en classe. Inversement, les cours manuscrits servent parfois de laboratoires pour de futurs manuels ; comme aujourd’hui nos « polycopiés ».
54 Elaboré à Coïmbra vers 1560-1562, le manuel du P. Soarez est publié à l’usage des collèges d’Italie (Brescia, Bozzolam, 1581) et de France (Paris, Brumemius, 1584) avec des tables analytiques qui en facilitent grandement la consultation ; j’aurais aimé présenter en détail ses emprunts à la Rhétorique d’Aristote, mais le déchiffrement sûr du grec tel qu’il s’écrit vers 1580 dépasse mes compétences ; il est possible au demeurant que sous le nom d’Aristote, la Rhétorique à Alexandre soit souvent mise à contribution, tant certains passages mentionnés diffèrent du texte qui m’est familier. À suivre, donc.
55 Cité et traduit par J. Lacotte, loc. cit., p. 267. Ainsi rapproché du καθ’ὅλου en général, le τὸ πρέπον insiste sur l’héritage de la Poétique d’Aristote et sa théorie de la mimesis, l’imitation (1447a-1455a).
56 F. de Dainville, op. cit., p. 191.
57 F. de Dainville, ibid.
58 Étienne Binet, Essay des Merveilles de Nature et des plus nobles artifices, piece très-necessaire à tous ceux qui font profession d’éloquence, par René François, Prédicateur du Roy, Rouen, Romain de Beauvais, 1621, 13 rééditions jusqu’en 1657. Sur le P. Binet, voir M. Fumaroli, op. cit., p. 264-271.
59 Sur la rhétorique « jésuitique » des « peintures » face à la rhétorique « gallicane » des « citations », voir la Conclusion de Marc Fumaroli : « Les deux rhétoriques », op. cit., p. 673-706. Un récent manuel se fait l’écho de cette distinction fumarolienne : J. Gardes-Tamine, La Rhétorique, Paris, A. Colin, 1996, p. 34.
60 F. Pomey, Candidatus Rhetoricae, seu Aphtonii Progymnasmata in meliorem formam usumque redactam, Lyon, Molin 1659 ; Novus candidatus rhetoricae, non Aphtonii solum Progymnasmata sed Tullianae etiam rhetoricae Praecepta représentans, Lyon, Molin, 1672.
61 Ce changement apparaît d’abord dans les cours manuscrits du P. de Jouvancy, s’inscrit dans la version parisienne de sa Ratio discendi et docendi de1692, est ratifié dans la version romaine de 1703, et trouve sa forme définitive dans le Candidatus rhetoricae de 1712 ; voir F. de Dainville, op. cit., p. 195 puis 209-266.
62 Candidatus rhetoricae, olim a Patre Franc. Pomey digestus, in hac editione novissima a P. Josepho Juvancio auctus, emendatus & prepolitus, Paris, J. Barbou, 1712, 1714, 1725, 1738, 1739 ; Blois, P.J. Masson, 1742. La traduction française qui paraît à la fin du XIXe siècle : L’Elève de rhétorique au collège Louis-le-Grand de la Compagnie de Jésus au XVIIIe siècle, par le R.P. de Jouvency, traduction par Henri Ferté, Paris, Hachette, 1892, en fait un document historique, et n’en préconise pas l’usage.
63 « On ne prépare pas le collégien à la vie, on le prépare à la fête de fin d’année », serait-on tenté de dire ; injustement sans doute, le P. de Jouvancy s’étant rendu célèbre par ailleurs pour son Epitome de diis et heroibus poeticis, traduit en Abrégé de la Fable, petit précis de mythologie grecque et romaine tiré des Métamorphoses d’Ovide, véritable « best-seller » de sa parution en 1709 jusque vers 1840 (plus de 90 éditions, souvent joliment illustrées) ; or en ployant la rhétorique aux exigences d’un cursus qui, par les progymnasmata, s’enracine désormais dans la fable, il avait peut-être en vue un dessein d’envergure... le néo-classicisme des Lumières, de la Révolution française, et de l’Empire, lui doit en tout cas beaucoup.
64 Je pense à A. Collinot et F. Mazière, L’exercice de la parole, fragments d’une rhétorique jésuite, Paris, Ed. des Cendres, 1992, qui réunit en un séduisant collage quelques Exercices spirituels tirés de saint Ignace de Loyola, quelques préceptes pour lire un tableau pris chez le Père Ménestrier et quelques extraits des progymnasmata d’Aphtonios traduits par Jouvancy.
65 P. Le Jay, Rhetorica ad tullianam methodum exacta, cours dicté à Louis-le-Grand en 1705-1706 ; F. de Dainville, op. cit., p. 200.
66 Rhetorica, cours dicté à Louis-le-Grand en 1717 ; F. de Dainville, op. cit., p. 200-203.
67 Il est clair que le nom du P. Porée ne serait jamais parvenu jusqu’à nous s’il n’avait eu la bonne fortune d’être à Louis-le-Grand le professeur de Rhétorique du jeune François-Marie Arouet.
68 G.F. Le Jay, Bibliotheca rhetorum praecepta et exempla complectens, quae tam ad oratoriam facultatem quam ad poeticam pertinent, discipulis pariter ac magistris perutilis, opus bipartitum, Paris, G. Dupuis, 1725, 2 vol. Edition augmentée en 3 vol., J.A. Amar, Paris, A. Delalain, 1809-1813.
69 D. de Colonia, De arte rhetorica libri V, Lyon, Molin, 1710, s.d., 1728, 1739, 1741, 1782, 1817. Je suis ici l’édition sans date sur la page de garde, qui en comporte en fait deux discordantes à l’intérieur : 1717 (p. v) et 172i (p. vj) ; le fichier du centre « Les Fontaines » à Chantilly signale (en C. 409) à la date de 1693 une Rhetorica du P. de Colonia en tête d’un recueil de ballets allégoriques ; mais l’ouvrage n’a pu être trouvé en rayon. À suivre, donc.
70 Voir p. ex. Gracian, (1647), trad. B. Pelegrin, Arts et figures de l’esprit, Paris, Le Seuil, 1983, p. 152 et Colonia, op. cit., p. 379.
71 Voir p. ex. le dialogue du français, de l’espagnol et de l’italien, dans l’Allégorie des abeilles, De apibus Allegoria, dédiée au Pape Urbain VIII Barberini dans Colonia, op. cit., p. 108.
72 L’orateur trop volubile doit être... sufflaminandum disait Auguste ; en note, Colonia explique ainsi cette métaphore : « Sufflaminare currum, enrayer, arrêter les roues d’un Carrosse dans une descente » ; op. cit., p. 312.
73 Il s’agit des termes suivants : adunaton, epimythion, promythion, chria, rhetorica, apocolocentosis, climax, colon, comma, ecclesiastes, enthymema, dilemna, stoïcus, sorites, panegyricum, autochtonus, eucharisticus, epinicium et ochlocratia (le pouvoir aux masses, de ὄχλος, la masse, la foule).
74 Sur le goût pour saint Grégoire de Nazianze, qui passe pour le plus « artiste » des Pères grecs, voir M. Fumaroli, op. cit., p. 318.
75 Aristote, Poétique, 19. 56a33, Colonia, op. cit., p. 81.
76 Aristote, Poétique, 22. 58b2, Colonia, op. cit., p. 102.
77 Aristote, Poétique, 18. 56a25, Colonia, op. cit., p. 14.
78 Dans l’inévitable parallèle de la rhétorique et de la médecine, Colonia, op. cit., p. 67.
79 « D’après Aristote, Cicéron et Quintilien, il faut alterner périodes et incises », Colonia, op. cit., p. 141.
80 Colonia, op. cit., p. 68.
81 ab artis magistris, & in primis ab Aristotele, Colonia, op. cit., p. 292.
82 Colonia, op. cit., p. 292, n.a.
83 …τῶν δὲ πίστεων αἱ μὲν ἂτεχνοί εἰσιν Aristote, Rhétorique, 1355b35, Colonia, op. cit., p. 184.
84 Colonia, ibid. ; la note sur Grotius figure p. 187, n.c.
85 Sur les bords du Nil, un crocodile enlève un bébé ; à la maman suppliante, le crocodile propose un marché : « tu devines ce que j’ai l’intention de faire, et si tu devines juste, je fais ce que tu dis » ; et bien sûr il pense : « je vais le manger ». La maman est forcément perdante. En effet, si elle dit : « tu me le rends », elle n’a pas deviné juste, donc il agit selon son intention à lui, et mange le bébé ; et si elle dit : « tu le manges », elle a deviné juste, donc il fait ce qu’elle a dit elle, et derechef mange le bébé. Je traduis librement l’exposé de Colonia, op. cit., p. 238.
86 D’après Aristote, Rhétorique, 1399a22-29 ; je suis la traduction latine de Colonia, qui transforme la règle abstraite d’Aristote en réponse du fils à sa mère, op. cit., p. 237.
87 Je cite la leçon de Colonia, op. cit., p. 128, un peu différente de notre édition de référence, vol. 3, p. 59, 1409a36 ; les autres citations présentaient des formes identiques.
88 Cette forme brève qu’il appelle « période » est donc pour Colonia le point fascinant où se nouent l’efficacité rhétorique et l’éblouissement poétique ; Jouvancy sans doute, place dans cette conjonction dans l’espace plus diffus du mythe ; pour chaque grand auteur d’une rhétorique qui frappe ses contemporains, la question mériterait d’être posée.
89 Aristote, 1409a16 ; Colonia, op. cit., p. 132.
90 Colonia, op. cit., p. 66.
Auteur
Université de Provence ; Laboratoire d’Histoire des Théories Linguistiques (URA 381 CNRS / Université Paris VII)
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Thémistius
Paraphrase de la Métaphysique d’Aristote (livre lambda)
Thémistius Rémi Brague (trad.)
1999
« L’art de bien lire »
Nietzsche et la philologie
Jean-François Balaudé et Patrick Wotling (dir.)
2012
L’Idée platonicienne dans la philosophie contemporaine
Jalons
Sylvain Delcomminette et Antonio Mazzu (dir.)
2012
La fêlure du plaisir, vol. 2
Études sur le Philèbe de Platon II. Contextes
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1999
La connaissance de soi
Études sur le traité 49 de Plotin
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2002
L’Euthyphron de Platon
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Platon Jean-Yves Chateau (éd.) Jean-Yves Chateau (trad.)
2005