Téléologie et autonomie dans le Philèbe de Platon1
p. 221-241
Texte intégral
L’argument du Philèbe 28-30
1Dans le Philèbe, 28, Socrate vient d’expliquer en quoi consistent la limite et l’illimité afin de renvoyer la vie de Philèbe – à peine une vie, seulement l’existence épisodique d’un mollusque – à ce qui manque de mesure, ce qui ne tient que du plus et du moins. La vie de l’intelligence, au contraire, est liée à la limite ; mais la vie de l’intelligence est une vie sans plaisir. L’intelligence se souvient du temps perdu, elle connaît le présent et elle calcule l’avenir ; mais elle semble manquer le bien parce que le bien ne se définit pas par la seule limite. Puisque ni le plaisir ni l’intelligence ne constituent le bien, il faut décider de l’affinité que l’un et l’autre ont avec le bien. L’argument en question démontre que l’intelligence explique le bien ; par conséquent, les dernières pages du Philèbe, en offrant une liste des causes du bien, concluent que c’est la vie de l’intelligence qui a l’affinité la plus grande avec le bien – c’est donc la vie de l’intelligence qui sera choisie.
2Mais la joute à laquelle se livrent le plaisir et l’intelligence n’est guère une tranche de logique toute sèche ; elle est tout à fait dramatique2. Nous y voyons Socrate (était-il en grève dans le Sophiste et dans le Politique ?) se réattelant avec énergie à la tâche philosophique ; nous avons le jeune Protarque qui défend la théorie hédoniste avec détermination ; et nous avons Philèbe le louche, qui dans son dialogue éponyme n’intervient que quatorze fois – et, au moment où nous sommes, il a déjà dit son dernier mot. Socrate, bien sûr, représente la vie de l’intelligence tandis que Philèbe vit la vie de plaisir – et maintenant Socrate et Philèbe, tels des joueurs d’échecs, font pat. L’action dramatique leur commande de décider entre les deux vies ; nous verrons que c’est le drame lui-même qui indique comment prendre cette décision.
3Ici, Socrate a besoin d’un argument. Mais il commence par – comment dire – la religion, la culture ? Quoi qu’il en soit, il commence par le dieu, du point de vue des savants : « Tous les savants s’accordent à dire – se glorifiant véritablement eux-mêmes – que l’intelligence est le roi pour nous, le roi du ciel et le roi de la terre » (28 c 6-8). Mais ce n’est pas Aristote qui parle ici, Aristote pour qui la philosophie commence avec les opinions de sages. C’est Socrate, lui, qui dit qu’il n’a trouvé nulle part de savants. Doit-on alors croire ces savants sans réserve ? Socrate les prend-il au sérieux ?
4Le discussion s’ouvre sur une question : disons-nous que « le tout et l’entier » sont régis par le hasard et l’irrationnel, ou est-ce l’intelligence (νοῦς ϰαὶ ϕρόνησις) qui les concilie et les gouverne ? Protarque n’hésite pas. Dire que le hasard fait la loi, c’est un blasphème ; d’ailleurs, l’apparence du cosmos plaide en faveur de la théorie de l’intelligence ordonnatrice. Aurions-nous ici une forme précoce de l’argument du dessein (si l’univers est fait à dessein, il y a un dieu) ? Non : Protarque n’offre pas d’argument – il a la certitude qu’il y a un dieu. Mais Protarque a-t-il raison ? Un homme ingénieux (un ἀνὴρ δεινός) le contredit, affirmant que le monde se dispose sans ordre. C’est ainsi que l’argument devient un affrontement entre cet homme ingénieux et Socrate3. Nous avons donc deux protagonistes – Socrate et l’homme ingénieux – et nous avons l’argument.
5Il y a, dans la nature, quatre éléments corporels : le feu, l’eau, l’air et la terre (29 b)4. Tous ces éléments sont présents aussi bien dans les petites choses que dans les grandes, aussi bien en nous que dans l’univers entier. Mais le feu qui est le nôtre est une chose faible et impure ; le feu universel est quelque chose d’étonnant, de fort beau et de puissant. Va-t-on dire que ce petit feu-ci nourrit ce grand feu-là et intervient dans son devenir ? Au contraire, dit Protarque, c’est le feu universel et les autres éléments qui nous contiennent tous (29 a-d)5. Quand les quatre éléments forment une unité6, nous avons un corps (c’est-à-dire un petit corps, un corps du monde sensible) ; pareillement, le cosmos, composé des mêmes éléments, est un corps (29 e). Et les petits corps proviennent7 de ce grand corps entier (29 e).
6Cette étape de la démonstration s’appuie sur un principe de correspondance entre microcosme et macrocosme, et insiste sur la symétrie entre les deux (appelons cela le principe de symétrie). De plus, le grand explique le petit, à cause de sa grandeur (appelons cela le principe d’explication). Et les deux principes reposent sur la structure interne du grand et du petit et sur leurs propriétés. L’insistance sur la structure interne parcourt tout l’argument de Socrate.
7Nos corps possèdent une âme ; d’où vient cette âme8 ? Selon le principe de symétrie, si le corps du monde n’avait pas d’âme, nous n’en aurions pas non plus ; le monde, donc, est animé, et beaucoup plus beau que les animaux qu’il contient (30 a). Quatre fondements ont déjà été proposés : la limite, l’illimité, le mixte et la cause ; ces fondements, par conséquent, expliqueront le cosmos de la même manière qu’ils rendent compte de notre existence. Et surtout, le quatrième existe en toutes choses. En nous, il est la cause « qui procure9 l’âme au corps », le soutient – soit par des exercices, soit par la médecine – et l’ordonne. Ainsi, cette cause a bien gagné le droit de s’appeler « prudence » sous toutes ses formes – et puisqu’elle existe ici, à petite échelle, elle existe également là-bas, à grande échelle dans le cosmos, belle et pure elle aussi (30 a-b). Le cosmos est donc expliqué par l’intelligence exactement comme notre vie est ordonnée par les fonctions du nous. D’une part, le principe de symétrie l’exige ; si nous avons l’intelligence, le cosmos a l’intelligence. D’autre part, le principe d’explication exige que l’intelligence du cosmos explique l’intelligence en nous. Mais les deux principes s’appliquent deux fois : l’intelligence en nous explique le bon ordre du corps ; pareillement, mais à un plus haut degré, l’intelligence du cosmos explique le bon ordre de ses parties. Socrate souligne qu’intelligence et ordre sont inséparables.
8De quoi s’agit-il ? Cet argument démontre que l’intelligence est nécessaire à l’âme (au sens logique de « nécessaire » : il est impossible de trouver une âme sans intelligence – nous verrons comment cette conclusion singulière est vraisemblable aux yeux de Platon)10. Mais de quelle intelligence s’agit-il ? De la nôtre ? De celle du monde ? De celle du dieu ? Avons -nous ici un argument en faveur de l’existence d’un dieu, une référence au Timée ? Platon décrit-il la composition des choses sensibles opérée par le dieu lorsqu’il mélange deux fondements – la limite et l’illimité – afin de produire une sorte de substance chimique ? Est-ce que l’intelligence s’occupe du monde au sens où le nous d’Anaxagore, dans le Phédon, ne s’en occupait précisément pas ? Je crois que non.
9D’abord, la théorie de la limite et de l’illimité n’est pas une théorie de l’analyse chimique (voir, par exemple, l’analyse de la musique, où les notes ne proviennent pas de la limitation d’un bruit infini – sauf au sens où c’est bien une limitation qui nous permet de les connaître11). Il n’est pas question ici des ingrédients des choses sensibles mais bien d’une méthode permettant de les comprendre (je reviendrai sur cette question). C’est pourquoi Socrate rejette le principe matérialiste de composition des choses sensibles qui veut que les petites parties en viennent à composer un tout. En effet, tout au long de l’argument, Socrate insiste sur le fait que la relation entre le petit et le grand est déterminée par ce dernier, parce que c’est le grand qui détermine la constitution du petit : voilà en quoi consiste le principe d’explication. (Ainsi, quand Socrate donne à Protarque le choix entre le petit et le grand, les termes du choix ne sont pas équivalents : Protarque doit choisir entre le petit nourrissant le grand ou le grand arrangeant le petit – comme souvent, Socrate bouleverse les traditions matérialistes). Le principe d’explication ne fait donc appel ni à l’analyse chimique, ni à un chimiste surnaturel ; il se borne à démontrer que l’ordre explique tout.
10Ensuite, le principe de symétrie demande que les propriétés de ce qui est petit se retrouvent dans ce qui est grand. Ainsi, en ce qui concerne le nous, si nous en sommes pourvus, l’univers en est également pourvu. Le dialogue tout entier, participants inclus, démontre que le nous est une propriété qui nous est intrinsèque, pourvu que nous y prenions part ; et nous le possédons en nous comme une propriété immanente. Principe de symétrie oblige : l’univers est lui aussi pourvu d’un nous qui lui est tout autant immanent et n’est donc pas le résultat d’un bienfait venu du dehors. Assurément le nous de l’univers n’est pas à l’échelle du nôtre, mais c’est la seule différence.
11On pourrait néanmoins objecter que toutes les propriétés, qu’il s’agisse de celles de l’univers ou des nôtres, sont le résultat de la bienfaisance d’un dieu transcendant laquelle expliquerait, du dehors, la nature de l’univers et celle de ses parties. Et c’est par ce biais que Protarque et les savants espèrent réfuter l’apôtre du hasard en affirmant que c’est un dieu qui veille sur tout. Mais alors que les savants remettent à un dieu les rênes de l’univers, Socrate avance un argument en faveur de l’ordre universel lequel – la symétrie l’exige – se règle intérieurement lui-même, et n’est donc pas le fait d’un dieu. L’argument de Socrate contre l’homme ingénieux s’articule à partir d’une opposition entre les savants et les partisans du hasard ; ce faisant, Platon met en parallèle l’argument de Socrate et l’opinion des anciens : ils sont dits être alliés, mais non pas identiques (voir 30 d 8). Rappelons que Socrate essaie de démontrer à l’homme ingénieux qu’il a tort. Pour ce faire, Socrate a bien sûr besoin de principes premiers que son adversaire puisse accepter : par exemple, si le partisan du hasard prétend qu’il n’y a point de dieu, il n’est pas question de lui opposer un argument se bornant à prétendre le contraire. Socrate va donc tenter d’avancer des principes acceptables par tous, homme ingénieux y compris. Là où les autres se contentaient de faire une supposition, Socrate avance un argument, dans lequel il ne semble pas avoir le même adversaire que les savants. Quant aux deux principes – celui de symétrie et celui d’explication – ils n’auront de prise sur l’adversaire qu’à condition de ne s’appliquer qu’à la structure interne des choses et à ce qu’elles ont en commun.
12Ainsi, l’univers est bien ordonné, et il l’est par sa propre structure. C’est pour cela que Socrate suggère que l’intelligence chez nous « procure l’âme » ; il ne s’agit pas d’intervention divine (cette intelligence est bien notre petite intelligence à nous), mais du fait que notre intelligence est la cause de notre âme. Être animé, donc, c’est être ordonné, qu’il s’agisse de l’univers ou de nous. Et à ce niveau, l’explication est complète.
13Socrate poursuit. Si nous avons l’illimité et la limite, nous avons aussi leur cause, et quelle cause ! Elle orchestre et compose les saisons, et c’est à proprement parler qu’elle est appelée prudence et intelligence. Puisqu’il y a l’intelligence, il y aura l’âme, parce qu’on ne trouve pas l’intelligence sans âme (30 c). Par conséquent, la nature de Zeus possède une âme et une intelligence royales ; et il en va de même en ce qui concerne la nature du reste (30 d). Mais de quel Zeus s’agit-il ? Avons-nous affaire au démiurge ? Et comment Socrate peut-il affirmer que l’âme est nécessaire à l’intelligence, alors qu’auparavant il avait affirmé que l’intelligence était nécessaire à l’âme ?
14Si on réfléchit à l’ensemble de l’argument, on n’y trouve aucun démiurge. Au contraire, ce que Socrate nous offre ici est un argument en faveur de l’implication mutuelle de l’âme et l’intelligence : l’intelligence est nécessaire et suffisante pour l’âme. L’âme de l’univers, donc, est identifiée à son intelligence, et son bon ordre provient du dedans, non du dehors. De plus, être animé tout comme être intelligent font ici une apparition singulière : l’âme de Zeus, en effet, est mise en rapport avec son intelligence royale (30 d) ; et il en est de même dans notre cas, parce que notre degré d’âme dépend de notre intelligence12. Qu’est-ce que cela veut dire ? On peut être plus ou moins intelligent, et plus ou moins ordonné. Mais peut-on être plus ou moins animé ? Cette identification (de l’âme et l’intelligence) se dérive évidemment des deux principes, lesquels partent de la conviction que les petites propriétés sont à la fois mesurées et expliquées par les grandes. Elle est aussi le fruit d’une téléologie réaliste, qui veut que tout ordre soit une propriété réelle des choses : propriété tant réelle qu’explicative. Avoir une âme, de ce point de vue, est un bien, c’est une affaire honorifique13.
15L’argument de Socrate vise donc l’homme ingénieux, en affirmant que l’univers s’explique téléologiquement. Comment Socrate s’y prend-il ? Voici, à mon sens, au moins trois questions posées par notre texte : la première porte sur le dieu : est-il impliqué ici ? mais est-il possible de constituer une téléologie sans dieu ? La deuxième porte sur l’homme ingénieux : qui est-il ? La troisième porte sur la vie : comment voir dans ce passage une réponse au problème des vies ?
La téléologie pollachôs legetai
16Protarque – et les savants – semblent chercher le dieu dans la téléologie. Mais la téléologie pollachôs legetai : elle se dit en plusieurs sens aussi bien pour Platon que pour Aristote.
17Considérons le texte classique : l’autobiographie de Socrate dans le Phédon. Socrate a voulu comprendre chaque chose, pourquoi elle devient, pourquoi elle dépérit et pourquoi elle est (96 a). Mais les théories de ses devanciers ne le satisfont pas, parce qu’elles manquent le bien, et elle le manquent de plusieurs façons. Les matérialistes, tout d’abord, ne disent pas comment chaque chose qui devient, périt ou est, se trouve être, en fait, disposée de la meilleure façon possible. Anaxagore, ensuite, n’explique pas comment le nous ordonne (kosmein) tout, ni comment chaque chose est à la place qui lui convient le mieux (97 c). Aucun ne remarque la différence entre un Socrate qui reste en prison parce que ses jambes ne bougent pas, et un Socrate qui ne la quitte pas parce qu’il considère qu’il est juste d’y rester. Les devanciers n’indiquent ni en quoi consiste le bien de chaque chose ni celui du monde entier (99 c).
18Il y a ici plusieurs formes de bien. Il y a, d’abord, le bien d’une chose particulière : il se définit soit par les intentions propres à cette chose, soit par sa situation au sein du tout, ou encore par la disposition qu’a donnée le dieu. Il y a ensuite le bien du tout : celui-ci se définit par les intentions du dieu (du nous) ou par son ordre interne. Il est donc possible de distinguer entre le bien d’un objet intentionnel (cette chose-ci est bonne parce que je la désire : ce gâteau de chocolat est délicieux parce qu’il me plaît, l’univers est ainsi disposé parce que son ordonnance plaît au dieu), et le bien indépendant (je désire cette chose-ci parce qu’elle est bonne : ce gâteau était délicieux avant qu’il ne me plaise, l’ordre du cosmos est en soi une bonne chose – et c’est à cause de cela que le dieu l’a instauré). Le bien indépendant sera bon qu’on le désire ou non, et même si le dieu ne l’institue pas. Le bien qui n’est qu’intentionnel ne survit pas à son auteur.
19Si on se réfère à Aristote, on a une autre notion du bien indépendant. Pour Aristote, la téléologie se manifeste dans une espèce qui fonctionne bien (même si personne ne la voit, ni ne la désire) ; le bien de l’espèce se définit séparément (voir par exemple Phys. II. 8), sans faire appel aux autres espèces ni au bien du cosmos entier, et sans faire appel au dieu (qui, pour Aristote, fait marcher le cosmos sans marcher lui-même). Pour Platon, en revanche, l’espèce n’est rien comparée à la structure du tout : son bien – comme le suggère Socrate dans notre texte – se définit comme une partie de la totalité. Bien sûr, les deux philosophes se rejoignent au moins sur un point : tous deux insistent sur le fait que la téléologie est un trait caractéristique du monde, qu’elle est objective et réelle14.
Nous avons donc trois espèces de téléologie :
1) La téléologie pratique (agent divin ou humain)
par ex. : J’achète un gâteau pour le manger.
Le dieu a créé le monde afin de se faire plaisir.
2) La téléologie de l’ordre
par ex. : Il faut protéger les forêts tropicales afin de maintenir l’équilibre écologique.
Les forêts tropicales sont importantes parce qu’elles participent à l’équilibre écologique.
3) La téléologie de la fonction (parties ou totalité)
par ex. : L’hippopotame a une bouche énorme pour équilibrer sa température.
Ce petit hippopotame se nourrit pour devenir un grand hippopotame.
20Remarquons que nous sommes en présence de deux questions différentes. La première pose le problème de ce qui constitue une fin : quels sont les aspects d’un objet ou d’un événement ou d’une structure qui les rendent bons ? Cette question, si on veut, cherche l’explication. La seconde porte sur la réalisation des fins : qu’est-ce qui conduit à leur réalisation ? Cette question concerne la causalité.
21La première question peut être posée sans la seconde, si nous pouvons admettre qu’une chose, un événement ou un état est bon en soi et non pas parce que quelqu’un le trouve bon15. En ce cas, la seconde question (de la causalité) n’a de sens que si l’on a répondu à la première (de l’explication)16. En revanche, si on affirme que le bien n’est bon que pour quelqu’un, on pourrait répondre à la deuxième question avant de répondre à la première17 : si une chose n’est bonne que parce que quelqu’un la désire, cette chose doit être caractérisée en fonction de ce qui permet de satisfaire ce désir. Voilà donc que la téléologie devient une affaire d’intentions – soit humaines, soit divines. Et pourtant, si nous avons des explications téléologiques, celles-ci ne se réduisent pas toujours à la raison pratique : quelquefois la question première, celle de l’explication, suppose que le bien est naturel, indépendant et explicatif des événements qu’il conditionne18. La téléologie de Socrate, donc, peut fonctionner sans dieu : elle peut être une téléologie de l’ordre.
22Si – comme l’a fait Aristote – on propose une téléologie de la nature, on peut répondre à la seconde question en montrant les processus naturels qui mènent à une fin. Ici nos deux questions se réciproquent. Il est d’ailleurs possible d’utiliser la terminologie téléologique sans avoir de téléologie en vue. Quelquefois, par exemple, on parle d’intentions dans le cas de la survie des animaux (« les caméléons changent de couleur afin d’éviter de servir de dîner aux serpents ») ; on veut dire par là que la cause (changer de couleur) a un effet particulier (éviter de servir de dîner aux serpents)19. Ainsi va la théorie de l’évolution : cette mutation (changer de couleur) se produit à cause de la sélection naturelle ; il s’agit de ce qu’il en résulte de bon pour les espèces en cas de réussite (parvenir à éviter les serpents), et la réussite est la cause de ce changement. Mais cette façon d’expliquer, aux yeux des darwinistes, va à l’encontre de la téléologie parce qu’elle s’appuie sur des principes de causalité et sur une définition du bien laquelle n’est qu’ex post facto : les bonnes espèces sont justement celles qui réussissent, l’état présent n’est rien d’autre que le produit de leur réussite20. Il faut, par conséquent, établir une distinction précise entre les explications qui parlent d’un bon résultat et les théories qui introduisent des fins, des causes finales.
23Cependant, tous les philosophes ne sont pas partisans de la téléologie. Car, en premier lieu, la téléologie est une théorie coûteuse ; elle demande qu’on croie en un dieu ou en quelqu’ordre naturel ou encore en un bien réel et objectif. Les matérialistes, comme le remarque Socrate dans le Phédon, ne souscrivent pas aux explications téléologiques. Et ils ont raison s’ils supposent que les théories doivent être le plus économique possible ; ainsi, soutenir une théorie téléologique exige qu’on en démontre la valeur face à d’autres plus économiques. D’autre part, quand on parle de téléologie, il convient de ne pas éliminer la nécessité matérielle. Il n’y a pas de monde où la téléologie règne à part entière, car ce qu’elle ordonne, ce sont les causes efficientes, les matériaux. La téléologie n’a de valeur que dans la mesure où elle conditionne. Ainsi, la téléologie opère en fonction des autres conditions du monde ; et elle s’exprime contre ce qui n’est pas expliqué de cette façon ; c’est donc par rapport à des adversaires, matérialistes parfois ou encore déterministes, que les partisans de la téléologie définissent leur position. Dans le Philèbe, l’adversaire de Socrate paraît être le deinos aner, l’homme ingénieux. Qui est-il ?
L’homme ingénieux : Héraclite encore une fois
24Aristote nous dit que Platon, dans sa jeunesse, connaissait les théories des Héraclitéens (Mét., 987 a 32), c’est-à-dire de ceux qui disent, d’abord, que toutes les choses sensibles toujours s’écoulent ; et ensuite qu’il n’y en a pas de connaissance. Aristote mentionne aussi qu’Héraclite aurait, à ce qu’on dit, subvertit le principe de contradiction (Mét., 1005 b 25). Héraclite lui-même a dit qu’il était impossible d’entrer deux fois dans le même fleuve ; et il a insisté sur le fait que l’eau de mer était empoisonnée et nourrissante à la fois.
25Mais il y a des fragments qui parle de la puissance de la raison, du logos commun. Il y a autant d’Héraclites qu’il y a d’interprètes d’Héraclite : eh bien, à quel Héraclite Platon s’intéresse-t-il ?
26D’abord, il y a quelques textes qui indiquent que pour Platon, Héraclite pense que tout change toujours et de toutes les manières : le flux total. Voyez, par exemple, Cratyle, 411 c, Théétète, 180 a, et même Sophiste, 249 b-c. Mais Platon était-il, lui, un sceptique de ce type, désavouant la réalité du monde sensible21 ? Je crois que ce n’est le cas ni dans la République ni dans le Théétète. Le Théétète nous propose une autre vision d’Héraclite, lequel apparaît en compagnie de son acolyte Protagoras.
27« L’homme est la mesure de toutes choses » : Protagoras, tout d’abord, voudrait faire croire que le jugement émis par chacun est vrai, toutes les fois qu’il l’émet. En conséquence, la vérité dépend entièrement de ceux auxquels elle apparaît, et la fausseté n’existe pas. Pour Protagoras, donc, le vrai est instantané et toujours vrai au moment même22. Mais de quoi le monde est-il fait, si Protagoras a raison ? Héraclite et sa doctrine secrète viennent ici au secours de Protagoras et de sa doctrine de la mesure. La doctrine secrète est la conséquent ontologique de l’épistémologie de la mesure :
ΣΩ. ᾽Εγὼ ἐρῶ ϰαὶ µάλ᾽ οὐ ϕαῦλον λόγον, ὡς ἄρα ἓν µὲν αὐτὸ ϰαθ᾽ αὑτὸ οὐδέν ἐστιν, οὐδ᾽ ἄν τι προσείποις ὀρθῶς οὐδ᾽ ὁποιονοῦν τι, ἀλλ᾽ ἐὰν ὡς µέγα προσαγορεύῃς, ϰαὶ σµιϰρὸν ϕανεῖται, ϰαὶ ἐὰν βαρύ, ϰοῦϕον, σύµπαντά τε οὕτως, ὡς µηδενὸς ὄντος ἑνὸς µήτε τινὸς µήτε ὁποιουοῦν‧ ἐϰ δὲ δὴ ϕορᾶς τε ϰαὶ ϰινήσεως ϰαὶ ϰράσεως πρὸς ἄλληλα γίγνεται πάντα ἃ δή ϕαµεν εἶναι, οὐϰ ὀρθῶς προσαγορεύοντες‧ ἔστι µὲν γὰρ οὐδέποτ᾽ οὐδέν, ἀεὶ δὲ γίγνεται.
S. : Je vais te répondre par une théorie qui, elle aussi, vraiment, n’est pas sans valeur : au sens où, par conséquent, un, en soi et par soi, rien ne l’est, et où c’est à tort que tu désignerais quelque chose, ou même que tu dirais de quelque chose qu’il est de telle ou telle sorte. Tant s’en faut que, si tu en parles comme de quelque chose de grand, il apparaîtra aussi petit ; lourd, il paraîtra aussi léger. Et ainsi de suite, pour toutes choses, en ce sens qu’aucune ne possède d’unité, ni d’identité, ni n’est de telle ou telle sorte : mais c’est à partir d’une translation et d’un mouvement, d’un mélange réciproque, que viennent à être toutes les choses qu’à tort nous disons être ; car rien n’est jamais, mais à chaque fois tout devient. .
(Théét., 152 d-e)23
28La doctrine secrète est-elle alors une doctrine du flux total ? Elle explique toutes les apparences au moyen des contraires : chaque chose n’est pas plus comme ceci que comme cela. Par conséquent, la condition des choses sensibles s’exprime par le devenir, et non par l’être ; l’expression gignesthai marque, en premier lieu, un contraste avec einai. Les choses qui sont comme ceci ne supportent pas d’être comme cela, ni maintenant, ni plus tard : elles n’admettent pas leurs contraires. Les choses qui deviennent comme ceci deviennent aussi comme cela – les contraires coexistent. Voilà que le monde, autant que les jugements, se déterminent à partir des instants : ainsi c’est toujours du présent qu’il est question. Maintenant, si je juge que quelque chose est comme ceci, il y a quelqu’un pour la juger comme cela ; et nos jugements – relativement à chacun – sont tout aussi vrais. Pareillement, chaque chose n’est pas plus comme ceci que non – chaque chose est à la fois comme ceci et comme cela. Le flux, par conséquent, n’est pas plus un phénomène diachronique que synchronique ; il se définit comme une coïncidence des contraires. En effet, la distinction entre les instants disparaît, parce que chaque jugement est vrai quand il est vrai ; il n’y a aucune comparaison possible entre les jugements (sous peine d’introduire le faux). Mais si ces instants sont tout ce qu’il y a (comme dit cette figure d’Héraclite), la différence entre maintenant et demain disparaît. Toutes les choses sont instantanées si bien qu’il n’y a pas de choses qui durent – à chaque instant, un événement advient ; à l’instant qui suit, un autre. D’une part il n’y a aucune différence entre une situation de ce genre et le flux total : les objets continus disparaissent (ils ne sont pas) au profit de devenirs instantanés. Mais d’autre part, la doctrine secrète dépasse celle du flux ; elle acquiert une dimension synchronique. Et ainsi elle subvertit le principe de contradiction : « si tu en parles comme de quelque chose de grand, il apparaîtra aussi petit ; lourd, il paraîtra aussi léger24 ». Cette théorie affirme que l’ordre n’existe pas, qu’il n’y a que des contraires sans rapport entre eux.
29J’affirme que cet Héraclite-là est l’homme ingénieux du Philèbe, celui qui dit que l’univers est complètement désordonné. Revenons au texte et aux adversaires. D’abord, il y a une différence entre les savants (Protarque inclus) et les partisans du hasard. Puis suit un argument complexe que Socrate avance contre un homme qui voit le désordre partout. J’ai montré que l’opinion des savants n’est pas celle de Socrate ; les savants affirment l’existence d’un dieu, alors que Socrate soutient celle d’un ordre interne de l’univers. Pareillement, je crois que les adversaires sont différents : le partisan du hasard n’est pas identique à l’homme ingénieux25. L’un soutient que l’univers est réglé par le hasard (28 d 6) : il s’occupe des forces externes et des causes. L’autre dit que l’univers est désordonné au dedans (il est dans un état de désordre, 29 a 4) ; il s’occupe de la situation actuelle des choses. Pour Démocrite, la spécification des causes était un principe de son atomisme26. Pour Héraclite, en revanche, les qualités des choses qui s’écoulent et les événements mêmes constituent le plus grand problème que doive résoudre l’explication rationnelle27. L’adversaire de Protarque, donc, peut bien être Démocrite ; mais Socrate s’oppose à un Héraclite qui affirme l’universel désordre28.
30Cet Héraclite, c’est aussi Philèbe lui-même. Souvenons-nous des deux moments où Philèbe défend sa position. En 27 e, il dit que le plaisir relève de l’illimité, parce que, par principe, l’hédonisme demande que le plaisir nous inonde toujours et abondamment. Il n’y a donc que les processus de plaisir qui soient valables ; rien n’est en repos, tout devient. En 11 a puis en 21 b Socrate pose une question à Philèbe : la vie de plaisir contient-elle l’intelligence, la mémoire et le calcul ? Non, répond Protarque à la place de Philèbe, il ne manque rien à la vie de plaisir, elle n’a besoin ni de l’intelligence ni de la science. Eh bien, conclut Socrate, une telle vie n’est pas une vie du tout, et parce qu’elle ne se souvient pas du passé et ne tient pas compte l’avenir29, elle ne peut pas jouir du présent. Cette vie est une vie de mollusque. Elle est aussi la vie d’un héraclitéen, qui ne tient pas compte du cours du temps et ne peut en parler (parce que le discours dure plus d’un instant, et ne reflète pas les instants d’Héraclite)30.
31Contre cet homme (et contre ce mollusque) Platon déploie une double stratégie : un argument et un drame. Dans notre passage, il propose un argument selon lequel tout dans le monde matériel a besoin d’ordre, soit petit, soit grand. Cet ordre est interne ; ce n’est pas le dieu que Socrate oppose à l’homme ingénieux, mais les choses du monde de tous les jours. Si nous sommes animés, le monde est animé ; si nous sommes intelligents, le monde est intelligent ; s’il y a de l’ordre en nous, l’univers est lui aussi ordonné. Cette téléologie se définit contre la figure du désordre total. Elle ne dit pas que les éléments matériels n’existent pas, ni qu’une théorie des causes matérielles est superflue. Au contraire, elle insiste sur le fait que le monde matériel est réel ; mais elle affirme également qu’il est ordonné.
32Et dans le drame du Philèbe, Platon présente l’impossibilité de vivre une vie désordonnée : la vie au fil des instants, telle la vie de plaisir sans intelligence, n’est pas une vie ; les gens qui essaient de la vivre disparaissent – comme Philèbe qui, après notre passage, ne dit plus rien, et comme l’homme ingénieux, qui ne discute pas l’argument de la transitivité du petit au grand. S’il n y a pas d’ordre, il n’y a pas d’argument, parce qu’un argument dépend d’un ordre de succession, de la différence entre les prémisses et la conclusion. Et cette différence, si on considère les antilogikoi du Phédon, est rejetée par les Héraclitéens.
ἐπειδὴ δὲ ἐϰείνης αὐτῆς δέοι σε διδόναι λόγον, ὡσαύτως ἂν διδοίης, ἄλλην αὖ ὑπόθεσιν ὑποθέµενος ἥτις τῶν ἄνωθεν βελτίστη ϕαίνοιτο, ἕως ἐπί τι ἱϰανὸν ἔλθοις, ἅµα δὲ οὐϰ ἂν ϕύροιο ὥσπερ οἱ ἀντιλογιϰοὶ περί τε τῆς ἀρχῆς διαλεγόµενος ϰαὶ τῶν ἐξ ἐϰείνης ὡρµηµένων, εἴπερ βούλοιό τι τῶν ὄντων εὑρεῖν; ἐϰείνοις µὲν γὰρ ἴσως οὐδὲ εἷς περὶ τούτου λόγος οὐδὲ ϕροντίς‧ ἱϰανοὶ γὰρ ὑπὸ σοϕίας ὁµοῦ πάντα ϰυϰῶντες ὅµως δύνασθαι αὐτοὶ αὑτοῖς ἀρέσϰειν‧ σὺ δ᾽, εἴπερ εἶ τῶν ϕιλοσόϕων, οἶµαι ἂν ὡς ἐγὼ λέγω ποιοῖς.
Et chaque fois qu’il faudra rendre compte de l’hypothèse elle-même, tu le feras en agissant exactement de la même façon : tu poseras une nouvelle hypothèse, en choisissant parmi les plus élevées celle qui te paraîtra la meilleure, jusqu’à ce que tu atteignes quelque chose de satisfaisant. Cela t’évitera du même coup de t’embrouiller comme font les controversistes31 en discutant du commencement et de ses conséquences tout à la fois32, au moins si tu as vraiment envie de découvrir quelque chose de ce qui est. Au demeurant, pour ces gens-là, il n’y a pas de parole ni de pensée unitaire33. Il leur suffit, grâce à leur habileté, de faire un cocktail de tout ensemble, de façon à pouvoir se faire plaisir à eux-mêmes. Mais toi, si tu es vraiment un philosophe, tu feras, je pense, ainsi que je dis34.
(Phédon 101d-e)
33Ces antilogikoi sont héraclitéens – voyez, par exemple, l’écho du « cocktail » d’Héraclite (fr 12535) – et hédonistes – les conséquences de la théorie leur plaît. Comme dit le Théétète, si Héraclite a raison, la raison s’évanouit (183 a-b). La vie des Héraclitéens, donc, manque de raison, elle n’appartient pas au nous.
34Réfléchissons encore à l’Héraclite qui a violé le principe de contradiction. Tant et si bien que vous ne croyez pas à la valeur de ce viol ; mais comment démontrer que le violeur est insensé ? Tout argument fonctionne à partir de ce principe (et de celui, voisin, qui affirme la différence entre prémisses et conclusion) ; il n’y a donc pas d’argument qui puisse le démontrer sans le présupposer. C’est à cause de cela que Socrate met en place sa double stratégie : l’argument nous persuade que le monde est ordonné ; le drame nous montre ce qu’il en coûte de prétendre le contraire. Voilà le dessein total de notre texte. Hors texte, Socrate et Philèbe disputent de la nature de la vie la meilleure ; dans ce cadre, les savants célèbrent l’intelligence parce qu’elle gouverne le ciel et la terre ; sur cet arrière-fond Socrate soutient une correspondance entre le petit – élément matériel ou nature spirituelle – et le grand ; il conclut du microcosme au macrocosme, et affirme que l’on retrouve la même structure dans l’univers qu’en nous. Cet argument, donc, est au centre du tableau ; il en explique autant le cadre que l’arrière-plan. En revanche, les principes de l’argument sont étayés par le contexte, parce que c’est dans le drame du dialogue que Platon nous persuade que ses adversaires sont voués à disparition.
L’autonomie : vivre sa vie
35Comment voir en cela une réponse au problème des vies, au problème de trouver le bien dans la vie de l’intelligence ? J’ai annoncé que je parlerai de l’autonomie ; non pour faire un rapprochement avec Kant (nous n’avons, dans le Philèbe, ni la bonne volonté, ni les exigences de l’impératif catégorique). De plus, dans notre passage, Socrate ne s’intéresse pas au problème du déterminisme. Le déterministe dit que les causes antécédentes et mécaniques expliquent tout ce qui arrive ; nos actions, donc, ne sont ni volontaires, ni propres à nous. Tout découle de la nécessité. Mais Socrate n’offre pas d’argument contre cette théorie (par exemple, un argument affirmant que les causes antécédentes n’épuisent pas la causalité, que nous avons des causes qui relèvent de nous, que nous sommes autonomes)36. En revanche, il argue que les éléments matériels ne suffisent pas pour expliquer le monde que nous voyons (c’est le principe d’explication). Même dans le Phédon, il ne discute pas avec les gens qui disent que l’on fait tout ce qu’on fait par nécessité, mais bien avec ceux qui croient que la matière explique tout (ils sont réductionnistes, comme on dit, et non pas déterministes). Dans les deux textes, il soutient que sans téléologie nos explications sont incomplètes. Il n’est pas nécessaire que Socrate brise la chaîne de la causalité ni qu’il nie l’existence de la matière ; il s’agit pour lui de montrer aux matérialistes que leur théorie est dénué de toute perfection propre parce qu’elle manque de perfection tout court.
36Qu’entends-je alors par « autonomie » ? Dans le Politique, 290, l’Étranger d’Élée approche la définition du roi en différenciant celui-ci de ceux qui ne sont pas autepitaktikoi. Un autepitaktikos n’obéit qu’à ses propres ordres ; tous les autres – les hérauts autant que les sophistes – obéissent à un autre qu’à eux-mêmes (un héraut obéit à son maître ; le sophiste change si souvent qu’il n’a aucun « soi-même » auquel obéir)37. Le roi – tout comme le dieu qui gouverne le cosmos dans le mythe – est autokrator : il est celui qui se détermine lui-même. Cette forme d’autonomie se définit négativement par référence à des situations dont elle est absente ; elle est une forme de contrôle sur les éléments – soit matériels, dans le cas du dieu, soit politiques, dans le cas du roi. Au niveau des éléments, la menace n’est pas que tout arrive nécessairement mais que les éléments, en eux-mêmes, soient désordonnés. Le dieu et le roi ne rompent pas la série des causes naturelles, ils introduisent l’ordre dans le chaos.
37Dans le Philèbe, notre passage ne mentionne certes ni l’autonomie ni l’autocratie ni la détermination de soi. Mais Platon y souligne que l’ordre, en nous et dans l’univers, est le produit de nous kai sophia qui l’ordonnent du dedans. L’ordre est la structure intelligente d’un ensemble, qu’il soit petit ou grand. Il s’ensuit que cette structure est également intelligible, puisqu’elle est ordonnée et intelligente. D’ailleurs, cette structure existe, elle est réelle, puisqu’elle s’identifie au nous (l’ordre de l’univers n’est pas seulement une idée qui passe par la tête d’un dieu, ou d’un homme). Ce nous, donc, ne transcende pas cette structure ; il lui est immanent38.
38Le principe de symétrie requiert que la structure du petit ressemble à celle du grand ; de là vient l’argument de Socrate disant que le monde est ordonné. Mais le principe de symétrie est lui-même symétrique : si le monde est intelligent en même temps qu’il est ordonné, nous aussi sommes intelligents de la même manière. L’intelligence et l’ordre sont liés. Dans le monde entier, l’intelligence contrôle le chaos de l’illimité ; pour nous, pareillement, l’intelligence est la source du contrôle. Dans le monde entier, nous voyons que l’ordre universel explique la téléologie ; en nous, l’intelligence et l’ordre constituent notre autonomie, notre maîtrise de nos moyens. L’autonomie, donc, se définit conformément à une vie (nous voyons que, sur ce point, ne se profile pas davantage l’ombre de Kant) : ma vie est autonome dans la mesure où mon intelligence (nous) confère l’ordre au chaos (c’est en ce sens que l’âme est nécessaire à l’intelligence). Le drame du Philèbe démontre la portée de cet exposé de l’autonomie. Si une vie manque de l’intelligence du tout, ce n’est pas une vie, et personne ne la vit ; Philèbe et l’homme ingénieux, qui renoncent à l’intelligence, ne réapparaissent plus après notre passage. Il s’ensuit que cette vie est la mienne pour autant qu’elle est ordonnée continûment par mon nous ; l’autonomie m’appartient dans l’exacte mesure où m’appartient l’intelligence (c’est en ce sens que l’intelligence est nécessaire à l’âme). Mais tous les assemblages ne sont pas ordonnés : nous voyons que les maladies ou les orages sont désordonnés parce qu’ils ne prennent pas part à l’intelligence, et ainsi ils manquent le bien. Devenir ordonné, donc, c’est devenir intelligible ; mais c’est aussi et surtout devenir intelligent. La vie d’intelligence, par conséquent, participe au bien à cause de son intelligence. L’autonomie et la téléologie, donc, sont nécessairement inséparables.
39Mais comment le nous introduit-il l’ordre dans tout ce qu’il approche ? Est-ce que l’intelligence peut s’inscrire dans une vie ? Le don divin nous rend capables de voir le rapport de la limite avec l’illimité ; d’abord nous voyons une seule idée qui embrasse tout ce que nous recherchons ; ensuite, nous la divisons selon ses propres parties ; et enfin nous pouvons énumérer les divisions correctes, et les réunir en un système. Voilà la méthode dialectique qui préside aux enquêtes, aux études et à l’enseignement (16 e). Mais comment la dialectique pourrait-elle doter le monde d’un bel arrangement ? Et comment la dialectique pourrait-elle rendre ma vie heureuse39 ?
40Remarquons, d’abord, l’affinité entre cette méthode dialectique et l’ordre procuré par le nous. Tous les deux, bien sûr, établissent un lien entre la limite et l’illimité. Dans les deux cas, d’ailleurs, une structure entière (pour la dialectique, l’un réunifié, pour les âmes, un cosmos ou une personne) est articulée selon ses parties propres : quand toutes les parties sont ordonnées, nous avons le bon ordre (voir l’explication du beau temps en 29 c), sinon, dans le pire des cas, nous avons un chaos total. Cette articulation des parties propres leur confère une identité relative : en musique, par exemple, nous connaissons le ré à cause de sa position entre le do et le mi, et nous serions des musiciens si nous connaissions l’ensemble, c’est-à-dire tant les notes individuelles que le système entier (voir Philèbe, 18 et Politique, 283 c sq.).
41Quant à la téléologie, nous avons ici une vision différente de celle que l’on trouve dans le passage de la République (505-509) sur le soleil. Dans ce texte, la structure du monde et la structure de l’intelligence sont expliquées par une seule cause qui surpasse tout ; cette cause gouverne le monde – qu’il soit sensible ou intelligible – elle leur est extérieure, elle est au delà de la mesure, elle est absolue. Elle est la cause de tout parce que la lumière qui vient du soleil, tout comme le bien qui vient de la forme du bien, pénètre tout – du plus au moins. L’épistémologie de Platon dans la République est donc due à ce seul fondement, dont dépendent les autres idées et toutes les choses sensibles ; et la téléologie, de la même manière, prétend que chaque bien est déterminé par son rapport à la forme du bien – être bon, ici, c’est avoir la propriété du bien. Appelons un tel système fondateur. Il comporte trois aspects importants :
L’idée du bien est le fondement de tout ce qui est intelligible et sensible.
Chaque chose intelligible ou sensible est bonne dans la mesure où elle provient – directement ou indirectement – de l’idée du bien.
Chaque chose intelligible ou sensible possède – à des degrés divers – la propriété d’être bonne.
42Dans le Philèbe, en revanche, chaque chose devient bonne, d’abord, à partir du rapport entre la limite et l’illimité ; et ce rapport même est expliqué par toute une structure, à laquelle les individus s’identifient relativement. Être bon, donc, c’est prendre sa place dans le système total. Ici l’ontologie et la téléologie ne se définissent pas par une seule cause extérieure, mais au sein du système dans sa totalité. L’épistémologie, de la même manière, n’est pas fondée sur une seule forme, ni sur quelques unes ; elle requiert que l’on connaisse le tout et ses parties avant d’être savant. Appelons une telle théorie holistique40. Elle présente quatre traits significatifs :
La science demande qu’on connaisse le système entier et ses parties propres.
Le système entier et ses parties se définissent mutuellement.
Pour un individu, être bon, c’est occuper la place qui lui revient dans le système.
Pour un système, être bon équivaut à être ordonné.
43Par conséquent, il ne faut pas s’étonner si dans notre passage l’argument de Socrate n’utilise point le dieu. Dans le contexte d’une théorie de la limite et de l’illimité, il s’agit d’un système immanent, non pas de l’intervention d’un dieu ou d’un bien transcendant.
44Mais qu’en est-il d’une vie vivable ? Notre vie est faite des moments particuliers, et nous qualifions de bons des événements individuels. La dialectique – pourrait-on objecter – ne constitue pas les moments d’une vie, mais une vie complète – c’est ainsi que dans la République, la vie heureuse est la vie contemplative, la vie de repos hors de la caverne. Dans la République, par conséquent, le monde sensible est loin du monde intelligible qu’habitent les philosophes. Mais depuis le Philèbe, 21 e, Socrate s’insurge contre cette vision de la vie heureuse ; si la vie de plaisir est une vie de mollusque, la vie de l’intelligence est la vie d’une pierre. Comment en vouloir ?
45Réfléchissons sur le fait que la méthode holistique de la limite et de l’illimité a deux aspects : tout d’abord, l’ordre embrasse systématiquement le tout ; ensuite, chaque individu est déterminé dans le système et par le système41. Si, dans ma vie, le système représente l’idéal vers lequel je tends (pareillement, dans la philosophie, cet idéal est la science systématique que nous cherchons, même si nous la manquons toujours), les individus représentent les jugements particuliers selon lesquels je vis ma vie. Nous sommes tous philosophes, et non pas déjà sages ; il faut que nous vivions au présent et en particulier. Cette vie-ci nous presse fort, et si l’on tient à avoir une existence continue (contre les Héraclitéens), il nous faut aussi régler les actions particulières. Comment le faire ?
46Pour terminer considérons rapidement deux passages du Philèbe (53 d sq. ; 66 a), et deux du Politique (283 d sq. ; 294 a sq.) Dans le Politique, l’Étranger explique l’art de la mesure de deux façons : la première présente des mesures comparatives et neutres (le grand est mesuré par rapport au petit), la seconde préconise une mesure téléologique (il y a des choses qui sont mesurées en soi). La téléologie de la mesure s’accorde avec la méthode de collection et de division puisque chaque mesure trouve sa place dans un système complet ; mais elle est toujours liée à ce qui est particulier. Par conséquent l’activité du politicien a deux facettes : d’une part il pratique son art par rapport à la totalité (il est le sage, l’autepitaktikos), d’autre part il le pratique par rapport a ce qui est particulier (il porte des jugements équitables en fonction du kairos, ce dont les lois fixes sont incapables)42. Dans le Philèbe nous avons, en 53 d sq., une explication de la téléologie pratique, qui rappelle tout ce qui précède et qui nous fait penser aux deux mesures du Politique. Il existe deux espèces de choses, la chose « en soi » et la chose « qui toujours manque de quelque chose » ; la première est bonne, la deuxième est défectueuse ; la première est, la deuxième devient (souvenons nous ici de l’homme ingénieux, d’Héraclite, contre lequel cette théorie est développée) ; ce qui devient, alors, devient en fonction de ce qui est – parce que ce qui est est valable en soi. Dans le système de la limite et de l’illimité, ce qui est valable en soi, c’est l’individu déterminé par la totalité ; cet individu est ce qui dans le Politique correspond à ce qui est mesuré en soi. Par conséquent, la téléologie de l’ordre produit une téléologie des moments, des choses ou des actions individuels, lesquels sont valables en soi et méritent la description de 66 a, à savoir « la mesure et le mesuré et l’opportun ». Voici enfin notre vainqueur, c’est la mesure, laquelle explique la vie la plus heureuse. Le nous, quant à lui, explique la mesure.
47Dans la République, alors, les moments d’une vie sont défectueux en tant qu’ils sont éloignés de l’idée du bien. Ici, en revanche, les moments sont intégrés dans le système entier et ils le sont par la cause même qui ordonne ce système, à savoir le nous. L’intelligence, donc, est le facteur déterminant de la téléologie, et cela de deux façons. D’une part, le système de l’ordre est un système tout autant intelligent qu’intelligible ; d’autre part, les parties articulées de ce système sont mesurées par ce moyen, et acquièrent ainsi leur valeur. L’intelligence est pour nous ce qui nous détermine à être nous mêmes, le principe de notre autonomie : elle constitue, d’abord, la condition nécessaire pour vivre sa vie, être soi-même ; elle explique comment choisir les biens particuliers en rapport avec un système complet ; et elle donne accès à l’être en soi parfait, condition de la connaissance systématique. Par conséquent, l’intelligence nous confère deux sortes de contrôle sur ce qui est désordonné : elle produit l’ordre ; et elle rend possible les jugements selon la mesure. L’intelligence a donc l’affinité la plus grande avec ce qui explique la vie humaine.
Notes de bas de page
1 Une première version de cette communication (« Philosophical Positions : Plato’s Dramatisation of First Principles » ; à paraître au Cambridge University Press) a été donnée en février 1996 à Trinity College, Dublin, où j’avais l’honneur d’être invitée dans le cadre des conférences W.B. Stanford. J’aimerais remercier en premier lieu John Dillon et Kathy Coleman de leur aimable invitation. Je tiens ensuite à manifester ma gratitude envers Denis O’Brien et Monique Dixsaut qui m’ont invitée à Paris. Je connais Denis O’Brien depuis trente ans ; il a été mon professeur à Cambridge, et les méthodes de Socrate lui étaient chères ; je lui dois la connaissance de la philosophie comme argument vivant et éclatant – c e fut un ktema eis aei, comme dit Thucydide. Monique Dixsaut m’a fait bénéficier de ses sages conseils ; je lui en suis extrêmement reconnaissante. Nicole Ooms, qui pratique quatre langues au moins, a bien voulu relire mon français d’écolière, et je l’en remercie mille fois – mais elle n’est pas responsable des choix que j’ai faits. D’autres amis m’ont fait d’utiles remarques ; je remercie Tad Brennan, Luc Brisson, Dorothea Frede, Verity Harte et Chris Hughes.
2 Voir les menaces de violence en 16 a ; et la promesse de Socrate de se livrer à ses auditeurs, 19 d-20 b.
3 Il nous faut distinguer les deux épisodes de l’histoire. Dans le premier, Protarque et les savants contredisent le partisan du hasard. Dans le second, Socrate s’oppose à l’homme ingénieux qui dit que le monde se dispose sans ordre. Je vais avancer que, comme Socrate n’est pas Protarque, ses adversaires sont eux aussi différents : soutenir que le monde est expliqué par le hasard et affirmer le chaos ne sont pas la même chose.
4 Pourquoi Protarque dit-il à ce moment précis qu’ils sont battus par une tempête d’aporia (29 b 1-2) ? Est-ce que Protarque n’a aucun argument contre ses adversaires ? Tout au long de l’argument, ses réponses sont peu appropriées ; cela indique, à mon avis, que la discussion proprement dite a lieu entre Socrate et l’homme ingénieux.
5 Protarque dit que cette question ne vaut pas la peine qu’on y réponde, 29 c 9 ; pourquoi ? Il y a trois raisons platoniciennes qui sautent aux yeux : le feu cosmique est plus grand que le nôtre ; donc il est plus puissant que le nôtre ; et il est plus beau que le nôtre : ici Socrate inclut un postulat téléologique. Ces dernières raisons conviennent au partisan du chaos. Mais c’est Protarque qui évite de répondre ; et c’est Protarque qui manque d’arguments contre les partisans du hasard.
6 Ici la question de l’unité, de la structure, apparaît pour la première fois.
7 Noter la terminologie asymétrique en 29 c 5-8 et peut-être aussi en 29 e 5-6 : si le petit explique le grand, le petit nourrit le grand ; si le grand explique le petit, le grand contient le petit. Le premier mode d’explication est matérialiste, le deuxième est plus formel.
8 Cf. Sophiste, 249 a ; Aristote, De anima, 2.1.
9 D. Frede, Plato. Philebus, p. 28 n. 1 : « Since it seems wrong to say that reason gives (parechon) the soul to the body, as the ms. have it, but orders it (cf. 28 e2) and maintains it, it would be preferable to read something like “katechon” [= “possess”, “master”]. » Si j’ai raison sur l’interprétation de tout le passage, la lecture des manuscrits peut être conservée.
10 Cela veut dire que l’intelligence est ce qui produit l’âme ; si nous sommes animés, donc, nous sommes intelligents.
11 J’ai discuté de la limite et l’illimité dans Plato’s Individuals, Princeton, 1994, p. 243-257.
12 Je remercie Chris Hughes d’avoir fait cette objection : il est possible que l’intelligence soit nécessaire et suffisante pour l’âme et que l’intelligence varie par degrés sans que l’âme varie pour autant, mais elle existe, ou elle n’existe pas, à un certain degré d’intelligence. Ce n’est pas le cas de Zeus : pour lui, son intelligence varie dans la même mesure que son âme (30 d 1-2) ; et il en est de même pour les autres divinités (voir la traduction de Frede).
13 Naturellement les théories dualistes du rapport entre l’âme et le corps sont difficiles à concilier avec cette thèse ; mais il faut reconnaître que Platon peut changer d’avis – c’est ainsi que, dans les dialogues tardifs, il s’attache plus, me semble-t-il, à comprendre la nature de l’intelligence et la vie du philosophe qu’à décider du statut métaphysique de l’âme. J’ai défendu ce point de vue dans Plato’s Individuals, chap. 9.
14 Sur Aristote, cf. M.C. Nussbaum, Aristotle’s De Motu Animalium, Princeton, 1978, p. 75 sq.
15 Il y a ici un véritable nœud de problèmes philosophiques, à commencer, peut-être, par les théories morales des sophistes : voir ici Gorgias, 483 sq., République, 336 sq. Est il possible que quelque chose soit bon tout court, et non pas bon pour quelqu’un ? Platon, certainement, croit que oui : voir Rép., 505 sq.
16 C’est peut-être à cela que pense Platon quand Socrate décrit le développement du troisième genre, le rejeton de la limite et de l’illimité, comme étant γένεσιν εἰς οὐσίαν, 26 d. Voir aussi 54 c sq., 58 c-d.
17 La thèse qui veut que toutes les valeurs soient relatives ne doit pas se confondre avec celle qui affirme qu’elles sont subjectives. Le fait que les valeurs soient relatives ne les empêche pas d’être réelles ou naturelles ; en revanche, si elles sont subjectives, elles ne peuvent pas occuper le rang de faits objectifs au sein de l’univers.
18 Voir ici la distinction de D. Wiggins, « Truth, Invention and the Meaning of Life », Needs, Values, Truth, London, 1991, p. 95 sq., entre les « évaluations » et les « directive or deliberative practical judgements ».
19 Nous avons aussi une « quasi » – téléologie, quand les théoriciens utilisent à dessein un langage téléologique pour offrir des explications pragmatiques à leurs lecteurs. Voir D. Ruben, Explaining Explanation, London, 1992, p. 21 sq.
20 Pour une exposition philosophique très vivante des théories darwinistes, voir D.C. Dennett, Darwin’s Dangerous Idea, London, 1995.
21 Voir notamment T. Irwin « Plato’s Heracliteanism », Philosophical Review, 1977 ; et les principes d’interprétation apportés par M. Burnyeat, The Theaetetus of Plato, Indianapolis, 1990, p. 7-65.
22 J’ai défendu cette interprétation de Protagoras dans Plato’s Invididuals, chap. 5 et 9, et dans « Measuring Sincerity : Socrates’ dialogue with Protagoras », Dialogos 5, 1998.
23 Trad. M. Narcy, modifiée par N. Ooms.
24 Le futur du verbe « apparaître » découle du conditionnel.
25 Je remercie Monique Dixsaut et Denis O’Brien de me faire réfléchir encore à cette question ; je regrette de ne pouvoir penser avec eux que Démocrite est l’homme ingénieux, mais je pense comme eux que l’adversaire de Protarque peut être Démocrite. Il faut toujours se rappeler, néanmoins, que Platon n’appelle nulle part Démocrite par nom.
26 Voir ici le témoignage d’Aristote (par ex. GC., 323 b 10, GA., 789 b 2, etc.) et de Simplicius (par ex. de Caelo, 294, 33).
27 Entre autres fragments, voir D.K. 22B10, 84a, 88, 102.
28 Naturellement, la question se pose de savoir dans quelle mesure le témoignage de Platon sur ses devanciers peut être considéré comme historique. Son but principal, bien sûr, est philosophique ; mais il utilise des aspects historiques pour rappeler à son lecteur des théories plus générales et pour les lier à d’autres textes platoniciens.
29 Cf. Théét., 163 d sq.
30 Cf. Théét., 182-3.
31 C’est une pratique héraclitéenne de proposer un logos, puis un autre en sens contraire – d’être antilogikos.
32 Cf. D.K. 22B103. Ici l’expression peut avoir un sens logique : la prémisse et les conclusions (n’en déplaise à Monique Dixsaut !).
33 Cf D.K. 22B1, 2, 50.
34 Trad. M. Dixsaut, modifiée par N. Ooms.
35 ϰαὶ ὁ ϰυϰεὼν διίσταται ϰινούµενος « Le cocktail reste stationnaire tout en étant en mouvement », cf. M.M. Mackenzie, « The moving posset stands still », A.J. Ph., 1986, 542-551.
36 Un tel argument est dû à Démocrite et ses successeurs.
37 J’ai discuté ce passage dans « Chaos and Control : Reading Plato’s Politicus », Phronesis, 1997, 94-117.
38 R. Hackforth, Plato’s Examination, p. 56 n. 1, n’est pas d’accord ; mais voir Frede, p. 26 n. 3.
39 Souvenons-nous encore du Théétète, et de sa description du philosophe, 172-177. Voir ici D. Sedley, « ”Becoming like god” in the Timaeus and Aristotle », in T. Calvo, L Brisson (ed.) Interpreting the Timaeus and the Critias (Sankt Augustin, 1997). Il faut nous rappeler la dualité de la philosophie, ou de la dialectique ; d’une part, la philosophie est le système de la science, complet et statique, d’autre part elle est une méthode d’enquête, inachevée et dynamique.
40 Il ne s’ensuit pas que cette théorie soit idéaliste elle aussi – au contraire, la science, comme le bien, est immanente au monde entier.
41 Plato’s Individuals, p. 257-262.
42 Voir Melissa Lane, Plato’s Statesman : a Paradigm of Authority in Time, Cambridge, 1997.
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Thémistius
Paraphrase de la Métaphysique d’Aristote (livre lambda)
Thémistius Rémi Brague (trad.)
1999
« L’art de bien lire »
Nietzsche et la philologie
Jean-François Balaudé et Patrick Wotling (dir.)
2012
L’Idée platonicienne dans la philosophie contemporaine
Jalons
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2012
La fêlure du plaisir, vol. 2
Études sur le Philèbe de Platon II. Contextes
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1999
La connaissance de soi
Études sur le traité 49 de Plotin
Monique Dixsaut, Pierre-Marie Morel et Karine Tordo-Rombaut (dir.)
2002
L’Euthyphron de Platon
Philosophie et religion
Platon Jean-Yves Chateau (éd.) Jean-Yves Chateau (trad.)
2005