De l’art d’écrire à l’art de lire : le modèle straussien de l’interprétation
p. 165-179
Texte intégral
1Existe-t-il un modèle straussien d’interprétation ? Leo Strauss propose-t-il, dans La Persécution et l’art d’écrire, un modèle spécifique de lecture et de compréhension des textes et, dans l’affirmative, quelles en sont la portée et les lignes de force ?
2Deux raisons militent a priori en faveur d’une réponse positive. La première tient à la nature même de la démarche de Strauss. Comme l’écrivait Schleiermacher, l’herméneutique est symétrique à la rhétorique, puisque tout acte de compréhension est l’inverse d’un acte de parole. En d’autres termes, pratiquer l’herméneutique revient en quelque sorte à traiter un texte comme rhétorique. Dès lors, qui suppose un « art d’écrire » suggère par là même un « art de lire ».
3La seconde raison s’appuie directement sur les propos de Strauss, qui insiste sur la nécessité d’établir les règles d’une méthode spécifique pour aborder la lecture des grands textes du passé1. Il se distingue nettement sur ce point de Gadamer, foncièrement hostile à toute approche méthodologique de la compréhension2. Vérité et méthode porte, on le sait, un titre ironique. Gadamer y dénonce l’objectivation du rapport au texte, à quoi tendrait toute méthode d’interprétation, comme la clé de voûte de l’historicisme que, tout comme Strauss, il combat. Cette condamnation déborde même la critique de la science moderne puisqu’elle s’étend jusqu’aux techniques de l’ancienne herméneutique3. Leo Strauss ne partage pas ce point de vue. Il se prononce au contraire en faveur d’une « réflexion méthodique sur la technique littéraire des grands écrivains des époques antérieures »4. Cette réflexion, note-t-il encore, « dépasse nécessairement les frontières de l’esthétique moderne, et même de la poétique traditionnelle »5. Les principes de la méthode seraient enfouis, précise-t-il incidemment, dans les écrits des rhéteurs de l’Antiquité et spécialement dans l’argumentation juridique6. Dans l’étude qu’il consacre au Traité théologico-politique, Strauss se référera d’ailleurs explicitement, et par deux fois, aux ressources de la rhétorique judiciaire et aux procédés d’avocats pour décoder le message de Spinoza7.
4De tels propos nous incitent à considérer les recherches compilées dans La Persécution et l’art d’écrire comme autant d’étapes de l’élaboration et de l’application d’un modèle d’interprétation. Celui qui entreprend d’en dégager les lignes de force se heurte pourtant d’emblée à des difficultés inhérentes à la composition de l’ouvrage. Strauss n’y développe à aucun endroit ses conceptions de manière directe et systématique, mais seulement en passant, à l’occasion de leur mise en œuvre, singulièrement dans l’analyse d’ouvrages qui proposent eux-mêmes une méthode d’interprétation, comme le Guide des égarés et le Traité théologico-politique.
5Ce premier obstacle ne nous surprendra pas outre mesure tant il est fréquent et même habituel que les traités d’herméneutique exposent leur doctrine à l’abri ou à l’encontre d’un texte de référence. Tantôt, le débat se focalise sur l’interprétation (au second degré) d’un texte fixant d’autorité les canons de l’exégèse. En droit, par exemple, quelques maximes romaines, placées en tête du Digeste du Corpus justinien, ont alimenté les spéculations depuis le xiie siècle et été invoquées pour légitimer les théories les plus diverses8. Transcrites à peu près dans le Code civil français, elles constituent encore aujourd’hui le fondement légal des règles d’interprétation appliquées par les cours et tribunaux9. Il arrive même que le texte interprété fournisse lui-même le principe de son interprétation. Ainsi, l’exégèse chrétienne fonde sa lecture de la Bible sur le célèbre précepte de l’Épître aux Corinthiens, « la lettre tue mais l’esprit vivifie », au motif qu’« il faut interpréter l’Écriture par l’Écriture elle-même », maxime d’ailleurs empruntée à la tradition rabbinique, plus tard reprise et détournée par Spinoza.
6Tantôt, à l’inverse, une doctrine, adossée à la critique d’un modèle perçu comme traditionnel ou dominant, se construit négativement par opposition à cette doxa et puise dans ce conflit l’essentiel de ses forces. Sans remonter aux intéressantes controverses rabbiniques10, que l’on songe par exemple à l’exégèse chrétienne, issue d’une triple polémique contre les Juifs, les païens et les hérétiques ; ou, beaucoup plus tard, à la critique spinoziste, dirigée cette fois explicitement contre Maimonide et plus largement contre les docteurs de la Loi et de la foi de toutes obédiences ; ou, encore récemment, à la dénonciation de la méthode philologique par le structuralisme, mais aussi, dans une perspective différente, par l’ontologie herméneutique de Gadamer et par Leo Strauss lui-même.
7Globalement considérée, l’histoire des modèles d’interprétation prend ainsi la forme à la fois d’une succession de querelles et d’une querelle de succession11. Ce double caractère n’est ni anodin ni contingent. Le souci permanent de légitimation et l’âpreté des disputes indique en réalité l’importance cruciale de l’enjeu. Le choix d’un mode d’interprétation détermine en effet le rapport qu’une civilisation ou une culture entretient à sa tradition, la compréhension qu’elle a d’elle-même et donc finalement son sens12. Le « conflit des interprétations » comporte presque toujours de ce fait une importante dimension politique. Pour revenir à Strauss lui-même, il présente de préférence ses techniques de lecture à l’abri des Médiévaux, qui exercent une influence déterminante sur ses conceptions, ainsi que l’a démontré Rémi Brague. En même temps, Strauss conçoit sa méthode comme une alternative à l’historicisme régnant et l’objet d’un combat, d’une polémique. Il doute d’ailleurs de pouvoir jamais réunir l’accord des spécialistes autour de sa méthode13.
8Une seconde difficulté, plus sérieuse, tient au caractère elliptique et ambigu, voire contradictoire des considérations de méthode distillées, en quelques courtes phrases fugitives, au fil de La Persécution et l’art d’écrire. De la part d’un lecteur et d’un écrivain aussi attentif et scrupuleux que Strauss, ces rugosités étonnent et doivent nous faire soupçonner, d’après ses propres indications, qu’il a pu lui-même recourir à un art d’écrire pour exposer, tout en les dissimulant, les principes subtils de sa lecture des Classiques. Encore faudrait-il, pour donner à cette hypothèse quelque apparence de fondement, que le recours à un art d’écrire se justifie encore actuellement. Mais, précisément, Leo Strauss laisse clairement entendre, dès le début de l’ouvrage, qu’il en va bien ainsi, en raison de la censure ou de l’autocensure imposée par le conformisme ambiant. Strauss serait donc lui aussi contraint de recourir à la ruse pour contourner, sans les heurter de front, les convictions vulgaires (entendez la vulgate historiciste), qui tiennent le haut du pavé et se drapent, pour asseoir leur monopole, dans le double manteau de la science et du bon sens. Le philosophe attribue en outre à l’art d’écrire des vertus pédagogiques14 car il encourage les jeunes gens, ces « philosophes en herbe », ces « jeunes chiens de la race », qui multiplient les lectures à un rythme de plus en plus effréné, à prendre le temps de choisir et d’interroger avec beaucoup de soin, dans la jungle des écrits et des informations qui foisonnent de toutes parts, quelques livres importants.
9Pour surmonter ces difficultés, peut-être convient-il d’adopter à notre tour la voie oblique en étudiant la méthode de Strauss au départ des grands textes à l’encontre ou à l’abri desquels il en a conçu et appliqué les principes. Nous procèderons pour ce faire en deux étapes. Dans un premier temps, j’essaierai de mettre en évidence les enjeux politiques et juridiques fondamentaux que Strauss a su percer à jour dans la théorie moderne de l’interprétation, telle que Spinoza en définit pour la première fois les bases dans le Traité théologico-politique. Dans la seconde partie, je dégagerai les grandes lignes du modèle d’interprétation conçu par Strauss, par référence à ses modèles médiévaux, comme une alternative à l’historicisme.
I. Les enjeux politico-juridiques de l’herméneutique moderne
10Spinoza est souvent présenté comme le précurseur de l’herméneutique moderne, le fondateur de la méthode philologique, le premier apôtre de l’historicisme. Cette filiation intéressante et sans doute exacte ne doit cependant pas nous faire croire que l’entreprise du Traité théologico-politique serait principalement d’ordre philologique. Comme l’écrit Strauss,
Spinoza donne dans le Traité les grandes lignes d’une interprétation purement historique de la Bible. En fait, son exposition très détaillée de règles herméneutiques pourrait sembler avoir exclusivement pour fin d’ouvrir la voie pour une étude désintéressée et historique de la Bible »15, à une « étude scientifique de la Bible »16.
11Cependant, cette étude n’est pour Spinoza qu’une cura posterior. Son souci premier, observe encore Strauss, est « d’engendrer un détachement par rapport à la Bible »17. L’objectif de Spinoza est avant tout politique et juridique. Il veut certes séparer la philosophie de la théologie et promouvoir le droit à philosopher librement. Mais sa méthode d’interprétation tend avant tout, et réussira d’ailleurs après bien des déboires, à désamorcer la puissance normative de la Bible. Il s’agit de scier la branche sur laquelle les docteurs de la Loi révélée s’asseyent pour rendre leurs décrets, en sapant l’autorité de la Bible comme source directe de normes obligatoires et par suite comme source indirecte de pouvoir pour ceux qui font profession de la commenter.
12Spinoza parvient à ce résultat par un procédé assez simple mais qui détruit complètement l’économie de l’ancienne herméneutique. Il impose une distinction entre le sens du texte et sa vérité, ou, pour parler comme lui, entre le « vrai sens » et le « sens vrai », que ce dernier soit défini par référence à la raison, à la tradition ou simplement à la cohérence interne18. Ce distingo, sacrilège en tant qu’il remet en cause l’inspiration divine des Écritures, jette à bas tout le système des autorités, ces textes authentiques, c’est-à-dire officiellement tenus pour véridiques19, sur lesquels se fondaient, dans toutes les disciplines, la science scolastique.
13Après avoir ainsi dissocié signification et vérité, le système du Traité, dont Strauss démonte parfaitement le mécanisme, consiste à identifier la signification au sens littéral et clair, expurgé de toute addition et déformation, c’est-à-dire à revenir au sens original, au sens historique, qui peut ensuite être désinvesti comme un sens dépassé, momifié, dont on ne peut plus guère tirer d’enseignement actuel et obligatoire20. Spinoza, pour le bon motif certes, et toute la philologie moderne à sa suite, neutralisent ainsi, sous le sceau de l’ histoire, le potentiel de création et d’actualisation du sens de l’ herméneutique ancienne et médiévale21.
14Sur les plans politique et juridique, les implications du Traité sont considérables. Elles doivent être mises en relation avec la naissance simultanée du droit naturel moderne et du positivisme juridique, bien étudiée par Leo Strauss dans Droit naturel et histoire. La distinction entre le sens vrai et le vrai sens redouble en effet celle entre droit naturel et droit positif et renforce leur opposition. La recherche du « sens vrai » conduit aux systèmes jusnaturalistes dont l’élaboration se conçoit more geometrico, avec le secours de la seule raison humaine, en dehors de tout texte, indépendamment de toute autorité, et vaut « quand bien même Dieu n’existerait pas », suivant la formule déjà osée par Grotius. Quant à la science du droit positif, elle sera désormais cantonnée à la recherche du « vrai sens », du sens voulu par l’auteur du texte juridique, c’est-à-dire par le Souverain22. Son interprétation sera délaissée par Spinoza, à la suite de Hobbes, à l’autorité du Prince.
15On connaît bien la suite de cette histoire, la victoire de courte durée du droit naturel à la faveur des révolutions libérales et sa « positivation » dans les constitutions et les codes23. On connaît peut-être moins l’évolution de l’interprétation juridique moderne. Par une curieuse ironie de l’histoire, les juristes finiront par souscrire à la méthode philologique, dont Spinoza avait pourtant défini le principe contre l’interprétation politique et juridique des textes. En Allemagne, cette conversion s’opère à l’initiative de l’école historique du droit de Von Savigny, dont les liens avec la philologie sont bien établis24. Beaucoup moins connue sans doute des philosophes, l’école française dite de l’exégèse applique au même moment les règles philologiques aux dispositions du Code civil. La doctrine du sens clair identifie le véritable sens du texte légal au sens littéral et interdit toute interprétation supplémentaire (Interpretatio cessat in clans). Le sens littéral est lui-même rapporté et réduit à la volonté de l’auteur du texte, le mythique Législateur, dont l’intention originale peut être scientifiquement déterminée par l’investigation historique des travaux préparatoires. Dès le xixe siècle, la Cour de cassation entérine la nouvelle doctrine. Cette jurisprudence est toujours en vigueur à ce jour et demeure la théorie officielle de l’interprétation en droit français, comme dans beaucoup d’autres pays de droit écrit. L’historicisme a désormais acquis force de loi. Paradoxalement, la méthode mise au point pour reléguer un texte juridique au rang de document littéraire, pour enrayer la machine judiciaire à produire du sens, est devenue en moins de deux siècles la règle de l’État de droit moderne. Non sans conséquences préjudiciables pour la pratique politique et juridique de l’interprétation.
16On se fera une idée plus concrète de l’effet dangereusement stérilisant de cet historicisme juridique en analysant more juridico ses effets potentiellement dévastateurs sur le terrain politique à l’occasion d’un cas pratique, que j’emprunte à un épisode récent et spectaculaire de l’histoire constitutionnelle de la Belgique.
17En 1990, le Parlement belge, entérinant un difficile compromis entre les partis chrétiens et laïques, vote un projet de loi qui dépénalise partiellement l’avortement. Le roi Baudouin, qui affiche depuis longtemps ses convictions catholiques, avertit le premier ministre que sa conscience s’oppose à ce qu’il signe, sanctionne et promulgue cette loi, comme le prévoit la Constitution. Le Souverain invite dès lors le gouvernement à « trouver une solution juridique qui concilie le droit du Roi de ne pas être forcé d’agir contre sa conscience et la nécessité du bon fonctionnement de la démocratie parlementaire »25. Ce que fait le gouvernement. Recourant à l’article 82 (actuellement93) de la Constitution, il constate que le Roi se trouve dans « l’impossibilité de régner ». Sur la base de l’article79 (actuellement 90) de la Constitution, le Conseil des ministres exerce les attributions royales et promulgue la loi litigieuse. Au moment où les Chambres se réunissent pour pourvoir à la Régence, puisque le Roi est empêché, elles n’ont plus qu’à constater que l’impossibilité de régner a pris fin. Les parlementaires entérineront cette solution, non sans renâcler et à l’issue d’un vif débat, par 254 voix pour et 94 abstentions. Un tel résultat, finalement consensuel, était loin d’être acquis, compte tenu du long contentieux suscité dans le pays par la question de l’avortement et de la fragilité du compromis politique qui avait été trouvé.
18Après le vote des Chambres, tout rentre donc dans l’ordre. Ou plutôt, tout rentrerait dans l’ordre si les plus éminents spécialistes du droit constitutionnel, et à leur suite certains hommes politiques et la presse d’opinion, n’avaient soulevé le caractère inconstitutionnel de la solution mise en œuvre par les différentes branches du pouvoir26. Les juristes critiquent l’interprétation gouvernementale, au nom des règles de l’exégèse philologique, en estimant que l’utilisation de l’article 82 dénaturerait le « vrai sens » du texte constitutionnel. Il est vrai que cette interprétation ne correspond pas à l’intention originale des rédacteurs de la Constitution. En 1830, les membres du Congrès National avaient en vue la situation critique provoquée en Angleterre par la folie du roi George III, décédé dix ans auparavant. Ils voulaient régler les effets d’une éventuelle impossibilité de régner consécutive à une maladie, physique ou mentale. En attestent les termes mêmes de l’article 82 qui précisent que les ministres « font constater » (entendez par un médecin), et non pas constatent eux-mêmes, l’état dont le souverain est la victime.
19Une telle interprétation historicisante est, quoique l’on pense par ailleurs de l’attitude du roi des Belges et du gouvernement dans cette affaire, forcément dramatique pour le droit. Les textes juridiques ont vocation moins à témoigner du passé qu’à résoudre les problèmes du présent. Appliquée au droit, l’interprétation historique ôte sa vie et son utilité au texte : elle l’empêche de fonctionner comme Constitution vivante d’un État vivant. Elle va à l’encontre du génie juridique et spécialement de la dynamique nécessaire de l’interprétation constitutionnelle. L’histoire du droit en fournit d’ailleurs la preuve sous la forme classique d’un précédent. En effet, l’article 82 relatif à l’impossibilité de régner avait déjà été mobilisé dans le passé, précisément en 1940, pour un motif qui n’avait rien de médical, puisqu’il s’agissait pour les ministres en fuite à Londres d’ôter ses prérogatives au roi Léopold III, demeuré volontairement en Belgique et tombé ainsi « sous le pouvoir de l’envahisseur ». Cette solution avait d’ailleurs été entérinée par la Cour de cassation après la fin de la guerre27. Bien plus, l’impossibilité de régner avait été maintenue jusqu’en 195028, des motifs purement politiques, essentiellement l’hostilité d’une forte minorité de la population, faisant obstacle au retour du Roi, lequel devait finalement abdiquer au profit de son fils Baudouin.
20En conclusion, et pour aller un peu vite, on peut ajouter aux analyses de Strauss que non seulement, sur le plan théorique, l’ historicisme se détruit lui-même29, mais qu’en outre, sur le plan pratique, les règles de l’exégèse philologique moderne ne peuvent conduire qu’à l’enrayement de la mécanique juridique de production de sens et de normes, ajoutant encore à la confusion et à la stérilité d’un positivisme privé de fondement. Car les nécessités de la pratique juridique imposent de traiter le texte de droit non à l’instar d’un document historique figé, mais comme une source vivante de justice, ainsi que l’avaient parfaitement compris les Anciens et les Médiévaux.
II. Leo Strauss et l’herméneutique ancienne et médiévale
21Dans une large mesure, on peut analyser le renouveau herméneutique contemporain comme une tentative de retrouver, dans le rapport au texte, la force dynamique et la fécondité pratique de l’herméneutique ancienne et médiévale, asséchée par la philologie moderne. Strauss contribue à ce mouvement en proposant, grâce à l’hypothèse plausible de l’art d’écrire, un modèle original d’interprétation qui tente de conjuguer harmonieusement la productivité des modèles anciens avec les rigueurs de la science moderne. Ce modèle se rapproche en bien des points, dans sa structure et ses techniques, d’une certaine herméneutique religieuse (juive, musulmane et même chrétienne), à vocation philosophique, et paraît susceptible de conduire à des résultats équivalents d’un point de vue fonctionnel30. Nous nous bornerons ici à en esquisser à gros traits les lignes directrices :
Commençons par une affirmation surprenante, mais à laquelle il nous faut, pour cette raison même, conformément à la théorie de l’art d’écrire, accorder la plus grande attention. Dans l’article qu’il consacre au Traité théologico-politique, Strauss fait la supposition que « le vrai enseignement ne nous est accessible que par l’intermédiaire de certains vieux livres »31. Le propos surprend, car il paraît contraire à la définition que Strauss donne de la philosophie selon son cœur : une réflexion directe sur les choses elles-mêmes. Il s’explique par le fait que la modernité nous a privés d’un accès direct à la signification originelle de la philosophie32 de sorte que l’« on ne peut avoir accès à la signification originelle de la philosophie que par le rappel de ce que signifiait la philosophie dans le passé, c’est-à-dire pratiquement par la seule lecture des vieux livres »33. Strauss renoue ainsi avec l’approche herméneutique de la philosophie, caractéristique de la spéculation médiévale.
Strauss affirme ensuite la nécessité, pour accéder à la pleine signification d’un texte, de s’y investir entièrement. Et pour disposer de la motivation indispensable à un tel investissement, il faut absolument, au contraire des prescrits de l’historicisme, supposer que le « vrai sens » du texte délivre aussi un « sens vrai », en d’autres termes que le texte témoigne valablement de la vérité34. Cette supposition indispensable qu’évoque Strauss a pour équivalent fonctionnel, dans l’herméneutique médiévale, le postulat de l’inspiration divine des Écritures, qui garantit leur perfection, et plus largement la valeur authentique accordée aux textes revêtus de l’auctoritas.
Venons-en à présent au leitmotiv de la « lecture soigneuse »35, à laquelle Strauss nous invite avec tant d’insistance. Cette recommandation fait écho à l’invitation si fréquente dans les traités d’herméneutique de scruter avec la plus grande attention le texte des Écritures. Chez les Pères de l’Église, qui s’inscrivent sur ce point en continuité avec la tradition juive, la lecture soupçonneuse est la contrepartie de l’obscurité prêtée au texte biblique. Comme le note Leo Strauss, à propos de Maimonide cette fois, la Bible représente pour les Anciens le modèle même du livre ésotérique 36. Le modèle ancien du texte obscur se situe à l’exact opposé de la doctrine moderne du sens clair. Les ouvrages philosophiques, à l’interprétation desquels s’attelle Strauss, ne relèvent pas de la catégorie des « livres intelligibles » évoqués par Spinoza, transparents à leur contenu, immédiatement et pleinement accessibles, mais bien à l’autre catégorie, celle des « livres hiéroglyphiques », qui nécessitent des méthodes d’investigation plus sophistiquées. Strauss rejoint encore ses prédécesseurs lorsqu’il met en exergue le caractère délibéré de l’obscurité du texte. Dans le Peri Archon, Origène explique ainsi que l’Esprit s’est proposé pour but dans l’Écriture de révéler les mystères tout en les recouvrant d’un « voile corporel ». D’après Strauss, qui utilise également à plusieurs reprises la métaphore du voile et du dévoilement, c’est le risque de la persécution qui a contraint les philosophes à emprunter des techniques d’écriture tortueuses. Dans un cas comme dans l’autre, il s’agit, comme on l’a déjà noté, de stimuler l’effort et l’intelligence dans l’éducation. L’obscurité de l’Écriture est un appel à l’intelligence, écrit Origène. Il stimule l’interprète, ajoute Augustin dans la Doctrine chrétienne, en lui montrant la nécessité et le plaisir de l’effort. En outre, il dissimule la vérité aux indignes, aux adversaires comme au vulgaire.
Les thèmes de l’obscurité et de la persécution conduisent dès lors tant Strauss que ses prédécesseurs à organiser l’économie du sens sur la base commune d’un double niveau de signification. Les deux niveaux ne sont égaux ni en dignité ni en intérêt et leurs destinataires respectifs divergent également. Le premier niveau, le sens apparent ou obvie, est soit banal, soit faux et en tous cas destiné au vulgaire. Mais il dissimule, sous l’épaisseur de sa lettre, un sens profond et caché que Strauss, tout comme Averroès et Maimonide, réserve aux philosophes et aux philosophes en herbe qui s’en montreront dignes37. Ce second niveau de lecture, le sens caché, est infiniment supérieur au premier. Comme l’écrit Strauss, à propos des grands textes ésotériques, « leur beauté visible est d’une laideur consommée comparée à la beauté de leur trésor caché qui ne se dévoile qu’après un travail très long, jamais facile, mais toujours agréable »38. La théorie du double niveau de signification fait écho, une fois de plus, à l’herméneutique religieuse, et d’abord à l’exégèse chrétienne, tout entière structurée par la distinction asymétrique entre « la lettre et l’esprit », le sens littéral et figuré, c’est-à-dire le sens historique ou légal, d’une part, et, de l’autre, les sens spirituel, moral et eschatologique39. La même bipartition se retrouve chez Averroès et encore chez Maïmonide, qui compare, par référence à un verset des Proverbes, les paroles de l’Écriture à « des pommes d’or dans un filet d’argent ». Un filet d’argent à mailles serrées symbolise le sens littéral, qui dissimule mais permet néanmoins aux regards les mieux aiguisés d’entrevoir le sens plus plein, plus riche et plus juteux promis par les pommes d’or40. Tandis que le sens littéral, seul accessible au vulgaire, énonce la « science de la Loi » dans sa dimension pratique (talmud, ficq), le sens secret, réservé aux « hommes de science profonde », déploie la « vraie science » dans toute son étendue, c’est-à-dire la connaissance des étants et la révélation de certains mystères.
Reste à indiquer à l’interprète par quel moyen accéder à ce sens profond, secret, dissimulé et disséminé dans le texte. Ici encore Strauss rejoint les maîtres de l’exégèse ésotérique en adoptant ce que l’on pourrait appeler la technique de l’indice déclencheur. Il est indispensable que l’interprétation s’appuie sur les « énoncés explicites de l’auteur »41, c’est-à-dire sur le texte lui-même, tel qu’il se présente, dans sa totalité et sans interpolation42. Il faut donc que le lecteur attentif découvre, dans la trame même du texte à interpréter, dans sa texture apparente, un signe qui lui indique ou, à tout le moins, lui permette de soupçonner l’existence d’une autre signification que celle qui s’offre ouvertement à lui. Selon Strauss, qui se réfère explicitement sur ce point à Maimonide, le sens caché se dissimule et se révèle à la fois sous les formes soit d’une allégorie, c’est-à-dire d’une image ou même, si l’on suit Averroès, d’une figure (au sens technique de la rhétorique) ; soit d’une énigme, c’est-à-dire d’une contradiction interne. Strauss se concentre plus volontiers sur les secondes. Il traque inlassablement ce qu’Origène appelait les « pierres d’achoppement » ou les « passages impossibles » (adunata) et qu’il nomme lui-même des « faux pas » (blunders), à savoir les rugosités du texte, non seulement les contradictions, mais aussi les imperfections apparentes et les maladresses de composition. Autant d’erreurs bien improbables dans le chef d’écrivains aussi « soigneux », qui ont en réalité pour fonction d’attirer l’attention du lecteur perspicace, de lui faire soupçonner la présence en filigrane d’un autre message, voire de lui en livrer la clé, de l’inviter à tout cas à une autre lecture.
Quant à la gestion des contradictions qui ont ainsi été mises à nu par la lecture soigneuse, Strauss se distingue cette fois nettement de ses modèles médiévaux et en particulier des techniques d’interprétation conciliante si chères à la scolastique43. Bien que la volonté de conciliation apparaisse également dans l’enseignement exotérique d’Averroès et de Maimonide, Strauss ne veut y voir (au moins pour le second) qu’une ruse supplémentaire destinée à égarer les censeurs. Selon lui, le sens second, profond, secret, proprement philosophique, remplace et annule le sens apparent, conforme à la doxa, qu’il nie le plus souvent. Pour l’auteur de La Persécution et l’art d’écrire, c’est le sens le plus rare, le plus implicite, le plus éloigné de l’opinion du vulgaire qu’il convient de privilégier44, comme correspondant au message réel de l’ouvrage. Aurait-il été conforme, voire simplement compatible avec l’opinion commune, l’auteur n’aurait pas mis tant d’efforts à le dissimuler.
22Si le modèle straussien se révèle ainsi proche de l’herméneutique médiévale, il s’en écarte cependant sur un point décisif. Strauss choisit en effet, peut-être pour des motifs stratégiques, de placer sa théorie de l’interprétation dans un cadre moderne, en sacrifiant à l’auteur, c’est-à-dire au concept central, au véritable point d’Archimède de l’histo-ricisme45, dont il prétend pourtant combattre l’influence. Il semble cependant que Strauss ne cède sur ce point à l’historicisme que pour mieux lui résister et neutraliser à son tour les effets pervers du concept d’auteur. Il se refuse en particulier à tout psychologisme, subordonnant ce qu’il appelle, dans une terminologie à dire vrai assez confuse, l’explication à l’interprétation et l’implicite à l’explicite. Mais, en définitive, c’est bien la notion moderne d’auteur que Strauss utilise lorsqu’il impute l’existence d’un sens caché à la pratique d’un « art d’écrire », c’est-à-dire à la volonté délibérée d’un écrivain dans un contexte historique de persécution. La force du modèle straussien et la séduction qu’il exerce tient d’ailleurs à ceci que, tout en rapportant le sens authentique du texte à la volonté consciente de son auteur, il vaccine l’interprétation, grâce à l’hypothèse de l’art d’écrire, contre les effets stérilisants de l’historicisme, en restituant aux textes anciens une partie au moins de leur efficacité pratique.
23Cette portée pratique généreusement prêtée au modèle straussien d’interprétation suscite néanmoins une objection sérieuse, que je tenterai de rencontrer en guise de conclusion. Certains ne manqueront pas en effet d’observer que l’analyse qui précède tend à conférer à ce modèle une portée politique et juridique à laquelle il ne prétend aucunement. Bien plus, Strauss lui-même, dans la lecture qu’il consacre au Guide des égarés, indique que, sous le couvert obligé d’un discours juridique et politique, de portée secondaire, c’est un message philosophique, d’une autre nature, qui constitue le sens éminent et caché de l’ouvrage46. Le philosophe recherche une interprétation vraie, et non seulement juste ou pieuse, bref une interprétation plus théorique que pratique.
24Mais, par ailleurs, Strauss s’intéresse bien à la philosophie politique. Il insiste sur la dimension politique des œuvres qu’il étudie47. Et c’est bien cet héritage politique que « l’art de lire » straussien a pour objet de transmettre et de perpétuer. Pour résoudre l’aporie, il suffit peut-être de renoncer à la distinction suspecte entre une herméneutique de la vérité et une herméneutique de la justice. Dans Droit naturel et histoire, Strauss consacre un chapitre entier, à propos de Weber, à critiquer la distinction moderne entre faits et valeurs. Il montre de manière convaincante que le droit naturel des Classiques s’inscrit dans une nature des choses valorisée, qu’il appartient donc à la fois à l’ontologie des faits et à la téléologie des valeurs, qu’il possède une double portée à la fois théorique et pratique, qu’il prétend d’un même mouvement à la vérité et à la justice. Pour les philosophes classiques, la distinction entre vérité et justice n’était probablement pas pertinente. Pourquoi Strauss ne suivrait-il pas, sur ce point aussi, leur enseignement ? Il n’est donc pas interdit de penser que la recherche philosophique, qui est au cœur de la démarche de Strauss, revêt également une portée politique. Strauss s’inscrirait ici une fois encore dans la ligne tracée par les Classiques qu’il admire. Et sa méthode d’interprétation contribuerait sciemment à redonner force et vie à leurs textes.
25Certes, dans l’Appendice de La Persécution et l’art d’écrire48, Strauss critique sans concession un certain livre de Wild qui, sous le prétexte d’enrôler Platon dans des discussions étrangères à son œuvre, défigure complètement celle-ci49. Pourtant, à le lire attentivement, ce que Leo Strauss reproche principalement à l’entreprise, c’est moins son principe que le fait d’avoir « grossièrement échoué », fournissant ainsi des armes aux ennemis de la pensée politique platonicienne. Dans le même temps, Strauss reconnaît que le livre pose, sans s’en rendre compte d’ailleurs, une question fondamentale qui elle doit être sauvée du mépris que mérite l’ouvrage50. Cette question fondamentale, que les toutes dernières lignes de La Persécution et l’art d’écrire évoquent sans toutefois la formuler, ne serait-elle pas précisément celle de la possibilité d’une herméneutique moderne, alternative à l’historicisme régnant, qui nous permettrait de rendre leur efficace à la pensée politique des Classiques ?
Notes de bas de page
1 Par exemple, à propos du Guide des égarés : « Afin de parvenir à des règles qui nous libèrent de la pénible nécessité de faire des conjectures sur les pensées secrètes de Maïmonide, nous devons prendre un nouveau départ [...] » (L. Strauss, La Persécution et l’art d’écrire, Paris, Presses Pocket, 1989, p. 103, souligné par moi, ainsi que les règles effectivement développées dans la foulée).
2 Vérité et méthode, Paris, Seuil, 1976, p. XXV : « Ainsi par son origine déjà, le problème de l’herméneutique outrepasse les limites posées par l’idée de méthode telle que la conçoit la science moderne », et encore : « [Le phénomène de compréhension] résiste à toute tentative pour le travestir en méthode scientifique ». Adde : ibid., p. 121 et 130.
3 Vérité et méthode, op. cit., p. XIV : « Une “technologie” de la compréhension, telle que l’herméneutique ancienne a voulu l’être, est étrangère à mon projet ; je ne me suis pas proposé un système de règles techniques, susceptible de décrire, encore moins de guider, le comportement méthodologique des sciences humaines (Geisteswissenschaften) ». Adde : p. XXVII, où Gadamer distingue nettement son projet de l’ancienne herméneutique.
4 La Persécution et l’art d’écrire, op. cit., p. 64.
5 Ibid., p. 64-65.
6 Ibid., p. 57.
7 Ibid., p. 250 et 261.
8 Depuis la « redécouverte » du droit romain, les glossateurs et leurs successeurs ont tenté de découvrir la clef ou le système de cette compilation de maximes disparates empruntées à des consultations juridiques particulières et souvent proches des topoi des traités de rhétorique relatifs à l’interprétation.
9 Il s’agit des articles 1156 à 1164 du Code civil, qui ont été copiés du Traité de la vente de Pothier, qui lui-même avait traduit les maximes du Digeste.
10 La tradition talmudique connaît deux grandes séries de directives d’interprétation juridiques : les sept « règles » de R. Hillel et les treize « mesures » de R. Ishmaël. Les premières furent énoncées à l’occasion du conflit majeur entre les écoles de Hillel et de Shammaï sur l’interprétation large ou stricte de la Torah ; la seconde à la faveur de la controverse entre R. Ishmaël et R. Akiba sur la question de savoir si la Torah parle ou non le langage des hommes.
11 Pour une vision d’ensemble de cette histoire de l’interprétation faite de conflits et de ruptures, voyez mon ouvrage Les Modèles juridiques d’interprétation, Paris-Bruxelles, L.G.D.J. – Bruylant, à paraître en 2001.
12 Nous avons écrit ailleurs que l’interprétation réfléchit, au double sens où elle pense et elle reflète les rapports qu’une culture entretient à elle-même et aux autres cultures avec lesquelles elle entre en contact.
13 La Persécution et l’art d’écrire, op. cit., p. 64.
14 Ibid., p. 69-70.
15 Ibid., p. 259.
16 Ibid.
17 Ibid.
18 Ibid., p. 208.
19 Comparez avec le statut juridique actuel de l’acte authentique (jugement, exploit, minute...), dont les constatations font foi jusqu’à inscription de faux.
20 La Persécution et l’art d’écrire, op. cit, p. 210 et 259-261.
21 Sur l’effet neutralisateur de l’historicisme : ibid., p. 65. Sur la critique et les effets de l’historicisme : ibid., p. 92,215,221 -223.
22 Sur les croisements des concepts d’auteur et de législateur, voir B. Frydman, « Philologie et exégèse : un cas d’herméneutique comparée », Revue interdisciplinaire d’études juridiques, 1994,33, p. 59-83.
23 Les constitutions libérales inscrivent dans des textes les droits naturels de l’homme et les principes rationnels du contrat social. La codification napoléonienne parachève la « mise en ordre » des règles entreprise dès le xviie siècle par Domat et Leibniz.
24 Voyez sur cette question les excellents travaux de A. Dufour, notamment ceux recueillis dans Droits de l’homme, droit naturel et histoire, Paris, PUF, 1991.
25 Lettre du 30 mars 1990 du roi Baudouin au premier ministre Martens. C’est moi qui souligne.
26 En ce sens, de manière très mesurée dans le ton mais très argumentée sur le fond : R. Ergec, « L’institution monarchique à l’épreuve de la crise », Journal des Tribunaux, 1990, p. 265-267. Cf. P. Lauvaux qui, dans Le Soir du 5 avril 1990, ne constate qu’un détournement de procédure. Par contre, le sénateur R. Lallemand approuve la procédure choisie (« La conscience royale et la représentation de la nation. Réflexions à propos d’une crise », Journal des Tribunaux, 1990, p. 465-469).
27 Cass., 27 mai 1946, Pas., 1946, 1, 222 et 3 mars 1947, Pas., 1947, 1, 94.
28 Le prince Charles, frère de Léopold III, avait été désigné comme régent par les Chambres dès la libération en 1944, tandis que le roi Leopold était emmené en Allemagne.
29 La Persécution et l’art d’écrire, op. cit., p. 222.
30 Nous limiterons ici notre comparaison à quelques ouvrages essentiels, soit, dans l’ordre chronologique, le Traité des principes d’Origène, la Doctrine chrétienne d’Augustin, le Discours décisif sur l’accord parfait entre la Révélation et la philosophie d’Averroès et bien sûr le Guide des égarés de Maïmonide. D’un point de vue philologique, il est évident que la culture juive et arabe a davantage influencé Strauss que l’herméneutique chrétienne. Mais je ne me sens pas tenu par un tel critère et privilégie, suivant une méthode qui m’est habituelle et chère, la comparaison objective des modèles d’interprétation et de l’économie du sens qu’ils proposent.
31 La Persécution et l’art d’écrire. op. cit., p. 218.
32 Ibid., p. 221.
33 Ibid., p. 221-222, souligné par moi.
34 Ibid., p. 215.
35 Ibid., p. 207.
36 Ibid., p. 98.
37 Ibid., p. 69-70.
38 Ibid., p. 70. C’est moi qui souligne.
39 Le livre IV du Traité des principes d’Origène se laisse résumer en une exhortation à dépasser le sens littéral, qui est soit faux, soit impossible, soit simplement informatif, mais en tous cas incohérent et par trop rattaché à la dimension déchue du corps, pour tendre vers un sens « digne de Dieu » et accéder aux réalités spirituelles dans leur vérité et leur cohérence. Origène utilise d’ailleurs lui aussi l’image du « trésor caché dans un champ » (Traité des principes. III, 11).
40 L. Strauss évoque lui aussi l’attrait chez le jeune lecteur de la « vision fugitive du fruit défendu » (La Persécution et l’art d’écrire, op. cit., p. 58).
41 Ibid., p. 63.
42 Traité des principes, II, 4. L. Strauss : « On n’est pas autorisé à supprimer un passage, ni à en corriger le texte avant d’avoir pleinement envisagé toutes les possibilités raisonnables de le comprendre tel qu’il est – l’une de ces possibilités étant que ce passage soit ironique » (La Persécution et l’art d’écrire, op. cit., p. 63).
43 Notons sur ce point la rencontre objective de Strauss avec Augustin qui estime lui aussi, dans la Doctrine chrétienne, encore que pour des motifs très différents, que le sens second annule et remplace purement et simplement le sens littéral.
44 La Persécution et l’art d’écrire, op. cit., p. 111-113.
45 Que l’on songe seulement à l’importance que prend dans le Léviathan de Hobbes et le Traité théologico-politique de Spinoza la question de savoir quels sont les véritables auteurs des différents Livres saints.
46 La Persécution et l’art d’écrire, op. cit., p. 100 et 117-131.
47 Tout particulièrement, dans La Persécution et l’art d’écrire, à propos du projet de Spinoza dans le Traité théologico-politique.
48 Cet Appendice est absent de l’édition originale américaine.
49 La Persécution et l’art d’écrire, op. cit., p. 306 sq.
50 Ibid., p. 317.
Auteur
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Thémistius
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