Être de bon conseil et savoir écouter
Éthique à Nicomaque, VI, 10-11
p. 117-135
Texte intégral
1C’est une brève subordonnée circonstancielle, dans une phrase du chapitre 11, qui est probablement l’indication la plus éclairante sur l’articulation de ce chapitre avec celui qui le précède :
Tout comme comprendre (μανθάνειν) se dit « suivre » (συνιέναι) quand on use de sa science, il en est de même1 dans le cas où on use de son opinion pour juger des matières qui font l’objet de la prudence, si c’est un autre qui parle.
1143a13-15
2Cette mention du locuteur est la clé de l’articulation des deux chapitres, consacrés l’un à l’ εὐϐουλία, l’autre à la σύνεσις2. L’ εὐϐουλία, en effet (j’y reviendrai plus longuement), c’était, avant Aristote, ce qu’enseignait Protagoras, lequel la définissait comme ce qui permettrait, à qui en prendrait des leçons, non seulement de bien administrer sa propre maison, mais aussi (et peut-être surtout) d’être, « dans les affaires de la cité, le plus capable tant d’agir que de parler »3. La σύνεσις au contraire, nous lisons plus loin dans le même dialogue (et toujours dans la bouche de Protagoras) que c’est ce qui rend l’enfant éducable : « dès que l’enfant suit (συνιῇ) ce qu’on lui dit », nourrice, mère, etc., lui font la leçon4. Certes la σύνεσις dont traite Aristote ne consiste pas, ou en tout cas ne se réduit pas, à recevoir passivement des leçons, puisque pour lui συνιέναι c’est juger (1143a14, 16). Aussi bien le dialogue platonicien qui sert d’arrière-fond à son explicitation de la σύνεσις n’est-il pas le Protagoras, mais l’Euthydème : l’indication d’Aristote, que μανθάνειν se dit συνιέναι quand on use de sa science, est un emprunt quasi littéral au passage où Socrate explique à Clinias que les deux frères Euthydème et Dionysodore se sont joués de lui grâce au double sens de μανθάνειν : apprendre, quand on acquiert un savoir ; comprendre, quand, l’ayant déjà acquis, on s’en sert dans l’examen de ce que quelqu’un fait ou dit. Reste que dans ce cas aussi, la σύνεσις appartient à la posture du spectateur ou de l’auditeur, contrairement à l’εὐϐουλία qui, elle, est une vertu de qui prend l’initiative d’agir et de parler. Εὐϐουλία, donc, bonne manière de parler – on ne s’étonnera pas que le sophiste en fasse la matière de son enseignement ; σύνεσις, bonne manière d’écouter.
3L’une et l’autre, ensuite, sont proches de la prudence (φρόνησις)5. Avec la prudence, elles ont en commun de n’être pas des sciences6. En outre, de la σύνεσις, Aristote dit expressément qu’elle « concerne les mêmes objets que la prudence », à savoir « ceux sur lesquels il arrive qu’on se trouve dans l’embarras et qu’on délibère »7 (1143a6-7) ; pour ce qui est de l’εὐϐουλία, il conclura le chapitre qui lui est consacré en disant qu’« il appartient aux hommes prudents (τῶν φρονίμων) d’avoir bien délibéré (τὸ εὖ βεϐουλεῦσθαι) » (1142b31- 33). Il ne fait d’ailleurs là que réitérer la thèse qui, par deux fois déjà dans le cours du livre VI, lui a servi de point de départ pour traiter de la prudence :
Il semble bien qu’il appartient à l’homme prudent d’être capable de délibérer comme il faut (καλῶς βουλεύσασθαι)8 sur les choses qui sont bonnes et utiles pour lui. (VI, 5, 1140a25-27)
Nous affirmons que c’est cela surtout qui est l’acte de l’homme prudent : bien délibérer (τὸ εὖ βουλεύεσθαι). (VI, 8, 1141b9-10)
4Et puisque, de la prémisse du chapitre VI, 5, il résulte que « de façon générale, celui qui s’entend à délibérer (ὁ βουλευτικός) sera prudent (φρόνιμος) » (1140a30-31), au chapitre VI, 8, c’est l’homme prudent, le φρόνιμος, que dénote l’expression ὁ ἁπλῶς εὔϐουλος, « celui dont on peut dire sans plus de précisions qu’il délibère bien » (1141b12-13) : au chapitre VI, 10, n’est-ce pas alors tout simplement de prudence qu’il est question sous le nom d’εὐϐουλία ?
5Cela ne va pas sans poser un problème d’interprétation, puisque, dans la même phrase de conclusion du chapitre 10, la prudence est désignée comme « l’appréhension vraie de la fin » (1142b34) : or, Aristote n’enseigne-t-il pas par ailleurs qu’on ne délibère que sur les moyens, pas sur la fin ? La prudence dans ce cas ne saurait se confondre avec cette vertu délibérativé qu’est, comme son nom suffit à l’indiquer, l’εὐϐουλία. Quant à la σύνεσις, à peine Aristote lui a-t-il assigné les mêmes objets qu’à la prudence, qu’il affirme que « σύνεσις et φρόνησις, ce n’est pas la même chose » (1143a7). Quel rapport entretiennent donc entre elles σύνεσις et εὐϐουλία, et, surtout, quel rapport entretient chacune d’elles avec la prudence ? C’est ce que le commentaire de ces deux chapitres devrait dégager.
I.
6Dans les dernières lignes du chapitre 9 (1142a24-31), Aristote explique pourquoi « la prudence n’est pas une science » (1142a24) : c’est parce qu’elle a pour objet le terme qu’on atteint en dernier9 (τοῦ ἐσχάτου), « dont il n’y a pas de science, mais une perception » (1142a27-28). On aura peut-être quelque mal à penser que la prudence, pis encore l’intelligence, si l’on accepte cette traduction pour φρόνησις, ne soit rien d’autre qu’une perception. C’est sans doute pourquoi Aristote corrige aussitôt : pas la perception des sensibles propres, c’est-à-dire celle qui relève de chaque organe sensoriel, mais celle « par laquelle nous percevons que le terme dernier, parmi les objets mathématiques, est (sc. par exemple) un triangle » (1142a28-29). Et encore, précise Aristote, cette perception mathématique, « est davantage perception que la10 prudence, et elle en11 est une autre espèce ».
7Le même jeu d’assimilations et de différenciations sert, au début du chapitre suivant, à caractériser l’εὐϐουλία, qu’il permet de contraster point par point avec la φρόνησις. Ayant défini l’objet de ce nouveau chapitre, « comprendre, au sujet de l’εὐϐουλία, ce qu’elle est » (1142a32-33), Aristote déclare aussitôt de façon péremptoire : « Science, voilà bien ce qu’elle n’est pas » (1142a34). Mais ce n’est pas cette fois, comme la prudence, parce qu’elle serait perception ; c’est parce qu’« on ne cherche pas ce qu’on sait » (1142a35), et que l’εὐϐουλία, étant une délibération, est une recherche : « celui qui délibère, indique en effet Aristote, cherche et suppute (ζητεῖ καὶ λογίζεται) » (1142b1-2). Mais, de même que, à peine avait-il subsumé la prudence sous la perception, Aristote avait dû admettre qu’elle n’est perception qu’en un sens faible ou peut-être dérivé (elle est moins perception que la perception des objets mathématiques elle-même), de même maintenant, ayant placé l’εὐϐουλία du côté de la recherche par opposition à la science, il lui faut aussitôt préciser que cependant « chercher et délibérer diffèrent : car délibérer, c’est une façon particulière de chercher »12, une espèce du genre « chercher », pourrait-on dire, ou du genre « recherche », tout comme la prudence n’est qu’une espèce (et encore, une espèce qui a moins que d’autres titre à appartenir à ce genre) du genre « perception ».
8Qu’en conclure ? À première vue, εὐϐουλία et φρόνησις appartiennent à des genres différents : ce sont donc des vertus, ou des qualités, tout à fait étrangères l’une à l’autre ; ce qui ne va pas sans paradoxe : on imagine volontiers un Socrate mettant en difficulté Aristote au lieu de Protagoras, en l’interrogeant sur ce que peut bien être la prudence de quelqu’un qui délibère mal, ou – Aristote lui-même use de cet argument dans la suite du chapitre – sur ce que peut avoir de bon la délibération d’un homme dépourvu de prudence... Gardons cependant en mémoire l’observation que nous avons faite plus haut, qu’Aristote n’assigne pas sans réserve, chacune à son genre, εὐϐουλία et φρόνησις. C’est en un sens faible du mot « perception » (plus faible même que lorsqu’on l’applique à la perception des objets mathématiques, elle-même plus éloignée sans doute de la perception proprement dite que la sensation des propres qui est le fait des organes sensoriels) que la prudence peut être désignée de ce nom, c’est-à-dire rattachée au genre ainsi nommé ; parallèlement, si délibérer, c’est chercher, ce n’est qu’une certaine façon de chercher, ce n’est chercher qu’en un certain sens. Dire, par conséquent, que la φρόνησις est une « perception », et l’εὐϐουλία une « recherche », ce ne sont que des façons de parler. Quelle en est la justification ? Il est difficile, dans ce passage, d’en trouver une autre que ce que εὐϐουλία et φρόνησις ont de commun : n’être ni l’une ni l’autre une science. En d’autres termes, ce n’est pas tant que εύϐουλία et φρόνησις appartiennent, celle-ci au genre « perception », celle-là au genre « recherche », en vertu de leur nature intrinsèque ; le point est plutôt que, par comparaison avec la science, l’une paraît devoir être rangée plutôt du côté de la perception, l’autre plutôt du côté de la recherche. Plus qu’une appartenance problématique à des genres différents, c’est leur exclusion commune du genre « science » qu’Aristote paraît soucieux d’établir. Cherchons d’abord à comprendre pourquoi.
9Revenons sur notre première remarque : l’εὐϐουλία, dont il est fait mention dans ce seul chapitre de l’Éthique à Nicomaque, lequel pour cette raison peut apparaître comme un chapitre mineur ou accessoire, ce n’est rien de moins que ce qu’enseignait Protagoras. Dans le Protagoras de Platon, en effet, prié par Socrate de dire quel profit le jeune Hippocrate retirera de sa fréquentation, Protagoras répond que les autres sophistes enseignent calcul, astronomie, géométrie, musique – c’est-à-dire précisément, au moins dans le cas du calcul et de la géométrie, ce qu’Aristote appelle des sciences –, alors qu’auprès de lui, Protagoras,
ce qu’on apprend, c’est à bien délibérer [ou : l’art de bien délibérer, εὐϐουλία13] sur les affaires domestiques [ou : sur ses propres affaires], de manière à administrer au mieux sa propre maison, et sur les affaires de la cité, de manière à être, dans les affaires de la cité, le plus capable, tant d’agir que de parler.
Prot., 318 e 5-319 a 2
10Ce n’est donc pas une petite chose, et Socrate le reconnaît aussitôt : « à mon avis, répond-il, c’est de l’art politique que tu parles ». Or, au premier chapitre de l’Éthique à Nicomaque, Aristote indique que la science à laquelle il incombe de déterminer quel est pour nous le plus grand bien (τὸ ἄριστον, I, 1, 1094a22), c’est « une sorte de politique (πολιτική τις) »14 – la raison en étant que
quoique le bien humain soit identique pour l’individu et pour la cité, le mieux et le plus parfait est manifestement d’entrer en possession et de veiller à la conservation de celui de la cité.
1094b7-9
11Sans doute « le bien humain » (1094b7) dont parle Aristote n’est pas la Forme du Bien dont parle Platon au livre VII de la République. Mais la raison qui lui fait nommer « Politique » la science qui détermine en quoi consiste ce bien humain, c’est pourtant la même que celle invoquée par Socrate pour se lancer dans la description d’une cité idéale, quand il affirme qu’entre la justice dans l’âme individuelle et la justice dans la cité, il n’y a qu’une différence d’échelle. À la plus grande facilité invoquée par Socrate se substitue chez Aristote la plus grande perfection, donc en réalité la subordination du bien individuel au bien public : cela ne nous met pas forcément très loin de Platon.
12Bien loin, donc, d’être une « vertu intellectuelle mineure15 », l’εὐϐουλία est un point où Aristote se rencontre – et dire qu’il se rencontre, c’est dire probablement qu’il se mesure – avec l’enseignement de Protagoras et celui de Platon. Je ne dirai pas que le chapitre qui lui est consacré est le plus crucial de toute l’Éthique à Nicomaque, mais que sous ce mot se dissimule un des enjeux du traité aristotélicien. C’est un des noms, en réalité, sous lesquels il s’agit de l’objet même du traité et du statut de ce qui y est enseigné.
13Or la première chose qu’affirme Aristote au sujet de l’εὐϐουλία contredit en propres termes Platon.
14« Science, d’abord, voilà bien ce qu’elle n’est pas » (1142a34), avons-nous déjà lu.
15Platon, dans la République :
L’art de bien délibérer (ἡ εὐϐουλία), il est clair que c’est une science. Car ce n’est certainement pas par ignorance, mais par science, qu’on délibère bien16.
Rép. IV, 428b
16Cette science, qui « vaut à la cité le nom de sage » (428c5)17, n’est celle d’aucun des artisans ; c’est une science qui délibère sur « la cité tout entière », c’est la science « gardienne » : c’est donc celle des gardiens. C’est donc à la science des gardiens que la cité doit le nom de sage, et inversement aux seuls gardiens qu’il appartient d’avoir part à la sagesse (σοϕία)18. Comme le relève pertinemment E. Chambry19, c’est sous le nom de φρόνησις que cette σοφία figure plus loin dans la récapitulation des vertus de la cité (433b-c). Ainsi voyons-nous déjà en place le réseau terminologique que va reprendre Aristote : de l’εὐϐουλία à la φρόνησις, et de celle-ci à la σοφία ou à l’ἐπιστήμη, nous voyons que Protagoras et Thrasymaque peut-être, Platon, par la bouche de Socrate ou d’Alcibiade, et enfin Aristote parlent le même langage. S’ils ne disent pas la même chose – si leurs thèses ou leurs doctrines ne sont pas les mêmes –, ils parlent de la même chose.
17La rareté du terme, chez Platon comme chez Aristote, invite d’ailleurs à penser que la valeur et la définition de l’εὐϐουλία sont d’abord un topos sophistique. On peut bien imaginer, en effet, que pour Protagoras l’εὐϐουλία soit science : Protagoras ne dénierait certainement pas que les bénéficiaires de son enseignement deviennent savants – « science ou homme savant, dit-il dans le Théétète (166d), il s’en faut de beaucoup que je nie qu’il y en ait ». Mais le partage entre science et non-science, pour Protagoras, ne coïncide pas avec le partage entre vérité et erreur, ni même entre science et opinion : pour lui, comme on le sait, toutes les opinions sont vraies, aucune n’est plus vraie qu’une autre, et il n’y a que des opinions. La science (toujours selon le Théétète20) consiste dans la capacité de procurer à autrui des sensations ou des opinions meilleures, c’est-à-dire dont il se trouvera mieux : on comprend immédiatement comment cette science peut avoir pour nom propre εὐϐουλία, l’art, non pas de prendre, mais de faire prendre les bonnes décisions, de bien délibérer, c’est-à-dire d’intervenir d’une manière appropriée dans la délibération, l’art d’être de bon conseil.
18Dans la mesure où, chez Platon, le philosophe – en tout cas le philosophe de la République21 – dispute au sophiste le titre de politique, il est logique de voir Platon revendiquer pour lui l’εὐϐουλία. La liaison εὐϐουλία – ἐπιστήμη (σοϕία) garde donc tout son sens, mais science désigne évidemment chez Platon tout autre chose que chez Protagoras ; en particulier, qualifier l’εὐϐουλία de science signifie désormais l’arracher à l’opinion – et avec elle, bien entendu, la φρόνησις : tout l’antiplatonisme d’Aristote est engagé à la fois dans sa doctrine de la φρόνησις, et dans le premier point énoncé par Aristote en réponse à la question « qu’est-ce que l’ εὐδουλία ? », à savoir qu’elle n’est certainement (δή) pas science (1142a34).
19Ainsi, pour résumer, la thèse platonicienne, que l’εὐϐουλία est science, est une manière de s’opposer à Protagoras, pour qui toutes les opinions sont vraies et pour qui l’εὐϐουλία n’est qu’un des noms de l’art de la parole, une façon d’en faire entendre l’importance et le titre à être considéré comme la science par excellence ; et la thèse aristotélicienne, que l’εὐϐουλία au contraire n’est pas science, c’est une façon de contredire Platon contredisant les sophistes ; une façon de contredire les sophistes autrement que Platon ; de contredire à la fois Platon et les sophistes.
20S’il contredit Platon, Aristote, le fait a déjà été souligné22, le contredit ici en termes platoniciens. L’effort de Platon, on l’a vu, est de faire passer l’εὐϐουλία du statut de l’opinion à celui de la science. Réponse d’Aristote : elle n’est pas science, mais pas non plus opinion. Autrement dit, même si Aristote ne fait pas siennes les thèses platoniciennes, ses termes de référence demeurent platoniciens23.
211) Science. L’εὐϐουλία n’est certainement pas science, affirme Aristote. Pourquoi ? Parce qu’elle est une recherche (1142a32, ζητεῖν τι), et qu’« on ne cherche pas ce qu’on sait » (1142b1). La science, autrement dit, c’est ici tout simplement le fait de savoir ; elle n’est pas caractérisée, par exemple, par son caractère démonstratif plutôt que dialectique : ce n’est pas le caractère de ses prémisses, telles que les définissent les Analytiques24, ni le type d’enchaînement de ses propositions, qui la qualifie comme science ; c’est purement et simplement la possession de la vérité. En d’autres termes, la science dont il s’agit ici n’est pas une méthode25, c’est un « état de l’âme », selon les propres termes de la République (VI, 511d26) ; c’est la science dont on cherche la définition dans le Théétète, qu’on cherche, plus précisément, « sous le nom que porte l’âme quand elle a affaire aux réalités » (Théétète, 187a27).
222) Opinion. Opinion (δόξα, 1142b7) est appelé par l’exclusion de la science : en termes platoniciens – dans des termes plus simples que ceux de la ligne de la République –, si l’εὐϐουλία n’est pas science, elle est opinion. À quoi Aristote oppose un refus aussi catégorique qu’à la science : elle n’est « certainement pas non plus (οὐδὲ δή) opinion, aucune opinion (οὐδὲ δὴ δόξα ἡ εὐϐουλία οὐδεμία) » (1142b6-7) – c’est-à-dire, semble indiquer la suite, même pas une opinion droite, comme on pourrait le conclure, par exemple, à partir du Ménon. L’argument d’Aristote est à cet endroit assez énigmatique : de la science, il n’est pas de rectitude, puisqu’elle ne comporte pas d’erreur ; et de l’opinion, la rectitude est vérité. Un lecteur du Ménon conclurait volontiers que l’εὐϐουλία, justement, est opinion vraie. En réalité, il semble que l’argument d’Aristote consiste ici à faire coïncider les deux oppositions science-opinion et vérité-erreur ; et en vérité la conception de la science, assez fruste, dont il a tiré son précédent argument le lui permet : si la science se définit par la possession de la vérité, et non par les moyens (la méthode) mis en œuvre pour l’atteindre, alors l’opinion droite, elle aussi en possession de la vérité, ne se distingue pas de la science ; dès lors qu’elle est vraie, l’opinion devient science. Rejet, donc, de cet état intermédiaire entre la science et l’erreur, que Platon nomme opinion droite28. Mais Aristote joint à ce premier argument un second, qui dérive, lui, textuellement du Théétète.
23« Tout ce dont il y a opinion est d’ores et déjà tranché (ὥρισται ἤδη πᾶν οὗ δόξα ἐστίν) » (1142b11). Cette phrase ne se comprend qu’à la lumière du passage du Théétète (189e – 190a) où Socrate explique que la pensée (διάνοια) est « une discussion que l’âme poursuit avec elle-même » : c’est au moment où, « ayant tranché » (ὁρίσασα), « elle s’en tient maintenant29 à son affirmation et n’est plus divisée », qu’il y a opinion. De sorte que, conclut Socrate, avoir des opinions, c’est parler, et l’opinion, c’est un langage prononcé en silence à soi-même. Dans le texte aristotélicien qui nous occupe, tout se passe comme si Aristote imposait plus de rigueur à Socrate : ce dernier donne en effet la même définition de la διάνοια et de la δόξα, après les avoir distinguées comme deux moments différents, celui où l’âme hésite et celui où elle a tranché. C’est cette distinction-là que retient Aristote, et c’est en fonction d’elle qu’il écarte l’hypothèse que l’εὐϐουλία soit δόξα : puisqu’elle n’est pas encore tranchée comme une opinion, mais que d’autre part elle n’est pas sans parole30, « reste qu’elle relève de la pensée », car celle-ci qui, elle non plus, « n’est pas sans parole », puisqu’elle est une discussion de l’âme avec elle-même, « n’est pas encore une affirmation » (διανοίας ἄρα λείπεται· αὕτη γὰρ οὔπω φάσις, 1142b12-13).
24Les mots διανοίας ἄρα λείπεται, « reste qu’elle relève de la pensée », sont litigieux. Le verbe λείπομαι se construisant en toute régularité avec le génitif, il n’y a grammaticalement aucune nécessité de tenir la tournure pour elliptique, et l’on devrait apparemment traduire : « l’art du bon conseil (εὐϐουλία) manque de (ou : est inférieur à) la pensée (διάνοια) ». C’est effectivement une interprétation ancienne31, qui va de soi si l’on s’en tient à ces trois mots, mais qui pose quelques problèmes aussitôt qu’on les replace dans leur contexte. Considérons en effet leur lien avec la phrase qui les précède immédiatement : on ne voit pas bien pourquoi, du fait que l’εὐϐουλία n’est pas sans parole, il découlerait (ἄρα) qu’elle manque de ou est inférieure à la pensée : ce serait plutôt dans le cas inverse, si l’εὐϐουλία était sans parole, qu’on pourrait tirer cette conclusion. Il semble donc qu’il faille renoncer au mot à mot : la solution sera alors de comprendre, suivant un usage différent mais lui aussi très bien attesté, λείπεται comme un impersonnel, et nos trois mots comme l’indication elliptique de l’unique solution restante, une fois exclu que l’εὐϐουλία soit rectitude de la science (pléonasme) ou rectitude de l’opinion (contradiction) : que l’εὐϐουλία soit rectitude de la pensée. Malheureusement, c’est la suite du texte, cette fois, qui fait obstacle à cette interprétation, quand, à l’appui de la conséquence qu’il vient de tirer (διανοίας ἄρα λείπεται), Aristote avance les deux justifications suivantes :
« en effet, celle-ci32 n’est pas encore affirmation » (1142b13)
« en effet, l’opinion n’est pas une recherche mais déjà (ἤδη) telle ou telle affirmation (φάσις τις), tandis que celui qui délibère, soit qu’il délibère bien ou mal, cherche quelque chose et suppute » (1142b13-15).
25En d’autres termes, ce qui fait penser que l’εὐϐουλία, non seulement n’est pas science, mais n’est même pas opinion, c’est la nature de toute délibération, qu’elle soit bonne ou mauvaise : une délibération n’a pas besoin d’être correcte pour être une recherche et n’être, à la différence de l’opinion mais comme la pensée, pas encore une affirmation. Cet argument, s’il fait bien apercevoir l’affinité entre εὐϐουλία et διάνοια, n’explique pourtant pas en quoi l’εὐϐουλία est rectitude : c’est en tant que délibération, non en tant que bonne délibération, que l’εὐϐουλία doit être rangée sous le chef de la pensée. Il faut, autrement dit, être attentif au fait que, pour exclure l’εὐϐουλία de la δόξα, Aristote utilise successivement deux arguments. Le premier repose bien sur la rectitude (ὀρθότης) de l’εὐϐουλία, mais pas le second, qui fait intervenir un trait commun à l’εὐϐουλία et à son contraire33 ; un trait qui caractérise la délibération avant même qu’elle soit bonne, qui précède donc en l’εὐϐουλία sa rectitude : le fait de n’être pas tranchée comme l’opinion, sans pour autant être sans parole. Les termes qui sont à suppléer dans l’ellipse διανοίας ἄρα λείπεται ne doivent donc pas être calqués sur les expressions qui précèdent : ἐπιστήμης ὀρθότης, « rectitude de la science », δόξης ὀρθότης, « rectitude de l’opinion » (1142b10-11) ; on ne doit pas sous-entendre quelque chose comme διανοίας ἄρα <ὀρθότητα εἶναι ταύτην> λείπεται, « reste donc que ce soit une rectitude de la pensée », mais, plus simplement, διανοίας ἄρα <εἶναι ταύτην> λείπεται : reste qu’elle (l’εὐϐουλία) appartienne à, relève de (ou soit faite de, consiste en) la pensée.
26Outre l’économie consistant à ne sous-entendre que deux mots et non trois (dont le substantif dont le génitif διανοίας serait le complément, ce qui paraît assez difficile), cette solution a l’avantage de dissiper une difficulté née uniquement de la conjecture que je viens de rejeter. Lisant, en effet, sous διανοίας ἄρα λείπεται, « reste que l’εὐϐουλία soit une rectitude de pensée », R.A. Gauthier et J.Y. Jolif ont considéré la phrase qu’on trouve trois lignes plus bas, « mais l’εὐϐουλία est une certaine rectitude de délibération (ἀλλ’ ὀρθότης τίς ἐστιν ἡ εύϐουλία βουλῆς) » (1142b16), comme la répétition, à un mot près (βουλή, « délibération », pour διάνοια, « pensée »), de ce qui n’était qu’une reconstruction par leurs soins. Désireux de remédier à ce défaut de rédaction, ils ont fait l’hypothèse que διανοίας ἄρα λείπεται serait la trace d’une première rédaction, qualifiée d’« eudémienne », à laquelle le Stagirite aurait donné dans un deuxième temps sa frappe définitive, « nicomachéenne », dans la formule de la ligne 1142b1634. Les choses s’expliquent de manière beaucoup plus simple si l’on comprend, comme je le propose, qu’Aristote, pour dissocier l’εὐϐουλία de la δόξα, va chercher un argument en deçà de sa rectitude : dans son caractère délibératif. À ce moment-là, la ligne 1142b16 n’est en aucune façon une redite ou une deuxième rédaction de la ligne 1142b13 : elle marque au contraire le moment où, ayant démontré que l’εὐϐουλία n’est pas plus, en vocabulaire platonicien, opinion que science, Aristote peut passer à la recherche de ce qui la définit à proprement parler. Les lignes précédentes ne discriminent pas l’εὐϐουλία de son contraire : pour ce faire, il faut, une fois levée l’hypothèque platonicienne, reprendre la question de la rectitude35.
27C’est donc seulement dans la dernière partie du chapitre que l’enquête s’oriente vraiment vers une définition de l’εὐϐουλία. Trois arguments y conduisent sans autre discussion. Bien délibérer, ce n’est pas seulement arriver à ses fins, car (1) il faut en outre que la fin soit bonne (1142b18-22) ; (2) la fin peut être bonne, mais les moyens mis en œuvre pour l’atteindre, mauvais36 (1142b22-26) ; (3) et le temps, trop long (1142b26-27). L’εὐϐουλία est donc rectitude « en fonction de ce qui est utile, c’est-à-dire de ce qu’on doit faire, comment et quand37 » (1142b27-28). Cette définition peut-elle encore revenir à celle d’une εὐϐουλία purement « technique », comme celle de l’intempérant ou du vaurien (φαῦλος) évoqués plus haut (1142b18) ? C’est sans doute la raison pour laquelle Aristote donne une seconde définition de l’εὐϐουλία, qui intégrera cette fois le rapport entre εὐϐουλία et φρόνησις.
En outre (ἔτι), ajoute-t-il, il est possible d’avoir bien délibéré, soit absolument parlant, soit par rapport à une fin particulière. Eh bien, la bonne délibération, absolument parlant, c’est celle qui nous fait aller droit à ce qui, absolument parlant, constitue notre fin, alors que celle qui est relative à une fin particulière n’est bonne délibération qu’en un certain sens (τὶς δὲ <εύϐουλία> ἡ πρός τι τέλος).
1142b28-31
28Or, qu’est-ce qui constitue notre fin, absolument parlant ? Elle-même placée dans la dépendance de cette fin, l’εὐϐουλία ne peut pas répondre à cette question. Nous avons lu au début du chapitre que délibérer, c’est une certaine façon de chercher (ζητεῖν τι). Il faut se souvenir que ce verbe appartient chez Aristote au lexique mathématique, dans lequel ζήτησις, la recherche, est une sorte de doublet de l’analyse : une démarche qui consiste à remonter de ce qu’on a posé au départ comme le résultat à obtenir, aux conditions qui permettent de l’obtenir. Si, comme l’énonce explicitement un parallèle au début de notre chapitre, déjà cité38, la délibération est une sorte d’analyse, elle aussi consiste à remonter de ce qui est posé au départ comme la fin à atteindre, aux conditions qui permettent de l’atteindre. Ainsi sa rectitude est-elle liée à celle du résultat ou de la fin envisagé(e), sans qu’elle ait elle-même posé cette fin. En éthique comme en mathématiques, a écrit Aristote à la fin du chapitre 9, le « terme dernier », celui auquel on doit aboutir, est l’objet d’une perception. Sans doute cette perception n’est-elle pas exactement la même dans les deux cas ; en éthique, elle s’appelle φρόνησις. Voilà pourquoi la bonne délibération est inséparable et distincte de la φρόνησις : puisque bonne, elle ne l’est que si c’est une délibération qui vise une fin elle-même bonne, elle suppose la perception de cette fin. Doctrine bien connue d’Aristote : on ne délibère que sur les moyens, pas sur la fin. Mais d’autre part on ne délibère pas bien sur les moyens si l’on n’a pas en vue une fin bonne : il faut donc être φρόνιμος pour bien délibérer. C’est la prémisse à partir de laquelle Aristote produit une définition de l’εὐϐουλία enfin sans équivoque ;
S’il appartient aux hommes prudents d’être de bon conseil, l’εὐϐουλία sera une rectitude, celle qui est de l’ordre de l’utile par rapport à la fin dont la φρόνησις est l’appréhension vraie.
29Selon J. Burnet, c’est aller contre la doctrine d’Aristote que de comprendre ici que c’est l’homme prudent qui saisit véritablement la fin de l’homme ; puisque l’homme prudent ne délibère que sur les moyens, l’appréhension de la fin, celle qu’Aristote, au livre I de l’ Ethique, nomme le « bien humain » ou « le bien le plus grand » est le privilège de la faculté dont Aristote fait dans les mêmes pages la source de notre élan vers le bien : le désir (ὄρεξις). Selon Burnet, ce qu’affirmerait la dernière phrase du chapitre 10, c’est que la prudence est l’appréhension vraie non pas de la fin prise absolument, c’est-à-dire du bien, mais de ce qui est utile en vue de cette fin39. Étant donné que cet utile définit précisément le registre dans lequel s’exerce l’εὐϐουλία, il n’y a plus lieu de distinguer, comme nous avons vu Aristote le faire à la fin du chapitre 9 et au début du chapitre 10, εὐϐουλία et prudence ; et la relative sur laquelle s’achèvent la phrase et le chapitre est donc parfaitement redondante : on ne voit pas ce qu’apporte à une définition de l’εὐϐουλία de dire qu’elle est la rectitude qui est fonction de l’utile dont elle-même (sous le nom de prudence) est l’appréhension ! La vérité paraît bien être une fois de plus du côté de la simplicité grammaticale : donnant comme antécédent au relatif οὗ (« dont ») le substantif qui en est le plus proche, τὸ τέλος (« la fin »), on évite à Aristote de se contredire en disant une fois que bien délibérer et être prudent diffèrent, une autre fois qu’ils se confondent, et, au lieu de lui faire confier le soin de nous orienter vers le bien à une faculté purement psychologique, le désir, on se donne le moyen de comprendre pourquoi la prudence, toute perceptive qu’elle soit plutôt que délibérative, est une vertu. Car s’il est vrai, comme l’enseigne en particulier le chapitre I, 7 de l’Éthique, que la réalité du plus grand bien est attestée par la réalité de notre désir de bonheur, cela n’implique pas que notre désir suffise à une conception exacte de ce plus grand bien, et c’est précisément là que trouve sa place la φρόνησις ; même naturellement bon, le désir ne suffit pas à la vertu : encore faut-il être intelligent.
II.
30Telles qu’elles sont actuellement éditées, les premières lignes du chapitre 11 donnent l’impression d’un parallélisme avec le chapitre précédent : après l’εὐϐουλία, l’εὐσυνεσία ; on ne s’étonne pas que les deux mots soient composés à l’aide du même préfixe, puisqu’ils dénotent, pour ainsi dire, deux vertus sœurs. Malheureusement, les mots εὐσυνεσία (1142b34) et εὐσυνέτους (1143a1) sont des corrections dues à Henri Estienne, qui ont fini par emporter la conviction des éditeurs à partir de F. Susemihl. À la place de ces mots, les manuscrits portent ἀσυνεσία et ἀσυνέτους, ce qui donne pour la première phrase le sens suivant :
L’aptitude à suivre40 et l’inaptitude à suivre, en fonction desquelles nous parlons de gens aptes à suivre ou inaptes à suivre, ne se confondent ni avec la science ou l’opinion en général (car tous seraient aptes à suivre), ni avec telle science partielle individuelle, par exemple la médecine à propos de ce qui touche à la santé, ou la géométrie pour ce qui concerne les grandeurs. (1142b34 – 1143a4)
31Phrase dont l’obscurité explique qu’on ait voulu la corriger : si l’aptitude à suivre, comme l’art d’être de bon conseil, se confond ou non avec la ou une science, on conçoit que la question puisse se discuter ; mais l’inaptitude correspondante, évidemment non. Qu’au lieu de couples de contraires, la phrase ne mette en jeu que les termes positifs « aptitude à suivre et à bien suivre », « aptes à suivre et à bien suivre », analogues dans leur composition à la « bonne délibération » et matière à des remarques du même type, se comprend plus aisément. On remarquera cependant que la correction ne suffit pas à ôter à la phrase toute son obscurité : l’argument par lequel Aristote exclut que l’aptitude à suivre se confonde avec la science ou l’opinion en général41 reste de toute façon allusif, suffisamment pour faire soupçonner une rédaction négligente de la phrase. La correction de ἀσυνεσία en εὐσυνεσία, d’autre part, est d’autant plus difficile à admettre que le mot εὐσυνεσία est pratiquement inexistant en grec avant ce passage d’Aristote42. Bien entendu, ce n’est pas une invention des philologues, qui ne font que reporter à la première ligne du chapitre le terme presque néologique employé un peu plus bas par Aristote :
Car aptitude à suivre (σύνεσις) et aptitude à bien suivre (εὐσυνεσία), aptes à suivre (συνετοὶ) et aptes à bien suivre (εὐσύνετοι), c’est la même chose. (1143a10-11)
32Le malheur est que cette phrase est elle-même problématique, sinon en ce qui concerne sa tradition manuscrite, du moins pour ce qui regarde son lien avec le contexte. Cette remarque sur le caractère pléonastique des mots εὐσυνεσία et εὐσύνετος n’éclaire en rien ce qui précède, à savoir la distinction par leurs fonctions, respectivement prescriptive (« épitactique ») et judicative (« critique »), de la prudence et de la σύνεσις ; elle n’a non plus aucune incidence sur ce qui la suit, à savoir l’assimilation, reprise de l’Euthydème de Platon, entre συνιέναι et l’un des sens de μανθάνειν. Il est donc raisonnable d’en conclure qu’elle n’est pas à sa place43. Il faut probablement la reporter plus bas, à la ligne 1143a16. Après avoir indiqué que συνιέναι s’applique à l’usage que l’on fait de son opinion pour juger de ce qu’un autre dit (1143a13-15 ; cf. supra), Aristote ajoute : « et pour bien juger (καὶ κρίνειν καλῶς) ». Dans le texte tel qu’il nous est transmis, la suite est : « car εὖ, c’est la même chose que καλῶς44 ». Remarque dont une fois de plus on ne voit guère l’opportunité, puisque dans la phrase qu’elle est supposée éclairer εὖ ne figure ni comme adverbe ni comme préfixe d’un composé. Elle s’expliquerait en revanche assez aisément si on intercalait ici la phrase de 1143a10-11 : ayant expliqué que « suivre », c’est juger et bien juger, Aristote saisirait l’occasion de souligner qu’il n’y a rien de plus dans le néologisme εὐσυνεσία que dans le mot usuel σύνεσις. Plutôt que d’introduire un néologisme inutile, Aristote ne ferait ici que dénoncer un pléonasme. Mais dans ce cas il n’y a guère lieu de s’attendre à ce qu’il ait lui-même ouvert le chapitre de la σύνεσις de la façon pléonastique qu’il va écarter ensuite.
33En résumé, tout irait mieux si Aristote ne faisait pas mention dans ce chapitre de l’εὐσυνεσία et se contentait de parler de la σύνεσις : pour autant que l’on puisse faire abstraction de cette double difficulté philologique, l’enseignement de ce bref chapitre est assez simple. Une fois écartée, en effet, une confusion de la σύνεσις avec une science, qu’elle soit de type platonicien ou aristotélicien45, Aristote énonce brièvement à la fois ce qu’on pourrait appeler la communauté de genre (les objets « sur lesquels il arrive qu’on se trouve dans l’embarras et qu’on délibère », 1143a6-7) et la différence de fonction entre la σύνεσις ou « aptitude à suivre » et la prudence : l’une est prescriptive, « elle aboutit à ce qu’il faut faire ou non (τί γὰρ δεῖ πράττειν ἢ μή, τὸ τέλος αὐτῆς ἐστίν) », l’autre se borne à juger (1143a8-10).
34Nous avons vu plus haut, en conclusion du chapitre 10, que l’εὐϐουλία se trouve dans une situation de dépendance par rapport à la prudence : si la prudence suppose qu’on délibère bien, inversement on ne délibère bien, ou l’on n’est de bon conseil, que si l’on est assez prudent, ou intelligent, pour apercevoir la juste fin en vue de laquelle délibérer sur les moyens d’action. Ce qu’apporte de plus le chapitre 11, c’est que la prudence elle-même, « l’appréhension vraie de la fin », ne suffit pas à rendre de bon conseil : être de bon conseil ne va pas sans l’aptitude à « suivre », à écouter de manière à pouvoir en juger, ce que dit celui qui demande conseil46. Si elle est placée, dans le traité aristotélicien, entre la φρόνησις et la σύνεσις, c’est peut-être parce que l’εὐϐουλία ne saurait se passer ni de l’une ni de l’autre.
Notes de bas de page
1 Littéralement : « Tout comme comprendre se dit “suivre” quand on use de sa science, de même <comprendre se dit “suivre”>... ». Le point est de comprendre que la comparaison porte sur la façon dont « comprendre se dit “suivre” » aussi bien dans une discussion scientifique que dans une discussion qui ne fait appel qu’à un jugement d’opinion.
2 Cette contribution ayant en grande partie pour objet de déterminer le sens de ces deux termes dans les chapitres considérés, le lecteur m’accordera de ne pas en donner d’emblée une traduction.
3 Platon, Protagoras, 318e – 319a.
4 Ibid., 325c-d.
5 Ne me proposant pas de donner une traduction de ces deux chapitres, je préfère m’en tenir, pour la commodité du lecteur, à la traduction traditionnelle de φρόνησις par « prudence ». Je fais cependant volontiers miennes les objections qu’y ont opposées R.A. Gauthier et J.-Y. Jolif (L’Éthique à Nicomaque. Introduction, traduction et commentaire. Coll. « Aristote. Traductions et études ». Deuxième édition avec une introduction nouvelle, Louvain-Paris, 1970, t. II, Commentaire, pp. 463- 469), mais je ne crois pas qu’on puisse davantage se satisfaire de leur traduction par « sagesse », en vertu de laquelle ils croient devoir traduire σοφία par « philosophie » (ibid., pp. 479-489), ce qui représente un évident contresens. En réalité, on a tout intérêt à considérer comme des termes équivalents, chez Aristote comme chez Platon, φρόνησις et σοφία. Gardant à σοφία son sens traditionnel de « sagesse » ou, mieux encore, de « compétence », je proposerais pour ma part de traduire φρόνησις par « intelligence ».
6 Pour la prudence, voir chap. 9, 1142a24 ; pour l’εὐϐουλία, chap. 10, 1142a 34 ; pour la σύνεσις, chap. 11,1143a1. On notera que la σύνεσις n’est ni science ni opinion, que l’εὐϐουλία n’est rectitude pas plus de la science que de l’opinion, alors qu’en ce qui concerne la ϕρόνησις, il n’est pas fait état de l’opinion.
7 C’est de la prudence qu’Aristote a dit plus haut (1141b9-10) qu’elle porte « sur les objets dont il y a à délibérer (περὶ ὧν ἔστι βουλεύσασθαι) ».
8 Il faudrait s’interroger sur la signification des temps employés par Aristote : ici l’aoriste, mais au chap. VI, 8 (1141b10) le présent, et au chap. VI, 10 (1142b33) le parfait.
9 C’est-à-dire la fin, τέλος, à poursuivre : la φρόνησις, écrira Aristote à la fin du chapitre 10 (1142b33), est « l’appréhension vraie de la fin ». Le rapprochement effectué par J. Burnet avec un passage antérieur de l’Éthique à Nicomaque (III, 5, 1112b19-23) permet tout à la fois de comprendre pourquoi ἔσχατον, « terme dernier », est ici mis pour τέλος, et comment s’articulent φρόνησις et εὐϐουλία. Dans le passage en question, Aristote compare la délibération et ce qu’on appelle en mathématiques l’analyse : deux démarches dans lesquelles, posant d’abord le résultat, on en recherche les conditions. Burnet a donc raison d’entendre ici ἔσχατον comme « le terme dernier de la délibération », à condition toutefois de bien comprendre, comme y invite le texte même qu’il invoque, que le terme atteint en dernier par la délibération (ou, en mathématiques, par l’analyse) est posé en premier par un acte pour lequel Aristote, tant en mathématiques que dans le domaine de l’action, ne trouve pas d’autre nom que « perception ». Le terme dernier, c’est donc, en mathématiques, le résultat qu’il faut atteindre ; sur le plan pratique, l’action à accomplir.
10 Ici encore il faut suivre Burnet qui éclaire le sens de la phrase en ajoutant l’article défini devant φρόνησις : μᾶλλον αἴσθησις ἢ <ἡ> φρόνησις.
11 Ἐκείνης renvoyant selon moi à αἴσθησις, à la ligne précédente, genre au sein duquel s’effectue la comparaison entre perception mathématique et prudence. Sur ce dernier membre de phrase (ἐκείνης δ’ἄλλο εἶδος) règne le doute le plus complet : le démonstratif ἐκείνης peut en effet avoir quatre antécédents différents. Il peut s’agir (1) de la perception des propres (ἡ τῶν ἰδίων, 1142a27) : faisant dépendre ἄλλο de ἐκείνης, on comprend alors que la perception mathématique est une espèce (de perception) distincte de la sensation des propres (à l’appui de cette interprétation, on invoque le fait que, normalement, entre deux antécédents, οὗτος désigne le plus proche, et ἐκεῖνος le plus éloigné ; mais l’usage inverse est lui aussi bien attesté, et en outre on ne voit pas à quoi il sert ici de faire remarquer que la perception mathématique se distingue de la sensation des propres, le point en discussion étant la comparaison entre perception mathématique et prudence) ; (2) de la perception mathématique (οἵᾳ αἰσθανόμεθα, 1142a28), reprise dans le précédent membre de phrase par αὕτη; ἄλλο εἶδος serait alors épithète de φρόνησις, et le sens serait : « perception, elle l’est davantage que la prudence, qui est une autre espèce (sc. de perception) qu’elle » ; (3) de la prudence (φρόνησις, 1142a30) : ἄλλο εἶδος serait alors, comme αἴσθησις, attribut de αὕτη, et le sens serait : « perception, elle l’est davantage que la prudence, et elle est une autre espèce (sc. de perception) que cette dernière » (l’usage autorise parfaitement cet emploi de ἐκείνη pour désigner le dernier terme mentionné, d’autant plus qu’ici αὕτη, qui devrait en principe désigner l’antécédent le plus proche, a déjà été utilisé) ; (4) de l’αἴσθησις, enfin : c’est la solution que je retiens.
12 Τὸ ζητεῖν δὲ καὶ τό βουλεύεσθαι διαφέρει· τὸ γὰρ βουλεύεσθαι ζητεῖν τι ἐστίν (1142a31-32, cf. Éthique à Nicomaque III, 5, 1112b20-24, où Aristote pose déjà que « toute recherche n’est pas une délibération, mais toute délibération une recherche »). Mis ainsi en parallèle avec la fin du chapitre précédent, le début du chapitre 10 s’éclaire très bien si l’on suit la suggestion de Richards (Aristotelica, Londres, 1915) de transférer ces lignes de la place où elles figurent dans les manuscrits (1142a31- 32) à la suite de ὁ δὲ βουλευόμενος ζητεῖ καὶ λογίζεται (1142b2).
13 Qu’Alfred Croiset et Louis Bodin (Platon, Œuvres complètes t. III – 1re partie, Paris, C.U.F., 1923) traduisent : « prudence » ; Monique Trédé et Paul Demont (Platon, Protagoras, Paris, « Le Livre de Poche », 1993) : « l’art de prendre des décisions ».
14 I, 1, 1094a18-b11 ; voir aussi : « la politique et la prudence sont la même disposition... » (VI, 8, 1141b24).
15 Tel est le titre sous lequel J. Tricot coiffe nos deux chapitres (Aristote, Éthique à Nicomaque. Nouvelle traduction avec Introduction, Notes et Index par J. Tricot, Paris, Librairie philosophique J. Vrin, 1983, pp. 298 et 302).
16 Il est à remarquer (1) que d’après le lexique de Ast, le mot εὐϐουλία est presque aussi rare chez Platon que chez Aristote : en dehors du passage cité du Protagoras, εὐϐουλία n’apparaît guère que dans la bouche de Thrasymaque faisant l’éloge de l’injustice : = , République I, 348d) ; dans celle d’Alcibiade (Premier Alcibiade, 125e), qui désigne par-là la science qui permet de commander aux membres d’une πολιτεία ; et ici ; (2) que dans la bouche de Socrate, ce n’est pas l’individu, mais la cité qui est εὔϐουλος : 428b5, c2, d11.
17 Dans ce passage, en effet, εὔϐουλος = σοϕή (sc. πόλις), εὐϐουλία = σοϕία.
18 Cf. Rép. IV, 428d – 429a.
19 Platon, Œuvres complètes, t. VII – 1re partie, Paris, C.U.F., 1933, p. 19 note 1.
20 Cf. Théétète, 166d – 167d. Pour l’interprétation de la conception protagoréenne de la science, je me permets de renvoyer à mon commentaire : Platon, Théétète. Traduction inédite, introduction et notes par M. Narcy, Paris, GF-Flammarion, 1994, pp. 106-116.
21 À la différence de celui du Gorgias (cf. 500c) et du Théétète (cf. 172c-177c, et en particulier 176a). Voir mon commentaire dans « Quels modèles, quelle politique, quels Grecs ? » (Nos Grecs et leurs modernes. Les Stratégies contemporaines d’appropriation de l’Antiquité. Paris, Éd. du Seuil, 1992), pp. 105-108.
22 Cf. R.A. Gauthier et J.-Y. Jolif, ad 1142b12 (op. cit., p. 514), qui s’appuient sur J. Burnet.
23 Notons tout de suite qu’ils le seront tout autant dans le prochain chapitre, consacré à la σύνεσις. Comme l’εὐϐουλία, la σύνεσις n’est identique ni à la science ni à l’opinion (1143a1), cependant que, nous l’avons déjà lu, μανθάνειν au sens de « suivre » s’entend aussi bien de l’opinion que de la science (1143a13-15).
24 Cf. Analytiques seconds 1, 2, 71b20 sqq. : ἐξ ἀληθῶν τ’εἶναι καὶ πρώτων καὶ ἀμέσων καὶ γνωριμωτέρων καὶ προτέρων καὶ αἰτίων τοῦ συμπεράσματος.
25 Méthode qu’il serait possible, en effet, de mal appliquer : à la différence de ce qu’on peut lire dans les Topiques, la science dont parle ici Aristote n’inclut pas le risque de paralogisme.
26 Littéralement, un état qui survient dans l’âme. L’indication de Socrate à cet endroit (511d-e) est qu’aux quatre sections de la ligne correspondent « les quatre états qui se produisent dans l’âme » : intellection (νόησις), pensée (διάνοια), croyance (πίστις) et conjecture (εἰκασία). On trouvera un inventaire des traductions de ce passage dans : Y. Lafrance, Pour interpréter Platon II. La ligne en République VI, 509d-511e. Le texte et son histoire. Montréal, Bellarmin, 1994, p. 393.
27 Ἐν ἐκείνῳ τῷ ὀνόματι, ὅτι ποτ’ ἔχει ἡ ψυχή, ὅταν αὐτὴ καθ’ αὑτὴν πραγματεύηται περὶ τὰ ὄντα.
28 Il faut noter que la distinction entre σοφία et opinion droite est niée par Socrate dans l’Euthydème (280a : « la sagesse, par conséquent, fait en toutes circonstances réussir les hommes »).
29 Ἤδη : le mot que j’ai traduit, dans la phrase d’Aristote, par « d’ores et déjà », et que Tricot traduit par « déjà ».
30 Ἀλλὰ μὴν οὐδ’ ἄνευ λόγου ἡ εὐϐουλία (1142b12). La traduction de Tricot pour ἄνευ λόγου, « sans calcul conscient », ne permet d’entendre ni l’allusion au Théétète ni par conséquent la logique de l’argument. C’est d’ailleurs faute de quoi certains interprètes ont déclaré cette phrase inauthentique. On ne peut qu’être surpris de voir R.A. Gauthier et J.-Y. Jolif (op. cit., p. 512), qui reconnaissent pourtant dans la phrase qui suit immédiatement (1142b12-13, cf. op. cit., p. 514) l’allusion au Théétète, proposer de transférer celle-ci après βραδέως (1142b5). On peut d’ailleurs se demander pourquoi, citant le Théétète (190 a), φάσκουσα καὶ οὐ φάσκουσα, et traduisant correctement que la réflexion (διάνοια) « aboutit à l’affirmation et à la négation », ils traduisent φάσις dans le texte aristotélicien par « énonciation » : si l’εὐϐουλία « n’est pas sans parole », on ne peut pas dire qu’elle n’est « pas encore énonciation » : ϕάσις a évidemment ici, non pas le sens général d’énonciation, mais un sens spécifié par l’opposition φάσις – άπόφάσις, affirmation – négation.
31 Voir dans Gauthier et Jolif (op. cit., p. 514) les traductions et interprétations d’Eustrate, Robert Grosseteste, Albert le Grand et Thomas d’Aquin.
32 La διάνοια. S’il s’agissait de l’εὐϐουλία, cela signifierait que le démonstratif a un antécédent non exprimé, ce qui paraît peu vraisemblable.
33 Contraire dûment attesté par les dictionnaires : la δυσϐουλία.
34 Cf. R.A. Gauthier et J.-Y. Jolif, op. cit., pp. 513-515. D’autres auteurs ont purement et simplement rejeté les mots διανοίας ἄρα λείπεται comme inauthentiques. Gauthier et Jolif, quant à eux, sont conduits par leur hypothèse à trouver que διανοίας ἄρα λείπεται n’est pas à sa place, et à proposer de le transférer, en tant que première rédaction, juste avant la phrase qui figure actuellement à la ligne 1142b16, ἀλλ’ ὀρθότης τίς ἐστιν ἡ εὐϐουλία βουλῆς. Ils n’ont pas vu que cette opération rend inintelligible l’enchaînement entre « l’εὐϐουλία n’est pas sans parole » (1142b12) et « en effet, l’opinion n’est pas une recherche mais déjà telle ou telle affirmation, tandis que celui qui délibère, soit qu’il délibère bien ou mal, cherche quelque chose et suppute » (1142b13-15).
35 Gauthier et Jolif, qui suivent en particulier Susemihl et Rackham, ont au contraire probablement raison de tenir pour une glose inauthentique la phrase διὸ ἡ βουλὴ ζητητέα πρῶτον τί καὶ περὶ τί, « c’est pourquoi il faut chercher d’abord ce qu’est la délibération et sur quoi elle porte » (1142b16-17) : c’est bien de la rectitude qu’il va être question dans la suite, et non de la nature ou des objets de la délibération. La solution imaginée par Burnet, de voir dans cette phrase une note marginale d’Aristote lui-même, a peu de vraisemblance ; la phrase en question paraît assez critique à l’égard du cours suivi par l’argumentation dans les lignes précédentes : tout se passe comme si on avait affaire à un lecteur observant que, puisque « l’εὐϐουλία est une certaine rectitude de délibération », c’est de la délibération qu’il fallait parler, et non de la διάνοια.
36 Tous les logiciens savent que la valeur d’un raisonnement n’est pas dans la vérité de sa conclusion : il se peut qu’au terme d’un raisonnement faux on aboutisse à une conclusion exacte, le raisonnement n’en est pas meilleur pour autant. Observation qu’Aristote ne fait ici que transposer en termes éthiques : « il est possible d’atteindre le bien par un syllogisme faux ; de trouver ce qu’il faut faire, mais par quel moyen, non : au contraire, il se peut que le moyen terme soit faux. » (1142b22-24)
37 Pour traduire ainsi, je me fonde sur le fait que chacun des trois derniers termes reprend la conclusion de l’un des trois arguments précédents, le οὖ δεῖ de la ligne 1142b28 reprenant même littéralement celui de la ligne 1142b25. Ainsi l’utile n’est-il pas un doublet de « ce qu’il faut », mais ce à quoi contribuent les trois déterminations indiquées : c’est l’action requise, accomplie de la bonne façon et au bon moment.
38 III, 5, 1112b19-24.
39 Oὖ (« dont ») aurait pour antécédent τὸ συμφέρον (« l’utile ») et non τὸ τέλος, la fin. Cette construction est suivie par H. Rackham et J. Tricot. Ce dernier, malgré ce qu’il affirme en note (n. 7, p. 301), fait cependant un choix textuel différent de celui de ses deux prédécesseurs, puisqu’il traduit « une » et non pas « la » fin, alors que Burnet et Rackham éditent pour leur part, à juste titre, τὸ (« la ») et non τι (« une »). Le choix de Tricot implique, en vertu des lignes 1142b28-31, que le chapitre se conclurait sur la définition, non de ce qu’est, absolument parlant, avoir bien délibéré ou être de bon conseil, mais de ce que c’est « par rapport à une fin particulière », c’est-à-dire seulement en un certain sens.
40 Σύνεσις peut, comme φρόνησις, se traduire par « intelligence ». Aristote distinguant sous ces deux noms des vertus différentes, j’ai traduit plus haut συνιέναι par « suivre » (ce qui est conforme à son étymologie : aller avec), et je propose pour σύνεσις « aptitude à suivre ».
41 L’argument, selon certains (e. g. L.H.G. Greenwood, Aristotle. Nicomachean Ethics, Book Six, with Essays, Notes and Translation, Cambridge 1909), sert seulement à écarter l’identification avec l’opinion, de même que ὅλως porte seulement sur ἐπιστήμη.
42 Il n’est attesté que dans un fragment de Critias (73 D.K.). L’adjectif est lui aussi très rarement attesté, et surtout, il ne l’est avant Aristote qu’avec le sens passif « facile à comprendre ».
43 Cf. Gauthier et Jolif, op. cit., p. 527. Mais ces auteurs ont tort de vouloir placer la phrase immédiatement après εὐσυνέτους à la ligne 1143a1.
44 De fait, l’un et l’autre termes se traduisent en français par « bien ».
45 Dire que la σύνεσις ne porte pas sur les êtres éternels et immobiles (1143a4- 5) semble en effet l’explication, introduite par γάρ, de l’affirmation qu’elle ne se confond pas avec « la science en général » (1143a1) : c’est la République qui enseigne qu’il n’est de science que de ce qui est sans cesse et ignore le changement. Corré1ativement, c’est probablement la même chose d’exclure la σύνεσις des « sciences partielles » (1143a3) – expression, elle, typiquement aristotélicienne – et d’indiquer qu’elle ne porte pas « sur l’un quelconque des êtres qui deviennent » (1143a5).
46 Cf. Gauthier et Jolif, op. cit., p. 533.
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Thémistius
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2005