1 H. Poincaré, La Valeur de la science, Paris, Flammarion, 1908, p. 143. Je dois cette citation à Gerhard Heinzmann.
2 Il ne s’agit pas ici d’opposer implicitement un savoir discursif à une connaissance intuitive ou mystique. Je souscris à ce sujet à la critique d’A.-J. Festugière, Contemplation par H. Joly, Le renversement platonicien, op. cit., p. 97-104, que l’analyse des exemples de connaissance philosophique offerts par la digression confirmera (voir infra, p. 236-244).
3 « The digression in Plato’s Theaetetus : observations on its thematic structure and philosophical significance », Elenchos 23, 2002, p. 82.
4 Voir aussi D. Labriola, « Philosophy in the Theaetetus », Archiv für Geschichte der Philosophie 97 (4), 2015, p. 410-411.
5 Notons également que, si le philosophe est présenté plusieurs fois comme ayant un point de vue de surplomb spatial ou temporel, son regard est généralement dirigé vers le bas et les hommes : voir 174e-175a et surtout 175d2-4, où l’orateur interrogé a le vertige parce qu’il est suspendu « en hauteur/au sommet » (ἀπὸ ὑψηλοῦ) et regarde d’en haut (ἄνωθεν) vers le bas. Il est vrai que, dans d’autres exemples, le philosophe regarde vers le haut, comme Thalès avec le ciel, ou vers des objets qui lui sont propres (la nature de l’homme ou de la justice). Le point commun semble donc bien être la portée globale et théorique du regard.
6 L’opposition entre « la nature mortelle » et les dieux n’apparaît qu’en 176a5-8, comme on l’a vu. Quant à l’opposition entre objets sensibles et transitoires et objets stables, sur laquelle insiste M. L. Gill, Philosophos. Plato’s Missing Dialogue, Oxford, Oxford University Press, 2012, p. 87, elle ne rend pas non plus compte de tous les exemples (surtout si l’on prend « stables » au sens d’« intelligibles », puisque plusieurs objets du philosophe mentionnés par M. L. Gill sont sensibles et même en mouvement, comme le ciel ou la totalité du temps), mais constitue plutôt l’une des explications données par Socrate (174a8- b6 cité page suivante) du point de vue du philosophe. Porphyre, De l’abstinence I, 36-39 utilise aussi la digression (qu’il cite de 173c à 174a) pour défendre la thèse que l’âme du philosophe doit se détourner entièrement des sensations et ne peut pas partager son attention entre ces dernières et l’activité intellectuelle.
7 Cf. Giannopoulou, « Socratic Midwifery », art. cit., p. 83 et D. Sedley, Midwife, p. 69-70 : « the broadest possible view on things ».
8 174a3 : Πῶς τοῦτο λέγεις, ὦ Σώκρατες.
9 Voir A. Macé et O. Renaut, « L’univers au service de la cité : l’image publique du philosophe », art. cit., p. 149-153 dont l’analyse de tout le passage (173d9-175b6) est très fine et dont je reprends plusieurs points, même s’il me semble qu’elle sous-estime le rôle que joue la dimension globale ou totale de la connaissance du philosophe dans ce passage et la digression.
10 Je reprends pour cette phrase la traduction de Michel Narcy.
11 Outre la référence à l’indétermination du sensible (aucun homme particulier n’est absolument homme), l’idée que le philosophe « ignore quasiment si son voisin est un homme ou un autre animal » (174b3) a probablement un sens éthique : dans le Phèdre, Socrate dit qu’il ne se connaît pas lui-même et se demande s’il n’est pas un monstre plus étrange que Typhon (230a). Voir aussi Banquet, 221c-d.
12 Voir H. Blumenberg, Le Rire de la servante de Thrace, op. cit., p. 21, 30-31 et 41.
13 175c6-8 : « quel genre de choses [le bonheur et la misère humaine] sont et de quelle manière il convient à la nature humaine d’acquérir l’un et d’échapper à l’autre » (ποίω τέ τινε ἐστὸν καὶ τίνα τρόπον ἀνθρώπου φύσει προσήκει τὸ μὲν κτήσασθαι αὐτοῖν, τὸ δὲ ἀποφυγεῖν).
14 Arnaud Macé et Olivier Renaut (« L’univers au service de la cité : l’image publique du philosophe », art. cit. et communication personnelle) estiment que le génitif τῶν ὄντων ἑκάστου ὅλου efface la connotation totalisante de πᾶσαν φύσιν et impose de donner un sens distributif à « nature », mais comprennent le πάντῃ comme impliquant que la nature de chaque chose « peut être explorée sous différents aspects », ce qui réintroduirait « les rapports entre cette nature et les autres ». Il me semble que la formule est plus totalisante que cela (voir notes suivantes). Je remercie également Monique Dixsaut pour ses objections sur ce point, qui m’ont permis d’approfondir mon analyse de cette formule difficile.
15 Pour πάντῃ renforçant πᾶς afin d’indiquer non seulement une grande diversité mais l’exhaustivité, voir par exemple Rep., V 466d1 πάντα πάντῃ κατὰ τὸ δυνατὸν κοινωνεῖν à propos des activités des femmes-gardiens, Timée, 82b2 πάσας πάντῃ µεταβολὰς δέχεται à propos des parties de chaque élément. Par ailleurs, πᾶς qualifiant un substantif singulier sans article signifie souvent « chaque », mais ce n’est pas toujours le cas. Il peut aussi signifier « tout », every (à la fois distributif et exhaustif) plutôt que each. Ainsi, en Théétète, 187b4, il est impossible de dire que « toute opinion » (Δόξαν µὲν πᾶσαν) est vraie, parce qu’il existe des opinions fausses (voir aussi les passages de République, V-VI cités infra, p. 232, notes 1 et 2). On trouve d’ailleurs dans le Théétète une autre formule similaire à la nôtre, c’est-à-dire avec πᾶς au singulier renforcé par un second πᾶς (Théétète, 179c2 : µὴ πᾶσαν παντὸς ἀληθῆ δόξαν εἶναι ; « toute opinion de quiconque n’est pas vraie »), que l’on pourrait aussi traduire par un pluriel « toutes les opinions ne sont pas vraies ». Cf. Théétète, 182a1 : πάντα δὴ πᾶσαν κίνησιν ἀεὶ κινεῖται (« toutes les choses sont mues toujours de tous les mouvements »).
16 La fin de la formule a aussi été comprise au sens de « chaque être pris universellement » (voir les traductions de M. Valgimigli et F. Ferrari et moins clairement celle de M. Narcy), mais il me semble préférable de conserver l’idée de totalité, de complétude impliquée par ὅλος. On peut en revanche hésiter sur le fait de savoir si cette idée concerne les objets en eux-mêmes (« explorer chacun des êtres qui sont complets ») ou leur exploration (« explorer chacun des êtres complètement »). La seconde option est sans doute plus simple et plus claire (cf. Lois, 811a1, cité par LSJ : ὅλους ποιητὰς ἐκµανθάνοντας, « apprendre par cœur des poètes entiers ») mais pourrait introduire une redondance par rapport à πάντῃ. La première impliquerait une distinction énigmatique entre êtres complets et incomplets. Cependant, si l’on accepte le rapprochement proposé ci-dessous (p. 241-243) entre la connaissance totale du philosophe et la distinction entre une totalité et la somme de ses parties, il est possible que la digression fasse ici allusion à la saisie de totalités en tant que telles, qui seront l’enjeu de la fin du dialogue avec la réfutation de la théorie du rêve et l’exemple du chariot. J’ai donc choisi une traduction ambiguë et utilisé « totalité » plutôt que « entier » afin de préserver la possibilité d’une telle allusion.
17 Cicéron, De re publica, VI, 12-17 et Marc Aurèle, Pensées, VII 35 et 48, IX 30 et 32 ou X 17.
18 270d4-5 (trad. Mouze) : σκοπεῖν τὴν δύναµιν αὐτοῦ, τίνα πρὸς τί πέφυκεν εἰς τὸ δρᾶν ἔχον ἢ τίνα εἰς τὸ παθεῖν ὑπὸ τοῦ.
19 Voir A. Macé, Platon, philosophie de l’agir et du pâtir, Sankt Augustin, Academia, 2006, p. 132 sur la digression et p. 159-161 sur le Phèdre, ainsi que p. 157 sur Lois, X 903b4- 9, qui confirme le lien entre « souci du tout » et analyse de la puissance naturelle de chaque chose. Cette connaissance réaliserait la promesse d’Anaxagore du Phédon, 97c6-d1, relayée par Thalès dans la digression et Hippocrate dans le Phèdre. Ceci ne préjuge cependant pas de la nature du tout requis par la connaissance, comme le rappelle M. Dixsaut, Naturel, p. 63. Voir aussi récemment J. Laurent, « Penser le Tout sans le concept de totalité », Les Cahiers Philosophiques de Strasbourg, n° 45, 2019, p. 91-116. J’y reviens ci-dessous.
20 La dimension totalisante est d’ailleurs le point de départ de la définition du philosophe dans la République, où, par analogie avec les amoureux qui se délectent de toutes les formes ou instanciations de ce qu’ils aiment (les jeunes garçons pour certains, le vin pour d’autres, voir 475a6 : πάντα οἶνον ἐπὶ πάσης προφάσεως ἀσπαζοµένους), le philosophe est dit désirer toute sagesse et non telle ou telle forme (475b8-9 : Οὐκοῦν καὶ τὸν φιλόσοφον σοφίας φήσοµεν ἐπιθυµητὴν εἶναι, οὐ τῆς µέν, τῆς δ’ οὔ, ἀλλὰ πάσης). Cette définition par l’exhaustivité est certes ensuite précisée, en particulier pour distinguer le philosophe des philodoxes, grâce à la distinction entre opinion et connaissance puis à celle entre particuliers et Formes (voir supra, p. 115), que la digression introduit allusivement elle aussi après l’anecdote de Thalès. Mais la dimension totalisante demeure cruciale pour introduire et distinguer le philosophe des autres hommes, ce qui est bien l’objectif de la digression, et elle ne disparaît pas une fois les critères épistémologiques et ontologiques introduits (voir République, VI 485a-b).
21 Sur ce passage peu commenté et en particulier sur la singularité de la référence à la totalité du temps comme objet de la philosophie, voir l’analyse très éclairante de K. Thein, Le lien intraitable, op. cit., p. 32-41 et 114-117, qui cherche à l’expliquer à partir du reste de la République et néglige du coup le fait qu’il s’agit ici de montrer l’incompatibilité entre ἀνελευθερία et philosophie, donc d’insister sur les propriétés de la connaissance philosophique qui vont dans le sens de sa liberté-générosité-noblesse.
22 Pour un autre exemple plus concret, voir Lois, 781e1-3 (trad. E. Jouët-Pastré, Le jeu et le sérieux dans les Lois…, op. cit., p. 110) : « Nous jouissons de loisir (σχολῆς γὰρ ἀπολαύοµεν) et il n’y a rien qui ne nous presse ni nous empêche d’examiner complètement sous tous ses aspects (µὴ πάντῃ πάντως σκοπεῖν) la question des lois ». Cf. Théétète, 190e8-191a6 déjà mentionné ci-dessus.
23 Ce point me conduit à rejeter l’interprétation de l’anecdote de Thalès soutenue par F. Buddensiek, « Thales’Fall : Zur Funktion der Digression in Platons Theätet », in J. Kulenkampff, T. Spitzley (ed.), Von der Antike bis zur Gegenwart : Erlanger Streifzüge durch die Geschichte der Philosophie, Erlangen, Palm & Enke, 2001, p. 9-23 et « Thales down the well : Perspectives at work in the digression in Platos’Theaetetus », Rhizomata 2 (1), 2014, p. 1-32, selon laquelle c’est la servante qui imaginerait à tort que Thalès est tombé dans le puits, alors que ce dernier y serait en réalité descendu pour s’en servir comme d’un observatoire du ciel. Interpréter ainsi l’anecdote de Thalès et de la servante, c’est ruiner la hiérarchie de la digression entre point de vue local et point de vue global, puisque le sol et même le trou, c’est-à-dire la cité, deviennent un bon observatoire du ciel, c’est-à-dire de la vérité et des vertus. Une telle lecture rend l’anecdote inutile : rappelons en effet qu’elle est introduite pour expliquer pourquoi le philosophe ignore ce qui est proche de lui, tout en connaissant l’ensemble du monde.
24 Cf. D. Sedley, Midwife, p. 77 : « the philosopher… broadens his perspective into an alltogether universal one. We have now found out where this process ends. He has acquired a god’s eye-view or, as Socrates puts it, become as like God as it is possible for a human being to become ».
25 Voir aussi la description du roi ou du tyran avec « leur citadelle les enfermant [comme] un enclos sur une colline » (174e1-2 : σηκὸν ἐν ὄρει τὸ τεῖχος περιβεβλημένον).
26 175b4 : οὐ δυναμένων (…) χαυνότητα ἀνοήτου ψυχῆς ἀπαλλάττειν
27 Cette insistance sur la liberté intellectuelle du philosophe permet d’ailleurs à la digression de critiquer, avant même l’invocation d’un modèle divin de justice, le relativisme modéré des sectateurs de Protagoras (172a-b), qui sont assimilés à des intellectuels qui ne voient pas plus loin que les frontières de leur cité : voir supra, p. 85-86.
28 L. Mouze, Chasse à l’homme et faux-semblants…, op. cit., p. 124.
29 176a7-8 : τὴν δὲ θνητὴν φύσιν καὶ τόνδε τὸν τόπον…
30 En Phèdre, 247c-d, Socrate remarque qu’aucun poète n’a chanté et ne chantera jamais d’hymne digne du lieu supracéleste, à savoir intelligible. Voir N. di Vita, Inno e filosofia nel mondo antico, thèse de docorat, 2018, p. 25-33.
31 R. Polansky, Commentary, p. 135-148 estime déjà que les remarques de la digression sur ce qu’est l’homme (174b1-6) et sur l’assimilation à dieu proposent « sous une forme imagée » une réponse à la question principale du dialogue, et M. L. Gill, Philosophos. Plato’s Missing Dialogue, op. cit., p. 89 voit dans la digression l’esquisse d’une définition parménidienne de la connaissance comme perception directe d’objets immuables. Ces deux lectures sont donc des variantes de l’interprétation classique (voir p. 65-67) qui voit principalement dans la digression une référence aux normes ou objets intelligibles négligés par Théétète et Protagoras dans leur conception de la sagesse. Précisons cependant que, pour Mary Louise Gill, la conception parménidienne de la connaissance n’est pas celle que Platon souhaite défendre dans le dialogue et qu’elle est réfutée dans le Sophiste. Pour ma part, je vais suggérer qu’elle est critiquée dès la seconde partie du Théétète (voir D. Barton, « The Theaetetus on How We Think », Phronesis 44, 1999, p. 163-180) et que les descriptions de la connaissance du philosophe dans la digression ne vont pas du tout dans son sens, en dépit des verbes de vision qui y sont fréquents (M. L. Gill, Philosophos. Plato’s Missing Dialogue, op. cit., p. 87).
32 Dans les deux passages que je viens de citer, j’ai préféré éviter de traduire λογίζεσθαί par « calculer » (et µυριάδες par « dizaines de milliers », car le terme désigne non seulement 10000, le plus grand nombre doté d’un nom spécifique en grec ancien, mais aussi une quantité incalculablement grande), car Socrate précise que nos « myriades » d’ancêtres sont justement « innombrables » (175a2-3 : λογίζεσθαι ὅτι πάππων καὶ προγόνων µυριάδες ἑκάστῳ γεγόνασιν ἀναρίθµητοι) et parce que la critique philosophique ne repose pas ici en dernière instance sur un calcul arithmétique mais sur une simple comparaison d’ordres de grandeur. Platon devait certainement savoir que, pour calculer le nombre d’ancêtres directs d’une personne à la nième génération, il suffisait de multiplier 2 par lui-même n fois (2n). Mais il suggère qu’à partir d’un nombre suffisant de générations, le résultat devient tellement immense qu’il ne peut plus (ou n’a pas besoin ?) d’être calculé, comme ces gens qui, selon Archimède, croyaient que le nombre de grains de sable présents sur toute la Terre est ou bien infini ou bien plus grand que tout nombre qui ait reçu un nom (Arénaire, 134, 1-9 Mugler, je remercie Fabio Acerbi pour cette référence éclairante). Socrate prend ensuite l’exemple de quelqu’un qui prétend remonter vingt-cinq générations jusqu’à Héraclès (175a5-7). On peut douter que Socrate suggère que le philosophe ait besoin de calculer que cela implique de parcourir 225 = 33 554 432 ancêtres (soit environ 3355 µυριάδες pris au sens strict) pour juger cette généalogie « étrangement mesquine » (175a7). Socrate poursuit d’ailleurs (afin d’expliquer le mépris du philosophe) en proposant de remonter vingt-cinq générations de plus à partir d’Amphytrion et même à nouveau cinquante plus haut (soit 2100 ancêtres) et en affirmant que c’est le « hasard » qui préside à de telles généalogies. Ceci montre bien que le raisonnement du philosophe ne repose ni sur un calcul effectif (qui ne prouverait d’ailleurs pas grand chose, sauf à dénombrer la population grecque depuis l’époque d’Héraclès) ni sur l’observation historique (contrairement à la procédure décrite par Hérodote, Histoire II, 143 sq., je remercie Paul Demont pour cette référence), mais sur le fait que notre nombre d’ancêtres augmente à chaque génération et que l’on peut toujours remonter plus haut que n’importe quel ancêtre prestigieux identifié, si bien qu’il est absurde de penser maîtriser sa généalogie (au sens d’exclure qu’y figurent des hommes indignes, tels des pauvres ou des barbares). Si calcul il y a, il est donc au mieux entièrement virtuel et comparatif : comme dans l’exemple précédent des propriétaires terriens, où Socrate parle déjà en termes de « myriade » (174e2 : µυρία πλέθρα), l’important est que ce qui paraît très important (très étendu ou très ancien) aux « grands » de la cité apparaît tout petit au philosophe, parce qu’il « raisonne » à l’échelle bien plus grande de la Terre ou de l’humanité tout entières. Sur ce passage, voir aussi K. Thein, Le lien intraitable…, op. cit., p. 312-314.
33 186d2-5 (je traduis) : Ἐν μὲν ἄρα τοῖς παθήμασιν οὐκ ἔνι ἐπιστήμη, ἐν δὲ τῷ περὶ ἐκείνων συλλογισμῷ· οὐσίας γὰρ καὶ ἀληθείας ἐνταῦθα μέν, ὡς ἔοικε, δυνατὸν ἅψασθαι, ἐκεῖ δὲ ἀδύνατον. Sur l’ensemble de ce passage comme esquisse d’une définition satisfaisante de la science (dans l’esprit du Sophiste), voir D. Frede, « The Soul’s Silent Dialogue : A non-aporetic reading of Plato’s Theaetetus », Proceedings of the Cambridge Philological Society 215, 1989, p. 20-49, p. 21-24.
34 Sur la discussion à propos de l’opinion fausse comme visant à réfuter toute réduction de la pensée à une « saisie intellectuelle » (mental grasping) d’un objet, voir D. Barton, « The Theaetetus on How We Think », art. cit. Cette lecture de la deuxième partie du dialogue va dans le sens du rôle crucial de la fin de la première partie, qui insiste sur le fait que la science suppose un raisonnement critique sur diverses données empiriques plutôt qu’une intuition d’un objet simple.
35 Voir D. Frede, « The Soul’s Silent Dialogue : A non-aporetic reading of Plato’s Theaetetus », art. cit., p. 33-34 et D. Sedley, Midwife, p. 158-160.
36 Cette version est probablement celle d’Antisthène, avec qui Platon partage certaines thèses élémentaires d’origine socratique et dont il vise à repousser la mauvaise compréhension de celles-ci (voir p. 64-65 et 106-107).
37 G. Fine, Plato on Knowledge and Forms, op. cit., p. 235-236 et V. Harte, Plato on Parts and Wholes. The Metaphysics of Structure, Oxford, Oxford University Press, 2002, p. 33-35.
38 Cf. supra, p. 238.
39 Ces trois conceptions améliorent la théorie du rêve, puisqu’elles laissent de côté l’asymétrie cognitive qui la caractérise. Elles exhibent au minimum ses autres présupposés, voire corrigent plusieurs de ses limites, mais elles demeurent néanmoins clairement dans son orbite. Sur leurs apports et limites, voir G. Fine, Plato on Knowledge and Forms, op. cit., p. 242-247, D. Sedley, Midwife, p. 168-178, D. El Murr, « Desmos et logos : de l’opinion droite à la connaissance (Ménon, 97e-98a et Théétète, 201c-210b) », dans D. El Murr (éd.), La mesure du savoir. Études sur le Théétète, Paris, Vrin, 2013, p. 155-166.
40 L’expression est introduite par Théétète : αὐτὴ δι’ αὐτῆς ἡ ψυχὴ τὰ κοινά μοι φαίνεται περὶ πάντων ἐπισκοπεῖν (185e1-2). Elle est reprise et précisée par Socrate (185e6-7) : τὰ μὲν αὐτὴ δι’ αὐτῆς ἡ ψυχὴ ἐπισκοπεῖν, τὰ δὲ διὰ τῶν τοῦ σώματος δυνάμεων. Elle est ensuite répétée sous une forme abrégée plusieurs fois (186a4, 186a10, 186b7-8) avant de revenir sous une forme développée dans la conclusion sur ce que doit être la science (187a5-6 : ἡ ψυχή, ὅταν αὐτὴ καθ’ αὑτὴν πραγματεύηται περὶ τὰ ὄντα). On a déjà noté les liens de cette conclusion avec la digression, et l’on pourrait comprendre cette formule sur l’autonomie de l’âme par rapport aux sens comme expliquant la liberté de l’esprit à l’égard du corps mise en scène métaphoriquement dans la digression. Qu’il s’agisse bien de cela est confirmé par la présence de formules très proches de celles qui viennent d’être citées dans les passages du Phédon sur cette déliaison : voir en particulier 65b9 (mentionné par D. Sedley, Midwife, p. 112), 66a1-6 (ἀλλ’ αὐτῇ καθ’ αὑτὴν εἰλικρινεῖ τῇ διανοίᾳ χρώμενος), ou 79d1-2 (αὐτὴ καθ’ αὐτὴν σκοπῇ) cité par P. Demont, Cité, p. 313. Sur les similarités et les différences entre la fin de la première partie du Théétète et le Phédon (ou la République), voir M. Burnyeat, Introduction, p. 86-87, D. Sedley, Midwife, p. 113-114, S. Delcomminette, « Quel rôle joue l’éducation dans la perception ? », art. cit., F. Aronadio, L’aisthesis…, op. cit., G. Fine, « Plato on the grades of perception », art. cit. et C. Rowett, Knowledge and Truth in Plato, op. cit., p. 223-226 (qui récuse la continuité entre le Phédon, la Digression et la fin de la première partie du Théétète).
41 Sur le problème de la composition dans le Théétète, voir V. Harte, Plato on Parts and Wholes…, op. cit., p. 32-47, qui soutient qu’il résulte de son « échec manifeste » à tenir compte de la notion de « structure » (p. 47), c’est-à-dire d’une organisation des parties qui empêche de réduire le tout à leur somme. Cette réduction n’est possible que dans le cas des collections dénombrables, qui constituent justement les exemples privilégiés du dilemme (p. 45). Qui plus est, F. Acerbi, « A Reference to Perfect Numbers in Plato’s Theaetetus », art. cit. a montré que le passage contient une allusion aux « nombres parfaits » (Euclide, Eléments VII, def. 23). Ces nombres, tel 6 pris en exemple par Socrate, sont égaux à la somme de leurs diviseurs propres (1 + 2 + 3), à savoir de leurs « parties » au sens strict qu’a ce terme chez Euclide (Eléments VII, def. 3). Avec ce sens, même l’identification de Socrate entre un nombre et toutes ses parties (204d1-2) est fausse, puisque seuls les nombres parfaits sont égaux à la somme de leurs parties propres, et le mathématicien Théétète aurait dû s’en rendre compte, tout comme il aurait pu contester que la totalité qu’est une armée se réduise à l’ensemble dénombrable des soldats. Dans tout ce passage, Théétète témoigne d’ailleurs d’une certaine gêne (il répond seulement Φαίνεται plusieurs fois, en particulier en 204d3 à la question sur les nombres), ce qui renforce l’idée qu’il est possible d’échapper au dilemme, qui résulte de la théorie du rêve, et que le dialogue fournit des indices pour y parvenir.
42 Un autre passage qui a été mis en relation avec le dilemme final concernant tout et ensembles est le fameux passage mathématique : voir L. Brisson, S. Ofman, « Powers and division in the ’mathematical part’ of Plato’s Theaetetus », Tropos. Journal of Hermeneutics and Philosophical Criticism, 10 (2), 2018, p. 125-144. Théétète explique comment « puisqu’il apparaissait que les puissances étaient infinies en nombre, tenter de les englober dans une unité, au moyen de laquelle on pourrait les appeler en totalité “puissances” » (147d8-9 : πειραθῆναι συλλαβεῖν εἰς ἕν, ὅτῳ πάσας ταύτας προσαγορεύσομεν τὰς δυνάμεις). L’expression συλλαβεῖν εἰς ἕν pourrait ici être lue comme une anticipation de l’analyse du composé (ἡ συλλαβή) comme « forme unique » offerte en 204a-b (voir aussi la note 4, p. 243). Cependant, la procédure présentée ensuite par Théétète et ses compagnons consiste à « diviser en deux le nombre tout entier » (147e5) et à définir les « puissances » comme les racines carrées (pour employer une notion moderne) d’une des espèces du nombre (148a7-b2). Cette procédure peut faire songer à la division telle qu’elle sera pratiquée dans le Sophiste, mais elle n’en respecte pas du tout les règles (comme l’ont souligné L. Brisson et S. Ofman, « Powers and division in the ’mathematical part’ of Plato’s Theaetetus », art. cit.). Vues sa position dans le dialogue et sa méthode, ce passage mathématique semble donc offrir au mieux, d’un point de vue épistémologique, un exemple de ce qu’est une bonne définition, requise pour toute recherche (cf. Théétète 208d-e sur le logos comme énoncé de la différence, qui permet de distinguer un objet de tous les autres), comme l’a soutenu M. Burnyeat, « The Philosophical Sense of Theaetetus’Mathematics », Isis 69 (4), 1978, p. 512. Il n’est certes pas exclu que le contenu proprement mathématique de ce passage ait également un sens philosophique dans l’enquête du dialogue, pourvu que ce contenu ait pu être saisi sans trop de difficultés par les lecteurs de Platon, ce qui n’est pas invraisemblable s’il s’adressait surtout à des aspirants philosophes dans le Théétète. Mais, contrairement aux exemples de connaissance philosophique dans la digression, le contenu et la valeur mathématiques de la classification de Théétète sont aujourd’hui très discutés : voir les deux articles cités dans la présente note et leurs bibliographies, ainsi que B. Vitrac, « Les formules de la “puissance” (dunamis, dunasthai) dans les mathématiques grecques et dans les dialogues de Platon », dans M. Crubellier, A. Jaulin, D. Lefèbvre, P.-M. Morel (éd.), DYNAMIS. Autour de la puissance chez Aristote, Louvain-la-Neuve, Peeters, 2008, p. 73-148.
43 Voir G. Fine, Plato on Knowledge and Forms, op. cit., p. 243-244 et D. El Murr, « Desmos et logos : de l’opinion droite à la connaissance… », art. cit., p. 158-159. Sur les lettres et la lecture comme modèle épistémologique chez Platon (dans le Cratyle, Théétète, Sophiste, Politique, Philèbe), voir la synthèse suggestive de V. Goldschmidt, Le paradigme dans la dialectique platonicienne, Paris, P.U.F., 1947, réédition Paris, Vrin, 1985, p. 66-72 et l’analyse de V. Harte, Plato on Parts and Wholes…, op. cit., p. 34-39, 143-156, 199-208.
44 Cf. supra, p. 236-238.
45 Voir Timée 28c4 ou 30b5.
46 Voir Sophiste, 219c2, 219e1 ou 221b6 pour ὅλον employé pour désigner une totalité complète ensuite divisée selon ses espèces, par exemple « l’ensemble des arts ».
47 Verity Harte a bien montré comment l’idée de structure est introduite par Platon dans le Sophiste. On peut simplement souligner que le terme qui y indique l’importance de l’organisation syntaxique des lettres dans les mots, συναρµόττειν (V. Harte, Plato on Parts and Wholes…, op. cit., p. 150-156 et 171 à propos de Sophiste, 253a) est déjà présent dans la définition que donne Socrate du composé (ἡ συλλαβή) comme µία ἰδέα ἐξ ἑκάστων τῶν συναρµοττόντων στοιχείων γιγνοµένη ἡ συλλαβή (204a2). Socrate indique donc dès le Théétète l’existence de totalités ayant une structure pour ensuite élaborer son dilemme à partir de totalités qui n’en possèdent apparemment pas (voir p. 241, note 1). Il est dès lors difficile de ne pas supposer que Platon signale ainsi une piste pour dépasser les limites de l’entreprise maïeutique du Théétète et qu’il suit cette piste, comme celle de la fin de la première partie, dans le Sophiste. Selon E. Maffi, « Τὸ πᾶν, τὸ ὅλον e la confutazione della terza definizione di ἐπιστήµη alcune considerazioni su Teeteto 203a1-208b10 », Plato : The Internet Journal of the International Plato Society 7, 2007, le dilemme serait dépassé et la notion de structure déjà reconnue dans le Théétète avec la définition de la syllabe comme « forme unique », mais surtout avec le second sens de logos et l’exemple du chariot qui mobilise l’idée d’οὐσία d’un ὅλον (207c1-2). Il me semble cependant que le « parcours des éléments » introduit par Socrate en 207a-c ne requiert pas la prise en compte de l’articulation fonctionnelle de ces éléments entre eux et qu’il est tout aussi difficile de lire celle-ci dans la simple mention de l’οὐσία. On a là au mieux un nouvel exemple d’ensemble dont la connaissance devrait passer par la saisie de son organisation interne.
48 Phédon, Banquet, République, Cratyle, Phèdre.
49 Pour une présentation de ce débat et de son évolution, voir T. Chappell, Reading, p. 16-21. Parmi les Revisionnists, on trouve Ryle, Robinson, Owen, McDowell et Bostock. Parmi les Unitarians, les platoniciens antiques, Schleiermarcher, Diès, Ross, Cherniss, Cornford et Brisson.
50 Voir les références données dans le premier chapitre, p. 66-67.
51 Voir V. Goldschmidt, Les dialogues de Platon, op. cit., p. 64-68 qui parle de « détour essentiel » et H. Thesleff, Platonic Patterns, Las Vegas, Parmenides Publishing, 2009 qui parle de pedimental composition. Les meilleurs exemples en sont sans doute le Phédon, la République et le Sophiste.
52 Pour un bilan récent, voir F. Ferrari, « Aporia e maieutica nel Teeteto di Platone », in I. Männlein-Robert, W. Rother, S. Schorn et C. Tornau (ed.), Philosophus orator. Rhetorische Strategien und Strukturen in Philosophischer Literatur, Basel, Schwabe Verlag, 2016, p. 63-84.
53 Je préfère éviter de parler de « dialogue aporétique », car le Théétète ne s’achève pas sur un constat d’échec ni sur un appel à continuer la recherche, mais au contraire sur l’affirmation que l’objectif fixé, à savoir l’accouchement et l’examen des opinions de Théétète sur la science, a été réalisé et que ce résultat est tout à fait bénéfique (210b-c). Tout juste Socrate reconnaît-il que son art maïeutique ne peut aller plus loin, mais le contraste entre son ignorance et les « grands et merveilleux hommes » d’aujourd’hui et d’autrefois (210c5-6) pourrait bien être ironique, puisque Socrate ne s’est pas privé de réfuter de tels hommes dans le dialogue. Néanmoins, le dialogue a commencé par poser la question de la nature de la science (145a) avant de soumettre cet objectif au cadre maïeutique, qui, en outre, n’implique pas nécessairement un résultat négatif. Le dialogue demeure donc orienté par la recherche d’une issue positive, d’une définition satisfaisante de la science.
54 D. Sedley, « Three Platonist Readings ofthe Theaetetus », in C. Gill et M.-M. McCabe (eds), Form and Argument in Late Plato, op. cit., p. 88-89 met en évidence une interprétation antique du Théétète (signalée par Proclus) comme une réfutation de Protagoras. Récemment, voir U. Zilioli, « The wooden horse », in G. Boys-Stones, D. El Murr et C. Gill (eds), The Platonic Art of Philosophy, op. cit., p. 167-185 et surtout A. Balansard, Enquête, p. 15-16.
55 Par contraste, certains interprètes ne voient aucun inconvénient à tenir le Théétète pour l’un des dialogues « aporétiques » écrits par Platon au début de sa carrière : voir par exemple P. Natorp, Platons Ideenlehre, op. cit., p. 90-91 qui place le Théétète dans ce groupe, même s’il considère déjà que le dialogue offre des résultats positifs à qui sait le lire. Il adopte donc ce que j’appelle la seconde lecture.
56 Il s’agit le plus souvent de dialogues antérieurs comme le Ménon ou la République.
57 Il faut mentionner ici la lecture (signalée par M. Burnyeat, Introduction, p. 304) selon laquelle le Théétète consignerait l’incapacité de Platon à définir la science au moment où il écrit le Théétète. Elle considère l’échec du dialogue comme réel et sincère (aucune définition satisfaisante n’est cachée dans le dialogue ou dans des dialogues antérieurs) mais comme contingent et insatisfaisant, dans la mesure où Platon aurait estimé qu’il était nécessaire de proposer une définition de la science. Cette lecture peut donc être considérée comme une variante de la première lecture, qui tient le dialogue pour simplement et seulement critique.
58 Voir D. Sedley, « Three Platonist Readings of the Theaetetus », art. cit., p. 86-88.
59 Voir, dans l’ordre chronologique, A. Nehamas, « Epistémé and logos in Plato’s Later Thought », Archiv für Geschichte der Philosophie 66, 1984, p. 11-36, M. Dixsaut, Naturel, p. 299-309, F. Trabattoni, « Λόγος e δόξα : il significato della confutazione della terza definizione di ἐπιστήμη nel Teeteto », art. cit. et « Qual è il significato del Teeteto platonico ? In margine a una nuova traduzione commentata del dialogo », Elenchos 33 (1), 2012, p. 69-107, C. Rowe, Plato and the Art of Philosophical Writing, Cambridge, Cambridge University Press, 2007, chap. 8 ; C. Rowe, « La fin du Théétète », dans D. El Murr (éd.), La mesure du savoir…, op. cit., p. 173-188 et F. Teisserenc, « Pourquoi n’y a-t-il pas de définition de la science ? Une lecture aporétique du Théétète », dans D. El Murr (éd.), La mesure du savoir…, op. cit., p. 189-222. Nehamas, Dixsaut et Teisserenc soutiennent chacun à leur manière que la science ne peut ou ne doit pas être définie selon Platon, parce que toute définition s’avèrerait inutile, trompeuse ou absurde. Quant à Trabattoni et Rowe, ils soutiennent chacun à leur manière que la troisième définition de la science est juste si on la comprend bien, mais mérite néanmoins d’être réfutée pour montrer qu’elle n’est pas la science infaillible, accessible uniquement à l’âme séparée du corps. Ces deux dernières interprétations, en particulier celle de Rowe, pourraient donc être considérées comme intermédiaires entre la deuxième et la troisième lectures de « l’aporie » du Théétète, car elles y trouvent une définition acceptable de notre connaissance mais ne tiennent pas son échec final pour une ruse pédagogique.
60 M. Dixsaut, Naturel, p. 303. Cf. A. Nehamas, « Epistémé and logos in Plato’s Later Thought », art. cit., p. 231 qui critique le « modèle additif de la science » selon lequel « la science est atteinte quand un second facteur, indépendant, est associé à l’opinion vraie » (je traduis). Voir aussi M. Dixsaut, « Du logos qui s’ajoute à l’opinion au logos qui en libère », art. cit. ; D. El Murr, « Desmos et logos », art. cit. et F. Ferrari, « L’interpretazione del Teeteto e la natura della epistemologia platonica. Alcune osservazioni », Elenchos 34 (2), 2013, p. 410-419.
61 Parménide, 136e1-3 (trad. L. Brisson légèrement modifiée).
62 G. Fine, Plato on Knowledge and Forms : Selected Essays, Oxford, Oxford University Press, 2003, p. 227-228 et 249-251, qui parle d’un interrelation model of knowledge, défendu dans d’autres dialogues antérieurs (Ménon, Phédon, République) et postérieurs (Sophiste, Politique, Philèbe).
63 186b8-9 : τῇς ἐναντιότητος αὐτὴ ἡ ψυχὴ ἐπανιοῦσα καὶ συμβάλλουσα πρὸς ἄλληλα κρίνειν πειρᾶται ἡμῖν.
64 Je rejoins donc les commentateurs qui ont à la fois approuvé la thèse de Gail Fine, « Knowledge and Logos in Theaetetus », The Philosophical Review 88 (3), 1979, p. 366-397, selon laquelle Platon développe un modèle relationnel de la connaissance, et douté qu’il soit présent dans le Théétète et/ou qu’il permette, comme le pense Gail Fine, de résoudre le problème final de la circularité de toute définition de la science à partir de l’opinion vraie : voir A. Nehamas, « Epistémé and logos in Plato’s Later Thought », art. cit., p. 231 et 235-236, D. Frede, « The Soul’s Silent Dialogue : A non-aporetic reading of Plato’s Theaetetus », art. cit., p. 34, D. Bostock, Plato’s Theaetetus, Oxford, Clarendon Press, 1988, p. 249-250, D. Sedley, Midwife, p. 168 et F. Trabattoni, « Fondazionalismo o coerentismo ? In margine alla terza definizione di ἐπιστήμη del Teeteto », in G. Mazzara e V. Napoli (ed.), Platone. La teoria del sogno nel Teeteto. Atti del Convegno Internazionale, Palermo 2008, Sankt Augustin, Academia, 2010, p. 295-317.
65 Voir Sophiste, 253a-d avec V. Harte, Plato on Parts and Wholes…, op. cit., p. 175-177.
66 Voir par exemple C. Kahn, Plato and the Post-Socratic Dialogue, op. cit., p. 112-114.
67 Voir C. Kahn, « Why is the Sophist a sequel to the Theaetetus ? », Phronesis 52, 2007, p. 33-57. Sur les rapports entre le Socrate du Théétète et l’Etranger dans le Sophiste, voir A. A. Long, « Plato’s Apologies and Socrates in the Theaetetus », art. cit., p. 129-136. Sur ses rapports avec l’Etranger dans le Politique, voir M. Lane, « “Emplois pour philosophes” : l’art politique et l’Étranger dans le Politique… », art. cit.
68 Voir p. 155-158.
69 Le Sophiste pourrait certes être très postérieur au Théétète et Platon n’aurait dans ce cas certainement pas eu en tête les arguments du second quand il a écrit le premier. Il pouvait cependant déjà avoir à l’esprit pluisieurs pistes à suivre pour aller plus loin. Le report de la discussion (demandée par Théétète) sur les Éléates en 183e-184a suggère que Platon prévoyait dès la rédaction du Théétète une suite du type du Sophiste, comme le notait déjà Schleiemarcher, Introduction aux dialogues de Platon…, op. cit., p. 253. Voir aussi à ce sujet les arguments de D. Sedley, Midwife, p. 181 et C. Kahn, « Why is the Sophist a sequel to the Theaetetus ? », art. cit., p. 41.
70 Sophiste, 253c cité en exergue de cet ouvrage, p. 5.
71 Rappelons que l’on trouve également une allusion à la digression et même au point de vue de surplomb en ouverture du Sophiste : « ceux qui sont réellement des philosophes – et non pas ceux qui le sont faussement – regardent d’en haut la vie des gens d’ici-bas » (216c, trad. N. Cordero).
72 Le seul autre exemple de « science » que donnera le dialogue est celle, d’origine divine, dont la nature a besoin pour engendrer les animaux et les plantes (265c8). Il est vrai que la dialectique est reconnue par Théétète comme « la science la plus importante » (253c5 : τῆς µεγίστης) et que l’Étranger explicite plus loin le présupposé de cette caractérisation, à savoir le fait qu’il existe plusieurs arts et sciences (Sophiste, 257d2 : διὸ πολλαὶ τέχναι τ’ εἱσὶ λεγόµεναι καὶ ἐπιστῆµαι, cf. Théétète 146d-147c) : s’agirait-il d’une rupture avec la République, qui ne reconnaissait ce dernier titre qu’a la dialectique, et d’un pas vers la thèse de la pluralité des sciences, qui sera celle d’Aristote ? Sur la division des sciences dans le Politique, voir D. El Murr, Savoir et gouverner…, op. cit., p. 91-114.
73 Voir A. Nehamas, « Epistémé and logos in Plato’s Later Thought », art. cit., p. 237-241, qui soutient que tout en poursuivant l’analyse du logos dans les dialogues postérieurs au Théétète, Platon estime (à partir du Théétète) que toute réponse « unitaire » à la question « qu’est-ce que la science ? » serait « trompeuse ou au minimum ne nous donnerait pas d’information ». M. Burnyeat, Introduction, p. 311-312 suggère également une piste de lecture de l’échec final qui relativise l’objectif de définir la science par ses éléments et invite à une analyse de la connaissance d’un autre ordre (en termes de facultés de l’esprit). Cf. C. Kahn, Plato and the Post-Socratic Dialogue, op. cit., p. 139.
74 M. Dixsaut, Naturel, p. 301.
75 D. Bostock, Plato’s Theaetetus, op. cit., p. 248 note également que lorsque Platon développe l’interrelation model of knowledge dans le Sophiste ou le Philèbe, il attribue la capacité de saisir comment les choses se combinent à la dialectique ou au philosophe.
76 Sur le fait que l’absence du Philosophe n’est pas contigente, voir M. Dixsaut, Naturel, p. 362-363 et récemment M. L. Gill, Philosophos. Plato’s Missing Dialogue, op. cit., p. 1-13, qui ne considère cependant la digression que comme une étape du Théétète (évoquant une conception parménidienne de la connaissance, qui serait réfutée par Platon dans le Sophiste), et jamais comme l’une des intimations of the philosopher proposées par Platon (ibid., 203-206), alors que le passage du Sophiste sur « la science des hommes libres » (253cb9) qu’elle mentionne fait clairement référence à la digression (L. Mouze, Chasse à l’homme et faux-semblants…, op. cit., p. 123). Pour autant, la digression ne peut être assimilée à « une présentation résumée, rhétorique même, d’une véritable enquête visant à définir dialectiquement la vie contemplative du philosophe » (J.-L. Périllié, « Ascèse, contemplation et dialectique définitionnelle dans le portrait du philosophe du Théétète », art. cit., p. 148). Il me semble qu’elle montre au contraire l’impossibilité d’un tel compromis entre rhétorique et dialectique. Elle fournit même sans doute l’une des raisons pour lesquelles le philosophe ne peut pas faire l’objet d’une enquête similaire à celles du Sophiste et du Politique, comme le montre bien M. Lane, « “Emplois pour philosophes” : l’art politique et l’Étranger dans le Politique… », art. cit., p. 339-341 : le seul paradigme adéquat pour définir le philosophe serait le dieu (cf. infra, p. 46 et 185-189).