Chapitre III. La position du problème (4e-5d)
p. 73-81
Texte intégral
La question de la piété (4e-5c)
1Le tissu de contradictions que compose Euthyphron en exposant son affaire et en cherchant à expliciter son comportement, détermine le champ de notre étonnement et de notre interrogation : nous venons d’en voir le caractère général et complexe. Nous pouvons en faire le résumé suivant : le procès fait à Socrate est-il juste ? Celui que fait Euthyphron à son père est-il juste ? Qu’est-ce que la piété ? Qu’est-ce que ce savoir, dont se vante Euthyphron là-dessus ? La religion d’État, comme union de la religion et de l’autorité judiciaire, est-elle cohérente et valable ? Qu’est-ce que la justice ? Or, dans le passage (4e-5d), Socrate va amener Euthyphron, à partir de cette problématique foisonnante, à accepter la question simple et unique : « qu’est-ce que la piété ? » Comment procèdet-il ? Que signifie ce procédé ?
2Nous avons déjà vu par quel moyen, lié à la situation de leur entretien entre la plainte et le procès, Socrate justifie, aux yeux d’Euthyphron, sa demande : faire appel, avant l’ouverture du procès, qui, devant l’Héliée, aboutit à un jugement sans appel. Nous avons déjà noté que, pour motiver Euthyphron à répondre à sa demande, Socrate joue sur sa vanité : « puisque tu sais si bien ce qu’est la piété, dis-le moi ; cela te sera facile, puisque c’est ta spécialité ». Telle est la motivation que Socrate suggère à Euthyphron. Mais, elle renvoie aussi à un autre aspect de la certitude dogmatique du prêtre : celle-ci signifie la certitude d’avoir raison dans son procès contre son père. Socrate, en faisant appel au « savoir » d’Euthyphron excite ainsi le besoin du plaideur de montrer ses justifications à l’avance. Nous voyons donc que deux thèmes de la problématique à laquelle nous renvoie le prologue de l’Euthyphron (le procès pour impiété et le savoir), sont liés à la position de la question de la piété ; mais c’est en tant que motifs psychologiques : ils permettent la vraisemblance littéraire du Dialogue ; ils rendent plausible la discussion entre Socrate et le prêtre. Mais il nous faut examiner, maintenant, la nature logique et philosophique de la détermination de cette question précise, à partir de la généralité touffue des questions que suscite le prologue.
Les exigences d’une bonne définition (5c-d)
3Commençons par examiner la nature de la question que Socrate propose à Euthyphron (5c-d) : elle se caractérise d’abord par son unicité, au sens où elle sera la seule à laquelle il cherchera jusqu’à la fin à faire répondre le prêtre. Elle déterminera ainsi la nature du développement logique (dialectique) du Dialogue.
4Cette question est une simple demande de définition : qu’est-ce que la piété ? Cependant, elle est posée non pas simplement mais d’une manière qui peut paraître redondante et lourdement répétitive : « Dis-moi, donc, puisque tu prétends le savoir clairement : qu’est-ce que le pieux et l’impie, en fait de meurtre ou en toute autre matière ? Est-ce que le peux n’est pas semblable à soi dans tous les actes qui le sont, et l’impie le contraire de tout ce qui est pieux, et tout ce qui doit être tenu pour impie n’est-il pas semblable à soi et caractérise par une idée unique du point de vue de son impiété ? » (5c-5d). Ce que nous venons de voir du talent littéraire de Platon, dans le prologue, nous interdit d’en rester là ; il n’y a pas de répétition dans ce passage, et chaque énoncé signifie quelque chose de précis : une détermination de la notion de définition, qui commence ici et qui se poursuivra au long du Dialogue.
Universalité ou unification
5La définition doit d’abord être complète, exhaustive ; son énoncé doit valoir universellement pour tous les actes définis. Cela signifie qu’il doit rendre compte de tous les cas particuliers de piété (tous les actes, les hommes, les objets, qu’on dit être pieux), et de toutes les sortes de piété. Les diverses manifestations de la piété sont exprimées de deux manières : d’abord Socrate parle de la piété « au sujet d’un meurtre et sur les autres matières » ; la matière (ou le thème ou le sujet) qui peut faire que quelqu’un soit dit pieux ou impie peut varier : Euthyphron considère que son père est impie (puisqu’il faut le purger) parce qu’il a tué ; mais il peut y avoir d’autres matières : Euthyphron, juste après, dans sa réponse en fin de (5d), citera le vol d’objets sacrés par exemple. Cependant, l’impiété par meurtre renvoyant à l’impiété de son père, les autres sujets d’impiété font penser à l’impiété contre son père et, ici, c’est l’objet de l’impiété (ou son destinataire), mieux que la matière, qui fait la variété de l’emploi du terme : on peut être pieux à l’égard de son père ou à l’égard des dieux. Enfin, pour dire « pieux », Socrate utilise deux mots différents : hosios, d’abord, puis eusebès1. Ces deux mots sont difficiles à distinguer, même si tout le monde sent bien qu’il y a une différence entre eux et voit à peu près à quoi elle tient, bien qu’il ne soit pas facile de l’exprimer ; cependant, cela ne tient sans doute pas à une difficulté simplement linguistique mais à une difficulté philosophique : cette différence, pour diverses raison, n’est pas aisée à penser ; de fait, c’est tout l’objet et le problème de notre Dialogue. En se servant ici des termes des deux familles, Socrate cherche à réveiller chez Euthyphron, par le simple usage de la langue courante, sans donner d’explication, le sentiment intuitif la diversité des « piétés », dont il s’agit de chercher l’unité. Nous reviendrons sur la différence exacte de sens qu’on peut établir entre ces deux mots, à la fin de notre analyse du Dialogue (3e partie, chap. 2, § 3), quand nous pourrons faire porter notre enquête sur tous les emplois qui en auront été faits. Cependant, avant de procéder à cette analyse, nous pouvons, comme point de départ (à examiner et à discuter), prendre en compte l’indication d’un philologue savant, P. Chantraine, qui dit, en référence au passage de notre texte : « hosios, appliqué à un homme, signifie “pieux”, avec une résonance morale, et se distingue de eusebès, qui n’implique que le respect des dieux et des rites »2. On peut donc dire, sans entamer la discussion pour le moment, qu’il y aurait une différence de fondement (de principe) entre la piété de l’eusebès et celle de l’hosios : la première le trouverait seulement dans son objet (ou son destinataire, c’est-à-dire les dieux ou les ancêtres) ; la seconde, en tout cas pas seulement dans son objet mais aussi dans la moralité, ou le droit et les lois de la nature (deux conceptions de la justice), selon l’indication de Frisk. Ces deux termes sont-ils, alors, parfaitement synonymes et compatibles ? Les éléments différents sur lesquels se fonderait l’hosion forment-ils un ensemble cohérent ?
6La recherche d’une définition unifiée de la piété comme hosiotès (substantif correspondant à l’adjectif hosios) reviendrait à se demander s’il y a plus dans l’hosiotès que dans l’eusebeia, (substantif correspondant à l’adjectif eusebès), c’est-à-dire vraisemblablement si l’hosiotès peut prétendre être une disposition qui donne accès à la Valeur, c’est-à-dire une vertu, tout en restant une notion cohérente. Ce que nous avons rappelé de la difficulté historique des exigences du droit et de la justice à s’intégrer au conglomérat des représentations religieuses traditionnelles, devrait déjà nous faire sentir que cela pose un problème (c’est celui-là même de notre Dialogue). On peut donc se contenter, en ce début de l’entretien, où Socrate en est seulement à poser des questions, de le formuler de la façon suivante : eusebès a un sens assez clair, du moins en première approximation, parce qu’on y entend distinctement le radical du verbe sebein, qui veut dire « craindre », « craindre respectueusement » ; hosios, en revanche, ne peut être étymologiquement dérivé d’aucune racine ni rapproché d’aucune autre signification déjà constituée3 ; dans ces conditions, même si, dans l’usage courant, les deux termes ne sont pas éloignés l’un de l’autre, une oreille grecque, si on lui demande d’être attentive à la précision du sens, a toute chance de ne pas entendre dans hosios simplement et exactement ce que veut dire eusebès. On voit donc à quelle diversité de sens la notion de piété renvoie : selon la matière, selon l’objet (ou le destinataire), selon le fondement (ou le principe) ; ces divers emplois de la notion (parfois à travers des mots différents), voilà ce dont une définition véritable, c’est-à-dire universelle, doit rendre compte. Elle doit montrer ce qu’ils ont de commun. On peut ainsi dire que cette intervention de Socrate est méthodologique : elle constitue un « précepte d’unification »4 ou encore une exigence d’unification de la définition.
Identification
7Cela implique qu’il y a quelque chose d’identique dans tous les actes de toutes les sortes de piété et qui, de plus, fait que l’on puisse les dire pieux (« est-ce que n’est pas toujours identique, dans tous les actes, ce qui fait qu’ils sont pieux ? »). La définition implique la reconnaissance et l’énoncé de cet élément, identique en tout ce qui est pieux et tel qu’il permette d’identifier tous les cas de l’espèce ; c’est ce que l’on peut appeler l’exigence d’identification.
Discrimination et non-contradiction
8L’identification est ce qui permet de distinguer. Mais il ne suffit pas que quelque chose se retrouve dans toute un ensemble d’objets, même si ce n’est pas par hasard et accidentellement, pour que cela permette de le définir et de l’identifier de façon discriminante et suffisante (le bois se trouve dans tous les objets en bois mais ne permet pas d’identifier et de définir tel ou tel objet en bois comme une table ; le sang et le muscle se trouvent dans tous les mammifères, mais cela ne suffit pas pour identifier et définir le cheval). La bonne définition doit permettre, sans incertitude, de distinguer l’espèce qu’elle détermine de ce qui n’en fait pas partie. Il n’y a pas d’identité sans distinction. Définir ce qu’est un objet, c’est dire ce qu’il n’est pas, ce à quoi il s’oppose et de quoi il diffère5. Une définition n’est bien formée que lorsqu’elle permet de séparer sans confusion, ce qu’elle définit de ce qu’elle exclut. C’est pourquoi Socrate demande la définition du « pieux et de l’impie » et qu’il insiste sur le fait que le pieux et l’impie doivent être reconnus comme des contraires. Car une vraie définition de l’un doit permettre en même temps de définir son contraire, sans qu’on puisse les confondre. Elle doit être non-contradictoire et discriminante : c’est ce que l’on peut appeler l’exigence de discrimination et de non-contradiction.
9Ces trois exigences n’en forment qu’une, ce sont trois points de vue sur la même exigence fondamentale, qui est celle de l’unité ; leur respect détermine la production de l’Idée6 (idea), que l’on peut appeler encore « Forme »7, ou « caractère générique » (du point de vue de l’exigence d’unification ou de celle d’identification) ou encore « caractère distinctif » (du point de vue de l’exigence de discrimination). L’Idée, qui se caractérise par son unicité (mian tina idean, « une Idée unique », « un caractère unique, qui apparaît visiblement »8) est donc ce par quoi les diverses choses sont et apparaissent ce qu’elles sont ; elle est ce qu’il y a de commun entre elles ; elle est la réponse à la question de la définition. On peut donc dire qu’une bonne définition respecte une exigence eidétique9.
Responsabilité
10Cette réflexion préliminaire de Socrate qui demande méthodiquement à Euthyphron de reconnaître les exigences fondamentales de la production bien réglée d’une définition, permet d’en dégager deux autres propriétés essentielles : d’abord, ces exigences sont celles qui permettent à la définition eidétique d’être un énoncé que l’on peut juger ; en effet, elles sont, en quelque sorte, des manières d’énoncer l’idée de définition, son « caractère distinctif » ; ce sont les critères d’une définition. Il est donc facile de voir distinctement si un énoncé est une définition ou non : une définition est un énoncé sur lequel la discussion peut être méthodique et claire. En demandant à Euthyphron de reconnaître les quatre premières exigences d’une définition, il en montre la cinquième : une définition bien formée est un énoncé dont on peut répondre clairement, qui est discutable, puisqu’il a une « forme caractéristique » clairement reconnaissable ; ce n’est pas une opinion que l’on ne peut pas discuter de façon décisive et à laquelle, parce qu’elle est indémontrable (sans critère de validité), on ne peut opposer au mieux que des opinions toujours discutables. C’est ce que l’on peut appeler l’exigence de responsabilité : une définition est un énoncé dont la forme doit être suffisamment définie elle-même, pour qu’on puisse montrer qu’elle est conforme à ses exigences essentielles – ou en discuter. C’est ainsi, nous le verrons, que toute l’évolution du Dialogue est déterminée par un examen de la conformité des énoncés successifs proposés comme définition, aux exigences d’une vraie définition.
Scientificité
11Cela permet de déterminer une sixième propriété caractéristique de la définition : constituant un énoncé déterminé et dont on doit pouvoir répondre, l’Idée qui définit est objet de science et d’enseignement, par excellence. Car la méthode peut se résumer à « mener vers une Idée unique (eis mian te idean agein), grâce à une vision d’ensemble (sunorônta) de ce qui est dispersé de mille manières (ta pollakèi diespermena), afin d’indiquer clairement, par la définition de chaque chose (hekaston horizomenos), l’objet constant de l’enseignement », comme le dira plus tard Platon10. Demander, comme Socrate, qu’on m’enseigne « le pieux », c’est demander sa définition, c’est-à-dire son Idée. Si la science est l’ordre de ce qui produit une certitude fondée, l’Idée-qui-définit, par sa forme clairement distinguable, justifiable ou critiquable donc, doit être « scientifique » : elle doit respecter ce que nous dénommerons l’exigence de scientificité.
12Ces six qualités exigibles d’une véritable définition sont six explications de la même caractérisation de la définition, c’est-à-dire de l’Idée. Elles sont, nous le verrons en analysant le développement du Dialogue, ce qui rend possible une discussion rigoureuse, argumentée, sur un objet déterminé – par opposition aux échanges d’opinions, non philosophiques et non contrôlables. Nous avons là une première réponse à notre interrogation initiale sur ce moment du texte : nous voyons la fonction du passage de la problématique riche et complexe, à laquelle renvoie le prologue, à la question précise « qu’est-ce que la piété ? » : c’est le passage des difficultés et problèmes auxquels on ne peut apporter de réponse contrôlable et jugeable à une question déterminée, déterminant les conditions de possibilité d’une réponse philosophique, « désireuse de scientificité ».
13Mais le caractère rigoureux et déterminé de la question eidétique que propose Socrate n’est pas un rétrécissement de la problématique générale que suscite le prologue : par l’objet même que cette question se donne de manière décisive (la piété en elle-même), elle cherche aussi le principe objectif d’une décision dans les interrogations de cette problématique générale.
14D’abord, il faut bien savoir ce qu’est la piété, pour pouvoir juger de la légitimité de l’accusation de Socrate, ou de celle du père d’Euthyphron.
15Ensuite, il faut montrer que la piété, quels que soient son destinataire, sa matière, son principe, est une et même, pour que l’on puisse séparer sûrement le pieux de l’impie, comme dans un procès. Il faut que l’eusebeia, qui est le simple respect pour les dieux, soit compatible avec l’hosiotès, qui implique l’idée de droit et de moralité (ou il faut que l’hosiotès soit cohérente comme respect pour les dieux et justice), si l’on veut pouvoir accuser judiciairement un citoyen pour défaut d’eusebeia – comme on l’a fait avec Socrate.
16La question de la définition de la piété (hosiotès), qui est celle du Dialogue, pose donc, en même temps, celle de la justice (au moins dans son rapport à la piété pour les dieux) ainsi que celle de la cohérence générale de la religion d’État (c’est-à-dire des rapports entre la religion et la justice).
17Quant à la question du savoir, nous avons vu qu’elle est impliquée dans la rigueur, désireuse de scientificité, de la formulation de la question eidétique. Ce qu’est vraiment « savoir », c’est ce que cette réflexion méthodologique préliminaire a commencé de montrer ; ce qu’est vraiment « savoir ce qui est pieux », c’est ce que le cours du Dialogue va chercher dans la rigueur.
18On peut donc dire que la question eidétique réclamant une définition rigoureuse de la piété est la forme qui est donnée à l’ensemble des difficultés soulevées par la confrontation des affaires de Socrate et d’Euthyphron.
19La question « que vaut une accusation judiciaire pour impiété ? », qui résume les interrogations sur le procès de Socrate, et qui pose la question de la religion d’État (« que vaut l’unité de la religion et de l’État ? »), est une question politique et religieuse où les intérêts en jeu sont clairs. Les seules lumières que la philosophie peut apporter là-dessus, viendront du destin des deux questions de principe sur la piété et la justice : si, en elles-mêmes, la piété et la justice se révèlent être la même chose, alors, de leur unité, on pourra se réclamer pour tenter de fonder peut-être une religion d’État ; sinon, non. Dans le premier cas, le sens et la nature de cette unité, ceux de cette religion et ceux de cet État, seront déterminés par la manière dont se définiront la piété et la justice dans leur identité.
20Ce sont des valeurs. Valeur est un terme qui ne traduit pas directement un mot grec mais qui présente une certaine commodité comme le montre l’exemple de nombreux exégètes qui l’emploient (Goldschmidt, 1963, est de ceux-là). Mais le risque est, ici, comme toujours, que ce qui peut aider d’abord, conduise à se tromper. Il convient donc de se rappeler que ce mot ne recouvre rien d’autre qu’un problème. Le mot est utilisé parfois pour désigner les arètai (comme le courage, la tempérance, la justice), mot malaisé à traduire, que l’on rend également souvent par vertus, ou, de manière plus récente, par excellences, (mais aucune traduction n’est entièrement satisfaisante, et il peut être préférable de passer de l’une à l’autre de façon fluide). Mais « valeurs » présente aussi un grand intérêt pour désigner ce que Platon appelle, par un terme malcommode à traduire, ta megista, et qui sont notamment le juste, le bon, le beau (voire, parfois, les choses divines). Les megista sont, littéralement, les « choses les plus hautes ou les plus grandes », ce qui est plus haut que tout, vaut plus que tout : « y a-t-il rien de plus haut que le juste, le beau, le bon et le convenable ? » (Premier Alcibiade, 118 a7-11 ; voir aussi, par exemple, Apologie, 22b7). Mais que l’on traduise par « valeurs », « excellences » voire « vertus », en un certain sens ancien, il faut veiller, dans tous les cas, à contrôler les effets multiples d’anachronisme, qui peuvent s’attacher à chacun de ces termes. Sur la liaison de l’Idée et l’Essence avec ce que nous appelons valeur, une expression grecque, employée dans notre Dialogue en 11a (précisément dans le moment conclusif de la seconde partie, où est introduit le terme d’Essence, et qui va conduire à examiner le rapport du pieux avec le Juste), est particulièrement significative : hoios, qui peut indiquer la qualité (être « tel »), et aussi (suivi d’un infinitif), diverses formes de la puissance (« être de nature à…, être capable de…, être digne de… »)11.
Notes de bas de page
1 Dans l’ensemble de l’Euthyphron, l’adjectif hosios et les substantifs de la même famille (hosiotès, la piété, et surtout le neutre singulier de l’adjectif hosion, qui permet de dire « to hosion », mais aussi le verbe aphosioûn, purifier, et le terme négatif anhosios/anhosion), sont beaucoup plus employés (96 occurrences) que les mots de la famille de eusebès (qui n’est employé qu’au neutre, eusebes, 3 fois, le substantif correspondant, eusebeia, la piété, 1 fois, sa négation asebeia, 2 fois, l’adjectif neutre asebes, 2 fois, et le masculin du participe présent du verbe correspondant, asebôn, 1 fois), dont on trouve, au total, 9 occurrences.
2 P. Chantraine. Dictionnaire étymologique de la langue grecque, Paris, Klincksieck, 1974, t. III, p. 831, article hosios – cela rapproche hosios de dikaios, qui veut dire « juste » ; par rapport à hieros (qu’on peut traduire souvent par « sacré »), hosios signifie « ce qui est permis à l’homme, donc éventuellement profane » et hieros, « ce qui appartient au dieux ». L’autre grand dictionnaire moderne d’étymologie grecque, celui de Hjalmar Frisk, Griechisches etymologisches Wörterbuch, Heidelberg, Carl Winter Universitatsverlag, 1965, p. 435, donne une définition de hosios qui y correspond : « recommandé par les dieux ou la nature ; conforme au droit. »
3 On peut cependant noter que, dans le cours de notre Dialogue, la première introduction de hosios, (4d9), qui suit elle-même celle de anhosion (4d10), a été précédée de l’usage du verbe aphosioûn (rendre pur) en liaison avec l’idée de miasme, qui tend à donner une certaine orientation au termes de cette famille.
4 Goldschmidt, 1963, p. 40.
5 Cf. Aristote, par exemple Métaphysique Z, 12, 1037b26 sq.
6 La majuscule indique que le terme est employé en un sens « technique ».
7 Savoir s’il vaut mieux dire « Idée » ou « Forme » nous paraît un débat sans grande importance sur l’essentiel. Dans les deux cas, l’usage actuel de la langue ne peut que conduire à un contresens, si on ne fait pas un effort pour le rectifier, sur ce que Platon entend par idea ou eidos, soit qu’on le subjectivise (l’Idée ne serait qu’un contenu de pensée, une représentation qui, pour ainsi dire, n’engage pas la réalité), soit qu’on l’objectivise, ou plutôt qu’on le réifie (la Forme serait une réalité autre que les réalités sensibles, mais comparable et rivale, en un sens : un objet visible, matériel, étendu et séparé) ; or, Platon a lui-même dénoncé ces deux interprétations comme des contresens, qui sont à vrai dire des non-sens (Parménide, 131a- 135c). L’Idée est à la fois ce qui existe toujours comme objet de la pensée (ce qui fait que, si on veut l’appeler Forme, il faut préciser Forme intelligible), et ce qui existe pour la pensée comme une réalité objective, ne dépendant pas de l’arbitraire et de la fantaisie (ce qui fait que si on veut l’appeler Idée, il ne faut pas la confondre avec une pensée, une représentation, une opinion, quelconques). Il n’y a de problème du statut de l’Idée que pour ceux qui considèrent que tout ce qui est pensé ne peut être que subjectif, arbitraire et fictif, et que tout ce qui est réel est sensible et matériel. En revanche, dans la mesure où l’on admet que, dans certaines conditions au moins, une pensée rationnelle peut être une connaissance du réel, une idée purement rationnelle est susceptible de se manifester comme une réalité objective, dont la nature, les contraintes, les exigences propres, les compatibilités et les incompatibilités, peuvent faire l’objet d’une découverte et d’une reconnaissance, et n’être pas seulement imaginées et inventées (les mathématiques nous en donnent un exemple évident, d’où vient leur importance singulière pour la philosophie, aux yeux de Platon), alors l’Idée ne paraît plus être une impossibilité de principe mais un problème, le problème de la philosophie : dans quelles conditions (de méthode, de domaine, etc.) peut-on légitimement chercher des Idées ? – Pour nous, puisqu’il n’est pas possible de s’en remettre à l’usage des appellations de la langue courante, et qu’il faut, dans tous les cas, penser, nous sommes de ceux qui restent sensibles à l’appel de Kant à « ceux qui ont à cœur la philosophie, pour qu’ils prennent sous leur protection le mot idée dans son sens primitif, sans le confondre avec la désignation d’aucune autre représentation » (Critique de la Raison pure, Dialectique transcendantale, I, 1, « Des idées en général »). Voir la note 1, p. 72, de M. Dixsaut, 2000. Mais selon les cas, les usages et les commodités de la langue française, on peut choisir d’utiliser Idée ou Forme (voire forme intelligible, figure, caractère générique, caractère distinctif, idée caractéristique, etc.).
8 « Un caractère unique, qui apparaît visiblement », ce qui ne veut pas dire « pour les yeux seuls », car ce n’est pas seulement avec les yeux que l’on voit, Platon nous le montre.
9 « Eidétique », pris au simple sens de ce qui concerne l’Idée, l’Eidos. Il s’agit seulement, ici, d’affirmer que la définition véritable détermine une Idée.
10 Phèdre, 265d, cité par Goldschmidt (1963, p. 40) en commentaire de notre texte.
11 Voir Appendice, p. 223.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Thémistius
Paraphrase de la Métaphysique d’Aristote (livre lambda)
Thémistius Rémi Brague (trad.)
1999
« L’art de bien lire »
Nietzsche et la philologie
Jean-François Balaudé et Patrick Wotling (dir.)
2012
L’Idée platonicienne dans la philosophie contemporaine
Jalons
Sylvain Delcomminette et Antonio Mazzu (dir.)
2012
La fêlure du plaisir, vol. 2
Études sur le Philèbe de Platon II. Contextes
Monique Dixsaut (dir.)
1999
La connaissance de soi
Études sur le traité 49 de Plotin
Monique Dixsaut, Pierre-Marie Morel et Karine Tordo-Rombaut (dir.)
2002
L’Euthyphron de Platon
Philosophie et religion
Platon Jean-Yves Chateau (éd.) Jean-Yves Chateau (trad.)
2005