L’entrée de la Rhétorique d’Aristote dans le monde latin entre 1240 et 1270
p. 65-86
Texte intégral
1Dans son Opus maius, rédigé vers 1267, Roger Bacon déplore que le monde latin ne dispose pas des « deux meilleurs livres de la logique » – il désigne ainsi, d’une manière qui semble rompre avec les idées de son temps, la Poétique et la Rhétorique d’Aristote ; l’un de ces ouvrages (la Rhétorique) cependant est « arrivé chez les Latins » mais dans une mauvaise traduction, « fautive et râpeuse », ce qui fait qu’on ne l’utilise pas1. De même, dans sa Moralis philosophia, il regrette que, chez les Latins, l’argument rhétorique ne soit pas encore en usage auprès du commun des « artistes », « puisque les livres d’Aristote et de ses commentateurs [n’]ont été traduits [que] récemment »2 ; Roger Bacon se réfère ici à la traduction d’Hermann l’Allemand, faite sur l’arabe et achevée en 12563. Avant cette date, la Rhétorique d’Aristote est inconnue du monde latin. Nous voudrions étudier ici les conditions de son entrée en Occident chrétien et les premières utilisations qui en sont faites.
UN TERRAIN PRÉPARÉ
2Il est à la fois dans l’ordre des choses et suprenant que le texte d’Aristote ait pénétré relativement tard dans le monde latin. D’une part, une forte tradition de rhétorique cicéronienne règne, y compris pendant le xiiie siècle4 ; mais, d’autre part, se juxtaposant à cette tradition, se développe une réflexion sur les modes de la rhétorique et sur ses liens avec la dialectique, qui rend en quelque sorte évidente la nécessité de traduire le texte aristotélicien5. Mais, si c’est donc sur un terrain préparé qu’arrive la traduction de Hermann, elle ne s’impose pas aussitôt, comme le faisait remarquer Roger Bacon. Essayons de résoudre ces contradictions successives en examinant les lieux principaux de la réflexion à laquelle nous faisions allusion.
1. Les classifications du savoir
3Les classifications des sciences constituent d’une manière privilégiée l’un de ces lieux. Une vue sommaire des choses pourrait opposer la situation antérieure au xiie siècle (la rhétorique est l’une des artes du trivium) à celle qui a suivi les traductions de textes arabes (la rhétorique appartient alors à l’Organon). Cette vue sommaire ne rendrait pas compte d’une réalité beaucoup plus complexe, que je vais tenter de débrouiller.
4Que la rhétorique soit, avec la grammaire et la dialectique, l’une des composantes du trivium, les auteurs le répètent à l’envi, non seulement au xiie siècle mais aussi au xiiie. Cette affirmation ne pose pas de problème dans les œuvres qui conservent passivement en quelque sorte la division quadrivium/trivium léguée par le haut Moyen Âge. C’est le cas par exemple de l’Anticlaudianus d’Alain de Lille6 ou, dans une certaine mesure, des Accessus philosophorum septem artium liberalium publiés par Claude Lafleur et datés par lui des années 1230- 12407.
5Mais on sait que la réflexion sur les divisions du savoir se développe au xiie siècle et qu’elle utilise les schémas issus de la philosophie de l’antiquité finissante, essentiellement la bipartition aristotélicienne spéculative/pratique, la tripartition dite aristotélicienne des sciences spéculatives (physique, mathématique, théologie) et le schéma stoïcien, qualifié parfois de platonicien par les auteurs du Moyen Âge (physique, morale, logique)8. Or ces schémas ne coïncident pas avec la distribution trivium/quadrivium. Plusieurs solutions sont adoptées. Pour la première, le trivium est considéré comme situé en dehors de la philosophie et constituant une introduction à celle-ci, ayant d’une certaine manière un rôle propédeutique. Cette solution est celle des divisions qui posent d’emblée une bipartition eloquentia/sapientia, qui se situe au-dessus des schémas mentionnés, l’eloquentia, détaillée dans le trivium, étant ainsi exclue de la véritable philosophie. C’est le cas généralement des œuvres dont la base est constituée par le schéma aristotélicien, dont les deux parties ne font pas de place à l’eloquentia : on peut citer ici les classifications des chartrains, Guillaume de Conches notamment9. L’autre solution est celle des classifications fondées sur le schéma stoïcien dont la troisième partie, je le rappelle, est la logique : le trivium est plaqué sur cette partie, mais l’équivalence ainsi posée entre logique et artes du trivium induit par elle-même certains auteurs à s’interroger. Alors, ou bien on a une explication qui fait appel à une unité globalisante (les artes du trivium sont considérées comme des arts du langage, artes sermocinales, sermo renvoyant aux deux valeurs du grec logos, « rationalité » et « discours »)10 ; ou bien l’équivalence est poussée à son comble, comme dans la Divisio de Bamberg, qui affirme « Eloquentia ipsa eadem est que dicitur loyca »11.
6Cependant, dès le xiie siècle apparaissent des systèmes de classification du savoir qui font éclater le cadre trivium/quadrivium. L’un des plus remarquables, et pour nous des plus significatifs, est celui que met en œuvre Hugues de Saint-Victor dans son Didascalicon12. La base en est le binôme aristotélicien theoretica/practica (transmis au Moyen Âge surtout par Cassiodore) auquel Hugues ajoute les arts mécaniques13 et la logique considérée comme partie intégrante du savoir ; d’où un schéma quadripartite, dont le dernier volet est la logica14 ; la division binaire en grammatica et dissertiva nous laisse entrevoir la définition banale logique = scientie sermocinales, mais les subdivisions de la dissertiva nous mènent sur une piste différente, remarquable dans notre perspective : la dissertiva est divisée en demonstrativa, probabilis et sophistica (et l’on reconnaît ici trois degrés de la logique aristotélicienne)15 ; la probabilis est elle-même divisée en dialectica et rhetorica. Retenons ce schéma, que reprend Richard de Saint-Victor dans son Liber exceptionum 16.
7Mais le XIIe siècle voit une mutation dans les savoirs d’Occident, avec la découverte de la science arabe. Le problème des classifications avait vivement intéressé les Arabes, soit dans des opuscules spécifiques, soit dans les introductions d’œuvres de plus grandes dimensions17. Ignorant le schéma trivium/quadrivium les Arabes héritaient des classifications des Alexandrins, particulièrement, pour ce qui nous intéresse, d’un Organon élargi, incluant Rhétorique et Poétique. Parmi les classifications traduites en latin figure d’abord le De scientiis d’al-Fârâbî, traduit par Gérard de Crémone18. Cinq chapitres le composent : de scientia lingue, de scientia dialetice, de scientiis doctrinalibus, de scientia naturali, de scientia civili. Ce n’est pas dans le chapitre sur la scientia lingue que l’on trouve la rhétorique, mais dans celui sur la dialectique. Si al-Fârâbî donne d’emblée une division de la dialectique en huit parties, il considère aussi une division en cinq types d’arguments :
Partes autem dialetice sunt octo ; et illud est quoniam species silogismi et species sermonum quibus queritur verificatio sententie aut quesiti in summo et species artium quarum operationes post ipsarum perfectionem sunt uti silogismis in locutionibus in summo sunt quinque : demonstrativa et topica et sofistica et retorica et poetica19.
8On observera que la rhétorique telle qu’elle est définie dans la tradition cicéronienne apparaît dans le cinquième chapitre du même ouvrage, De scientia civili et scientia legis et scientia elocutionis. Sous le nom d’ars elocutionis, la voici donc cette fois associée à la morale (ce que désigne plus globalement le terme scientia civilis et non la seule politique) et au droit20. Dans l’opuscule d’attribution douteuse De ortu scientiarum, qui procure un schéma incomplet, la rhétorique n’apparaît pas. Un chapitre examine les sciences liées au langage et énumère : la scientia de lingua, la scientia grammaticae, la scientia logicae et la scientia poeticae, à quoi s’ajoute la scientia arithmeticae. La poétique est comprise comme art de versifier, tandis que la logique est définie « scientia ordinandi propositiones enuntiativas secundum figuras logicas ad eliciendas conclusiones, quibus pervenitur ad cognitionem incognitorum et ad iudicandum de illis an sint vera vel falsa »21.
9Avicenne s’est également préoccupé de division du savoir ; si son opuscule sur la division des sciences n’a été traduit qu’au xvie siècle (Tractatus Avicenne de divisionibus scientiarum)22, au xiiie on dispose d’une grande partie du Shifa, dont la logique comporte diverses considérations sur les classifications des sciences23. La logique, considérée comme un instrument au service de la science, est divisée en huit ou neuf parties, qui sont l’Organon avec la rhétorique et la poétique24. On notera ici que des passages de la rhétorique du Shifa ont été utilisés par Hermann pour compléter sa traduction arabo-latine de l’ouvrage d’Aristote25.
10En dehors des traductions, les classifications arabes atteignent le monde latin par des œuvres intermédiaires, intégrant aux savoirs traditionnels de l’Occident des éléments issus de la science arabe. La plus remarquable est sans doute le De divisione philosophie de Dominique Gundisalvi. La juxtaposition des données issues de deux traditions différentes entraîne quelques incohérences, voire quelques contradictions. La rhétorique fait l’objet d’un chapitre spécifique26, tissé d’emprunts à des auteurs latins parmi lesquels, en dehors de Cicéron, Quintilien et Isidore, nous remarquons Boèce27. Mais le chapitre sur la logique donne la division de la logique suivant le plan de l’Organon28.
11Dans son adaptation du De scientiis d’al-Fārābī29, Dominique Gundisalvi reprend les cinq chapitres de l’ouvrage arabe, et dans le chapitre 2, De scientia logica, la même division de la logique en huit parties, qui sont ici détaillées (Cathegorie, Perihermenias, Analytica Priora, Analytica Posteriora, Topica, Sophistica, Rhetorica, Poetica)30 et la même prise en considération de cinq modes de la logique ; voici ce qui concerne la rhétorique :
Proprium autem est Rhetorice cum sermonibus suis persuasibilibus movere animum auditoris et inclinare ad illud ad quod voluerit, ut credatur ei quod dicit et generet in eo cognitionem proximam certitudini31.
12Dans le monde latin, au xiiie siècle, les systèmes de classification des sciences reprennent les schémas que nous avons décrits. La plupart du temps, sous des apparences de fidélité passive, ils les font éclater. Robert Grosseteste fournit un exemple particulièrement intéressant : son De artibus liberalibus prétend se conformer au cycle traditionnel des arts libéraux mais il ne s’y tient pas. Pour ce qui est de la rhétorique, elle est l’objet de deux séries de remarques. L’une, à propos des artes du trivium, permet à son auteur de proposer une définition de la rhétorique fondée sur le pathos mais sans que soient ignorés les liens avec l’argumentation dialectique :
Rhetorica, licet eius officium sit ex dialecticis et propriis locis argumenta probationis elicere, quod maxime intendit est affectum movere32.
13L’autre expose rapidement une idée dont les germes se trouvaient dans les textes arabes qui ont été évoqués et que l’on rencontrera par la suite, notamment chez Roger Bacon : la rhétorique est la ministra moralis scientie ; l’ornement rhétorique vient aider la science morale à être enseignée et connue33.
14Plusieurs des introductions à la philosophie éditées par Claude Lafleur sont bien décevantes eu égard à notre problème. Ainsi, après avoir distingué le rhéteur (artis precepta tradit) de l’orateur (negotia prosequitur utendo preceptis artis), les Accessus philosophorum constatent « Non habemus nisi rethoricam oratoris » et proposent une division fondée sur l’Ad Herennium34. C’est ce même texte qui fournit à la Philosophica disciplina ce qui concerne la rhétorique35. En revanche, à côté de quelques banalités empruntées au traité pseudo-cicéronien et à des divisions du xiie siècle, la Divisio scientiarum d’Arnoul de Provence procure une réflexion sur le sernto, où l’on retrouve certes des éléments qui proviennent de données plus anciennes sur le trivium mais aussi une tentative de systématisation qui nous rapproche des auteurs de la génération autour de 1260 :
Sermo ordinatur | |
ad significandum tantum | gramatica |
ad movendum | |
– virtutes apprehensivas (ratio, intellectus) | logica |
– virtutes motivas (ira, concupiscentia) | rhetorica |
15L’attribution (erronée) de ce schéma à Ysaac nous met en tout cas sur la voie de la science arabe36.
16Une autre importante introduction à la philosophie des environs de 1250 procure des éléments intéressants : il s’agit de l’introduction Ut ait Tullius37 elle procure une classification de la philosophie par binômes :
mechanica/liberalis
practica/theorica
in rebus/in signis.
17Ce dernier binôme scientia de signis/scientia de rebus, issu de saint Augustin par l’intermédiaire notamment de Pierre Lombard mais que l’auteur attribue à al-Fârâbî38, lui permet de récupérer le trivium ; mais les critères de classement des trois artes nous font dépasser ce cadre traditionnel. Deux séries de critères sont posées ; l’une des deux séries, définissant les propriétés des artes, est conventionnelle (grammaire : distinguer correct/incorrect ; logique : distinguer vrai/faux ; rhétorique : distinguer ornement/absence d’ornement) ; la seconde série, qui établit la fin de ces sciences nous paraît témoigner d’un progrès :
signifier (signare) seulement : la grammaire
signifier et susciter
a) l’émotion : la rhétorique
b) le jugement : la logique39.
18Se trouve donc mise en branle une réflexion qui s’efforce de trouver des critères permettant à la fois de distinguer les scientie sermocinales et de les conserver dans une même unité. Cette réflexion, que nous allons voir s’exercer maintenant ailleurs que dans les œuvres de classification des sciences, nous paraît être l’un des éléments caractéristiques de la pensée occidentale vers 1240-1250, qui a renouvelé la perception de la rhétorique et a fait ressentir le besoin de disposer d’une œuvre autoritative pour ce qui devenait une science au sens plein du terme (cette œuvre étant la Rhétorique d’Aristote)40.
2. La réflexion sur les moyens de la rhétorique
19La recherche de traits à la fois communs et différentiels entraîne une réflexion sur les moyens propres de la rhétorique. Elle se nourrit surtout des ouvrages de logique arabe et du livre IV du De differentiis topicis de Boèce et s’exprime principalement dans des commentaires ou cours de logique. Nous ne pourrons qu’évoquer chacun de ces aspects.
20Il convient tout d’abord de constater que le thème des rapports entre dialectique et rhétorique n’est pas nouveau : sans qu’il constitue véritablement un topos dans le haut Moyen Âge, il s’y trouve exposé plusieurs fois41. Ce thème figure bien évidemment au livre IV de l’ouvrage de Boèce, qui a été analysé par Michael Leff et dont Niels J. Green-Pedersen a montré la fortune durant tout le Moyen Âge42. De fait, bien que posant ensemble dialectique et rhétorique dans le cadre d’une étude globale des « lieux », Boèce insiste plus sur leurs différences que sur les traits qui leur sont communs ; la conception qui en ressort de la rhétorique est essentiellement cicéronienne, même si Boèce enrichit son exposé d’éléments remontant en fin de compte à Aristote. Cependant, deux remarques devaient avoir un rôle que l’on pourrait qualifier de « séminal » : au début du livre, l’opposition entre utilisation de syllogismes (dialectique) et d’enthymèmes (rhétorique)43 ; à la fin du livre, l’opposition entre lieux dialectiques et lieux rhétoriques :
Dialectica enim ex ipsis qualitatibus, rhetorica ex qualitate suscipientibus rebus argumenta vestigat. Ut dialecticus ex genere, id est ex ipsa generis natura, rhetor ex ea re quae genus est ; dialecticus ex similitudine, rhetor ex simili, id est ex ea re quae similitudinem cepit44.
21De la sorte, l’Occident latin dispose d’un outillage conceptuel qui lui permet d’accueillir la problématique issue de la logique arabe et d’intégrer certaines de ses solutions.
22En effet, en dehors des opuscules concernant la classification des sciences, plusieurs œuvres traduites de l’arabe, utilisées dans les années 1240-1250, orientent la pensée occidentale vers des voies nouvelles ou du moins une réflexion plus approfondie45 : il s’agit principalement d’ouvrages d’al-Fārābī46, Avicenne (la logique du Shifa)47 et al-Ghazâlî (la logique du Maqasid al-falasifa)48. Donnons pour seul exemple le chapitre De acceptione propositionum in facultatibus de cette dernière œuvre, qui comporte une analyse des cinq types d’argumentation : 1. argumentatio demonstrativa, 2. dialectica, 3. sophistica, 4. rethorica et legalis, 5. poetica. Sur l’argumentatio rhetorica, voici l’analyse d’al-Ghazâlî :
Maximae vero in apparentia et putabiles et receptibiles aptae sunt fieri propositiones argumentationis rhetoricae et legalis et omnis argumentationis quae non intendit certificare sed persuadere. Utilitas autem rhetoricae manifesta est, flectere scilicet animos ad inquirendum veritatem et ad fugiendum falsitatem49.
23Pour nous rendre compte des progrès de la réflexion dans le monde latin, nous prendrons pour test l’œuvre logique d’Albert le Grand, qui date, semble-t-il, des années 1250-1255. Albert ne connaît pas la Rhétorique d’Aristote mais l’utilisation massive d’ouvrages traduits de l’arabe lui fait intégrer la rhétorique dans le champ de la logique. Dans le Liber de Praedicabilibus, le chapitre 4 du traité I pose la question « De quo sit logica ut de subiecto ? »50. Certains répondent que la logique est tout entière axée autour du syllogisme et de ses parties ; mais puisque, selon Aristote, « logica d[a]t omni scientiae modum disserendi et inveniendi et diiudicandi quod quaesitum est », il faut trouver un champ plus large, qui inclue notamment la rhétorique. D’autres auteurs font du terme « logique » un équivalent de sermocinalis et disent que la logique se subdivise en grammaire, poétique, rhétorique et dialectique, l’objet commun de cette « logique générale » étant le discours ou la parole (sermo), « en tant qu’il renvoie à des choses qu’il signifie par lui-même » ; Avicenne combat cette opinion51 : le langage ne signifie rien par lui-même mais reçoit par convention sa signification ; or cela implique non seulement l’existence de concepts dans l’intellect de celui qui a institué le sens des mots mais aussi une réflexion (ratiocinatio) sur ces concepts de la part de celui qui les utilise. De la sorte, l’argumentation est le véritable sujet de la logique, et Albert se rallie à cette thèse :
Cum logici intentio sit docere ea per quae per se venitur in notitiam ignoti per quod notum est, logicae subiectum est argumentatio ; quia per argumentationem efficitur id quod intenditur.
24L’instrument de la logique n’est donc ni le senno incomplexus, ni même le senno complexus enuntiativus mais le sermo complexus en tant qu’il prend la forme d’arguments. Et, nous dit Albert, c’est bien là l’opinion des trois Philosophes, Avicenne, al-Fârâbî et Algazel52. Quant à la thèse qui voyait dans le sermo en général l’objet commun de la logique, Albert observe que grammaire, poétique, rhétorique et dialectique en usent toutes, mais selon des modes différents :
Rhetorica sermone utitur prout est designativus eius per quod persuadera intendit. Solus autem logicus sermone utitur prout est pars instrumenti per quod solum fides fit de incognito, cum notifia ipsius ex noto arguitur per complexionem argumenti.
25Dans son ouvrage sur les Seconds Analytiques (chapitre 2 du traité I), Albert examine la place de cette partie de la logique et en vient à discuter plus généralement de l’ordre de ses parties, en mettant de nouveau à contribution les trois mêmes philosophes arabes53. Cette classification s’inspire du texte d’al-Ghazâlî que nous avons cité plus haut ; elle se fonde d’abord sur une analyse de cinq types de raisonnements : 1. demonstratio, 2. syllogismus vel ratio dialectica, 3. argumentatio rhetorica (définie comme « propositio opinabilis opinione plurium non sapientum »), 4. [ordo] sophisticus ; 5. propositio quae scitur esse falsa (appelée tentativa). D’autre part, Albert donne une typologie des propositiones (« prémisses » ou « positions de départ énoncées au début d’une argumentation »), comportant treize espèces ; en onzième position nous avons les « présomptions rhétoriques » :
Putabiles autem [propositiones] sunt, quae faciunt putare aliquid, quamvis sit non ita, quia potest esse oppositum : putatio enim est indeterminatus motus rationis super utramque partem contradictionis ad neutram partem, per rationem probabilem adiutus, sicut cum dicitur “qui nocte vadit, malefactor est” ; et iste faciunt praesumptiones rhetoricas.
26En douzième position, figurent les propositiones poeticae54. De nouveau, Albert utilise la notion de « logique générale », qui lui permet d’inclure ainsi rhétorique et poétique55. Est, bien sûr, sous-jacent le classement des parties de la logique suivant le contenu de l’Organon, tel que l’ont exposé les auteurs arabes. La réflexion d’Albert (et déjà celles des Arabes qu’il utilise) va au-delà de ces questions de classification : l’analyse des moyens de la rhétorique, étudiée selon les mêmes critères que les autres parties de la logique, permet de poser une « rhétorique nouvelle ». Parmi les autres textes qui ont alimenté cette réflexion, on citera l’ouvrage d’Albert sur les Premiers Analytiques56 et celui sur les Topiques57, qui contiennent une étude de l’enthymème. L’aboutissement de ces réflexions se trouvera dans l’œuvre logique de Thomas d’Aquin58.
3. Le De ortu scientiarum de Robert Kilwardby
27Une œuvre du milieu du xiiie siècle nous semble réunir les acquis des classifications des sciences et des réflexions sur les parties de la logique, bien qu’elle n’utilise que très peu les auteurs arabes : je veux parler du De ortu scientiarum de Robert Kilwardby, qui marque en quelque sorte le point extrême de mûrissement de la pensée occidentale avant la réception de la Rhétorique d’Aristote. La rhétorique est classée dans la scientia sermocinalis, avec la grammaire et la logique ; mais sous ces dehors relativement conventionnels paraît une pensée nouvelle. Comme pour la plupart des autres sciences, trois chapitres sont consacrés à la rhétorique :
De ortu rhetoricae, subiecto, fine et definitione ;
Verificatio iam dictorum circa subiectum rhetoricae ;
De comparatione rhetoricae et logicae ad invicem secundum convenientiam et differentiam59.
28D’emblée, le chapitre 59 établit un lien entre rhétorique et éthique ; la définition résume les données de ce chapitre : « Rhetorica est sermocinalis scientia ratiocinativa circa quaestionem civilem terminandam » ; on y remarque l’utilisation du livre IV du De differentiis topicis et du De divisione philosophie de Dominique Gundisalvi. Le chapitre 60 contient en germe le contenu des commentaires postérieurs de la Rhétorique ; il pose cinq questions sur la nature de la rhétorique :
quomodo ratiocinatio rhetorica po<test> esse subiectum ;
quid est quod oratio rhetorica subiectum ponitur ?
quomodo dicitur oratio rhetorica ratiocinatio ?
quid ad ratiocinationem pertinet reprehensio ?
conclusio non videtur pars ratiocinationis proprie cum sit terminus eius.
29Comme on le voit, Robert Kilwardby examine les matériaux anciens à la lumière de l’évolution contemporaine. Ce chapitre 60 nous paraît plus novateur que le suivant, qui repose essentiellement sur une utilisation de Boèce. On en retiendra surtout une distinction entre rhetorica theorica et practica, une réflexion sur l’usage du raisonnement dans la rhétorique. Ainsi, le matériau conceptuel mis en œuvre dans le De ortu scientiarum indique qu’en dehors de la pensée arabe (dont Albert le Grand nous a donné un exemple d’utilisation), une autre voie mène vers 1250 à un changement dans la manière d’envisager la rhétorique ; puisant encore à des sources essentiellement latines, développant les recherches engagées dans les introductions à la philosophie et les classifications des sciences, l’ouvrage de Kilwardby indique également, à sa manière, que le terrain est prêt à recevoir la Rhétorique aristotélicienne.
LES TRADUCTIONS
30Trois traductions paraissent, en un laps de temps assez restreint – si du moins on situe la Vetus translatio (effectuée sur le grec) entre la traduction arabo-latine de Hermann (achevée en 1256) et la version de Guillaume de Moerbeke (sans doute un peu avant 1270). Je ne veux pas me livrer ici à une étude d’ensemble de ces traductions mais, à partir de trois passages-test, je me propose de montrer comment les options des traducteurs, d’une part, portent la marque des préoccupations contemporaines et, d’autre part, ont pu infléchir le cours des réflexions sur la rhétorique dans des directions nouvelles.
31Quelques mots rapides d’abord sur ces traductions. Celle d’Hermann l’Allemand est faite sur l’arabe. William F. Boggess a démontré qu’il s’agissait bien d’une traduction de la Rhétorique et non. comme on le croyait, du commentaire moyen d’Averroès60. Cependant, dans sa préface comme dans le corps du texte, Hermann souligne les difficultés de la tâche et note qu’il a dû parfois recourir à Avicenne et à Averroès pour combler des lacunes ; ces additions sont clairement délimitées. Deux manuscrits ont conservé le texte complet de cette traduction61, un troisième quelques fragments seulement62 ; j’utiliserai ici le manuscrit parisien. La Translatio vetus effectuée sur le grec est anonyme et aucun indice interne ne permet de la situer précisément dans le temps ; il semble qu’il faille la dater du milieu du XIIIe siècle, d’après les quatre manuscrits qui en conservent le texte complet ou des fragments63 ; cette traduction se distingue par son littéralisme et par la présence de nombreux mots grecs transcrits mais non traduits (parfois expliqués par des gloses)64. La traduction de Guillaume de Moerbeke, faite également sur le grec, est la plus répandue ; selon son éditeur, elle serait peu antérieure à 126965. Les deux traductions gréco-latines ont été publiées dans l’Aristoteles Latinus par Bernd Schneider et nous utilisons ici son édition66. Ces trois traductions seront désignées respectivement par les sigles H, V et G67.
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33H : Rethorica quidem conuertitur arti topice et utreque sunt unius rei genera et communicant in aliquo modorum et inuenitur utracumque noticia omnibus. Cum neutra ipsarum sit aliqua scientiarum separatim siue singulariter. Et hinc est quod omnes scientie inueniuntur communicare eis in modo (ms. cité, fol. 65vb).
34V : Rethorica est convertibilis dialetice ; utreque enim de quibusdam huiusmodi sunt que communia quodam modo omnium est cognoscere et nullius scientie determinate ; ideoque et omnes secundum aliquem modum participant utramque (éd. Schneider, p. 5).
35G : Rethorica assecutiva dialetice est ; ambe enim de talibus quibusdam sunt que communiter quodammodo omnium est cognoscere et nullius scientie determinate ; propter quod et omnes modo quodam participant ambabus (éd. Schneider, p. 159).
36Ce premier passage est célèbre ; il s’agit du commencement même de la Rhétorique ; il pose d’emblée le problème des rapports entre rhétorique et dialectique ; l’option prise pour traduire ἡ ῥητοριϰή ἐστιν ἀντίστροφος τῇ διαλεϰτιϰῇ est évidemment très significative68. Le terme ἀντίστροφος connote une idée de « contrepartie » ou de « correspondance », comme le disent les principaux dictionnaires69. Les textes généralement cités à ce propos sont un passage du De Generatione Animalium d’Aristote70 et un autre du Gorgias de Platon71. Le convertitur de H, de même que est convertibilis de V, reste neutre, voire n’a pas grand sens ; l’un et l’autre semblent calqués sur l’étymologie du terme grec72. En revanche, la traduction par assecutiva de G porte une trace de la réflexion sur les rapports entre rhétorique et dialectique. Les commentaires de l’ouvrage d’Aristote débuteront donc par ce sujet et la phrase, dans sa traduction par Guillaume de Moerbeke, servira de preuve quant aux liens entre les deux disciplines73. On note qu’alors que V et G reprennent le terme « dialectique », H parle d’ars topica (ou topice) ; pourtant, l’arabe avait un calque du terme grec, dialektikiya74. Pour la suite, V est peu clair (« que communia quodam modo omnium est cognoscere »), tandis que G rend bien le grec75 ; H présente un thème absent du grec (« utreque sunt unius rei genera et communicant in aliquo modorum ») ; mais la première partie de cette phrase ne s’explique pas davantage par l’arabe, à moins qu’Hermann n’ait commis un contresens (l’arabe dit : « les deux existent en vue de [ou à cause de] une seule chose » ; pour la seconde partie, H est proche de l’arabe : « elles sont associées d’une certaine façon ») ; le dernier membre de la phrase, ϰαὶ οὐδεμιᾶς ἐπιστήμης ἀφωρισμένης, traduit en arabe « aucune des deux n’est une science isolée parmi les sciences », est légèrement paraphrasé en H : « Cum neutra ipsarum sit aliqua scientiarum separatim siue singulariter ». La fin du passage étudié présente une difficulté : Διὸ ϰαὶ πάντες τρόπον τινὰ μετέχουσιν ἀμφοῖν, que Dufour traduit « Aussi tous [les hommes] y participent-ils à quelque degré » ; il semble bien que V et G comprennent également que πάντες désigne « tous les hommes » ; mais dans la logique de ce qui est devenu une série de considérations sur les sciences, H a traduit omnes scientie ; nous sommes tout près de la conception de la logique et de la rhétorique comme adminiculativae de l’ensemble des sciences et il est curieux de voir comment ce thème, exposé d’abord dans la philosophie arabe et qui allait être développé chez les Latins (comme Roger Bacon) s’intègre à H mais n’est pas même effleuré dans V et G.H fait suivre ce passage d’un commentaire d’Averroès (Auenrosd), qui affirme aussi que « omnes homines intromittunt se naturaliter de sermonibus thopicis et rethoricis » ; après cette addition, H applique le propos à tous les hommes : « Omnes igitur homines modo aliquo et usquoque utuntur et accusatione et recusatione... » (fol. 66ra).
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38H : Quoniam autem scitum est quod istud ingenium artificiale tendit quidem ad inducendum credulitates, et credulitas quidem fit per probationem – nos etenim tune certe assentimus [ms. assentihus] in rem quando putauerimus quod iam probata sit nobis – et probatio rethorica est enthimema, eo quod istud radix preexistens ad credulitates, et enthimema pars est sillogismi et sillogismus uidetur esse pars dialetice, aut in toto huius ingenii aut in parte (ms. cité, fol. 67rb).
39V : Quoniam autem manifestum est quoniam quidem artificialis methodus circa fidem est, fides autem demonstratio (tunc enim credimus maxime cum demonstratum esse arbitramur), est autem demonstratio rethorica entimema, et est hoc ut dicam simpliciter magis proprium fidei, entimema vero sillogismus quidam, de sillogismo autem similiter omne dialetice est scire, aut eiusdem omnis aut cuiusdam partis... (éd. Schneider, p. 7).
40G : Quoniam autem manifestum est quod artificialis quidem methodus circa persuasiones est, persuasio autem demonstratio (tunc enim credimus maxime quando ostensum esse existimamus), est autem ostensio rethorica enthymema, et est hoc ut dicere simpliciter principalissimum persuasionum, enthymema autem sillogismus quidam, de sillogismo autem similiter omnis dialetice est videre, aut ipsius totius aut partis alicuius... (éd. Schneider, p. 161).
41Le deuxième passage introduit la discussion sur les techniques propres de la rhétorique et particulièrement l’usage de l’enthymème. Les traductions gréco-latines présentent entre elles des différences et l’on observe que l’extrême littéralité de G ne mène pas à des résultats satisfaisants sur le plan de la latinité (ainsi « et est hoc ut dicere simpliciter », calqué sur ϰαὶ ἔστι τοῦτο ὡς εἰπεῖν ἁπλῶς alors que V disait plus correctement « ut dicam »), La différence la plus remarquable concerne évidemment la traduction de πίστεις, rendu par un singulier en V, par un pluriel en G. Le terme est employé en son sens technique de « preuves juridiques »76 ; V y voit une notion abstraite (fides), ce qui amène une difficulté (« fides autem demonstratio ») et le fait traduire moins exactement (mais correctement selon la logique de son interprétation) ϰυριώτατον τῶν πίστεων « magis proprium fidei ». rendu inélégamment mais plus fidèlement par G, « principalissitnum persuasionum ». Quant à H, il rend πίστεις par le pluriel credulitates, qui ne semble pas avoir de sens technique en latin, ce qui le fait osciller entre concret et abstrait ; mais credulitates traduit exactement l’arabe al-tasdîqât, « les convictions ». Du reste, le vocabulaire de H est ici assez différent de V et G : on note ingenium en face de methodus (calqué sur le grec), probatio en face de demonstratio (ἀπόδειξις) ; on remarque cependant que H a « retrouvé » enthimema, malgré un terme différent en arabe (al-tafkîr, « pensée discursive »). Toute la fin de H a peu de points communs avec les gréco-latines et est, en fait, proche de l’arabe. Ainsi, « eo quod istud <est> radix preexistens ad credulitates » correspond à « parce que cela est en général le principe (fondement) qui précède les convictions ». On observe surtout la définition de l’enthymème comme pars sillogismi, qui s’oppose à l’équivalence nuancée du texte grec (τὸ δ’ ἐνθύμημα συλλογισμός τις), conservée par V et G (« sillogismus quidam ») –, ici pourtant, l’arabe ne s’éloignait pas du grec : « l’enthymème est quelque chose du syllogisme ». La fin du passage en H crée une structure parallèle (enthymème/ syllogisme, syllogisme/ dialectique) qui ne figure pas dans le grec mais se trouve dans l’arabe : « sillogismus uidetur esse pars dialetice » rend « et le syllogisme paraît être de la dialectique ». Du reste, sur ce membre de phrase, V et G sont confus : « de sillogismo autem similiter omne (omnis G) dialetice est scire (videre G) » rend mal περὶ δὲ συλλογισμοῦ ὁμοίως ἅπαντος τῆς διαλεκτικῆς ἐστιν ἰδεῖν, traduit par Dufour : « toutes les espèces de syllogisme ressortissent à la dialectique ».
421359a5-10
43H : Scitum est igitur propter id quod iam dictum est quoniam de necesse est ut sit in hoc modo sermonis propositio, et signa et veritas et reuzamum sunt propositiones artis rethorice, eo quod sillogismus omnino ex propositionibus est. Enthimema autem est sillogismus qui fit ex propositionibus quorum facta est mentio (ms. cité, fol. 71vb).
44V : Manifestum autem ex dictis quod necesse est de hiis habere prius propositiones : tecmiria enim et ycota et signa propositiones sunt rethorice ; universaliter quidem enim sillogismus ex propositionibus est, entimema quidem sillogismus quidam sensibilis ex predictis (éd. Schneider, p. 17).
45G : Manifestum autem ex dictis quod necesse de hiis habere primum propositiones : tecmeria enim et ykota et signa propositiones sunt rethorice ; totaliter quidem enim sillogismus ex propositionibus est, enthymema autem sillogismus est constans ex dictis propositionibus (éd. Scheider, p. 171).
46L’intérêt de ce dernier passage est constitué par la manière dont sont traduits (ou non traduits) les termes techniques. On constate tout d’abord une grande proximité entre V et G77, sauf à la fin de la phrase ; je ne comprends pas le sensibilis de V (συνεστηϰώς, bien traduit par constans en G) ; il s’explique probablement par une faute dans son texte grec. V et G conservent donc deux des trois termes techniques grecs, τεϰμήρια et εἰϰότα (σημεῖα est traduit par signa dans les deux cas) ; il semble que ce soit à travers G qu’on les retrouve dans la littérature philosophique au xive siècle. Le terme προτάσεις a été traduit dans les trois cas par propositiones, qui a le sens de « prémisses » (nous en avons vu un emploi technique chez Albert le Grand). La traduction des trois termes techniques en H s’explique par l’arabe qui donne successivement pour τεϰμήρια, εἰϰότα et σημεῖα : dalā’il (« signa »), ṣidq (« veritates ») et rawāsim, dont reuzamum est une translittération probablement mal comprise par le scribe78.
Notes de bas de page
1 Opus maius III, éd. J.H. Bridges, Oxford, Clarendon Press, 1900, p, 71 : « Etiam de logica deficit liber melior inter omnes, et alius post eum in bonitate secundus male translatus est nec potest sciri nec adhuc in usu vulgi est, quia nuper venit ad Latinos et cum defectu translationis et squalore ». Le premier de ces deux livres est la Poétique, dont n’existe alors que la traduction (arabo-latine) du commentaire moyen d’Averroès par Hermann l’Allemand (1256), lequel affirme avoir essayé de traduire le texte même d’Aristote mais a dû y renoncer du fait des difficultés ; De arte poetica. Translatio Guillelmi de Moerbeka..., éd. L. Minio-Paluello. « Aristoteles Latinus » XXXIII, 2e éd., Bruxelles-Paris, Desclée de Brouwer, 1968, p. 41. Le second est la Rhétorique, dans la version arabo-latine du même Hermann (voir ci-après). Dans sa version révisée de l’Opus maius, Roger Bacon est plus précis : « Moderni vero doctores vulgi licet multa de philosophiae magnalibus sint translata, tamen non habent eorum usum, cum etiam in parvis et vilibus delectati duos libros logicae meliores negligunt, quorum unus translatas est cum commenta Alpharabii super illum, et alterius expositio per Averroem facta sine textu Aristotelis est translata », Opus maius I, 15, éd. J.H. Bridges, Suppl. Volume, London-Edinburgh-Oxford, Williams & Norgate, 1900, p. 33. Bacon mentionne donc d’abord la Rhétorique avec les Didascalia d’al-Fārābī (voir ci-après) puis le commentaire moyen de la Poétique d’Averroès.
2 Moralis philosophia V, 2, éd. E. Massa, « Thésaurus Mundi », Zürich, 1953, p. 251 : « Hoc autem argumentum non est notum vulgo artistarum apud Latinos, quoniam libri Aristotilis et suorum expositorum nuper translati sunt et nondum in usu studencium ».
3 Sur cette traduction, voir ci-après.
4 Roger Bacon le dit très nettement, en montrant bien les limites de la rhétorique cicéronienne (Moralis philosophia, ibid.) : « Rethorica vero tulliana non docet hoc argumentum, nisi propter causas ventilandas, ut orator possit persuadere iudici, quatinus consenciat parti sue et indignetur adverse. Set flexus triplex est, ut dixi ; et ideo hoc argumentum, ut Tullius docet, non sufficit, set indigemus completa doctrina Aristotilis et commentatorum eius ».
5 Voir K. Fredborg, « The Scholastic Teaching of Rhetoric in the Middle Ages », Cahiers de l’Institut du Moyen Âge grec et latin [désormais C.I.M.A.G.L.] 55, 1978, p. 85-105, ainsi que P.O. Lewry, « Rhetoric at Paris and Oxford in the Mid-Thirteenth Century », Rhetorica 1, 1983, 45-63. Sur la tradition cicéronienne, voir maintenant J.O. Ward, Ciceronian Rhetoric in Treatise, Scholion and Commentary, « Typologie des sources du Moyen Âge occidental », LVIII, Turnhout, Brepols, 1995.
6 Livre III, vers 137-271, éd. R. Bossuat, « Textes philosophiques du Moyen Âge » I, Paris, Vrin, 1955, p. 93-97.
7 C. Lafleur, Quatre introductions à la philosophie au XIIIe siècle, « Université de Montréal. Publications de l’Institut d’études médiévales » XXIII, Montréal, Institut d’études médiévales, et Paris, Vrin, 1988 ; voir p. 237-244. On notera que le maître ès-arts anonyme, auteur de ces Accessus, présupposant une différence entre rethorica rethoris et rethorica oratoris, affirme « non habemus nisi rethoricam oratoris, illam scilicet quam tradit Tullius » (p. 239).
8 Voir P. Hadot, « Les divisions des parties de la philosophie dans l’Antiquité », Museum Helveticum 36, 1979, p. 201-223 ; G. Dahan, « Les classifications du savoir aux XIIe et XIIIe siècles », L’Enseignement philosophique 40/4. 1990, p. 5-27 ; « La classificazione delle scienze e l’insegnamento universitario nel XIII secolo », dans Le Università dell’Europa. Le Scuole e i Maestri. Il Medioevo, G.P. Brizzi et J. Verger éd., Milano, A. Pizzi, 1994, p. 19-43.
9 Guillaume de Conches, Commentaire de la Consolation de Philosophie, extrait publié par Ch. Jourdain, Excursions historiques et philosophiques à travers le Moyen Âge, Paris, 1888, p. 57-60 (« Scientie sunt due species : sapientia et eloquentia ») ; voir T. Gregory, Anima mundi. La filosofia di Guglielmo di Conches e la scuola di Chartres, « Pubbl. dell’Istituto di filosofia dell’Università di Roma » III, Firenze, G.C. Sansoni, 1955, p. 251-256. C’est aussi l’un des schémas donnés par un traité anonyme du XIIe siècle, qui semble de dépendance « chartraine » : G. Dahan, « Une introduction à la philosophie au XIIe siècle : le Tractatus quidam de philosophia et partibus eius », A.H.D.L.M.A. 49, 1982, p. 155-193 (voir notamment p. 159-161, à propos de l’opposition éloquence/sagesse).
10 Transmis par Augustin (De civitate Dei VIII, 4), courant pendant le haut Moyen Âge (Isidore, Alcuin, Raban Maur...), ce schéma est plus rare au XIIe s. et subit parfois des changements : cf. Clarembaud d’Arras, Tractatus super De Trinitate, éd. N.M. Häring, Life and Works of Clarembald of Arras, « Studies and Texts » X, Toronto, Pontif. Inst, of Mediaeval Studies, 1965, p. 65 (theorica ou theologia, practica ou moralis, rationalis ou sermocinativa) ; Jean de Salisbury, Metalogicon II, 13, éd. J.B. Hall et K.S.B. Keats-Rohan, « Corpus Christianorum. Continuatio mediaevalis » XCVIII, Turnhout, Brepols, 1991, p. 74-75 (ethica, phisica, logica). Il ne semble plus utilisé dans les classifications du XIIIe siècle.
11 Il s’agit du petit texte fourni par le ms. Bamberg, Q VI.30 et publié par M. Grabmann, Die Geschichte der scholastischen Methode, vol. II, Freiburg i. B., Herder, 1911, p. 36 (on observera que cet opuscule se fonde sur l’opposition éloquence/sagesse : « Scientie species due sunt sapientia et eloquentia » ; ce début est identique au commentaire sur Boèce de Guillaume de Conches mentionné supra).
12 Hugonis de Sancto Victore Didascalicon, De studio legendi, a Critical Text, éd. Ch. H. Buttimer, « Studies in Medieval and Renaissance Latin » X, Washington, The Catholic University Press, 1939 (voir également la traduction française par M. Lemoine, Hugues de Saint-Victor. L’art de lire. Didascalicon, « Sagesses chrétiennes », Paris, Cerf, 1991).
13 Il n’a pas pour fonction, comme on le dit souvent, de faire pendant aux sept arts libéraux, lesquels se trouvent éclatés dans sa classification.
14 Nous avons donc : theorica (theologia, mathematica, physica) – practica (solitaria, privata, publica) – mechanica (7 artes) – logica (grammatica, dissertiva). Sur la classification des sciences chez Hugues, voir notamment J. Châtillon, « Le Didascalicon de Hugues de Saint-Victor », dans La Pensée encyclopédique au Moyen Âge, « Langages-Documents », Neuchâtel, A la Baconnière, 1966, p. 63-76 ; L. Giard, « Logique et système du savoir selon Hugues de Saint-Victor », Revue d’histoire des sciences et de leurs applications 36, 1983, p. 3-32.
15 Sur ces divisions de la logique au XIIe s., voir notre étude « Origène et Jean Cassien dans un Liber de philosophia Salomonis », A.H.D.L.M.A. 52, 1985, p. 135- 162 (notamment p. 147-152).
16 Ed. J. Châtillon, « Textes philosophiques du moyen âge » V, Paris, Vrin, 1958, p. 111.
17 Voir notamment L. Gardet et M.-M. Anawati, Introduction à la théologie musulmane. Essai de théologie comparée, « Etudes de philosophie médiévale » XXXVII, Paris, Vrin, 1948, p. 94-124 ; G.C. Anawati, « Classification des sciences et structure des Summae chez les auteurs musulmans », Revue des études islamiques 44, 1976, p. 61-70. Sur l’influence des classifications arabes sur l’Occident latin, voir plusieurs remarques de J. Jolivet, « The Arabie Inheritance », dans A History of Twelfth-Century Philosophy, P. Dronke éd„ Cambridge, University Press, 1988, p. 113-148 (et en version française dans le recueil de travaux de J. Jolivet, Philosophie médiévale arabe et latine, « Études de philosophie médiévale » LXXIII, Paris, Vrin, 1995, p. 47-77).
18 A. Gonzalez Palencia, éd., Alfârâbî. Catalogo de las ciencias, Madrid, 1932 (mais il ne me semble pas que le texte soit toujours sûr). Ce texte a reçu une autre traduction ou plutôt une adaptation, due à Dominique Gundisalvi, éd. M. Alonso Alonso, Domingo Gundisalvo, De Scientiis, Madrid-Granada, C.S.I.C., 1954 (il s’agit du texte publié au XVIIe s. sous le nom d’al-Fârâbî par G. Camerarius [W. Chalmers], Alpharabii velustissimi Aristotelis interpretis Opera omnia, Paris, 1638 ; réimpr. Frankfurt a. M., Minerva, 1969, reproduit aux p. 83-115 de l’ouvrage de Gonzalez Palencia).
19 Ed. citée, p. 137 ; mais ce texte est peu satisfaisant ; on pourra recourir au remaniement de Dominique Gundisalvi pour mieux saisir la pensée de l’auteur (éd. Alonso Alonso, p. 72-75 et 79-80).
20 Ed. Gonzalez Palencia, p. 172-174.
21 Ed. Cl. Baeumker, Alfarabi, Über den Ursprung der Wissenschaften, « Beiträge zur Geschichte der Philosophie des Mittelalters » XIX/3, Münster i. W., Aschendorff, 1916, p. 22. Il ne s’agit pas d’un chapitre sur les sciences du langage mais sur les sciences qui utilisent le langage ad rationem docendi et discendi ; la scientia de lingua est définie comme scientia « de impositione nominum rebus, scilicet substantiae et accidenti ». – On notera que l’opuscule ‘Uyun al-masa’il, Fontes quaestionum ou Flos alpharabii ne procure pas de classification des sciences.
22 Tractatus Avicenne de Divisionibus Scientiarum, ab Andrea Bellunensi ex arabico translatus [ainsi que d’autres opuscules attribués à Avicenne], Venetiis, 1546. Sur le traducteur, Andrea Alpago de Bellune, voir M.-Th. d’Alverny, « Andrea Alpago, interprète et commentateur d’Avicenne », dans Aristotelismo padovano, Atti del XII congresso internazionale di filosofia, Firenze, 1960, p. 1-6 [étude reproduite dans Avicenne en Occident, « Etudes de philosophie médiévale » LXXI, Paris, Vrin, 1993]. Le texte arabe de ce traité sert de base à l’analyse de G.C. Anawati, « Classification des sciences... » (cité n. 17) ; le même en a donné une traduction française, « Les divisions des sciences intellectuelles d’Avicenne », Mélanges de l’Institut dominicain d’études orientales [du Caire] (désormais : M.I.D.E.O.) 13, 1977, p. 323-335.
23 Voir notamment M.-Th. d’Alverny, « Notes sur les traductions médiévales des œuvres philosophiques d’Avicenne », A.H.D.L.M.A. 19, 1952, p. 337-358, et, d’une manière générale, les études publiées dans le recueil cité de travaux de M.-Th. d’Alverny, Avicenne en Occident.
24 On trouve la même division dans le court-traité sur la division des sciences spéculatives, analysé et traduit par G. Anawati (p. 333 de la trad.) : « Il est temps que nous fassions connaître les divisions de la science qui est un instrument pour l’homme le conduisant à la sagesse spéculative et pratique, qui le préserve de l’oubli et de l’erreur dans sa recherche et sa vision [de la vérité], le guidant sur le chemin qu’il faut suivre dans toute recherche... » ; voici le passage sur la rhétorique (ibid., p. 335) : « Où l’on fait connaître les syllogismes oratoires littéraires qui sont utiles quand on s’adresse au public à l’instar de consultations et de joutes contradictoires dans les panégyriques, la louange et la réprobation et les ruses qui servent pour s’attirer la bienveillance ou pour faire pencher les gens vers soi, pour la séduction, pour déprécier les choses ou les magnifier, pour trouver des excuses et faire des reproches et la manière de disposer les paroles dans tout conte et tout discours. Cela est contenu dans le livre intitulé Rhétorique ».
25 Rhét. I, 6, 1363a17-b4 ; ms. BN lat. 16673, fol. 77v ; Rhét. III, 10, 1405a31-1407a18, ms. cité fol. 128 (voir l’étude de W.F. Boggess citée ci-après, p. 243- 244 et 246).
26 Ed. L. Baur, Dominicus Gundissalinus. De divisione philosophiae, « Beiträge zur Gesch. der Philosophie des Mittelalters » IV/2-3, Munster i. W., Aschendorff, 1903, p. 63-69.
27 Deux utilisations du livre IV du De differentiis topicis (p. 65 et 67) ; la première est la plus significative : « Item secundum Boecium genus artis rethorice est quod ipsa est facultas, id est facundum efficiens, quod est esse maiorem partem ciuilis sciencie ».
28 Ed. citée, p. 69-83 (utilise notamment al-Fârâbî et Avicenne) ; sur la rhétorique, voir p. 73-74 (al-Fārābī).
29 Voir supra n. 5, p. 69.
30 Ed. Alonso Alonso, p. 79.
31 Ibid., p. 74-75.
32 Die philosophische Werke des Robert Grosseteste, Bischofs von Lincoln, L. Baur éd., « Beiträge zur Gesch. der Philosophie des Mittelalters » IX/1, Münster i. W., Aschendorff, 1912, p. 2.
33 Ibid., p. 4 : « Rhetorica vero movel concupiscibilem ad appetendum vel irascibilem ad fugiendum. Quapropter moralis scientia cum ornatu rhetorica vult doceri et sciri, ut proveniat morum informatio ».
34 C. Lafleur, Quatre introductions, p. 239-244 ; voir p. 240 : « Partes artis rethorice sunt. V. : inuentio, dispositio, elocutio, memoria, pronuntiatio ». Voir supra n. 2, p. 67.
35 Ibid., p. 279-282. L’auteur utilise également Quintilien.
36 Ibid., p. 345-347 (chapitre sur la rhétorique) et p. 335-338 (divisions de la philosophia rationalis).
37 Ed. G. Dahan, « Une introduction à l’étude de la philosophie : Ut ait Tullius » [étude et édition], dans L’Enseignement de la philosophie au XIIIe siècle. Autour du « Guide de l’Etudiant » du ms. Ripoll 109, C. Lafleur et J. Carrier éd., « Studia Artistarum » III, Tumhout, Brepols, 1997, p. 3-58 (sous presse).
38 « Speculativa vero dividitur in eam que est de signis et in eam que est de rebus. Hanc autem divisionem innuit Alpharabius in libro De ortu scientiarum, ubi dicit quod omnis doctrina aut est de rebus aut est de signis », éd. citée. Cf. Augustin, De doctrina christiana I, II, 2 et Pierre Lombard, Liber Sententiarum I, dist. 1, c. 1.
39 Ed. citée : « Ista autem scientia que est de signis dividitur in tres partes, scilicet in grammaticam, logicam, rethoricam. Ista autem divisio potest sumi aut penes fines ad quos ordinantur, aut penes proprietates ipsas consequentes. Si penes fines ad quos ordinantur, aut ordinantur ad signandum tantum, aut ad signandum et movendum. Si primo modo, sic est grammatica ; si secundo modo, hoc est dupliciter, aut ad movendum virtutes motivas aut affectivas. Si primo modo, sic est recthorica... Si secundo modo, sic est logica ». Ce sont les mêmes critères que chez Arnoul de Provence.
40 À ce stade de la réflexion, il ne semble pas que l’on trouve (sauf incidemment, on l’a vu, chez Robert Grosseteste) le schéma classificatoire de Roger Bacon, qui fait de la rhétorique et de la poétique les adminiculativae de la morale ; à ce titre, elles sont en effet considérées comme les parties les plus nobles de la logique, comme le disait le texte de Roger Bacon cité au début de cette étude. On voudra bien se reporter à ce sujet à G. Dahan, « Notes et textes sur la Poétique au Moyen Âge », A.H.D.L.M.A. 47, 1980, p. 171-239, où l’on trouvera les principaux textes. – Je fais observer que le présent survol s’arrête vers 1250 et ne prend donc pas en compte les réflexions très riches que l’on trouve dans les classifications de la seconde moitié du XIIIe siècle (on en aura quelque idée dans l’étude précédemment citée et dans le beau travail de C. Marmo, « Suspicio, a Key Word to the Significance of Aristotle’s Rhetoric in XIIIth Century Scholasticism », C.I.M.A.G.L. 60, 1990, p. 145-198).
41 Déjà, Isidore de Séville intitulait un chapitre de ses Étymologies : « De differentia dialecticae et rhetoricae artis », dans lequel il citait Varron d’après Cassiodore ; P.L. 82, 140 ; voir également Isidore de Séville. Etymologies, livre II. Rhétorique et dialectique, éd. et trad. angl. P.K. Marshall, « Auteurs latins du Moyen Âge », Paris, Les Belles Lettres, 1983.
42 M. Leff, « The Logician’s Rhetoric : Boethius’ De differentiis topicis, Book IV », dans Medieval Eloquence. Studies in the Theory and Practice of Medieval Rhetoric, J.J. Murphy éd., Berkeley-Los Angeles-London, Univ. California Press, 1978, p. 3-24 ; N.J. Green-Pedersen, The Tradition of the Topics in the Middle Ages. The Commentaries on Aristotle’s and Boethius’ ‘Topics’, « Analytica », München-Wien, Philosophia Verlag, 1984.
43 P.L. 64, 1205-1206 : « Dialectica facultas igitur thesim tantum considerat... Rhetorica vero de hypothesibus, id est de quaestionibus circumstantiarum multitudine inclusis, tractat et dissent... Rursus dialectica interrogatione ac responsione constricta est. Rhetorica vero rem propositam perpetua oratione decurrit. Item dialectica perfectis utitur syllogismis. Rhetorica enthymematum brevitate contenta est ».
44 P.L. 64, 1216. Voir également l’annotation d’E. Stump, Boethius’s De differentiis topicis, Translated with notes and essays on the text, Ithaca, Cornell University Press, 1980.
45 Il n’entre évidemment pas dans notre objet d’examiner en elle-même la réflexion des penseurs de langue arabe sur la Rhétorique. On se reportera notamment à Ch. E. Butterworth, « The Rhetorician and bis Relationship to the Community : three accounts of Aristotle’s Rhetoric », dans Islamic Theology and Philosophy. Studies in Honor of G.F. Hourani, M.E. Marmura éd., Albany, 1984, p. 111-136, et D.L. Black, Logic and Aristotle’s Rhetoric and Poetics in Medieval Arabie Philosophy, Leiden, EJ. Brill, 1990.
46 Voir notamment M. Grignaschi, « Les traductions latines des ouvrages de la logique arabe et l’abrégé d’Alfarabi », A.H.D.L.M.A. 39, 1972, p. 41-107. Il faut, bien sûr, réserver une place toute particulière à ce que l’on appelle les « Gloses sur la Rhétorique » (Didascalia in Rethoricam Aristotelis ex glosa Alpharabii), qui sont en fait la traduction latine d’un important prologue et du début du commentaire ; voir J. Langhade et M. Grignaschi, éd., Al-Fārābī. Deux ouvrages inédits sur la Rhétorique, « Recherches publiées sous la dir. de l’Institut de lettres orientales de Beyrouth. I. Pensée arabe et musulmane » XLVIII, Beyrouth, Dar el-Machreq, 1971. Maroun Aouad a étudié à plusieurs reprises la réflexion d’al-Fârâbî sur la Rhétorique ; en dehors de sa communication ici-même, voir « Les fondements de la Rhétorique d’Aristote reconsidérés par Fârâbî, ou le concept de point de vue immédiat et commun », Arabic Sciences and Philosophy 2, 1992, p. 133-180.
47 En attendant sa publication dans l’Avicenna Latinus, on aura recours à l’édition de Venise, 1508. Voir R. WUrsch, Avicennas Bearbeitung der aristotelischen Rhetorik. Ein Beitrag zur Fortleben antiken Bildungsgutes in der islamischen Welt, « Islamkundliche Untersuchungen », CXLVI, Berlin, 1991.
48 Ed. Ch. Lohr, Traditio 21, 1965, p. 221-290. Voir D. Salman, « Algazel et les Latins », A.H.D.L.M.A. 10, 1935-36, p. 103-127. – Il ne semble pas que le commentaire moyen de la Rhétorique d’Averroès ait eu une influence avant l’entrée du texte d’Aristote.
49 Ed. citée, p. 279.
50 Opera omnia, éd. A. Borgnet, t. I, Paris, 1890, p. 6-8.
51 « Et ideo dicunt logicae generalis subiectum esse sermonem, prout est designativus rerum quae significantur per ipsum. Quam opinionem impugnat Avicenna, dicens quod sermo de se nihil significat. » Voir la logique du Shifa, dans l’éd. de Venise, 1508, fol. 3ra : « Et propter hoc non valet quod ille dixit, scilicet quod logyca instituta est ad considerandum dictionem secundum hoc quod significant intellecta et quod doctrina logyce est loqui de verbis secundum quod significant intellecta ». La suite de ce passage contient également des considérations sur le sermo complexus et incomplexus.
52 Voir ci-dessus notes 3, 4 et 5, p. 76.
53 Liber primus Posteriorum Analyticorum, dans Opéra omnia, éd. A. Borgnet, t. II, Paris, 1890, p. 4-7.
54 « Imaginativae vel imitativae sunt propositiones quas dicimus esse falsas, sed per id cui assimilantur, horrendum vel appetendum imprimant in anima recipientis... et tales sunt propositiones poeticae. »
55 « Et ex omnibus talium generum propositionibus constituuntur argumentationes diversarum facultatum, quae omnes sunt sub logica in genere accepta : propter quod etiam poetica secundum Aristotelem sub logica generali continetur », ibid., p. 7.
56 Lib. II Priorum Analyticorum, tract. VII, c. 8-9, Opera omnia, t. I, p. 802-806.
57 Lib. I Topicorum, tract. III, c. 4, Opera omnia, t. II, p. 273-275.
58 On trouvera quelques références dans nos « Notes et textes sur la Poétique... ».
59 Robert Kilwardby, De Ortu Scientiarum, éd. A.G. Judy, « Auctores Britannici Medii Aevi » IV, London 1976, p. 202-212. On trouvera également des éléments utiles dans le chapitre 62, « Quomodo se habeat sermocinalis scientia ad speculativam et practicam, et utrum sub aliqua earum continetur » ; Robert Kilwardby y reprend la division traditionnelle entre le rhetor speculativus et l’orator activus (p. 213).
60 W.F. Boggess, « Hermannus Alemannus’s Rhelorical Translatons », Viator 2, 1971, p. 227-250.
61 Paris, BNF lat. 16673, fol. 65-147 (Aristoteles Latinus [désormais A.L]706) ; Tolède, Bibl. Cap. 47.15, fol. 36-53 (A.L 1234). Dans les deux cas, l’Aristoteles Latinus parle d’« Averroes in Rhetoricam ».
62 Florence, Bibl. Laur., Gadd. Plut. LXXXX Sup. 64, fol. 105-106v (A.L. 1343). – Comme le montre bien le P.R.-A. Gauthier dans son Introduction à la nouvelle traduction de la Somme contre les Gentils, Paris, Éditions Universitaires, 1993, p. 77-80, c’est la traduction d’Hermann qu’utilise saint Thomas dans sa Summa contra Gentiles (alors que plus tard, notamment dans les Quaest. disp, de malo, puis dans la Somme théologique, il connaît celle de Guillaume de Moerbeke).
63 Chicago, Newberry, 23/1, fol. 104-113 (cf. A.L. 11) ; Paris, BNF, lat. 16673, fol. 1-61 (A.L. 706) ; Tolède, Bibl. Capit. 47.15, fol. 25-35v (A.L. 1234) ; Venise, Bibl. S. Marco, lat. VI/164, fol. 40-42 (fragments ; A.L. 1623).
64 Voir B. Schneider, Die mittelalterlichen griechisch-lateinischen Übersetzungen der aristotelischen Rhetorik, « Peripatoi » II, Berlin-New York, De Gruyter, 1971, p. 15-69.
65 B. Schneider, ouvr. cité, p. 71-163 (recense 98 manuscrits). Voir également M. Grabmann, I Papi del Duecento e l’Aristotelismo, II. Guglielmo di Moerbeke O.P. il traduttore delle opere di Aristotele, « Miscellanea Historiae Pontificiae » XI. Roma, Pontificia Université Gregoriana, 1946 (réimpr. 1970), p. 115-116.
66 Rhetorica. Translatio anonyma sive vetus et Translatio Guillelmi de Moerbeka, B. Schneider éd., « Aristoteles Latinus » XXXI/1-2, Leiden, E.J. Brill, 1978.
67 Dans ce qui suit, tous les rapprochements de la traduction d’Hermann avec le texte arabe (éd. M.C. Lyons, Aristotle’s Ars Rhetorica, A New Edition with Commentary and Glossary, « Pembroke Arabie Texts », Cambridge, 1982) ont été rendus possibles grâce à l’aide amicale et précieuse de M. Maroun Aouad ; je le remercie vivement pour ces séances passionnantes.
68 Nous nous servons de l’édition et traduction de M. Dufour, Aristote. Rhétorique, « Collection des Universités de France », t. I, Paris, Les Belles Lettres, 1960. Dufour traduit : « La Rhétorique est l’analogue de la Dialectique ».
69 Bailly : « tourné de façon à faire face, d’où qui fait la contrepartie de, est corrélatif à » ; Liddell-Scott : « turned so as to face one another, hence corrélative, co-ordinate, counterpart ». – Voir L.D. Green, « Aristotelian Rhetoric, Dialectic, and the Traditions of ἀντίστροφος », Rhetorica 8, 1990, p. 5-27.
70 De gen. art. III, 10, 761a20 : Διὰ δὲ τὸ τοῖς φυτοῖς ἀντίστροφον ἔχειν τὴν φύσιν, traduit par P. Louis : « Comme par leur nature les testacés font pendant aux végétaux ».
71 Gorgias 464b : τῆς δὲ πολιτιϰῆς ἀντίστροφον μὲν τῇ γυμναστιϰῇ τὴν νομοθετικήν, ἀντίστροφον δὲ τῇ ἰατριϰῇ τὴν διϰαιοσύνην, « Dans la politique je distingue la législation qui correspond à la gymnastique et la justice qui correspond à la médecine », éd. et trad. fr. A. Croiset et L. Bodin, Platon, Œuvres complètes III, 2, Gorgias-Ménon, « Collection des Universités de France », Paris, Les Belles Lettres, 1923, p. 133. Cf. aussi 465e : « Tu connais maintenant ce qu’est selon moi la rhétorique : elle correspond (ἀντίστροφον), pour l’âme, à ce qu’est la cuisine pour le corps » (p. 134).
72 L’arabe a : « La rhétorique revient à (ou renvoie à) la dialectique ».
73 Elle figure dans les florilèges ; par exemple dans les Auctoritates Aristotelis, J. Hamesse éd., « Philosophes médiévaux » XVII, Louvain, Presses Universitaires, Paris, Béatrice-Nauwelaerts, 1974, p. 263 : « Rhetorica est assecutiva dialecticae ». Parmi de nombreux exemples, on citera l’opuscule De partibus philosophie essentialibus de Gilles de Rome, édité (s.1.n.d.) à la fin du XVe s. : « Dyaleclica, que principaliter est de sylogismo et inductione, est alia a rethorica, que est de enthimemate et exemplo. Due ergo sunt artes nationales rethorica et dyalectica, que differunt eo quod una efficacius arguit quant alla. Vnde in primo Rethoricarum dicitur quod rethorica est assecutiva dyalectice... ».
74 Le terme de « topique » est repris dans la traduction (début du XVIe s.) par Abraham de Balmes de la paraphrase d’Averroès : « Ars quidem Rhetoricae affinis est artis Topicae », éd. de Venise, apud Junctas, 1562, t. II, fol. 69ra.
75 Traduit ainsi par M. Dufour : « l’une et l’autre, en effet, portent sur des questions qui sont à certain égard de la compétence commune à tous les hommes et ne requièrent aucune science spéciale ».
76 Cf. Bailly : « IV. Moyen d’inspirer confiance, de persuader, preuve... particul. preuve juridique » ; Liddell-Scott : « II.2. Means of persuasion, argument, proof... esp. of proofs used by orators » (ces derniers auteurs font remarquer que chez Aristote πίστις s’oppose à ἀπόδειξις, « demonstrative proof », employé par V et G). C’est bien ainsi que comprend Dufour : « Puisqu’évidemment la méthode propre à la techique ne repose que sur les preuves, que la preuve est un certain genre de démonstration (car nous accordons surtout créance à ce que nous supposons démontré), que la démonstration rhétorique est l’enthymème, que celui-ci est, à parler en général, la plus décisive des preuves, que c’est un syllogisme d’une certaine espèce, et que toutes les espèces de syllogismes ressortissent à la dialectique, ou à la dialectique entière ou à quelqu’une de ses parties... ».
77 On notera le rendu très littéral des particules : ὅλως μὲν γὰρ συλλογισμός... τò δ’ ἐνθύμημα, V « universaliter quidem enim sullogismus... enthimema quidem », G « totaliter quidem enim sillogismus... enthymema autem ».
78 Ces termes apparaissent déjà dans le passage qui va de 1357a34 à 1357b24. Malheureusement, Hermann ne traduit pas les trois ; cf. pour 1357b1 : « Et ex signis [τῶν δὲ σημείων]... Quod ergo ex hoc modo est necessarium est signum et quod ex eo est non necessarium non nominatur » ; pour 1357 b 21 : « Quid igitur sit uerax [εἰκός] et quid signum [σημεῖον] et que differentia inter utraque hic quoque declarauimus » (ms. cité, fol. 70rb-va).
Auteur
CNRS (URA 152)
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