Comment défendre les vertus de la pensée ?
Ethique a Nicomaque, VI, 13 (1143b18-1145a11)
p. 153-172
Texte intégral
1Au chapitre 13 du livre VI de l’Éthique à Nicomaque1, Aristote répond longuement à la question de savoir si les vertus dianoétiques, sagesse et prudence, sont utiles et, en particulier, si la prudence nous rendrait « plus pratiques2 ». Sa réponse est double : d’abord, même si les vertus ne font rien, nous devons les choisir pour elles-mêmes, parce que chacune est vertu d’une des deux parties de l’âme rationnelle ; mais ensuite les vertus font bien quelque chose3. On peut se demander ce que signifie le principe de cette double réponse, et donc aussi cette concession, envisagée sur le mode irréel, à propos du caractère « non pratique » de la prudence, pourtant constamment définie comme l’excellence ou la vertu de la pensée pratique.
Les apories
2Au début du chapitre, Aristote expose les quatre difficultés suivantes4 : (1) la sagesse ne porte sur rien de ce qui peut rendre un homme heureux. Son objet est, en effet, ce qui ne peut être autrement. Or la contemplation de ce qui est en dehors de la génération ne peut être utile au bonheur. La difficulté implique, d’une part, que seul l’objet de la contemplation peut rendre heureux et, d’autre part, que l’homme ne peut être rendu heureux par ce qui, soustrait au devenir, est hétérogène au composé humain. (2) Quant à la prudence, bien qu’elle ne porte que sur le contingent, seul objet possible d’une délibération5, elle ne sert à rien même dans son propre domaine. Savoir ce qui est juste, beau et bien ne nous rend pas « plus pratiques » (πρακτικώτεροι)6, dans la mesure où ce qui est juste, beau et bien relève de vertus éthiques et d’une habituation qui suffit à l’homme de bien, et non, comme Aristote le dit lui-même7, d’un savoir. Pose-t-on (3) que la prudence est utile pour devenir vertueux ? Mais, pour ceux qui ne sont pas vertueux, il leur suffira d’obéir aux hommes prudents, comme on obéit aux prescriptions de son médecin, et pour les autres, ils le sont déjà. Enfin (4), comment comprendre que la prudence puisse être à la fois inférieure à la sagesse (de par l’infériorité même de son objet, l’homme8) mais plus déterminante qu’elle, puisque, par ce qu’elle fait (ποιοῦσα), elle « commande et ordonne dans le domaine des choses particulières9 » ?
3Cette dernière question forme le second membre du dilemme ébauché aux lignes 1143b19-20 dans la première aporie. On peut le reconstituer de la manière suivante : la sophia ne fait rien de ce qui rend l’homme heureux ; quant à la prudence ou bien elle ne fait rien, ne rend pas plus pratique et est inutile ou bien elle fait, comme une technique produit, et alors, elle commande et destitue la sophia de son privilège. S’il ne sert à rien de contempler pour être heureux ; s’il ne sert à rien de connaître les vertus éthiques pour être « plus pratique » ; s’il ne sert à rien « d’apprendre » (μανθάνομεν, 1143b33) par soi-même la prudence – celle des autres étant suffisante –, à quoi donc effectivement servent ces deux vertus ?
4Cependant les quatre apories ne portent pas de manière symétrique sur les deux vertus de la pensée : dans les seconde et troisième difficultés relatives à la prudence, ce n’est pas son utilité au regard du bonheur qui est en jeu, mais au regard (2) de l’agir plus ou moins « pratique » qu’elle permettrait ou (3) du fait d’être soi-même prudent. Dans la seconde, il ne sert à rien d’être prudent ou de savoir ce qui est juste, beau et bon pour l’homme, il suffit de le faire (πράττειν, 1143b23) ; pour la troisième, il ne sert à rien d’être soi-même prudent. Les deux difficultés concernant la prudence sont beaucoup plus radicales que celle qui porte sur la sagesse : à travers son utilité pour la pratique, c’est l’essence de la prudence qui est en jeu. La prudence est mise en question comme le meilleur état (ἕξις) de la partie calculative ou délibérative, c’est-à-dire comme « état pratique10 » ; la sophia ne l’est pas en tant que meilleur état de la pensée contemplative. La prudence est jugée de trop ou inutile par rapport à la pratique ; la sophia est juste tenue insuffisante par rapport au bonheur et non en tant que vertu de la partie scientifique de l’âme. Reprocher à la prudence son inutilité pratique, c’est, en somme, comparer le statut du prudent, dans le domaine de l’action, à celui des sages, détenteurs d’un savoir certes « difficile » mais « inutile »11.
La double réponse
5Les développements que consacre Aristote à ces quatre difficultés se caractérisent, entre autres, par la répétition d’une double réponse. Au début de son analyse (1144a1-3), avant de montrer « l’utilité » des deux vertus dianoétiques, Aristote signale que, même si ces vertus ne servaient à rien, il faudrait encore les choisir en tant que vertus des deux parties de l’âme rationnelle.
(A) Disons donc d’abord (πρῶτον) qu’elles sont nécessairement à choisir pour elles-mêmes, puisque chacune est une vertu d’une partie <de l’âme>, même si aucune des deux ne fait rien. (εἰ μὴ ποιοῦσι μηδὲν μηδετέρα αὐτῶν). Ensuite (ἔπειτα), elles font (ποιοῦσι) non comme le médecin fait la santé, mais de la même manière que la santé < fait la santé12 >, la sagesse < fait > le bonheur.
6Et, presque à la fin du chapitre (1145a2-5) :
(B) Il est évident, même si la prudence n’était pas pratique (κἂν εἰ μὴ πρακτικὴ ἦν), qu’il la faudrait, comme elle est la vertu d’une partie < de l’âme13>, et qu’il n’y aura pas de choix préférentiel (προαίρεσις) droit sans prudence non plus que sans vertu : en effet, celle-ci fait faire la fin (ποιεῖ πράττειν), celle-là ce qui est en vue de la fin14.
7Il y a, entre ces passages, au moins deux différences : le premier introduit une réponse sur l’utilité des deux vertus dianoétiques par la concession qu’elles ne font rien. Dans le second passage, la concession « même si elle n’était pas pratique » ne concerne très clairement que la prudence. Ensuite, le premier emploie par deux fois le verbe ποιεῖν, le second, tout comme dans le développement des apories15, le verbe πράττειν (πρακτική) rapporté à la prudence. Pourquoi Aristote a-t-il donc recours à cette double réponse ? Quel sens faut-il attribuer à ce qui apparaît comme une surabondance16 pour tout dire inutile d’arguments ? Pourquoi ensuite Aristote y a-t-il recours à deux reprises ? Une chose apparaît d’emblée : on ne peut maintenir en même temps les deux affirmations, si elles sont toutes les deux à comprendre comme relevant d’un même niveau argumentatif. Ou bien les vertus dianoétiques font quelque chose, ou bien elles ne font rien : quel que soit le cas, l’un des deux arguments était inutile. La double réponse, la concession faite mais corrigée implique que l’un des deux membres de l’alternative soit faux et il semble qu’il faille penser que la première réponse est fausse.
Commentaires
8Les réponses données à ces questions impliquent d’abord une construction du texte : pour nombre de commentateurs, en effet, notre texte B résume et reprend A. La sagesse manque bien dans le second passage en 1145a2-5, mais l’on considère généralement qu’Aristote résume dans ces lignes le premier passage cité, 1144a1-3, qui est aussi tenu pour la première résolution des apories17
9Un indice que tel n’est pas le cas réside, outre dans l’absence de sophia, dans le fait que cette phrase ne termine pas le chapitre. La résolution de la quatrième et dernière aporie lui fait suite, celle justement dans laquelle l’utilité de la prudence (ποιοῦσα) risque de renverser les rapports de hiérarchie entre elle et la sagesse. Il ne s’agit donc pas pour Aristote de conclure tous ses développements par une reprise rhétorique (et partielle) du premier argument. Un autre indice réside en ceci finalement que dans le second passage, c’est πρακτικὴ et non ποιεῖν qui est employé.
10Ce second passage n’est donc pas, nous semble-t-il, une reprise du premier argument : le premier texte (A) s’attache aux rôles des deux vertus dianoétiques au regard du bonheur ; le second (B) est seulement la conclusion du second argument répondant aux apories (2) et (3) (1144a11-1145a2). Aristote ne traite pas exactement de la même question dans le premier et le second passage : le premier, abordant la question de l’utilité des vertus pour le bonheur, répond en substance, que les vertus « font » (d’un « faire » certes sui generis), tandis que le second, considérant comme acquis le rôle de la prudence dans le bonheur, porte sur le rôle de la prudence dans l’action.
11Pour ce qui est maintenant du sens de la double réponse, la difficulté est manifestement, pour les commentateurs, de concilier l’affirmation de la valeur intrinsèque et non-utilitaire des deux vertus dianoétiques, d’une part, et de l’autre, l’affirmation qu’en fait ces deux vertus « font » quelque chose. Le commentaire de Joachim18 est assez exemplaire de cette difficulté. Il écrit en exposant clairement la contradiction : « sophia and phronèsis, then, simply qua aretai, are intrinsically valuable, even if they produced nothing further. But the latter assumption is wrong19. » L’affirmation qu’elles ne produisent rien est donc fausse, mais Joachim l’a pourtant justifiée. Comment ? En se référant au chapitre où Aristote définit le bonheur de l’homme à partir d’une analyse de l’ergon, fonction ou œuvre, de son âme : « le bien humain réside dans une activité, ἐνέργεια, de l’âme selon la vertu, et s’il y en a plusieurs, selon la meilleure et la plus parfaite »20. Or au livre VI, Aristote a finalement déterminé quelles sont ces vertus – la prudence et la sagesse ; il peut donc dire, selon Joachim, que même s’il n’en résultait rien, elles posséderaient une valeur intrinsèque comme modes selon lesquels « le moi humain – le moi pensant – trouve sa meilleure expression ». Tricot21 et R.A. Gauthier22 reprennent cette interprétation : les deux vertus ont une valeur intrinsèque ; elles sont les plus hautes vertus ; enfin, comme l’écrit Gauthier « elles constituent à elles deux la perfection de l’homme, puisque l’homme, c’est l’intellect »23.
12Il nous semble qu’il y a dans cette interprétation plusieurs difficultés : d’une part, Aristote n’insiste pas, ici en tout cas, sur le statut éminent de la partie dianoétique qui justifierait le choix de la prudence et de la sagesse pour elles-mêmes. Aristote n’a d’ailleurs pas, au livre VI, engagé ses analyses sur le rapport entre le moi de l’homme et la pensée. Un autre texte de l’Éthique à Nicomaque nous suggère que ce pourrait être simplement en fonction de leur statut de vertu (et non de vertu de la pensée) que la prudence et la sagesse pourraient ne pas avoir à rendre compte de leur utilité. Ainsi Aristote emploie une méthode de réponse semblable dans son analyse du plaisir (X, 3, 1174a4-8). Pour dissocier les deux notions de bien et de plaisir, il montre qu’il y a des choses que l’on chercherait avec zèle, même si aucun plaisir ne devait en résulter : « voir, se souvenir, savoir (εἰδέναι), posséder les vertus » (1174a5-6). Nous les choisirions même sans espoir de plaisir parce que ce sont des biens en eux-mêmes. Aristote n’emploie pas ici l’exemple des vertus dianoétiques mais des vertus éthiques, qui ne sont donc pas moins dignes d’êtres désirées en elles-mêmes24.
13D’autre part, selon ces commentaires, l’on doit choisir pour elles-mêmes ces deux vertus parce qu’elles constituent « la perfection de l’homme ». Cependant on ne dira pas que cette perfection est à choisir pour elle-même, même si elle ne fait rien – ce qu’il faudrait dire si tel était le sens de l’argument. Aristote dit bien, en effet, qu’il faut choisir ces deux vertus même si la sophia ne rend pas heureux et même si la phronèsis ne sert à rien dans la pratique. Si l’on peut dire effectivement qu’Aristote reconnaît dans le passage que cite Gauthier (IX, 4, 1166a16-17), que la partie dianoétique, c’est-à-dire ce dont la sophia et la phronèsis sont les vertus, est « ce que chacun semble être », il reste à savoir si cela même n’implique pas que ces deux vertus fassent quelque chose, et, en particulier que la phronèsis soit pratique. De la même manière, Joachim, en citant les analyses du livre I, a bien impliqué aussi une forme d’activité et de « faire » : le bien humain ne réside pas dans une inactivité non plus que dans un ne rien faire, mais dans une activité de l’âme25. Or si tel est le cas, elles ne sont plus valables pour elles-mêmes, en tant que vertus de l’âme.
14La même question se pose à propos du commentaire proposé par Stewart. Il cite26 un passage du début de la Métaphysique27 dans lequel Aristote analyse la nature de la science recherchée et remarque que le moment de son apparition dans l’histoire, après que toutes les nécessités vitales eurent été satisfaites, est un signe du caractère non utilitaire, libre et désintéressé d’un tel mode de penser (φρόνησις) qui est donc à lui-même sa propre fin. La difficulté est évidemment que Stewart cite un des textes dans lesquels φρόνησις désigne la sophia et non la prudence telle qu’elle est justement décrite par Aristote au livre VI. Mais si le texte cité justifie que la sophia soit sa propre fin et ne vise en rien, par exemple, la satisfaction des besoins vitaux, il implique, pour Stewart, la même possibilité pour la phronèsis au sens où l’entend le livre VI : or peut-elle devenir sa propre fin, sans égard pour les besoins de la vie humaine ? Et la contemplation, même désintéressée, est-elle une manière de ne rien faire pour la partie scientifique de l’âme ?
Une argumentation dialectique ?
15Face à ces difficultés, on peut voir dans cette double réponse et, en général, dans l’ensemble du chapitre 13, une argumentation dialectique28. On pourrait en particulier reconnaître, comme le fait Burnet, dans le premier argument des deux textes A et B un des lieux du préférable analysé par Aristote29 : « Ce qui est souhaitable par soi-même est préférable à ce qui n’est souhaitable que par autre chose que soi-même » (116a29-30). De la même manière, prudence et sagesse, vertus de l’âme rationnelle, sont préférables, même si elles ne font rien, à ce qui produit quelque chose et n’est pas choisi pour lui-même. Cependant, on ne peut s’arrêter sur cette résolution puisque les vertus de la pensée font quelque chose. On pourrait alors supposer que ces deux vertus font partie de cette classe décrite par Platon30 des biens mixtes que nous aimons à la fois pour eux-mêmes et pour ce qui en résulte. Aristote connaît cette division (I, 4, 1096b8-26) et l’utilise dans sa critique de l’Idée du Bien. Il ne nous semble pourtant pas que les deux passages cités aient pour but de dessiner les contours d’une telle classe de biens à laquelle sagesse et prudence appartiendraient. L’objectif d’Aristote nous paraît tout au contraire être de sortir de cette tripartition pour mettre au jour le statut particulier de ces deux vertus. Il s’agit de montrer que les vertus font quelque chose sans les subordonner à ce qu’elles font ou encore de les rendre utiles (au bonheur et à la pratique) sans les instrumentaliser.
Un supplément d’analyse
16Pour mieux apprécier, à la fois le sens de cette double réponse et de sa répétition, revenons au statut du chapitre 13 ainsi qu’au niveau propre des apories développées.
17Le chapitre s’ouvre sur cette question : « A leur sujet, on pourrait se demander à quoi elles sont utiles (διαπορήσειε […] τί χρήσιμοί εἰσιν31. » C’est la première fois dans le livre VI qu’Aristote a recours à ce mode de progression diaporématique, consistant à parcourir les difficultés rencontrées afin de ne pas marcher à l’aveugle et d’être à même de savoir aussi quand elles seront résolues32. Ce qu’il y a ici de surprenant est que cette exploration des difficultés n’intervient ni au début ni au milieu des analyses sur la prudence et la sagesse mais à la fin, alors même que les développements précédents se terminaient par une phrase de conclusion qui donnait à penser que le chemin avait été entièrement parcouru : « Ce que sont donc prudence et sagesse, sur quoi porte chacune, et qu’elles sont vertu chacune d’une partie de l’âme, cela a été dit33. » La résolution de l’aporie de l’utilité apparaît donc comme un développement supplémentaire, une « fiche » en plus, si l’on veut, rattachée après coup aux analyses du livre V134.
18C’est à ce titre sans doute que ces analyses paraissent ou bien anticiper très largement sur ce qui va suivre et être « en avance », celle par exemple concernant le rapport entre contemplation, acte, et bonheur35 ; ou bien revenir sur des éléments déjà donnés. Ainsi, comme on l’a déjà remarqué36, la compréhension de la prudence impliquée par les apories (2) et (3) marque une régression manifeste par rapport aux analyses établies à la fin du chapitre 12. Elle est explicitement mise en scène comme un savoir (εἰδέναι, 1143b24) du juste, du beau et du bon pour l’homme comparé par deux fois à l’art médical (1. 27 et 32), savoir des choses saines. La plupart des caractères de la prudence déjà mis au jour sont ainsi laissés de côté. L’emploi de phronèsis en 1144a12 le montre bien. Aristote y reprend une des questions initiales : « à propos du fait que nous ne serions rendus en rien plus pratiques “par la prudence des choses belles et justes” (διὰ τὴν φρόνησιν τῶν καλῶν καὶ δικαίων), il faut reprendre un peu plus haut en prenant ce principe ». La φρόνησις est ici non vertu mais savoir ou connaissance de quelque chose. Or dans l’ensemble du livre VI, φρόνησις ne commande aucun complément direct au génitif qui indiquerait son objet de savoir37 mais, de manière plus indirecte, Aristote la fait porter sur un domaine : περὶ τὰ ἀνθρώπινα, « sur les choses humaines38 », domaine jamais maîtrisable comme un objet parce que c’est celui, singulier et contingent, non de la connaissance mais de ma délibération présente. De façon encore plus explicite, la question même posée à la prudence (rend-elle ou non plus pratique ?) manifeste une forme d’ironie à l’égard de la prudence qui a été initialement et constamment définie comme pratique par essence : la prudence n’a pas seulement pour objet le général, mais aussi le singulier πρακτικὴ γάρ, « elle est en effet pratique39 ».
La question de l’utilité
19L’ensemble des analyses du chapitre 13, en avance ou en retard sur le reste du livre, apparaît donc comme un supplément au livre. Elles sont en plus, voire en trop, en se situant plutôt au seuil de l’entreprise éthique qu’en son milieu, parce qu’elles posent en fait une question extérieure à l’éthique : la question de l’utilité des vertus de la pensée.
20Ainsi posée, en effet, la question n’a pas de sens ou a déjà une réponse. Il entre, en effet, dans la définition même de la vertu telle qu’elle est donnée par Aristote40 d’indiquer à quoi elle sert : la vertu définit à la fois la perfection de l’objet et ce qui lui permet de bien faire ce qu’il fait. Les vertus de l’œil, du cheval ou de l’homme rendent bon ce dont elles sont vertus et lui permettent de bien accomplir son œuvre ou sa tâche41. Les vertus ou excellences assurent à la fois le caractère complet et achevé de leur objet et, indissociablement, son bon fonctionnement, c’est-à-dire l’excellence de ce que fait l’objet. La détermination de la vertu d’une chose commence par la considération de son ergon, « de ce qu’elle est seule à faire ou fait le mieux »42. Il n’y a donc pas de vertu de ce qui ne fait rien ou serait dépourvu d’ergon : un tel objet n’existerait pas non plus. La prudence et la sagesse portent à leur perfection chacune des deux parties de l’âme et, en même temps, « servent » à accomplir au mieux ce pour quoi est faite chacune de ces deux parties de l’âme. Dire qu’il faut choisir les vertus dianoétiques, « même si elles ne font rien », c’est donc considérer que l’ergon de ces deux parties de l’âme est insuffisant à définir leur utilité et celle de leur vertu.
21Ce n’est donc pas au regard de la fonction de la partie dont elles sont l’excellence qu’est posée la question de leur utilité, mais au regard d’autre chose. Ce n’est pas selon l’usage de la possession ou puissance seconde, mais selon leur utilité nécessairement extrinsèque. Mais s’interroger sur l’utilité des deux vertus dianoétiques, c’est aussi les réduire au statut de moyens : on ne choisit pas ce qui est utile pour lui-même, mais pour une fin à laquelle il est utile43. C’est du même coup s’engager dans un processus de progression ad infinitum qui subvertit le statut même de la vertu44 : si les vertus sont utiles à quelque chose, elles deviennent des objets d’usage qui tirent de la manière dont on en fera usage leur valeur. Or peut-on dire que l’on fait usage de la prudence et de la sagesse ? Car qui dira l’usage des vertus-utilités sinon d’autres vertus ? Il y aura ainsi une vertu des vertus dianoétiques, c’est-à-dire une vertu qui saura user des vertus dianoétiques. Si la prudence ou la sagesse étaient utiles au bonheur, si la prudence était utile à la pratique, il reviendrait au bonheur ou à la pratique de faire usage de la prudence et de la sagesse. Prudence et sagesse seraient ainsi secondes par rapport aux fins, le bonheur et la pratique, dont elles seraient les instruments ou les causes productrices. En posant la question de l’utilité des vertus dianoétiques, c’est l’ensemble du problème des biens en soi et pour autre chose et des degrés du préférable qui est ainsi posé. C’est à partir du sens de cette question de l’utilité et de sa difficulté spécifique que le procédé de la double réponse rencontre, nous semble-t-il, son sens.
22La question de l’utilité est celle, en effet, dont Aristote joue tantôt comme point de départ de l’interrogation éthique, tantôt comme l’expression d’une préoccupation servile et « utilitariste ». Il serait faux de croire que l’utilité est un critère absolument impertinent dans le domaine de la pratique : c’est en un sens par lui qu’Aristote commence l’Éthique à Nicomaque45 comme l’Éthique à Eudème46. Dans ce dernier texte47, Aristote résume ainsi une de ses critiques contre la thèse platonicienne selon laquelle le souverain bien, τὸ ἄριστον, serait l’Idée du Bien, ἡ ἰδέα τοῦ ἀγαθοῦ : « Ensuite, même s’il existe des Idées et l’Idée du Bien, elle n’est absolument pas utile (οὐδὲ χρήσιμος) pour la vie bonne non plus que pour les actions ». L’Éthique à Nicomaque précise ce qu’il faut comprendre par cette inutilité de l’Idée du Bien : Aristote admet par hypothèse qu’il existe un bien conçu comme prédicat commun de tous les biens ou comme bien en soi séparé ; or un tel bien, dans cette hypothèse, ne serait « accessible ni à l’action de l’homme ni à sa possession48 », ce qui est précisément ce que recherche l’Éthique. Aristote envisage ensuite un second argument : on peut certes admettre, par hypothèse encore, que l’utilité de l’Idée du Bien ne soit pas immédiate mais indirecte, que l’Idée du Bien ne soit pas en elle-même un bien utile mais seulement, tel un modèle qui nous permettrait de mieux les connaître et de mieux les atteindre, en vue des biens accessibles à la pratique et à la possession de l’homme. Mais le simple fait que les sciences et les arts ne cherchent pas à connaître l’Idée du Bien dément cette seconde hypothèse : s’ils se désintéressent d’un tel secours (βοήθημα), c’est qu’il ne leur est d’aucun avantage (τί ὠφεληθήσεται) : l’objet d’arts tels que la médecine est, en effet, l’individuel, non une Idée dont la contemplation ne rend ni « plus médecin » ni « plus général » (ἰατρικώτερος, στρατηγικώτερος, 1097 a 10). L’analogie avec l’argumentation du chapitre 13 du livre VI est frappante : la prudence non plus, lui est-il reproché, ne rend pas « plus pratique ». Il serait donc tentant de voir dans les quatre apories du livre VI sur l’utilité des vertus dianoétiques comme une revanche prise par des élèves de Platon à partir des arguments anti-platoniciens d’Aristote lui-même, comme si Aristote était pris au piège de l’utilitarisme où il croyait prendre Platon49
23Il nous semble cependant qu’il faut chercher ailleurs le sens de cette aporie de l’utilité des vertus dianoétiques. Avant d’être, en effet, une objection faite par Aristote à Platon, la question de l’utilité se détermine aussi plus simplement comme la question de l’opinion à la philosophie, de ce sens populaire dont il est arrivé à Aristote de se réclamer tout au long du livre VI, mais qui cette fois-ci, en un sens, l’embarrasse50. C’est ainsi qu’elle apparaît comme l’un des critères traditionnels du genre « protreptique », du genre qui conseille de suivre la vie philosophique. Le chapitre 13 de l’Éthique à Nicomaque nous semble donc moins répondre à des élèves de Socrate ou Platon qu’à l’opinion, voire à l’opinion de l’homme prudent lui-même51.
Un second protreptique ?
24Aristote articule explicitement cet argument de l’avantageux (τὸ συμφέρον) et le but du protreptique ou, en général, du conseil au début de son chapitre d’analyses sur le bien dans la Rhétorique52 et il l’implique à chaque moment de son Protreptique53. Jamblique, dans un texte dont certains extraits sont d’ailleurs attribués au Protreptique d’Aristote et qui se donne comme une défense des mathématiques, expose les quatre requisit du genre protreptique54 : ce qui est conseillé est-il utile et avantageux ? est-il possible à acquérir ? est-il le plus grand des biens ? est-il, enfin, d’un accès facile ?
25Ces quatre questions sont risquées pour la philosophie, parce qu’elles l’introduisent, mais dans l’horizon des coordonnées mêmes de l’opinion : elles sont censées permettre de répondre aux inquiétudes de non-philosophes sur l’intérêt et la facilité de la vie philosophique ; elles se situent donc résolument à l’intérieur de la pensée et du vocabulaire du néophyte, mais elles doivent déjà recevoir la réponse d’un philosophe. Telle est la difficulté du genre protreptique : satisfaire les questions de l’opinion sans céder à ses intérêts ni défigurer le sens de la sophia ou de la phronèsis. Entre les deux, la différence réside dans la manière d’envisager les modalités de « l’échange » dont parle Platon55 : en adoptant la vie du philosophe, il ne s’agit pas d’échanger des passions devenues trop insupportables contre d’autres plus douces ; une telle logique de l’échange, guidée par le calcul de l’utilité de la tempérance ou du courage au regard de mes passions, serait « servile » (Phéd., 69b ; Protreptique, B 25). Il s’agit d’accéder à ce qui est, du point de vue de l’opinion, le moins utile, la phronèsis et la sophia, mais pourtant, philosophiquement, la condition du reste, ce sans quoi les vertus ne sont qu’une « apparence » (σκιαγραφία). Comment faire ? C’est-à-dire comment indiquer le mode d’utilité propre de ce qui ne produit rien, mais agit et est à ce titre la condition du reste ? Ce que nous avons appelé « la double réponse » à propos de l’Éthique à Nicomaque pourrait être ce moyen et semble caractériser, en fait, l’ensemble de la structure argumentative des textes regroupés sous le titre du Protreptique56.
26Les arguments du Protreptique manifestent, en effet, un double mouvement démonstratif : d’un côté, son auteur insiste sur l’autosuffisance de phronèsis et de sophia, qu’il faut choisir même si rien n’en découle ; de l’autre, sur leur utilité pour la vie. Le balancement entre deux groupes de fragments (B 42-45 et B 46-50, par exemple) illustre ce double mouvement que l’on peut retrouver au sein d’une même phrase (B 41, B 51). Aristote critique ainsi dans un premier moment (B 42) le ridicule de ceux qui posent la question de l’utilité à propos de tout et de n’importe quoi (τί χρήσιμον;) sans distinguer entre les biens (τὰ ἀγαθά), qu’il faut choisir pour eux-mêmes, si rien même n’en découle et ce qui est nécessaire à autre chose (τὰ ἀναγκαῖα) et toujours poursuivi pour autre chose. Leur erreur est de confondre le bien, la cause finale, et ses conditions (τὰ συναίτια), de mettre sur un même plan la santé et la gymnastique, ou la fin et ce qui est seulement en vue de la fin57. Mais, après avoir établi cette distinction, l’auteur conserve dans un autre passage (B 46) l’argument de l’utilité et démontre l’avantage extrême de la pensée théorique (ἡ θεωρητικὴ φρόνησις) pour la vie humaine.
27Il ne s’agit ni d’une rétractation ni d’une contradiction, mais d’une manière de sortir du piège tendu par la question de l’utilité à la philosophie qui ne peut y répondre littéralement sans se défigurer. Le geste d’Aristote ne consiste donc pas tant à répondre, même contradictoirement, à la question de l’utilité des vertus, qu’à déplacer les catégories dans lesquelles se meuvent les objections, celles de l’utile comme ce qui fait quelque chose ou produit et de l’inutile comme ce qui ne fait rien, celles, plus fondamentalement, de « faire » et « ne rien faire » : il s’agit en d’autres termes de montrer comment une vertu peut agir sans rien faire.
28Le premier sens de cette double réponse nous paraît donc lié à ce que l’on pourrait appeler des problèmes de réception spécifiques au discours protreptique ; mais, plus fondamentalement, si ce balancement est possible, c’est que le sens de la sagesse, de la prudence, de la pensée pour l’homme est intrinsèquement difficile à saisir. S’il n’est pas difficile de distinguer la différence de statut, par rapport à la fin et au désir de la santé et de la gymnastique, ce l’est davantage dans les cas de la vie et de la pensée, du bonheur et de la sagesse, de la pratique et de la prudence.
29Replacées dans leur contexte protreptique, les deux occurrences de la double réponse cherchent à faire entendre deux choses : d’une part le mode d’utilité paradoxale des vertus dianoétiques au regard du bonheur ; d’autre part et peut-être surtout, l’essence de la phronèsis : elle ne peut se comprendre dans le langage technique d’une plus ou moins grande efficacité ; son sens le plus fondamental est celui de condition de la pratique en général, c’est-à-dire de la vie humaine58. Dans les deux cas, le vocabulaire de l’utilité dans lequel les questions sont formulées est impertinent. La double réponse a pour but de le montrer.
L’utilité paradoxale de l’acte
30On doit donc penser qu’il n’y a aucune contradiction entre les propositions successives : « elles sont à choisir, même si elles ne font rien ; mais elles font. » Il n’est pas vrai, comme le pense Joachim, que la proposition « elles ne font rien » soit fausse. Elle est, en un sens, vraie : les vertus dianoétiques ne font rien. Tout comme la proposition suivante : « mais elles font » est, en un sens, fausse. Les vertus dianoétiques ne font rien et font. Les deux propositions sont toutes les deux vraies ou toutes les deux fausses. L’articulation entre « d’abord » et « ensuite » (πρῶτον – ἔπειτα59) n’est pas à comprendre comme la succession de deux arguments, ou résolutions distinctes, qui subsisteraient l’un et l’autre mais comme deux moments introduisant à la manière qu’a la sophia d’être utile au bonheur, au mode d’agir de la sophia : c’est-à-dire à l’être en acte. Si la sophia ne fait rien, c’est seulement que son mode d’agir est incomparable avec celui d’un art, comme la médecine, capable de produire la santé ; si elle « fait le bonheur » (1144 a 6), c’est par le fait d’être en acte.
31L’explication d’Aristote est à la fois difficile, si l’on cherche en quoi la sophia exactement rend heureux, et insuffisante, si l’on attend dans ces trois lignes (1144a3-6) un résumé des analyses du livre X (chapitres 6 à 10) sur le bonheur. Car ce n’est pas l’acte en tant que tel ou n’importe quel acte qui rend heureux, mais c’est pourtant ce à quoi Aristote se limite ici (1144a6). Dans ce premier développement, Aristote décrit, en effet, seulement à celui qui pense en termes d’utilité, comment peut exister une utilité qui ne soit ni production ni mouvement inachevé. L’utilité paradoxale de l’acte est de faire sans rien produire, de rendre heureux sans rien produire d’extérieur à lui-même. C’est parce que la contemplation est un acte qui intrinsèquement rend heureux qu’elle est à choisir nécessairement pour elle-même. Si elle faisait, ce qu’elle ferait ou produirait serait davantage à choisir qu’elle-même60. Le second argument (ἔπειτα, 1144a1) explique donc le premier (πρῶτον, 1144a3) bien loin de s’y opposer.
Une prudence qui ne serait pas pratique
32Mais Aristote a recours une seconde fois à cette double réponse, à propos de la prudence seulement. Elle conclut les deux longs développements (1144a11-b1 et 1144b1-1145a1) qui se donnaient pour but explicite de répondre à la deuxième aporie, pragmatique et utilitariste, de nouveau annoncée en 1144a11-13 et étayée ailleurs61 par Aristote lui-même. La troisième difficulté portant sur l’utilité d’être soi-même prudent, semblait alors oubliée, mais Aristote y répond en fait dans le même mouvement. Dans ces deux développements, la réponse d’Aristote est, là encore, décalée : le Philosophe, en effet, ne résout pas explicitement la deuxième aporie ; il bouleverse au contraire de nouveau les coordonnées de la question elle-même, en mêlant trois problématiques distinctes. Il substitue, en effet, au problème de la supériorité dans l’action efficace de l’homme prudent (qui était le thème de l’aporie initiale), les questions de la constitution de l’action vertueuse (1144a11-b1), et, plus fondamentalement encore, des conditions de cette constitution (1144b1-b17). Au terme de cette régression62 (du pragmatique à l’éthique et de l’éthique à ses conditions de possibilité), la phronèsis est devenue la condition d’une possession proprement humaine de la vertu. Du même coup, c’est bien plutôt à la troisième aporie que répond en fait Aristote : en dehors de toute action et donc de toute réussite pratique, la phronèsis est bien ce qu’on ne peut se contenter de voir agir chez autrui, puisqu’elle est même la condition de l’action humaine en général.
33Ces deux derniers points de vue, qui récusent la pertinence de l’aporie initiale, se rencontrent en un sens mais peuvent, nous semble-t-il, se différencier assez nettement : d’un côté, se trouve la question (éthique) du caractère droit ou non de la prohairesis. Vertu éthique et dianoétique sont alors associées dans une poièsis de la droiture de la fin et des moyens respectivement (1144a6-11, 20-22, 29-34 ; 1145a4- 6). Mais, et d’un autre côté, Aristote s’intéresse moins à la droiture du choix préférentiel qu’à sa condition de possibilité, en d’autres termes à l’essence de l’action humaine. Il ne s’agit plus tant alors de décrire comment la vertu donne à la prudence sa fin que de montrer comment elles se constituent mutuellement ou sont mutuellement condition de possibilité l’une de l’autre. De l’un à l’autre, on est passé de la question de la constitution de l’action vertueuse à une analyse de la composition de l’action humaine qui aboutit, au moyen de deux variations, à deux consciences successives d’impossibilités63 : d’une part la prudence sans vertu, de l’autre la vertu sans prudence. Alors que pour répondre économiquement à l’aporie, il aurait suffi de montrer que la prudence ajoutée à la vertu rendait plus pratique, Aristote décompose le tout de la prudence et de la vertu pour en extraire ses composants : l’habileté (δεινότης), puissance des contraires, espèce de la prudence abstraction faite de la vertu (1144a23-24) et la vertu naturelle (1144b3), espèce de la possession de la vertu proprement dite, abstraction faite de la prudence.
34Dans un premier temps, Aristote met donc dans l’habileté, le bénéfice de l’efficacité comme telle : ce n’est pas la phronèsis elle-même qui rend « plus pratiques », mais l’habileté, c’est à dire à la fois une espèce et une composante de la prudence. Du même coup, c’est la prudence elle-même qui s’évide ou perd sa signification pragmatique au profit de l’habileté. La seconde variation dévoile un sens, déjà décrit64, de la prudence, celui de νοῦς (1144b9, 12) qui donne finalement à la phronèsis le statut de condition de la pratique. La vertu n’est la condition que de la droiture de l’habileté ; la prudence est la condition pour que nous possédions d’une autre manière (1144b7) des vertus que nous possédons toujours déjà de manière naturelle. Cette « autre manière » est décrite au moyen de deux comparaisons : comme l’effet de l’apparition du νοῦς sur les vertus naturelles (et dangereuses) d’enfants ou de bêtes sauvages ; comme l’effet de la vue sur un corps robuste65 mais aveugle. De la même manière, le νοῦς provoque un changement « dans l’agir » (ἐὰν δὲ λάϐη νοῦν, ἐν τῷ πράττειν διαφέρει, 1144b12-13) : il ne fait pas entrer dans l’agir, ce qui serait naître et venir au monde, mais il est à l’origine d’un changement pour qui est déjà au sein de celui-ci. Prise en ce sens, la prudence peut bien ne pas nous rendre « plus pratiques », nous en avons encore effectivement besoin (1145a3) : elle est beaucoup plus qu’utile pour la pratique ; elle est aussi beaucoup plus qu’un instrument de la pratique66 : elle est, comme vertu, ce à partir de quoi l’usage de tous les instruments devient possible.
Comment défendre les vertus de la pensée
35Plus d’un dialogue de Platon se donne pour tâche de répondre à la question : pourquoi être vertueux ? Ce chapitre 13 rencontre la question, plus limitée, en un sens : quand on possède déjà les vertus éthiques, pourquoi posséder en plus les vertus dianoétiques ? Question simple mais qui oblige Aristote à faire rapidement allusion à la théorie de l’acte, à « reprendre les choses au début67 » à propos des rapports entre vertu et prudence et à mettre ses propres résultats dans une certaine continuité avec ceux de ses prédécesseurs, Socrate en particulier, ainsi qu’avec la précompréhension que l’on a généralement du sujet68. Aristote anticipe d’un côté sur les analyses du livre X sur la contemplation et le bonheur69 et d’un autre, reprend depuis le début la question de la prudence du côté de sa constitution et de son histoire. Contre la question de l’utilité, il s’est agi, comme le remarquait Eustrate, de se livrer à une forme « d’apologie » ou de défense des vertus de la pensée70, c’est-à-dire surtout à une critique de la catégorie de l’utilité. L’exercice aurait donc pu être le même que celui du Protreptique. Il ne l’est pas mais la question est pourtant la même : à quoi bon la sagesse ? à quoi bon la prudence ? est-ce que cela sert vraiment dans la vie pour réussir et être heureux ? Aristote ici n’a pas cherché à démontrer que sophia ou phronèsis seraient utiles. Comme dans le genre protreptique, l’argumentation a consisté moins à énumérer les utilités des deux vertus de la pensée pour convaincre, qu’à faire disparaître la question elle-même en montrant qu’en un sens on est déjà soi-même sur la voie de ce qu’on questionne : la sagesse ne sert pas au bonheur, elle est le bonheur ; la prudence n’est pas un supplément71 permettant à l’homme de bien de réussir mieux dans la pratique ; l’action de l’homme de bien est impossible sans prudence. Il était donc prudent sans le savoir.
Notes de bas de page
1 Toutes les références sans autres indications renvoient à l’Éthique à Nicomaque dans l’édition de I. Bywater, Oxford, 1894. Nous utiliserons les traductions traditionnelles de sagesse pour σοφία et de prudence pour φρόνησις, en dépit de leurs ambiguïtés. Cf. P. Aubenque, La prudence chez Aristote, P.U.F., 1963, pp. 1-3, 29, 36 ; et « la prudence aristotélicienne porte-t-elle sur la fin ou sur les moyens ? », Revue des Études grecques, LXXVIII, 1965, pp. 41, 49-51. Voir aussi la note de V. Décarie (20, pp. 49-50) dans sa traduction de l’Éthique à Eudème, Paris, Vrin, 1978.
2 1143b21-28 et 1144a11-13.
3 1144a1-6 ; 1145a2-6.
4 1143b18-35.
5 1140a30-33.
6 Nous conservons provisoirement cette traduction qui est, en un sens, fausse. Πρακτικώτεροι serait dans les trois occurrences de 1143b24 et 27 et 1144a11 à traduire comme le fait par exemple Greenwood (Aristotle Nicomachean Ethics, Book Six, Cambridge, 1909, p. 117) : « we are not therefore in a better position to perform them » ou : « de savoir ce qui est juste, beau et bon, nous ne le faisons pas mieux <que l’homme de bien >. » Mais il y a un jeu de mots de la part d’Aristote entre ces occurrences du comparatif de πρακτικός dans VI, 13 et les autres dans le même livre. Les premières, attribuées aux hommes, dénotent la qualité de celui qui est particulièrement à l’aise au sein des contingences de l’action (comme sont les « hommes d’expérience », même s’ils sont ignorants, 1141b4-18) ; les autres, renvoyant à la prudence, désignent le caractère de ce qui se rapporte au domaine contingent pour y faire quelque chose qui est une fin en soi, ou bien, s’appliquant aussi à l’activité théorétique, à ce qui est une fin en soi en général. Sur ce sens élargi, voir Pol., VII, 9, 1325b16
7 II, 3, 1105b1-5.
8 VI, 7, 1141a20-22 : l’homme n’étant pas ce qu’il y a de « meilleur des choses qui sont dans le monde », la prudence qui porte sur les biens pour l’homme n’est pas non plus la science la plus digne d’être recherchée ; cf. aussi X, 7, 1177b26-27. Cf. R. Brague, La Question du monde chez Aristote, P.U.F., 1988, pp. 205 sqq.
9 1143b35.
10 Ce qui est une partie de la définition même de la prudence, VI, 5, 1140b5-6, 20-21 ; 8, 1141b16, 21.
11 VI, 7, 1141b7.
12 Nous suppléons avec Burnet (The Ethics of Aristotle, Methuen & Co., Londres, 1900, p. 283) ou A. Gauthier (R.A. Gauthier et J.-Y. Jolif, L’Éthique à Nicomaque, II, 2, Louvain-Paris, 1959, pp. 544-546), ὑγίειαν ou τὸ ὑγιαίνειν ποιεῖ.
13 1145a3 : nous conservons la lecture de la plupart des mss., διὰ τὸ τοῦ μορίου.
14 Nous ne reviendrons pas sur la question longuement débattue de la répartition des rôles entre vertu éthique et prudence eu égard à la détermination de la fin et de ce qui est en vue de la fin. Pour un résumé du débat, voir par exemple D.J. Allan, « Aristotle’s account of the origin of moral principles » (=1953), repris dans Articles on Aristotle, ed. by J. Barnes, M. Schofield et R. Sorabji, vol. 2, Duckworth, 1977, pp.72-78 ; de même, P. Aubenque, op. cit., pp. 28-29. – Pour ce qui est du second texte cité (B), il pose plusieurs questions, en particulier celle de savoir à quoi renvoient les pronoms ἣ μὲν, ἣ δὲ (1145a5). Comme le remarque A. Kenny, Aristotle’s Theory of the Will, Duckworth, London, 1979, pp. 104-105, il est nécessaire de comprendre que prudence et vertu éthique sont reprises mais en chiasme.
15 1143b24 et 27, πρακτικώτεροι.
16 Ainsi Eustrate (Ethica Nicomachea Commentaria, ed. G. Heylbut, C. AG., vol. XX, Berlin, 1892) note au terme de son commentaire de la première réponse (387, 34) : « ensuite il argumente ἐκ περιουσίας que <les vertus dianoétiques> produisent aussi le bonheur [...] », c’est-à-dire « par surcroît », « en plus », sinon « comme un luxe ».
17 Ainsi Burnet, p. 287, « a resumption of the first lusis » ; R.A. Gauthier et J.-Y. Jolif, p. 559 ; J. Tricot (Éthique à Nicomaque, Vrin, 1987) parle (p. 313) d’une « récapitulation de ce qui a été dit supra, 1144a1 ».
18 The Nicomachean Ethics, ed. by D.A. Rees, Oxford, 1951, pp. 217-218.
19 « σοφία et φρόνησις, donc, simplement, en tant que ce sont des ἀρεταί, ont une valeur intrinsèque, même si elles ne produisent rien de plus. Mais cette dernière affirmation est fausse. » (Op. cit., p. 217).
20 1, 6, 1098a16-18.
21 Op. cit., p. 308.
22 Op. cit., p. 542.
23 Op. cit., p. 542
24 Pour Eustrate (387, 16-18), c’est en tant qu’elles sont simplement des vertus que prudence et sagesse sont à choisir pour elles-mêmes. « Le syllogisme serait le suivant : la sagesse et la prudence sont des vertus, les vertus sont à choisir en elles-mêmes, il faut donc choisir la sagesse et la vertu. »
25 La simple possession de la vertu sans rien en faire en acte, mais à titre de possession ou de puissance seconde, ne peut être tenue pour un bien (I, 3, 1095b32, 1096a1).
26 Notes on the Nicomachean Ethics of Aristotle, Oxford, 1892, II, p. 98. – Ramsauer (Ethica Nicomachea, Leipzig, 1878, p. 416) propose, quant à lui, une explication différente et assez fine fondée sur le caractère d’autosuffisance reconnu au bonheur : c’est parce qu’elles ne font rien que les deux vertus dianoétiques doivent être choisies pour elles-mêmes et sont requises pour la vie heureuse qui n’a besoin de rien qui lui soit extérieur. Ramsauer, embarrassé aussi par l’ajout « et pourtant elles font quelque chose », doit cependant reconnaître que la prudence et la sagesse ne sont pas des biens extérieurs comme les autres mais sont au contraire « liées au bonheur d’un lien beaucoup plus pur ». En d’autres termes le caractère de haireton en soi d’abord reconnu aux vertus dianoétiques est une façon de mettre sur la piste du rapport qu’elles entretiennent véritablement avec le bonheur et qu’Aristote précise à la phrase suivante. (1144a3-5).
27 Mét., A 2, 982b24.
28 C’est ce que suggère par exemple Burnet à propos de l’ensemble des argumentations de l’Éthique à Nicomaque, op. cit., p. 283 ; Greenwood s’y refuse en citant d’ailleurs notre chapitre (op. cit., p. 136). C’est aussi l’interprétation de Dirlmeier (Aristoteles, Nikomachische Ethik, Akademie Verlag, Berlin, 1967, p. 468) pour lequel « l’intérêt logique prédomine » dans VI, 13.
29 Topiques, 116a29-116b, texte établi et traduit par J. Brunschwig, Paris, Les belles Lettres, 1967.
30 Rép., II, 357a-d, ed. by J. Adam, Cambridge, 1963. La division est faite entre trois espèces de biens : les biens recherchés pour eux-mêmes, « tels que se réjouir et les plaisirs inoffensifs », pour eux-mêmes et leurs conséquences, « comme penser (φρονεῖν), voir et être en bonne santé », enfin, seulement pour leurs conséquences, « comme faire de la gymnastique, être soigné quand on est souffrant, soigner et les autres commerces. »
31 1143b18
32 Met., B, 995a24-b4.
33 1143b14-17.
34 La construction du chapitre est elle-même particulièrement délicate. L’exposition des apories précède leur résolution mais il y a au moins deux « nouveaux départs » ou approfondissements. La résolution pourrait s’achever en 1144a11, mais elle reprend en a12 et b1 : « Il faut de nouveau examiner la vertu. » Sur ces « nouveaux départs », voir P. Aubenque, « Sur la notion aristotélicienne d’aporie », dans Aristote et les problèmes de méthode, Louvain-Paris, 1961, pp. 16-18.
35 1144a1-6, nous y reviendrons plus loin.
36 Ramsauer, op. cit., p. 415 ; de même Dirlmeier, op. cit., p. 468. L’ensemble de l’argumentation néglige volontairement à la fois la détermination centrale de la prudence comme vertu de la bonne délibération tout comme son orientation vers l’avenir, et les résultats acquis en II, 3. Les résolutions apportées aux apories de 1105a17 sqq. auraient pu également convenir pour celles de VI, 13 (2 et 3) mais sont laissées de côté.
37 Sauf en 1141b14-15 : « la prudence n’est pas seulement du général, mais il faut aussi connaître les choses particulières (οὐδ’ ἐστιν ἡ φρόνησις τῶν καθόλου μόνον) », mais dans un passage où Aristote reconnaît justement une infériorité dans l’action à ceux qui savent sur ceux qui ne savent pas mais ont de l’expérience.
38 1141b8.
39 1141b16
40 II, 5, 1106a15-24, dans la lancée de la définition platonicienne de l’excellence (Rép., 352e sqq.).
41 II, 1, 1129b29.
42 Rép., 352e1 ; E.N., I, 6, 1097b24-33.
43 Eustrate s’arrête sur le sens de cette utilité, p. 386-87. Voir aussi sur l’utile I, 3, 1096a7 ; 4, 1096a26, VIII, 2, 1155b19 .
44 Voir le commentaire de l’Anonyme (C. AG., XX, pp. 176-177) à propos des analyses sur la libéralité de IV, 1, 1120a4 sqq. : « C’est le propre de ce dont il y a usage que l’on en use bien ou mal ; or la richesse fait partie des choses utiles ».
45 I, 4, 1096 b31-1097a14.
46 A, 8,1217b23-25. Nous citons d’après l’édition de F. Susemihl, Teubner, Leipzig, 1935.
47 Cf. « Multiplicité et unité du bien selon EE, I, 8 », E. Berti, Untersuchungen zur Eudemischen Ethik, V Symposium Aristotelicum, 1971, pp. 157-184.
48 1096b33-34.
49 C’est implicitement l’interprétation de A. Gauthier qui ne renvoie pas cependant à I, 4 (op. cit., p. 540). En général, du fait également de la référence à Socrate et au problème classique de l’unité des vertus, les commentateurs ont vu, dans ce dernier chapitre du livre VI, une « explication » entre Aristote d’un côté, Socrate et Platon de l’autre. Voir par exemple l’excellent Ethics with Aristotle, (Oxford University Press, 1991) où S. Broadie commente (p. 257) ces deux chapitres en y lisant, ce qui y est aussi d’ailleurs, une critique de la conception platonicienne de la sagesse pratique comme technique spécialisée réservée à ceux qui gouvernent la cité. Eustrate (384, 18-31) voit au contraire dans l’ensemble de ces deux chapitres une réfutation des accusations portées à l’encontre des deux vertus dianoétiques par « les imbéciles » : « ceux qui écartent < ces vertus > et les dénigrent par inaptitude à leur égard ou nonchalance. » (I. 20-21)
50 La détermination du sens de la phronèsis se fait à partir de la considération de l’usage courant du mot (VI, 5, 1140a24-25, par exemple) et l’on a souligné avec raison (P. Aubenque, op.cit., pp. 23 sqq.) le retour d’Aristote à un sens populaire et préphilosophique de la phronèsis ; le chapitre 13 revient justement sur les difficultés philosophiques de ce point de départ.
51 Si l’on voulait mettre un nom propre sur cette opinion, celui d’Isocrate se présenterait naturellement : la question de l’utilité de la vie théorétique et des vertus de la pensée est au centre d’un débat entre Isocrate et tantôt Platon, tantôt Aristote. Cf. I. Düring, « Aristotle in the Protrepticus », dans Autour d’Aristote, Louvain, 1955, pp. 81-99. On pourra se reporter en particulier au Sur l’échange d’Isocrate §§ 84, 262, 272, 284, C.U.F., Paris, 1991.
52 1, 6, 1362a15-21
53 Nous utiliserons l’édition de I. Düring, Aristotle’s Protrepticus, An attempt at Reconstruction, Acta universitatis Gothoburgensis, XII, Göteborg, 1961.
54 Cf. Düring, B 31 ; de même. De Communi mathematica scientia, ed. Festa, Teubner, Leipzig, 1891, 79, 15-83, 5 ; Walser (Aristotelis dialogorum fragmenta, Florence, 1934, 5b et 8) et Ross (Aristotelis fragmenta selecta, Oxford, 1955, 5a) attribuent une partie au Protreptique d’Aristote qui en serait la source. Voir les remarques de Düring, pp. 207-210. La question de l’utilité deviendra par la suite une des questions directrices posées à chacun des traités d’Aristote dans les introductions des commentaires néoplatoniciens à ses œuvres (voir Simplicius, Commentaire sur les Catégories, trad. commentée sous la direction de I. Hadot, Brill, 1990, pp. 16, 26). C’est ainsi la question que pose Eustrate au début de son commentaire de l’Éthique, pp. 1, 25 ; 3, 31. De même à l’intérieur des traités d’Aristote, Topiques, I, 7, 101a25- 101b4 ; Rhétorique, I, 1, 1355a21-b 7.
55 Phédon, 69a-b, ed. Burnet, Oxford, 1900. Comme le remarque A. Gauthier (op. cit., p. 555), Aristote s’y réfère explicitement en 1144b13, à propos du statut de la vertu dite naturelle dépourvue de la phronèsis.
56 S. Mansion avait proposé de distinguer dans le Protreptique deux niveaux d’argumentation, chacun représenté dans des fragments différents : l’un, superficiel et visant à éliminer les préventions, répondrait aux quatre questions traditionnelles ; le second insisterait sur la valeur intrinsèque de la philosophie d’où découlerait secondairement utilité pratique et joie. Il nous semble que ces deux niveaux ont tous les deux également recours à la double réponse. (Cf. « Contemplation and action in Aristotle’s Protrepticus », pp. 56-75, dans Aristotle and Plato in the mid-fourth century, éd. par I. Düring et G.E.L. Owen, Göteborg, 1960).
57 Voir aussi sur l’utile, le nécessaire et le bien : Pol., VII, 13, 1333a33-b5 ; VIII, 2, 1337b4 ; 3, 1338b2-3.
58 Cf. VI, 2, 1139a18-20 ; E.E., B, 6, 1222b20 ; Pol. I, 2, 1254a8-9 ; De Coel. B, 12, 292a21.
59 1144a1 et 3.
60 Il peut exister par ailleurs une utilité « par accident » des sciences théorétiques telles que l’astronomie ou la géométrie pour des besoins vitaux. Cf. Éthique à Eudème, A, 5, 1216b11-16.
61 VI, 8, 1141b16-18, les gens d’expérience qui ne savent pas sont « plus pratiques » que ceux qui savent.
62 1144b6-17.
63 Formellement, on pourrait les rapprocher de celles expérimentées par Platon au début du Philèbe (20b-21b), passage cité d’ailleurs par Aristote (X, 2, 1172b28- 35) : il s’agit alors pour Socrate de montrer à Protarque que le concept qu’ils ont tous les deux du bien implique dans sa définition autosuffisance, perfection et désirabilité universelle. Or tel n’est ni le cas du plaisir (bien en lui-même insuffisant puisqu’on y pourrait ajouter en supplément la pensée, φρόνησις, indispensable pour seulement savoir si l’on a ou non du plaisir et se le rappeler) ni de la φρόνησις elle-même (nul, sauf les dieux, ne souhaitant vivre sans plaisir).
64 VI, 9 1142a23-30 ; 11, 1143a35 sqq.
65 Ce « robuste » renvoie sans doute à E.E., θ, 1, 1246b34 : « le mot de Socrate est vrai que rien n’est plus puissant (ἰσχυρότερον) que la φρόνησις. »
66 Pol. 1323b7-8, un instrument est ce qui est utile pour quelque chose.
67 1144a12-13.
68 1144b18, 24 : μαντεύεσθαι.
69 X, 7, 1177a18 qui renvoie, entre autres, à notre chapitre.
70 p. 387, I. 2.
71 On retrouve formellement la même démarche en Pol., V, 9, 1309b9-18. Après avoir énuméré les trois qualités des hommes d’État, Aristote se demande « s’il y a compétence et attachement au régime, qu’est-il besoin de la vertu ? (τί δεῖ τῆς ἀρετῆς). Car ces deux qualités suffiront pour servir l’intérêt commun ». (trad. de J. Aubonnet, Paris, « C.U.F. », 1973, II, 2). La troisième vertu n’est pas un supplément mais est aussi la condition des deux autres.
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Thémistius
Paraphrase de la Métaphysique d’Aristote (livre lambda)
Thémistius Rémi Brague (trad.)
1999
« L’art de bien lire »
Nietzsche et la philologie
Jean-François Balaudé et Patrick Wotling (dir.)
2012
L’Idée platonicienne dans la philosophie contemporaine
Jalons
Sylvain Delcomminette et Antonio Mazzu (dir.)
2012
La fêlure du plaisir, vol. 2
Études sur le Philèbe de Platon II. Contextes
Monique Dixsaut (dir.)
1999
La connaissance de soi
Études sur le traité 49 de Plotin
Monique Dixsaut, Pierre-Marie Morel et Karine Tordo-Rombaut (dir.)
2002
L’Euthyphron de Platon
Philosophie et religion
Platon Jean-Yves Chateau (éd.) Jean-Yves Chateau (trad.)
2005