1 En outre, on a vu que le loisir peut être occupé de plusieurs manières, si bien qu’on ne peut pas présupposer qu’il conduit nécessairement à la philosophie selon Platon. Voir L. Isebaert, « Le loisir chez Platon », art. cit., p. 305-307.
2 172d5-6 : ὥσπερ ἡμεῖς νυνὶ τρίτον ἤδη λόγον ἐκ λόγου μεταλαμβάνομεν. Voir p. 39 pour une première analyse de ce passage.
3 Il est vrai qu’en 172d6, cité dans la note précédente, l’expression est reprise mais le sujet et l’objet sont inversés.
4 Voir S. Benardete, The Being of the Beautiful, Chicago, University of Chicago Press, 1984, p. 130 (« Theodorus wants to be the jury »), R. Rue, « The Philosopher in flight : the Digression in Plato’s Theaetetus », art. cit., p. 93-94 et P. Stern, Knowledge and Politics in the Theaetetus, op. cit., p. 165. En corrigeant cette conception de la liberté du philosophe, il ne s’agit pas de nier qu’il existe un plaisir propre à la connaissance chez Platon, qui est même supérieur à tous les autres plaisirs : sur sa nature et son explication dans la République et le Philèbe, en particulier la question de savoir s’il vient de l’apprentissage en tant que tel ou de la saisie de la vérité, voir J. Warren, The pleasures of reason in Plato, Aristotle and the Hellenistic hedonists, Cambridge, Cambridge University Press, 2014, p. 20-51.
5 Théodore aime assister à la discussion mais ne veut pas prendre le risque d’y participer, comme Socrate le lui reproche en faisant une analogie avec la palestre (162b). Théodore aborde donc le dialogue philosophique comme une sorte de spectacle, ce qui est tout à fait cohérent avec le fait qu’il évalue la discussion à l’agrément qu’elle lui procure. Il sera finalement obligé de remplacer Théétète afin que Protagoras soit correctement défendu (168d-169c, où revient l’analogie de la palestre et l’interdit spartiate de regarder les athlètes nus sans se dénuder soi-même et participer). Sur le rôle de Théodore dans cettte réfutation, voir infra, p. 209-210.
6 Voir par exemple le moment où le besoin d’un nouvel examen plus rigoureux a été établi, suite à une objection de Protagoras (162d5-163a1), et où Socrate précise (163a7-10) : « Alors voici par où examiner si, donc, science et sensation sont identiques ou différentes. Car c’est à cela (εἰς γὰρ τοῦτό) en somme, que tendait tout ce que nous avons dit, et c’est pour ce motif (τούτου χάριν) que nous avons mis en branle cette foule d’étrangetés, n’est-ce pas ? » (trad. M. Narcy).
7 On laisse de côté dans ce qui suit les nombreux parallèles, dans d’autres dialogues, avec les passages réflexifs du Théétète qui vont être examinés afin de montrer que la digression est étroitement liée à tout le dialogue au centre duquel elle se trouve. Si la digression explicite les principes du dialogue entre Socrate, Théodore et Théétète, ces principes valent évidemment pour d’autres dialogues dans la mesure où leurs interlocuteurs sont philosophes, ce qui n’est pas toujours le cas dans les premiers dialogues et ceux de la maturité.
8 P. Demont, Cité, p. 303-304.
9 ἐξετάζω est utilisé au parfait pour les sophistes (ἐξητακότες), qui n’ont plus rien à examiner.
10 Sur le lien entre loisir et patience chez Platon, voir L. Isebaert, « Le loisir selon Platon », art. cit., p. 302-303.
11 J’adopte l’analyse et la majeure partie de la traduction de C. Titli, L’abandon de l’enfant dans la civilisation et la littérature grecques jusqu’à la fin du quatrième siècle, thèse de doctorat en études grecques soutenue en 2009 à l’Université Paris IV-Sorbonne, sous la direction de P. Demont, p. 50-68, qui fournit également un état de la question très éclairant sur la cérémonie des amphidromies.
12 161e6-7 et 162a1 cités supra p. 51 : σύμπασα ἡ τοῦ διαλέγεσθαι πραγματεία (…) μακρὰ μὲν καὶ διωλύγιος φλυαρία.
13 Voir aussi 190e8-191a6 où Socrate refuse d’expliquer à Théétète les absurdités qui résultent de la non-existence de l’opinion fausse « avant de m’être essayé à examiner la question de toutes parts » (πρὶν ἂν πανταχῇ πειραθῶ σκοπῶν) et d’avoir cherché « une issue » à l’apparente impossibilité de l’opinion fausse.
14 Sur l’existence d’un mauvais étonnement, liée à la sophistique, et la nécessité de dépasser l’étonnement dans un dialogue, voir M. Dixsaut, Naturel, p. 303-304. Dans la digression, le philosophe en donne un exemple lorsqu’il estime que « dix mille plèthres de terre » n’est pas « une propriété d’une taille étonnante » (θαυμαστὰ πλήθει) car il est « habitué à porter le regard sur la terre entière » (174e2-5).
15 Sur l’ambiguïté voire l’inévitabilité de l’éristique dans la réfutation de Protagoras, voir M. Narcy, « Why was the Theaetetus written by Euclides ? », art. cit., p. 150-166.
16 Suite du passage cité p. 199
17 Anthony A. Long, « Plato’s Apologies and Socrates in the Theaetetus », art. cit., p. 127 : « His treatment of Protagoras, though tinged with irony, is immensely searching. Plato has never been as careful as he is here in handling a thesis he intends to refute ». Certains interprètes ont même estimé que Platon doit approuver la conception protagoréenne ou héraclitéenne du sensible et de la sensation présentée en 155d-157c, car une aussi longue analyse serait une vaine perte de temps (futile dit F. Cornford, Theory, p. 49) si elle était seulement critique. Mais le loisir et la liberté du philosophe se manifestent également dans de tels discours à la fois minutieux et sans utilité positive apparente. Sur la dilatation du temps qui résulte de la méthode d’analyse des discours du Théétète, voir L. Palumbo, « Struttura narrativa e tempo nel Teeteto », art. cit.
18 P. Stern, Knowledge and Politics in the Theaetetus, op. cit. et M. Dixsaut, « Macrology and digression », art. cit., p. 20.
19 Sur l’expression πάλιν ἐξ ἀρχῆς dans les dialogues et ses différentes significations, voir P. Grenet, « Note sur la structure du Lachès », Mélanges de philosophie grecque offerts à Mgr Diès, Paris, Vrin, 1956, p. 121-128. On peut trouver des méandres et retours au point de départ similaires à ceux du Théétète ou du Lachès dans des dialogues non aporétiques comme le Phédon, la République (voir D. Sedley, « Socratic intellectualism in the Republic’s central digression », in G. Boys-Stones, D. El Murr et C. Gill (eds), The Platonic Art of Philosophy, op. cit., p. 70-89), le Sophiste ou le Politique (voir 286b-c). La circularité du Théétète n’est donc pas liée à sa dimension maïeutique mais essentielle au dialogue philosophique : voir M. Dixsaut, art. cit., p. 19-21. Sur le loisir et les retours aux points de départ dans l’enquête des Lois, voir l’analyse très éclairante d’E. Jouët-Pastré, Le jeu et le sérieux dans les Lois de Platon, Sankt Augustin, Academia Verlag, 2006, p. 110-118.
20 Dans le cas de l’erreur, il s’agit en outre d’une question qui a déjà été abordée dans le dialogue lui-même selon Socrate, qui fait probablement référence à 170c-171b. Ce qui suit le passage qui vient d’être cité est donc à la fois un détour et une reprise.
21 La seconde option est défendue par M. Narcy, « Pourquoi l’erreur ? », dans D. El Murr (éd.), La mesure du savoir. Études sur le Théétète, Paris, Vrin, 2013, p. 95-128 à propos de la digression sur l’erreur et même de toute la deuxième partie du Théétète, qui serait entièrement liée à l’immaturité philosophique de Théétète. Si l’on adopte cette lecture, l’important devient le manque que personnifie Théétète et qui constitue, selon Platon, la cause véritable de l’échec. Je m’en tiens dans ce chapitre à l’analyse des voies et critères de l’enquête et donc au point de vue intradiégétique.
22 On retrouve ici l’effet des exigences de rigueur de l’enquête dialectique : si le philosophe ne s’étonnait pas et ne regardait pas les arguments de près pour trouver « ce qui est », il pourrait traiter bien des sujets sans digresser. Cf. République, VI 504c (cité par D. Babut, « Platon et Protagoras », art. cit., p. 55 qui y voit une allusion à Protagoras) où Adimante déclare « l’exposé satisfaisant » et Socrate répond (trad. G. Leroux) : « quand il s’agit de sujets de ce genre, une mesure qui s’écarte si peu que ce soit de ce qui est ne peut s’avérer satisfaisante ; car aucune mesure imparfaite ne saurait être la mesure de quoi que ce soit. Cependant, il y a parfois des gens qui estiment que cela déjà est suffisant et qu’il ne sert à rien de pousser la recherche plus avant ». On va revenir sur cet usage polémique que fait le Théétète de l’exigence de scholé propre à l’enquête dialectique.
23 Platon n’ignore certainement pas qu’il est tout à fait possible et parfois utile pour un discours rhétorique ou poétique de digresser (dans certaines limites) : A. Miller, « Pindar, N. 4. 33-43 and the Defense of Digressive Leisure », art. cit. compare par exemple une digression et ses justifications chez Pindare, Néméennes IV, 33-43 à celle du Théétète et à une autre chez Isocrate, Panathénaïque 74-87.
24 Voir 147b10-c6, où Socrate note que répondre « par un nom d’art quelconque » à la question « qu’est-ce que la science ? » revient à « effectuer un détour par un chemin sans fin » (περιέρχεται ἀπέραντον ὁδόν) au lieu de « répondre de manière simple et courte ». Errer à loisir au sein du multiple est un mauvais détour.
25 Voir 185e5, où Socrate loue Théétète : « tu m’as rendu le service de me dispenser d’une très longue discussion (μάλα συχνοῦ λόγου), si c’est là ce qui t’apparaît (…). Car moi aussi, c’était mon opinion, mais je voulais que ce soit aussi la tienne ».
26 Sur les injonctions et l’autonomie du logos, qu’il s’agit de suivre, voir J. Laborderie, Le dialogue platonicien de la maturité, Paris, Les Belles Lettres, p. 133-147. Cf. P. Demont, Cité, p. 300 qui parle de « ne pas laisser échapper une idée, de la suivre jusqu’au bout » et L. Mouze, Chasse à l’homme et faux-semblants dans le Sophiste…, op. cit., p. 29-30, 105-107 sur la métaphore du cheminement par le logos chez Platon.
27 Pour une explicitation, suscitée par la crainte d’avoir trop digressé, des critères qui permettent au dialecticien de choisir entre divers parcours et de juger correctement de leur longueur ou de leur brièveté, voir Politique, 286c-287a avec D. El Murr, Savoir et gouverner…, op. cit., p. 36-41 : le critère ultime est de « rendre les auditeurs plus habiles à utiliser la dialectique et plus capables de trouver le moyen de mieux faire apparaître par le discours ce que sont les choses » (287a3-4, trad. L. Brisson, J.-F. Pradeau), la facilité et la rapidité à trouver une solution est un critère secondaire, et le plaisir est un critère accessoire.
28 Paul Demont néglige cette réplique, mais souligne déjà, à partir de l’analyse du Charmide, 160b9-d3, que l’opposition entre Platon et les mobilistes n’est pas absolue : « La tranquillité est en fait pour Platon la meilleure des choses, mais s’il s’agit de l’âme, et à la condition de bien en préciser le sens ; cette tranquillité-là en effet, loin de faire obstacle au mouvement et à l’activité, est la condition d’une bonne activité de l’âme » (Cité, p. 312-313).
29 Voir P. Demont, Cité, p. 300 sur le contraste, dans les dialogues, entre l’affairement des sophistes et la quasi-nonchalance de Socrate.
30 Sur l’assimilation implicite de Protagoras aux orateurs dans la digression, voir supra, p. 81-84.
31 Voir en particulier 162d5-163a1, 166a1-b2, 167e1-168b et supra, p. 53-54.
32 H. Joly, Le renversement platonicien. Logos, épistémè, polis, Paris, Vrin, 1974, p. 153 : « Dans tout le Théétète, mais surtout dans la première partie, Socrate pratique l’art du commentaire », cherchant ce que Protagoras veut exactement dire par ses paroles (cf. 155d-e). Voir M.-A. Gavray, « Comment ne pas interpréter un fragment philosophique : le dialogue avec Protagoras dans le Théétète », dans D. El Murr (éd.), La mesure du savoir. Études sur le Théétète, Paris, Vrin, , 2013, p. 25-48.
33 169c4-7, trad. M. Narcy : « Je ne te contredis pas davantage : allons, conduis-moi dans la voie où tu veux m’entraîner ; le destin qu’en la matière tu m’auras assigné, il me faut l’endurer complètement, en me laissant interroger. Cependant, je ne serai pas disposé à te laisser disposer de moi au-delà de ce que tu proposes ».
34 183c4-7, trad. M. Narcy : « Très bien parlé, Socrate. Car la boucle est bouclée : moi aussi, qui ai tenu pour toi le rôle de répondant, il fallait, selon nos conventions, que je sois libéré une fois que la discussion sur ce qu’a dit Protagoras aurait trouvé un terme ».
35 Voir D. Babut, « Platon et Protagoras… », art. cit., p. 72, R. Bemelmans, « Why Does Protagoras Rush Off ? Self-Refutation and Haste in Plato, Theaetetus 169a-171d », Ancient Philosophy 22 (1), 2002, p. 76 et 83-84, L. Castagnoli, « Protagoras refuted… », art. cit. et l’état de la question dans A. G. Long, « Refutation and Relativism in Theaetetus 161-171 », Phronesis 49 (1), 2004, p. 37-39.
36 Un peu plus loin, juste avant la digression, Socrate évoque la « pratique de la sagesse » de « ceux qui ne veulent pas reprendre [à leur compte] la totalité de la doctrine de Protagoras (μὴ παντάπασι τὸν Πρωταγόρου λόγον λέγωσιν) » (172b7). Si l’expression introduit une version atténuée du relativisme, on pourrait également y lire une allusion au fait que les protagoréens ne se préoccupent pas de suivre jusqu’au bout les conséquences des positions qu’ils adoptent, comme en témoignera le fait que la réfutation par le futur s’applique à la fois au relativisme de Protagoras et au relativisme social (supra, p. 38).
37 Ibid., p. 24-30 et supra, p. 51.
38 Il s’agit sans doute soit de l’attitude et des discours du philosophe, ridiculisés par les orateurs dans la troisième partie de la digression, soit des reproches que Socrate vient d’adresser à leur vie et leurs valeurs.
39 168a5-6 : φεύξονται ἀφ’ ἑαυτῶν εἰς φιλοσοφίαν. Voir infra, p. 53-55.
40 Voir M. Narcy, Théétète, p. 347, n. 285, qui remarque que cette apostrophe est également utilisée à l’orée de la digression (172c3) et l’interprète à chaque fois comme s’appliquant aux propos de Théodore. D. Sedley m’a suggéré quant à lui que cet encadrement pourrait confirmer l’importance du thème de la divinisation du philosophe dans la digression.
41 Le dialogue a déjà souligné la capacité extraordinaire de Socrate (cf. 177b4 : ἀτόπως) à obliger ceux qu’ils croisent, aussi peu philosophes soient-ils, à « rendre raison » de leurs opinions, comme Théodore en a fait l’expérience un peu plus tôt, comparant Socrate à Antée (169a6-b4). Socrate approuve et confesse avoir déjà affronté des milliers de héros « à la parole implacable » (καρτεροὶ πρὸς τὸ λέγειν) sans leur avoir cédé.
42 Sur le rôle de l’éducation dans ce passage et dans le Théétète, voir S. Delcomminette, « Quel rôle joue l’éducation dans la perception ? », dans D. El Murr (éd.), La mesure du savoir. Études sur le Théétète, Paris, Vrin, 2013, p. 75-94, qui fait le rapprochement avec la digression et compare les deux textes aux analyses de République, VII et du Sophiste.
43 Sur cet argument et ses différentes interprétations, voir G. Fine, « Plato on the grades of perception : Theaetetus 184-186 and the Phaedo », Oxford Studies in Ancient Philosophy 53, 2017, p. 70-76.
44 Ce détour déjà évoqué sur la nature de l’erreur pourrait d’ailleurs avoir pour fonction de souligner, en écho au passage sur la réfutation de l’orateur (177b), l’inadéquation de toute conception de la connaissance qui n’expliquerait pas nos erreurs ou croyances fausses et qui rendrait ainsi impossibles leur correction et une progression méthodique de l’ignorance vers le savoir (188a1-6). Il s’agissait déjà d’un défaut presque explicite de la doctrine de l’homme-mesure, puisqu’elle rend chacun « autosuffisant pour ce qui est de l’intelligence » (169d5).
45 Elle est signalée par M. Burnyeat, Introduction, p. 167 et D. Sedley, Midwife, p. 150.
46 M. Narcy, « Socrate et Théétète font-ils le même rêve ? », in G. Mazzara et V. Napoli (ed.), Platone. La teoria del sogno nel Teeteto. Atti del Convegno internazionale Palermo 2008, Sankt Augustin, Academia, 2010, p. 266 remarque que la thèse est également accordée par Gorgias (Gorgias, 455a, où le manque de temps est invoqué pour limiter la rhétorique à la persuasion) et imagine donc que Théétète a entendu parler de ce dialogue (dont il tirerait ensuite le logos comme critère de la définition de la science), alors qu’il est beaucoup plus plausible de supposer que la référence est à la description de la digression.
47 201b7-c2 : Oὐκοῦν ὅταν δικαίως πεισθῶσιν δικασταὶ περὶ ὧν ἰδόντι μόνον ἔστιν εἰδέναι, ἄλλως δὲ μή, ταῦτα τότε ἐξ ἀκοῆς κρίνοντες, ἀληθῆ δόξαν λαβόντες, ἄνευ ἐπιστήμης ἔκριναν, ὀρθὰ πεισθέντες, εἴπερ εὖ ἐδίκασαν ; Sur la fonction, la définition et la fiabilité des témoins dans les procès athéniens, voir N. Siron, Témoigner et convaincre. Le dispositif de vérité dans les discours judiciaires de l’Athènes classique, Paris, Éditions de la Sorbonne, 2019, p. 58-87 et 175-205.
48 M. Burnyeat, « Socrates and the Jury : Paradoxes in Plato’s Distinction between Knowledge and True Belief », The Proceedings of the Aristotelian Society suppl. vol. 54, 1980, p. 176-179 et Introduction, op. cit., p. 168-170.
49 Telle est la solution esquissée à la fin de sa seconde partie par Myles Burnyeat, « Socrates and the Jury : Paradoxes in Plato’s Distinction between Knowledge and True Belief », art. cit., p. 179-180 : « teaching cannot convey knowledge ».
50 En 186c7-d5, la vérité ou « rencontre avec ce qui est » est une condition nécessaire de la science, que la sensation ne remplit pas, mais elle n’est pas présentée comme une condition suffisante. De même, 201b7-8 n’implique pas que le témoin oculaire possède la science de ce sur quoi les jurés ont une opinion vraie, mais juste que le fait d’avoir été témoin est une condition nécessaire pour avoir la science. Comme le note déjà M. Burnyeat art. cit., p. 190, le passage 201b7-8 ne contredit donc pas 186c7-d5, puisqu’il n’affirme pas que la vue est la science dans le cas des faits jugés par le procès. En revanche, il existe un débat ancien sur la question de savoir si 201b7-8 contredit la thèse apparemment défendue par la République selon laquelle il ne peut pas y avoir de science portant sur les choses sensibles : voir le bilan de T. Chappell, Reading, p. 194-195.
51 F. Trabattoni, « Theaetetus, 200d-201c : Truth without Certainty », in A. Havlicek, F. Karfik, S. Spinka (eds), Plato’s Theaetetus. Proceedings of the sixth Symposium Platonicum Pragense, Prague, OIKOYMENH, 2009, p. 250-273. Voir aussi E. Maffi, Lo spazio della filosofia : un’analisi del Teeteto platonico, Napoli, Loffredo Editore, 2014, p. 211-222.
52 F. Trabattoni, art. cit., p. 269-270 ainsi que « Λόγος e δόξα : il significato della confutazione della terza definizione di ἐπιστήμη nel Teeteto », Rivista di cultura classica e medievale 48, 2006, p. 21-27. Sur le sens de la fin du dialogue, voir infra, p. 246-248.
53 F. Trabattoni, « Theaetetus, 200d-201c : Truth without Certainty », art. cit., p. 256-258 et 261-266. Voir aussi F. Trabattoni, « Il pensiero come dialogo interiore (Theaet. 189e4- 190a6) », in G. Casertano (ed.), Il Teeteto di Platone : strutture e problematiche, Napoli, Loffredo, 2002, p. 175-187.
54 189e7-190a4 : τοῦτο γάρ μοι ἰνδάλλεται διανοουμένη οὐκ ἄλλο τι ἢ διαλέγεσθαι, αὐτὴ ἑαυτὴν ἐρωτῶσα καὶ ἀποκρινομένη, καὶ φάσκουσα καὶ οὐ φάσκουσα. ὅταν δὲ ὁρίσασα, εἴτε βραδύτερον εἴτε καὶ ὀξύτερον ἐπᾴξασα, τὸ αὐτὸ ἤδη φῇ καὶ μὴ διστάζῃ, δόξαν ταύτην τίθεμεν αὐτῆς.
55 F. Trabattoni, « Theaetetus, 200d-201c : Truth without Certainty », art. cit., p. 268. Contre une telle lecture de la digression comme décrivant un idéal, voir infra, p. 46 et 188.
56 F. Trabattoni, « Theaetetus, 200d-201c : Truth without Certainty », art. cit., p. 258-261.
57 F. Trabattoni le suggère dans ses notes à la traduction du Théétète par A. Capra (Platone, Teeteto, Torino, Einaudi, 2018, n. 197, p. 207-208).
58 J’introduis la notion de « critère », à savoir de principe de distinction objectif et rigoureux, par différence avec un simple « signe ». Que cette distinction soit pertinente dans le Théétète me semble confirmé par le troisième sens de λόγος attribué par Socrate à οἱ πολλοὶ en 208c7-8 : τι σημεῖον ᾧ τῶν ἁπάντων διαφέρει τὸ ἐρωτηθέν. On sait que Socrate montre que la possession d’un tel signe est déjà caractéristique de l’opinion droite. Le temps et l’effort d’acquisition pourraient de même nous donner une opinion droite permettant de reconnaître la science, mais non une véritable définition ou explication « scientifique » de la science.
59 « Theaetetus, 200d-201c : Truth without Certainty », art. cit., p. 261. Je traduis.
60 Sur cette continuité, voir F. Aronadio, L’aisthesis e le strategie argomentative nel Teeteto, Napoli, Bibliopolis, 2016, p. 240-245.
61 Outre Gorgias, 455a, voir Théétète, 178c-d.
62 Voir D. Sedley, Midwife, p. 149-150 à propos du procès. Je reviendrai sur cette thèse cruciale. Pour une lecture différente du procès, qui distingue deux types de connaissance – des faits et de la qualification des faits, par exemple comme justes ou injustes – et relativise la première (possédée seulement par le témoin), voir C. Rowett, Knowledge and Truth in Plato, op. cit., p. 241-248.
63 F. Aronadio, L’aisthesis…, op. cit., p. 238 remarque justement à propos du procès que le loisir est loin d’être la seule chose qui distingue le discours des philosophes de celui des orateurs dans la digression : accorder un temps illimité aux seconds ne leur permettrait pas ipso facto d’échapper aux autres aspects de leur esclavage. D’autres conditions sont requises : voir 177b analysé supra, p. 212-213.
64 Le fait que le dialogue intérieur de l’âme aboutisse à une opinion quelle que soit sa durée (190a2 : εἴτε βραδύτερον εἴτε καὶ ὀξύτερον ἐπᾴξασα) ne signifie pas que les contraintes temporelles (clepsydre ou loisir) sont entièrement indifférentes, mais rappelle plutôt que la vitesse du dialogue ou la longueur de ses discours ne permettent pas de distinguer entre une bonne et une mauvaise opinion, en plein accord avec la digression (172d8 : διὰ μακρῶν ἢ βραχέων μέλει οὐδὲν λέγειν, ἂν µόνον τύχωσι τοῦ ὄντος).
65 Sur ce point, voir à nouveau M. Dixsaut, Naturel, p. 302-303, qui parle du loisir et de la liberté comme « signes de la différence du savoir », qui n’existe que par le philosophe. La liberté n’est effectivement elle aussi qu’un signe si on la réduit à ses manifestations extérieures (changer de type ou d’objet de discours, relever avec élégance son manteau sur l’épaule, etc.), mais, comme l’écrit ensuite M. Dixsaut, « la liberté est l’élément propre de la philosophia » dans le Théétète.
66 Voir Phédon, 102d2-3, où Socrate parle de manière contournée et méticuleuse, et commente en souriant : Ἔοικα, ἔφη, καὶ συγγραφικῶς ἐρεῖν, à savoir « je parle comme un livre » voire « j’ai tout l’air d’être en train de rédiger un contrat » (trad. M. Dixsaut). Aristote, Métaphysique 995a10-12 note que, selon certains, l’exactitude (τὸ ἀκριβὲς) dans les arguments comme dans les contrats a quelque chose d’indigne d’un homme libre (ἀνελεύθερον). Il pense sans doute à des gens comme Isocrate, mais ce sentiment n’est pas étranger à Platon, dont les personnages marquent souvent leur distance à l’égard de tout langage technique, y compris celui qu’ils élaborent eux-mêmes, en particulier dans le Sophiste ou le Politique (par exemple en 261e), comme me l’a suggéré Dimitri El Murr.
67 SSR V A 160 = Epictète, Diss. I 17, 11-12. Voir A. Brancacci, Antisthène, p. 105-113.