Lettres V
p. 147-173
Texte intégral
Nietzsche à Carl von Gersdorff1
1<Bâle, > 24 juin <1872.>
2Une fois de plus, mon cher ami, j’ai eu en mains ta lettre avant de recevoir la Nord. Allgem. avec sa joie dominicale. Je te remercie de tout cœur pour la chaude sympathie et affection que tu m’as témoignées ; oui, peu à peu, toute l’affaire, de honte qu’elle était pour nous, est devenue un honneur ; et personne ne serait plus en droit de s’en réjouir que le bon Fritzsch. Pour peu que Rohde, philologique ange exterminateur, se charge du « torchon wilamowitzien » contre la « Fritzanterie de Fritz Nietzsche » (– recommandable comme exercice d’élocution ! –), nous sortirons de l’arène sains et saufs ou, pour mieux dire, couverts de fleurs et de guirlandes. Justement c’est aujourd’hui
« La Saint-Jean ! La Saint-Jean !
Fleurs et guirlandes à profusion ! »
3Mon cher ami, je t’annonce ici de façon solennelle que j’irai à Munich pour la représentation de Tristan ! Ainsi nous allons nous revoir, c’est magnifique ! Sauf que j’ignore tout à fait la date de la répétition générale et celle de la première. Le Musik. Wochenblatt dit qu’on donnera Tristan le 28.
4Je vais télégraphier tout de suite à Bülow.
5En hâte et fidélité
6toujours
7tien
8F N.
Nietzsche à Richard Wagner2
9<Bâle.> Le 24 juin 1872.
« La Saint-Jean ! La Saint-Jean !
Fleurs et guirlandes à profusion ! »
10Oui certes, maître que j’aime, j’éprouve un vrai sentiment de bien-être au soir de cette Saint-Jean qui m’a apporté votre magnifique lettre, dont l’écho résonnera longtemps en moi. Quelle splendeur ne me faut-il pas reconnaître à ce jour de ma vie qui, sur sa fin, m’avertit de ne regarder autour de moi qu’avec reconnaissance, de savoir que je ne suis pas isolé et d’admirer avec un sentiment joyeux ce que m’a permis de vivre le plus faste destin : la pure, l’imméritée bienveillance, la forte et affectueuse protection du plus puissant des esprits !
11Vous m’accorderez du temps pour mûrir afin de remplir ma tâche ; bien plus, de votre propre main bienveillante, vous arrachez sur mon chemin les plus réfractaires des mauvaises herbes. Face à tout cela je ne suis rien qu’avenir – il m’a été rarement permis de croire à cet avenir aussi clairement qu’en ce jour où vos espoirs semblent me le garantir tel que nous le désirons.
12Tout ce que vous m’écrivez, mes amis d’ici le tiennent au plus haut point pour vérité ; oui, je le pense, Bâle est mieux préparé justement que mainte autre ville à bien entendre ces paroles de vous ; oui, je le pense, ils ne sont pas rares ici ceux qui avec moi se réjouissent de l’hommage public qui m’est rendu.
13Je ne vous ai peut-être pas dit que le dr. Romundt est venu obtenir ici son habilitation pour être privat-docent de philosophie : il a terminé un écrit intitulé « Kant et Empédocle ».
14Pour ma part, j’ai été physiquement fort mal en point ; il m’a fallu à nouveau m’aliter, et aujourd’hui seulement j’éprouve pour la première fois le sentiment d’une vraie guérison. C’est bien contrariant pour moi de constater avec quelle facilité et quelle fréquence je suis complètement sens dessus dessous, mais j’espère dorénavant aller de mieux en mieux, et c’est aussi ce que croit mon médecin.
15Ah ! très vénéré maître, comme je suis heureux aujourd’hui ! Dans mon existence j’ai échappé à un grand péril : celui de ne vous avoir jamais approché, de n’avoir vu de mes yeux ni Tribschen ni Bayreuth. Depuis que l’image de cette inauguration solennelle m’accompagne partout, je me sens beaucoup plus rassuré ; le sort que me réserve la vie m’importe moins.
16Une dépêche de Bülow, qui arrive à l’instant de Munich, me donne encore espoir d’entendre cette semaine le Tristan ! Il est impossible de vivre l’expérience d’un été plus riche et plus plein – et tout cela grâce à vous ! Comment pourrais-je vous remercier ?
17Avec mon affection fidèle
18votre
19Friedrich Nietzsche.
Nietzsche à Friedrich Ritschl 3
20Bâle 26 juin 72
21Très vénéré monsieur le conseiller privé,
22de tout cœur je vous remercie de m’avoir envoyé le bel et imposant catalogue, en particulier aussi d’avoir eu la bonté de me désigner sur l’adresse comme « membre honoraire de l<a> L<eipziger> S<ocietät> », formule qui m’a fait rire, le jour où j’ai reçu votre envoi, car je croyais plutôt qu’il fallût s’adresser à moi comme à un « membre déshonoré ». En effet, je venais tout juste de me regarder dans le miroir présenté par M. Wilamowitz, et j’avais pris conscience de tout ce que ma physionomie a de hideux.
23Les choses vont maintenant leur train, et je ne vois pas pourquoi je devrais prendre l’affaire au sérieux – à supposer que précisément vous ne désespériez point à mon propos, vous et les rares qui me connaissent. Mais aux Berlinois en tout cas j’ai arraché un cri de fureur, – c’est déjà quelque chose. Car à mes yeux le pamphlet n’a qu’un sens : il signifie qu’à travers lui je suis moins interpellé par W<ilamowitz> que par d’autres personnes « plus haut placées » que lui.
24Sur ces entrefaites, vous aurez été comme moi surpris, et je l’espère, heureux, de lire la Lettre ouverte que Wagner m’a adressée (suppl. dominical de la Norddeutsch. Allg.). A Berlin éclate maintenant un second cri de fureur. Cela me va très bien – car je hais l’impudente racaille de là-bas et la tiens pour dommageable et corruptrice à travers toutes les fibres de notre vie et de notre culture.
25Mais voici une troisième chose, et qui a plus de poids. Derrière toute la perfidie de ce W<ilamowitz>, tout le plaisir qu’il prend à déformer la réalité, toute son impudente diffamation, ce qui se cache est seulement la ferme assurance qu’aucun philologue professionnel n’interviendrait en faveur de mes vues ; on me croyait complètement isolé. Or mon ami Rohde m’écrit qu’il est en train de composer un texte d’ordre purement philologique, sous la forme d’une Lettre ouverte à R. Wagner. Notre juvénile apprenti y est démoli d’une manière honorablement philologique et qui doit servir d’exemple avertisseur.
26J’ai maintenant une requête à vous adresser, très vénéré Monsieur le conseiller intime ; et là-dessus je fais confiance à votre affection pour moi. J’aimerais bien que le texte de Rohde (environ 40 pages – sous le titre, je viens de vous le dire, d’Adresse à R.W.) parût chez Teubner, ce qui d’emblée lui assurerait une vaste audience dans le monde philologique. C’est dire que je ne souhaiterais pas que, cette fois encore, nous dussions recourir à un éditeur de musique (comme Fritzsch). Le grand bruit que provoquera le texte de Rohde devrait encourager Teubner à l’éditer. – Pour la réalisation de ce souhait, pourriez-vous m’apporter quelque soutien ? J’ai droit assurément à une certaine satisfaction à la face des Leipzigois ; et ne croyez-vous pas aussi que notre contre-attaque devrait être conduite avec le plus d’apparat et de solennité possible ?
27Telle est, je vous l’ai dit, ma requête – répondez-moi par oui ou par non, j’en serai satisfait. Car dans toute cette affaire je n’appartiens pas au clan des « enragés ».
28Ma sœur est chez moi. Elle m’a beaucoup parlé de madame votre épouse et de vous, beaucoup et néanmoins de façon trop brève. Vous ne sauriez croire à quel point j’ai été heureux d’apprendre que les vôtres et vous-même aviez gardé de moi un si bon et si chaleureux souvenir ; car lorsqu’on se conduit de façon aussi « singulière » que moi, on craint d’avoir inconsidérément compromis toute la bienveillance et l’affection de ses plus chers amis. Cette crainte pourtant est injustifiée, je le sais ; car c’est justement en de telles circonstances que s’avère cette fidèle affection dont se souvient toujours avec la meilleure gratitude
29votre très dévoué disciple Friedrich Nietzsche
Friedrich Ritschl à Nietzsche
30Leipzig, le 2 juillet 1872
31Cher Professeur,
32Comme vous pouvez le voir d’après la lettre ci-jointe de B.G. Teubner, cette maison n’est malheureusement pas disposée à satisfaire votre vœu. Je ne crois pas me tromper en reconnaissant dans ce refus une répugnance à soutenir une polémique dirigée contre la philologie dans la défense de laquelle cette maison concentre essentiellement ses activités. Il ne m’est donc pas possible de demander à Teubner ce qui serait pour lui un sacrifice.
33Mon amitié personnelle pour vous mise à part, amitié que vous conserverez même si nos points de vue devaient entrer dans les plus grandes contradictions, je ne peux soutenir des jugements comme ceux que R. Wagner se permit de défendre à propos d’une science que, précisément, il ne connaît pas, dont il se trouve avoir été dégoûté dans son jeune âge par des professeurs ennuyeux et que son jugement superficiel de dilettante lui fait considérer comme inutile, parce que, en raison de toute sa formation et de la voie si différente dans laquelle son existence s’est engagée, il ne sait pas quel profit tirer de recherches de sources et de références.
34J’ai presque de la peine pour cet homme si remarquable lorsque je le vois cracher sur des choses auxquelles il ne comprend rien, et je suis encore plus peiné pour vous de voir qu’il n’a pas trouvé de meilleures armes contre le détestable pamphlet de Wilamowitz, et que par sa prétention à écrire sur des choses qui lui sont étrangères il vous a sans doute plus nui que servi.
35Je suis convaincu qu’une correction strictement scientifique du pamphlet de Wilamowitz serait la seule chose digne à faire ; mais il ne faudrait pas que par une adresse à Richard Wagner elle revête un caractère d’hostilité à l’égard de la philologie. En tout cas, vous devez bien comprendre de vous-même, cher ami, que le vieux philologue que je suis – un « pécheur invétéré » selon Richard Wagner – ne peut pas tenir là le rôle de parrain.
36Si vous et vos amis trouvez votre salut par d’autres voies, je garderai toujours une appréciation impartiale du sérieux et de l’ambition de vos efforts ; mais je ne m’accorderai jamais avec vous pour penser que seuls l’art et la philosophie sont les seuls éducateurs du genre humain ; selon moi, l’histoire l’est également, et tout particulièrement sa branche philologique.
37On pourrait dire et écrire beaucoup de choses à ce propos ; mais malgré tout, nous ne parviendrions peut-être à un réel accord que si vous pouviez vous replacer quelques années en arrière. Ainsi, laissez-nous demeurer liés par une estime et une sympathie personnelles.
38Fidèlement vôtre,
39F. Ritschl.
Nietzsche à Erwin Rohde 4
40<Bâle, 7 juillet 1872> Dimanche.
41Mon cher ami,
42entre-temps j’ai fait une tentative pour intéresser à ta Lettre ouverte l’officine Teubner – par l’intermédiaire de Ritschl, dont toute la sympathie m’est assurée, si tendue que soit la situation. Mais j’ai échoué, et je t’envoie la lettre de R. pour que tu voies de quelle manière dès le départ on interprète nos démarches. Bien que je vive dans un exil assez protégé, j’entends venir à moi, de temps en temps, l’écho de la plus imprudente présomption et mésestime philologique à mon endroit ; il semble bien que la corporation ait prononcé à mon égard une condamnation à mort. Mais qu’elle ait la puissance de me tuer effectivement – j’en doute.
43Dernièrement nous voulions (Gersdorff et moi) t’envoyer une dépêche de Munich. Le Tristan ! Mais nous avons pensé que l’expression de notre joie enthousiaste te parviendrait peut-être dans une disposition d’esprit fort douloureuse, et nous y avons renoncé. Ah ! mon cher, mon cher ami ! Du Tristan on ne peut absolument rien dire ! – Dans la deuxième moitié d’août, on en donnera une autre représentation, et ensuite, pour le jubilé de l’université, on jouera Lohengrin et peut-être aussi Les Maîtres chanteurs.
44As-tu conservé quelques exemplaires de ton magnifique compte rendu ? Il a connu une grande diffusion ; par moquerie je l’ai même adressé aux « méchants ». Personne ne sait que je suis à l’origine de cet envoi, car Gersdorff, de Tegernsee, a tout pris en charge. On n’a oublié ni Haupt ni Curtius ni Zarncke, etc. – aucun des φίλτατοι5 ! Que Dieu les bénisse !
45L’ami Romundt est arrivé ici depuis quelques semaines ; définitivement privat-docent de philosophie chez nous ! Il a reçu un accueil très amical. Le semestre prochain il traitera du « matérialisme » et donnera des séances de révision d’hist. de la philos. On le soutient et il est très satisfait. Son étude sur « Kant et Empédocle » est publiée ici, chez Georg.
46Bülow m’a parlé à Munich d’une traduction franç. de mon livre. Une admiratrice, qui a déjà traduit en franç. des textes de Schumann, Mad. Diodati (villa Diodati, près de Genève, la villa de Byron) y travaille très activement.
47Je suis entré en contact avec tout un cercle d’amis florentins.
48Puisque je suis en train de te communiquer des lettres, j’ajoute, comme contrepoison à celle de Ritschl, la dernière lettre de Wagner. Lis-la ; elle est merveilleusement émouvante.
49Comment vas-tu, très cher ami ? Es-tu en bonne santé ? As-tu ta juste mesure de plaisir ?
50Je suis toujours tellement heureux lorsque je pense à toi. Nous voulons rester tranquilles et éviter que les vagues nous éclaboussent. Ce que nous voulons est bien – et n’est-ce pas aussi ce qui te convient ? Au sein de ce « vouloir », dans la conception et l’édification de notre monde, tout se passe pour moi comme si, hors de nous (j’entends « nous » au sens wagnérien6) il n’existait absolument personne. Dès lors la horde cliquetante des philologues passe devant moi comme une troupe de soldats de plomb.
51Adieu, mon cher bon ami. J’aimerais savoir ce que tu fais et ce qui t’arrive de bien.
52Reçois les sentiments cordiaux de ton
53Friedr Nietzsche
54Cher ami, maintenant nous adoptons Fritzsch. N’est-ce pas ? Mais sache-le bien, inutile de se presser tellement pour la Lettre ouverte en question ! Prends ton temps – mais ne traite les philologues qu’en un style soutenu, très soutenu !!
Erwin Rohde à Nietzsche
55Kiel, le 12 juillet 1872.
56Mon cher ami,
57je t’aurais écrit quelques lignes depuis longtemps si je ne m’étais pas figuré que tu n’avais pas encore reçu ma lettre. C’est le cachet de la poste de Tegernsee, visible sur le tirage de ma recension envoyée à Ribbeck, qui m’a fait penser cela. Je te remercie de tout cœur pour le superbe habit que tu as fait faire pour cette recension. Mais maintenant je trouve que l’envoi à toutes ces personnes qui ne sont pas très indiquées n’est peut-être pas une bonne idée, car elles y verront une naïveté pour s’assurer leur soutien, au lieu d’y voir l’ironie visée.
58Entre temps j’ai commencé le règlement de comptes avec Wilamowitz. J’ai écrit à Wagner et obtenu l’accord pour l’adresse que je vais lui envoyer. J’ai pas mal de choses à faire en ce moment, mais je pense avoir terminé dans quinze jours à peu près. Fritzsch se chargera certainement de l’impression. Dois-je m’adresser directement à lui, ou veux-tu t’en charger ? Je te remercie pour ta démarche auprès de Ritschl ; mais somme toute on pouvait prévoir avec certitude une défaite face à Teubner. Mais qui peut bien avoir mis dans la tête de R<itschl> que la réfutation de Wilamowitz implique qu’on jette l’anathème sur la philologie comme telle ? Je n’y pense pas : la visée de mon écrit est bien plutôt de montrer que les reproches purement philologiques ne sont pas justifiés, afin justement de conserver le lien entre des considérations historiques et philosophiques comme but de la philologie, et pour enlever aux philologues le prétexte que ton écrit ne serait pas philologique. Ainsi, ils apprendront. Je n’ai même pas l’intention de mener à cette occasion une lutte de principe contre la philologuerie7 bornée. Il n’empêche que justifier qu’on considère l’Antiquité avec un regard de philosophe, in specie schopenhauerien, ne manquera pas d’exciter la sainte colère des critiques de Berlin et de Leipzig. Du reste, je pense qu’il faut pour cette fois éviter toute provocation inutile. Je suis sérieusement convaincu qu’il n’est pas bon de laisser tomber toute diplomatie dès maintenant. On peut, sans rien céder sur le fond, dénoncer les aberrations insensées du philologue en s’y prenant de manière un peu plus modérée que si notre but était de faire exploser toute la science de l’Antiquité, ce qui d’ailleurs serait impossible, au lieu de la remettre sur la voie qui est authentiquement la sienne. Si même Ritschl est assez fou pour nous prêter une telle intention, c’est qu’il se sera complètement agglutiné aux mauvais. Je ne m’attarde évidemment pas sur les divagations de Wil<amowitz> quand elles débordent les questions strictement philologiques, et je leur règle simplement leur compte par l’ironie. Enfin, pour en finir avec cette polémique, je te prie, cher ami, de m’aider à trouver un titre court et incisif.
59Encore deux questions : 1.) As-tu quelque connaissance du fait qu’Aristarque aurait véritablement dit quelque chose sur l’origine tardive de la mention des titans dans l’Iliade, dans les livres concernés ? Moi pas, mais la fiction de Wil<amowitz> serait vraiment trop insolente.
602.) Existe-t-il des indications sur le caractère mimétique de la musique du dithyrambe attique le plus récent, à part Aristote, Problèmes, XIX 15, Athénée VIII, 352 b, 338 a (Aristophane, Nuées, 332 sq. et la citation par K.O. Müller de ce que dit Platon, République, III, 396 b, 397a ; et enfin Aristophane, Plutus, 338) ? Ta conception du satyre du point de vue de son côté fort et noble me paraît très remarquable, et je pense en avoir trouvé le fondement dans l’indication de chœurs de satyres dans la τραγῳδία sérieuse du plus ancien dithyrambe, en particulier chez Arion, etc. –
61Ce Wil<amowitz> est du reste d’une ignorance scolaire et d’une absence de pensée indescriptible.
62Donc, je pense avoir terminé dans environ quinze jours. En bref cela se présente ainsi : Wilamowitz refuse le contenu réel, car il est un de ces « critiques » que je décris rapidement. Mais, faisant un bon calcul, il se jette sur l’aspect philologique pour rendre l’écrit du philologue suspect. Les philologues ont horreur qu’on fasse intervenir la philosophie, et particulièrement la philosophie interdite de Sch<openhauer>. Thèse : elle est justement nécessaire pour avoir une vue complète et effective de l’Antiquité, et la théorie de la musique de Schopenhauer est particulièrement fructueuse pour traiter des questions concernant la tragédie. Retour aux problèmes purement philologiques, comme relevant seuls de mon domaine. Raison pour laquelle on s’adresse à R<ichard> W<agner>. Ensuite les philologica : pour finir, on en termine avec Wil<amowitz> et une conclusion succincte. In summa environ 2 feuillets.
63Voilà sur ce point. Tu ne dis rien de ta santé, cher ami, qui pourtant était de nouveau chancelante d’après ton avant-dernière lettre. Laisse-toi donc bien vivre, et use de cette période chaude de vacances (nous labourons toujours, mais vous devez sans doute être libres ?) pour « remettre du grain dans ta grange » comme il faut. Est-ce que ta sœur est encore près de toi, s’occupant de toi comme une fidèle mère nourricière ? Je te prie dans ce cas de lui transmettre mon bonjour le plus amical. J’aimerais bien en apprendre davantage sur Munich et sur Tristan. A part cela, je vais bien, mais je suis de mauvaise humeur. Je vais bientôt subir une grande perte : Ribbeck nous quitte pour Heidelberg à l’automne, et je perds avec lui un cœur vraiment amical et fidèle. Son départ n’aura du reste aucune influence sur mon avancement. Je me réjouis beaucoup pour toi et pour Romundt que celui-ci s’installe maintenant chez vous. Vous allez beaucoup y gagner. Si j’étais à Fribourg, nous serions tous les trois : mais, les choses étant ce qu’elles sont, salue-le de ma part et reste mon ami !
64P.S. C’est une honte, mais j’ai toujours tes conférences ; j’ai traîné à cause de problèmes d’emballage. Mais je veux les poster demain, en même temps que les lettres de W<agner> et de R<itschl>.
Nietzsche à Erwin Rohde 8
65<Bâle, peu après le 10 juillet 1872.>
66Mon cher ami,
67Je viens d’avoir une idée. Je constate que personne n’a lu la Lettre de Wagner, et je souhaite, parbleu, qu’il ne l’ait pas écrite inutilement, car elle est belle et vraie.
68Pourrions-nous publier ensemble, dans la même brochure, la Lettre de Wagner et la tienne ? Il me semble que cela encouragerait à les lire toutes les deux. Le titre qu’on voudra, par ex.. Deux Lettres sur la Naissance de la tragédie. Et ensuite un deuxième titre, plus explicite !
69Si ce projet te semble défendable, écris-moi très, très vite ! En ce cas j’en discuterai immédiatement avec W.
70En toute hâte et affection
71Ton F N.
Erwin Rohde à Nietzsche
72<Kiel>, Dimanche <13 juillet 1872>
73Cher ami,
74j’ai moi aussi déjà eu l’idée de faire paraître la lettre de Wagner en même temps que mon texte, avant même de commencer à l’écrire. Mais comme j’ai appris que W<agner> avait tout à fait renoncé à faire paraître cette lettre en tiré à part, ce qu’il avait d’abord compté faire, j’ai laissé tomber cette idée et n’en ai même pas parlé. Mais je l’ai abandonnée d’autant plus qu’en y réfléchissant plus longtemps j’ai trouvé que ce procédé n’était pas convenable. Il serait déjà surprenant que deux lettres adressées à deux personnes différentes soient réunies dans une même brochure, mais cela le sera plus encore dans la mesure où le ton de ces deux lettres, qui pourtant traitent de la même question, risque d’être complètement différent en raison de la personnalité respective de leurs auteurs – comme ce sera nécessairement le cas ici. Comme je me trouve au beau milieu de la rédaction de ce texte, cette suggestion me semble d’autant plus impensable qu’il me faudrait en ce cas nécessairement tenir compte du voisinage de la lettre de W<agner>, ce qui m’obligerait à modifier complètement toute la forme de la partie lettre de mon texte, alors que je suis en plein dans les Titans et Archiloque. Dans l’ensemble, cette idée ne me semble pas avoir assez de « style », car, soudées l’une à l’autre, deux personnes aussi différentes ne représenteraient en fait qu’un pur tragelaphos 9 qui susciterait bien des moqueries. Et encore faut-il présupposer que W<agner> aurait été d’accord. Ainsi, cher ami, je te prie d’abandonner cette idée d’entremetteur ! Nous formerions une paire trop dépareillée.
75Il serait en revanche très souhaitable pour toi et les bonis litteris que W<agner> rende de quelque manière sa lettre accessible à un public plus large et moins aléatoire, ne serait-ce que par une publication séparée, ou bien en l’intégrant au dernier tome de ses écrits. C’est à cela que tu devrais l’engager.
76En voilà assez aujourd’hui pour les accouplements ratés. Mais pense, ô seigneur, aux Titans et au nouveau dithyrambe, et pense aussi à Fritzsch et à un beau titre. Que la vie t’accorde santé et soleil, cher ami, et salue Romundt ; écris-moi vite.
77Avec toute ma cordiale affection,
78ton
79E.R.
80NIETZSCHE À Erwin Rohde10
81<Bâle, 16 juillet 1872.>
82Voici, mon bon cher ami, salué avec cris de joie et de moquerie, le titre inventé par mon colocataire, le professeur Overbeck :
La sous-philologie
du dr. U.v. Wilamowitz-Mollendorff.
Lettre ouverte d’un philologue à Richard Wagner
83Ne mets ton nom que sous la Lettre, c’est-à-dire à la fin (mais entièrement, avec tous tes titres honorifiques). Dans la conclusion tu peux te donner le plaisir de traiter encore à plusieurs reprises Wilamowitz de « sous-philologue ». Pour nous il représente une « fausse » philologie et le résultat de ton texte doit être de le faire paraître également sous ce jour aux autres philologues. A Ritschl je vais écrire encore, de façon tout à fait sérieuse et pressante, qu’il devrait bien renoncer à cette inconcevable idée que nous aurions eu comme propos de nous attaquer à la science de l’Antiquité (ou à l’histoire !). Je m’étais contenté de lui écrire que pour ta part, sur un mode simplement philolog. tu voulais démolir l’impudent apprenti. En réalité la Lettre de W<agner> lui a causé un tel effroi que tous ensemble nous lui faisons peur. A quoi s’ajoute son souci de la « philologie teubnérienne »\ Voilà un mot d’ordre que je te recommande, pour en user à huis clos.
84Quant à l’affirmation de Wil. sur Aristarque et les Titans, je ne vois absolument pas sur quoi il peut la fonder. En ce qui concerne l’aspect préhomérique de la lutte des Titans, Welcker en a parlé de la façon la plus explicite, Mythologie, I, 26211. Qu’on ne vienne surtout pas me casser les oreilles avec l’inconsistante affirmation selon laquelle le monde homérique serait la jeunesse, le printemps du peuple, etc.! Telle qu’on l’entend, elle est fausse. Qu’il y ait eu d’abord un immense, un sauvage combat, à partir d’une sombre et rude barbarie, qu’Homère se situe en vainqueur au terme de cette longue période désolée, voilà une de mes certitudes les mieux ancrées. Les Grecs sont beaucoup plus anciens qu’on ne pense. Si l’on parle du printemps, qu’on se garde d’oublier l’hiver qui l’a précédé ! Ce monde de pureté et de bonté n’est pas tombé du ciel !
85La conception des satyres est pour moi quelque chose de très important, et c’est là quelque chose d’essentiellement nouveau, n’est-il pas vrai ? – J’ai beaucoup choqué en présentant les satyres, d’après leur plus ancienne figuration, comme des êtres à pied de bouc ; mais c’est vraiment trop sot de ne s’élever là contre que par référence à l’archéologie, etc. L’archéologie, en effet, connaît seulement le type ennobli, tiré du jeu satyrique ; antérieure est la représentation des boucs comme serviteurs de Dionysos et des sauts de bouc de ses adorateurs. Les pieds de bouc sont ce qui caractérise propr<ement> la représentation la plus ancienne ; et en dehors de toute preuve archéol. je pourrais affirmer que les οὐτιδανοὶ καὶ ἀμηχανόεργοι d’Hésiode12 avaient des pieds de bouc, qu’ils étaient donc capripedes comme dit Horace, Od., 2,2, et d’autres poètes (dont certains grecs). J’explique σάτυροι, ainsi que τίτυροι13 comme des redoublements de la racine τερ (le rapport est analogue de Σίσυφος à σοφός 14). Τορός d’une clarté perçante ; σάτυροι : « qui poussent des cris perçants », qualifiant des boucs comme μηκάδες qualifie les chèvres. Il y a là, je pense, une fameuse équation : Τορός à τίτυρος = σοφός à σίσυφος. – Si elle t’agrée, tu peux aussi en faire mention. – Bien entendu, je ne confonds pas Satyres et Pans, comme Wil. me le reproche. Je dis, p. 8 [47] : « Apollon qui ne pouvait opposer la tête de Méduse à aucune puissance plus redoutable. » Wil. dit « brandir », 9 et 18, là où, tout en usant de guillemets, il donne de moi une fausse citation15. Je continue à ne pas voir ce qui scandalise W., étant admis qu’il sache ce qu’est l’égide. – Il est clair pourtant que j’imagine simplement une scène, comme par exemple pour l’Apoll. du Belvédère. – Concernant Archiloque la référence princip. est Westphal, Histoire de la musique antique et médiév., p. 115 sq., de quoi notre apprenti n’a pas la moindre idée. – Pour la note de la p. 26, le vers de l’oracle est, bien entendu, Σοφοκλῆς σοφός, σοφώτερος δ‘ Εὐριπιδῆς 16. Comme qualification d’ensemble, « l’amabilité éternellement sereine de Sophocle » m’a beaucoup amusé17 ; – p. 29 les premières lignes présentent un céleste exemple de la sotte platitude de Wil. en tant que lecteur. Généralement la page tout entière est drôle18. – Au milieu de la p. 18 les scandaleuses plaisanteries obscènes méritent correction19 ; réfère-toi, je te prie, à ce que j’ai effectivement dit p. 19 [54], Même l’épigraphe est d’une affreuse vulgarité. La confusion entre élégie et poésie lyrique n’est pas moins belle. – De même l’αὐλητῆς Mimnerme peut s’amuser de ce que contient la p. 1720. – Qu’Eschyle marque le sommet de la musique antique, à côté de Simonide, de Pindare, de Phrynichos, de Pratinas, pour s’en convaincre il suffit de croire Aristoxène (Wil. p. 21)21. C’est à son sentiment global que je me soumets aussi en ce qui concerne les nouveaux poètes dithyrambiques. Sur la « musique de stimulation », le témoignage d’Aristophane est d’une parfaite clarté ; pour la mimétique je n’ai malheureusement rien à ajouter. Moi, je n’« invective » pas. Concernant l’esprit de la nouvelle musique des nomes et des dithyrambes, il nous faut nous appuyer sur Euripide, dont la σκηνικὴ μουσική22 s’apparentait étroitement à cette musique ; à quoi s’ajoute la parodie aristophanesque. – Sur la position de Socrate face à Part tragique, il y a un texte très remarquable d’Arist., Gren., 1491 : χαρίεν οὖν μὴ Σωκράτει / παρακαθήμενος λαλεῖν / ἀποϐαλόντα μουσικὴν / τά τε μέγιστα παραλιπόντα τῆς τραγῳδικῆς τεχνής 23, etc. – Tu sais qu’en parlant des « Muses entourant Dionysos » j’ai songé à l’aquarelle de Genelli24 qui chez Wagner à Tribschen était accrochée au mur. – Répète une fois de plus aux philologues que mon Socrate n’est ni manchot ni cul-de-jatte ; je sens de façon très vive le contraste entre ma représentation et les autres, lesquelles me paraissent toutes mortes et pourries. – La Moira en tant que justice éternelle placée entre les mains de Zeus est la représentation eschylienne essentielle. L’avant-dernière page de Wil. est d’une extrême vulgarité, à cause de ses fausses attributions, etc. Pour ce qui est du rapport entre Esch. et les mystères, Aristophane aussi y fait allusion25. Mon cher ami, ne désespère ni ne t’irrite – tu t’es lancé dans un terrible travail : et lorsque je songe que ce faisant tu es en si périlleuse situation, j’ai honte et me repens avec douleur d’avoir accepté de ta part un tel sacrifice. Je te conseille, pour donner du sel à ta vie, quelques éclats d’un rire sarcastique et quelques joies diaboliques. Quand nous disposerons d’un moment de tranquillité il faudra que je te parle longuement du Tristan, ainsi que d’une énorme entreprise que j’ai conçue à Munich et qui comporte une grande responsabilité, Je suis toujours proche de toi, cher ami !
86F.N.
87J’écris aujourd’hui à Fritzsch. Ainsi donc deux feuillets d’imprimerie ?
88[En marge] Envoie-moi, s’il te plaît, les conférences.
Erwin Rohde à nietzsche
89<Kiel le 20 juillet 1872>
90Je te rends enfin tes conférences, cher ami ; ne te fâche pas si j’ai tant tardé.
91Merci beaucoup pour tes cenni 26. Comme j’avais déjà moi-même fureté partout, ils m’ont surtout permis d’avoir la preuve que j’avais bien compris tes intentions. Ce qui a été nouveau pour moi, ce fut le souvenir du tableau de Genelli, qu’à présent je me rappelle fort bien.
92Que pense maintenant Fritzschius ?
93Salut pour aujourd’hui ; en toute hâte,
94Ton ami, E.R.
Nietzsche à Erwin Rohde27
95<Bâle, 25 juillet 1872> Jeudi.
96Cesse à présent, mon ami, de t’inquiéter en ce qui concerne Fritzsch ! Par retour du courrier il m’a donné une réponse favorable, en te priant de lui envoyer le manuscrit aussi vite que tu pourras. Dès le début de l’automne, il organisera « sur une très grande échelle » la publicité de nos deux ouvrages. Je ne lui ai rien écrit à propos de la présentation ; fions-nous à son merveilleux sens de l’opportunité ; si j’étais toi, je ne dirais plus un mot de cette question. – Que penses-tu du titre ?
97Soit dit en passant, as-tu aimé mes « doctes » conférences ? Je te remercie de me les avoir rendues et je les confie maintenant à Romundt. Je donnerai, au début de l’hiver, la sixième et la septième conférence, achevant ainsi cette étude préliminaire, qui a tous les caractères d’une vulgarisation. Romundt, lequel me prie de te transmettre sa cordiale amitié, fait imprimer son ouvrage28 ; un éditeur d’ici l’a accepté, mais nous ne sommes pas satisfaits de lui, car il lésine fort sur la typographie et la présentation.
98J’achève l’esquisse de mon prochain livre, intitulé « La Joute homérique ». Tu peux toujours railler le caractère infatigable de mes considérations combatives ; cette fois il en sort quelque chose.
99Ce que je t’écrivais la dernière fois sur la wilamowitzerie ne touchait qu’à de simples vétilles et ne portait pas sur l’essentiel. Mais – Dieu soit loué si tu en as fini, car c’est pour moi un vrai fardeau – de te savoir occupé avec ce wilamo-torchon ! Ah ! mon très cher ami, il ne faut pas que cela recommence. Je ne comprendrais toujours pas comment j’ai pu t’encourager dans une pareille affaire – si, ce faisant, je n’avais toujours gardé présente à l’esprit notre situation singulière par rapport à W. En tant qu’auteurs de Lettres ouvertes à W., nous allons constituer une rubrique spéciale ; je suis heureux de voir nos noms toujours cités ensemble. Et cette fois-ci il faut que nous bénéficiions d’une bonne publicité, ne fût-ce que pour faire mentir les Teubner qui, dans une lettre à Ritschl, parient, en effet, à dix contre un, qu’on ne vendra pas cent exemplaires. J’aurais envie d’écrire à Ritschl que je tiens le pari. Pour conjurer, une fois pour toutes, la gredinerie teubnérienne, il m’a suffi de lire leur lettre d’une commerciale perfidie.
100Cependant l’assurance de cette assertion des 10 contre 1 m’avait tant effrayé que même de Fritzsch j’attendais un refus.
101Mardi prochain je me rends à Munich, pour le jubilé. Soit dit en passant, on donne, dans l’intervalle de 9 jours, Lohengrin, Vaisseau fantôme, Tristan – Gersdorff vient probablement lui aussi. – Êtes-vous déjà en vacances ? Je n’ose rien dire de plus.
102J’occupe cette matinée à lire des Inédits de Goethe – j’y ai été invité par la seule fille survivante de Charl<otte> Kestner, et j’ai déjà eu connaissance ces jours-ci de deux beaux petits poèmes, « Vœux de voyage à la comtesse E. ».
103Je voudrais bien que tu écoutes le Tristan. Je ne connais rien d’aussi extraordinaire, d’aussi pur, d’aussi inattendu. On nage dans la sublimité et le bonheur.
104Aurai-je bientôt de tes nouvelles, cher
105fidèle ami ? Porte-toi bien !
106Ton F.
Erwin Rohde à Nietzsche
107Kiel samedi <27 juillet 1872>
108J’ai terminé le texte, cher ami ; il ne me reste plus qu’à le recopier, et cela pourra commencer ! Mais je m’inquiète pour la question de l’éditeur, car tu n’as plus donné de nouvelles depuis que tu as écrit à Fritzsch. Est-ce que cela signifierait que même le vaillant F <ritzsch> se refuse à éditer ce centaure philologico-polémique ? J’aimerais bien être démenti bientôt par une annonce. Nous essaierons du moins de rendre les choses aussi simples que possible au bon F<rizsch>. Je ne tiens pas du tout à une reliure élégante, car cela ne conviendrait pas de toute façon à un tel papelard. En fait il serait même très bien que l’impression soit beaucoup plus compacte que celle de ton livre, ou de ma recension ; sans quoi la brochure serait trop grosse et encombrante. En imprimant petit je ne pense pas que cela prendra plus de deux feuillets. Je me suis du reste trouvé dans une situation gênante, car si je ne m’étais adressé qu’à des philologues j’aurais pu être 10 fois plus bref, alors qu’avec la forme choisie je n’ai pas pu échapper à un certain souci d’exhaustivité sous peine d’être totalement incompréhensible. D’où le caractère insuffisant de ce travail qui n’a aucune autonomie.
109S’il ne mord pas tout de suite à l’hameçon, concédons à F<ritzsch> une couverture minable ou, pour parler comme Krug, « vraiment méprisable ». Je ne demande pas d’honoraires, et ainsi je pense que les frais ne devraient pas devenir trop importants pour le pauvre éditeur.
110Enfin venons-en au titre. Je vous suis reconnaissant, à toi et à Overbeck, pour avoir trouvé cette « Sous-philologie »29. Le mot est bon parce qu’il évoque le point de vue philologique, dont le caractère ennuyeux est ensuite contrebalancé par l’ajout « – à R. Wagner ». Mais cette expression bien trouvée est quand même un peu trop aristophanesque à mon goût, elle fait trop καταπυγοσύνη30, car c’est à cela qu’on pense d’abord avec after. Ne trouves-tu pas ? Si tu es d’un autre sentiment, conservons le titre. Réfléchis-y encore.
111Basta per oggi. Je pense beaucoup à toi, mon cher ami, et je n’entends plus rien de toi, comment tu vas, quels sont tes projets, ce que tu penses et ce que tu fais. Ne nous laisse pas nous perdre, mais fais au contraire en sorte que nous restions fidèlement l’un avec l’autre. Est-ce que Romundt est déjà chez vous ? Je pourrais aller à Fribourg, d’où Brambach s’en va31. Qui va y aller ? Porte-toi bien cher ami et cher frère.
112En toute hâte et dans le feu de l’action,
113Ton ami plein d’élan
114E.R.
115A propos ! Est-ce que tes conférences, bien empaquetées et protégées, te sont bien parvenues ?
Nietzsche à Richard Wagner32
116Bâle, 25 juillet 1872.
117Maître que j’aime,
118je retourne la semaine prochaine à Munich ; je me donne à moi-même le prétexte du jubilé de l’université où, avec deux autres collègues, je représenterai Bâle. Mais j’ai parfaitement conscience que ce que je veux, c’est avoir le Tristan une troisième fois ; à quoi s’ajoute que je n’ai jamais assisté à une représentation du Vaisseau fantôme, jamais vécu l’expérience du Lohengrin – jamais l’expérience du Lohengrin ! C’est pourquoi je prends le masque d’un délégué universitaire et je pars – en dépit de toutes les raisons que j’aurais de ne pas partir. C’en est presque risible – mais je crois que Gersdorff, lui aussi, sera là de nouveau ! Peut-être également Rohde ! J’entraîne aussi avec moi mon ami Romundt, notre nouveau privat-docent de philosophie. Sans doute, en tant qu’originaire de la Frise, il n’est pas musicien si l’on en croit le dicton « Frisia non cantat »33, mais c’est une excuse qui pour moi ne vaut plus. En fin de compte personne ne sait précisément où se situe son propre sens de la musique. Ainsi donc il faut que Romundt vienne ! Et de la sorte se reformera un cercle magique d’amis – mais vous, maître que nous aimons, vous serez « parmi nous » comme il est écrit dans la Bible.
119D’après les lettres de Rohde, la « Lettre ouverte d’un philologue » est bientôt terminée, et Fritzsch la publiera. Réellement incroyable est l’extension que prend le concept d’« éditions musicales ». Mais que cette Lettre ouverte soit tombée en de bonnes mains, j’en suis convaincu depuis que la firme générale Teubner de Leipzig, spécialisée dans la philologie, l’a refusée d’une façon réellement honteuse. Elle parie, en effet, à dix contre un, qu’on n’en vendra pas cent exemplaires. Eh bien ! Expérience des affaires contre ma belle confiance dans l’« humanité » ! Je parie, moi, à cent contre un que nous vendrons plus de trois cents exemplaires. (De cette manière du moins Fritzsch ne perdra rien, et trouvera un petit avantage !) Je suis heureux d’avoir fait la connaissance d’un éditeur si honnête et si brave, tel que s’est montré Fritzsch à un tel degré qu’il me serait extrêmement pénible de l’avoir lancé sur une mauvaise affaire.
120Il m’a envoyé ces jours-ci le cinquième volume de vos Œuvres dont les trois quarts étaient pour moi du tout à fait nouveau ! Je me suis trouvé dans une relation toute particulière avec la « Lettre à M<arie> W<ittgenstein> sur les Poèmes symph. de Liszt », particulièrement quand j’ai évoqué la remarque de madame votre épouse disant reconnaître dans l’« Idylle de Tribschen » (de bienheureuse mémoire !) l’accomplissement de ce que son père entend par p. symph.
121Je crois qu’il me faudra bientôt expier d’avoir usé de termes comme « l’apollinien » et « le dionysiaque » pour me faire connaître et m’introduire, car à présent, bon gré mal gré, l’honorable lecteur (entendons le lecteur sympathique, pour ainsi dire le lecteur enthousiaste) semble attendre que je poursuive sur le même ton. Je m’en aperçois en travaillant maintenant aux études préalables et aux premiers linéaments de la « Joute homérique » ; là certes il n’y a pas la moindre trace de « dionysiaque » ! Ce qui a pour effet un grand malaise des « amis », lesquels paraissent n’avoir de moi qu’une connaissance métaphysique.
122Au début de l’hiver je donnerai encore à mes Bâlois les sixième et septième conférences « Sur l’avenir de nos établissements d’enseignement ». Je veux du moins en finir, même sur le modeste plan auquel je me suis limité jusqu’ici pour traiter ce thème. Le traiter à un niveau supérieur exige justement que j’acquière plus de « maturité » et que je m’enseigne moi-même – ah ! quel beau projet ! Mais à quoi puis-je arriver, isolé comme je suis ? A un moment ou à un autre il faudra que je m’échappe pour vous retrouver à Bayreuth, vous qui êtes le véritable « établissement d’enseignement ». En attendant, portez-vous bien, maître que j’aime !
123Votre fidèle
124Friedrich Nietzsche.
Nietzsche à Erwin Rohde 34
125<Bâle, 2 août 1872>
126Ainsi, tu en as fini, mon très cher ami ! Je suppose même qu’à présent ton manuscrit est déjà entre les mains du brave Fritzsch. Avec lui tout s’est arrangé le mieux du monde ; en ce qui concerne présentation et honoraires je n’ai pas ouvert la bouche ; je pense que nous lui faisons confiance et n’avons rien à dire là-dessus.
127Le titre et le problème qu’il pose ont été examinés à fond et en tous sens ; Overbeck, Romundt et moi-même restons tous les trois convaincus qu’il ne contient aucune arrière-pensée. Il y a cependant la formation si populaire : sous-art, etc. Si le zotiacus35 Wilamowitz, par conscience de sa faute, devait encore soupçonner une interprétation aristophan<esque>, que nous importent ses lubies ? Pour parer à tout, je te prie cependant de donner peut-être, dès la première page, une brève définition et délimitation du terme sous-philologie, ainsi nous rassurerons les consciences scrupuleuses.
128Je n’ai pas fait le voyage de Munich – Gersdorff ne pouvait venir, il souffre beaucoup d’une otite. Aller et venir seul parmi la racaille, au milieu d’un enthousiasme en beurre fondu qui dégouline – très peu pour moi – bref – je suis resté ici et je m’en réjouis.
129J’ai dessein de remanier les conférences sur l’enseignement. Dis-m’en donc quelque chose – car tu dois savoir que je n’ai absolument aucun jugement sur elles et que j’aime bien qu’on me fasse la leçon.
130Sur ma dernière composition, celle que j’ai jouée devant vous à Bayreuth, je me suis attiré finalement une belle correction : la lettre de Bülow, dans sa sincérité, est pour moi d’un prix incomparable ; lis-la, moque-moi et sois assuré que maintenant je me fais si peur à moi-même que, depuis lors, je n’ose plus mettre les doigts sur un clavier.
131Mlle von Meysenbug viendra sans doute en Suisse très prochainement, et nous projetons de passer ensemble quelques jours dans quelque joli coin. C’est une personne très maternellement affectueuse. A Munich nous ne l’avons guère quittée. Je te conseille de lire les « Extraits des Mémoires d’un Russe » d’Alexander Herzen (le père de Mlle Olga H.).
132Deussen a été ici quelques jours. Sa visite a laissé des répercussions singulièrement désagréables.
133A partir de l’automne tu auras Brockhaus36 comme collègue à Kiel. C’est quelqu’un de tout à fait honorable et digne d’estime. – De Fribourg je ne sais rien, absolument rien. Comme je serais heureux de voir réussir la combinaison de ton déplacement là-bas ! Mais je n’ai aucune possibilité d’action. – Brambach mènera l’affaire en grand secret. Souvent et avec insistance j’ai rappelé ton nom aux personnes de Fribourg que je connais. – Mais envoie donc ton écrit sur Wilamowitz au prof. Schônberg37 et au prof. Mendelsohn – je t’en prie.
134Et maintenant, cher vieil ami, je te souhaite bonnes vacances ; mais j’aurais bien voulu ne pas avoir à ajouter qu’il nous reste à finir la moitié de notre semestre d’été. Romundt t’envoie son bon souvenir. J’ai reçu quelques lettres de Goethe, cadeau de Mlle Kestner (fille de Lotte), qui a quatre-vingt-six ans.
135Je passe ici avec ma sœur d’agréables moments et je souhaite que pour toi les choses aillent encore mieux.
136Ton féal
137Fr. N.
Nietzsche à Friedrich Ritschl
138je vous envoie ici la suite de mon mémoire sur le Certamen38. Certes il pourrait occuper environ 30 pages imprimées ; c’est pourquoi je ne sais si je puis compter sur une prochaine parution dans le Rhein. Mus. Car il est à prévoir que la place sera déjà prise pour le prochain numéro.
139Aussi bien j’ai pensé à une autre possibilité. Vous allez sans doute publier bientôt un nouveau fascicule des Acta ; pour ce fascicule mon mémoire vous serait utile au cas où vous en auriez besoin. Seulement, en ce cas, je voudrais vous demander une seule chose. Au tome 25 du Rh. M. il a déjà paru un petit début du mémoire (environ 12 pages), dont le manuscrit que je vous adresse aujourd’hui constitue la suite directe. Or je souhaiterais beaucoup que, dans l’hypothèse que je viens d’envisager, le mémoire tout entier parût d’un seul tenant dans les Acta. Ensuite texte et mémoire seront la propriété des Acta.
140Dans le cas, vénéré Monsieur le conseiller secret, où d’aucune de ces deux manières vous ne pourriez aider à la publication prochaine de ce texte un peu long, je vous demande d’être assez obligeant pour me le renvoyer. De toute façon, sous une forme ou une autre, par ex. d’un programme, je trouverai à l’utiliser.
141Merci de tout cœur pour votre démarche auprès des Teubner. Je regrette qu’il n’en soit rien sorti ; malgré tout, le texte de Rohde va paraître prochainement et vous devrez constater alors s’il s’agissait d’un « combat contre la philologie », ou encore contre l’« histoire » ; je ne conçois pas ce qui a pu inspirer aux Teubner de si singulières craintes. Tout au contraire, c’est moi qui, en tant que philologue, défends ma peau ; on me dénie, à moi, la qualité de philologue ; et c’est pourquoi Rohde me représente, moi, le philologue. –
142Cet automne je repasserai peut-être à Leipzig ; je pourrai, je l’espère, vous y saluer, ainsi que madame votre très respectable épouse. – Savez-vous que Romundt s’est habilité ici à Bâle pour la
143Bâle, 12 août 72.
144Vénéré monsieur le conseiller privé,
145philosophie ? Si de surcroît mon ami Rohde était un peu plus proche de moi, du point de vue de l’amitié je me trouverais fort bien acclimaté à Bâle.
146Avec mes vœux les plus fervents
147pour vous, vénéré maître.
148Votre très dévoué
149Friedr Nietzsche.
Erwin Rohde à Nietzsche
150Hersbruck, le 28 août <1872>.
151Mon cher ami,
152je ne suis pas devenu gardien de cochons ou garçon de brasserie dans le patelin dont tu vois le nom ci-dessus. Mais c’est un fait certain que j’ai écrit la Lettre ouverte d’un philologue dans un bistrot pittoresque dudit patelin. Cela fait des semaines que je traîne la dette des lettres en retard que je dois te renvoyer, mais à cause de toutes les choses insensées que je devais faire pour l’Anzeiger du brave oncle Leutsch : miserabile dictu39 !-j’étais devenu comme un pot de plomb dans lequel on fait tinter une cuillère d’étain pour faire un fameux tintamarre en guise de musique. Maintenant, me voici depuis une semaine à traverser le centre de l’Allemagne de long en large, et en ce moment je suis à l’entrée des modestes montagnes de la Franconie centrale : quod Deus bene vertat40.
153Impossible d’arriver à écrire dans ce vacarme de paysans. Je te donne donc seulement la nouvelle, cher ami, qu’après l’avoir péniblement recopiée, j’ai envoyé la Sous-philologie à Fritzschium, qu’il l’a acceptée par consentement silencieux, et que maintenant elle est sans doute déjà sous presse. Il n’y a pas de plaisir dans de telles querelles. Cela va aussi faire un méchant scandale, car je n’ai rien épargné à Monsieur Wil<amowitz> ; ce sont particulièrement mes collègues de Kiel qui vont voir se dresser d’horreur leurs cheveux sur leurs sages têtes. Que le diable les emporte. Je me ferai la peau épaisse et laisserai passer l’averse. Qu’importe ? Du moment que notre amitié en est à nouveau plus fortement soudée : et elle le sera, mon cher ami !
154Il y a peu de joie à voyager, en particulier quand on doit écrire des lettres et qu’on se trouve au beau milieu de conducteurs braillards qui éructent bruyamment leur abominable bavarois. Mais je me plais dans la verte nature, où je m’apprête à faire ma véritable entrée après avoir jusqu’à présent vadrouillé dans toutes sortes de villes. Si j’avais plus d’argent, je serais allé en Suisse ou plutôt jusqu’à l’Italie bénie. Je suis allé aussi entre autres à Nuremberg, et j’ai eu à nouveau le sentiment qu’on a moins de chances d’y éprouver une joie pure et pleine, au milieu de toutes ces trognes carrées, que dans une seule petite ville d’art italienne : Vérone, Padoue ou même Brescia. Et pourtant les meilleurs étaient sur la bonne voie d’une beauté libre, qui ne passe pas par cet idéalisme céleste qui n’ose rien représenter comme il le voit, mais comme un spectre fantastique. Pourtant, en fait, Durer et les autres restent bloqués là où en étaient restés les réalistes de la vieille Ecole florentine ou de l’Ecole de Padoue : mais qu’est-ce qui a empêché tout progrès ? Ah ! cette maudite théologie, et la Guerre de Trente ans : et avec tout ça je suis, dans mon amour fidèle, ton ami et nocher
155E.R.
156N’écris qu’à Kiel, où, déficiente pecu41, je vais certainement rentrer plus vite que prévu.
Erwin Rohde à Nietzsche
157Kiel, 27 septembre 1872.
158Mon cher ami,
159L’anti-Wilamowitz m’est tellement sorti par les yeux que je ne voulais plus m’adresser à toi avant que la révision de cet écrit peu réjouissant ne soit tout à fait terminée. Je trouve que Fritzschius ne s’est pas particulièrement dépêché. Cependant, la correction est pratiquement terminée, et l’opuscule peut paraître. Saint Ῥινοχέρως42 soutiens-moi et donne-moi une peau épaisse pour que je ne sente pas tous les coups qui ne vont pas manquer de pleuvoir. Si l’infâme Wil<amowitz> devait répondre encore une fois, je suis décidé à ne pas réagir, même s’il se montre aussi insultant qu’il voudra. Il faut dire aussi que je ne l’ai pas pris avec des gants de velours, même si de telles polémiques semblables à des bagarres de chiffonniers me dégoûtent. Mais est-il possible de ne pas devenir bilieux face à un homme d’une insolence aussi incroyable ? Dès que les exemplaires seront achevés, tu en recevras bien sûr un.
160Je suppose que tu as reçu ma lettre de Hersbruck. J’ai encore déambulé quinze jours pour m’imprégner du vaste monde et de l’ampleur de la vie. J’ai éprouvé un plaisir particulier à visiter de manière approfondie le Musée de Dresde. Que la contemplation de tableaux si expressifs puisse nous procurer un plaisir d’une telle pureté et d’une telle profondeur donne à méditer. C’est bien sûr un plaisir ; et c’est l’un des signes les plus sûrs qu’une délivrance de l’intellect des liens de la volonté, telle que Sch<openhauer> l’imagine, n’est qu’une vaine prétention. D’où viendrait sinon le sentiment déterminé d’un plaisir, certes pur et incomparable, mais qui quand même est un plaisir ? « Mais je commence à philosopher » dit Zarncke, alors qu’il s’était remis à divaguer. J’ai récemment reçu le livre de Romundt, remercie-le donc de ma part. Je lui écrirai bientôt personnellement, sitôt que je serai un peu de bonne humeur. Depuis mon retour je n’ai pas encore pu avoir vraiment de calme, ni trouver cette température égale du sentiment dans laquelle on n’attend pas de bonheur et où on prend les petits agréments avec plaisir. Comme ma vieille grand-mère s’est doucement endormie dans sa 82e année, j’ai dû faire le va-et-vient inconfortable entre ici et Hambourg. Mais ici je me sens tout seul et solitaire, indescriptiblement seul et vide, surtout depuis que Ribbeck est parti lui aussi, lui qui avait personnellement du cœur pour moi et qui supportait avec douceur, indulgence et non sans quelque sympathie mes opinions, qu’il connaissait très bien. Je lui dois vraiment beaucoup, et pour toujours. C’est une personne noble. Mais maintenant je suis intérieurement abandonné et pareil à un orphelin, et en plus il pleut depuis 15 jours sans discontinuer, et tout semble d’un sinistre, d’un confiné et d’une froideur désespérants. Si au moins je me trouvais plus près de toi, mon plus cher ami : c’est toujours la même plainte. Si au moins je me trouvais quelque part dans le sud de l’Allemagne, puisque Fribourg, comme je le savais bien sûr depuis longtemps, est barricadé par le stupide Keller43. Vous avez vraiment bien de la chance à Bâle : quand on est deux, on peut se moquer du monde entier, mais quand on est tout seul en solo, soletto, c’est triste. Que fait Burckhardt ? Salue-le donc à l’occasion. Comment pouvait-on s’imaginer il y a quelque temps qu’un homme comme lui pourrait s’intégrer à l’agitation formique et civilisée de Berlin ? J’ai totalement horreur de ce Berlin. C’est comme si tous les éléments atroces de la civilisation actuelle s’y étaient réunis en une grande conjuration, afin que le monde sache ce qu’est cette civilisation. On ne voit même pas où tout cet affairement effrayant peut bien conduire ; on comprend très bien l’effroi qu’ont pu ressentir à Rome les anciens chrétiens devant la « grande putain ». Mais où est aujourd’hui le sauveur ? Le sang neuf ? La force de croire à un dieu humain, l’incarnation de l’amour ! Aussi insensé que cela ait pu être, c’était quand même quelque chose de grand et de réconfortant. Ah ! mon cher ami, je n’ai pas toujours beaucoup d’espoir, mais il y a une chose que je sais avec certitude : que ceux qu’englobe le « nous » au sens wagnérien44, s’ils ne peuvent pas réformer le monde, peuvent au moins être certains d’avoir un gros et bon salaire. Ecris-moi vite, cher ami, et donne-moi du courage.
161Bien fidèlement à toi, ton vieil ami
162E.R.
Notes de bas de page
1 Nietzsche, op. cit.. lettre 231, p. 304-305 (©Éditions Gallimard).
2 Nietzsche, op. cit., lettre 233, p. 305-307 (©Éditions Gallimard).
3 Nietzsche, op. cit.. Lettre 235, p. 307-309 (©Éditions Gallimard).
4 Nietzsche, op. cit.. Lettre 236, p. 309-310 (©Éditions Gallimard).
5 « très chers amis ». M. Haupt (1808-1874), successeur de K. Lachmann à l’université de Berlin ; Wilamowitz collaborera à la publication de ses Opuscula.
6 Voir la « Lettre ouverte de Wagner », p. 144.
7 Philologasterei.
8 Nietzsche, op. cit., Lettre 238, p. 311 (©Éditions Gallimard).
9 « bouc-cerf », animal fantastique (voir Aristophane, Grenouilles, v. 937).
10 Nietzsche, op. cit., Lettre 239, p. 312-313 (©Éditions Gallimard).
11 F.G. Welker, Griechische Gotterlehre (Mythologie grecque), 1857-1863.
12 « vils et indolents » (voir p. 116 note 1).
13 « Satyres et tityres » ; tityres : pâtres ou singes à courte queue.
14 « de Sisyphe à sage (ou habile) ».
15 Voir p. 98 et 109.
16 « Sophocle est sage, mais plus sage est Euripide », voir p. 119 note **.
17 Voir p. 121.
18 p. 122, depuis « Euripide est censé avoir tué le mythe... ».
19 Voir p. 109.
20 « le joueur de flûte » ; voir p. 108.
21 Voir p. 113-114. Cf. Athénée, Deipnosophistes, XIV, 632 et ps.– Plutarque, De musica, 31.
22 « art musical de la scène ».
23 « Il est donc agréable de ne pas rester assis près de Socrate à bavarder, en rejetant le culte des Muses, en dédaignant les parties les plus importantes de l’art tragique » (trad. H. van Daele).
24 Bonaventura Genelli, 1798-1868, peintre et graveur allemand.
25 Grenouilles, v. 913 : « vrais figurants de tragédie, qui ne murmuraient pas... ça. »
26 « indices », « indications ».
27 Nietzsche, op. cit., Lettre 244, p. 323-324 (©Éditions Gallimard).
28 Sur Kant und Empedokles.
29 Afterphilologie. Voir lettre du 16 juillet 1872, p. 158 .
30 « délice de mes fesses », allusion à l’exergue de l’article de Wilamowitz.
31 W. Brambach (1841-1932), auteur de Metrische Studien zu Sophokles.
32 Nietzsche, op. cit., lettre 246, p. 325-327 (© Éditions Gallimard).
33 « La Frise ne chante pas ».
34 Nietzsche, op. cit., Lettre 249, p. 330-332 (©Éditions Gallimard).
35 « jaloux ».
36 Friedrich Brockhaus, professeur de droit à Bâle jusqu’en 1873, fils de l’indianiste Hermann Brockhaus, professeur à Leipzig, et d’une sœur de Wagner, Ottilie, chez qui Nietzsche avait fait la connaissance deWagner en novembre 1868.
37 G. Schönberg, professeur de philologie à Fribourg.
38 Voir p. 36 note 2. La seconde partie du « Traité florentin sur Homère et Hésiode, leur lignée et leur joute » (« Der florentinische Traktat über Homer und Hesiod, ihr Geschlecht und ihren Weltkampf ») paraîtra en fait dans le Rhein. Mus.
n.s. xxviii, 1873, p. 211-249.
39 « c’est triste à dire ». E. von Leutsch, directeur du Philologische Anzeiger.
40 « que Dieu donne à l’entreprise une heureuse issue ».
41 « par manque d’argent ».
42 « Rhinocéros ».
43 O. Keller, éditeur des Rerum naturalium scriptores, enseignera à Fribourg de 1872 à 1876.
44 Voir p. 144 et p. 153.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Thémistius
Paraphrase de la Métaphysique d’Aristote (livre lambda)
Thémistius Rémi Brague (trad.)
1999
« L’art de bien lire »
Nietzsche et la philologie
Jean-François Balaudé et Patrick Wotling (dir.)
2012
L’Idée platonicienne dans la philosophie contemporaine
Jalons
Sylvain Delcomminette et Antonio Mazzu (dir.)
2012
La fêlure du plaisir, vol. 2
Études sur le Philèbe de Platon II. Contextes
Monique Dixsaut (dir.)
1999
La connaissance de soi
Études sur le traité 49 de Plotin
Monique Dixsaut, Pierre-Marie Morel et Karine Tordo-Rombaut (dir.)
2002
L’Euthyphron de Platon
Philosophie et religion
Platon Jean-Yves Chateau (éd.) Jean-Yves Chateau (trad.)
2005