Thomas d’Aquin, Dante, deux visionnaires de la prudence
p. 317-333
Texte intégral
1Il est un moyen de mesurer l’importance du commentaire que Thomas d’Aquin a rédigé vers 1269 à l’Éthique à Nicomaque d’Aristote : c’est dans ce livre que Dante a médité les principes de l’éthique aristotélicienne. Non seulement ce fait, confirmé par les éditions les plus récentes du Convivio1, s’avère déterminant pour marquer la diffusion du commentaire thomiste, mais encore il associe par un biais essentiel l’oeuvre de Thomas à un mouvement connu sous le nom d’« Aristotélisme radical ». Ce mouvement trouvera un véritable manifeste dans le Convivio qui enseigne que
la fin de la Philosophie est cette jouissance très excellente qui ne supporte aucune interruption ou défaut véritable, c’est-à-dire la félicité vraie qui s’acquiert par la contemplation de la vérité2.
2Cet éloge de la perfection philosophique avait pourtant été condamné depuis 1277 en ce qu’il mettait l’idéal philosophique sur un plan d’égalité avec l’idéal religieux3. Voici donc un commentaire thomasien qui, à la fois, contribue à diffuser une idée de l’éthique d’Aristote plus rigoureuse que celle qui avait été forgée à travers Avicenne et Albert le Grand, mais qui, en un autre sens, donne lieu à l’affirmation de conceptions nouvelles dans la hiérarchie des facultés et des disciplines.
3Par la précision même de son rapport au texte d’Aristote, Thomas s’exposait à ce genre de crise. Parce que, de plus, il ne se contentait pas de commenter Aristote, mais qu’il le reconstruisait dans ses Sommes, il était à même de mettre à jour les ressorts démonstratifs de l’argumentation aristotélicienne et d’en faire mieux saillir les difficultés visibles ou invisibles. Sous la main de Thomas d’Aquin, l’Éthique à Nicomaque entre donc avec tout son poids textuel et problématique dans le débat intellectuel et c’est Dante qui sut mieux que personne mesurer le poids de l’événement. Heureusement, car les destins allaient se précipiter et bientôt l’ère de l’aristotélisme spéculatif en matière d’éthique laisserait place à la lecture « humaniste » de l’œuvre, résultat d’une confrontation avec l’original grec et surtout d’une réinterprétation à partir des valeurs de l’éthique cicéronienne. La doctrine thomasienne des vertus intellectuelles donnerait lieu alors à une vulgate scolastique. Sa signification spirituelle aura eu cependant le temps de féconder un poète, avant de se réduire à un instrument scolaire.
I. ÉTHIQUE DE LA PRUDENCE OU ÉTHIQUE DE LA PERFECTION ? L’ÉCONOMIE DU LIVRE VI SELON DANTE
4Lire Aristote et Thomas avec l’œil de Dante, c’est se prémunir contre une erreur de perspective. Quelle que soit l’adhésion de Dante aux formes d’aristotélisme « radical » développées dans la Faculté des arts par Siger de Brabant ou Boèce de Dacie, sa lecture de la doctrine des vertus intellectuelles révèle d’abord la dynamique de la lecture d’Aristote à la fin du XIIIe siècle. Au lieu en effet de chercher en Aristote un correctif à l’intellectualisme platonisant, ces auteurs y trouvent un argument pour en radicaliser les idéaux de perfection. Encouragés, il est vrai, par les formes de néoplatonisme confondues à l’époque avec la doctrine d’Aristote, ces auteurs trouvent dans l’Éthique à Nicomaque, et d’abord dans la doctrine des vertus intellectuelles, la certitude d’une intellectualisation complète de la vie. Notre fin est dans l’intelligence, et c’est le sens du traité aristotélicien.
5Dante dans le Convivio est avant tout le témoin de cette tension absolue du destin humain. Rien n’est plus éloigné de lui que la recherche, au travers de la doctrine de la prudence, d’un quelconque accommodement avec notre finitude que l’échec supposé de notre faculté intuitive rendrait nécessaire. Dans la doctrine de la vertu comme moyen terme, on n’insiste pas ici sur la notion de milieu, on ne voit que la perfection à laquelle ce milieu donne accès. Lire Thomas depuis Dante, c’est, en conséquence, dégager la certitude de l’ultime qui caractérise ces lectures héroïques d’Aristote. Mais n’est-ce pas la fonction du poète que de dégager d’un coup le sens d’un mouvement qui risquerait d’échapper à celui qui ne s’attache qu’au détail des concepts et de leurs déplacements ? Peu importent en somme les querelles d’école face à une pareille puissance d’affirmation qui donne l’esprit du siècle :
L’adversaire peut bien nous calomnier en disant que, dans la mesure où de nombreux désirs s’accomplissent dans l’acquisition de la science, jamais on ne parvient à l’ultime, ce qui est presque semblable à l’imperfection de ce qui n’a pas de terme tout en restant un. Mais, là encore, il faut répondre que ce qu’on nous oppose n’est pas vrai, à savoir qu’on ne parvient jamais à l’ultime, car nos désirs naturels, comme on l’a déjà dit dans le troisième Traité, sont orientés vers un certain terme ; et celui de la science est naturel en sorte qu’il termine ce qu’il achève, même s’il y en a peu qui achèvent la journée faute d’avoir bien marché. Et quiconque entend le Commentateur dans le Troisième livre du De Anima, comprend que c’est son enseignement. C’est pourquoi Aristote dit dans le Livre X de l’Éthique, en s’opposant au poète Simonide, que « l’homme doit tendre vers les choses divines autant qu’il le peut », ce qui est montrer que notre puissance marche vers une fin déterminée [...] Ainsi, de quelque façon qu’on prenne le fait de désirer la science, ou généralement ou particulièrement, il vient à perfection. C’est pourquoi la science a une parfaite et noble perfection, et elle ne perd pas sa perfection par le désir qu’elle excite, comme c’est au contraire le cas des richesses, qui sont maudites4.
6Mais dans quel contexte une telle revendication de la vie intellective a-t-elle pu être formulée ?
7Le propos de Dante dans son Banquet est de raconter les effets de sa conversion à la philosophie après la mort de Béatrice. La conception de la philosophie qui en découle est assez éloignée de la conception de la philosophie par concepts à laquelle nous sommes accoutumés : on y voit chanter une félicité intellectuelle, qui donne à l’homme, ici et maintenant, la perfection accomplissant le désir de savoir de sa nature. La philosophie est alors redéfinie à partir des catégories de l’amour courtois : elle est un « usage amoureux de la sagesse », qui conduit à une forme de contemplation extatique, à l’issue d’une élévation à travers l’ensemble des sciences humaines.
8Dante parvient à ce résultat en lisant Aristote à travers Thomas, comme en témoignent ses références explicites5 et les parallèles nombreux mis en évidence par les récents éditeurs de l’ouvrage. Sa lecture est sélective, tout en révélant des virtualités de l’analyse thomasienne.
9Mais Dante marque tout de suite son originalité. Profitant sans doute de l’affirmation aristotélicienne du primat de la sagesse politique, il vient à soutenir que la métaphysique n’est pas la phase ultime de l’élévation à travers le savoir vers la félicité mentale6. En effet, au-dessus de la physique et de la métaphysique, comparées au Ciel des fixes, il y a encore le Ciel cristallin dont le mouvement très rapide est en contact immédiat avec la motion du premier moteur. Tel serait le lieu naturel de l’Éthique, tandis que l’Empyrée est réservé à une révélation proprement théologique, dépassant toute forme d’argumentation et répondant au mot de Salomon dans le Cantique des Cantiques : nombreuses sont les servantes, mais unique est ma colombe7.
10On a beaucoup discuté sur cette élévation de l’éthique au-dessus de la science première. Il semble que l’interprétation la plus juste procède de la conjonction de deux éléments présents dans le texte de l’Éthique à Nicomaque : l’affirmation du primat de la politique comme science architectonique, à tout le moins du point de vue de la vie humaine ; d’autre part, le développement au livre X de la doctrine aristotélicienne de la contemplation et de la divinisation de l’homme, texte sur lequel s’étaient greffées, plus aisément que sur la Métaphysique d’Aristote lui-même, les conceptions néoplatonisantes d’Avicenne8. Une chose est sûre, qui va dans le sens des perspectives avancées : cette accentuation de l’éthique n’est pas là pour limiter la portée intellective de la sagesse, elle est au contraire un moyen de l’exalter encore9.
11Voici donc le texte d’Aristote entraîné dans une éthique de la contemplation qui est devenue étrangère à notre lecture de l’œuvre, où Dante trouve matière à une complète révision des rapports entre la poésie amoureuse et la conception philosophique de la perfection de l’homme. Il demeure étrange pour nous sans doute que Dante n’ait pas hésité, et ceci à plusieurs reprises, à s’appuyer sur le livre VI de l’ouvrage pour soutenir sa conception intellectualiste de la philosophie. Ainsi lisons-nous que par l’habitus des sciences nous pouvons contempler la vérité,
qui est notre perfection ultime, comme dit le Philosophe au livre VI de l’Éthique, quand il dit que le vrai est le bien de l’intellect10.
12Un moderne aura le sentiment que Dante ne voit pas ce que nous appelons prudence, et ne recueille dans les textes d’Aristote et de Thomas que ce qui annonce la perfection de l’intellect intuitif. L’intégration de la prudence à l’architectonique de la contemplation restera d’ailleurs une caractéristique de la pensée de Dante. Voici comment il décrit, dans le De Monarchia, les rapports entre la raison théorique et la raison pratique :
on a l’habitude de dire que l’intellect spéculatif devient par extension11 cet intellect pratique dont la fin est d’agir et de faire. C’est ce que je dis pour l’action, qui est réglée par la prudence politique, et pour la fabrication, qui est réglée par l’art, qui, l’une comme l’autre, sont les servantes (ancillantur) de l’optimum en vue de quoi la Bonté Première a produit dans l’être le genre humain. On comprend dès lors ce mot de la Politique : ce sont ceux qui dominent par l’intelligence qui commandent par nature aux autres12.
13Prudentia ancilla speculationis, tel est le mot d’ordre singulier que nous retrouvons partout dans l’œuvre, qui est loin de celui qu’on attribue volontiers à cette période : philosophia ancilla theologiae. En IV, XII, 12, nous lisons encore qu’au livre VI de l’Éthique, le Philosophe dit que « la science est une raison parfaite de choses déterminées »13. Toujours au livre IV du Banquet, XXVII, 5, Dante se réfère à nouveau à l’Éthique VI, 3, où le Philosophe dit que « celui qui n’est pas bon ne peut être sage ».
14Dante rencontre alors la prudence en tant que telle. Il soutient « qu’il faut être prudent, c’est-à-dire sage », mais il ne précise pas s’il s’agit de la sagesse pratique ou de la sagesse théorique, réduisant implicitement la différence des sagesses à la sagesse en son sens absolu, qui est toujours la « vertu de toutes les sciences » dont parle Thomas. Dante en effet cherche d’abord la perfection de l’intelligence car c’est d’elle que sont privés les hommes, ce qui les prive de la félicité à laquelle ils ont droit :
Dans la mesure où la science est l’ultime perfection de notre âme, où se tient notre félicité ultime, tous, nous sommes naturellement sujets à son désir. Il est vrai que beaucoup de gens sont privés de cette perfection très noble par diverses raisons qui, en l’homme et hors de lui, l’écartent de cet habitus14.
15C’est cette perfection que Dante aura cherchée dans les vertus intellectuelles du livre VI, c’est-à-dire une vie de l’intelligence qui ne soit pas seulement participation comme dans un platonisme qu’il repousse avec tout son temps15, mais qui manifeste une véritable possession du savoir, une actualisation substantielle du sujet de la connaissance. La félicité de Dante n’est pas accidentellement fondée sur l’aristotélisme. L’idéal de la « vie philosophique » est l’expression directe de la doctrine aristotélicienne des vertus intellectuelles comme possession d’un acte second qui mène le sujet à la plénitude de son pouvoir.
16Dante écrit cette phrase sibylline : « Les sciences sont cause en nous de l’induction de la perfection seconde »16, c’est-à-dire de l’actualisation de notre finalité comme êtres rationnels. Tout le soin du poète en effet est ici de veiller au développement de cette perfection seconde par la stabilisation des habitus scientifiques. De là l’image saisissante, qui associe l’induction de perfection opérée par les sciences et celle qui est opérée par le ciel dans les vivants. On assiste en effet à une telle induction par le fait des cieux, que ce soit, dit Dante, par les moteurs, les étoiles, ou la vertu céleste qui est dans la chaleur naturelle de la semence : c’est celle qui engendre la perfection première ou perfection selon l’être, qui est la génération substantielle. Quant aux sciences, elles sont la cause de l’induction de la perfection seconde ou perfection selon la fin, qui est l’accomplissement de notre nature intellectuelle, s’il est vrai que l’homme a deux perfections, d’abord celle qui le fait être, l’autre qui le fait bon17. Aussi, ajoute le poète, peut-on appeler à bon droit une science un ciel, et la science seule peut être cause de la véritable noblesse humaine.
17Dante cependant propose, à son tour, une doctrine spécifique de la prudence, mais il convient d’en bien mesurer le poids : tout d’abord on ne la trouve énoncée que dans le livre IV de l’ouvrage. Ce livre est le dernier rédigé par Dante avant l’interruption de la rédaction de l’œuvre. Il présente un glissement très significatif par rapport aux deux qui le précèdent : au lieu de chanter d’une façon irrésistible le bonheur philosophique, Dante reconnaît que l’amour s’est détourné de lui et qu’il lui faut attendre qu’il se fasse à nouveau plus favorable. En attendant il se tourne vers un débat plus proprement moral, celui de la nature de la noblesse véritable. La prudence, comme l’indiquait le texte du De Monarchia cité, est une vertu d’abord politique.
18C’est donc en étudiant la noblesse, et plus particulièrement ses rapports avec les âges de la vie, que Dante entreprend son étude de la prudence, en soutenant, après Aristote, qu’elle est le propre de l’homme mûr, du senex qui a approfondi son expérience18. La prudence, cependant, ne fait pas partie des vertus morales, malgré l’enseignement des auteurs moraux, mais elle appartient aux vertus intellectuelles,
étant donné qu’elle est le guide des vertus morales et qu’elle montre la voie selon laquelle elles se composent, et sans elle elles ne peuvent être19.
19Le poète ne peut empêcher cependant que la doctrine traditionnelle des vertus cardinales vienne croiser son propos20. L’usage pratique de notre âme consisterait ainsi à œuvrer selon la vertu, c’est-à-dire honnêtement, avec prudence, avec force et avec justice21. Mais, sur ce point, Dante s’en tient à Thomas qui soutient que, de même que la sagesse contient en elle les autres habitus spéculatifs, c’est à la prudence, tout en demeurant une vertu intellectuelle, de perfectionner l’ensemble des vertus morales22
20Pourtant la considération en son fond n’est pas inspirée par le seul aristotélisme : Cicéron, la Bible en la figure de Salomon, sont les vrais inspirateurs de la description d’une vertu qui vise toujours la perfection de l’homme, mais qui ne vient au premier plan que dans l’examen des fins politiques de l’homme.
21Plus encore, alors que, dans le livre III, Dante promettait une béatitude parfaite ici et maintenant par le biais des vertus intellectuelles23, dans ce livre IV la béatitude résulte de l’unité de la vertu active et de la vertu contemplative, qui seule porterait à son accomplissement l’élan initial du désir que nous avons reçu en naissant24. Mais loin d’apporter un accomplissement effectif, cette unité n’est en réalité qu’une position d’attente : seule, en vérité, la perfection purement intellectuelle nous permettrait d’accéder à notre perfection, mais Dante reconnaît soudain qu’elle est impossible ici-bas, du moins si on veut l’exercer sans mélange25.
22L’unité n’intéresse pas Dante le visionnaire, et c’est pourquoi il limite la portée de la prudence, qui pourtant permettait d’unifier l’intellect et le désir. Thomas, pour sa part, parvenait à faire la théorie de la prudence sans jamais renoncer à nos fins intellectives. Mais Dante a voulu un instant ces fins au-delà même de tous les accommodements de la prudence. Cette position de transgression est l’élan du Banquet et son ouverture vers l’avenir. C’est aussi son poids de drame.
23Ce drame était resté inconnu à Thomas dans la mesure où celui-ci n’a jamais soutenu que la perfection humaine pouvait se tenir dans l’ordre de la simple nature. Mais l’interprétation exclusivement philosophique de Dante, avec les diverses phases qu’elle manifeste, permet à tout le moins de souligner que l’exaltation moderne de la prudence ne répond pas à l’orientation radicale que Dante a discernée avec son temps dans l’œuvre d’Aristote. La prudence n’est jamais la vertu architectonique de l’éthique et Dante ne s’y adonne pas sans marquer sa différence avec la perfection conférée par l’intellect théorique, que ce soit pour en affirmer la réalisation ici et maintenant, ou pour en regretter le caractère inaccessible.
24Tel est l’enseignement fondamental de ce premier mouvement de notre analyse. Au moment où il s’attache à la prudence, Dante a presque déjà décidé d’interrompre la rédaction du Banquet, remettant alors entièrement en cause la conception du désir humain qui s’y exprimait. Dans la Comédie, la prudence reviendra en la personne de Salomon, figure de la prudence royale ou de la souveraineté, et Thomas, qui en fera l’éloge, ne manquera pas de montrer que cette prudence supérieure vaut tous les savoirs scientifiques, ceux de l’astronomie, ou ceux de la géométrie26. Alors Dante en effet pourra préférer la prudence à la vertu de science. Ce n’est pourtant pas parce qu’il aura, comme dans le Banquet, renoncé momentanément à la vision intellective, c’est qu’il aura choisi désormais d’obtenir la satisfaction de son désir en le soumettant aux dons de la Grâce27, c’est-à-dire à l’amour de Béatrice, que la Philosophie avait cru pouvoir supplanter dans le Banquet. Il sera alors plus près de Thomas et y gagnera la plénitude nécessaire à son œuvre ; il n’est pas sûr qu’il sera demeuré pour autant un sourcier de l’esprit aussi prophétique, lui qui, le premier, avait pressenti le passage de l’âge aristotélicien à l’âge platonicien.
II. POÈME OU SYSTÈME ?
25C’est à Thomas très certainement que Dante a repris l’insistance sur la pluralité des vertus dans l’unité de l’intelligence, quand il s’efforce d’éclaircir la notion de cette mente, de cet esprit, où l’Amour lui parle de sa dame :
En cette partie très noble de l’âme on trouve plusieurs vertus, comme dit le Philosophe surtout dans le sixième livre de l’Ethique, où il dit qu’en elle il y a une vertu qu’on appelle scientifique et une autre qui se nomme ratiocinante ou consiliative ; et avec ces vertus, il y a certaines vertus, comme le dit Aristote au même endroit, comme la vertu inventive et judicative. Et toutes ces très nobles vertus, et les autres qui se trouvent dans cette puissance très excellente, on les nomme toutes ensemble avec ce mot, dont on voulait connaître le sens : l’esprit (mente)28.
26En affirmant en effet l’unité de l’esprit dans la pluralité des vertus, Dante affrontait un argument sur lequel Thomas avait projeté une lumière singulière en rapprochant l’Éthique à Nicomaque et le De Anima29. C’est même le trait singulier de son commentaire que de se fonder sur ce rapprochement. Thomas voyait en effet une difficulté importante dès lors qu’on rapproche le passage de l’Éthique où Aristote distingue entre l’intellect scientifique (qui a pour objet le nécessaire) et l’intellect ratiocinatif (qui porte sur le contingent), et le livre III du De anima. Voici les raisons qu’il allègue30 :
Aristote dans le De anima partage l’intellect en intellect agent et en intellect possible. Le premier est celui qui fait tout, le second est celui qui devient tout. Or cette notion de totalité fait ici difficulté car elle s’oppose à la présente spécialisation des deux intellects dans le texte de l’Éthique.
Le contingent et le nécessaire sont comme le parfait et l’imparfait dans le genre du vrai. Mais c’est par la même puissance de l’âme que nous connaissons le parfait et l’imparfait dans le même genre ; c’est déjà vrai dans la sensibilité, combien plus dans la puissance intellective.
Plus une vertu est élevée, plus elle est unie. Or le sens perçoit à la fois l’incorruptible, les corps célestes, et le corruptible, les objets terrestres. À plus forte raison, la puissance intellective par rapport au nécessaire et au contingent.
Enfin la preuve avancée par Aristote n’est pas valide : il n’est pas vrai que la diversité générique des objets implique une diversité des puissances, puisque nous voyons bien des plantes et des animaux ; seule la raison formelle de l’objet peut distinguer les puissances. Or l’objet propre de l’intellect est l’essence, qui est commune à toutes les substances et à tous les accidents, même si ce n’est pas sur le même mode ; c’est pourquoi nous connaissons par la même puissance intellective la substance et l’accident. Pour la même raison, la diversité générique du contingent et du nécessaire ne requiert pas la diversité des puissances intellectuelles.
27On admirera la réponse souveraine de Thomas aux objections qu’il aura lui-même bâties : on peut connaître de deux façons le contingent, selon l’universel ou selon le particulier. Les raisons universelles du contingent sont immuables, et c’est pourquoi il y a science et démonstration à leur propos, comme le montre la Physique. Le contingent entendu en ce sens concerne l’intellect scientifique et c’est sur ce sens du contingent que sont fondées les objections.
28Mais le contingent peut être considéré aussi du point de vue de la particularité. C’est alors le lieu de la variation et l’intellect ne peut se tourner vers lui que par l’entremise des sens. C’est pourquoi il convient de placer, parmi les puissances sensitives, une puissance particulière, qui est la ratio particularis, ou cogitative, qui rassemble les intentions ou représentations particulières. C’est le sens de ce passage de l’Éthique et la raison pour laquelle le contingent est référé au conseil et à l’opération. Et c’est en ce sens qu’on peut soutenir que le nécessaire et le contingent se rapportent à des parties distinctes de l’âme rationnelle, car il est question ici de la distinction entre des universaux de l’ordre spéculatif et des particularités de l’ordre opératif.
29Cette distinction n’attente pas cependant à l’unité de l’âme rationnelle. Même la cogitative est une ratio, et le contingent pour la pensée ne s’oppose pas au rationnel comme le sensible à l’intelligible, mais comme un premier rassemblement des singuliers, c’est-à-dire comme une première abstraction opérée par l’imagination31 se rapporte à l’universel de la science. Plus loin Thomas reprendra encore cette question et perfectionnera sa réponse en disant que l’intellect pratique est un principe universel comme l’intellect spéculatif, mais qu’il se termine dans le particulier opérable. Le problème de l’agir n’est donc qu’un cas particulier du principe qui veut que « ratio universalis non movet sine particulari »32, la raison universelle ne meut pas sans objet particulier.
30Ainsi retrouve-t-on l’unité de l’âme soulignée par Dante à qui il ne fait pas de difficulté d’inclure ainsi une faculté du singulier, comme la cogitative, dans une âme rationnelle, dont il vient de dire qu’elle participe de la nature divine comme une « intelligence éternelle » :
car l’âme est tellement ennoblie dans cette puissance souveraine et dénuée de matière, que la lumière divine rayonne en elle comme dans un ange33
31Jamais pourtant Thomas d’Aquin n’aurait été si loin, lui qui soutenait que l’âme humaine et la substance séparée ne sont pas d’une même espèce34. C’était là de l’origénisme à ses yeux, Origène posant que les degrés dans l’ordre intelligible n’étaient qu’accidentels et dépendaient du seul usage de la liberté. Mais il faut plutôt soutenir selon son point de vue que notre âme intellectuelle n’est pas absolument noble, parce qu’elle demeure indéterminée et commune à de nombreux degrés d’intellectualité35.
32La signification de l’œuvre de Thomas commence à apparaître dans son parallélisme et sa différence avec celle de Dante : là où Dante passe, Thomas articule. Dante aura tiré une illumination d’Aristote, Thomas un système de médiations. Cette différence d’attitude n’est pas sans conséquence, elle partage deux fonctions supérieures de l’esprit : le théologien et le poète. Et pourtant l’un et l’autre ont maintenu le système des facultés de l’esprit : c’est pourquoi ils sont tous les deux, quoique chacun à sa manière, des visionnaires de la prudence. Mais Thomas limite le vol de l’âme, quand Dante s’en empare pour mieux répondre à notre désir de bonheur. Si de son côté Thomas choisit alors de s’attarder sur la prudence, c’est qu’elle est plus qu’une pièce de son système, elle devient un véritable symptôme.
III. LA PRUDENCE COMME SYMPTÔME : LES APORIES D’UNE PHILOSOPHIE SANS L’AMOUR
33Fidèle à Aristote, Thomas fonde l’éthique sur un accord nécessaire entre la droiture du désir et la raison vraie. Dans toute vertu morale il y a un signum moral qui est la fin, par rapport à laquelle la raison droite choisit le moyen terme adéquat et détermine la médiété de chaque vertu36. Tout dépend de la concordia37 qu’on peut établir entre la vérité et l’appétit droit. Mais qu’est-ce qui est premier, le désir droit ou la raison droite, et comment le désir peut-il être droit s’il n’est pas déterminé par la raison droite ? Il faut répondre que le désir est la fin, et que la fin est donnée par la nature, et la raison ne donne que les moyens de la fin :
Il est manifeste que la rectitude de l’appétit dans son rapport à la fin est la mesure (mensura) de la vérité de la raison pratique. Et selon ce point de vue la vérité de la raison pratique est déterminée selon son accord (concordia) avec l’appétit droit. Mais la vérité de la raison pratique demeure la règle de la rectitude de l’appétit à propos de ce qui est ordonné à la fin. C’est en cela qu’on appelle appétit droit ce qui suit ce qu’énonce la raison vraie38.
34Les paradoxes d’une doctrine qui associe désir et raison sans les faire sourdre d’un même amour semblent puissamment stabilisés par cette composition circulaire entre la mesure et la règle. Comme Thomas le dira dans la Somme, l’intellect pratique, même lorsqu’il s’attache au singulier, reste un intellect, parce qu’il se « conforme » à l’appétit droit qui lui donne l’universalité dont il a besoin pour être un intellect39. Il ne restera plus alors qu’à expliquer que si la fin, dans la représentation du sujet, est le principe et le terme, du point de vue de l’exécution, la fin est plutôt la conclusion, et ce qui est ordonné à la fin le moyen terme40.
35C’est dans ce contexte d’harmonie du désir et de la raison que la doctrine de la prudence prend toute sa valeur dans le thomisme. La grande différence entre Dante et Thomas gît bien en ce point : Dante passait par-dessus la prudence, Thomas s’y arrête dans son chemin vers la sagesse intellective et révèle que l’économie de la vertu repose sur sa fonction d’intermédiaire. Parce qu’il s’attache à la prudence, Thomas se montre un aristotélicien plus exact que Dante, mais peut-être s’engage-t-il alors dans des difficultés qui font les limites de sa doctrine. Si en effet la prudence relie la raison pratique et l’élection droite, on peut se demander si elle n’est pas plus un symptôme qu’une solution : elle avouerait le manque d’unité des facultés supérieures dans la doctrine aristotélicienne des vertus. Cette conséquence est plus sensible dans l’œuvre doctrinale et systématique qu’est la Somme Théologique.
36Après la théorie de la vertu en effet, Thomas dans la Somme entreprend de distinguer les vertus, et d’abord les vertus intellectuelles, et de déterminer leur rapport aux vertus morales. Quand il en vient à la distinction de la sagesse, de la science et de l’intellect, il n’envisage pas la prudence. Il lui faut passer par l’art, c’est-à-dire par la vertu de l’œuvre, non pas du côté de l’appétit qui en guide la réalisation, mais du côté de la chose réalisée. On peut alors en venir à la prudence. De la prudence il faut dire qu’elle n’a pas seulement la forme de la vertu qu’ont les autres vertus intellectuelles, mais qu’elle a aussi la forme des vertus morales41. Elle est donc double en son essence. La prudence, par ailleurs, se distingue des autres vertus intellectuelles par l’objet auquel elle s’applique, c’est-à-dire les êtres contingents, non pas ceux qu’on fait, mais ceux qui concernent le sujet de l’action42. C’est pourquoi elle est l’art de l’usage, qui suppose la considération des fins dont la rectitude dépendra de la rectitude du désir.
37Maintenant, si l’on s’efforce de mieux cerner la différence des vertus morales et intellectuelles, il faut bien jeter le masque et avouer l’intention profonde : lutter contre Platon. S’il y a des vertus qui ne sont pas morales, si, inversement, il faut maintenir les vertus morales à côté des vertus intellectuelles, c’est qu’il faut éviter le platonisme.
38Thomas décompose son attaque : d’abord il s’oppose à la thèse de Socrate selon lequel toute vertu est prudence. Socrate en effet, selon lui, réduisait la vertu morale à la prudence, une vertu intellectuelle, et semblait oublier la nécessité du point de vue du désir, ces fonctions se trouvant pourtant, disait déjà Thomas en commentant Aristote, « dans les parties différentes de l’âme »43. Mais il faut aller plus loin, et dire que les vertus ne sont pas davantage secundum rationem, comme le suppose le simple platonisme44, qui confie à la participation la tâche d’unifier le sujet entre son désir et sa raison. La vérité ne se trouve ni chez Socrate ni chez Platon : les vertus sont cum ratione45, c’est-à-dire accompagnées par la raison, selon un système des habitus et non pas dans un monde d’aspirations ou de valeurs.
39Nul n’est méchant volontairement, voilà la maxime fausse, qui ne reconnaît pas le primat du désir dans les fins morales, et l’éventuelle contradiction entre le désir et la raison. Socrate ne conduit pas son analyse de la vertu jusque dans les choix particuliers où le désir montre son caractère moteur. Tous ceux qui après lui confondent vertu morale et vertu intellectuelle sacrifient à un angélisme aussi faux que pernicieux.
40Non seulement les principes des actes humains sont deux, mais c’est l’homme tout entier qui est deux. S’il est nécessaire de faire la théorie de la prudence, c’est non seulement pour humaniser la doctrine des vertus, comme on le répète aujourd’hui, mais c’est surtout pour résoudre le problème de cette dualité architectonique scindant une anthropologie qui refuse au départ l’unité de l’amour et de la connaissance. Bien entendu, il serait facile de déceler ici l’influence de la doctrine théologique du péché. Constatons plutôt que c’est dans la critique aristotélicienne de Platon que se creuse la place pour ce qui sera un jour le péché. Ainsi, c’est une variation dans la notion de Bien qui rend possible l’introduction de la notion de péché dans le savoir de la raison46.
41C’est pourquoi Thomas s’empresse d’enrôler la prudence et de la compter à la fois parmi les vertus intellectuelles et les vertus morales47. Il peut alors repousser le stoïcisme qui se contente de contraindre le désir et non pas de le perfectionner, ce qui est l’effet inévitable d’un intellectualisme qui oublie la dualité de la morale et manque toujours d’habitus. Mais cette critique ne porte que parce que l’appétit est déterminé seulement comme fin et que toute forme de mimesis lui a été refusée, ce qui est peut-être vrai dans le cas du stoïcisme, mais est évidemment faux pour le platonisme.
42Ainsi Thomas peut-il affirmer qu’il n’y a pas de vertu morale sans les vertus intellectuelles, et c’est évidemment à la prudence d’assumer la fonction de liaison entre les deux côtés. La vertu morale peut bien se passer de sagesse, de science et d’art, mais jamais d’intellection et de prudence. L’intellect enseigne les principes naturellement connus, et la prudence, qui procède de cette intellection, enseigne l’ordination des moyens à la fin juste. La simple inclination sans vertu intellectuelle ne suffit pas, ce n’est qu’un commencement de la vertu. L’homme moral ne sera pas l’homme de désir platonicien, qui est homme dangereux, comme est dangereux un cheval aveugle : ce n’est pas d’ailleurs qu’il soit aveugle quant à la fin, mais il ne dispose pas d’un habitus de prudence qui fasse de son inclination un pouvoir et une vertu.
43Dante, sans être un “cheval fou”, était pourtant un homme d’inclination. On comprend peut-être mieux maintenant la signification de son intellectualisme outrancier : il a placé trop haut les fins de l’homme pour croire que la prudence suffise pour nous accomplir. L’homme ne s’unifie que dans sa perfection intellectuelle et son unité est celle de son âme rationnelle, qui, comme le dira la Commedia, tire à elle les facultés sensitives et en exerce l’acte48. Comme le disait déjà le Banquet :
Et cette âme, qui comprend toutes ces puissances et qui est la plus parfaite de toutes, c’est âme humaine49.
44Tel est l’humanisme de Dante, qui est un humanisme imprudent de la divinisation de l’homme. Par la naïveté de ses choix platoniciens, Dante traverse les solutions seulement techniques de Thomas et retrouve le seul principe unificateur de sa conception de la moralité : la courtoisie de l’amour. Pour comprendre le sens d’un tel amour, il faut en effet cesser d’opposer Socrate et Platon, et découvrir que l’intellectualisme socratique et l’amour platonicien ne sont que deux éléments d’une même conception du Bien intelligible, c’est-à-dire d’une fin qui n’est pas seulement cause, mais aussi proposition de participation.
45On admettra sans peine que la solution thomiste, aussi bien par son appui sur les bases textuelles de l’aristotélisme que par son refus d’un angélisme destructeur, présente une description satisfaisante de l’action morale. Elle a le grand avantage de s’achever sur un éloge de la prudence sans avoir rien renié des conditions de la félicité mentale et de la supériorité des vertus métaphysiques. C’est bien pourquoi elle a pu inspirer la lecture d’un Dante, qui a cherché en elle un chemin vers la perfection intellectuelle.
46Cependant cette perfection intellectuelle était aussi chez le poète un amour. La description statique de Thomas reste normative, du moins sur le plan de la pure nature, et elle ne peut rendre compte de l’usage qu’en fait Dante, qui fait prévaloir l’union intellective avec une féminité idéale sur l’ordre prudentiel. C’est qu’à l’intérieur même de l’aristotélisme un principe nouveau était en train de naître, ou plutôt de renaître : l’école de Platon. On se demandera longtemps comment l’amour de Béatrice a pu anticiper, à lui seul, en pleine culture médiévale, ce qui ne sera véritablement accompli qu’après l’œuvre de traducteur de Ficin. Mais ces retours qui déjouent toute attente appartiennent aussi à la magie du platonisme.
Notes de bas de page
1 Le Convivio est l’ouvrage inachevé que Dante a consacré, de 1304 à 1307, à sa conversion à la philosophie, sur la base d’une méditation renouvelée de l’Éthique à Nicomaque. Nous nous référerons constamment à l’édition suivante : Dante Alighieri, Opere Minori, I, II, Convivio (cité par la suite Conv. ; Vasoli pour les notes) a cura di Cesare Vasoli e di Domenico de Robertis, Riccardo Ricciardi Editore, Milano-Napoli, 1988.
2 Conv. III, XI, 14.
3 Sur cet événement essentiel, outre les travaux déjà anciens du P. Mandonnet sur Siger de Brabant, cf. Luca Bianchi, Il Vescovo et i Filosofi, La condanna parigina del 1277 e l’evoluzione dell’aristotelisme scolastico, Bergamo, 1990, ainsi que l’ensemble des travaux d’Alain de Libera.
4 Conv., IV, XIII, 6-8 ;
5 Conv., II, XIV, 14 ; IV, VIII. 1.
6 Thomas pour sa part lit ce texte fameux plus prudemment : « la science politique l’emporte sur la science spéculative selon le seul usage, mais non pas selon la détermination de l’œuvre propre de l’intelligence. », Thomas d’Aquin, In decem libros ethicorum Aristotelis ad Nicomachum exposito (cité par la suite In Eth.), cura et studio P. Fr. Raymundi, M. Spiazzi, O.P., Marietti, 1949, § 27. Au § 1185 Thomas distingue une primauté selon l’usage qui revient à la politique, et une primauté selon la dignité, qui ne revient qu’à la métaphysique.
7 Conv., II, XIV, 20-21.
8 Transmises par Albert dans son propre commentaire de l’Éthique, cf. Vasoli, p. 222.
9 Et là, Dante retrouve Thomas qui écrivait : « Parce que la sagesse est une espèce de la vertu en général, il en découle que, du fait que quelqu’un a la sagesse et agit conformément à elle, il est heureux. Mais le Philosophe parle expressément de la sagesse dans sa spécificité, parce que dans l’opération qui lui est propre, il y a une félicité plus forte, comme on le verra au livre X » (§1267).
10 Conv., II, XIII, 6, qui reprend Thomas aux § 139 et 1143 de son Commentaire, selon les indications de Cesare Vasoli, éd. cit., p. 218 (qui se réfère d’ailleurs ici à Étienne Gilson).
11 C’est-à-dire par extension des formes universelles aux formes particulières.
12 De Monarchia, I, III, 10.
13 Ce qui reprend Thomas au § 1145 commentant E.N., VI, 3.
14 Conv., I, I, 2.
15 Cf. Conv., IV, VI, 13-16, où le platonisme est présenté comme une phase préparatoire à la perfection de l’éthique d’Aristote : « dès lors que la perfection de cette morale fut déterminée par Aristote, le nom d’Académiciens se perdit, et tous ceux qui suivirent cette secte de philosophes sont appelés Péripatéticiens ; ces gens aujourd’hui dominent le monde en toutes ses parties par leur savoir, et on peut l’appeler une opinion quasiment catholique » (§ 16).
16 Conv., II, XIII, 6.
17 Conv., I, XIII, 3.
18 C’est l’objet de Conv., IV, XXVII.
19 Conv., IV, XVII, 8.
20 Sur la difficile coordination de l’enseignement d’Aristote et de la doctrine des vertus cardinales, cf. Summa theologien (cité par la suite S.T.), I II, 61, 1, et le prologue de II-II.
21 Conv., IV, XXII, 11.
22 Thomas, In Eth., § 2111.
23 Conv., III, XV, 7-10.
24 Conv., IV, XXII, 11.
25 Ibid., § 13. Cf. 18, in fine, où Dante avoue que la perfection n’est pas pour cette vie.
26 Purg., XIII, 96-104.
27 Concernant les vertus cardinales éclairées par la Grâce, les textes canoniques sont Purg. XXIX, 130-32, XXXI, 104-117.
28 Conv., III, II, 15-16 ; cf. E.N., VI, 2, 1139 a 11-15.
29 C’est déjà un trait caractéristique de ses commentaires à la Logique d’Aristote, ainsi ramenée à une noétique ; cf. In Peri hermeneias. § 1. et In Post. Anal., § 1 et 2.
30 In Eth. § 1118-1123.
31 Thomas insiste particulièrement sur la différence entre les sensibles propres, qui ne permettent pas d’accéder à la singularité objet de l’action, et l’intuition de l’extrême, nécessaire au jugement de singularité propre à la prudence. Cette intuition demeure toujours un « sensus interior quo percipimus imaginabilia », un sens intérieur par lequel nous percevons les images. Thomas la voit à l’œuvre dans le célèbre exemple aristotélicien de la perception du triangle, § 1214-1215, et il la caractérise au § 1255 comme un « jugement absolu des singuliers ». Au § 1249, développant cette théorie, Thomas met sur le même plan le sens intérieur, la prudence, la cogitative ou estimative, et finalement la raison particulière, pour les ramener à l’intellect comme faculté des principes dans l’ordre du singulier et du contingent, c’est-à-dire à l’intellect possible corruptible (où l’on retrouve une version plus poussée de la conciliation avec le De anima évoquée ci-dessus ; cf. Thomas d’Aquin, In De anima, § 745, où l’auteur rappelle la nécessité du phantasme dans la connaissance humaine). Selon In Eth., § 243 enfin, la tâche rationnelle de l’homme est toujours double : directement intellective et participative à l’intellect.
32 In Eth., § 1132.
33 Conv., III, II, 14.
34 Contra Gentiles, II, 94, cité par Vasoli, p. 310.
35 S.T., I, 75, 7, ad 2.
36 In Eth. § 1110.
37 Aristote emploie en 1139 a 30 l’adverbe ὁμολόγως (de façon accordée).
38 In Eth., § 1131.
39 S.T., I-II, 57, a5, ad 3. L’intellect pratique demeure une faculté principielle par le sens intérieur de la cogitative, mais il n’accède en vérité à l’universel que par la vertu morale.
40 In Eth., § 1232. Thomas retournera souvent sur ces problèmes. En S.T., I-II, 14, 1, ad 1, il souligne la nécessité d’une ordination réciproque des deux puissances de la moralité ; ainsi la volonté demande à la raison l’ordo, et le consilium demande quelque chose à la volonté, le motif de l’action. Il s’appuie alors sur la notion aristotélicienne d’intellectus appetitivus (E.N., VI, 2, 1139b4) et défend l’idée que la raison dans l’action est une ratio inquirens.
41 S.T., II-II, 47, 4c.
42 S.T., I-II, 47,5c.
43 In Eth., § 1282.
44 Thomas attribue explicitement cette thèse aux Platoniciens : « la vertu n’est pas selon la raison droite en tant qu’elle incline à ce qui est selon la raison droite, comme le pensèrent les Platoniciens », S.T., I II 58, 4, ad 3.
45 In Eth., § 1284-85.
46 Thomas cependant lie explicitement la théorie de la prudence et le péché : Est-ce que la prudence peut être dans les pécheurs ?, demande-t-il en S.T., II II, 47, 13, c, où il répond par la négative. On constate alors (ad 2) que la perfection que Thomas ne place pas dans l’amour platonicien de l’intelligible, il la trouve dans la foi. Pourtant même la forme de la foi ne consiste que dans une connaissance, précise-t-il, et seule la prudence finalement réunit la raison et l’appétit, qu’aucune faculté contemplative ne parvient à rassembler en un seul acte.
47 S.T., I-II, 58, 3 ad 1.
48 Purg., XXV, 73-75.
49 Conv., III, II, 12.
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Thémistius
Paraphrase de la Métaphysique d’Aristote (livre lambda)
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