Conclusion
p. 203-222
Texte intégral
1Les rapports entre le Pieux, le Juste et le Vrai (objets ou valeurs spécifiques de la religion, de la morale et du savoir) sont constitutifs de la problématique de l’Euthyphron. De façon plus ou moins explicite, c’est l’unité de ces valeurs, qui semble se manifester : le Pieux et le Juste tendent à s’identifier, si on en cherche l’Idée, c’est-à-dire du point de vue du vrai : c’est que la vraie piété et la vraie morale ne sont rien d’autre que le vrai savoir (synoptique et dialectique), c’est-à-dire la philosophie.
21) Il y a ici une philosophie de la Valeur1, que l’on explicitera d’abord : il n’y a, en un sens, qu’une vraie Valeur, et non une valeur morale et une valeur religieuse distinctes, elles-mêmes séparées du vrai.
32) Cela signifie, du point de vue de la philosophie de la religion, une position originale (une certaine unité de la philosophie et de la religion), que l’on caractérisera par comparaison avec d’autres possibilités significatives de l’histoire de la philosophie.
La philosophie de la valeur dans l’Euthyphron
4On peut tenter de caractériser cette philosophie de trois points de vue, qui sont solidaires les uns des autres et que nous nommerons par commodité : celui de la quantité de la Valeur, celui de la modalité de la Valeur, celui des relations des disciplines qui visent la Valeur.
51) Du point de vue de la quantité, on se demande si la Valeur est une ou multiple. La réponse qui se dégage de l’Euthyphron est que la Valeur est une et universelle : il n’y a pas moyen de distinguer, du point de vue de la Valeur, des domaines distincts (l’humain et le divin par exemple). Quand on parle de valeurs multiples, on parle de valeurs d’emprunt, qui valent pour ceci ou cela, c’est-à-dire dépendent de buts, dont la valeur, à son tour, serait à discuter : si l’on prétend qu’il y a des actes qu’il est bon de réaliser pour plaire aux dieux, il faudra encore se demander s’il est bon de plaire à ces dieux. Si l’on veut, en revanche, parler de Valeur, qui vaille vraiment et absolument, alors il faut forger l’idée de la Valeur qui vaut par soi, et qui est une puisqu’elle vaut universellement.
62) Du point de vue de la modalité, on se demande si la Valeur est nécessaire ou contingente (seulement possible), ou bien, pour le dire autrement, si sa nécessité est relative ou absolue. C’est donc encore ce qu’on peut appeler la question du fondement de la Valeur : si nous concevons des valeurs multiples, elles vaudront ce que vaudront leurs buts, et eux-mêmes, ce que vaudront les buts dont ils sont les moyens etc. ; dans cette hypothèse, qui est celle de l’emploi technico-pratique du terme de valeur (la monnaie, par exemple, est une valeur en ce sens), celle-ci n’est qu’un moyen et sa nécessité est relative au but qu’elle permet d’atteindre (qui est alors son seul fondement). Si, en revanche, nous abandonnons cette hypothèse, qui ne réussit pas à faire de la valeur quelque chose qui vaille vraiment (une fin véritable), nous formerons a contrario l’idée d’une Valeur dont la nécessité (la valeur) serait absolue, en elle-même et sans dépendre d’une autre : la vraie Valeur est en soi. C’est celle qui s’impose nécessairement par soi-même, qui se fonde soi-même, sans dépendre de la loi d’autre chose qu’elle-même, c’est-à-dire absolument : ce qui se fonde dans la pensée, sinon la pensée elle-même (inépendamment de toute division de la pensée selon les domaines d’objets, c’est-à-dire en disciplines).
73) Du point de vue des relations des disciplines qui visent la Valeur, on retrouve le même problème par une autre approche : si l’on reconnaît des devoirs proprement religieux distincts de devoirs humains en général, la religion sera distincte de la morale et de la justice en général, et elles risquent d’entrer en conflit. Qui les départagera, alors, sinon une Valeur qui leur soit supérieure parce qu’elle est universelle et absolument nécessaire ? Si l’une ou l’autre de ces deux disciplines prétend établir une Valeur qui ne vaille pas universellement, elle se met en contradiction avec elle-même, en se préparant à voir sa valeur particulière être dévalorisée par une autre plus générale.
8La seconde partie de l’Euthyphron montre que les dieux, tels qu’ils sont représentés, ne sont pas Valeurs en eux-mêmes, et qu’ils ne peuvent nous indiquer des valeurs qui vaillent autrement que pour et par eux (leur bon plaisir) ; c’est dire qu’on ne peut s’en remettre à la religion (comme culte de ces dieux), pour fonder la morale en général (si l’on considère que c’est la discipline qui détermine ce que nous devons faire dans tous les cas). Ce que nous appelons de façon moderne la morale doit donc se fonder soi-même, par le seul exercice de la pensée (phronèsis2) qui ne prend en compte que ce qui, absolument nécessaire, vaut par soi-même : le Juste. Mais, comme Valeur universelle, le Juste ne saurait accepter de limitation à sa légitimité : par conséquent, non seulement la religion ne fonde pas la morale, mais encore on ne pourrait accepter que « l’impératif moral » se heurte à une prescription religieuse : la morale détermine ainsi toute seule tout ce qui vaut et tout ce qu’il faut faire, sans reconnaître d’exception pour un domaine particulier comme celui de la religiosité. C’est ce qui semble se dégager la troisième partie de l’Euthyphron : on ne doit pas concevoir la piété comme autre chose que la justice. C’est la morale, comme pensée de ce qui est juste, qui, en ce sens, fonderait la piété religieuse. Mais on peut se demander sur quoi repose cette prétention paradoxale, en vertu de laquelle la religion semblerait disparaître au profit de la morale, en même temps que le pieux (hosion) paraîtrait s’évanouir en étant étendu à la mesure entière du Juste lui-même.
9Mais il ne s’agit pas, à vrai dire, d’une prétention de la morale (le terme n’existe pas, strictement, en grec, pas plus, au demeurant, que le terme de « religion »), car, si on la considérait comme une discipline particulière, elle n’existerait pas plus que la religion3 : la justice à l’égard des seuls hommes n’a pas plus de consistance eidétique que celle à l’égard des seuls dieux (la religion). La morale n’a de valeur qu’en tant qu’universelle, c’est-à-dire en se confondant avec la philosophie elle-même comme recherche de ce qui est universellement nécessaire : le Juste est aussi bien une exigence à l’égard du comportement (morale), qu’une exigence à l’égard de la pensée et du discours (philosophie). Ce qui fonde la valeur universelle de la Justice, c’est aussi bien la Justesse (la vérité) ; c’est parce qu’il ne peut y avoir, sur la même chose, deux vérités (au sens fort du terme, et non au sens d’« opinion », de « point de vue »), qu’il ne peut y avoir, en vérité, deux Valeurs, ou deux types de Valeurs rivales. Ce dont dépend donc la reconnaissance que le Pieux est le Juste lui-même, c’est l’exigence initiale de Socrate : nous ne cherchons pas, à l’égard du pieux, autre chose que ce qui est vrai absolument, c’est-à-dire son Idée. Chercher à savoir ce qu’est le Pieux comme Idée conduit à reconnaître que c’est une Valeur. Réciproquement, reconnaître dans le Pieux une Valeur, c’est reconnaître que c’est une Idée.
10Cela nous conduit à revenir sur les rapports de l’Idée et de ce que nous appelons par commodité, avec Goldschmidt, la Valeur, au début de l’œuvre de Platon, où n’en existe pas encore une « théorie » explicite et développée, comparable à celle que l’on trouve dans des Dialogues ultérieurs4. Nous avons déjà noté que l’Idée et le progrès de la réflexion sur les exigences eidétiques jouent un rôle de régulateur du dialogue entre Socrate et Euthyphron5. L’Idée a un statut d’objet de réflexion non pas tant métaphysique et ontologique que méthodologique : c’est son usage réel dans ce Dialogue, qui détermine directement la teneur du discours sur elle et son développement progressif. Mais il ne faut pas entendre par « méthodologie » une réflexion antérieure ou extérieure à la tâche de définition de la piété, comme si Socrate appliquait mécaniquement une méthode (entendue comme une recette technique). Nous avons observé comment la réflexion sur les exigences eidétiques, bien que de façon elliptique et sans nulle insistance doctrinale, structurait et régulait le Dialogue ; cela ne signifie cependant pas que ces considérations constituent un discours à part, qui règlerait de façon unilatérale celui sur le Pieux. Il y a plutôt interaction entre la réflexion sur l’Idée et celle sur le Pieux : les exigences eidétiques se découvrent et se comprennent plus profondément au fur et à mesure qu’avance la réflexion sur le Pieux, au rythme des difficultés qu’elle rencontre. Si bien qu’il faut dire que les deux réflexions sont solidaires l’une de l’autre. La réflexion sur les exigences eidétiques d’une vraie définition guide, garantit et stimule la définition du Pieux comme Valeur. Mais, en même temps, la réflexion sur le Pieux découvre les exigences eidétiques sous lesquelles il demande à être pensé. Car c’est le pieux lui-même qui exige d’être traité comme une essence et nous emmène vers l’essence. Nous assistons à une pédagogie de l’Idée par la Valeur, au moins autant que la réciproque. Comme principes, l’Idée et la Valeur tendent à se confondre, pourrait-on dire, comme Justesse et Justice.
11Dans ces conditions, on ne peut pas fonder sur l’Euthyphron, à proprement parler, de prétention morale particulière à régenter la religiosité ou à en dispenser ; mais c’est que la morale tend à se confondre avec la philosophie, comme recherche de ce qui est nécessaire (le Juste). Il n’y a pas de Valeur qui échappe à la philosophie, comme recherche de ce qui est vrai ; réciproquement, il convient d’appeler philosophie toute recherche de ce qui vaut vraiment. La morale n’existe donc pas comme discipline particulière ; il n’y a que la philosophie. Mais la philosophie est d’essence morale, car la Justesse et la Justice sont, en un sens, un même principe. C’est la philosophie (non pas la morale, comme discipline de pensée séparée), qui exige que la religiosité soit entièrement morale sous peine de perdre toute Valeur. Ce faisant, la philosophie apparaît comme ayant, à sa manière, quelque chose de religieux, dans son souci de ne rien laisser en dehors de sa sphère. Elle se moque de la morale par souci de la morale. Même quand elle critique une religion particulière, et même la religion en général, on peut reconnaître son ambition d’être, d’une certaine façon, la vraie religion. Nous pouvons donc conclure : la vraie Valeur est une, quels que soient les domaines où on l’envisage. Elle est fondée par la pensée et n’est fondée que sur elle, car la pensée de ce qui est nécessaire est ce qui fonde et n’a, par principe, pas besoin d’autre fondement que soi-même. Enfin, cette pensée est une et unique : la discipline de la pensée qui pense la Valeur est la même dans tous les domaines.
La philosophie de la religion dans l’Euthyphron
12La situation de l’Euthyphron dans la philosophie de Platon et dans l’histoire de la philosophie lui donne aussi une place particulière dans l’histoire de la philosophie de la religion : avec ce Dialogue, la religion se constitue comme problème philosophique, en même temps que la philosophie se constitue comme problème d’une nature spécifique. L’interrogation sur la piété, en effet, est menée du point de vue de ce qu’il en est de son Idée, ce qui conduit à déprécier la forme de vie religieuse que représente l’eusebeia et généralement à soupçonner celles qui ne sont pas capables de se justifier. Mais cette recherche de l’Idée de piété n’est pas seulement un des premiers exemples, dans la philosophie de Platon, de recherche eidétique qui se passe en termes propres : parce que la philosophie se découvre originairement pieuse, en un sens (comme mouvement de recherche du principe, où l’Idée et la Valeur sont toutes les deux à la fois objet et moteur de la recherche, et tendent à s’identifier elles-mêmes), la vraie piété nous apprend aussi, à sa manière, ce qu’est originairement la vraie philosophie : autre chose qu’un savoir ou une pratique au sens ordinaire de ces termes ; c’est un rapport (savoir et pratique) au monde, qui passe par une attention à autre chose qu’au monde, mais aux principes, en dernière instance au Juste – comme principe ontologique, théorique et pratique de justesse et de justice. C’est ce qui fait le caractère ambigu des rapports entre philosophie et religion, qui sont faits de mise à distance critique et de proximité compréhensive. La possibilité de tenir l’une et l’autre est sans doute le problème le plus fondamental de la philosophie de la religion. La plupart des philosophies choisissent l’une ou l’autre de façon marquée. Une des caractéristiques marquantes de l’Euthyphron est de comprendre les deux aspects : d’une part, une philosophie critique de la religion, comprise comme eusebeia, d’autre part, une philosophie religieuse, comme pensée de l’hosiotès.
Une philosophie de la religion
13On trouve d’abord, dans l’Euthyphron, une philosophie de la religion, au sens où la religion, comme eusebeia, est mise à distance et examinée de manière critique. Ce point de vue, où la religion est prise comme objet d’un discours qui se distingue du discours religieux, est constitutif de la religion comme problème philosophique, au moment de la naissance de la philosophie, comme au commencement de son époque moderne. En effet, la revendication d’un tel point de vue d’extériorité critique est celle de Spinoza, par exemple, dans le Traité théologico-politique (chap. vii), quand il défend l’idée d’une exégèse objective de la Bible contre ceux qui, comme Maïmonide, interprètent immédiatement le texte à la lumière de la simple réflexion et supposent donc, par principe, qu’il y a un sens métaphysique plus ou moins métaphoriquement exprimé, qu’il convient de penser6. En fait, ce n’est pas seulement à Maïmonide que s’oppose Spinoza, c’est plus généralement à saint Thomas d’Aquin pour qui la philosophie est « servante de la foi » (fidei ancilla)7, c’est-à-dire que la réflexion rationnelle (philosophie) a le même objet, à partir d’un certain degré d’élévation, que la foi et la théologie : les vérités métaphysiques et divines. La philosophie prépare l’esprit aux difficiles et importantes questions religieuses et elle y élève. Le thomisme, après saint Augustin, s’est approprié la philosophie comme élément ou instrument de la pensée religieuse. Pour Spinoza, en revanche, la philosophie a pour objet, non pas l’objet de la théologie, mais la théologie et la foi elles-mêmes : ce n’est pas une philosophie religieuse mais bien une philosophie de la religion qu’il prétend réaliser (même si tout le reste de sa philosophie peut sembler une philosophie profondément religieuse, aux yeux de certains commentateurs, et même « ivre de Dieu »).
14On peut voir, dans l’Euthyphron, une attitude théorique analogue, par rapport à la religion de son temps, à cette différence près que le discours où celle-ci s’exprime est antérieur à toute philosophie et étranger à la rationalité (il est poétique et mythologique), tandis que, environ vingt siècles plus tard, le discours religieux chrétien a adopté la forme de la rationalité sur l’essentiel : notre Dialogue, quant à lui, inaugure une telle attitude de prise de distance de la philosophie par rapport à la religion, qui motivera chez les premiers grands théologiens chrétiens, instruits de la philosophie grecque et du risque, pour la religion, d’être dans cette situation d’objet de critique, l’effort pour mettre la philosophie au service de la foi (philosophie religieuse).
15L’eusebeia correspond à la religion telle qu’elle se pratique et se pense elle-même, comme un phénomène psychologique (sentiment de crainte et de respect) et social (volonté de conformité à la norme dans des pratiques et des rites). On peut la décrire comme un phénomène empirique, psychologique, social et la réduire à cela, de son propre point de vue. Comme eusebeia, la religion est donc, de droit, l’objet d’une science positive possible, telle que la sociologie ethnologique de la religion, qui se développera à partir de la fin du xixe siècle, en particulier avec Durkheim, et qui traitera la religion, par principe, comme un fait social. La définition qu’il en donne, comme modèle de description des religions particulières, peut être utilisée pour rendre compte de l’eusebeia8 : « une religion est un système solidaire de croyances et de pratiques relatives à des choses sacrées, c’est-à-dire séparées et interdites, croyances et pratiques qui unissent en une même communauté appelée Église9 tous ceux qui y adhèrent10. »
16Bien sûr, ce n’est pas sur le mode d’une science positive qu’est mis en œuvre dans l’Euthyphron la critique sur la religion ; d’autre part, il est vrai que, pour des raisons historiques évidentes, le terme de « sociologie », appliqué à ce Dialogue, serait strictement anachronique ; on peut cependant noter que le procédé d’exposition par mise en scène permet de réaliser d’une certaine façon, certes seulement littéraire et partielle, le projet d’une science humaine à propos du comportement religieux : en nous donnant à voir et à entendre un homme de religion en action, l’Euthyphron, au-delà de toute thèse sur la religion ou issue de la religion, nous montre les croyances et les opinions religieuses comme comportement pratique et intellectuel d’un homme. On pourrait soutenir qu’il y a un grand intérêt méthodologique à procéder ainsi, même du point de vue d’une sociologie moderne, soucieuse des moyens et du mode de rendre compte de la réalité sociale qu’elle étudie. Or, on peut dire que, sur l’eusebeia, le discours est insuffisant, tant c’est d’abord une conduite pratique ; et il risquerait de cacher que ce n’est que secondairement qu’elle a à voir avec l’ordre des pensées ; c’est l’homme religieux qu’il faut montrer pour que l’on se fasse une idée juste de l’eusebeia.
17De la sorte, avec l’Euthyphron, on ne possède pas seulement une représentation concrète de l’homme religieux (ce qu’ambitionne de fournir l’analyse sociologique et qu’elle réalise parfois au moyen de monographies), mais on a encore son point de vue sur sa religiosité et sur ce qui peut la contester (comme la philosophie) : c’est l’équivalent de ce qu’on peut appeler une description phénoménologique (du point de vue du sujet).
18La figure de l’homme religieux, qui correspond à celle de l’eusebès désireux de l’amour divin (theophilès), et qu’incarne Euthyphron, apparaît (au philosophe en tout cas) comme un homme de certitude dogmatique qui ne se soucie pas, en tant que tel, de raison, mais dont le sentiment de certitude absolue et le besoin d’avoir raison le poussent à engager volontiers le dialogue avec le philosophe, sûr qu’il est d’être sans faiblesse. Il lui semble que le philosophe s’intéresse un peu à la même chose que lui, mais, quand il s’empêtre dans les exigences de la raison dont il n’est pas familier, il devient agressif et fuit, marquant qu’il ne la reconnaît comme son terrain propre. Ce sur quoi il se fonde n’est pas la raison, mais la tradition des textes (poétiques, chresmologiques, etc..) et des coutumes collectives (rites et valeurs sociales). Sa foi, si l’on peut user de ce terme, est, autant que croyance, fidélité et confiance, croyance pratique. Ce religieux est en un sens, homme de lettres et homme de la lettre (c’est-à-dire d’un certain conservatisme légaliste).
19L’ambiguïté de cette figure de l’homme religieux n’est-elle pas ironiquement exprimée, par la malice littéraire de Platon, dans le nom même du personnage qu’il a choisi comme figure du religieux11 ? Dans « Euthyphron », en effet, on peut entendre, si l’on s’amuse, un « esprit » (phron) qui est (euthus) « direct, sans détour, franc, immédiat » ; Euthyphron serait « l’esprit sans détour, parce que sans finesse et précipité », mais aussi « l’esprit franc, sans détour ni tergiversation ». Son nom aurait l’ambiguïté de cette famille de significations qui ont une valeur péjorative du point de vue intellectuel en même temps qu’une certaine valeur positive du point de vue moral.
20Mais le point de vue de la distance critique que la philosophie prend par rapport à la religion, n’est pas seulement celui de la critique objective, mais de la critique contestatrice. En faisant voir, en effet, que les croyances sont déterminées dans leur contenu par l’essence pratique et utilitaire de l’eusebeia, l’Euthyphron ouvre la perspective non pas seulement de la sociologie mais d’un sociologisme : dans les croyances religieuses, ce serait la structure sociale qui serait divinisée et vénérée. De manière plus générale, c’est la perspective généalogiste sur les croyances religieuses qui est ouverte : elles seraient déterminées par la pratique familiale et sociale, par les sentiments, les craintes et les espoirs, les intérêts humains, dont elles seraient les effets imaginaires. On peut expliquer cela de plusieurs manières (celles, par exemple, de Marx, de Nietzsche, de Freud) mais, dans tous les cas, cela constitue une critique de la validité de la religion.
21Dans l’Euthyphron, aucun système d’explication n’est donné ; seul est montré (du simple fait de l’aveu de l’homme de la religion) le caractère utilitariste de l’eusebeia et des croyances par lesquelles elle se rend possible. On peut donc dire que la possibilité de saisir la genèse des croyances religieuses à partir des intérêts humains est suggérée (plutôt que démontrée) dans la critique du caractère anthropomorphique des représentations mythologiques de la religion officielle : ces dieux sont des projections de l’image de l’homme. Platon inaugure (ou presque) une tradition de dénonciation philosophique de l’anthropomorphisme théologique (où l’on peut trouver Spinoza12, Voltaire13, ou Feuerbach, et bien d’autres). Certes, cette dénonciation existait déjà en Grèce avant Platon, comme le montre le texte de Xénophane, que nous avons déjà cité (« si un bœuf représentait dieu, il ressemblerait à un bœuf ») ; mais, avec l’Euthyphron, la dénonciation de l’anthropomorphisme ne consiste pas seulement dans un jugement lucide et caustique, il est le résultat d’une analyse qui se justifie, et constitue un élément important d’une philosophie générale (de la religion, de la nature divine, de la vérité et de la Valeur, etc..).
Une philosophie religieuse
22Cependant, ce qui caractérise la position de Platon par rapport aux conceptions qui, comme la sienne, dénoncent l’anthropomorphisme des représentations religieuses et le caractère avant tout pratique et utilitaire de la religion, c’est qu’il n’en reste pas là : tout cela ne concerne que l’eusebeia ; et la dévaluation de l’eusebeia est corollaire du fondement de l’hosiotès, la vraie religiosité, qui ne prête pas à ces critiques.
23Une critique de la religion au cœur d’une philosophie religieuse. C’est donc dans une perspective religieuse que Platon procède à la critique de la religion établie : le philosophe (Socrate) n’est pas seulement celui qui observe et analyse le prêtre ; il risque d’en paraître aussi le rival ; il prétend lui donner une leçon de religiosité, ou du moins être plus religieux que lui, pas moins religieux, en tout cas, que le plus religieux des hommes. Cela correspond-t-il à l’arrogance propre à Socrate, qui considère que rien de ce qui est humain ne lui est étranger, surtout pas ce qui concerne notre rapport à tout ce qui est divin, ou bien cela révèle-t-il de quelque chose d’essentiel à la philosophie ? Platon, quant à lui, produit une philosophie religieuse dans son intention, et non pas seulement une philosophie de la religion.
24Telle est sa spécificité : allier les deux. Or, d’un contenu religieux quel qu’il soit, le critique de la religion peut toujours montrer l’origine humaine (trop humaine) et la dimension anthropomorphique ; tandis que, de toute critique de la religion, l’homme de la religion peut affirmer qu’elle est extérieure à la religion par principe et que, lors même qu’elle est juste, elle ne constitue donc pas un point de vue suffisant sur elle. Tel est bien le problème le plus radical que pose la religion à la philosophie : comment en rendre compte avec le plus de justesse et de justice ? Pour faire bref : de l’intérieur ou de l’extérieur ? Dans les deux cas, on a le sentiment qu’on risque, par principe, de manquer quelque chose de sa réalité.
25Or, de ce point de vue, chez Platon, la philosophie religieuse procède comme une critique de la religion : il y a une critique intérieure de la religion. Platon associe l’extériorité du point de vue, condition de la rigueur de la critique radicale, à l’intériorité de la religiosité, condition d’authenticité. Comment cela est-il possible réellement, autrement que verbalement ? Platon fait apparaître que la religiosité (la vraie piété) exige d’être pensée comme une Valeur, un devoir-être, une exigence ; il ne serait pas légitime, dans ces conditions, de la traiter comme une réalité dont la connaissance objective empirique suffirait pour la comprendre. Mais, alors, la critique radicale de la réalité religieuse, sociale et psychologique (eusebeia), est ce qui prépare à comprendre et à déterminer ce que doit être la religiosité. Le souci de vérité dans la critique de la religion (du fait religieux) est alors un souci qui est encore religieux. Le seul cas où la philosophie ne reproduise pas elle-même un contenu susceptible d’être lui aussi critiqué par la philosophie de la religion, est celui où la critique est et peut être considérée comme la philosophie religieuse elle-même, où elle est un instrument de la religiosité, où elle correspond à l’exercice d’une piété qui reconnaît comme le premier de ses devoirs de se déprendre de l’illusion orgueilleuse de saisir quelque chose de la Divinité : l’apophatisme (la théologie négative) ; le divin y est pensé comme ce dont la nature échappe à l’homme et ce qui le provoque sans cesse à le représenter sur le modèle de son humanité – écueil auquel il doit sans cesse échapper.
Critique apophatique de l’anthropomorphisme : l’avenir d’une difficulté
26L’apophatisme est la position où peuvent se rejoindre une philosophie religieuse et une philosophie critique de la religion : un souci vraiment religieux de ne pas prendre pour Dieu ce qui ne l’est pas, maintient sans cesse présente l’exigence d’une critique de la religion instituée et de tout sentiment religieux qui prend corps et risque de ne témoigner de rien d’autre que de très humain. En effet, la critique de la mythologie et de l’anthropomorphisme ne constitue pas, chez Platon, un discours extérieur à la religiosité et qui justifierait qu’on s’en détourne définitivement, comme c’est le cas, par exemple, chez Feuerbach, ou chez Marx, qui le reprend et le continue. Pour Feuerbach, en effet, « l’être divin n’est pas autre chose que l’être humain, ou plutôt que l’être de l’homme, dégagé des limites de l’homme individuel », c’est-à-dire l’humanité elle-même : « L’homme affirme en Dieu ce qu’il nie en lui-même14 » ; il faut donc reconnaître que, comme toutes les autres religions, le Christianisme, dans sa théologie, révèle l’essence de l’homme sous le nom de Dieu. C’est pourquoi, dans cette critique, la théologie (discours sur Dieu) devient une anthropologie (discours sur l’homme) : c’est l’homme le vrai Dieu de l’homme. Même si l’on peut encore parler d’une « religion » de l’homme, la religion, au vrai sens du terme, doit cesser, au « tournant de l’histoire », lorsque l’homme prendra conscience que « le seul Dieu de l’homme est l’homme même ». La reconnaissance du bien-fondé de l’analyse de Feuerbach entraîne chez Marx un impératif encore plus fort d’éviction de toute forme de religion, car la réduction de l’idée de Dieu à ses fondements humains (« C’est l’homme qui fait la religion, et non la religion qui fait l’homme »), montre donc que la religion « est l’opium du peuple » : si Dieu n’est qu’une illusion, alors, « nier la religion, ce bonheur illusoire du peuple, c’est exiger son bonheur réel. Exiger qu’il abandonne toute illusion sur son état, c’est exiger qu’il renonce à un état qui a besoin d’illusion »15.
27En revanche, chez Platon, dans l’Euthyphron, la critique du caractère anthropomorphique des représentations religieuses se fait d’un point de vue religieux et instruit une recherche théologique : comment faut-il se représenter la Divinité, dont Socrate ne met pas l’existence en doute, pour que la piété soit pensable ? La réponse, impliquée dans l’identification suggérée du Pieux et du Juste, semble signifier qu’il ne faut pas se représenter la Divinité, mais en aucun cas qu’il faudrait penser qu’elle n’existe pas. Ainsi peut-on dire que c’est une enquête théologique, que constitue négativement la réflexion de l’Euthyphron : on ne peut supposer la Divinité soumise à la nécessité de l’utilité, ni à la contingence du désir arbitraire.
28La difficulté, que l’Euthyphron, sur ce point, fait apparaître, demeure essentielle dans la tradition théologique chrétienne : tout le premier livre de la Somme théologique de saint Thomas, par exemple, est parcouru par la question de savoir s’il faut dire que les volontés de Dieu sont arbitraires, ou s’il faut concevoir qu’il y a une nécessité qui détermine ce qu’il veut. C’est un problème on ne peut plus profond, parce que refuser à Dieu de créer selon son « bon plaisir » et en vertu de la décision sans pourquoi de l’amour semble difficile ; mais, en même temps, « il faut réduire toute contingence à de la nécessité »16 : l’Euthyphron met en évidence que les deux thèses sont aussi inacceptables l’une que l’autre pour la nature de la Divinité. Il montre en plus que leur source commune est la considération de la Divinité comme un objet particulier (c’est-à-dire une personne individualisée – ou plusieurs). On retrouve, en un sens, ces éléments dans la critique que Spinoza fait de la théologie chrétienne dans l’Éthique : il y a « futilité » et absurdité, du point de vue de la raison, à penser que Dieu puisse vouloir et créer selon l’arbitraire de son bon plaisir, mais également, et même davantage, à soutenir qu’il est soumis à une nécessité, c’est-à-dire à quelque chose qui est extérieur à lui et le dépasse, comme l’idée du bien17. Mais le dilemme entre ces deux thèses intenables, l’une comme l’autre, est produit par la représentation théologique de Dieu comme une personne particulière. Il faut en revanche pour y échapper, penser Dieu non sur le modèle du sujet humain, mais comme la Substance éternelle et infinie, c’est-à-dire la totalité de la Nature elle-même. Il est bien vrai que ce « naturalisme » peut signifier la disparition de l’idée de Dieu et de toute religion ; c’est toute l’ambiguïté de Spinoza, de ce point de vue : on peut le tenir soit pour un athée soit pour un philosophe « ivre de Dieu ». Si, cependant, on considère l’idée de Dieu, on voit que le dilemme du hasard et de la nécessité est dépassé dans cette conception par la détermination de Dieu comme « cause de soi » (Causa sui) : ce concept permet d’accorder à Dieu, sans contradiction, liberté et nécessité18. On voit comment on peut comparer la position de Spinoza avec celle de Platon, dans l’Euthyphron, du point de vue de la double impossibilité qu’il y a, pour penser la Divinité, de choisir entre la contingence et la nécessité, et de la concevoir comme un être particulier.
29La différence est que tandis que, chez Spinoza, cette position est exposée et justifiée dans une théorie positive de la Divinité, dans l’Euthyphron, elle est présente sur le mode négatif de la critique des conceptions opposées. Chez Spinoza, soit dans l’hypothèse de son athéisme où, sous le nom de Dieu, ce serait d’autre chose qu’il parlerait (la Nature – mais est-ce autre chose ?), soit dans l’hypothèse de sa religiosité, il y a une positivité de la conception de ce qui est désigné par « Dieu » : c’est de lui que part le discours philosophique19, car c’est l’idée la plus claire et la plus distincte qui soit (même si on ne peut concevoir Dieu que de manière limitée). En revanche, dans l’Euthyphron, c’est du point de vue du rapport que l’homme peut tenter d’établir avec la Divinité (la piété), que le problème est posé. La réponse n’est donc pas une contestation de l’existence de la Divinité (qui est au contraire supposée par une telle question), mais de la possibilité de s’en faire une représentation positive sur aucun des modèles que possèdent les hommes (savoir, savoir-faire, service, soin, commerce, etc.), c’est-à-dire comme d’un être particulier. Ainsi, il n’y a pas de détermination positive de l’idée de Dieu et sa détermination, purement négative, est produite indirectement (implicitement) à partir d’une réflexion non sur lui, mais sur les conditions d’un rapport à la divinité.
30C’est ainsi comme « apophatisme », que l’on peut caractériser le plus précisément, du point de vue de la religion, la philosophie de l’Euthyphron, en tant que la négation de toute possibilité de se représenter la Divinité n’y est pas donnée comme une impossibilité de « l’existence » de la Divinité elle-même (ce qui serait simplement de l’athéisme ou de l’agnosticisme). Ce n’est pas non plus une négation de la possibilité de connaître Dieu intellectuellement, qui dégagerait la place d’une croyance en Dieu, comme cela peut se trouver chez Kant20. Car cette croyance s’adresse encore, chez Kant, à Dieu comme être particulier, en un sens (créateur, législateur, justicier) ; et, d’autre part, comme nous l’avons vu, la piété possible (le rapport juste à la Divinité), dans l’Euthyphron, n’est pas extérieure à la philosophie, mais est philosophie elle-même (comme quête du juste en tant que principe).
L’apophatisme chez Bultmann et chez Platon
31En revanche, l’apophatisme associe bien une négation de la possibilité de se représenter Dieu et une revendication de piété (si l’on appelle ainsi un rapport juste à Dieu), comme c’est le cas chez le théologien protestant allemand contemporain, Rudolph Bultmann21. Ce dernier s’oppose à ce qu’il appelle « l’humanisme chrétien » : tout humanisme est l’affirmation du pouvoir de l’homme sur les choses par le savoir et la technique qui en découle, et sur les hommes par la politique qui détermine, en dernière instance, toutes les manières de traiter entre hommes. De la même manière, la religion, dans l’humanisme, est le pouvoir que l’homme tente de se donner sur Dieu. Ainsi la religion tente-t-elle de prendre les formes du savoir, de l’action technique, ou de l’action politique, à l’égard de Dieu : elle cherche à le servir pour qu’il nous serve. Généralement, elle prétend disposer de Dieu, la disponibilité étant ce qui caractérise le fait d’être un objet pour une puissance (de savoir ou d’action) ; elle en fait comme un être de notre monde. Cette attitude est mythologisante, car Dieu est le Tout-Autre : autre que tout objet du monde, indisponible pour l’intelligence et la raison, comme pour toute action. On nie son existence, au sens strict22, en le pensant comme un être déterminable, si l’on entend par « existence » précisément la négation de tout état (de tout être) et de toute détermination objective (comme objet), ainsi que le mouvement par lequel ils sont sans cesse transcendés. Une existence absolue ne peut être retenue dans les limites qui s’imposent à l’existence humaine ou à toute existence dont l’homme peut avoir l’expérience ou la pensée.
32Le mouvement de mythologisation propre aux religions se réalise par projection et objectivation. Dès que le mythe oublie ce qu’il est lui-même originairement, c’est-à-dire un effort de la puissance imaginative et intellectuelle de l’homme pour penser son impuissance (c’est-à-dire le fait qu’il ne dispose pas fondamentalement de lui-même), « il objective l’Au-delà en en-deçà ». Ainsi, la mythologisation n’est pas seulement produite par la rêverie poétique, mais aussi bien par la rationalisation théologique et par la pratique cultuelle du « service religieux », en tant que toutes les trois font de Dieu un objet dont on peut disposer d’une manière ou d’une autre. C’est ainsi à une tentation permanente, impliquée dans la réalité et la situation humaine, que doit sans cesse résister l’effort de démythologisation, sans lequel la foi se dégrade en une religion, qui contredit sa prétention d’être relation effective à Dieu. Il y a chez ce théologien une critique radicale de toute religion en tant qu’elle est d’initiative humaine et, comme telle, toujours susceptible de rester prisonnière de l’idôlatrie.
33On aperçoit comment ces points (« humanisme » utilitariste et mythologisant de la religion comme institution – nécessité de démythologisation, c’est-à-dire de l’effort pour se rapporter à Dieu comme au Tout-Autre, effort de chaque instant aussi long que l’existence et qui est ce qu’il y a de plus religieux dans la foi elle-même), peuvent être comparés avec ce que nous avons trouvé dans l’Euthyphron.
34La différence, cependant, est que, dans l’Euthyphron, l’apophatisme n’est pas exposé explicitement comme une théorie et que le concept n’en est pas formulé : le texte se contente, en réfutant toute possibilité de se rapporter à la Divinité comme à un objet particulier (de savoir, de savoir-faire, de traitement ou de commerce en général), d’indiquer qu’on peut et doit concevoir la piété comme autre chose qu’un rapport de cette espèce, ou comme un rapport à autre chose qu’à un objet de cette espèce.
35Mais il y a une différence plus fondamentale : chez Bultmann, la réflexion, qui s’oppose à la théologie chrétienne traditionnelle (comme celle de saint Thomas), n’est qu’un moment passager, en droit, qui doit renvoyer à la foi, puisque l’intelligence n’est qu’une manifestation de l’humanisme dans sa volonté de puissance et ne peut que détourner de Dieu ; et surtout cette réflexion n’est pas fondamentalement philosophique : elle ne revendique pas la recherche de ce qui s’impose à la raison (humaine) comme vérité, mais, en dernière instance, elle se fonde sur la Révélation du Christ et sur le sens que lui donne son apôtre Paul, quand il oppose à « la sagesse (raison) des Grecs » et à leur fausse puissance, la « folie de la Croix », qui est la puissance de Dieu. « Je détruirai la sagesse des sages ; j’anéantirai l’intelligence des intelligents… Dieu n’a-t-il pas frappé de folie la sagesse du monde ?… C’est par la folie du message qu’il a plu à Dieu de sauver le monde… Car ce qui est folie de Dieu est plus sage que les hommes, et ce qui est faiblesse de Dieu est plus fort que les hommes »23. Pour Bultmann, ce ne sont pas la raison et la philosophie qui sont capables d’apprendre de manière démonstrative (« expliquer ») que Dieu est Tout-Autre ; c’est le Christ qui nous le révèle. Le discours que Bultmann prétend tenir prend en compte cette vérité, et, au mieux, la « comprendre » : il en saisit le sens, mais n’en produit pas la raison et le principe (distinction inspirée de Dilthey). C’est pourquoi il ne constitue qu’un moment du projet de la foi ; celle-ci, pour rester elle-même, doit être sans raison : subjectivement, elle est confiance, espoir et décision de poursuivre une fidélité (à soi et au Christ), plutôt que mythologie et croyance ; objectivement, sa cause est la Grâce de l’Indisponible qui dispose de nous (c’est-à-dire ce qu’on appelle Dieu).
36En revanche, dans l’Euthyphron, c’est la réflexion philosophique qui, comme exigence eidétique de se fonder soi-même, est, du même geste, la critique de la fausse piété et des faux dieux, ainsi que de la vraie piété elle-même (en tant qu’elle se donne pour objet, le Juste comme Principe).
37On voit que l’apophatisme de l’Euthyphron, si comparable qu’il puisse paraître avec celui de Bultmann, en diffère notablement : chez l’un et l’autre il signifie que la relation authentique à la Divinité n’est jamais donnée, mais est le fait d’une quête jamais finie. Cependant, cette quête est d’une nature différente chez les deux : la foi comme quête, chez l’un, la philosophie comme quête, chez l’autre. Chez Bultmann, la philosophie n’est là encore qu’à titre de servante de la foi, bien qu’en un autre sens que chez saint Thomas : pour ce dernier, la foi (la folie de la Croix) est au-delà de la philosophie, celle-ci en étant cependant le préambule, parce qu’elle permet de s’élever à Dieu, mais sans donner la certitude d’une relation véritable (c’est-à-dire une relation comme à une personne, ce que réalise, en revanche, la foi dans le Christ) ; tandis que pour Bultmann, la foi n’est pas le prolongement de la réflexion philosophique, puisqu’elle s’y oppose entièrement ; mais la philosophie travaille cependant effectivement à faire comprendre la nécessité de sa propre suppression, inscrite dans la folie de la Croix.
38À saint Thomas comme à Bultmann s’oppose donc l’apophatisme de l’Euthyphron : pour Platon, la philosophie n’est pas un lieu de passage (que son dépassement soit à réaliser dans son prolongement, comme chez saint Thomas, ou dans la rupture totale avec elle, comme chez Bultmann). Il n’y a pas d’au-delà de la philosophie que puisse produire la philosophie : d’une part, elle n’est jamais elle-même finie, en tant qu’elle se donne pour objet la recherche de l’Idée (du Principe) – car l’Idée n’est pas objet de possession mais de réflexion, de « contemplation méditative » ; d’autre part, elle est, comme telle, authentiquement pieuse, et c’est même toute la vraie piété. De ce point de vue l’Euthyphron marque entre la philosophie et la religion la relation inverse : c’est la piété, qui est dépassée et pensée par la philosophie. La piété, telle qu’elle se donne ordinairement (eusebeia), appelle la philosophie, du fait de son incapacité à réaliser ses propres prétentions, et la philosophie, en l’invalidant, lui donne son vrai sens et sa vraie nature. La philosophie de la religion est la vérité de la religion.
39Ce point de vue est l’inverse de celui de saint Thomas, et serait, en revanche, comparable à celui de Hegel. Pour Hegel, la foi est de l’ordre du sentiment immédiat et le travail de la raison achève et parfait les données immédiates de la foi. Il y a dans la foi, comme désir de certitude absolue, de sincérité et d’exigence morale, quelque chose qui demande soi-même à être dépassé et fondé. Hegel considère que cette exigence de raison et de vérité qui est dans la foi (lors même qu’en tant que telle la foi est pré-rationnelle) est particulièrement caractéristique, dans le Christianisme, du Protestantisme24 : cette exigence, qui, dans le Protestantisme, comme foi, est vécue sur le mode du sentiment d’évidence immédiate personnelle, la philosophie hégélienne prétend seulement la prolonger systématiquement au niveau rationnel, c’est-à-dire lui donner les moyens de se réaliser absolument. On pourrait ainsi, dans une certaine mesure, rapprocher de Platon l’idée que se fait Hegel de la philosophie comme prolongement de la religion, la « dépassant », c’est-à-dire, en un sens, la niant, mais aussi en lui permettant d’être vraiment ce qu’elle prétend être, en particulier en lui donnant un fondement25.
L’essence religieuse et morale de la philosophie
40Finalement, c’est la philosophie, qui est la vraie religiosité. La philosophie de la religion n’est pas seulement une critique de la religion instituée (Marx) ; ce n’est pas seulement une critique de la religion en général (Bultmann) ; mais, comme critique de la religion, elle est philosophie religieuse. Cependant, si le point de vue de l’Euthyphron s’oppose ainsi à celui de Bultmann, en tant que la vraie religiosité ne se distingue pas de la philosophie elle-même, mais aussi à celui de saint Thomas, en tant que la philosophie, loin de ne servir que de préparation et de renfort à la doctrine religieuse (théologie), est religiosité dans sa critique même de la croyance et de la théologie (mythologiques), il s’oppose également à celui de Hegel : car, pour Hegel, si la philosophie prolonge la foi, c’est qu’elle y trouve sa substance. Dans la foi, il y a déjà quelque chose de la pensée spéculative rationnelle. La philosophie est religieuse parce qu’elle est en continuité substantielle avec la foi : la négation hégelienne de la foi n’invalide pas vraiment ce qu’elle critique mais elle doit plutôt maintenir ce qu’elle nie dans son dépassement.
41Il n’en va pas de même dans l’Euthyphron : il n’y a pas continuité de l’eusebeia à l’hosiotès, mais conversion. Il ne suffit pas de prolonger le sens de l’eusebeia pour trouver l’hosiotès, et la simple discussion, même entre Socrate et un spécialiste, n’y peut aboutir sûrement et clairement. Pour Platon, en effet, l’ordre des Idées n’est pas le perfectionnement progressif de l’ordre de l’expérience sensible, mais, pour parler de façon imagée, il lui tourne le dos : on regarde dans deux directions opposées, dans l’un et l’autre cas. Nous avons vu que, si les pratiques de l’eusebeia pouvaient être revalorisées (ainsi que les images et opinions populaires dont elles s’entourent) du point de vue de l’action politique de l’organisation de la Cité26, son contenu de savoir n’était cependant pas justifiable ni récupérable du point de vue de la vérité : ce ne sont que des images, et il faut regarder dans une autre direction pour voir la vérité. La différence entre l’Euthyphron et Hegel de ce point de vue, se marque clairement en cela que la philosophie est religieuse chez le second en tant qu’elle conserve, sur un autre mode, le contenu spéculatif de la théologie chrétienne (Dieu, la nature trinitaire de Dieu, etc. ;) ; tandis que dans notre Dialogue platonicien, la philosophie est religieuse en tant qu’elle a trop de souci de ce qui est vrai et vraiment Principe, pour ne maintenir aucune représentation particularisée de la Divinité. Concluons donc que, dans l’Euthyphron, il y a religiosité de la philosophie par critique de la religion, mais sans représentation théologique positive ; c’est-à-dire apophatisme théologique, mais immanent à la philosophie, et ne justifiant pas lui-même qu’on en sorte.
42La philosophie est tout entière religieuse, et non pas seulement quand elle s’intéresse à un domaine d’objets particuliers (La Divinité), puisque ce n’est justement pas par son objet (destinataire) que se définit une vraie religiosité. Il ne faut pas seulement voir ici une manière de rendre théorique la religion, c’est aussi déterminer la philosophie comme comportement, et pas seulement comme une théorie : chez le philosophe, la théorie est un mode de vie religieux. La vie des philosophes de l’Antiquité en « Écoles » a quelque chose d’écclésiastique (« en assemblée »), qui sera très fort jusque chez les néo-platoniciens. Mais cette unité de la philosophie et de la religion signifiant aussi leur identité avec la morale, il faut entendre que la philosophie, comme mode de vie27, se révèle indissociablement morale et religieuse ; ce qui correspond à son image la plus traditionnelle, bien après l’époque de ces grandes Écoles.
43Cette essence morale de la philosophie, qu’indique sa religiosité ainsi entendue, ne signifie pas seulement que le philosophe, quand il agit, s’efforce de réaliser son devoir comme tout honnête homme ; cela signifie aussi que pour ce qui est de la détermination de son devoir, il en fait une affaire de réflexion rationnelle (conforme au logos) : rien d’autre que ce que les exigences rationnelles de recherche du vrai imposent de penser, ne doit déterminer son action28.
44Mais chez Platon, l’essence morale et religieuse de la philosophie ne signifie pas seulement un rationalisme du fondement de l’action morale : elle fait aussi et surtout de la réflexion rationnelle (philosophie) elle-même un devoir en général, c’est-à-dire un devoir aussi long que la vie. Que la réflexion ne soit jamais finie pour l’homme vraiment soucieux de piété (le philosophe bien plus que le prêtre), même quand les nécessités de la vie lui font marquer le pas, c’est ce que, symboliquement, met en scène la fin de l’Euthyphron.
45C’est ainsi que la question constitutive de la philosophie est la question eidétique, car elle maintient ouverte la difficulté initiale au-delà de toutes les réponses. Cela, non seulement parce que les réponses sont des énoncés imparfaits, mais parce qu’aucun énoncé ne donne l’Idée (celle-ci ne peut être visée que par une pensée en train de penser effectivement) ; ou, pour le dire autrement, parce que chercher à répondre à une question eidétique, c’est découvrir comment la difficulté qui s’y trouve renvoie à toutes celles de la philosophie elle-même (on ne peut penser la Divinité séparément, c’est-à-dire sans penser tout ce qu’elle n’est pas ; on ne peut penser la piété sans penser toute la philosophie). C’est par la réponse qui tisse la difficulté de départ avec une difficulté de plus en plus générale et principielle qu’une question devient vraiment philosophique. La réponse philosophique à une question, c’est, au bout du compte, la philosophie tout entière, à chaque fois.
Notes de bas de page
1 Voir ci-dessus, p. 80-81.
2 C’est le terme qu’utilise Platon notamment dans le Phédon (68c-69c) : sans la phronèsis, même des comportements que l’on reconnaît d’ordinaire comme vertueux, tels que le courage, la tempérance, et même la pratique de la justice (69b), ne valent rien et ne méritent pas d’être appelés des vertus : on ne sait quand il faut les exercer, on ne sait précisément ce qu’elles nous commandent de faire, elles ont tôt fait d’apparaître contradictoires et conflictuelles ; elles manquent, en somme, de fondement. C’est de la phronèsis qui les pense, que ces vertus reçoivent toute leur valeur véritable. C’est la phronèsis (la pensée réfléchie), qui fait la valeur de toutes les valeurs, qui fonde les valeurs et qui, n’ayant pas besoin d’un autre fondement qu’elle-même à cette fin, est l’excellence suprême, la Valeur suprême (aretè, que l’on peut traduire encore, comme on le fait souvent, par vertu).
3 Le Ménon est un Dialogue où est examinée la possibilité d’un enseignement et d’une science de la vertu (c’est-à-dire de quelque chose qui peut être rapproché de ce que nous appellerions, de manière moderne, la morale comme discipline : le maintien de cette problématique par Ménon (qui refuse à Socrate d’examiner ce qu’est la vertu en elle-même, c’est-à-dire ce que nous appelons ici la Valeur) conduit à la conclusion que c’est par hasard et don divin que s’acquiert et s’exerce la vertu. Cela correspond, nous semble-t-il, à l’impossibilité de déterminer la morale comme discipline particulière.
4 Voir l’Appendice sur les pages 9c-11b.
5 Pour la discussion de l’idée, on pourra consulter, outre Goldschmidt (1963), Allen (1971, p. 322-323, 328, 334), dans un article où il soutient, d’autre part, qu’il y a, dans l’Euthyphron, non pas certes la théorie des Formes (Idées) de la maturité, mais tout de même une première théorie plus rudimentaire. Voir aussi, sur le même thème, Allen (1970).
6 Pour Spinoza, il faut procéder à l’égard de l’Écriture comme fait la science physique à l’égard de la Nature : « en historien », qui enquête d’abord pour récolter les faits empiriques, puis, après seulement, use de la raison pour en produire des définitions (qui déterminent en classant). Voir Traité théologico-politique, écrit vers 1665, chap. 7, p. 138-140, Paris, GF-Flammarion. Sur Maïmonide, voir à partir de la p. 154.
7 Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, I, quest. 1a, 5, ad2.
8 Et non pas pour rendre compte de l’hosiotès, à l’égard de laquelle cette définition serait superficielle et partiale.
9 Il faudrait seulement préciser ici qu’Église est à prendre en son sens grec originaire, Ecclesia, qui désigne le peuple lui-même dans son Assemblée. Il n’y a aucune distinction entre la religion et l’État.
10 É. Durkheim, Formes élémentaires de la vie religieuse [19121], 2e éd. Félix Alcan, 1925, p. 65.
11 Bien sûr il n’y a là que supposition et que plaisanterie. Ce qui ne rend, cependant, pas tout à fait impossible l’hypothèse, ou déplacée la plaisanterie, c’est que dans l’autre Dialogue où est évoqué Euthyphron, le Cratyle, il est présenté comme un personnage véritablement possédé par un délire étymologique, qui consiste à découvrir la nature de toutes les choses, de tous les êtres et même des dieux, au moyen de la signification de leur nom ainsi envisagée (396d).
12 La critique de l’anthropomorphisme et de la théologie chrétienne se trouve dispersée dans toute l’Éthique de Spinoza.
13 La critique des religions instituées chez Voltaire se trouve surtout dans le Dictionnaire philosophique, dans les Lettres philosophiques, les Dialogues philosophiques et le Traité de la Tolérance. Sur l’anthropomorphisme, voir, par exemple, cet extrait de l’article « Dieu » du Dictionnaire philosophique, 1764 : « Je venais de faire bâtir un cabinet au bout de mon jardin ; j’entendis une taupe qui raisonnait avec un hanneton : “voilà une belle fabrique, disait la taupe ; il faut que ce soit une taupe bien puissante qui ait fait cet ouvrage”, “vous vous moquez, dit le hanneton ; c’est un hanneton tout plein de génie qui est l’architecte de ce bâtiment”. » On notera la reprise, à propos d’autres animaux de la teneur de l’argument de Xénophane, que Voltaire exprime de manière plus générale par la formule : « Si Dieu a fait l’homme à son image, l’homme le lui a bien rendu. »
14 L. Feuerbach, L’Essence du Christianisme, 1841, trad. fr. Althusser, Paris, PUF, 1973, p. 116. Voir aussi Une transformation nécessaire : « Tel que l’entend la religion, Dieu est le père, le conservateur, le pourvoyeur, le gardien, le protecteur et le seigneur de la monarchie mondiale. »
15 K. Marx, Philosophie, « Folio/Essais », Paris, Gallimard, 2003, Introduction à la critique de la philosophie du droit de Hegel, p. 89-91.
16 Voir en particulier, la Question 20 du Livre I de la Somme théologique. Cette difficulté est un des éléments constitutifs du problème de la Grâce, de Pélage et saint Augustin à saint Thomas, puis au Jansénisme.
17 Voir en particulier, Éthique, I, 17, corollaire et scolie, et I, 33, scolie 2.
18 Plotin, dans les Ennéades, a déjà formé un concept de « cause de soi » (aition heautou) pour penser l’Un et la Divinité en évitant de les soumettre aux catégories du hasard ou de la nécessité : on a ainsi l’idée d’un « Dieu qui se produit lui-même, par lui-même », Énnéades VI. 8, 14, 42-43.
19 Sur l’idée « qu’il faille commencer par Dieu en philosophie », voir le Traité de la Réforme de l’Entendement, § 38. C’est bien ce programme que suit l’Éthique, dont tout le premier livre porte sur Dieu.
20 Kant, Critique de la Raison pure et Critique de la Raison pratique.
21 La pensée de Rudolph Bultmann peut être abordée par le recueil de Textes choisis qu’en a fait A. Malet (Bultmann et la mort de Dieu, Paris, Seghers, 1968), ou par l’article que lui consacre M. Kleiber dans l’Encyclopédie Universalis. Les thèmes que nous évoquons ici rapidement sont développés surtout dans deux ouvrages de Bultmann. 1) Foi et compréhension, trad. fr. Malet, 2 vol., Paris, Seuil, 1969-1970. 2) Jésus, mythologie et démythologisation, Paris, Seuil, 1968, préface P. Ricœur.
22 On notera la parenté de style de pensée avec celle de Kierkegaard et surtout avec celle de Heidegger (qui fut nommé en 1923 professeur à Marbourg, où Bultmann enseignait depuis 1921).
23 Saint Paul, Epître aux Corinthiens, I, 1, 19-25.
24 Hegel Principe de la Philosophie du droit, trad. fr. A. Kaan, « Idées » Paris, Gallimard, 1968, p. 44, préface : « C’est un grand entêtement, un entêtement qui fait honneur à l’homme de ne rien vouloir reconnaître de nos sentiments qui ne soit justifié par la pensée, et cet entêtement est caractéristique des temps modernes ; c’est d’ailleurs le principe propre du Protestantisme. Ce que Luther avait commencé à saisir comme croyance dans le sentiment et dans le témoignage de l’esprit est ce que l’esprit ultérieurement mûri s’est efforcé à concevoir sous forme de concept pour se libérer ainsi dans le présent, et s’y retrouver. Un mot célèbre dit qu’une demi-philosophie éloigne de Dieu (c’est cette moitié qui fait consister le savoir dans une approximation de la vérité), mais que la vraie philosophie conduit à Dieu. »
25 Voir Marx, Manuscrit de 1844 (Critique de la dialectique hégelienne et de la philosophie allemande) dans K. Marx, Philosophie, op. cit., p. 214- 215, jugeant la philosophie hégélienne : « L’existence vraie de la religion, (…) c’est la philosophie de la religion. Mais si, pour moi, la philosophie de la religion est le seul mode d’existence authentique de la religion, c’est que je ne suis vraiment religieux que comme philosophe de la religion, et je renie ainsi la religiosité réelle et l’homme réellement religieux (…) D’un côté, cette existence “sublimée” par Hegel dans la philosophie n’est pas la religion (…), c’est la religion elle-même comme objet du savoir, la dogmatique (…). D’un autre côté, l’homme religieux peut trouver en Hegel son ultime justification. »
26 Voir Goldschmidt, 1970, p. 107.
27 C’est à ce thème de la philosophie pensée comme un mode de vie moral, que renvoient les derniers mots de Socrate, dans notre Dialogue, plainte (ironique) contre le prêtre qui ne lui permet pas « d’améliorer sa vie ».
28 Voir, par exemple, ce que dit Socrate, dans le Criton (46b3-6), au moment où il s’agit, pour lui, de savoir s’il va accepter ou fuir, comme ses amis l’en pressent, sa mise à mort : 1) « il est nécessaire de procéder à un examen pour savoir ce qu’il faut agir dans un sens ou dans l’autre » ; 2) à cette fin, il n’y a, pour lui, qu’une manière de faire : « Quant à moi, et cela ne date pas d’aujourd’hui mais de toujours, je suis homme à ne me laisser persuader par nul motif en moi autre que la raison qui, après que je l’ai examinée rationnellement, me paraît la meilleure. » Ce « rationalisme » (ou « intellectualisme ») de la morale peut faire songer, d’un certain point de vue, à celui de Kant. Lui-même a cru y voir une parenté avec sa philosophie pratique ; et l’exposé que Platon, dans le Phédon (68b-69c) fait de l’opposition de la fausse et de la vraie vertu, peut être interprété au moyen de la distinction qu’établit Kant, entre les impératifs hypothétiques et de l’impératif catégorique et inconditionnel (le vrai devoir), dans les Fondements de la métaphysique des mœurs.
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Thémistius
Paraphrase de la Métaphysique d’Aristote (livre lambda)
Thémistius Rémi Brague (trad.)
1999
« L’art de bien lire »
Nietzsche et la philologie
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2012
L’Idée platonicienne dans la philosophie contemporaine
Jalons
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La fêlure du plaisir, vol. 2
Études sur le Philèbe de Platon II. Contextes
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1999
La connaissance de soi
Études sur le traité 49 de Plotin
Monique Dixsaut, Pierre-Marie Morel et Karine Tordo-Rombaut (dir.)
2002
L’Euthyphron de Platon
Philosophie et religion
Platon Jean-Yves Chateau (éd.) Jean-Yves Chateau (trad.)
2005