La classification des sciences (Philèbe 55 c-59 D)
p. 337-364
Texte intégral
1Ce passage présente une classification des sciences (ἐπιστῆµαι) censée contribuer à régler la question de la vie bonne pour un être humain. Je le suppose connu dans ses grandes lignes, ainsi que l’ensemble du Philèbe.
2J’étudierai dans une première partie le rôle que joue cette classification des sciences dans l’argumentation du dialogue. J’examinerai ensuite plus en détail ce système des sciences et m’attacherai à quelques unes des difficultés textuelles rencontrées. Enfin, dans une troisième partie, je discuterai de la signification de ce passage dans l’épistémologie platonicienne en général.
Le rôle de la classification des sciences
3En 55 c 3 Socrate déclare : « N’allons pas cependant nous efforcer de soumettre le plaisir à un examen complet, tout en donnant l’impression d’épargner le plus possible l’intellect (noûs) et le savoir (epistèmè)… ». Cette remarque relie notre passage à l’examen du plaisir qui précède immédiatement et le replace dans le contexte de la rivalité entre plaisir et savoir1. Plus précisément, elle renvoie à un des tout premiers échanges entre Socrate et Protarque : Socrate soutenait que le plaisir « adopte réellement toutes sortes de formes, dont certaines sont d’une certaine manière mutuellement dissemblables » (12 c 7-8), mais il reconnaissait aussi que « les sciences (ἐπιστῆµαι) dans leur ensemble apparaîtront multiples et certaines mutuellement dissemblables » (13 e 9-10). La parité des deux affirmations avait satisfait Protarque (τό γε µήν µοι ἴσον τοῦ σοῦ τε ϰαὶ ἐµοῦ λόγου ἀρέσϰει, 14 a 7), et la remarque de Socrate en 55 c nous rappelle que cette parité reste en vigueur. Le fait que les examens du plaisir et du savoir soient très inégaux, et pas seulement en longueur2, n’est pas sans ironie, mais nous y reviendrons. On ne voit toujours pas clairement ce que la classification des sciences, annoncée depuis 13 e, apporte à l’ensemble de l’argumentation. Il y a là deux problèmes : l’un est que la classification semble passer à côté du sujet (on n’en voit pas la pertinence), l’autre que sa nécessité n’apparaît pas (elle est superflue).
La classification est-elle pertinente ?
4Pour traiter de ce premier problème, il faut considérer la structure générale de l’argumentation. Au début de leur entretien, Socrate et Protarque défendent chacun un genre de vie différent pour tous les êtres humains (11 d 5-7). Malheureusement, la description de ces deux genres de vies reste assez générale : Protarque préconise τὸ χαίρειν […] ϰαὶ τὴν ἡδονὴν ϰαὶ τέρψιν, ϰαὶ ὅσα τοῦ γένους ἐστὶ τούτου σύµϕωνα (« la jouissance […] le plaisir et le contentement et tout ce qui s’harmonise avec ce genre », 11 b 4-6), alors que Socrate, lui, prône τὸ ϕρονεῖν ϰαὶ τὸ νοεῖν ϰαὶ µεµνῆσθαι ϰαὶ τὰ τούτων αὖ συγγενῆ, δόξαν τε ὀρθὴν ϰαὶ ἀληθεῖς λογισµούς (« l’esprit, l’intelligence, la mémoire et ce qui leur est apparenté, l’opinion droite et les raisonnements vrais », 11 b 7-9). Il est difficile de savoir comment nous sommes censés trancher entre ces deux vies tant qu’elles ne sont pas déterminées de manière plus précise, mais cette détermination ne fait jamais l’objet d’un examen direct.
5Ainsi, d’un côté nous avons τὸ χαίρειν […] ϰαὶ τὴν ἡδονὴν ϰαὶ τέρψιν, tout cela mis dans le même sac. Les termes ne sont pas exactement synonymes, comme Platon le sait bien3, mais le Philèbe n’opère jamais de distinction entre eux. Par exemple, bien que Socrate caractérise la vie défendue par Philèbe comme une βίος τῆς ἡδονῆς, il l’appelle aussi parfois τὸν τοῦ χαίρειν βίον, sans apparemment faire de différence. De plus, le dialogue utilise sans discrimination le verbe χαίρειν (se réjouir) et le verbe ἥδεσθαι (éprouver du plaisir). On peut remarquer cependant que des trois termes – τὸ χαίρειν […] ϰαὶ τὴν ἡδονὴν ϰαὶ τέρψιν – ἡδονή est de loin celui qui a le plus d’occurrences dans le Philèbe4. Il fonctionne parfois comme un terme inclusif (ainsi, dans βίος τῆς ἡδονῆς, où il subsume χαίρειν et τέρψις), parfois pour introduire une précision (comme dans πῶς γὰρ ἡδονῇ γε ἡδονὴ οὐχ ὁµοιότατον ἂν εἴη, 12 d 8-e 1, où il est question du simple plaisir), et parfois pour renvoyer à des espèces précises de plaisir (comme dans τὰς περί τε τὰ ϰαλὰ λεγόµενα χρώµατα, 51 b 3). Platon ne se donne pas beaucoup de mal pour éviter l’excès de simplification. L’homogénéisation des termes relatifs au plaisir et leur inclusion sous le terme générique ἡδονή, masquent la diversité et la séduction de la vie selon Philèbe.
6Dans le camp adverse, nous rencontrons τὸ ϕρονεῖν, τὸ νοεῖν, µεµνῆσθαι, ὀρθὴ δόξα et ἀληθεῖς λογισµοί (noter que ἐπιστήµη n’apparaît pas à ce stade). Une fois de plus, alors que nous souhaiterions voir ces éléments distingués et ordonnés, Platon semble décidé à les fondre. Dans l’ensemble, les verbes ϕρονεῖν et νοεῖν sont utilisés indifféremment dans le Philèbe, et il en va de même des substantifs correspondants : φρόνησις et νοῦς5. La vie défendue par Socrate est décrite tantôt comme une βίος τοῦ νοῦ, tantôt comme une βίος τῆς φρονήσεως, sans qu’aucune distinction ne soit faite. A deux reprises Socrate demande que mémoire, opinion et calcul raisonné soient exclus de la vie de plaisir, puisque ce sont des composantes de la vie intellectuelle et d’elle seule (21 a-c, 60 d). Cette confusion crée des problèmes certains : esprit, intelligence et savoir diffèrent l’un de l’autre ; la mémoire, qui leur est liée, n’est cependant identique à aucun et il en va de même de l’opinion droite et du raisonnement vrai.
7Donc, bien que nous ayons deux noms pour ces deux vies – « la vie de plaisir » et « la vie de l’esprit » – ce que désignent ces deux noms est tout à fait général et vague. Et nous voyons maintenant pourquoi la division des plaisirs et des sciences donne l’impression d’être à côté de la question. Quand on en arrive à l’examen du plaisir, on est en droit d’attendre une analyse soulignant les différences entre τὸ χαίρειν, ἡδονή, τέρψις, etc.6. Au lieu de quoi nous trouvons une division des ἡδοναί spécifiques. De même, à propos de l’examen de l’esprit, on est en droit d’attendre une analyse explicitant les différences entre τὸ ϕρονεῖν, τὸ νοεῖν, µεµνῆσθαι, ὀρθὴ δόξα et ἀληθεῖς λογισµοί. Au lieu de quoi on trouve une division d’ ἐπιστῆµαι spécifiques7. Il est certain qu’il existe différentes sortes de plaisirs et de sciences, mais l’élucidation de leurs taxinomies n’aidera guère à choisir entre les deux vies proposées. Peut-être le problème est-il moins grave dans le cas du plaisir, puisque ἡδονή est l’un des éléments désignés explicitement pour caractériser la vie que défend Philèbe. Mais la division des ἐπιστῆµαι paraît au mieux accessoire – comme si, prié de préciser ce qu’on entend par une « vie de l’esprit », on répondait en détaillant les divers objets d’étude8.
8On voit bien dans le dialogue où se place l’instant critique : Socrate croit pouvoir enfoncer un coin dans l’hédonisme en distinguant entre bons et mauvais plaisirs (13 a-b). Protarque résiste. La parité est introduite afin de l’apaiser, et c’est là que se trouve la première occurrence du mot ἐπιστήµη dans ce dialogue. Socrate demande : Φρόνησίς τε ϰαὶ ἐπιστήµη ϰαὶ νοῦς ϰαὶ πάνθ᾽ ὁπόσα δὴ ϰατ᾽ ἀρχὰς ἐγὼ θέµενος εἶπον ἀγαθά, διερωτώµενος ὅτι ποτ᾽ ἐστὶν ἀγαθόν, ἆρ᾽ οὐ ταὐτὸν πείσονται τοῦτο ὅπερ ὁ σὸς λόγος ; (« l’intelligence, la science et l’esprit et toutes les choses que j’ai, dès le début, posées pour être des biens, quand on me demande “que peut être le bien”, ne subiront-elles pas le même sort que ton propre raisonnement ? », 13 e 4). Comme nous l’avons fait remarquer, le savoir n’était pas affirmé explicitement au début comme l’un des biens. Son insertion dans la liste permet ici à Socrate d’obtenir à bon compte l’accord de Protarque. Il glisse habilement de φρόνησις à ἐπιστήµη puis au pluriel ἐπιστῆµαι (13 e 9) sans jamais se demander si, et comment, des sciences différentes correspondent à différentes formes d’intelligence.
9Il est délicat – et gênant – de décider à quel point Platon est conscient de tout ceci. S’il ne l’est pas, son erreur est assez grossière. Mais s’il l’est, le glissement de φρόνησις à ἐπιστῆµαι est une habileté rhétorique, et la remarque de Socrate : il ne faut pas dissimuler les différences entre le plaisir et la pensée (14 b)9 devient ironique, tout comme sa résolution de ne pas épargner l’esprit et le savoir (55 c). Quoi qu’il en soit, il semble que le passage allant de 55 c à 59 d n’ait pas d’autre fonction explicite que de répondre à l’attente de la distinction entre les formes de savoir10. Mais, à la défense de Platon, nous pouvons dire que tant la classification des sciences que l’examen des plaisirs qui la précède contribuent accessoirement à déterminer les vies considérées. J’y reviendrai à la fin de ma première partie ; pour le moment je voudrais passer au second problème annoncé.
La classification est-elle superflue ?
10Si la seule fonction du passage est de répondre à l’attente de la distinction entre des formes de savoir, alors il n’est pas indispensable à l’argumentation. N’oublions pas que Protarque voulait bien reconnaître la multiplicité des plaisirs à condition qu’il en aille de même pour le savoir. Mais sa satisfaction a été de courte durée. Car reconnaître la pluralité des plaisirs comme des savoirs introduit une série de problèmes abstraits et ardus sur l’un et le multiple (15 b) qui ne peuvent être résolus (nous dit-on) qu’à l’aide d’une méthode de division qui est « singulièrement difficile à appliquer » (16 b 5). L’application de cette méthode aux plaisirs se révèle être trop difficile pour Protarque qui demande qu’on le laisse respirer (20 a 1-8), ce que fait Socrate en se concentrant sur les critères d’une vie bonne : elle doit être parfaite, suffisante, et digne d’être choisie (20 b-23 b). Il estime alors que la vie de plaisir ne satisfait pas ces critères et qu’il sera donc inutile de diviser le plaisir en ses diverses espèces (20 c 4-d 5). Mais bien entendu la vie de l’esprit ne satisfait pas davantage ces critères, comme Socrate le reconnaît d’assez mauvaise grâce (22 c-d). Donc, sans que ce soit jamais formulé explicitement, il s’ensuit que la division du savoir en ses divers genres est superflue.
11Le dialogue va suivre ce plan pendant quelque temps. La bataille entre plaisir et esprit se poursuit, mais il ne s’agit plus que de remporter le deuxième prix. Socrate et Protarque passent à une autre question : qui du plaisir ou de l’esprit peut le mieux prétendre être la cause d’une vie bonne (22 c-d) ? Et Socrate reconnaît explicitement que, dans cette bataille pour le deuxième prix, il lui faudra d’autres « armes » que celles de la discussion précédente (βέλη […] ἕτερα τῶν ἔµπροσθεν λόγων, 23 b 8)11. Il se lance alors dans une obscure digression métaphysique qui divise tout dans le cosmos en quatre genres : l’illimité, la limite, le mélange de limite et d’illimité, et la cause du mélange. A la fin de cette digression nous découvrons que l’esprit est ce qui produit les bons mélanges. L’esprit est donc la cause de la vie bonne. Le plaisir est dans le meilleur des cas un ingrédient de la vie bonne et apparemment la question de savoir lequel, de l’esprit ou du plaisir, est le plus responsable de la vie bonne est désormais complètement réglée (31 b).
12Pourquoi le dialogue en revient-il alors à l’examen des genres des plaisirs et des sciences12 ? Le texte ne le dit pas, mais on peut en trouver une raison si on considère la faiblesse de la position de Socrate en 31 b. L’esprit a gagné le premier round contre le plaisir puisqu’il a montré qu’il était la sorte de chose qui gouverne, dispose et ordonne13 les activités qui constituent une vie bonne. Mais le contenu de cette vie bonne n’a toujours pas été précisé. Il reste possible que les activités agréables soient intrinsèquement préférables aux activités intellectuelles, que la vie bonne comporte une plus grande proportion d’activités procurant du plaisir. Malgré ce qu’elle gouverne, la raison est peut-être toujours au service des passions, et il se peut que la vie bonne soit produite au moyen d’une métrétique qui calcule avec précision plaisirs et douleurs14.
13Afin de justifier la vie de l’esprit nous avons besoin de comprendre, non que l’intelligence est une cause de la vie bonne, mais que l’activité intellectuelle constitue une telle vie comme bonne. Autrement dit, il n’est guère utile de montrer que l’esprit est la cause efficiente de la vie bonne ; la victoire de l’intelligence sur le plaisir exige que c’en soit la cause formelle. Il semble néanmoins y avoir une grande confusion dans le Philèbe quant à la notion de cause15. On peut en voir un bon exemple dans les deux manières dont est décrite la bataille pour le second prix. Il semble parfois qu’ils s’agisse de savoir qui est l’agent de la vie bonne, le plaisir ou l’esprit (cf. τὸ ποιοῦν, 26 e sq.), et c’est surtout dans ce cas qu’apparaît le terme αἰτία (22 c-d, 26 e-31 b). Ailleurs il s’agit de savoir lequel de ces deux éléments ressemble le plus au bien, et donc lequel est formellement responsable de la bonté d’une bonne vie (11 e, 60 b, 65 c-66 a).
14Tout au long du dialogue Socrate ne cesse de parler de la vie bonne comme d’une vie mixte ; c’est-à-dire une vie constituée à la fois d’activités agréables et intellectuelles. Cette argumentation ne peut évidemment pas réussir, ne peut même pas rester cohérente, si on soustrait l’esprit du mixte et si on le place dans le genre de la cause. Donc, pour ce qui est de la lutte entre le plaisir et l’intelligence, la digression métaphysique qui pose l’esprit comme cause n’a pas apporté grand chose. Pour avoir une utilité quelconque dans l’argumentation, le rôle causal de l’esprit doit davantage ressembler au rôle que Socrate assigne aux choses limitées. Par leur présence dans divers mélanges, les limitants « produisent symétrie et harmonie » (25 d 11-e 2, cf. 26 d 8-9). C’est de cette production d’une symétrie que Socrate dira ensuite qu’elle cause la bonté dans le mélange du plaisir et d’intelligence (cf. αἰτιασαίµεθα, 65 a 3). Donc même si l’esprit, comme αἰτία de la vie mixte, est une cause efficiente, cela ne suffit pas à lui donner la victoire sur le plaisir.
15Les examens du plaisir et du savoir jouent un rôle dans la lutte pour le second prix en nous permettant d’identifier certaines des activités qui constituent la vie du plaisir et celle de l’esprit. D’où le lien avec la remarque précédente, à savoir que ces examens seraient pertinents uniquement au cas où ils aideraient à déterminer les vies en question. Donc, en séparant et hiérarchisant les plaisirs et les sciences, nous découvrons la vie de l’amateur de sensations fortes, une vie qui oscille follement entre plaisir et douleur. Il y a encore la vie de l’imagination, où les espérances outrepassent la réalité. Ou celle de l’amateur de théâtre, qui tire sympathie et plaisir du malheur des autres. Ou celle de l’esthète raffiné qui ne se délecte que de couleurs, tonalités et arômes purs. Et pour finir tout à coup apparaît la vie selon la connaissance, qui est apparemment la plus agréable. Ceci devrait compliquer la discussion, mais plus rien n’en est dit à ce moment16.
16Du côté de la vie de l’esprit nous arrivons, non sans effort, à situer celle du musicien avec l’intériorisation des exercices qui permet à l’exécution d’être à la fois mécanique et parfaite. On aperçoit encore le charpentier avec son niveau d’eau, son équerre et son compas. Il y a encore le mathématicien et le philosophe, qui ont peut-être du mal à rentrer chez eux (cf. 62 a-b). Il y a même l’esquisse d’une comparaison entre les vies du plaisir et les vies intellectuelles. Ainsi nous voyons que les plaisirs les plus purs (dont ceux que procurent les tonalités musicales) arrivent tout juste au niveau de la vie des sciences les plus impures (comme la musique). Et pourtant Platon veut certainement nous amener à conclure que la vie qui a la philosophie comme principale activité est meilleure que toutes les autres.
17Mais l’apport de notre passage à l’argumentation centrale ne va pas plus loin. Socrate ne s’arrête pas pour examiner la psychologie des vies intellectuelles comme il l’a fait pour les vies de plaisir. Dans ces conditions il semble impossible de soutenir que la vie du charpentier est meilleure que celle du musicien, et que toutes deux sont moins bonnes que celle du mathématicien. Le dialogue ne peut parvenir à ces conclusions que parce qu’il applique un critère mathématique aux sciences, estimant meilleures les sciences qui font appel à des mesures plus exactes. Tant que le bien sera défini en termes mathématiques, la victoire de l’esprit sur le plaisir sera facile17. A ce compte nous aurions pu conclure que l’esprit ressemble plus au bien que le plaisir sans même effectuer les divisions du plaisir et du savoir.
18Quelles conclusions pouvons-nous tirer de ce qui précède ? La classification des sciences n’est pas directement pertinente pour l’argumentation principale du Philèbe pas plus que, si l’on part directement de ce qui est dit dans le texte, elle n’est nécessaire. Elle peut être interprétée de manière à fonctionner comme une partie pertinente de l’argumentation, mais même en ce cas son apport philosophique est assez faible. Nous n’avons plus alors qu’à spéculer : Platon s’est-il intéressé à la classification des sciences pour elle-même18 ou arrive-t-on à cette classification dans le Philèbe parce qu’elle a une utilité rhétorique19, ou à la suite de diverses confusions, ou pour plusieurs de ces raisons à la fois ? Pour mieux savoir quelle importance elle a pour Platon, il nous faut d’abord examiner plus en détail le système des sciences.
Le système des sciences
19Je ne chercherai ici qu’à voir clairement ce qu’est le système des sciences, et pour cela il faut examiner sa structure et son principe ou ses principes. Je remets à la dernière partie toute comparaison entre le Philèbe et les autres dialogues, comme la République. Après quelques remarques préliminaires sur les principes de pureté et de vérité, je commenterai le reste de notre passage partie par partie – le lecteur pouvant s’appuyer sur le schéma 1.
Préliminaires : les principes de pureté et de vérité
20Socrate affirme que l’examen du νοῦς et de l’ἐπιστήµη doit rechercher leurs parties les plus pures et les plus vraies, tout comme c’étaient les plaisirs les plus purs et les plus vrais qui étaient recherchés (55 c 7-9). Les mêmes principes doivent être appliqués, de la même manière20, dans un examen comme dans l’autre. Ceci soulève quelques problèmes. L’un est que les critères sont appliqués différemment au plaisir et au savoir. Pureté et vérité étaient d’abord appliqués au plaisir et au savoir d’une manière absolue et non pas relative. Les plaisirs sont soit vrais soit faux, soit purs (sans mélange de douleur) soit impurs (mêlés de douleur). Mais quand ces principes sont appliqués à l’ἐπιστήµη, ils le sont de manière relative, et le moyen de faire autrement, puisqu’il n’y a pas de fausse ἐπιστήµη. Cette application comparative du principe finit par fausser la division des sciences : au lieu d’une taxinomie nous trouvons une échelle graduée (comparer les schémas 1 et 3)21.
21Autre problème : la corrélation entre vérité et pureté. Elle a été établie par le moyen de la blancheur prise comme paradigme (53 a-b, 58 d) : plus l’échantillon est pur, plus la couleur est blanche (donc le fait d’être plus pur entraîne le fait d’être plus véritablement, c’est-à-dire, plus authentiquement, blanc). Mais le critère de pureté n’est pas appliqué aux plaisirs exactement de cette manière, ce qui fait perdre la corrélation avec la vérité. Les plaisirs sont dits impurs dans la mesure où ils sont mêlés de douleur. Mais, à la différence du blanc cassé, dont les impuretés sont toutes incorporées d’un coup, les douleurs associées aux plaisirs « impurs » sont (en général) non-concomitantes. Il en découle que les plaisirs qui sont impurs en ce sens ne sont pas moins (véritablement) agréables quand ils se présentent que les plaisirs dits purs. Dans le cas des sciences, « pureté » semble avoir encore un autre sens. Les sciences impures ne sont pas dites criblées d’erreurs (heureusement, car le musicien ne fait pas plus de fautes que le mathématicien, pas plus que les mathématiques ne contiennent plus d’erreurs que la dialectique). Disons plutôt qu’elles sont imprécises, faites d’un mélange de beaucoup d’incertitude et de peu de certitude.
22Ces incohérences dans l’application de principes affaiblissent l’argumentation contre l’hédonisme et menacent de miner la classification des sciences. Pour voir plus clairement comment cela se présente, attachons-nous maintenant à cette classification.
55 d 1-3 : La division première
23Socrate commence par diviser en deux parties ἡ περὶ τὰ µαθήµατα ἐπιστήµη : l’une qui est δηµιουργιϰόν et une autre qui traite de la παιδεία ϰαὶ τροϕή. Très naturellement, ces deux parties sont considérées comme des espèces distinctes du genre principal. Et pourtant cette division comporte une double ambiguïté. Il y a d’abord l’ambiguïté des µαθήµατα : le mot est-il pris en un sens lâche (« acquisitions de connaissances ») ou un sens précis (« la mathématique ») ? Au sens lâche, µαθήµατα paraît redondant (tout savoir s’occupe de « choses apprises »). Mais si µαθήµατα est pris au sens étroit, les divisions qui suivent sont embrouillées, car elles nécessitent de ne situer d’un côté de la division que les disciplines proprement mathématiques. Cette ambiguïté irrite certains commentateurs22, mais selon moi elle ne pose pas vraiment de problème. La formule περὶ τὰ µαθήµατα ne présuppose pas de distinction préalable à l’intérieur des ἐπιστῆµαι. Elle sert plutôt à conférer à l’ἐπιστήµη un caractère objectif et non pas subjectif. Autrement dit, la formule opère une transition, dont j’ai déjà indiqué qu’elle est très gênante dans le Philèbe, de l’ ἐπιστήµη comme un état intérieur cognitif, à l’ἐπιστήµη comme (ensemble de) faits publiquement reconnus. Seul ce dernier peut à bon droit être divisé en genres et espèces, et Socrate doit donc passer du subjectif νοῦ δὲ ϰαὶ ἐπιστήµης (55 c 5) à l’objectif τῆς περὶ τὰ µαθήµατα ἐπιστήµης (55 d 2). Ce glissement est légèrement adouci par le fait que ἐπιστήµη reste au singulier. Le genre premier est donc l’ ἐπιστήµη objective, la « science ».
24La seconde ambiguïté est plus grave. Que faut-il inclure exactement dans παιδεία ϰαὶ τροϕή ? Comme Socrate ne revient jamais explicitement à ce côté de la division, le contexte n’est d’aucune utilité. Presque tous les commentateurs modernes supposent que la division ultérieure entre mathématiques vulgaires et mathématiques philosophiques indique le passage à la παιδεία, mais pour le moment cette supposition ne semble pas fondée. Ailleurs chez Platon la formule παιδεία ϰαὶ τροϕή ne renvoie pas précisément aux mathématiques pures ou à la dialectique23. Et si la description des µαθήµατα en général comme τροϕή ψυχῆς est caractéristique du Socrate de Platon, on ne peut guère s’attendre à ce que même les interlocuteurs de Socrate puissent comprendre la métaphore sans son aide24. Il faut donc, dans le Philèbe, se demander ce que Protarque entend par là. Rien n’indique qu’il pense exclusivement aux mathématiques pures. Παιδεία comprend peut-être les études mathématiques, mais tout aussi naturellement l’étude de la poésie ou de la musique25. Et que pourrait suggérer le mot τροϕή à Protarque en dehors de l’éducation reçue concrètement de sa τροϕός (nourrice)26 ? Je suis finalement prêt à accepter l’interprétation traditionnelle de παιδεία ϰαὶ τροϕή, mais pour le moment mettons-la de côté comme une branche de la science qui reste à examiner, ce qui nous permet de passer aux subdivions à l’intérieur de la branche démiurgique.
Les sciences plus scientifiques et les sciences moins scientifiques (55 d 5-56 c 6)
25La section qui suit passe par trois phases : une division initiale assez vague, puis une phase d’abstraction dont la fonction est de clarifier la division, et pour finir une phase d’identification où sont décrites des sciences et des méthodes spécifiques. Lors de la première phase, Socrate prend la branche démiurgique de la science (il l’appelle maintenant χειροτεχνιϰή, 55 d 5) et la subdivise. Il caractérise l’une des parties comme « possédant davantage de savoir » (ἐπιστήµης αὐτῶν µᾶλλον ἐχόµενον, 55 d 6) et l’autre comme en possédant « moins » (ἧττον, 55 d 6)27, et il dit que les espèces de la première partie doivent être considérées comme « les plus pures » (ou peut-être « plus pures », le texte n’est pas sûr)28 ; et les espèces de la seconde partie le sont moins. Cette division laisse perplexe. Quoique Socrate continue à parler comme s’il divisait des espèces à l’intérieur d’un genre, l’introduction d’une échelle comparative fait plutôt penser qu’il découpe les segments d’un continu. Cette impression est renforcée quand il dit que ces sciences possèdent plus ou moins d’ ἐπιστήµη. S’il s’agissait d’une taxinomie des ἐπιστῆµαι, comme nous avions d’abord été amenés à le croire, chaque espèce serait alors pleinement une ἐπιστήµη, tout comme les chats, les chiens et les hommes sont tous pleinement des animaux29. Mais à partir de ce point la terminologie sera équivoque entre taxinomie et échelle graduée.
26Socrate pose ensuite une question à propos des sciences qui sont plus et moins scientifiques ; « devons-nous mettre à part et séparer en chacune d’elles les sciences qui les commandent ? » (Τὰς τοίνυν ἡγεµονιϰὰς διαληπτέον ἑϰάστων αὐτῶν χωρίς ; 55 e 10-11). Il semble s’agir d’abord d’une nouvelle division, mais c’est en réalité une tentative pour clarifier la division qui vient d’être faite. Le but est d’exclure l’arithmétique, la science de la mesure et de la pesée (ce sont les sciences hégémoniques) de toutes les sciences démiurgiques et de considérer ce qui reste. Les sciences qui dans l’ensemble échappent à cette exclusion sont moins soumises à la précision et sont donc moins scientifiques. Une complication naît de ce que nous avons maintenant une troisième catégorie de sciences (les sciences hégémoniques) qui semblent appartenir à une nouvelle classification qui chevauche les autres30. Platon aurait pu éviter cette complication en traitant l’arithmétique, la science de la mesure et de la pesée comme des activités qui différencient les sciences plus précises de celles qui le sont moins (cf. 56 a-b). S’il l’avait fait ici, le principe qu’il suit serait cohérent avec la taxinomie : plutôt que de sciences plus et moins scientifiques, nous pourrions parler de sciences stochastiques et métriques. Mais il a déjà en vue les mathématiques pures, donc l’échelle graduée des sciences, comme le fait penser la référence aux sciences « hégémoniques » qui doivent leur place « en tête » au fait qu’elles sont plus pures qu’aucune des sciences démiurgiques.
27Ayant exclu les sciences hégémoniques, Socrate identifie les sciences qui restent, et sont plus ou moins précises en fonction de leur nom et des méthodes qu’elles emploient. Les sciences moins précises comprennent l’ensemble de la musique, la médecine, le pilotage, l’agriculture et la stratégie militaire (56 a-b). Elles font appel à la conjecture (τὸ εἰϰάζειν, 55 e 5), la perception (αἴσθησις, 55 e 6), l’expérience (ἐµπειρία, 55 e 6) et l’art de conjecturer (στοχαστιϰή, 55 e 7, cf. 56 a 4, 56 a 6).). Les sciences plus précises comprennent l’art du charpentier (c’est-à-dire la construction en général), la construction navale et celle des maisons (56 b-c). Elles font appel « au plus grand nombre de mesures et d’outils » en vertu de quoi elles sont dites plus scientifiques31.
28Nous avons vu que l’examen des sciences procède parfois par taxinomie, parfois par échelonnement. Si la taxinomie est le but, il faudrait dire maintenant que Socrate a divisé les sciences stochastiques et métriques. Si l’échelonnement est le but, il a situé, sur l’échelle de la précision, l’emplacement de certaines sciences plus et moins précises.
Mathématiques vulgaires et mathématiques philosophiques (56 c 8-57 e 4)
29Après avoir divisé les sciences plus et moins scientifiques, Socrate considère l’intérieur du genre des sciences plus scientifiques (cf. τούτων, 56 c 8)32 pour examiner celles dont il a déjà dit qu’elles étaient les plus précises, les sciences hégémoniques (56 c 8-d 1). Mais il opère ici une nouvelle division qui n’a aucunement sa place dans la taxinomie. Il dit que les sciences hégémoniques sont « doubles » (διττάς), ce qu’il illustre par l’exemple de l’artihmétique ; il y a l’arithmétique de la foule, qui compte au moyen d’unités inégales (µονάδας ἀνίσους) : deux bœufs, deux armées et deux des plus petites ou des plus grandes de toutes choses. Et il y a l’arithmétique des philosophes, qui ne compte que des unités identiques (µονάδας)33. Nous découvrons que Socrate pense à quelque chose de voisin de notre distinction entre mathématiques pures et mathématiques appliquées. Il y a deux arithmétiques, comme nous l’avons vu. Il y a deux sciences du calcul, une pure et une mercantile (ἐµποριϰή, 56 e 8)34. Et il y a deux arts de la mesure, l’un qui est pur, appelé géométrie, et un autre qui était précédemment appelé l’art du charpentier35. Il en va à peu près de même pour toutes les sciences mathématiques (57 d 6-8).
30La distinction entre mathématiques vulgaires et mathématiques philosophiques ne trouve pas place dans la taxinomie précédente pour deux raisons : 1) son contenu pour partie la chevauche et pour partie n’y entre pas ; et 2) le principe de pureté est appliqué de deux façons différentes. Le contenu d’abord. Les sciences mathématiques, hégémoniques, étaient censées avoir été soustraites de la classification, laissant derrière elles les sciences plus et moins précises (55 e 10-e 3). Or, si nous considérons les sciences hégémoniques, nous constatons qu’une partie d’entre elles, celle des mathématiques vulgaires, contient bien les sciences plus précises, comme l’art du charpentier (56 e 7)36. L’autre partie, la mathématique philosophique, ne saurait réellement appartenir à la catégorie des sciences démiurgiques / cheirotechniques. Socrate a abandonné sa taxinomie précédente.
31Pour ce qui est du principe de pureté, Socrate ne l’abandonne pas, mais il l’applique différemment. A partir de 57 a 5-57 e 4 Socrate fait une digression, son motif ostensible étant d’analyser la raison qui a conduit à parler des sciences mathématiques. Il ne reviendra plus à sa taxinomie. Au cours de la digression il parle plutôt de la pureté relative des sciences (retombant donc dans son idée d’une échelle graduée). Toute la discussion de la pureté dans cette section est assez vague37, mais il est bien clair que le sens en a changé. Lorsqu’auparavant une science était dite « plus pure », cela signifiait « plus précise » ; la précision étant estimée en fonction la qualité et de la finesse des instruments utilisés. Et voici que les mathématiques philosophiques sont dites plus pures parce qu’elles manipulent des objets « plus clairs » que leur homologue vulgaire.
32On voit parfaitement pourquoi Socrate a été contraint d’effectuer ce changement. Les mathématiques pures ne font pas appel à des méthodes ou des instruments que ne peuvent utiliser les mathématiques appliquées (n’oublions pas que le groupe appliqué a été distingué des arts encore moins purs par ce qu’il ne fait pas appel à la conjecture, la perception, l’expérience). La seule différence entre les deux mathématiques réside dans les objets auxquels sont appliquées les méthodes. Or ceci ne découle absolument pas de la taxinomie précédente. L’agriculture et la construction traitent du même genre d’objets ; et en vertu de ce critère l’une est aussi pure que l’autre.
33Ainsi la division des mathématiques en vulgaires et philosophiques relève d’une autre taxinomie. Ou plutôt vaudrait-il mieux dire qu’elle indique l’abandon définitif de toute tentative pour fournir la moindre taxinomie. Car voici que la dialectique est introduite sans la moindre indication de la classe à laquelle elle appartient, et toute l’attention de Socrate va se tourner vers la hiérarchisation des sciences en fonction de leur degré de pureté, clarté, précision, vérité.
La dialectique (57 e 6-58 d 8)
34La section suivante du dialogue continue la recherche des sciences plus précises. Socrate se demande un instant si les mathématiques philosophiques sont « les plus précises » (57 e 3), avant d’ajouter que la dialectique (ici appelée ἡ τοῦ διαλέγεσθαι δύναµις, 57 e 6-7) les répudierait si elle n’était pas placée en tête38. Comme le notent certains commentateurs modernes, Socrate ne nous apprend vraiment pas grand chose ici sur la dialectique39. Il la décrit comme une capacité innée de l’âme à aimer la vérité et à tout faire pour elle (58 d 4-5), mais sans dire comment, ni même à quel point elle y parvient. Il affirme que l’objet de la dialectique est « ce qui est, ce qui existe réellement et est par nature toujours le même » (58 a 2-3), mais sans dire comment elle atteint cet objet. Même si Socrate est avare d’information, il y a de la sagesse dans ce qu’il dit. Il existe bien une puissance comme celle qu’il décrit, qui nous permet d’excéder toutes nos sciences et de les évaluer, les mettant à l’épreuve afin de savoir s’il y a en elle quoi que ce soit de pourri et de malade.῾H τοῦ διαλέγεσθαι δύναµις, voilà ce qui nous permet d’analyser le Philèbe et nous-mêmes quand nous recherchons la vérité.
35Il reste plusieurs difficultés à soulever à propos de la dialectique et de la classification des sciences. D’abord, quels critères montrent que la dialectique est supérieure aux mathématiques ? Je viens d’avancer que cela tient à sa capacité à évaluer, mais Socrate ne le dit pas. Il continue à parler de pureté, de précision et de vérité, ce qui semble ne le mener nulle part. Bien évidemment la méthode de la dialectique n’est en rien plus précise, au sens où je prenais ce terme, que celle des mathématiques (et en quel sens pourrait-elle être plus pure ou plus vraie ?). Et les objets de la dialectique ne semblent pas différer de ceux des mathématiques pures si l’on s’en tient aux descriptions rencontrées jusqu’ici. Socrate prend soin d’éviter toute comparaison directe entre les objets de la dialectique et ceux des mathématiques. Ainsi donc, bien que Socrate place la dialectique au dessus des mathématiques, il n’en donne aucune justification satisfaisante.
36En s’obstinant aussi farouchement à appliquer les critères de pureté, précision et vérité, Socrate tourne le dos à un autre problème. Quand il compare dialectique et rhétorique (58 c-d), il est parfaitement disposé à dénier toute importance à l’avantage et à l’utilité comme critères. C’est ahurissant, puisque nous savons que toute la discussion devait faire apparaître ce qui rend un genre de vie meilleur qu’un autre. Peut-être ce qui est dit de la rhétorique est-il ironique40, mais il ne s’agit pas de savoir si c’est la rhétorique qui est vraiment avantageuse. Il s’agit de savoir si l’avantageux est un bien distinct du bien de la dialectique et, en ce cas, lequel est le plus digne d’être recherché41. Le Philèbe ne prend pas la peine d’examiner cette question ; peut-être sommes-nous censés penser qu’elle a été réglée dans le Gorgias.
37Une dernière énigme. La dialectique a-t-elle une place, et laquelle, dans la taxinomie des sciences ? La réponse est qu’elle n’en a aucune42. Je souscris là totalement à l’analyse de Hackforth, et je terminerai cette discussion de la dialectique en le citant :
[…] au plus haut se situe la dialectique, et Platon ne lui prête même pas l’apparence de l’appartenance au schéma de la διαίρεσις. Examinée du point de vue de la division originelle en 55 d 1-3, elle ferait sans doute partie de τὸ περὶ παιδείαν ϰαὶ τροϕήν ; mais rien n’est dit de sa valeur éducative, et puis que le fundamentum divisionis appliqué jusqu’ici – la possession d’une plus un moins grande ἀϰριϐεία due à la présence ou à l’absence d’une procédure mathématique – est inapplicable ici, il vaut mieux s’en tenir à la dialectique comme sui generis dans l’esprit de Platon, comme elle l’est en réalité.
(Plato’s Philebus, p. 115)
Savoir contre opinion, résumé (58 e 4-59 d 8)
38Socrate a terminé l’ensemble de l’examen des sciences. Pour le résumer, il le formule exclusivement sous forme d’une distinction entre savoir et opinion. « Les nombreuses τέχναι, dit-il, font usage de l’opinion (δόξαις χρῶνται) et examinent avec ardeur les choses liées à l’opinion (τὰ περὶ δόξαν) » (59 a 1-2)43. Les τέχναι « ne détiennent pas la raison ou le savoir (ἐπιστήµη) des choses les plus vraies ». Elles sont opposées à « ce qui est ferme, pur et vrai, et ce que nous appelons intègre »44. Voilà qui mérite vraiment, à la différence des τέχναι, les noms de νοῦς et d’ ἐπιστήµη. La distinction entre savoir et opinion ne semble pas avoir sa place ici. Car il semblait jusqu’à présent que toutes les τέχναι considérées étaient des ἐπιστῆµαι, sinon totalement, en tout cas à un certain point. Nous entendons maintenant qu’elles ne détiennent pas du tout d’ ἐπιστήµη, seulement de la δόξα. Il est permis de soupçonner que dans ce bref fragment le mot ἐπιστήµη est employé dans un sens plus restreint qu’ailleurs dans le dialogue. Je vais avoir l’occasion d’y revenir dans la troisième partie.
Conclusions de cette analyse
39Quelles sont donc les conclusions auxquelles nous sommes parvenus jusqu’ici ? Si nous posons que le but de tout ce passage est de fournir une taxinomie des sciences, nous parvenons à une structure comme celle de la figure 1. D’abord les sciences éducatives sont séparées des sciences productives et mises de côté. Puis l’art productif est divisé en stochastique et métrique. Les sciences hégémoniques sont ôtées des sciences métriques, abandonnant en chemin charpenterie et compagnie. Puis, en un second temps, la métrique est divisée en vulgaire et philosophique. Mais plusieurs raisons font qu’il est impossible de suivre jusqu’au bout cette taxinomie. Il y a d’abord la distinction, à l’intérieur des sciences métriques, entre la charpenterie et les sciences hégémoniques. Une fois opérée la séparation entre mathématiques vulgaires et philosophiques, cette distinction ne peut plus se défendre : la charpenterie devient un art mathématique appliqué, comme les autres. En second lieu, nous constatons que les mathématiques philosophiques ne peuvent plus être prises sérieusement pour un art démiurgique ou cheirotechnique. Il était erroné de croire que l’ensemble des mathématiques se situait dans cette classification. Enfin, nous ne savons jamais clairement à quel genre appartient la dialectique. La figure 1 la place parmi les arts, si l’on suppose que le genre démiurgique couronne toute la discussion après 55 d. Mais ceci ne peut être exact : la dialectique n’est pas un art.
40Pour sauver cette taxinomie, il n’est pas impossible de la redisposer en la simplifiant, comme je l’ai fait dans la figure 2. La division des arts en stochastiques et métriques est conservée, mais les arts métriques ne contiennent plus que les mathématiques appliquées45. Les mathématiques pures ont été mises du côté des sciences pédagogiques, de même que la dialectique (comme l’ont avancé certains commentateurs modernes). La taxinomie y gagnerait en cohérence, mais le texte s’y oppose. Une solution plus radicale consiste à rejeter comme embrouillée la taxinomie suggérée par le texte et à poser que le passage cherche à établir une échelle graduée. Si nous plaçons diverses sciences sur l’échelle de la précision nous obtenons un résultat voisin de la figure 3. Évidemment cette échelle ressemble fort à la célèbre Ligne de République VI. Je vais y revenir, mais nous pouvons accepter cette ressemblance comme preuve que le paradigme pour l’examen des sciences par Platon est une échelle graduée, et que ses tentatives pour mêler gradation et taxinomie ont amené les confusions rencontrées dans le texte.
Le Système des sciences et la philosophie de Platon
41A partir de ce que nous avons dit de la classification des sciences dans le Philèbe, nous sommes amenés à soupçonner que Platon présuppose des conceptions épistémologiques proches de celles qui étaient les siennes dans les dialogues centraux46. Mais nous avons également vu que cette présupposition vient parfois gêner l’argumentation du Philèbe et même la contredire. J’aimerais maintenant dire pourquoi je pense que c’est précisément ainsi qu’il faut considérer le Philèbe, comme un dialogue où Platon conserve ses conceptions antérieures, mais où il commence en même temps à analyser des questions et des méthodes qui ne leur sont pas nécessairement compatibles. J’apporterai d’abord des preuves du conservatisme de Platon, puis ferai quelques remarques sur le Philèbe comme dialogue de transition.
La classification des sciences et la division de la Ligne
42Si nous oublions le langage de la taxinomie pour nous occuper de la hiérarchie des sciences, nous voyons une ressemblance fondamentale entre Philèb, e 55 c-59 d et République, VI, 509 d-511 e, où apparait la célèbre division de la Ligne (figure 3). Notons d’abord que les principes appliqués dans le Philèbe pour hiérarchiser les sciences correspondent aux principes de la division de la ligne. Ce sont dans le Philèbe : précision (ἀϰρίβεια, 56 b-c), pureté (ϰαθαρότης, 55 c-d, 57 b), clarté (σαϕήνεια, 57 b-c) et vérité (ἀλήϑεια, 57 d, 58 a, 59 b). Dans la République les principes sont clarté (σαϕήνεια, 509 e, 511 e) et vérité (ἀλήϑεια, 510 a)47.
43De plus, les principales dichotomies se répondent. Dans le Philèbe, il y a une coupure entre les τέχναι qui opinent sur des objets en devenir et les sujets exacts qui ont un savoir des objets qui sont toujours mêmes. Ceci correspond à la principale division de la Ligne, entre δόξα et ἐπιστήµη. Les ressemblances entre les quatre divisions dans chaque cas sont encore plus frappantes. Au bas de la ligne nous trouvons εἰϰασία, à quoi correspond la « conjecture » (τὸ εἰϰάζειν, 55 e 5) des arts imprécis dans le Philèbe. A l’étage suivant de la ligne nous trouvons les accessoires de tous les arts (cf. τὸ σϰευαστόν, 510 a 6), à quoi correspondent les accessoires et les instruments de la charpenterie et de la construction dans le Philèbe 56 c- 57 e). Au troisième niveau de la Ligne se trouve une description des mathématiciens qui, même s’ils se servent de diagrammes visibles, se préoccupent davantage de choses comme « le carré en soi » ou « la diagonale en soi » (510 d). Ceci correspond d’assez près à la discussion des mathématiques philosophiques du Philèbe, et remarquons qu’en plus de ces « monades identiques » que dénombrent les mathématiciens philosophes, le dialogue mentionnera « le cercle divin en soi et la sphère divine en soi » comme objets de connaissance exacte (62 a 7-8)48.
44Il est difficile de comparer la dialectique de la République (partie supérieure de la Ligne) avec celle du Philèbe, puisque les deux dialogues sont également obscurs sur ce qu’est la dialectique. Mais ils utilisent la même formule – ἡ τοῦ διαλέγεσθαι δύναµις (Philèbe 57 e 6, République 511 b 4) – pour désigner la dialectique. Il semble impossible d’imaginer qu’un lecteur connaissant bien la République puisse ne pas noter cette ressemblance.
45On a avancé que les deux dialectiques diffèrent notablement l’une de l’autre. Ainsi Shiner soutient que dans la République la dialectique est distinguée des autres modes d’examens de manière « à la séparer absolument » tandis que dans le Philèbe il y a une « simple échelle de comparaison »49. Il fait remarquer que dans la République la dialectique est la pierre de faîte (θριγϰός, 534 e 2) des études, alors que dans le Philèbe la dialectique leur est supérieure sans en être essentiellement différente.
46Je pense néanmoins que les deux dialogues sont ambivalents quant à la place de la dialectique. Certes la République insiste sur la prééminence de la dialectique, mais les métaphores de la Ligne et de la pierre de faîte n’impliquent en fait pas plus qu’une échelle de comparaison. Il n’y a qu’une Ligne, même si elle est coupée en trois endroits, et une pierre de faîte, même si elle couronne l’édifice, n’est jamais qu’une pierre parmi d’autres (à la différence de la clé de voûte, dont toutes les autres dépendent pour rester en place). D’un autre côté, le Philèbe, bien qu’il compte la dialectique parmi les sciences, ne lui accorde pas de place spécifique à l’intérieur de la taxinomie. Les deux dialogues restent donc très prudents : la dialectique doit être distincte des autres études, mais pas trop. Dans la mesure où elle est isolée dans la République, elle se distingue par ses objets. Mais la même séparation exactement apparaît dans le Philèbe 58 d- 59 d. De plus, dans les deux dialogues, on a peine à dire quelle différence il y a entre les objets des mathématiques et ceux de la dialectique. La ressemblance entre République et Philèbe n’est donc pas affaiblie50.
La distinction entre savoir et opinion
47Nous avons vu plus haut que de 58 a à 59 d le Philèbe introduit une distinction entre savoir et opinion, distinction sur laquelle je voudrais à présent revenir en détail. Le savoir, dit Socrate, s’occupe de ce qui est vraiment : τὸ ὂν ϰαὶ τὸ ὄντως ϰαὶ τὸ ϰατὰ ταὐτὸν ἀεὶ πεϕυϰός (58 a 2), τὰ ὄντα ἀεί (59 a 7), τὰ ἀεὶ ϰατὰ τὰ αὐτὰ ὡσαύτως ἀµειϰτότατα ἔχοντα (59 c 3-4). L’opinion s’occupe des « choses de ce monde, comment il a commencé à exister, comment il agit et pâtit » (τὰ περὶ τὸν ϰόσµον τόνδε, ὅπῃ τε γέγονεν ϰαὶ ὅπῃ πάσχει τι ϰαὶ ὅπῃ ποιεῖ, 59 a 3-4). Il s’agit des « choses qui viennent-à-être, sont venues-à-être et viendront-à-être » (τὰ γιγνόµενα ϰαὶ γενησόµενα ϰαὶ γεγονότατὰ, 59 a 7-8). Pas une seule d’entre elles, nous dit-on, n’est jamais ni n’a été ni ne sera dans le même état (µήτε ἔσχε µηδὲν πώποτε ϰατὰ ταὐτὰ µήθ᾽ ἕξει µήτε εἰς τὸ νῦν παρὸν ἔχει, 59 b 1-2). Les deux sortes de cognition, le savoir et l’opinion, fonctionnent parallèlement à deux modes de réalité, l’être et le devenir. On peut soutenir qu’il s’agit de la même distinction épistémologique qu’en République V51. Impossible de ne pas reconnaître les formules propres à la théorie des Formes.
48Comme nous l’avons vu, le problème que ceci soulève se trouve déjà dans le Philèbe. Avant la distinction entre savoir et opinion, toutes les sciences, y compris celles qui s’occupent de perception sensible et de production, sont appelées ἐπιστῆµαι. Ceci a conduit bien des spécialistes à estimer que la distinction du Philèbe entre savoir et opinion n’est qu’un vestige de conceptions platoniciennes antérieures52. Leur argument serait que dans les dialogues centraux Platon ne concède pas qu’on peut connaître les choses sensibles, et qu’il restreint donc le terme ἐπιστήµη à la connaissance des Formes. Mais dans le Philèbe le terme ἐπιστήµη en vient à recouvrir tous les arts, et Platon doit donc avoir révisé sa théorie du savoir.
49Malheureusement pour cette objection, il n’est pas vrai que dans les dialogues centraux Platon réserve le terme ἐπιστήµη à la connaissance des Formes53. Dans le Phédon, le Banquet et le Phèdre, le terme ἐπιστήµη est employé fréquemment, même dans une argumentation épistémologique, pour le genre de connaissance que nous avons des réalités sensibles particulières54. De plus, le traitement de ἐπιστῆµαι et de τέχναι comme synonymes est courant tout au long des dialogues centraux, y compris la République55. Il se trouve que la distinction platonicienne entre savoir et opinion n’est pas exprimée de façon cohérente dans les termes ἐπιστήµη et δόξα56. En revanche, ce que Platon y soutient de façon cohérente est que la connaissance d’objets éternels est plus pure et plus parfaite que la connaissance d’objets sensibles57. Mais cette conception, comme nous l’avons vu, est réaffirmée dans le Philèbe.
50On peut expliquer l’usage généreux du terme ἐπιστήµη dans la plus grande partie du Philèbe. N’oublions pas qu’au début du dialogue les deux réponses, celle de Socrate et celle de Philèbe, à la question « Qu’est-ce que le bien ? », étaient des réponses composées, qui mentionnaient plusieurs notions étroitement liées (cf. 11 b 4-c 1). Par commodité, les réponses complètes ont été abrégées et réduites à un terme unique : la réponse de Socrate est reprise généralement par le terme νοῦς, mais souvent aussi par ϕρόνησις ou ἐπιστήµη. Ainsi ἐπιστήµη est souvent utilisé pour recouvrir toute une gamme de capacités cognitives, incluant tant la pensée noétique que l’opinion droite.
51Mais nous en venons ici à ce qui pourrait bien être une différence véritable entre le Philèbe et les dialogues centraux, où Platon avait envers l’opinion une attitude beaucoup moins favorable. Peut-être ceci tient-il à des différences de contexte et d’intention : Platon veut montrer ici que même la musique et l’art du charpentier sont des activités qui valent mieux que ce que Philèbe poursuit. Mais le Philèbe donne bien l’impression d’avoir envers la vie bonne une attitude plus pragmatique que les dialogues centraux58.
Le Philèbe, dialogue de transition
52Tentons maintenant de réunir tous les fils de cette analyse. Les comparaisons qui viennent d’être faites visaient à souligner la ressemblance entre le Philèbe et les dialogues centraux, en particulier la République. Elles montrent que Platon fait intervenir dans le Philèbe une théorie du savoir qui, pour l’essentiel, est la même que celle des dialogues centraux. Je voudrais néanmoins faire apparaître que dans le Philèbe Platon a commencé à mesurer les insuffisances de cette théorie.
53L’un des traits les moins souvent relevés et les moins justement appréciés du Philèbe est l’acceptation par Platon de l’homonymie. Un seul nom peut renvoyer à une pluralité de choses : plaisir, mathématiques, etc (12 c-d, 57 d). Simultanément il y a des noms différents pour des choses qui sont, ou sont tenues pour être, les mêmes. Ainsi Philèbe soutient que le plaisir et le bien sont les mêmes (60 a, cf. 13 b). L’acceptation de l’homonymie pousse Platon à reconsidérer les problèmes posés par l’un et le multiple, et à explorer la structure conceptuelle de termes connexes, mais la bonne manière de le faire ne se laisse pas saisir (16 b 7-8).
54Nous avons vu dans la première partie que, pour que l’argument sur la vie bonne soit juste et complet, il faut analyser de plus près les états et les capacités cognitifs « esprit », « intelligence », « mémoire », « opinion droite » etc. Comment se fait-il qu’ils convergent tous vers une même chose que, par commodité, on peut appeler ἐπιστήµη ? Et si ces choses apparemment disparates peuvent converger, ne se pourrait-il pas que les diverses sciences appelées ἐπιστῆµαι diffèrent sur des points importants ? Nous avons éludé le problème de savoir jusqu’à quel point Platon était conscient de ces deux questions, mais sa marche forcée à travers la classification des sciences, qui soulève tant de difficultés, laisse penser qu’il y avait de l’ironie dans l’impératif : « N’ayons pas l’air d’épargner de notre mieux l’intellect et la science ». En fait, son examen les a effectivement trop épargnés, mais le nôtre ne doit pas le faire. (L’apologie de la vie intellectuelle demande une juste évaluation de cette vie).
55En nous attachant de plus près à la classification des sciences, nous avons constaté des incohérences dans la méthode. Jusqu’ici Platon avait placé les sciences sur une échelle, mais ceci n’est plus compatible avec l’activité neutre de la diairesis qui cherche seulement à voir comment une espèce est reliée à une autre. La hiérarchisation est sans doute nécessaire à l’argument éthique, mais la neutralité de la distribution est une condition préalable à la compréhension de ce qui doit être hiérarchisé. Est-ce trop que d’imaginer que Platon en a conscience59 ?
56Et enfin il y a ce passage étonnant où la dialectique est comparée à la rhétorique. Platon y concède tout à fait ouvertement que la valeur d’une chose peut se juger à d’autres critères que ceux de la métaphysique. Puisque c’est le genre d’objection qu’Aristote fait à l’éthique de la période centrale de Platon, il est tentant d’avancer qu’ici Platon reconnaît l’existence du problème. En tout cas le Philèbe ne dissimule pas une discordance possible entre le vrai et l’avantageux.
57Dans le Philèbe Socrate ne cherche plus à attribuer le premier prix à l’esprit. Il est assailli de problèmes métaphysiques. Il est incapable d’appliquer la méthode dialectique. Il est trop économe de savoir. Il ne prend pas la peine de mettre la vérité à l’épreuve et de la confronter avec l’avantageux. Protarque est facilement confondu et convaincu, mais les problèmes soulevés par Socrate nous apparaissent avec encore plus d’évidence. J’ai peine à croire que Platon n’en est pas conscient. La fin du Philèbe nous montre que la tâche n’est pas terminée.
Platon. Philèbe 55c-59d : Classification des Sciences Figure 1

Platon. Philèbe 55c-59d : Classification des Sciences Figure 2

Platon. Philèbe 55c-59d : Classification des sciences Figure 3

Notes de bas de page
1 Voir 12 c-14 a, 20 a, 52 e.
2 L’examen du plaisir (31 b-55 c) est à peu près six fois plus long que celui du savoir (55 c-59 d).
3 Voir Protagoras, 358 a 6-8 : τὴν δὲ Προδίϰου τοῦδε διαίρεσιν τῶν ὀνοµάτων παραιτοῦµαι‧ εἴτε γὰρ ἡδὺ εἴτε τερπνὸν λέγεις εἴτε χαρτόν.
4 ἡδονή – 339 occurrences (à quoi il faut ajouter ἡδύ – 13 occurrences ; ἥδεσϑαι – 15 occurrences) ; χαίρειν – 49 occurrences (parmi elles, deux se retrouvent dans l’expression χαίρειν, donc ne doivent pas être prises en compte) ; τέρψις – 2 occurrences (τέρπειν – 1 occurrence). Ce recensement, ainsi que les autres figurant dans cet article a été fait à l’aide du T.L.G. Je note en passant que des chiffres différents sont donnés par Bernardete (The Tragedy and Comedy of Life, p. 1, n. 3), qui n’a peut-être pas tenu compte de certaines formes. Quoi qu’il en soit, même s’il y a désaccord, ces chiffres montrent que les occurrences de ἡδονή et des mots de la même famille dépassent largement celles de χαίρειν.
5 Dans certains passages, Platon éprouve le besoin de centrer l’attention sur un mot ou un autre. Voir par exemple l’argument cosmologique en 28 a-31 a (avec le jeu de mots en 30 d) où prédomine le terme νοῦς. Mais même là les termes νοῦς, φρόνησις, et σοφία sont confondus (voir 28 a 4, 28 c 3, 28 d 8, 30 c 7, 30 c 9). Pour une semblable identification entre φρόνησις, ἐπιστήµη et σοφία, voir Ménon, 87 b sq. Il semble qu’en général Platon soit enclin à l’équivocité (cf. Protagoras).
6 Posons que les termes « pleasure », « delight », « gladness », « joie », « jouissance », « plaisir » expriment chacun un sentiment ou un état émotif caractérisé. Il n’est guère de termes plus difficiles à traduire avec précision.
7 La classification des sciences parvient bien à distinguer ἐπιστήµη de δόξα, mais ne s’attaque pas aux différences entre νοῦς, ἐπιστήµη, σοφία, etc.
8 Comparer Théétète, 146d-147d. Si une énumération des sciences n’est pas suffisante pour définir la connaissance, elle le sera encore moins pour déterminer ce qu’est la vie de l’esprit.
9 14 b1-4 : Τὴν τοίνυν διαϕορότητα, ὦ Πρώταρχε, τοῦ τ᾽ ἐµοῦ ϰαὶ τοῦ σοῦ µὴ ἀποϰρυπτόµενοι, ϰατατιθέντες δὲ εἰς τὸ µέσον, τολµῶµεν, ἄν πῃ ἐλεγχόµενοι µηνύσωσι πότερον ἡδονὴν τἀγαθὸν δεῖ λέγειν ἢ ϕρόνησιν ἤ τι τρίτον ἄλλο εἶναι (« Ne dissimulons donc point, Protarque, les différences qu’il y a entre ton candidat et le mien, mais soyons assez hardis pour les mettre bien en vue et décider si, après examen, ils nous révéleront si ce que nous devons appeler le bien c’est le plaisir, ou l’intelligence, ou quelque tiers prétendant »). Sur le texte de cette phrase voir Bury [1897], p. 10 n. 13.
10 Il vaut peut-être la peine de relever que, sur 36 occurrences du mot ἐπιστήµη dans ce dialogue, 26 apparaissent dans le contexte des divisions des plaisirs et des sciences. Neuf des dix autres figurent dans les listes récapitulant les noms désignant la vie prônée par Socrate, et celle qui reste se trouve en 38 a 7.
11 Certes il ajoute aussitôt : « mais certaines seront peut-être les mêmes ». Je ne peux ici que résumer mon sentiment sur cet étrange ajout. Seront les mêmes dans la discussion à venir les termes πέρας et ἄπειρον, et ils auront le même sens mais une application très différente. (Voir Benitez, Forms in Plato’s Philebus, p. 65-67 et Striker, Peras und Apeiron, p. 41 ; pour une interprétation différente, voir Frede, Plato Philebus, p. xxxvii). D’un autre côté cette remarque sur le besoin d’armes différentes est clairement destinée à marquer la fin du passage montrant que la division des plaisirs était superflue.
12 Certes la « méthode divine » décrite en 16 c-17 a n’est pas appliquée rigoureusement à la classification des plaisirs et des sciences, ce qui crée une nouvelle difficulté puisque la rigueur était une condition de la méthode (voir 17 d 7-e 2). Mais il est clair que la classification des sciences procède à peu près selon les règles de la méthode divine.
13 Voir ἐπιτροπεύειν (28 d 6), συντάττουσαν (28 d 9, 30 d 5), διαϰυβερνᾶν (28 d 9), διαϰοσµεῖν (28 e 3), ϰοσµοῦσα (30 c 5).
14 Comparer Protagoras, 356 b-357 c.
15 J’ai examiné ce problème dans Forms in Plato’s Philebus.
16 Voir 52 b 6-8 : Ταύτας τοίνυν τὰς τῶν µαθηµάτων ἡδονὰς ἀµείϰτους τε εἶναι λύπαις ῥητέον ϰαὶ οὐδαµῶς τῶν πολλῶν ἀνθρώπων ἀλλὰ τῶν σϕόδρα ὀλίγων « Alors nous devons dire que ces plaisirs de la connaissance ne sont mêlés d’aucune douleur et, loin d’appartenir à la masse des hommes, sont le lot d’un tout petit nombre ». Cf. Protagoras, 337 c 1-4, où Prodicos déclare : εὐϕραίνεσθαι µὲν γὰρ ἔστιν µανθάνοντά τι, etc. (« car on éprouve de la joie en apprenant quelque chose »). Ceci pourrait compliquer la discussion en poussant à se demander si la vie intellectuelle est bonne parce qu’elle est agréable ou agréable parce qu’elle est bonne. Cette question n’est pas soulevée dans le Philèbe.
17 Des critères différents, ainsi ce qui est µεγίστη ϰαὶ ἀρίστη ϰαὶ πλεῖστα ὠϕελοῦσα ἡµᾶς (58 c 1-2), ont peut-être donné des résultats différents. On pourrait objecter que les critères réellement utilisés, qui comprennent la pureté (ἡ ϰαϑαρότης), la beauté (τὸ ϰαλόν) et la vérité (ἡ ἀλήϑεια) en plus de la symétrie et la mesure, ne sont pas exclusivement mathématiques. Cete objection aurait son poids si les termes ϰαϑαρότης, ϰαλόν, ἀλήϑεια etc. étaient utilisés au sens le plus large. Mais dans le Philèbe ils se ramènent tous à une signification mathématique (voir Frede, p. lviii-lix, p. 67 n. 1).
18 Posons que Platon est l’ ἐραστής de la division (voir Philèbe, 16 b, Phèdre, 266 b.) Parmi les derniers dialogues, le Sophiste, le Politique et le Philèbe semblent céder particulièrement au besoin de diviser, même lorsque ces divisions sont des digressions. On est tenté d’approuver Archer-Hind (p. 1) pour qui Platon se sert souvent des fins explicites d’un dialogue pour introduire des « moyens » qui étaient en fait ses objets premiers.
19 La contribution rhétorique de la division des sciences est assez impressionnante. Pour Gosling (p. 228), « Il y a d’autres manières de suivre une stratégie cohérente que développer une argumentation bien construite, et Platon n’hésite pas à en user. »
20 Voir 57 b 1-2 : ἐπιστήµης ἐπιστήµη, ϰαθάπερ ἡδονῆς ἡδονή.
21 Hackforth voit clairement le problème : « Platon… a fait entrer dans le moule de la division logique une classification d’arts ou de sciences qui ne sont pas en fait les espèces coordonnées d’un genre, mais dont le rapport est un rapport de plus ou moins grande proximité avec la vérité (ἀλήϑεια) ou la précision (ἀϰρίϐεια) » (Plato’s Philebus, p. 115). Platon s’est peut-être aperçu que taxinomie et échelonnement ne peuvent être confondus. En Sophiste 227 a-c, l’Étranger d’Élée soutient que la dialectique, quand il s’agit de la division des arts, ne demande jamais si l’un est plus bénéfique qu’un autre, mais se contente d’examiner leurs rapports structurels.
22 Voir Badham (ad loc.) et aussi Benardete (p. 68 n. 26, p. 218) qui fait écho au précédent. Ils semblent croire à tort que τὰ µαθήµατα appartiennent exclusivement au savoir démiurgique.
23 Voir Phédon, 107 d 3-4 : οὐδὲν γὰρ ἄλλο ἔχουσα εἰς ῞Αιδου ἡ ψυχὴ ἔρχεται πλὴν τῆς παιδείας τε ϰαὶ τροϕῆς (« Lorsqu’elle se rend dans l’Hadès, l’âme n’emporte rien d’autre avec elle que son éducation et sa formation »). On peut concevoir qu’un Platon ésotérique veuille faire comprendre au lecteur que l’âme désincarnée peut seulement posséder un savoir mathématique et philosophique, mais le contexte du passage n’indique rien de tel. Au contraire, l’éducation et la formation de l’âme sont déterminantes quand il s’agit d’aider ceux qui viennent de trépasser ou de leur nuire. Platon peut difficilement vouloir que son lecteur pense qu’un savoir philosophique et mathématique pourrait nuire à une âme. La formule παιδεία ϰαὶ τροϕή doit donc s’entendre plus généralement.
24 Voir par ex. Protagoras, 313 c : Hippocrate — Τρέϕεται δέ, ὦ Σώϰρατες, ψυχὴ τίνι ; Socrate — Μαθήµασιν δήπου.
25 Voir Protagoras, 338 e 6-339 a 3.
26 Voir ibid., 325 c 6-d 5.
27 Au passage : il est curieux de trouver les adjectifs µᾶλλον et ἧττον appliqués à ἐπιστήµη puis, un peu plus tard, l’adverbe σϕόδρα appliqué à la pensée (σϕόδρα διανοηθέντες, 58 d 2). N’oublions pas que, dans la digression métaphysique, Socrate avait affirmé que tout ce qui reçoit le « plus » et le « moins » et le « beaucoup » appartient au genre de l’illimité (῾Οπός᾽ ἂν ἡµῖν ϕαίνηται µᾶλλόν τε ϰαὶ ἧττον γιγνόµενα ϰαὶ τὸ σϕόδρα ϰαὶ ἠρέµα δεχόµενα ϰαὶ τὸ λίαν ϰαὶ ὅσα τοιαῦτα πάντα, εἰς τὸ τοῦ ἀπείρου γένος ὡς εἰς ἓν δεῖ πάντα ταῦτα τιθέναι, 24 e 7-25 a 2). Mais il est bien certain que Platon ne veut pas faire entrer ἐπιστήµη ou διάνοια dans le genre de l’illimité.
28 Les mss. donnent ϰαθαρώτατα (55 d 2), mais ceci semble fort improbable. Les arts ainsi décrits comprennent celui du charpentier, l’architecture etc. Si ce sont « les plus purs », qu’en est-il des mathématiques et de la dialectique ?
29 Cf. Aristote, Cat., 2 b 22-28 : « un homme individuel n’est pas plus vraiment une substance qu’un bœuf individuel. »
30 Il semble y avoir une confusion analogue chez Aristote, Post. Anal., 78 b 35-79 a 16. Aristote traite les arts purement mathématiques comme des genres dont les arts mathématiques appliqués sont une espèce. Ainsi il dit que le genre géométrie contient l’espèce optique, qui contient l’art qui étudie les arcs-en-ciel. Mais l’optique n’est pas une espèce de la géométrie (les géométries plane et solide le sont), elle se contente d’appliquer un raisonnement géométrique.
31 56 b 4-5 : πλείστοις µέτροις τε ϰαὶ ὀργάνοις. L’ironie semble évidente : l’emploi de davantage de mesures et d’outils ne rend pas une science plus précise, pas plus que le fait d’avoir les chaussures les plus grandes et les plus nombreuses ne rend le savetier plus habile (voir Gorgias, 490 d-e).
32 Jackson, dans Bury, p. 131 n. 6, rejetait τούτων, arguant que les sciences hégémoniques sont classées au dessus des sciences manuelles et non parmi elles. Mais sa remarque confirme qu’il s’agit d’un problème de confusion entre la taxinomie et l’échelonnement ; τούτων indique la taxinomie (cf. 55 d 10-11), mais la plus grande précision des sciences hégémoniques les fait classer au dessus des autres.
33 La mention de monades rappelle la discussion par Socrate des graves problèmes de l’un et du multiple (15 b). Il est curieux que bœufs et [armées d’] hommes soient cités ici comme monades inférieures, alors que bœuf, homme etc. étaient donnés précédemment comme la sorte de monades dont le philosophe devrait se préoccuper avant tout (15 a 4-7, 15 b 1-c 3). Bernadete (The Tragedy, p. 7 n. 18, p. 221-224), estime que le passage de 56 d montre que Platon se bat avec une discordance entre les monades des mathématiciens, toutes strictement identiques, et celles des philosophes, qui doivent toutes être différentes. Il y a bien ici une allusion à 15 a-c, mais la conclusion tirée par Benardete est erronée. Nous sommes censés conclure que les monades de la foule – bœufs et hommes sensibles – sont sans valeur à côté des monades des philosophes – les formes éternelles et immuables.
34 Quelle appplication des mathématiques peut désigner ἐµποριϰήν ? J’ai inclus le calul mercantile dans la figure 1, entendant par là l’activité logistique qui contribue à fixer un prix : l’estimation de la valeur, les calculs de quantité, taille, inventaire, offre et demande etc.
35 Il semble raisonnable d’induire de 56 e 7-57 a 2 et de 57 d 6-8 que µετρητιϰή est le nom homonyme qui peut être appliqué tant à l’art du charpentier qu’à la géométrie.
36 Il existe des anomalies : des sciences hégémoniques il a été dit qu’elles comprenaient l’arithmétique, la science de la mesure et de la pesée (στατιϰή). La pesée ne sera plus mentionnée. Plus tard la logistique et le calcul mercantile (ἐµποριϰή) apparaissent pour la première fois en tant qu’arts mathématiques. D’autres détails montrent que les sciences hégémoniques de 55 d-e ne correspondent pas exactement aux sciences mathématiques de 56 d-e.
37 Socrate parle d’abord de pureté (56 b 1), puis de clarté (57 b 6) et de précision (57 c 3) sans plus de précision. Protarque y ajoute la vérité (sans que Socrate y fasse objection). La clarté (comme critère) a déjà été citée une fois (56 a 7) et reviendra deux fois (58 c 3, 59 a 11), mais le sens n’en est jamais éclairci. Il est paradoxal que σαφές apparaisse surtout quand on presse Socrate de parler plus clairement (voir 14 c 6, 17 a 7, 23 e 7, 51 d 5, 53 d 8, 53 e 2 ; cf. 18 d 3, 20 c 5, 37 a 1). La vérité n’avait pas été citée dans ce contexte. Elle doit apparemment être prise sur le modèle de la « véritable blancheur » (voir 59 d, 53 a-b).
38 Selon certains, le langage non-technique (ἡ τοῦ διαλέγεσθαι δύναµις) indique un contraste avec la dialectique (voir Frede, p. lx-lxiii, p. 70 n. 1 et Benardete, p. 224). Platon veut peut-être marquer une allusion à Rép. VI, et utilise donc exactement la même formulation qu’en 511 b 4 (j’y reviendrai). Quoi qu’il en soit, la dialectique est clairement désignée. Plus tôt dans le dialogue, Socrate a introduit une méthode dialectique (cf. διαλεϰτιϰῶς, 17 a 4) pour aider à résoudre les difficultés posées par l’un-multiple à propos d’objets qui sont ἀεὶ τὴν αὐτὴν (15 b 3-4). Cette phrase est reprise en écho en 58 a 2-3, où Socrate décrit les objets de ἡ τοῦ διαλέγεσθαι δύναµις comme τὸ ϰατὰ ταὐτὸν ἀεὶ πεϕυϰός ; l’écho de 15 b montre que ἡ τοῦ διαλέγεσθαι δύναµις est la dialectique décrite en 16 a-17 c.
39 Voir Gosling, p. 223, Ryle, p. 252.
40 Voir Gosling, p. 223, mais comparer Frede, p. 71 n. 1.
41 La question soulevée ici, qui est essentiellement de savoir si oui ou non des biens peuvent être différents et incommensurables, a sur l’éthique des répercussions considérables, comme l’ont montré entre autres Martha Nussbaum et Bernard Williams. Dans le Philèbe Platon semble parfaitement voir que certains de ces choses appelées bonnes (comme les plaisirs intenses) sont incompatibles avec d’autres (63 b-64 a), mais il nie que de telles choses soient réellement bonnes. Il paraît vraisemblable que Platon rejette l’incommensurabilité et que ce soit là le reproche que lui fait Aristote dans l’Ethique à Nicomaque 1096 b 10-25 (cf. Métaphysique, 983 a 10).
42 Voir Hackforth, p. 115.
43 Il s’agit vraisemblablement de toutes les sciences démiurgiques. Comparer Rép., 533 b3-5 : « Toutes les autres τέχναι s’orientent en fonction des opinions et des désirs des hommes, ou bien de la génération et de la fabrication des choses ».
44 59 c 2-3 : τό τε βέβαιον ϰαὶ τὸ ϰαθαρὸν ϰαὶ ἀληθὲς ϰαὶ ὃ δὴ λέγοµεν εἰλιϰρινές. Socrate ne dit pas s’il ne parle que de la dialectique ou s’il faut entendre aussi la mathématique philosophique. Voir le commentaire de Waterfield, p. 31.
45 La charpenterie et les arts apparentés seraient aujourd’hui interprétés comme relevant de la mesure appliquée. Voir ici aussi Aristote, Post. Anal., 78 b35 sq.
46 Dans un ouvrage plus ancien, j’avais soutenu plus catégoriquement que Platon conserve l’essentiel de toutes les conceptions épistémologiques des dialogues centraux (Forms in Plato’s Philebus, chap. 5). On verra ici que j’accorde davantage au Philèbe une place de transition dans la pensée de Platon.
47 ϰαθαρότης et ἀϰρίβεια n’apparaissent pas à propos de la division de la Ligne mais un peu plus tôt, dans l’analogie avec le Soleil (voir 504 e).
48 Le texte donne ϰύϰλουµὲν ϰαὶ σϕαίρας αὐτῆς τῆς θείας. Bury (p. 146 n. 18) note avec raison que αὐτῆς τῆς θείας porte non seulement sur σϕαίρας mais sur ϰύϰλου.
49 Voir R. Shiner, Knowledge and Reality in Plato’s Philebus, p. 56-57.
50 Ajoutons que la classification des savoirs dans le Philèbe est très semblable à celle des sciences (τέχναι) en République, VII, 523-535. Autres commentaires : Shiner, p. 55, Hackforth, p. 113 et Gosling, p. 222.
51 Dans l’une des études les plus riches de République, V, 476 sq., Gail Fine, « Knowledge and Belief in Republic V », demande une analyse du contenu du savoir et de l’opinion par opposition à une analyse de leurs objets (Fine, « Knowledge and Belief in Republic V-VII »). J’ai longuement combattu cette interprétation (« Republic 476 d 6-e 2 : Plato’s Dialectical Requirement »).
52 Voir R. Shiner, Knowledge and Reality in Plato’s Philebus, p. 54, J.C.B. Gosling, Plato. Philebus, p. 222-223, et G.R Ryle, Plato’s Progress, p. 252.
53 J’ai discuté ceci plus en détail dans Forms in Plato’s Philebus, p. 122-124.
54 Voir Phédon, 73 c-d, Banquet, 207 e-208 a, Phèdre, 247 d-e ; cf. République, 485 b 1-3, 488 b 2, 520 4-5.
55 Voir 522 c 8, 530 d-533 b. Il est vrai que Platon fait en sorte que Socrate nuance son emploi en disant que les τέχναι sont appelés ἐπιστῆµαι par habitude, mais qu’il ne s’y tiendra pas à l’avenir (Cf. Théét., 157 b sq.).
56 En fait République, 476-479, le locus classicus pour cette distinction, utilise essentiellement les termes γνῶσις et γιγνώσϰειν.
57 Voir Phédon, 66 d 8 : ϰαθαρῶς […] εἴσεσθαι, 66 e 5 : ϰαθαρῶς γνῶναι, Banq., 211 c 7-d 1 : τὸ µάθηµα τελευτῆσαι, Phèdre, 247 c 8 : τὸ τῆς ἀληθοῦς ἐπιστήµης γένος.
58 Pour une étude plus détaillée des aspects pragmatiques du Philèbe, voir Frede, Plato. Philebus, p. lxi-lxvii.
59 La digression commencée en 57 a 6, après laquelle Socrate ne revient plus à la taxinomie, a tout d’une manœuvre destinée à égarer. Il est difficile d’y accrocher quoi que ce soit, mais dans une autre perspective il faudrait affirmer que Platon ne sait pas ce qu’il dit.
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