Le plaisir est-il la réplétion d’un manque ?
La définition du plaisir (32 a-36 C) et la physiologie des plaisirs faux (42 c-44 a)1
p. 299-314
Texte intégral
1La définition du plaisir dans le Philèbe (32 a-36 c) n’a pas toujours reçu dans les commentaires l’attention qui lui est due. Elle est pourtant d’une importance majeure, non seulement pour l’interprétation du dialogue en soi, mais aussi pour toute la tradition postérieure de réflexion sur le plaisir.
2Nous prendrons donc cette définition comme thème central de notre contribution, en examinant en premier lieu la distinction que Platon y établit entre une description physiologique générale et le plaisir (ou la douleur) en soi. En deuxième lieu, nous voudrions montrer que cette distinction domine toute la théorie du plaisir dans le Philèbe, et qu’elle se retrouve dans chaque espèce de plaisir discutée dans ce dialogue. Le passage qui va de 42 c à 44 a, que nous avons intitulé « la physiologie des plaisirs faux », nous servira d’exemple typique (parmi bien d’autres) de cette thèse, et il nous aidera à bien distinguer les différents termes de la théorie. Ainsi, par exemple, nous pourrons établir une distinction fondamentale entre l’état « neutre » (le propos principal du passage en question) et l’état « naturel » mentionné dans la définition du plaisir.
3Ensuite, nous souhaitons avancer deux éléments de critique à l’égard de la position platonicienne, dans le contexte desquels nous aurons recours à Aristote et Damascius. Notre mise en cause portera sur la question de savoir jusqu’à quel point une base physiologique est nécessaire et même désirable pour l’élaboration d’une théorie du plaisir.
La définition du plaisir
4Notre hypothèse de travail est que le thème central du Philèbe – bien que les autres thèmes soient nombreux – est une discussion contre l’hédonisme. Ce but – faire face à l’hédonisme – est réalisé ici d’une manière particulière. Dans ses dialogues précédents (comme le Phédon, le Gorgias et la République), Platon s’était opposé à l’hédonisme en élaborant un intellectualisme rigide (ce qui se reflète dans la discussion entre Socrate et Philèbe par laquelle s’ouvre le dialogue). Mais dans le Philèbe, Platon veut aller plus loin. Le désaccord entre lui et l’hédonisme n’y est plus absolu. Bien entendu, ses intentions sont en premier lieu négatives : Socrate fait l’éloge du νοῦς βασιλιϰός2, par où il établit la position absolument primordiale de l’intelligence, et beaucoup d’arguments restent dirigés contre les prétentions du plaisir. Cependant, Platon se montre disposé ici pour la première fois à évaluer le plaisir de manière positive, en lui attribuant une position incontestable dans la vie bonne. A maintes reprises, il montre qu’une vie sans plaisirs ne peut jamais être la vie bonne3.
5Le désaccord repose donc sur un certain degré de consensus. La réfutation de l’hédonisme est élaborée à partir d’un accord fondamental sur quelques aspects de la doctrine du plaisir. Ainsi, Platon montre qu’il veut réfuter l’hédonisme du dedans, c’est-à-dire sans négliger l’importance du plaisir dans la vie bonne4.
6Cet accord se manifeste au premier abord dans la définition du plaisir, que Socrate présente en 32 a 8-b 4. Cette définition est la base véritable à la fois de l’accord et du désaccord5, de sorte que l’on peut la considérer comme le vrai centre du dialogue.
7Lisons ce texte de près :
En un mot, examine s’il te semble raisonnable de formuler cette règle : quand la forme vitale créée, comme je l’ai dit antérieurement, par l’union naturelle de l’illimité et de la limite, vient à se détruire, cette destruction est douleur ; mais, dès que la voie se retourne vers la restauration de l’essence propre, c’est ce retour même qui, chez tous les êtres, constitue le plaisir6.
8Le plaisir est défini ici comme étant la réplétion d’une déperdition. Nous n’éprouvons du plaisir, par exemple en mangeant et en buvant, que lorsque nous avons faim ou soif. Celui par contre qui est rassasié n’éprouvera plus de plaisir. Le plaisir est donc strictement lié à ce retour vers un état d’assouvissement que Platon appelle la « condition naturelle » (τὸ ϰατὰ ϕύσιν). Mais cet assouvissement n’est jamais complètement achevé : la réplétion d’un manque est toujours croisée par un nouveau manque, et ainsi de suite. Notre vie est un flux constant entre une disposition contre nature et l’état naturel, que nous n’atteignons jamais dans sa pureté7. Cela ne revient pas à dire que notre vie serait une « vallée de larmes » : c’est précisément parce que nous éprouvons la réplétion que nous sommes capables de nous réjouir. Dans l’état naturel, le plaisir est absent per definitionem.
9Pour bien comprendre cette définition, il faut considérer aussi la physiologie qui en constitue le fondement. Socrate développe cette physiologie dans le contexte immédiat de la définition (Phil., 32 c-36 c). Selon ce qu’il dit ici, les plaisirs et douleurs ne sont pas identiques à la déperdition et la réplétion. Il faut accepter que le flux de déperdition et de réplétion est inévitable, que nous y sommes toujours assujettis – tandis que (manifestement) nous n’éprouvons pas tout le temps du plaisir ou de la douleur. Ce n’est que quand la déperdition ou la réplétion est assez grande pour être ressentie que nous éprouvons du plaisir, ou de la douleur.
10Bien que Socrate parle ici d’une « autre espèce » de plaisir, à savoir le plaisir qui consiste dans l’anticipation ou la mémoire d’une réplétion, il ne s’agit pas d’une nouvelle définition. Seulement, les termes – et la physiologie – de la définition générale sont adaptés ici à un cas autre que le plaisir strictement corporel, et c’est dans ce cadre que Socrate ajoute un point essentiel pour toute la théorie.
11Or, contrairement à ce que l’on a souvent soutenu, cette définition dans le Philèbe n’est point restreinte au plaisir corporel. Bien que la réplétion corporelle en soit la base et le point de départ, Platon étend cette définition et la physiologie vers toutes les espèces de plaisir. Le plaisir corporel du boire et du manger n’a été choisi comme point de départ que parce que tout le monde est d’accord qu’il s’agit ici vraiment de plaisir (31 e 2-3). Le cas serait moins évident s’il avait choisi un autre exemple comme point de départ. Mais cela ne signifie pas que la définition soit restreinte au plaisir corporel. On peut suivre toute une série d’exemples dans le Philèbe, et montrer à partir de là que la définition n’est jamais altérée.
12En premier lieu, Platon discute des exemples de plaisir dit « mêlé » (46 c-50 e), c’est-à-dire de plaisir qui est toujours accompagné de douleur. Ceci présuppose – dans la ligne de l’argument – la définition du plaisir comme réplétion (ressentie) d’une déperdition (ressentie). Le premier groupe d’exemples (46 c-47 b) concerne le plaisir corporel comme tel, sans intervention de l’âme (comme la friction pour les galeux). Le deuxième groupe (47 c-d) implique le plaisir mêlé de la combinaison âme-corps, qui – selon Socrate – a déjà été discuté auparavant (c’est-à-dire en 35 e 9- 36 c 1). Il s’agit ici du plaisir de l’anticipation ou de la mémoire que l’âme a d’une réplétion corporelle. Le troisième groupe (47 d-50 e) concerne les plaisirs de l’âme seule, sans intervention du corps. Ce groupe est discuté largement, mais d’une manière incroyablement superficielle. Platon semble vouloir prouver que les émotions et passions (l’orgueil, la peur, l’amour, etc.8) sont un mélange de plaisir et de douleur. Un exemple est choisi comme étant le plus difficile, et donc comme pierre de touche pour l’ensemble des passions : l’affect des spectateurs d’une comédie9. Platon indique que c’est la jalousie qui nous fait nous moquer des échecs des autres. Ici encore, le rire (le plaisir) est interprété comme la réplétion d’un manque (révélé dans la jalousie), et la définition générale est reprise et confirmée une nouvelle fois. On reste bien insatisfait par cette analyse : Platon n’explique nulle part comment le rire peut résulter de la jalousie, et s’il s’agit vraiment ici d’une réplétion : est-ce que la jalousie est terminée, c’est-à-dire remplie quand on se moque de son prochain ? Et en plus, quelle serait la valeur morale d’une telle position ? etc. Cependant – et c’estlà ce qui nousintéresse –, ilest clairque ladéfinition du plaisir estpréservée intacte.
13Plus loin, dans la discussion du plaisir vrai (50 e-53 c), cette même définition reste en vigueur. Hors du plaisir « mêlé », dont on vient de parler, il existe aussi, selon Socrate, une espèce de plaisir qui est complètement détachée de toute douleur. Ce plaisir « pur » ou « non mêlé » est le plaisir vrai. Or, après avoir donné quelques exemples des plaisirs qui sont tels (le plaisir que procurent les belles couleurs, formes, odeurs et sonorités10), Platon propose une généralisation :
toutes jouissances dont le manque n’est ni pénible ni sensible, alors que leur présence nous procure des plénitudes senties, plaisantes, pures de toutes douleurs11.
14L’essentiel ici, c’est que – une fois de plus – Platon renvoie à la physiologie qui était à la base de la définition générale du plaisir : toutes les affections ne pénètrent pas jusqu’à l’âme. Quand elles s’éteignent avant que nous nous en apercevions, elles ne causeront pas de douleur. Ceci, bien entendu, ne signifie pas que l’homme soit enfin capable d’échapper au flux du manque et de la réplétion. Seulement, il y a une différence entre manque et réplétion, qui sont toujours présents, et douleur et plaisir, qui ne se produisent que lorsque le manque et/ou la réplétion sont assez intenses pour être ressentis.
15Or, dans le cas du plaisir vrai, le manque n’est pas ressenti, tandis que la réplétion cause bien une sensation plaisante. Voilà la possibilité d’un plaisir sans douleur. L’exemple le plus clair que Platon en donne est la « réplétion » de l’oubli (51 e 7-52 b 9). Ce processus de l’oubli est, par définition même, non perçu : si on le percevait, il ne serait pas question d’oubli. Et donc, si l’on se souvient de quelque chose, on éprouve du plaisir vrai – avec pourtant une restriction très importante : le souvenir doit être soudain et inattendu ; s’il a fallu faire un effort pour se souvenir, il s’agit à nouveau de la sensation d’un manque, et donc aucunement du plaisir vrai.
La physiologie des plaisirs faux
16Cette même ligne d’argumentation se retrouve en 42 c-44 a, dont le thème central est l’idée d’un état « neutre » : une disposition dans laquelle on n’éprouve ni plaisir ni douleur. La méconnaissance de cet état, lorsqu’on l’interprète comme étant du plaisir, est une des formes de plaisirs faux : un affect que nous prenons abusivement pour du plaisir.
17Le passage s’ouvre sur une référence explicite à la définition que nous venons d’examiner :
Nous avons dit, je crois, à maintes reprises, que toute altération de la nature par des combinaisons ou dissolutions, réplétions ou évacuations, augmentations ou diminutions, entraîne les peines, souffrances, douleurs et toutes affections qualifiées de pareils noms […] Et lorsque se fait le retour à la nature propre, nous sommes convenus entre nous que cette restauration est plaisir12.
18La situation à laquelle Platon applique cette fois sa définition est précisément l’état neutre : quand nous n’éprouvons ni plaisir ni douleur.
19Cette application de la définition est immédiatement accompagnée de l’objection qu’un état sans manque ou réplétion est impossible, parce que, « comme le disent les sages, toutes choses sont en flux et reflux perpétuel »13. Le flux de manque et réplétion est donc inévitable, d’où un état neutre semble être prima facie impossible. Mais cependant, comme l’indique Socrate, ce n’est pas une objection fatale, et il aura recours précisément à la physiologie susdite pour construire son argument. Étant admis que le flux de manque et de réplétion est inévitable, on peut toujours soutenir la thèse que parfois nous ne percevons ni l’un ni l’autre. Car on a vu, dit Socrate, que les affections doivent être assez intenses pour être ressenties3. Dans des situations où elles ne sont pas telles, nous n’éprouverons ni plaisir ni douleur.
20De nouveau, on constate que la définition, ainsi que la physiologie sous-jacente, reste en vigueur sans aucune modification. La vie sans plaisir ou douleur est une vie dans laquelle la déperdition et la réplétion sont si faibles que nous ne nous en apercevons pas. La « neutralité » de cet état signifie que nous y atteignons une interruption dans le va-et-vient de plaisir et de douleur (mais non, bien entendu, de manque et de réplétion).
21Peut-on dire alors, ainsi le dialogue se poursuit-il, qu’une vie pareille, sans douleur, est la plus plaisante ? Dans ce cas, le plaisir ne serait rien d’autre que l’absence de peine. Or cette opinion a toujours été vivement rejetée par Platon. Dans la République, il avait indiqué que cet état intermédiaire, entre le plaisir qui est toujours mêlé avec de la douleur, et le plaisir pur, ne peut être lui-même du plaisir : il ne peut être pris pour du plaisir que par ceux qui sont immergés dans les plaisirs mêlés, et qui croient qu’une suppression de toute peine sera le plaisir le plus élevé14. Dans le Philèbe, la situation est encore plus claire, précisément parce que Platon y apporte le nouvel élément de la physiologie, par où il explique maintenant la continuité des trois niveaux déjà établis dans la République. Car le plaisir le plus élevé peut être qualifié de plaisir « pur » du fait que le schéma physiologique permet de décrire une situation où le manque est non perçu, tandis que nous éprouvons du plaisir dans la réplétion ressentie de ce manque. Le niveau de plaisir le plus bas diffère de ce plaisir pur, en ce qu’il est toujours entremêlé avec de la douleur : d’après le schéma physiologique, on doit dire que le manque ainsi que la réplétion sont perçus dans ce cas. L’état intermédiaire, enfin, est une disposition où ni le manque ni la réplétion ne sont perçus, tandis qu’ils sont bel et bien présents tous les deux. Il faut donc établir une distinction nette entre l’état « neutre » ou « intermédiaire » et le plaisir le plus élevé.
22L’opinion sur le plaisir que Platon réfute ici, sera cependant défendue par Épicure. Comme on le sait, celui-ci nie qu’il existe un état neutre entre le plaisir et la douleur. Au lieu de ce schéma, il introduit une distinction entre le plaisir dit « cinétique » et celui dit « catastématique ». Le plaisir cinétique est la suppression de peine, tandis que le plaisir catastématique (représentant le plaisir le plus élevé) est un état (ϰατάστηµα) d’équilibre qui consiste dans l’absence de toute douleur15.
23Or cette position est insoutenable dans l’optique de Platon. L’état neutre n’est par définition ni douleur ni plaisir, et ne peut donc être considéré comme étant du plaisir, sans parler du plaisir le plus élevé ! Pour Platon – nous venons de le voir –, l’absence de peine n’est absolument pas toujours « plaisante ».
24Le désaccord entre Épicure et Platon sur ce point se comprend mieux si l’on considère leur définition du plaisir. Pour Platon, le plaisir est strictement lié au mouvement vers l’état naturel, et donc à la réplétion d’un manque. Le plaisir est dès lors toujours un mouvement. Là où tout mouvement disparaît (c’est-à-dire dans l’état naturel), le plaisir devient impossible. Cela revient à dire que l’état naturel est inaccessible : en effet, notre vie est toujours en mouvement (c’est le flux dont on a déjà traité). Jamais nous n’atteindrons un état dans lequel tout manque connaîtra son remède. Il faut donc bien distinguer – et ceci est un point névralgique que peu d’exégètes ont reconnu16 – l’état neutre de l’état naturel. L’absence de peine et de plaisir est bien différente de l’absence de manque et de réplétion. La dernière est strictement impossible, tandis que l’autre est atteinte par intermittence. Mais il est clair maintenant qu’elle ne peut être qualifiée de « plaisir élevé » ou même de « plaisir » tout court. Celui qui croit y éprouver du plaisir, se trompe, et son plaisir est « faux ».
25Or, c’est quand on nie cette distinction entre l’état neutre et l’état naturel que l’on peut arriver à soutenir une thèse pareille à celle d’Épicure. On doit dire alors, en recourant aux termes de la théorie platonicienne, que pour Épicure, l’absence de peine est toujours la réalisation du retour à l’état naturel. Cette possibilité réelle d’atteindre l’état naturel doit logiquement être complétée par la thèse que cet état est plaisant au plus haut degré.
26Pour Platon, par contre, l’état naturel étant inaccessible, l’état neutre n’est qu’une sorte de « contentement », qui ne peut être considéré comme l’affect le plus élevé. Au contraire : comme le plaisir est ici absent, il ne peut s’agir dans ce cas d’une modalité de la vie bonne. Car celle-ci devrait toujours être un mélange d’intelligence et de plaisir. Le plaisir le plus élevé selon Platon serait le plaisir pur ou vrai, qui se distingue à son tour, comme nous venons de le voir, de l’état naturel ainsi que de l’état neutre.
27On pourrait récapituler de façon schématique les résultats obtenus ; les flèches descendantes indiquent un manque, une déficience par rapport à l’état naturel, et les flèches ascendantes représentent une réplétion. Les flèches simples montrent un manque ou une réplétion qui sont trop faibles pour être ressentis, tandis que les flèches épaisses indiquent une réplétion ou un manque perçu (et donc plaisir et douleur) :
1) La physiologie sous-jacente (le « flux ») :

2) Plaisir et douleur en général :

3) Le plaisir « pur » ou « vrai » :

4) L’état « neutre » :
état naturel

Critique de la position platonicienne
28Cette théorie platonicienne peut, nous semble-t-il, faire l’objet d’une double critique. Tout en développant ces critiques, nous proposerons deux points de vue qui ont été défendus dans l’histoire de la réception du dialogue, et qui peuvent aider à fournir une solution aux problèmes soulevés.
29En premier lieu, il nous semble que la physiologie qui constitue le fondement de la définition du plaisir fait sérieusement obstacle à une évaluation positive du plaisir. Car dans cette optique, le plaisir ne peut être autre chose qu’une genèse qui tend vers un être (οὐσία) qui se trouve hors du plaisir même17. Le plaisir n’étant que la réplétion d’un manque, il faut admettre que, une fois la réplétion achevée, le plaisir disparaîtra. Il tend donc vers sa propre destruction : son but final est l’état naturel, au delà de tout manque (et dès lors de toute réplétion qui entraîne le plaisir).
30A partir de cette analyse, il devient en effet impossible de considérer le plaisir comme « souhaitable en soi » ou comme « un bien » – même le plaisir vrai qui, comme nous l’avons vu, n’échappe pas aux présuppositions physiologiques, et donc à la dépréciation implicite du plaisir. Il n’y a pas de place ici pour un plaisir « en repos », c’est-à-dire, un plaisir qui n’est pas précédé d’un manque – dont le paradigme serait le plaisir intellectuel. En effet, pour Platon, ce plaisir intellectuel semble lui aussi être la réplétion d’un manque. Bien entendu, certains plaisirs intellectuels sont « purs » ou « vrais » (comme celui du souvenir), mais cela ne veut pas dire que la pureté serait une caractéristique distinctive du plaisir intellectuel : il reste vrai que beaucoup de plaisirs intellectuels ne sont pas purs. La distinction entre plaisirs purs et mêlés n’est donc pas coextensive avec celle entre plaisirs corporels et intellectuels, et en outre même les plaisirs purs ne sont pas exempts d’un manque préalable ; il s’agit seulement d’un manque non perçu. La position du plaisir de l’intellect reste dans l’ambiguïté. En effet, si on prend le Philèbe à la lettre, la vie bonne serait un mélange d’intellect d’un côté, et de plaisirs nécessaires et plaisirs purs de l’autre. Le bonheur est donc : intellect plus plaisir sexuel plus plaisir du boire et du manger plus certains plaisirs de l’ouïe, de l’odorat et de la vue, plus le plaisir du souvenir (du moins sans effort préalable). Rien n’indique qu’il y aurait un plaisir typiquement intellectuel, c’est-à-dire inhérent à la nature de l’intellect.
31Tout cela mènera Aristote à rejeter la théorie platonicienne, qui – comme il l’explique dans son Éthique à Nicomaque – est trop strictement liée au paradigme du plaisir corporel, que Platon a pris pour point de départ. Cette critique d’Aristote ne concerne pas un aspect secondaire de la théorie de Platon, ni la modification de cette dernière par un Speusippe (comme certains l’ont soutenu) : elle concerne le noyau de la théorie que Platon lui-même a développée. Comme nous venons de le voir, c’est lui qui étend la définition et la physiologie vers toutes les espèces de plaisir, et non le plaisir corporel seulement. Or, cette extension étant faite, une appréciation nettement positive du plaisir devient très difficile. Voilà pourquoi Aristote se voit obligé de réagir contre une thèse pareille, et de présenter une alternative. Il définira le plaisir comme l’effet supplémentaire d’une activité non entravée18, et en premier lieu de l’activité en repos de l’intellect19. Le plaisir en mouvement de la réplétion, qui pour Platon était le paradigme, n’est plaisant que par accident20.
32Cette réponse d’Aristote offre une bonne solution à la première critique, mais elle néglige, elle aussi, une deuxième critique, qui est plus fondamentale. On doit reconnaître à Platon le mérite d’avoir élaboré une distinction féconde entre la physiologie de manque et de réplétion d’une part, et la définition du plaisir et de la douleur d’autre part. Par là, il a montré que le plaisir ne relève jamais de l’ordre strictement empirique – ce qui entraîne la nécessité d’une évaluation morale du plaisir.
33Mais cependant, il nous semble que cette distinction entre physiologie et plaisir est restée inachevée. Car malgré cette différence conceptuelle, Platon ne semble pas accepter une différence réelle entre les deux. Pour lui, dès qu’une réplétion est ressentie, on éprouvera à coup sûr du plaisir. Il y a donc un lien automatique (voire une identité) entre réplétion ressentie et plaisir. Ceci impliquerait que le plaisir puisse être manipulé, que nous sachions à chaque instant ce qu’il nous faut faire pour garantir notre plaisir.
34Mais c’est précisément là que réside le nœud du problème. Nous ne pouvons jamais être certains qu’une réplétion quelconque nous procurera du plaisir. Il semble plutôt que, bien au contraire, une aspiration au plaisir ne peut être effectuée de manière efficace qu’indirectement : c’est seulement en aspirant à une activité autre que le plaisir que nous pourrons atteindre le plaisir lui-même.
35Dans son étude Sour Grapes21, le philosophe norvégien J. Elster a révélé que beaucoup d’états humains – et il prend comme paradigme le bonheur – ne peuvent être atteints que par un détour. Ils sont des « states that are essentially by-products » : leur essence même est qu’ils sont des effets supplémentaires d’une autre activité. Une aspiration directe ferait obstacle plutôt que de nous aider à les atteindre22. C’est comme l’insomnie qui ne peut être évitée que si nous n’en sommes pas obsédés : une fixation trop grande sur le sommeil espéré nous empêchera de nous endormir23.
36Or, il nous semble que le plaisir doit, lui aussi, être qualifié de la sorte : plus nous le poursuivons, plus il nous échappe. Le boire et le manger – pour nous limiter aux situations choisies par Platon comme étant les exemples les plus clairs – ne mènent pas per se au plaisir. Le plaisir ne consiste pas dans le mouvement même, mais y est (éventuellement) surajouté. Il est donc détaché de l’empirie pure, et ne peut être identique à un processus physiologique. Le plaisir ne semble vouloir se produire que lors d’une réplétion d’un manque qui ne nous obsède pas, qui échappe pour ainsi dire à notre attention. Certes, on peut essayer de mettre tout en œuvre de sorte que l’apparition du plaisir devienne vraisemblable. Mais cela n’est jamais certain. Le plaisir peut être surajouté, mais il peut aussi bien ne pas se produire ; sa venue n’est jamais garantie d’avance. On doit donc conclure – contre Platon – qu’il est impossible que le plaisir soit identique à la réplétion ressentie d’un manque. Car il est bien possible que nous percevions une réplétion sans que cela ne nous procure de plaisir. Sinon, on devrait dire par exemple qu’un réfugié affamé trouve du plaisir dans son premier bol de potage depuis longtemps – une assertion qui témoignerait d’une relativisation cynique de sa souffrance. Éprouver du plaisir semble donc être une qualité supplémentaire de certaines réplétions, mais non de toutes. Qui plus est : cette qualité supplémentaire n’est même pas inhérente à certaines réplétions. Il est bien possible qu’une activité me procure du plaisir aujourd’hui, tandis que si je répète demain mon activité dans des circonstances identiques, son effet peut être extrêmement ennuyeux. Il ne semble y avoir aucun lien automatique entre réplétion et plaisir, et sur ce point, la position de Platon est à tout le moins problématique. Le plaisir ne peut être identifié à la réplétion d’un manque. Le lien entre les deux n’est pas garanti : le plaisir ne se laisse aucunement manipuler, et sa venue nous surprend toujours.
L’interprétation de Damascius
37Damascius est l’auteur de l’unique commentaire ancien sur notre dialogue qui ait été préservé24. Il est très intéressant de voir comment ce dernier – tout à la fin de l’Antiquité – présente une opinion nouvelle sur le plaisir, et surtout de quelle façon il s’efforce de concilier sa position révolutionnaire (dans le cadre du platonisme) avec le texte du Philèbe.
38Pour notre propos, ce commentaire est intéressant aussi pour deux autres raisons : en fait, on trouve ici une réponse à la discussion entre Platon et Épicure dont nous avons déjà parlé. Et en outre, on peut y entrevoir une réponse (partielle, il est vrai) à notre deuxième critique, tout comme Aristote avait fourni une réponse à la première.
39En premier lieu, la lecture damascienne de la définition du plaisir est très opiniâtre. L’auteur respecte la lettre du texte : Platon dit que le plaisir ne se manifeste que dans la réplétion ressentie d’une déperdition. Damascius adopte cette formule, mais en donne une interprétation révolutionnaire : il faut, dit-il, y reconnaître deux étapes, car il y a une distinction entre le processus (ou le mouvement) de réplétion comme tel, et le résultat de ce processus, qu’il appelle aussi l’essence (οὐσία). Or la formule de Platon se rapporte à l’un et l’autre. Platon suggère donc, toujours selon Damascius, que le plaisir est procuré par la réplétion elle-même ainsi que par l’état qui en résulte (voir In Phil. 136). Ce dernier état se manifeste à plusieurs niveaux de la réalité, mais le paradigme en est clairement la vraie οὐσία, qui est identique à l’intellect. Ainsi, il devient possible de retrouver dans le Philèbe une distinction entre deux espèces de plaisir : celui en mouvement (dans le processus de réplétion) et celui en repos (une fois que la réplétion est achevée). Le paradigme de tout plaisir est le plaisir en repos de l’intellect (voir In Phil. 155). Il doit donc y avoir du plaisir dans la condition naturelle ; comme Damascius le dit lui-même :
Clairement, dans la vie neutre, où il n’y a ni plaisir ni douleur, nous ne subissons rien de véhément. Mais peut-être y a-t-il u n bien-être qui est plaisant, surtout quand la nature exerce son activité sans entraves. Mais bien que nous éprouvions un plaisir pareil, il se produira dans une sensation non véhémente ; si donc vous considérez des mouvements qui n’entraînent aucune sensation, vous saisirez ce qui est précisément appelé la « vie neutre » ici. Eh oui, Épicure, lui aussi, parle du plaisir qui convient à la nature, en l’appelant « catastématique »25.
40Damascius identifie ici l’état neutre avec la condition naturelle, comme la plupart des commentateurs l’ont fait, et il indique que par la qualification « neutre » Platon a voulu dire que le plaisir qui se produit ici ne peut être que doux. Il y a donc certainement une espèce de plaisir dans la condition naturelle : c’est le plaisir catastématique d’Epicure.
41Damascius réussit de la sorte à concilier Platon et Épicure : il adopte la distinction épicurienne entre le plaisir en mouvement et le plaisir en repos, mais en même temps il accepte expressément la définition platonicienne, qu’il étend aussi vers le plaisir en repos. On comprend que cela n’est pas possible sans une modification profonde. Car comment justifier que le plaisir en repos puisse être une réplétion ? Et pourtant, c’est ce qu’il fera : dans un paragraphe important de son commentaire, il emploie sa formule caractéristique pour corriger une interprétation de ses précurseurs (ἤ, τό γε ἀληθέστερον), mais ici, elle sert à modifier la position, non pas d’un commentateur, mais de Platon lui-même – sans pourtant que l’auteur ne le dise expressément. Après avoir présenté la thèse que le plaisir pur consiste dans la réplétion d’un manque non perçu (c’est l’opinion de Platon), il continue ainsi :
Ou, ce qui est plus vraisemblable : si l’état naturel est en vigueur, la réplétion se manifestera à partir de ce qui se situe pour ainsi dire encore plus haut. On peut dire alors que l’être vivant en a besoin, non parce qu’il avait perdu quelque chose, mais parce que cela n’était pas présent auparavant26.
42On aura remarqué que Damascius admet ici (tout comme Épicure et Aristote) que l’état naturel est bel et bien accessible. En effet, dire que la définition elle-même contient une référence au plaisir du résultat achevé, présuppose que l’état naturel est une situation réellement accessible.
43En outre, Damascius s’efforce de réduire cette espèce de plaisir en repos à la définition platonicienne. Il ne s’agit pas ici d’une réplétion d’un manque (dans l’état naturel, il n’y a plus de manque), mais selon Damascius, cela n’en est pas moins une réplétion. Cette réplétion est le don gratuit de quelque chose qui était absent auparavant, sans que cela ne nous ait manqué. Ce n’est qu’après coup que l’on peut constater qu’il y avait absence. Avec cette interprétation, la physiologie est en fait rejetée : le lien entre plaisir/douleur et un flux de manque et réplétion a été coupé.
44Les implications de cette théorie sont en premier lieu métaphysiques : Damascius veut montrer ici que le plaisir en repos de l’intellect consiste dans l’expérience soudaine de la présence de l’Un. Mais en même temps, on peut y voir un élément de réponse – comme annoncé – à notre deuxième critique de la position platonicienne. Car bien que le lien entre réplétion et plaisir soit toujours considéré ici comme étant automatique, on ressent que l’auteur est sensible au caractère soudain et inattendu du plaisir – ou du moins du plaisir « en repos » ; nous étendrions volontiers ceci à toutes les espèces de plaisir – : il se manifeste sans que nous y aspirions, comme le résultat de la réplétion de quelque chose qui ne nous manquait pas à ce moment-là.
45Avec ces remarques, Damascius présente une opinion bien différente de celle de Platon, sans pourtant vouloir rejeter toute la théorie de ce dernier (dans ce cadre, il est très significatif que Damascius corrige l’opinion de Platon sans le mentionner). C’était ce qu’avait fait Aristote : il avait construit toute une alternative à la définition de Platon, sans se soucier de sauvegarder l’autorité de ce dernier. Le contexte dans lequel travaille Damascius semble avoir rendu impossible une démarche pareille27. Il s’impose la tâche plus difficile de réconcilier l’autorité de la doctrine platonicienne avec les opinions qui ont évolué depuis Épicure et Aristote. On doit constater paradoxalement que dans ce contexte, l’autorité de Platon n’est préservée qu’au prix d’une modification profonde.
46Ce faisant, Damascius nous offre une nouvelle réponse à notre première objection. Il ouvre tout un univers dans lequel le plaisir de l’intellect peut être considéré comme étant un bien en soi, sans que ce plaisir ne diffère essentiellement du plaisir corporel : il s’agit dans les deux cas d’une réplétion.
47Le plaisir en repos est une caractéristique typique de l’intellect ; il lui est essentiellement lié, et Damascius est même disposé à dire que les deux sont identiques : l’activité de l’intellect est le plaisir28. Le bonheur consiste alors dans cet état de plaisir intellectuel. On pourrait qualifier cette position de Damascius comme un hédonisme, mais un hédonisme très spécifique : à la différence de l’hédonisme « normal », le bien suprême n’est pas ici le plaisir comme tel, mais le bonheur de l’intellect éprouvant le plaisir du don gratuit de l’Un.
48En guise de conclusion, on pourrait dire que le problème fondamental qui se posait ici était – et est encore – l’importance de la physiologie dans une définition du plaisir. Un schéma physiologique peut rendre de grands services à la théorie du plaisir, mais son influence ne doit pas être exagérée. A un certain point, il faut établir une distinction entre l’ordre empirique et l’ordre moral (duquel relève le plaisir) : le lien entre les deux n’est pas automatique. Platon a bien introduit une telle distinction, mais il n’en a pas développé toutes les conséquences. C’est pourquoi il lui était très difficile de présenter un paradigme de plaisir typiquement intellectuel.
49En fait, l’introduction d’un type de plaisir en repos s’avérait une nécessité dès la théorie de Platon (qui soutenait la thèse que la vie bonne est un mélange d’intellect et de plaisir), mais elle a été empêchée précisément par la lourdeur avec laquelle la physiologie pesait sur la définition du plaisir. Toutes les réactions et modifications que la théorie platonicienne a subies semblent autant de tentatives destinées à surmonter cette difficulté particulière.
Notes de bas de page
1 Je suis très reconnaissant au Prof. C. Steel d’avoir favorisé la genèse de ce texte, et à Madame Dr. P. Dumont d’en avoir relu et corrigé la version française.
2 28 a 4-31 a 4.
3 En 21 d-e, Platon indique qu’une vie pareille ne serait pas désirable : notre préférence pour une espèce de vie implique toujours que nous comptons y éprouver du plaisir. En 32 d-33 c, Platon présente une vie entièrement intellectuelle, sans plaisirs, comme étant « divine au plus haut degré » (θειότατον) – ce qui implique, bien sûr, que pour nous, une telle vie est inaccessible.
4 Pour les détails de cette interprétation : voir G. Van Riel, « Hoe zuiver is onbegrensd genot ? », p. 433-460.
5 Le désaccord réside dans le fait que Platon poussera cette définition vers ses conséquences ultimes, qui rendront insoutenable la thèse hédoniste. On pourrait objecter ici, comme l’a fait W.K.C. Guthrie (A History of Greek Philosophy, t. V : The Later Plato and the Academy, Cambridge, 1978, p. 199), que ce consensus n’existe alors qu’en apparence : Platon aurait pris pour point de départ une définition qu’il n’accepte pas lui-même, mais qui peut lui rendre service comme argument ad hominem contre l’hédonisme. Ceci n’est certainement pas le cas, vu que la même définition du plaisir est reprise dans le Timée (64 c 7-d 3), où elle est présentée sans aucune référence à une polémique anti-hédoniste. Platon montre par là qu’il accepte cette définition. Ce qu’il objectera aux hédonistes, c’est qu’ils n’ont analysé cette définition que de manière partielle (cf. Van Riel, art. cit.).
6 Phil. 32 a 8-b 4 : ϰαὶ ἑνὶ λόγῳ σϰόπει εἴ σοι µέτριος ὁ λόγος ὃς ἂν ϕῇ τὸ ἐϰ τε ἀπείρου ϰαὶ πέρατος ϰατὰ ϕύσιν ἔµψυχον γεγονὸς εἶδος, ὅπερ ἔλεγον ἐν τῷ πρόσθεν, ὅταν µὲν τοῦτο ϕθείρηται, τὴν µὲν ϕθορὰν λύπην εἶναι, τὴν δ᾽ εἰς τὴν αὑτῶν οὐσίαν ὁδόν, ταύτην δὲ αὖ πάλιν τὴν ἀναχώρησιν πάντων ἡδονήν (trad. A. Diès).
7 La pureté est l’une des choses qui sont problématisées au plus haut degré dans le Philèbe ; partout dans le dialogue, la notion de « mixte » occupe la position centrale dans l’argument : mixtion de la limite et de l’illimité, du plaisir et de l’intellect, de l’âme et du corps, déperdition et réplétion, être et devenir. Ainsi, le Philèbe s’oppose à d’autres dialogues de Platon, par ex. le Phédon, où la possibilité d’une purification (ϰάθαρσις) de l’âme est mise en évidence. Dorothea Frede (Plato, ’Philebus’, p. LXIX) a cependant indiqué que cela ne signifie pas que le Philèbe soit une « exception » : on retrouve la même attitude envers la pureté dans le Banquet. Ainsi, Platon montre, selon Frede, « that humans are forever in-between creatures, between the mortal and immortal, the finite and infinite, the good and bad ». Cette observation a été faite aussi par H.-G. Gadamer (Plato’s Dialektische Ethik, p. 176) : « Die ganze Fragestellung des Philebos beruht auf der Voraussetzung, daß wir nicht göttliche Wesen, sondern Menschen sind ». Voir aussi Guthrie (op. cit. à la p. 302, n. 3, p. 201).
8 47 e 1-2 : ᾽Οργὴν ϰαὶ ϕόβον ϰαὶ πόθον ϰαὶ θρῆνον ϰαὶ ἔρωτα ϰαὶ ζῆλον ϰαὶ ϕθόνον ϰαὶ ὅσα τοιαῦτα.
9 48 b 4-6 : Λάβωµέν γε µὴν αὐτὸ [sc. τὸ πάθος] τοσούτῳ µᾶλλον ὅσῳ σϰοτεινότερόν ἐστιν, ἵνα ϰαὶ ἐν ἄλλοις ῥᾷον ϰαταµαθεῖν τις οἷός τ᾽ ᾖ µεῖξιν λύπης τε ϰαὶ ἡδονῆς.
10 51 b 3-5 (élaboré plus amplement en 51 c 1-e 5). Plus loin, le « plaisir dans l’étude » (ἐν τοῖς µαθήµασιν) y est ajouté (51 e 7-52 b 9).
11 Phil., 51 b 5-7 : ϰαὶ ὅσα τὰς ἐνδείας ἀναισθήτους ἔχοντα ϰαὶ ἀλύπους τὰς πληρώσεις αἰσθητὰς ϰαὶ ἡδείας ϰαθαρὰς λυπῶν παραδίδωσιν (trad. Diès).
12 42 c 9-d 8 : Εἴρηταί που πολλάϰις ὅτι τῆς ϕύσεως ἑϰάστων διαϕθειροµένης µὲν συγϰρίσεσι ϰαὶ διαϰρίσεσι ϰαὶ πληρώσεσι ϰαὶ ϰενώσεσι ϰαί τισιν αὔξαις ϰαὶ ϕθίσεσι λῦπαί τε ϰαὶ ἀλγηδόνες ϰαὶ ὀδύναι ϰαὶ πάνθ᾽ ὁπόσα τοιαῦτ᾽ ὀνόµατα ἔχει συµβαίνει γιγνόµενα. (…) Εἰς δέ γε τὴν αὑτῶν ϕύσιν ὅταν ϰαθιστῆται, ταύτην αὖ τὴν ϰατάστασιν ἡδονὴν ἀπεδεξάµεθα παρ᾽ ἡµῶν αὐτῶν (trad. Diès).
13 43 a 1-3 : ἀλλὰ γὰρ οἶµαι τόδε λέγεις, ὡς ἀεί τι τούτων ἀναγϰαῖον ἡµῖν συµβαίνειν, ὡς οἱ σοϕοί ϕασιν‧ ἀεὶ γὰρ ἅπαντα ἄνω τε ϰαὶ ϰάτω ῥεῖ. 3 . 43 a 10-c 7.
14 Rép., IX, 583 a – 588 a.
15 Pour Epicure : voir l’excellente étude de J. Salem, Tel un dieu parmi les hommes. L’éthique d’Épicure, Paris, 1989 (en particulier p. 115-122).
16 Cette méconnaissance de la distinction entre l’état neutre et l’état naturel se retrouve dans les commentaires antiques aussi bien que contemporains, par ex. pour les contemporains : chez Dorothea Frede (« Disintegration and Restoration », dans The Cambridge Companion to Plato, p. 440 et 448) et J. Dillon (« Speusippus on Pleasure », in K.A. Algra, P.W. van der Horst, D.T. Runia (éds.), Polyhistor. Studies in the History and Historiography of Ancient Philosophy, Presented to Jaap Mansfeld on his Sixtieth Birthday, Leiden [Philosophia Antiqua, 72], 1996, p. 106) ; pour les anciens : chez Speusippe (fr. 77 et 84 Tarán ; cf. Dillon, art. cit., p. 100 et 105-106 ; L. Tarán, Speusippus of Athens. A Critical Study with a Collection of the related Texts and Commentary, Leiden [Philosophia Antiqua, 39], 1981, p. 437), Alcinous (Didasc. 185.24-187.7), et aussi Damascius, comme nous le verrons plus tard.
17 Cette thèse est avancée expressément par Platon en 53 c – 55 c ; il est vrai que Platon vise ici les plaisirs « mêlés », et que sa critique ne concerne que ce groupe, comme l’ont remarqué J.C.B. Gosling (Plato : Philebus, p. 221) et Guthrie (op. cit. à la p. 302, n. 3, p. 229). Mais cependant, le problème est plus large : c’est la physiologie même, impliquée dans toute forme de plaisir, qui mène à ces conclusions négatives.
18 EN, VII, 13,1153 a 12-15.
19 EN, X, 5, 1176 a 24-29 ; X, 7, 1177 a 22-24.
20 EN, VII, 12, 1152 b 34 – 1153 a 2.
21 J. Elster, Sour Grapes. Studies in the Subversion of Rationality, Cambridge-Paris, 1983.
22 Elster, op. cit., p. 43-108.
23 Cf. Elster, op. cit., p. 45-46.
24 L.G. Westerink, Damascius. Lectures. Nous préparons actuellement une nouvelle édition de ce texte dans la « Collection des universités de France ».
25 In Phil., 190.1. 7 : ῞Οτι µὲν ἐν τῷ µηδετέρῳ βίῳ τῷ µήτε χαίροντι µήτε λυπουµένῳ πληϰτιϰως οὐδὲν πάσχοµεν, ϕανερόν‧ ἀλλὰ µήποτε εὐπάθειά τις ἡδεῖα πάρεστι, ϰαί µάλιστα ἀνεµποδίστως ἐνεργούσης τῆς ϕύσεως. ἀλλ᾽εἴ τινα ϰαὶ τοιαύτην ἡδοίµεθα ἡδονήν, ἀλλὰ σὺν αἰσθήσει τινι ἀπλήϰτῳ ϰαὶ ταύτῃ, ὥστε εἰ λάβοις ϰινήσεις οὐδεµίαν αἴσθησιν παρεχοµένας, λήψῃ τὸν νῦν ἀϰριβῶς οὐδέτερον λεγόµενον βίον. ἐπει τοι ϰαὶ ὁ ᾽Επιϰουρος λέγει τὴν ϰατὰ ϕύσιν ἡδονήν, ϰαταστηµατιϰὴν αὐτὴν ὀνοµάζων (notre trad.).
26 206. 9-11 : ἤ, τό γε ἀληθέστερον, ἐρρωµένου τοῦ ϰατὰ ϕύσιν ἡ πλήρωσις τοῦ οἷον ὑπερϕυεστέρου γίγνεται, οὗ δὴ ϰαὶ ἔξεστι ϕάναι ἐνδεὲς εἶναι τὸ ζῷον, οὐχ ὡς ἀποβληθέντος τινός, ἀλλ᾽ὡς µὴ παρόντος (notre trad.).
27 Cela est peut-être dû à la position minoritaire des Néoplatoniciens dans la communauté de l’antiquité tardive, qui leur imposait de se présenter comme une école unitaire, sans dissidences ; cf. L.G. Westerink, « Damascius, commentateur de Platon », dans P.M. Schuhl, P. Hadot (éds.), Le Néoplatonisme. Actes du colloque international du CNRS, Royaumont, 9-13 juin 1969, Paris, 1971, p. 255.
28 257.3-5 : « Il y a bel et bien du plaisir dans l’intellect, mais il est l’essence de l’intellect et pour ainsi dire l’acte de penser. Car il n’y a pas de différence dans l’intellect telle que d’une façon il penserait, et que d’une autre il éprouverait du plaisir » (εἰ γὰρ ϰαὶ ἔστιν ἐν τῷ νῷ ἡ ἡδονή, ἁλλἀ οὐσία ἐστὶ τοῦ νοῦ ϰαὶ οἷον νόησις‧ οὐδὲν γὰρ ἐν αὐτῷ διῃρηµένον οὕτως ὥστε ϰατ᾽ἄλλο µὲν νοεῖν, ϰατ᾽ἄλλο δὲ ἥδεσθαι).
Auteur
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Thémistius
Paraphrase de la Métaphysique d’Aristote (livre lambda)
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1999
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Nietzsche et la philologie
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2012
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Jalons
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2005