Chapitre XII. De la matière comme genre à la matière comme transcendantal : le problème des différences
p. 347-372
Texte intégral
Le programme de Teofilo et la question de l’analogie
1Au début du troisième dialogue, Teofilo adressait cette objection aux « naturalistes » : s’il est vrai qu’aucune chose n’agit sur soi-même, il est nécessaire de distinguer un agent et un patient. Il faut distinguer, dans la nature, une forme ou une âme et une matière1. Ceux qui font des formes des déterminations accidentelles de la matière corporelle ont en partie raison contre les aristotéliciens, mais ils ne peuvent en déduire que « ce qui n’est pas corps n’est rien »2. C’est ainsi que Teofilo dénonce la précipitation d’Avicebron qui n’a pas su « reconnaître d’autre forme que l’accidentelle »3 : même accidentelle, la différence doit procéder d’un principe ou d’un agent qu’il définit comme « substantiel ». A la fin du dialogue, cette objection est en partie levée : s’il y a une matière de l’intelligible, cela signifie que la matière n’est pas seulement le réceptacle des formes sensibles, elle définit génériquement tout sujet des formes. Si les « naturalistes » ont raison de faire du principe matériel un principe substantiel d’unité, leur tort est donc de limiter la définition de la substance à la nature corporelle.
2Pourtant, même dans ce cas, l’objection de Teofilo continue de peser. La question du statut des différences demeure entière : si la matière peut être définie analogiquement comme une et commune au sensible et à l’intelligible, il reste à définir le statut à donner à la différence qui « contacte » son unité. L’enjeu est d’importance. Comme le souligne Teofilo à la fin du troisième dialogue, l’unité des deux matières repose en réalité sur une « signification équivoque basée sur l’analogie » (equivocazione analoga). L’analogie qui fonde la réduction à l’unité des deux matières définit-elle l’unité seulement logique d’un genre que la différence divise en deux sujets réellement distincts ? Cette unité doit-elle, au contraire, être pensée comme réelle ? Dans le premier cas, l’univocité du genre est destinée à s’effacer devant des différences réelles et on serait amené à penser comme irréductibles les deux sujets des formes, le monde intelligible et le monde sensible, conformément à la doctrine de l’homonymie développée par Plotin dans les Ennéades consacrées aux genres de l’être. Si, au contraire, l’unité recherchée est réelle, si l’on prétend, comme Teofilo, réduire les deux principes à l’unité d’un seul être et donner un sens ontologique, et non seulement logique, à la thèse de Parménide pour qui « tout est un selon la substance », on se heurte à l’objection d’Aristote qui demande, dans la Physique, d’où procèdent alors les différences. En résumé, la difficulté que doit affronter Bruno dans le dialogue IV est double. Il lui faut résoudre les deux types d’équivocité opposés au monisme parménidien : L’équivocité « platonicienne » d’abord qui ne pense l’unité des deux matières que sur le modèle hiérarchique de la participation, mais aussi l’équivocité aristotélicienne des genres de l’être, qui présente comme irréductible la distinction de la substance et des accidents.
3Dès le début du quatrième dialogue, Teofilo résume la nature de son programme tout en pointant très précisément cette double difficulté qu’il aura à résoudre :
Ne voyons-nous pas que des péripatéticiens, ainsi que des platoniciens, divisent la substance d’après les différences du corporel et de l’incorporel ? De même, donc, que ces différences se ramènent à un seul et même genre qui les a en puissance, de même faut-il que les formes soient de deux sortes : car certaines sont transcendantes, c’est-à-dire supérieures au genre, et sont appelées des principes, tels que l’“entité”, l’“unité”, l’“un”, la “chose”, le “quelque chose” et leurs semblables, tandis que d’autres, appartenant à un certain genre, sont distinctes d’un autre genre, telles la “substantialité”, l’“accidentalité” : les formes première sorte ne différencient pas la matière et ne la distinguent pas en telle et telle autre puissances, mais, en tant que termes absolument universels qui embrassent aussi bien les substances corporelles que les substances incorporelles, elles signifient la substance absolument universelle, absolument commune et unique, des unes et des autres4.
4Cette définition de l’unité de la substance détermine la perspective qui sera celle de l’ensemble des deux derniers dialogues du De la causa, dont Teofilo fixe ici le plan : à la réduction des deux matières à l’unité d’un genre, il faudra faire succéder la réduction des genres de l’être à l’unité « absolument universelle » de l’être parménidien, antérieure à la distinction de la substance et de l’accident. L’unité de l’être comme transcendantal ne doit pas être une unité logique de signification. Ce sont les différences qu’il faut penser comme logique.
5En d’autres termes, le défi est le suivant : il faut penser la différence sans participation ni éminence. C’est là sans doute le point central du programme de Bruno : il faut résoudre la question de la différence, c’est-à-dire le nœud des objections aristotélicienne et platonicienne au monisme parménidien, sans proposer de multiplication réelle de l’Un, sans le secours d’aucune hiérarchie. C’est la raison pour laquelle, au delà de toute précaution rhétorique et de tout effort de conciliation, la métaphysique brunienne de l’Un se caractérise, dans son projet même, comme contraire à toute théologie. Il s’agit fondamentalement de rapporter toute analogie à l’univocité. L’ordre, la hiérarchie, la participation et la transcendance, toutes ces figures de l’éminence, qui sont au fondement de la solution théologique du problème de l’Un, sont relatives au mode de connaissance propre à l’intellect rationnel et discursif qui ne saurait appréhender l’être qu’au moyen des images, des espèces ou des simulacres. Tel est le sens de la thèse de Teofilo pour qui les différences signifient la substance absolument unique. L’ordre est la condition de la pensée et du caractère essentiellement figuratif et spéculatif de notre savoir. La problématique des « noms divins » et de la théologie négative se trouve donc renversée : si la connaissance par signe est la seule possible pour la théologie, cela signifie que son objet n’est ni plus ni moins qu’un effet d’horizon. Plutôt que de s’engager dans cette voie de l’ignorance, Bruno propose de rapporter l’horizon à la figuration qui le détermine, mais surtout à l’être un et infini qui déborde le cadre de l’ordre rationnel. C’est en ce sens que Bruno interprète la thèse qui est au fondement du platonisme de Ficin : l’Un est au delà de l’intelligible. Autrement dit, l’être n’a pas la forme d’un monde, il est la mesure infinie de l’immense.
Avicebron et l’unité de la matière
6On comprend mieux, dans cette perspective, l’intérêt de la démarche d’Avicebron qui subordonne l’ordre et la participation à la définition de l’unité d’un principe d’existence :
Du reste, comme l’a dit Avicebron, « de même qu’avant d’identifier la matière des formes accidentelles, c’est-à-dire le composé, nous identifions la matière de la forme substantielle, matière qui fait partie de ce composé, qu’est-ce qui nous empêche, avant de reconnaître la matière qui est contractée sous les formes corporelles, de reconnaître une puissance susceptible de se différencier en fonction de la forme de nature corporelle et de la forme de nature incorporelle, la première dissoluble, la seconde indissoluble ? » Mieux : si tout ce qui est (en commençant par l’être souverain et suprême) comporte un certain ordre et constitue une hiérarchie, une échelle, où l’on monte des choses composées aux choses simples, et de celles-ci aux choses les plus simples et les plus absolues, en passant par des moyens termes proportionnels et copulatifs qui participent de la nature de l’un et de l’autre extrêmes, tout en ayant une valeur propre indépendante (e secondo la raggione propria neutri), il n’y a pas d’ordre qui ne comporte une certaine participation, ni de participation qui ne comporte une certaine liaison, ni de liaison sans quelque participation : il est donc nécessaire que, pour toutes les choses existantes, il y ait un unique principe d’existence5.
7C’est chez Avicebron que Bruno trouve la clé de son interprétation moniste du platonisme. Toute hiérarchie et toute participation supposent un sujet commun. Il n’y a ni lien ni relation sans un substrat des différences. L’analogie suppose un continuum auquel les différences sont attribuées. On notera que c’est un raisonnement similaire qui a permis, au deuxième dialogue, d’inférer l’unité substantielle de la forme, dont les différentes dénominations, relatives à la multiplicité des opérations, ne définissent que de modalités accidentelles procédant de la cause matérielle. De la même manière, les différences, par lesquelles on définit des degrés de l’être, ne désignent pas des hypostases distinctes, mais doivent être rapportées à un continuum ontologique ou substantiel, c’est-à-dire à l’unité d’un « principe d’existence » ou de « subsistance ». Les différences qui sont à l’origine de la multiplicité des genres de substance renvoient également ici à des modes d’appréhension distincts. L’unité de l’être ouvre donc sur une multiplicité de « dénominations » qui ne le divisent que logiquement. En d’autres termes, la conclusion d’Avicebron conduit à faire de l’être une « espèce parfaite », tout comme la forme du dialogue II.
8Ce monisme « générique » qui rapporte les différences à un continuum ontologique n’est donc pas propre à Bruno qui se réclame ici d’Avicebron, mais également de David de Dinant6. Pour en comprendre mieux les enjeux, mais aussi les limites, on peut rappeler les réfutations dont a été l’objet la doctrine de l’unité de la matière.
a) Albert le Grand et Avicebron
9Dans son commentaire de la Physique, Albert le Grand consacre une question à Avicebron et à la thèse de l’unité du principe matériel. Il demande ainsi : « Utrum omnium corporalium et incorporalium substantiarum sit materia una »7. La thèse est rapportée à la définition aristotélicienne de la matière comme sujet des formes et à l’analogie par laquelle le substrat des formes est inféré : « Materia per analogiam cognoscitur, quia sicut informe in artibus se habet ad formam, sic ipsa se habet in naturalibus. Et ideo ipsa est id quod formatur et distinguitur omni forma, ut dicit Avicebron in libro, quem fontem vitae vocavit (…) quod omnium sit materia una prima ». Le fondement de la thèse se rapporte donc à la déduction du livre I de la Physique, où Aristote fait de la matière le « sujet » universel des formes. Principe ex quo ou a quo de toutes les formes, la matière est donc non seulement le réceptacle des formes corporelles, mais le sujet indifférencié de toute détermination formelle.
10Albert commence par exposer les arguments principaux en faveur de cette thèse :
- Le premier est fondé sur l’idée d’une réduction des différentes espèces à l’unité du genre. Les substances corporelles et incorporelles sont des espèces qui tombent sous l’unité du genre de la substance. De cette unité générique est déduite l’unité de la matière première, commune aux réalités corporelles et incorporelles.
- Le second fait de la matière, non plus un sujet générique et logique, mais un « principe de subsistance » réel : toutes les formes doivent exister dans un sujet qui est unique. On reconnaît dans cet argument la définition donnée par Bruno du « principe de subsistance » commun aux différents ordres de réalité. Toute la question est de savoir quel statut acorder à ce « sujet » : est-il une substance ou non ?
- Le troisième consiste à inférer de la raison à l’être : si, du point de vue de la raison, toute distinction et toute forme suppose un terme informe et indistinct, on peut en déduire qu’il existe un substrat commun et informe qui est le sujet des différences.
- Le quatrième repose sur la définition de la matière comme puissance : la matière est en puissance des différences formelles, comme le genre est en puissance des différences spécifiques. Il faut donc poser, antérieurement aux formes, une puissance antérieure aux différences formelles.
11La réfutation d’Albert se fonde sur la distinction entre deux genres de « formes » : les transcendantaux, tels que l’être, l’un ou la chose, sont antérieurs à la différence qui distingue les substances en corporelles et incorporelles, tandis que les genres sont postérieurs à la distinction entre la substance et l’accident. La matière, définie comme être en puissance, peut être dite commune aux formes de la première espèce, dans la mesure où ces formes n’en contractent pas la potentialité. Au contraire, en tant qu’elle entre dans la définition du composé, la matière ne peut recevoir d’accident sans la forme. On ne peut la considérer comme un genre commun divisé par un accident, puisque l’accident suppose la définition de la forme substantielle. Autrement dit, la confusion d’Avicebron tient au fait qu’il identifie ces deux déterminations de la matière : il la définit d’abord comme un transcendantal, c’est-à-dire comme un être en puissance, antérieur aux genres, mais ensuite il en fait un genre et la considère du point de vue de la composition. Or, dans l’ordre de la définition ou de la quiddité, on ne saurait en faire le sujet des différences, puisque la forme substantielle est première dans la définition de la substance. Il faut donc distinguer nettement ces deux niveaux :
Formae autem sunt duorum modorum. Quaedam enim sunt ante genus, quae dicuntur principia, sicut entitas et unum et res et si qua alia sunt talia. Quaedam autem sunt ponentes formatum in genus distinctum sicut substantialitas et accidentalitas et huiusmodi. Primae autem sunt non distinguentes materiam, et quia non distinguunt eam, ideo non coartant potentiam eius. Et ideo prima materia ens tantum potentia sua ambit, tam corporalia quam incorporalia. Materia autem cum sit principium substantiae compositae, non susceptibilis est accidentium nisi perfecta per formam substantialem, et ideo substantialitate perfecta materia subiectum est accidentium. Et sic dictum est ab Aristotele, quod ipsa est subiectum primum respectu formae substantialis8.
12Pour Albert, la conception d’Avicebron repose donc sur une équivoque entre deux acceptions de la matière. Il faut distinguer la matière comme puissance de la matière comme principe du composé, c’est-à-dire de la matière en tant qu’elle entre dans la définition de la substance. Cet argument d’Albert consiste donc à interpréter l’inférence du sujet des formes que l’on trouve dans la Physique, comme une considération abstraite de l’être en puissance, antérieure à la définition de la substance proprement dite que l’on trouve au livre Z de la Métaphysique.
13La définition de la matière comme sujet des différences est une définition logique : la matière n’est « substance » en ce sens que dans la mesure où elle constitue un substrat de la composition « essentielle ». Dans ce cas, Avicebron a raison de dire que la matière est le sujet « générique » de toute détermination : définie comme l’unité d’une essence, elle est commune à la définition de toutes les substances, corporelles ou incorporelles (« Ipsa est in omnibus substantiis ordinatis in genere substantiae, sive sint corporae sive incorporae ; ut dixit Avicebron. Et hoc modo omnium ordinatorum in genere substantiae est materia una generis unitate »)9. Cette unité est celle d’un universel. A proprement parler, la matière, telle qu’elle est déduire par analogie dans la Physique, n’est pas substance. Aristote a donc raison de conclure sa définition des principes physiques par cette réserve : « Quant à savoir si c’est la forme ou le sujet qui est substance, c’est encore obscur »10. Du point de vue physique, en effet, du fait de son indétermination, en tant que sujet du mouvement, la matière est seconde par rapport à la forme substantielle. Si elle peut être considérée comme le sujet d’une forme, c’est d’une forme accidentelle seulement, non de la forme substantielle. Le sujet indéterminé du devenir n’est pas substance, puisqu’il n’y a de changement que relativement à la substance déterminée définie par sa quiddité. Il faut donc distinguer nettement deux définitions de la matière : 1) comme substrat du composé (« secundum quod est substantia quaedam in compositio essentialis compositione, per quam substat compositum »), 2) comme sujet du mouvement (« secundum quod est substantia quae est in potentia, per quam subicitur motui et mutationi »)11.
14Lorsqu’il distingue, au début du quatrième dialogue du De la causa, « deux sortes de formes », les unes antérieures aux genres, les autres supérieures, Bruno paraphrase ce texte d’Albert. Il en tire cependant une conclusion contraire, puisque, rejetant la doctrine des formes substantielles, il renverse la hiérarchie établie par Albert entre les analyses de la Métaphysique Z et de la Physique : il accorde la priorité de la définition physique du sujet sur la définition abstraite de la substance et de la quiddité. Ce renversement est fondamental.
b) Thomas face à Avicebron et David de Dinant
15La critique de Thomas dans son opuscule De substantiis separatis reprend l’essentiel de celle d’Albert, mais développe plus précisément sans doute les enjeux de la thèse d’Avicebron. Il dénonce une double erreur de « méthode » :
161) « Ab inferioribus ad suprema entium resolvendo, ascendit in principia materialia, quod omnino rationi repugnat »12. La thèse d’Avicébron va à l’encontre de la définition traditionnelle de la métaphysique, aussi bien comme « théologie » que comme « ontologie », en introduisant la matérialité dans les substances spirituelles et en définissant l’être suprême comme le sujet des déterminations formelles. En faisant de l’être un genre, il comprend la forme comme différence spécifique et l’acte comme une particularisation : il confond ainsi la compositio intelligibilis (en genre et espèce) avec la compositio realis (en matière et forme)13. L’échelle de l’être, rappelle donc Thomas, se parcourt selon les degrés de la puissance et de l’acte et se distingue de la hiérarchie logique du genre et de l’espèce. Ainsi, la résolution « matérielle » ou logique, qui procède en direction de l’indéterminé, est contraire à celle qui conduit à l’étant premier, parfaitement en acte : « Quanto igitur magis resolvendo descenditur ad principia materialia, tanto minus invenitur de ratione entis ». C’est précisément le fait que l’être ne soit pas un genre, mais un terme transcendant aux déterminations catégoriales, qui permet de poser l’être suprême comme acte pur et non comme être en puissance : la « résolution » métaphysique doit donc être clairement distinguée de la résolution logique. Thomas s’écarte donc d’Albert dans la mesure où ce qui définit pour lui le transcendantal antérieur aux genres, c’est avant tout son statut « métaphysique ». Il ne concède donc pas à Avicebron la possibilité de définir la matière comme antérieure à la distinction de la substance et de l’accident.
17Il n’y a de différence que spécifique, relativement à un genre. Corrélativement, la communauté, du point de vue logique, ne concerne que des termes qui conviennent dans le genre. Par conséquent, l’être comme transcendantal n’est pas divisé comme le genre par des différences : il ouvre sur une diversité irréductible. Le transcendantal est donc un principe d’ordre, mais l’ordre ne saurait être rapporté à l’unité d’un sujet. L’analogie de l’être ne se fonde sur aucune univocité. L’erreur d’Avicebron est donc double : il confond la matière (physique) et le genre (logique), mais surtout il est conduit à faire de l’être (métaphysique) un genre (logique). C’est pourquoi la confusion d’Avicebron est la même que celle de David de Dinant qui identifie Dieu et la matière première. Dans la Somme contre les Gentils, Thomas rappelle ainsi contre David que l’analogie de l’être ne repose sur aucun moyen terme :
Ainsi est confondue la folie de David de Dinant qui osait affirmer l’identité de Dieu et de la matière première, prétendant que si l’un et l’autre n’étaient pas identiques, il faudrait supposer entre eux des caractères distinctifs qui détruiraient leur simplicité : chez l’être qu’une différence distingue d’un autre, cette différence même est source de composition. Une telle erreur provient de l’ignorance qui méconnaît la distinction entre la différence et la diversité. Comme l’explique nettement le Xe livre de la Métaphysique, différent se dit par rapport à quelque chose, tout être différent étant différent de quelque chose. Divers traduit par contre un absolu, le fait que cette chose n’est pas la même. La différence est donc à chercher dans les êtres qui se rencontrent en quelque chose : on leur assigne un certain caractère qui les distingue. Telles deux espèces qui se rencontrent sous un même genre et que les différences doivent distinguer. Chez les êtres qui ne se rencontrent en rien, il n’y a pas à rechercher de différence ; ils sont divers les uns des autres. Ainsi se distinguent entre elles les différences d’opposition : elles ne participent pas à un genre comme à une part de leur essence ; aussi bien n’y a-t-il pas à chercher par où elles diffèrent ; elles sont diverses les unes des autres. C’est ainsi que se distinguent Dieu et la matière première : l’un est acte pur, l’autre puissance pure ; il n’y a entre eux aucun point de contact14.
18Thomas interdit donc ici de rapporter la multiplicité des êtres à un unique substrat d’existence. La « différence » logique, qui implique la communauté générique, ne saurait servir de modèle pour penser la multiplicité réelle des êtres, dont la « diversité » est ontologiquement première et irréductible. La thèse qui refuse à l’être le statut de genre signifie clairement que l’analogie et l’ordre ne se fondent sur aucun unité, mais repose, au contraire, sur le fait que les termes comparés « ne se rencontrent en rien ». Lorsque Bruno se fonde sur l’Ennéade II, 4 pour faire de la thèse de la matière intelligible une conséquence de la doctrine de la participation, il rapporte l’« opposition », qui pour Thomas exclut toute communauté, à la « contrariété » supposant l’unité du genre. Il pose ainsi les premiers jalons de la thèse de cette « coïncidence des opposés » qui clôt le De la causa.
192) En pensant la matière comme genre et la forme comme différence, Avicebron, selon Thomas, tombe également dans l’erreur des « anciens naturalistes » pour lesquels « toutes les choses ne sont qu’un être » (« in antiquorum (…) naturalium opinionem rediit, qui posuerunt quod omnia essent unum ens »)15. Poser l’unité de l’être comme genre conduit, en effet, à dire que la matière est en acte la substance de toutes choses et à annuler la substantialité des formes particulières, réduites ainsi à de simples accidents du sujet universel (« Ponit enim omnes formas secundum se consideratas accidentia esse »)16.
20On a vu que cette thèse était critiquée par Bruno. Évidemment, la réfutation de saint Thomas n’a pas du tout la même teneur :
- La thèse d’Avicebron va d’abord, pour saint Thomas, à l’encontre de la définition de la « matière première » qui ne saurait être le sujet d’accidents, puisqu’elle est « en puissance »17.
- La thèse va également à l’encontre des principes de la logique, puisqu’elle confond la composition du genre et de la différence avec la composition hylémorphique et fait de toute prédication une prédication de l’accident, sans égard pour la « différence substantielle »18.
- Elle contredit encore les principes de la philosophie naturelle, puisqu’elle conduit à nier la génération et la corruption simpliciter, ne reconnaissant plus que des mutations ou une génération secundum quid19.
- La thèse conduit enfin à détruire les « premiers principes de la philosophie » et à remettre en cause l’unité de l’être singulier et la diversité réelle des êtres : la pluralité est accidentelle et doit être rapportée à un sujet unique20. Qu’Avicebron se distingue des anciens naturalistes en définissant la matière comme spirituelle ou incorporelle ne fait qu’aggraver son matérialisme qui menace maintenant le champs même de la métaphysique.
21Ces quatre conséquences sont parfaitement assumées par Bruno qui les défend avec force dans les dialogues du De la causa.
22Pour saint Thomas, la thèse d’Avicebron conduit donc à restaurer l’ancienne erreur des « naturalistes » combattus par Aristote. Sur ce point encore, Avicebron rejoint David de Dinant. Dans son Commentaire des Sentences, Thomas rapporte ainsi à Parménide la thèse moniste de l’unité de toutes choses, qui rapporte toute différence aux sens et à l’imagination (« omnia esse unum simpliciter, et non differre nisi forte secundum sensum vel aestimationem ut Parmenides dixit »), et dénonce aussitôt certains modernes qui ont suivi cette voie, il cite David de Dinant :
Et illos etiam antiquos philosophos secuti sunt quidam moderni : ut David de Dinanto. Divisit enim res in partes tres, in corpora, animas et substantias aeternas separatas ; et primum indivisibile, ex quo constituuntur corpora, dixit yle ; primum autem indivisibile, ex quo constituuntur animae, dixit noym, vel mentem ; primum autem indivisibile in substantias aeternis dixit Deum ; et haec tria esse unum et idem ; ex quo iterum consequitur esse omnia per essentiam unum21.
23On reconnaît assez clairement, dans cette tripartition de l’être et dans le programme de réduction à l’unité, le motif central du De la causa qui, en ce sens, peut être considéré comme une réécriture de l’œuvre perdue de David de Dinant, tout autant que comme une tentative de reconstitution de la philosophie de Parménide.
24La difficulté du « naturalisme », tel que Bruno l’identifie à partir des thèses d’Avicebron, est donc bien de sortir de l’alternative thomiste et de proposer une théorie des formes dans laquelle l’unité substantielle de l’être (quod omnia essent unum ens) n’implique pas nécessairement l’accidentalité des choses singulières. On a vu que, pour Bruno, la théorie des formes substantielles (sous sa forme extrême, scotiste) échoue à penser l’entité du singulier dont elle ne donne que la raison accidentelle : elle tombe donc elle-même sous le coup de la seconde partie de la critique thomiste. L’originalité de l’argumentation du De la causa consiste peut-être à montrer que toute résolution ad suprema entium qui ne soit pas ad principia materialia conduit à une définition logique de la forme particulière qui ne saurait être physiquement démontrée que comme accidentelle. Le cœur de la difficulté tient au thème de la composition. Le dialogue IV, après s’être engagé sur la voie de la considération de l’essence, s’appuyant sur la définition scotiste de l’acte et de la puissance, va donc opérer un passage à la considération de la matière comme transcendantal, c’est-à-dire comme antérieure à la composition et à la dualité de la substance et de l’accident.
La double analogie : Plotin et Duns Scot
25Aux arguments de saint Thomas, qui constituent l’arrière-fond implicite de ces pages, Bruno oppose deux doctrines de l’analogie qui permettent de rapporter à l’unité la diversité des genres de l’être.
26Il rapporte d’abord la thèse d’Avicebron à la définition plotinienne de la matière intelligible. Si l’auteur du Fons vitae peut définir une matière commune aux êtres corporels et incorporels, c’est qu’il se fonde sur la définition des « platoniciens » qui prennent la matière en un sens analogique. S’appuyant, comme on l’a vu, sur les traités antignostiques de Plotin, Bruno rapporte la participation et la procession à la définition d’un continuum. La représentation hiérarchique se trouve subordonnée à la définition du « tout ». Cette interprétation, comme on l’a noté, se situe dans le prolongement de la présentation de Ficin, qui rapporte les hypostases à un mouvement conversif, plutôt qu’à une émanation, subordonnant ainsi la série des « mondes » à la définition préalable d’un substrat. C’est cette voie qui permet à Bruno de récuser la thèse « platonicienne » de l’équivocité des genres de l’être, exposée par Plotin (dans les Ennéades VI, 1, 2 et 3) et reprise par Ficin (notamment dans son commentaire du Sophiste). Moyennant ce cadre interprétatif un peu particulier, Bruno peut invoquer la thèse plotinienne de la « matière intelligible » en faveur d’Avicebron. D’abord présentée, à la fin du troisième dialogue, comme l’effet d’une définition « équivoque » de la matière, la thèse de Plotin vient maintenant plaider en faveur d’une nouvelle forme d’univocité.
27Contre l’objection de saint Thomas, c’est surtout à la définition scotiste de l’univocité de l’être que Bruno fait appel. Pour Duns Scot, la doctrine de l’analogie se heurte à une difficulté fondamentale : elle ne saurait conduire à une connaissance quidditative de Dieu, faute de fonder les différences sur un concept commun univoque qui serve de « moyen terme ». C’est cette thèse que Bruno reprend, dans le dialogue IV, immédiatement après avoir cité Avicebron :
Ajoute à cela que la raison elle-même ne peut manquer de présupposer, pour n’importe quelle chose différenciable, une chose indifférenciée (je parle des choses qui sont, car, à mon sens, la distinction entre “être” et “non-être” n’est pas réelle, mais seulement verbale et nominale). Cette chose indistincte est une raison commune, à laquelle s’ajoutent la différence et la forme distinctive22.
28La nécessité rationnelle de rapporter les différences à un concept commun univoque, c’est-à-dire à une « raison commune », correspond à l’exigence scotiste de fonder les divisions de l’être sur un concept susceptible d’unir les extrêmes dans un moyen terme. En se situant expressément du point de vue de la « raison », c’est-à-dire traduisant la thèse d’Avicebron dans des termes « logiques », Bruno fait ici de cette « chose indifférenciée » une « intention » ou une « raison », et non un être réel. Sans confondre donc l’univocité conceptuelle et l’unité réelle du « principe de subsistance », il utilise la thèse scotiste pour rapporter, contre Thomas, l’opposition à l’unité logique d’un concept et résorber la « diversité » absolue à la « différence » seulement relative. Bruno s’écarte pourtant de Duns Scot sur un point essentiel, lorsqu’il rapporte à la seule « différence » la contraction de cette « chose indistincte ». Pour Duns Scot, en effet, avant d’être contracté par des différences proprement dites, le concept d’être est contracté par ses « passions propres » et, en premier lieu, par la contradiction entre le fini et l’infini qui permet de penser la distinction réelle entre Dieu et la créature. Cette différence s’explique par le fait que Bruno n’envisage ici, à travers la question de la matière, que le problème de la « composition ».
29Bruno s’écarte surtout de Duns Scot lorsqu’il infère de la « raison commune », c’est-à-dire de la définition de l’unité conceptuelle, une communauté réelle de l’être :
Et l’on ne peut assurément pas nier que, de même que tout sensible présuppose le substrat de la sensibilité, de même tout intelligible présuppose le substrat de l’intelligibilité : il faut donc qu’il y ait une chose qui corresponde à la nature commune de l’un et l’autre substrats ; car toute essence est nécessairement fondée sur quelque être (fondata sopra qualque essere), exceptée l’essence première qui est identique à son être, parce que sa puissance est son acte, parce qu’elle est tout ce qu’elle peut être, comme cela a été dit hier23.
30L’essence se fonde sur l’être. Si, pour Duns Scot, on peut dire que l’essence dépend de l’existence, c’est au sens où, à la différence d’Avicenne qui fait de l’existence un « accident » de l’essence, l’existence est une modalité propre ou intrinsèque de l’essence. En d’autres termes, l’actualité qui définit l’existence ne procède pas d’un être (esse) distinct de l’essence : elle est celle de l’essence elle-même (ce qui ne signifie pas que Duns Scot élimine l’idée d’un agent qui actualise l’essence). C’est cette thèse que reproduit Bruno, lorsqu’il écrit que l’essence est « fondée sur quelque être » : la « nature commune » ou essence n’est pas un simple être de raison, elle est un être réel qui a un acte « propre ». C’est pourquoi, dès l’instant où il y a communauté d’essence, il faut, pour Bruno, poser une matière commune. Bruno, s’appuyant sur Duns Scot, peut ainsi, contre saint Thomas, identifier la composition logique du genre et de la différence à la composition réelle de la matière et de la forme. Tel est le sens de cette réserve, apparemment thomiste, par laquelle il propose d’exclure de la communauté matérielle la divinité ou l’« essence première » dans laquelle l’acte coïncide avec l’essence. Cette exception ne doit pas s’entendre au sens où dans les autres réalités l’être s’ajouterait à l’essence, mais au sens où, en Dieu, l’essence ne saurait être en puissance, l’essence première étant « tout ce qu’elle peut être ». Il y a donc bien une voie scotiste qui rend raison de la thèse d’Avicebron pour définir une matière des réalités incorporelles.
31S’il se rapporte à l’univocité conceptuelle de l’être pour appuyer la thèse d’Avicebron et rapporter l’analogie à un « moyen terme », Bruno n’est cependant rien moins que scotiste. En proposant de déduire de la « raison commune » l’unité réelle du substrat des différences, il s’écarte évidemment de Duns Scot. La quiddité ou la nature commune n’est pas, pour Duns Scot, un être « physique », sa communauté n’est donc pas celle d’un sujet dont les différences sont des accidents. La démarche du De la causa est aberrante d’un point de vue scotiste. Et, de fait, Bruno ne pouvait suivre plus longtemps Duns Scot sur le terrain de sa doctrine de l’essence, après sa critique des « formes substantielles » : ces « formes substantielles » particulières ne constituent que des déterminations accidentelles de l’« essence commune » (la matière corporelle dans le dialogue III). Bien qu’elles empruntent à Duns Scot l’articulation de l’être et de l’essence, les pages du quatrième dialogue ne se comprennent qu’à la lumière de la critique de l’heccéité : la matière commune, contractée par des différences, constitue bien le « moyen terme » permettant d’unifier les deux « essences spécifiques » de la nature : la forme « espèce parfaite » du dialogue II et la matière du dialogue III. La critique des formes substantielles individuelles n’est donc pas remise en cause : ce qui, par contre, se profile ici, c’est la remise en question du caractère substantiel des deux essences « spécifiques » définies dans les précédents dialogues.
32Bruno peut ainsi trouver dans la thèse scotiste de l’univocité la possibilité de rapporter les différences à l’unité d’un moyen terme à partir duquel penser l’ordre et la participation. C’est ce qu’il souligne lorsqu’il évoque les « péripatéticiens » qui proposent de fonder l’ordre et la participation sur une communauté d’essence et donner une interprétation ontologique de la « fraternité » qui unit l’ange à l’homme :
De plus, si la matière n’est pas corps (de l’avis de nos adversaires), mais précède par sa nature l’être corporel, pour quelle raison serait-elle donc si éloignée des substances dites incorporelles ? Et il ne manque pas de péripatéticiens pour dire que, tout comme on trouve dans les substances corporelles quelque chose de formel et de divin, de même il convient qu’il y ait dans les substances divines quelque chose de matériel, afin que les choses inférieures s’accordent avec les supérieures et que l’ordre des unes puisse dériver de l’ordre des autres. Quant aux théologiens, même si certains sont nourris de doctrine aristotélicienne, ils ne doivent pas pour autant être irrités contre moi sur ce point, s’ils veulent bien reconnaître qu’ils doivent se consacrer davantage à leur Écriture qu’à la philosophie ou à la raison naturelle : “Ne m’adore pas”, disait un de leurs anges au patriarche Jacob, “car je suis ton frère” ; or si celui qui dit ces paroles est une substance intellectuelle (car c’est ainsi qu’ils l’entendent), et s’il affirme par sa déclaration que cet homme et lui-même se rejoignent dans la réalité d’un substrat, quelle que soit leur différence formelle, il est avéré que l’oracle de ces théologiens dépose en faveur des philosophes24.
33La communauté d’essence rapporte clairement les différences à l’unité du substrat. Bruno donne ainsi un sens « physique » à la « nature » scotiste.
La matière comme essence
34Même si la référence à Duns Scot n’est manifestement pas la seule à rendre compte de cette argumentation, il n’en reste pas moins que la définition scotiste de la « nature commune » permet à Bruno d’écarter les objections thomistes contre Avicebron et la matière incorporelle. La suite du quatrième dialogue le confirme clairement lorsque Teofilo expose d’abord l’unité du sujet naturel en se situant sur un plan « logique ». Il reprend ainsi à son compte la doctrine scotiste de la quiddité qui fait de l’individuation ou de la contraction une détermination intrinsèque de la nature commune. La différence entre le corporel et l’incorporel procède de la contraction du sujet premier qui, en tant que « nature commune », reste indéterminé, mais peut revêtir l’« essence propre » de la corporéité (les dimensions et la quantité), aussi bien que celle de l’incorporéité. Répondant à Dicsono qui lui demande de préciser « comment il peut y avoir de l’informe et de l’indéfini dans ces choses absolument excellentes que sont les choses incorporelles », Teofilo explique que la différence formelle est cause de l’actualité :
De même que l’homme, en sa nature propre d’homme, est différent du lion, en sa nature propre de lion, mais que tous deux sont indistincts et identiques en leur commune nature d’animal et de substance corporelle, ainsi qu’en d’autres déterminations semblables, de même, en son essence propre, la matière des choses corporelles est différente de celle des choses incorporelles25.
35Un peu plus bas, Teofilo explique encore que les deux matières « sont une seule et même chose et (…) toute la différence (…) dépend du fait que la matière se contracte ou non en matière corporelle : de même, dans l’être animal, tous les êtres dotés de sens ne font qu’un ; mais, comme ce genre se contracte en espèces définies, l’essence de l’homme est incompatible avec celle du lion, et celle de cet animal-ci avec celle de cet animal-là »26. La matière est une essence commune et l’individuation est rapportée à une différence qui en actualise la potentialité. L’intérêt de la doctrine scotiste est bien de faire de l’actualité une détermination interne de l’essence qui se contracte : en interprétant la composition hylémorphique à la lumière de la compositio intelligibilis, Bruno peut, avec Duns Scot, définir la matière comme un genre qui contient, en puissance, toutes les déterminations.
36Même si la dualité de l’acte et de la puissance n’est pas encore résolue, un pas important a été accompli. C’est le même être, le même sujet qui est le substrat des deux espèces de la nature :
Donc, tout ce que vous dites concernant le fait d’être cause constitutive d’une nature corporelle, le fait d’être substrat de transformations de toutes sortes et d’être une partie de composés, tout cela se rapporte à la matière corporelle, en son essence propre ; car la même matière (ou, pour le dire plus clairement) le même qui peut être fait, ou qui peut être, ou bien il est fait, il est moyennant les dimensions et l’extension du substrat et moyennant les qualités qui ont leur être dans le quantum – et il s’appelle substance corporelle et présuppose une matière corporelle ; ou bien il est fait (à supposer que son être ait un commencement) et il est sans ces dimensions, cette extension et ces qualités – et il s’appelle substance incorporelle et présuppose une matière qui porte le même nom. Ainsi, à une puissance active qui est aussi bien celle de choses corporelles que celle de choses incorporelles, c’est-à-dire à un être aussi bien corporel qu’incorporel, correspondent une puissance passive aussi bien corporelle qu’incorporelle et une possibilité d’être aussi bien corporel qu’incorporel27.
37La « nature » est une essentiellement, même si la question du statut de l’acte dont procède les différences reste ici en suspens.
a) L’interprétation scotiste d’Avicebron
38La position de Bruno s’éclaire d’avantage si on la compare à la lecture scotiste d’Avicebron qu’on trouve dans le De rerum principio28. La question VIII du traité aborde précisément le problème de l’unité de la matière (« Utrum supposito quod in omnibus substantiis, tam spiritualibus quam corporalibus, sit materia, an sit in omnibus eadem secundum eadem rationem univocam ? ») et la position de l’auteur à l’égard d’Avicebron apparaît sans ambiguïté : « Ego autem ad propositionem Avicembroni redeo, et primam partem, scilicet quod in omnibus creatis per se substantibus, tam corporalibus quam spiritualibus, sit materia »29. Pour la seconde partie de la question, la solution est plus nuancée : « materia primo prima est homogeneitatis univocae ; sed secundo prima, puta illa quae est subiectum generationis, non »30. Cette nuance repose sur une distinction assez proche de celle d’Albert entre une matière absolument première et le sujet du mouvement et de la génération : la matière primo prima est définie comme materia metaphysica (« Vocatur materia metaphysica illud quod praestat fulcimentum cuiucumque formae, qualem ponimus in Angelis et anima rationali »)31, par opposition à la materia extensa, définie comme « materia mathematica secundo prima, quia, ut communiter tenetur, sub quantitate et sub forma corporea est subiectum generationis »32. Cependant, à la différence d’Albert, l’auteur du De rerum principio ne conclut pas à une équivocité : la matière est comprise ici de manière unitaire comme un sujet logique dont la forme doit limiter l’indétermination primitive (primo prima) pour en faire un sujet « physique » du changement (secundo prima). L’équivocité du concept de matière n’est donc plus ici le fait de l’opposition entre deux types de savoir, l’un logico-métaphysique, l’autre physique, elle est relative aux degrés de détermination et de contraction d’un même sujet :
Similiter videmus quod natura cerae remanet in sigillo, et eius potentia impressiva, cum sit idem re cum ea ; et tamen cera, secundum quod cera, et ut non figurata, est in potentia ad formam Pauli, sed non ut est sub signata figura. Similiter dico de materia, ut consideratur in sua primitate et indeterminatione omnimoda, et ut consideratur in sua contractione33.
39Ce n’est donc qu’antérieurement à la détermination par un agent et à sa « signature » individuelle que la matière peut être dite commune à l’ange et à l’homme, c’est pourquoi on parlera d’une indétermination in suscipiendo. En ce sens seulement on peut dire : « ex ipsa [materia] fieret forma Angeli, vel animae : ergo sicut ex semine, quod est primum et indeterminatum, fiunt omnia membra, musculi, nervi ; et ex eodem grano rami, flores, et fructus ; sic in primo indeterminato, quod est materia prima primo, potest recipi omnis forma, quae in illo recipitur ». Mais du point de vue de la réalité contractée, la matière ne se dit de façon univoque que des êtres qui communiquent dans un même sujet par transmutation : « quae communicant in materia, secundum quod subiicitur agenti, sunt transmutabilia, et in tali non communicant Angeli et corpus ; et ideo non est possibile, quod de corpore fiat spiritus, nec e contrario »34. L’agent qui contracte le genre introduit une hétérogénéité irrémédiable des matières. La métaphore biologique montre bien que la potentialité première ou l’unité originelle est bien détruite par une série de différenciations : l’âme et l’ange, le végétal et l’animal, une fois engendrés, cessent absolument d’avoir quoi que ce soit de commun par où ils puissent « communiquer » autrement que dans l’abstraction du genre. Au cours de cette dispersion, l’éloignement de l’origine rend impossible tout retour à l’unité et l’on pourrait presque dire que, dans cette ontologie, la fraternité de l’homme et de l’ange est diluée par de trop lointains cousinages. L’auteur du De rerum principio, en reprenant les thèses d’Avicebron, restaure bien d’une certaine manière l’unité sur le plan métaphysique, mais l’équivocité, résorbée au niveau du principe, réapparaît, aggravée et multipliée, à mesure que l’on redescend en direction du particulier, au terme des degrés successifs de spécification. Les différences réelles, qui contractent la puissance unique, annulent finalement la communauté d’essence35.
40On comprend que Bruno puisse s’inspirer de cette interprétation d’Avicebron, dans la mesure où elle fait de la matière l’objet d’une résolution métaphysique et rapporte ainsi la multiplicité des formes particulières à l’unité d’une essence commune. On comprend également quelles sont les limites de la référence scotiste : l’univocité conceptuelle de l’être a bien pour corrélat la définition de la matière commune, mais cette communauté d’essence ne saurait en faire un sujet commun. La potentialité de cette matière « métaphysique » exclut, pour l’auteur scotiste du De rerum principio, qu’on lui attribue l’unité numérique. Bruno échappe à cette conclusion par sa critique de l’heccéité. Les différences sont la conséquence d’une actualité de l’essence, mais elles ne définissent aucune substantialité qui manquerait à la matière. Pour le voir, encore faut-il examiner comment la puissance coïncide avec l’acte, tout comme l’essence formelle coïncide avec l’essence matérielle. Le De la causa rencontre ainsi, à chaque étape de sa dialectique, le même problème.
b) Ficin : l’être et l’essence dans le commentaire du Philèbe
41Si la référence scotiste de l’argumentation de Teofilo ne fait pas de doute, si les allusions de Bruno à la doctrine de la « nature commune » sont manifestes, il semble que l’on puisse également rapporter la définition de la matière comme sujet et comme « essence » au commentaire du Philèbe de Ficin. Cela ne signifie pourtant pas que la référence scotiste soit relayée, voire annulée, par une référence platonicienne. L’intérêt de l’interprétation que propose Ficin de la dialectique du Philèbe tient à ce qu’elle peut rencontrer l’analyse scotiste en définissant l’apeiron comme « essence », pour en faire le sujet de la limitation. La théorie plotinienne des deux matières conduit ainsi Ficin à rapporter, tout comme Bruno, le corporel et l’incorporel à l’unité d’une nature ou d’une essence commune et indéterminée, définie comme sujet de l’acte limitatif. L’essence ou la matière peut ainsi devenir le point de départ d’un processus conversif qui fait, comme chez Duns Scot, de la forme une modalité intrinsèque du sujet qui se détermine sous l’effet d’un acte.
42Dans son commentaire du Philèbe, Ficin définit la matière comme le sujet un de l’acte divin, antérieur à toute détermination :
Atque ut est omnibus unus communis actus, non unus numero, specie aut genere, sed quia ab uno ad unum, ita omnibus una est communis materies, quae ideo dicitur una, quia unius Dei supereminentiam sequitur, et uni actui est subiecta. Neque ex eo quod incorporeis haec materia convenit in eisque incorporea, ideo a corporeis dissentit formis, nam et in his quoque est incorporea ; antecedit siquidem quantitatem, cuius dimentionibus corpora constant. Immo quae hic qualitatibus et viribus incorporeis sufficit, illic quoque ideis sufficiet.Illic quidem corporale aliquid quodammodo sustinet, corporum scilicet rationes. Hic nonnihil incorporale, impartibiles qualitates36.
43Cette matière première, Ficin propose de l’appeler « essence » (essentia). Il lui fait correspondre l’acte défini comme « être » (esse). La composition hylémorphique est pensée, à la lumière de la dialectique du Philèbe, comme une limitation de l’essence, c’est-à-dire comme l’adjonction d’une « différence » : « Esset enim ibi aliquid loco generis communisque potentiae, aliud loco differentiae atque actus »37. Ecartant l’idée selon laquelle l’acte ou l’être puisse être simplement « éduit » de l’essence, comme la faculté de rire de l’essence de l’homme, ou encore « induite » par une réalité elle-même finie, comme la clarté de l’air par le soleil38, Ficin déduit que toutes les réalités composées, c’est-à-dire dont l’essence est distincte de l’être, reçoivent leur « être » d’une cause première :
Omne itaque quod tale est ut aliud in eo essentia sua sit, aliud esse, esse habet ab alio. Et quia omne quod per aliud est ad id quod per se est reducitur ut ad causam primam, et ab illo esse recipit, ad illud se ut potentia recipiens habet. Huic autem potentiae susceptus essendi actus repondet. Ex potentia igitur atque actu, essentia scilicet et esse, post Deum omnia componuntur39.
44Cette opposition de l’être et de l’essence semble, à première vue, se référer à l’ontologie thomiste. Le rapprochement littéral est cependant trompeur.
45D’abord, la dialectique du Philèbe n’articule pas l’être divin à un non-être. La définition du divin comme acte pur est seconde : elle est la conséquence de la définition de l’essence ou de la matière première qui est le premier effet de l’Un infini. La matière, en tant que telle, est une « puissance indéterminée quant à l’être et au non-être » (« Est itaque materia ad esse et non esse indeterminata potentia »)40 : c’est l’essence, définie comme sujet de l’acte, qui est le premier effet. C’est la raison pour laquelle la matière, pour Ficin, contient toute forme à l’état inchoatif (« Est (…) ad omnes formas indifferens inchoatio »)41. Son imperfection ne tient pas à la limitation qu’elle impose au flux de l’esse, mais, tout au contraire, à son caractère « infini » : elle reçoit de l’esse la limite qui lui manque (« Est igitur indigat termini. Est itaque infinita »)42. Autrement dit, Ficin va résolument à l’encontre de la définition thomiste de l’analogie qui fonde la doctrine de la participation de l’esse : il pose comme fondement de cette participation l’unité de cette matière commune, définie comme essence. C’est la raison pour laquelle Ficin peut donner une signification non plus seulement logique, mais également réel, à la compositio intelligiblis (du genre et de la différence).
46De plus, si l’originalité du platonisme de Ficin est bien de penser l’engendrement des hypostases comme un processus conversif, il apparaît plus clairement encore que la distinction entre l’être et l’essence se trouve finalement dépouillée de sa référence thomiste. L’actualité reste bien distincte de la potentialité, mais on ne peut pas dire qu’elle s’ajoute à l’essence : l’acte qui confère à la matière l’existence en acte est le même que celui qui limite la potentialité de l’essence, c’est-à-dire contracte le genre et l’espèce. On retrouve, à la base de cette conversion de la matière, la thèse scotiste qui fait de l’existence l’actualité ultime de l’essence, même si Ficin s’écarte de Duns Scot lorsqu’il définit cette essence comme un sujet matériel.
47Cette interprétation de la matière comme sujet essentiel de l’ordre marque, une fois de plus, toute la distance qui sépare Ficin de Nicolas de Cues. Même si ces deux auteurs se réclament, l’un comme l’autre, de la dialectique du Philèbe, même s’ils intègrent des éléments scotistes dans leur analyse de la « composition », c’est évidemment en un sens totalement différent. D’un côté en effet, Nicolas de Cues fait de l’apeiron le néant dont procèdent les différences. Il interprète ainsi la détermination de l’essence commune comme une chute par laquelle la quiddité finie se contracte en s’éloignant de sa limite infinie. Ficin, tout au contraire, fait de l’apeiron un sujet essentiel et définit la détermination comme l’effet d’un acte qui, en donnant forme à l’essence indéterminée, est l’origine d’une conversion, c’est-à-dire de la remontée du multiple en direction de son principe. S’il y a évidemment une problématique de la chute chez Ficin, elle n’est pas inscrite dans définition même de la nature : la production du multiple est d’abord pensée comme une « régénération », comme un effet de l’« amour » ou du « désir ».
Du sujetà la substance : l’essence indivise et les différences
48Le résultat de l’argumentation de Teofilo est donc le suivant : il est possible de faire du « sujet » des formes, déduit dans le premier livre de la Physique, une « essence » commune. C’est ce qu’on peut lire dans l’argument du quatrième dialogue qui résume ainsi la thèse de Teofilo : là où l’on pose une hiérarchie du supérieur et de l’inférieur, « on présuppose et on sous-entend une certaine communauté selon la matière qui est toujours signifiée par le genre, de même que la forme est signifiée par la différence spécifique »43. L’unité de la matière, sur laquelle repose la représentation hiérarchique, est bien réelle, mais la démarche analogique par laquelle on compare le supérieur et l’inférieur suppose que l’on signifie cette unité par un genre logique.
49Conformément au programme esquissé à la fin du troisième dialogue, Teofilo réalise donc bien ici une réduction des « espèces » de la nature, que sont la forme et la matière, à l’unité du « genre », défini comme le « sujet » commun au corporel et à l’incorporel. Cette voie de l’essence a pourtant ses limites. La nouvelle « matière » reste définie comme une puissance indéterminée. On retrouve ici les difficultés rencontrées dans le troisième dialogue, lorsque Dicsono proposait, se fondant sur la « grande union qui lie l’âme du monde, ou forme universelle, à la matière » corporelle, de définir la matière comme une « chose divine » pouvant « s’informer et se vêtir elle-même »44. Teofilo lui répondait que « rien n’opère sur soi-même » et invoquait, encore une fois, la nécessité de distinguer un agent et un patient. La question est déplacée, puisque la matière définie ici est le sujet de la forme universelle et incorporelle comme de la nature corporelle ; mais la difficulté reste intacte : quel est le statut des différences qui contractent le genre commun ? Il semble donc qu’il reste nécessaire de rapporter ces différences à un principe actif extérieur au genre. La voie « scotiste » ouvre sur un nouveau dualisme qui n’oppose plus le corporel et l’incorporel, mais le genre et la différence : tel est le sens de la réserve de Teofilo qui exclut du genre « l’essence première qui est identique à son être, parce qu’elle est tout ce qu’elle peut être »45. Il rappelle ainsi qu’être dans un genre est la caractéristique des êtres « composés », c’est-à-dire des êtres « finis ».
50Pourtant, ni la voie scotiste ni la voie platonicienne ne rendent compte de la thèse d’Avicebron exposée au début du quatrième dialogue. La définition de l’essence matérielle qu’elles proposent exclut dans les deux cas le premier principe, l’essence première qui « est en acte tout ce qu’elle peut être ». Or, telle n’est pas la définition que donnait Avicebron du sujet premier, « unique principe de subsistance », dont la définition n’enveloppe pas seulement le principié, mais également « l’être souverain et suprême ». On peut donc mesurer très précisément la distance qui reste à parcourir : l’unité du sujet ne permet pas encore de penser la matière comme substance, il faut encore faire de ce substrat un être au sens plein, c’est-à-dire un être en acte. La métaphysique de l’être-un nécessite encore un effort : celui qui doit conduire à la coïncidence de la puissance et de l’acte.
51La définition de l’essence générique, dans la mesure où elle reste celle d’un sujet en puissance, ne désigne encore qu’un être indéterminé auquel l’acte confère la détermination. Que la forme soit accidentelle ou substantielle, la question reste entière. Il faut toujours poser un acte dont elle procède. Et cet acte sera toujours pensé comme l’adjonction d’une différence extrinsèque au genre, même si on a fait de l’être lui-même une modalité intrinsèque de l’essence. En d’autres termes, pour parvenir à fonder une métaphysique de la « substance absolument universelle », on doit renoncer à définir la matière comme genre : il faut la penser comme un « transcendantal », c’est-à-dire non seulement comme « indifférente » à la distinction entre le corporel et l’incorporel, mais surtout comme « antérieure » à la distinction entre la substance et l’accident.
52Tel est le sens de la thèse de Teofilo qui affirme, au milieu du quatrième dialogue, que « la possibilité d’être coïncide avec l’être (il poter essere coincide con l’essere) »46. La virtualité de l’essence coïncide donc avec celle de l’être. L’essence matérielle n’est pas différente de l’acte ou de l’être, elle est donc « en acte tout ce qu’elle peut être »47. Cette nouvelle définition de la « matière » rapporte donc bien à l’unité la dualité du genre et de la différence, et surtout la multiplicité des genres. On passe donc d’une matière définie comme genre, à une matière identique à l’être, de la considération du composé, à celle de l’unité « indivise de l’absolu ». Ce pas franchi, il n’y a plus à « opposer » une « forme » ou un acte à la possibilité matérielle. La différence est résorbée dans l’identité absolue : la matière ne diffère pas de la forme « dans la puissance absolue et l’acte absolu » qui est « d’une pureté, d’une simplicité, d’une indivisibilité et d’une unité extrême, parce qu’il est absolument tout, et que s’il avait des dimensions définies, un être défini, une figure définie, une propriété définie, une différence définie, il ne serait pas l’absolu, il ne serait pas tout »48.
53On reconnaît, dans cette définition de l’absolu comme coïncidence des opposés, la trace de la théologie cusaine, mais cette coïncidence ne rejette plus en dehors d’elle-même la sphère de la nature : elle embrasse le tout, la nature corporelle comme la nature incorporelle. Si Bruno peut ainsi renverser la distinction cusaine entre le créé et l’incréé, c’est parce qu’il ne fait pas coïncider les extrêmes pour proposer une définition théologique de la « limite infinie » : il fait coïncider la limite et l’illimité. S’il peut le faire, c’est bien que la puissance absolue n’est pas définie théologiquement comme le Père, mais comme la matière. C’est également parce qu’il suit Ficin qui fait de l’essence le principe d’une conversion. Il y a donc une resolutio ad suprema entium qui coïncide avec une ascension in principia materialia. C’est la raison pour laquelle la coïncidence des opposés ne définit pas un être séparé du tout, mais permet de penser le tout lui-même comme l’Un parménidien. La matière est un transcendantal convertible avec l’être un et indivis.
54Bruno écarte donc la question de la composition et évite, dans le même temps, l’interprétation scotiste d’Avicebron qui fait de la matière un sujet métaphysique ou logique. Dans ce nouveau contexte, la forme n’est pas un acte qui vient du dehors actualiser un être indéterminé, elle est au contraire intégralement éduite d’une puissance qui contient confusément en elle-même tous les actes et toutes les forme qu’elle « libère de ses entrailles » et rejette à sa surface. Ainsi, le singulier n’est ni une spécification du genre, ni un acte substantiel, mais une « contraction » provisoire de la matière éternelle, immuable et tout entière en toutes choses. La forme brunienne n’est donc pas un accident, elle est seulement, par rapport à la matière, comme l’accident par rapport à la substance : en tant que contraction provisoire de l’absolu, le particulier est en effet à la fois substance (par son identité au tout) et accident (s’il est envisagé dans sa différence, par sa quiddité, comme le fait la théorie scotiste). L’individuation ne doit donc pas être comprise comme une détermination spécifiante, ni à partir de l’induction d’une forme, mais de manière intensive, comme l’explication, dans le multiple, de l’un-matière :
Donc, qui appréhende Polihimnio en tant que Polihimnio n’appréhende pas une substance particulière, mais appréhende la substance dans la particularité et dans les différences qui lui sont relatives ; ladite substance, par ces différences, introduit cet homme dans le nombre et dans la multiplicité, sous une espèce. (…) De la même manière, enfin certains accidents de l’être multiplient l’entité, la vérité, l’unité, l’être, le vrai, l’un49.
55La différence entre l’un et le multiple n’est donc plus à penser à partir de la composition du genre et de l’espèce. Bruno prend acte de la critique aristotélicienne du monisme éléatique, mais il en inverse les conclusions : si l’être est un genre, la différence qui le contracte est nécessairement prise du non-être. Si « tout est un », cette unité ne doit donc pas être celle d’un genre, mais celle de l’être supérieur aux genres. Les différences ne sont pas des disjonctions qui divisent l’être, mais des « passions de l’être » qui n’en limitent pas l’unité formelle à la fois simple et infinie. Les accidents qui multiplient la substance ne sont pas des différences extrinsèques au genre, mais de modes intrinsèques qui en expriment l’infinité, sans la diviser réellement. La « métaphysique » n’est possible qu’à ce prix : il faut rapporter le continuum ou le sujet à l’un indivis, c’est-à-dire à la substance une, indivise et infinie. La coïncidence de l’acte et de la puissance suppose donc la coïncidence de la limite et de l’illimité, du minimum et du maximum. Ce renversement fait évidemment écho à l’opposition entre le point de vue « logique » et le point de vue « physique », au cœur de la critique du livre Z de la Métaphysique.
L’être infini et les différences
56L’identification de la matière commune à un genre conduit à une impasse. Substrat commun de toute multiplicité, le sujet substantiel, s’il est pensé comme genre, laisse ouverte la question du statut des différences. La contraction doit être pensée comme composition : du genre et de la différence, de l’essence et de l’être, de la puissance et de l’acte. Cette première interprétation des thèses « naturalistes » d’Avicebron et de David de Dinant se heurte donc à l’objection d’Aristote du livre A de la Métaphysique. L’unité du tout se heurte au problème de la « cause efficiente » à laquelle on est contraint de rapporter la multiplicité, le mouvement et, plus largement, la série des déterminations accidentelles de ce sujet. En d’autres termes, la définition de la matière comme genre n’est pas encore une « métaphysique » de l’Un : elle est encore incapable de résorber la pluralité des genres de l’être, c’est-à-dire la différence entre la « substance » et l’« accident ».
57La coïncidence de l’acte et de la puissance permet à Bruno de se dégager de ces difficultés : si la matière n’est « aucune » des déterminations particulières, si elle n’est ni ceci, ni cela, ni corporelle ni incorporelle, cela ne signifie plus qu’elle reçoit ces déterminations d’une limite extrinsèque, d’une différence qui la contracte en lui conférant une qualification qu’elle n’a pas. Cela signifie au contraire qu’étant tout, elle n’est rien de particulier. La puissance ne signifie plus la privation, mais la plénitude.
58Abandonnant la définition de la matière comme genre, Teofilo interprète la communauté comme « complication » :
Mais j’ajoute quelque chose (si tu le veux bien), car vous pourriez me dire que ce qui n’est jamais doit être considéré comme impossible et contre nature, plutôt que comme naturel ; de sorte que, la matière première n’acquérant jamais de dimension, on devrait considérer la corporéité comme contraire à sa nature : et s’il en était ainsi, il ne serait pas vraisemblable qu’il y eût une nature commune à l’une et à l’autre matières, avant même que l’une d’elles soit conçue comme contractée en matière corporelle : j’ajoute (disais-je) que nous pouvons tout aussi bien attribuer à cette matière première la nécessité d’avoir tous les actes dimensionnels, que lui en attribuer l’impossibilité (ainsi que vous le voudriez). Comme cette matière est en acte tout ce qu’elle peut être, elle a toutes les mesures, elle a toutes les espèces de figures et de dimensions ; et parce qu’elle les a toutes, elle n’en a aucune, puisque ce qui est tant de choses différentes ne doit être aucune d’elles en particulier. Il faut que ce qui est tout exclut tout être particulier50.
59L’objection que soulève Teofilo est la suivante : si la matière comme genre commun est différente de la nature corporelle, elle n’a donc aucune dimension ni aucune des déterminations qui caractérisent les corps. Demeurant identique à elle-même, il semble donc « impossible » qu’elle contracte ces déterminations. Cette incompatibilité résulte donc du caractère extrinsèque et hétérogène des différences. Le général exclut le particulier. Ainsi, la communauté du genre semble aller de pair avec une « diversité » irréductible de l’être. En posant la matière comme acte, Teofilo peut résoudre l’aporie. Si l’on dit que la matière n’est rien en particulier, cela ne signifie pas qu’elle exclut toute détermination ou toute différence, mais, au contraire, qu’elle est « tout », c’est-à-dire qu’elle inclut en elle-même toutes les différences : si elle peut tout être, c’est qu’elle est tout. Sa puissance doit donc être pensée comme « absolue », au sens où elle ne rencontre pas de terme ou de limite extrinsèque : si elle n’est pas divisée par une différence, cela signifie qu’elle est tout en acte et « absolument ». Teofilo ajoute qu’ainsi conçue, la matière n’a pas d’opposé, elle n’est pas un apeiron qu’une limite ou une forme extrinsèque viendrait contracter : la matière ne diffère nullement de la forme « dans la puissance absolue et l’acte absolu »51. L’absolu n’est donc pas dans un genre, mais il « comprend tous les genres » de manière « indivise »52. La voie métaphysique dans laquelle s’engage Bruno exclut donc toute figure d’éminence. L’analogie est un effet de figuration. L’équivocité reste un résidu d’abstraction. L’absolu exclut toute différence, tout est un, mais cette unité n’est pas celle d’un genre : il n’est pas possible de la penser comme homogène.
60Il faut donc renoncer à définir la matière comme un genre : sa potentialité est celle d’un transcendantal, dont les déterminations ne sont pas prédiquées extrinsèquement. Ici encore, Bruno rejoint la doctrine scotiste, mais cette fois pour rapporter l’ordre des essences à la définition de l’« étant infini ». On a vu comment, chez Duns Scot, l’univocité de l’être visait à définir un moyen terme susceptible de fonder l’analogie entre le créateur et les créatures et à rendre possible une définition quidditative de Dieu. L’univocité conceptuelle venait donc fonder une disjonction réelle entre l’« étant infini » et l’« étant fini ». L’univocité métaphysique, chez Bruno, ne saurait être pensée comme seulement conceptuelle : elle repose sur une unité réelle de l’être. La voie de l’essence, empruntée au début du quatrième dialogue du De la causa, conduisait à une impasse : bien qu’elle permette de définir l’unité du corporel et de l’incorporel, elle supposait encore une distinction entre l’acte et la puissance, le genre et la différence. L’unité de l’essence restait celle de l’apeiron, et Bruno restait obligé de définir, à ce niveau de la dialectique, une limite extrinsèque à l’illimité. Après avoir uni les deux « espèces » de la nature dans l’unité d’un « genre », il reste à passer de la considération du genre à celle de l’Un, antérieur au genre et à la distinction de la substance et de l’accident. C’est à cette condition seulement, comme on l’a vu, qu’une métaphysique de l’être est possible.
61La théologie scotiste de l’« étant infini » fournit ici à Bruno les instruments conceptuels pour dépasser la définition de la matière comme « genre » : la matière, pour être réellement « indivise », doit être pensée comme une essence « simple », exactement comme le Dieu de Duns Scot dont les multiples prédicats n’affectent pas l’unité. Tel est le sens du renversement opéré au milieu du quatrième dialogue, lorsque Bruno interprète l’illimitation de la matière non plus comme une pure privation, mais, tout au contraire, comme une infinie plénitude qui inclut en elle-même toute forme. Les formes n’introduisent aucune différence extrinsèque à l’essence commune, elle sont toutes virtuellement comprises dans l’unité « omniforme » de la matière. Du point de vue logique, la composition du genre et de la différence doit donc laisser la place à cette prédication « par identité » qui permettait à Duns Scot de rendre compatible la distinction formelle avec la simplicité divine. La matière est « tout » et c’est en ce sens qu’elle n’est aucune chose déterminée (« Il faut que ce qui est tout exclut tout être particulier ») : elle n’est donc pas dite « en puissance » au sens où elle serait privée des formes, « comme la glace est sans chaleur ou comme le gouffre est privé de lumière », elle en est privée plutôt « comme la femelle enceinte est sans sa progéniture, qu’elle produit et fait jaillir à partir d’elle-même »53. Autrement dit, elle « contient les formes et les inclut »54.
62La thèse de Bruno est donc la suivante : il n’y a de métaphysique que de l’être « infini », « simple » et « indivis ». Tous ces attributs sont équivalents. C’est pour avoir défini l’être de manière abstraite ou logique que Duns Scot a dissocié le fini de l’infini, et distingué le simple du composé. La différence logique du genre et du transcendantal ne renvoie, pour Bruno, à aucune différence réelle, elle correspond à deux modes de prédication, l’un physique, l’autre métaphysique. En prenant la disjonction du fini et de l’infini comme fondement de la différence entre Dieu et la créature, Duns Scot a commis la même « erreur » que les « platoniciens » qui ont divisé l’Un parménidien en une pluralité d’« hypostases », sans remarquer que, si ces distinctions sont bel et bien nécessaires, ce n’est que du point de vue de l’ordre rationnel du savoir et du caractère spéculatif de notre connaissance. L’unité du tout ne saurait être appréhendée que de manière « oblique », au moyen des différences et de l’ordre, par le biais de la composition et des figures. Comme Bruno le dit dans la Summa terminorum, la distinction des hypostases n’a de sens qu’« à cause de la nécessité et de l’ordre propre à la contemplation » (propter contemplationis necessitatem et ordinem)55.
63Cette interprétation, il faut le remarquer, se situe dans le prolongement direct de la critique des formes substantielles et de l’heccéité du dialogue III. Si la définition de la substance à partir de la quiddité était rejetée, c’était, on s’en souvient, parce qu’aucune démonstration « physique » de l’essence individuelle n’est possible et, finalement, parce que le « ceci » déterminé et fini, le tò tóde ti, sur lequel est fondée l’analyse du livre Z, n’a, lui non plus, d’existence que logique. C’est un être de raison. Contraction éphémère de la matière, l’individu particulier ne doit sa substantialité qu’au sujet matériel. C’est pourquoi l’unité de la substance ne doit pas être divisée. Toute contraction doit être comprise comme un « mode intrinsèque » de l’être infini. Tel est donc le sens de cette formule, à première vue tout à fait étrange : « qui appréhende Polihimnio en tant que Polihimnio n’appréhende pas une substance particulière, mais appréhende la substance dans la particularité et dans les différences qui lui sont relatives (circa la substanza) »56. L’individu n’est pas une substance particulière, mais une « face » particulière de la substance unique. Les différences sont donc des modes intrinsèques de l’être ou de la substance. C’est seulement d’un point de vue abstrait que ces différences peuvent être appréhendées séparément de l’être total, et la définition de l’individu qui en résulte devient alors celle d’un être de raison. Le raisonnement de Bruno est donc analogue à celui qui lui permettait dans le deuxième dialogue, d’articuler l’essence formelle aux différences individuelles et aux opérations : de même que la lumière reste une en substance quel que soit son état ou son intensité, de même l’unité de la forme n’est pas incompatible avec la série de ses modifications intrinsèques. C’est en ce sens que Bruno peut dire que les différences ne multiplient pas réellement la substance, au sens où le multiple doit être d’abord pensé « relativement à la substance », comme le sont les passions propres de l’être.
64On est en mesure, désormais, de définir plus précisément le rapport qui existe entre le monisme de Bruno et la théologie de Nicolas de Cues. La Docte ignorance repose sur la différence entre le fini, le composé, qui est dans l’« univers » sous l’unité contractée des dix genres, et la quiddité absolue qui n’appartient qu’au divin. Pour Nicolas de Cues, toute chose est Dieu, dans la mesure où elle est « une », c’est-à-dire dans la mesure où elle est « en quelque sorte l’aspect fini de l’infini »57. La quiddité absolue est la quiddité de toute chose. La multiplicité tient à ce que cette essence infinie est, dans les créatures, « mélangé » au néant : « Que la créature soit une, discrète et liée à l’univers, et d’autant plus semblable à Dieu qu’elle est une, elle le tient de Dieu. Mais que cette unité se manifeste dans la confusion, et cette liaison dans la discordance, cela ne vient pas de Dieu ni d’aucune cause positive, mais c’est un événement contingent »58. Bruno reprend à son compte la thèse cusaine qui court-circuite l’objection aristotélicienne du premier livre de la Physique. Il écrit :
Tout ce qui fait la diversité des genres, des espèces, des différences, des propres, tout ce qui consiste dans la génération, la corruption, l’altération et le changement n’est pas l’être, n’est pas l’essence, mais condition et circonstances de l’être ou de l’essence, lequel est un, infini, immobile, substrat, matière, vie, âme, vrai et bon59.
65Comme Nicolas de Cues, il fait du fini un « aspect » de l’infini :
Toutes les différences que présentent les corps entre eux, au point de vue de la formation, de la constitution, de la figure, de la couleur et d’autres caractères propres ou communs, ne sont rien d’autre que les aspects divers d’une même substance (non è altro che un diverso volto di medesima sustanza), aspects fugitifs, mobiles, corruptibles d’un être immobile, persistant et éternel, dans lequel se trouvent toutes les formes, toutes les figures et tous les membres, mais indistincts et pour ainsi dire agglomérés, exactement comme dans la semence, où le bras ne se distingue pas de la mains, ni le buste de la tête, ni le nerf de l’os (… )60.
66En ce sens, la différence, dans la mesure où elle n’est pas l’être ni l’un, n’est « rien » :
Voilà pourquoi nous ne devons pas nous torturer l’esprit, voilà pourquoi il n’y a rien qui doive nous effrayer : car cette unité est stable dans son unicité, et demeure toujours ; car cet un est éternel, tandis que tout aspect, toute face et tout le reste sont vains et comme nuls – mieux : tout ce qui est en dehors de cet un est nul61.
67On retrouve donc bien, en un sens, la thèse cusaine selon laquelle la différence et l’altérité ne sont « rien ». Ce qui est source de finitude n’est rien.
68Les textes que l’on vient de citer, s’ils peuvent être rapprochés de la doctrine de la Docte ignorance, présentent toutefois une différence fondamentale : la « vanité » de la finitude ne signifie aucunement, pour Bruno, que le fini soit l’effet d’une chute. Tout au contraire, la thèse signifie que « nous ne devons pas nous tourmenter l’esprit », puisque, en dehors de l’un, l’altérité et la négativité ne sont « rien ». Autrement dit, ni l’un ni l’être n’ont de contraire. Il n’y a que l’être un et infini. Ce que le monisme de Bruno refuse ici, c’est bien la substantialité du particulier et l’idée que les différences puissent définir une séparation réelle du fini. La pensée cusaine de la chute, on l’a vu, dramatisait la théorie scotiste de l’heccéité, faisant de la contraction l’indice du mélange de l’infini et du non-être : Bruno dédramatise, au contraire, la pensée de la différence, en rappelant la thèse présocratique dont il fait un mot d’ordre moral : « la distinction entre “être” et “non-être” n’est pas réelle, mais seulement verbale ou nominale »62, c’est-à-dire « l’être est, le non-être n’est pas ». Lorsqu’il critique l’ordre essentiel qu’Aristote esquisse dans le livre Z de la Métaphysique, en définissant la substance comme « séparée », Bruno récuse finalement le tragique de la finitude, contrepartie éthique des théologies de l’être équivoque.
Notes de bas de page
1 Causa, p. 192.
2 Ibidem, p. 170 et 192.
3 Ibidem, p. 190.
4 Ibidem, p. 230-232.
5 Ibidem, p. 232.
6 Bruno mentionne deux fois David de Dinant dans le De la causa : 1) d’abord dans l’argument du troisième dialogue (p. 16 : « On montre premièrement (…) que David de Dinant n’a pas suivi une démarche insensée en faisant de la matière quelque chose d’absolument excellent et de divin » ; 2) et à la fin du quatrième dialogue (p. 266 : « [la matière] est bien un être divin dans les choses – comme le voulait David de Dinant, mal connu de certains qui rapportent son opinion »). Sur David de Dinant, cf. G. Théry, Autour du décret de 1210 : I.– David de Dinant. Etude de son panthéisme, Le Sauchoir, Kain, 1925, qui tente de reconstituer la doctrine de David à partir des nombreuses citations qu’en fait Albert le Grand. Ce sont ces textes que connaît Bruno. Depuis le livre de G. Théry, ont été retrouvés et éditée des fragments de ses Quaternuli : Quaternulorum fragmenta, éd. M. Kurdzialek, Studia Medievistyczne, 3, 1963.
7 Physica, I, tract. 3, chap. 11, Opera omnia, éd. Institutum Alberti magni Coloniense Bernhardo Greyer praeside, t. IV-1, Cologne, 1970, p. 57.
8 Ibidem. Ce texte est paraphrasé par Bruno au début du dialogue IV du De la causa, p. 230.
9 Ibidem.
10 Physique, I, 7, 191a19-20, trad. H. Carteron, éd. cit., p. 47.
11 Physica, I, tract. 3, cap. 11, éd. cit., p. 58.
12 De substantiis separatis, chap. 6, in Opuscula philosophica, éd. P. Raymundi et M. Spiazzi, Marietti, Rome, 1954, § 67, p. 28 ; L. de Bernart (Immaginazione e scienza in Giordano Bruno, Pise, ETS, 1986, p. 230-9) évoque ce texte et le rapport de Bruno avec Avicebron. Notre perspective est sensiblement différente.
13 Ibidem, chap. 5, § 62, p. 27.
14 Somme contre les Gentils, I, 17, trad. R. Bernier, M. Corvez, M.-J. Gerlaud, F. Kerouanton et L.-J. Moreau, Paris, Cerf, 1993, p. 45.
15 De substantiis separatis, chap. 6, éd. cit., § 68, p. 28.
16 Ibidem, § 69, p. 29.
17 « Sed haec positio tollit quidem veritatem materiae primae. Quia si de ratione materiae est quod sit in potentia, oportet quod prima materia sit omnino in potentia : unde nec de aliquo exsistentium actu praedicatur, sicut nec pars de toto » (ibidem, § 70, p. 29).
18 « Tollit etiam logicae principia, auferens veram rationem generis et speciei et substantialis differentiae, dum omnia in modum accidentalis praedicationis convertit » (ibidem).
19 « Tollit etiam naturalis philosophiae fundamenta, auferens veram generationem et corruptionem a rebus, sicut et antiqui ponentes unum materiale principium. Neque enim simpliciter aliquid generari dicitur, nisi quia simpliciter de non ente fit ens. Nihil autem fit quod prius erat. Si igitur aliquid fit quod prius erat in actu, quod est simpliciter esse ; sequeretur, quod non simpliciter fiat ens hoc quod prius non erat ; unde secundum quid generabitur, et non simpliciter » (ibidem).
20 « Tollit demum, ut finaliter concludam praedicta positio etiam philosophiae prima principia, auferens unitatem a singulis rebus, et per consequens veram entitatem simul et rerum diversitatem » (ibidem, § 71, p. 29).
21 Commentaire des Sentences, II, d. XVII, q. 1, a. 1, cité par G. Théry, Autour du décret de 1210 : I.– David de Dinant. Etude de son panthéisme, Le Sauchoir, Kain, 1925, p. 28. Sur le caractère phénoménal des formes, cf. Albert (Metaphys., I, tract. 4, chap. VII) qui rapporte la thèse de David à Xénophane et à Alexandre d’Aphrodise (cité par G. Théry, ibidem, p. 32). Cette thèse est reprise par Bruno qui refuse de rapporter la distinction du sensible et de l’intelligible à une hiérarchie ontologique (voir notre chapitre VI).
22 Causa, p. 232.
23 Ibidem, p. 232-234.
24 Causa, p. 234.
25 Ibidem, p. 240.
26 Ibidem, p. 242.
27 Ibidem, p. 240.
28 Ce texte n’est pas de Scot lui même, mais de Vital du Four. Nous avons utilisé l’édition suivante : Duns Scot, Quaestiones de rerum principio. Tractatus de primo rerum omnium principio, éd. M. F. Garcia, Quaracchi, 1910.
29 De rerum principio, q. VII, art. 4, § 24.
30 Ibidem, § 35.
31 Ibidem, q. I, art. 1, § 3.
32 Ibidem, § 4.
33 Ibidem, q. VIII, art. 4, § 36.
34 Ibidem, § 37.
35 Bruno évoque cette incompatibilité d’essence lorsqu’il prend comme exemple la contraction de l’animalité en espèces distinctes : « ce genre se contracte en espèces définies, l’essence de l’homme est incompatible avec celle du lion » (Causa, p. 242). Si ces essence sont incompatibles, c’est en fait parce que genre est logique. Il en serait autrement s’il avait pris comme exemple l’universel « physique » qu’est la « forme ».
36 Commentaria Marsilii Ficini Florentini in Philebum Platonicis. De summo Bono, éd. M. Allen, Marsilio Ficino : The Philebus Commentary, Berkeley, CUP, 1975, p. 395.
37 Ibidem, p. 397.
38 Ibidem, p. 399.
39 Ibidem.
40 Ibidem, p. 395.
41 Ibidem.
42 Ibidem.
43 Causa, p. 22.
44 Ibidem, p. 192.
45 Ibidem, p. 234.
46 Ibidem, p. 244.
47 Ibidem.
48 Ibidem.
49 Ibidem, p. 298.
50 Ibidem, p. 242-244.
51 Ibidem, p. 244.
52 Ibidem.
53 Ibidem, p. 250.
54 Ibidem, p. 258.
55 Summa terminorum, p. 103.
56 Causa, p. 298.
57 La docte ignorance, II, 2, trad. M. de Gandillac, Œuvres choisies de Nicolas de Cues, Paris, Aubier, 1942, p. 108-109.
58 Ibidem, p. 105.
59 Causa, p. 286.
60 Ibidem, p. 284.
61 Ibidem, p. 280.
62 Ibidem, p. 232.
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