Chapitre III. Negotium
p. 51-67
Texte intégral
L’ESPOIR : SPECULUM PRINCIPIS
1La thèse du negotium – l’art de négocier – est défendue, tout au long du premier Livre de L’Utopie, par le Cardinal Morton qui en est l’incarnation et, en théorie, par Pierre Gilles et le personnage Thomas More, qui s’efforcent de persuader un Hythlodée récalcitrant d’offrir ses services de conseiller à la royauté en mal de compétence.
2Dès les premières pages, Pierre Gilles, « dans un élan d’admiration » (L’Utopie, p. 370)1, ne peut s’empêcher de s’écrier :
Vraiment, mon cher Raphaël, je m’étonne que vous ne vous attachiez pas à la personne d’un roi. Quel qu’il soit, je suis sûr qu’il vous accueillerait très volontiers car non seulement votre savoir, vos connaissances des pays et votre expérience des hommes charmeraient ses loisirs, mais les exemples que vous citez pourraient l’instruire et vos conseils l’aider. »
L’Utopie, p. 370.
3La proposition revient ensuite comme un leitmotiv, le personnage Thomas More étant sans doute le plus insistant. N’oublions pas que c’est pendant la rédaction de ce Livre que Thomas More se vit offrir à la Cour d’Henry VIII une charge qu’aux dires d’Érasme il hésita longtemps à accepter.
4Il faut dire que les exhortations de Pierre Gilles et du personnage Thomas More en faveur d’une éducation offerte à la Cour étaient certainement peu originales en cette année 1516. Dès la moitié du xve siècle, l’Europe avait été, en effet, « inondée » de traités d’éducation à l’usage des princes de ce monde2.
5Le thème du speculum principis était particulièrement important pour les humanistes, qui avaient la prétention de devenir le « miroir » des rois et des princes et de leur offrir des conseils pratiques pour la gestion de leurs royaumes et de leurs âmes. L’offre de service venait ainsi couronner le formidable élan pédagogique et didactique qui animait tout le mouvement humaniste du Sud au Nord depuis le début du xive siècle en même temps qu’il répondait à un besoin de compétence particulièrement urgent de la part des princes.
6Quant au contenu de ces traités que leurs auteurs – pour la plupart « secrétaires de chancellerie » de leur état – proposaient avec empressement, il apparaît aujourd’hui, pour certains, comme un ramassis « invertébré3 » d’idées glanées ça et là dans les textes romains, grecs et chrétiens. Pierre Gilles lui-même ne fait pas la distinction entre un service « sérieux » et le divertissement, comme l’indique sa remarque à Hythlodée. N’invoque-t-il pas, en premier, l’argument selon lequel l’expérience de ce dernier « charmerait les loisirs » d’un roi ?
7Une telle remarque ne fait donc qu’ajouter de l’eau au moulin des interprètes qui n’accordent aucun poids politique ou philosophique aux propositions du negotium4. Propositions d’autant plus suspectes aux yeux de tout théoricien qu’elles reposent sur une motivation avouée vieille comme le monde : gagner sa vie. Pierre Gilles le dit on ne peut plus clairement : servir le Prince, dit-il à Hythlodée, est « la seule voie à suivre [pour vous assurer] à vous-même une condition plus heureuse. » (L’Utopie, p. 373).
8Néanmoins, on sous-estime peut-être l’importance d’un mouvement à bien des égards pionnier et à la mesure des changements du contexte dans lequel il s’intègre et que nous avons tenté de décrire au chapitre précédent. La situation est nouvelle ; surtout, les conseillers se découvrent au fur et à mesure qu’ils cherchent les outils sémantiques qui leur permettront d’asseoir une autorité qu’Hythlodée pourra revendiquer.
L’OUTIL : LA RHÉTORIQUE
9L’un de ces outils fut la rhétorique dont la pratique, telle celle des perles de verre dans le roman de Hermann Hesse5, devait mener à une réflexion à la fois structurante et structurée.
10Et pourtant, l’art de la rhétorique était, au xiie siècle, une activité que l’on hésiterait à qualifier de réflexive ou de subversive. Le grand maître italien de l’époque Adalbert de Samaria l’enseignait afin de donner à ses étudiants une méthode (Ars Dictaminis) leur permettant de rédiger des lettres officielles de la manière la plus persuasive possible6. Mais en même temps, les professeurs de rhétorique – les dictatores – ne résistèrent pas, bien sûr, à la tentation de glisser des formes aux contenus et prirent l’habitude de discuter des affaires publiques qu’ils avaient pour mission première et neutre de mettre en forme7.
11Mais ils gardent leurs vieilles habitudes de professeurs8 même si, plus tard, il reçoivent la caution posthume de Cicéron et de Quintilien, et surtout d’Aristote. « L’intérêt se porte alors sur ce qu’avait ignoré ou boudé le Moyen Âge : la Poétique et la Rhétorique9 ». On redécouvre ces textes, en latin d’abord, au courant du xiiie siècle. À la fin du xve siècle, les textes du Stagirite sont pour la première fois étudiés en grec dans l’Europe occidentale. « Alde Manuce imprime le Corpus à Venise en 149510 ».
12La main guida-t-elle l’esprit ou l’esprit guida-t-il la main ? La pratique de la rhétorique fut-elle à la source des changements de contenu ou la réflexion sur les contenus modifia-t-elle la demande rhétorique ? La question est sans réponse, parce que posée dans une perspective causale simpliste. Rappelons simplement que Thomas More a été formé dès sa plus tendre enfance à l’art de la rhétorique11 et qu’il la recommande comme jeu de société dans L’Utopie. Disons également qu’une interaction continue du contenu et de la forme inaugura une série de changements épistémologiques.
13Première conséquence : on peut dire, avec George Logan, que ces humanistes de la première heure préparèrent un cadre formel dans lequel s’inscriront plus tard les premiers essais de théorisation politique, en Italie d’abord, au Nord ensuite12. L’Éloge de la Folie et L’Utopie sont, comme Edward Surtz l’a montré, des exemples de declamatio. Mais L’Utopie n’est pas que cela. Le postulat de départ (la cause du mal est systémique) est développé avec une telle logique qu’il aboutit non point à démontrer le ridicule de la proposition, mais à proposer un point de vue révolutionnaire. Autrement dit, le jeu rhétorique a la possibilité de lancer et de libérer l’idée.
En réalité, écrit Olivier Reboul en ce sens, si l’on se sert de la rhétorique, ce n’est pas seulement pour obtenir un certain pouvoir ; c’est aussi pour savoir, pour trouver quelque chose. Et c’est là [la] fonction de la rhétorique qu’on nommera ‘heuristique’ du verbe grec euro, euréka, qui signifie trouver13.
14Deuxième conséquence : le pouvoir de la forme comme instrument de persuasion est une redécouverte du pouvoir de la structure sur le verbe. Elle affaiblit, ce faisant, le pouvoir du discours narratif (celui de la Bible et du Nouveau Testament), lequel est pouvoir de persuasion par la métaphore (le contenu imagé). Le désir « prométhéen » de « l’homme mesure de toute chose » n’est pas loin ; effectivement, on redécouvre alors, entre autres. Le Gorgias que le Moyen-Âge avait occulté. Et s’il est vrai que L’Utopie utilise le narratif, il faut comprendre qu’elle l’utilise dans un cadre formel (une logique indiscutable à partir de certains postulats) et dans un appel constant à la raison qui juge de la validité des postulats.
15Troisième conséquence : l’exercice de la rhétorique donne « faim » de contenu. Les textes des humanistes abondent en métaphores exprimant « l’ouverture » et « l’autre ». Pierre Gilles est « toujours avide » de nouveautés. Les Utopiens sont toujours « avides » de conseils pratiques. La rhétorique est un constant dialogue. Sa loi fondamentale est que « l’orateur – celui qui parle ou qui écrit pour convaincre – n’est jamais seul, qu’il s’exprime toujours avec ou contre d’autres orateurs, en fonction d’autres discours, toujours14 ».
16Et le Cardinal Morton lui-même est impatient d’écouter les arguments proposés par Hythlodée. « Mon cher Raphaël, dit-il, je désirerais vivement entendre de votre bouche les raisons pour lesquelles vous estimez que le vol ne doit être puni du châtiment suprême [...] ». (L’Utopie, p. 394) On passe de la philologie à des textes éthiques et donc, dans le contexte grec, politiques. Les grecs « ne doivent pas être lus par les jeunes comme un exercice intellectuel de philologie : c’est au contenu éthique de leurs textes qu’Érasme attache la plus grande importance15 ». Car, brusquement, le contenu se libère. Comment s’étonner que Raphaël, « moins versé dans la connaissance du latin que du grec », parle un discours qui se rapproche de la « simplicité sans apprêt, plus proche [...] de la vérité [...] ». (L’Utopie, p. 345).
17Mais la rhétorique a ses limites et nous sommes encore loin d’une contestation radicale de l’autorité. Si les chanceliers cherchent d’autres formes d’autorité, ils se refusent ou hésitent à renoncer au « même », en l’occurence à leur héritage chrétien. Ils rêvent d’une synthèse du narratif et du rationnel ; bref, ils rêvent d’un Socrate canonisé – ce « saint Socrate » si cher à Érasme. Ils rêvent d’un Prince oint par Dieu qui aurait « lu » Platon et Aristote et se serait laissé convaincre qu’il existe une autre source de conseils : celle du daïmon de Socrate. La « raison » s’introduit petit à petit dans l’ordre féodal.
18Quatrième conséquence : on se joue de la logique scolastique, qui est regardée comme une forme de sophisme.
Valla, Agricola, Vivès et Petrus Ramus n’insultaient pas simplement les logiciens ou n’exposaient pas leur ignorance de la littérature classique ou les barbarismes de leur latin. Bien plus, ils offraient une analyse technique de ce qu’implique le raisonnement scolastique, les raisons pour lesquelles on n’avait pas affaire à la découverte d’un nouveau savoir, et ce qui devait remplacer ce raisonnement16.
UN NOUVEL ESPACE : L’ESPACE LAÏQUE
19Le rôle des « secrétaires » est trouvé : ils seront des « démons », n’ayant pas pris conscience que le démon grec rebaptisé par une tradition chrétienne voudrait un jour le pouvoir à part entière, au nom de la seule raison dont il est le représentant. Voilà qui ennoblit le rôle de « serviteur du roi » ! Pierre Gilles cherche à faire valoir ce point lorsque Hythlodée raille la position. « Je ne voulais pas dire, s’écrie-t-il, que vous devriez vous asservir aux rois, mais les servir. » (L’Utopie, p. 373).
20La nuance est importante quoiqu’en dise, rappelons-le, Hythlodée : « Servir [...] ce mot n’a qu’une syllabe de moins qu’asservir ! » (L’Utopie, p. 373) ; « servir » le roi sans être « asservi » implique une autonomie et une volonté qui n’entrent pas dans la logique féodale, qui reste incontestée. Un autre espace – individuel, laïque – vient de se créer. Espace encore fort fragile auquel l’otium, comme nous allons le voir, va donner une force.
21Car Pierre Gilles et le personnage More avancent à petits pas, en dents de scie, en bons casuistes qu’ils sont. Le personnage Thomas More donne à un Hythlodée un peu « vert » une leçon sur l’art de s’adapter aux situations : à la Cour du Roi, dit-il,
il n’y a pas de place pour cette scolastique qui prétendrait que n’importe quelle solution est applicable n’importe où. Mais il existe une autre philosophie, mieux instruite de la vie en société : elle connaît son théâtre et elle s’y accomode ; dans la pièce, elle accepte le rôle qui lui revient et le joue avec beaucoup d’élégance et de grâce. C’est cette philosophie-là que vous devriez cultiver.
L’Utopie, p. 430-433.
22À un Hythlodée toujours récalcitrant, il déclare, plus casuiste que jamais : « Mieux vaut prendre une voie moins directe : dans la mesure du possible, traiter de tout avec habileté et, si vos efforts ne peuvent transformer le mal en bien, qu’ils servent au moins à atténuer le mal. » (L’Utopie, p. 433).
23Mais à part cette patience, les chanceliers n’ont vraiment à leur disposition comme outil de persuasion qu’une pensée faite d’un mélange de dogme chrétien, de philosophie grecque et de conseils romains. Beau joueur, le personnage Thomas More fait sans arrêt allusion à ce grand représentant du negotium qu’est Cicéron et particulièrement à son De Officiis. Les moyens sont limités mais la proposition, si l’on y réfléchit, est immensément audacieuse. Une phrase la résume lorsque More décrit en ces termes le Cardinal Morton, ce modèle de vertu conseillère : « L’État, dit-il, visiblement reposait en grande partie sur lui. » (L’Utopie, p. 378).
24Car, ce faisant, dans la théorie et dans la pratique, les défenseurs du negotium redéfinissent, ni plus ni moins, les rôles respectifs du singulier (le Prince) et des autres (eux-mêmes). Ils le font, nous l’avons dit, à petits pas, non sans précautions ni raison. Comment s’y prennent-ils ?
25Tout d’abord en ne remettant jamais directement en question l’autorité de l’Église et du roi. Le texte de L’Utopie commence en des termes non équivoques :
Comme des affaires qui ne manquaient pas d’importance avaient récemment fait naître un litige entre l’Invincible Roi d’Angleterre, Henry, huitième du nom, prince en qui brillent d’un éclat singulier toutes les qualités qui font un grand monarque [...].
L’Utopie, p. 358.
26Thomas More, le narrateur de la Lettre à Pierre Gilles, Thomas More le personnage et Raphaël Hythlodée prennent également bien garde, comme nous l’avons déjà fait remarquer, de ne jamais attaquer directement le roi. On passe par une critique tolérable : celle du roi de France. Les humanistes connaissent tous les limites de l’insolence et de la contestation qu’ils franchissent néanmoins sans arrêt, forts d’une amitié dont nous analyserons plus loin l’importance.
27C’est une subversion ambiguë, tâtonnante car, sur un plan plus politique, ils ne peuvent imaginer un gouvernement sans Prince. « Ils sont tous persuadés, comme Budé [...] qu’une ‘monarchie bien ordonnée’ est toujours préférable à ‘toute autre forme de gouvernement’17. »
28Il faut dire que les humanistes continentaux du Nord, exposés à des révoltes populaires sanglantes et tout à leur mépris peu chrétien mais platonicien du peuple, ne pouvaient imaginer d’autre ordre que l’ordre royal. Érasme, qui n’en était pas à une contradiction près, déclara dans son De Institutione que le monarque a un pouvoir absolu, puisqu’il est l’incarnation du Bien. Quant aux humanistes anglais, ils tournent leurs efforts non pas vers l’individu en place – le roi –, mais vers la puissante classe montante de l’Angleterre de l’époque18. En même temps, leur respect de l’ordre établi suit la logique des humanistes continentaux :
Après avoir admis qu’un gouvernement devait être remis entre les mains des hommes les plus vertueux, et après avoir affirmé que les plus vertueux se trouvaient dans les rangs de la petite noblesse, ils en tirèrent une conclusion évidente et des plus agréables : à savoir qu’afin de maintenir la forme sociale la plus ordonnée, nous ne devrions pas déranger l’ordre social, mais devrions, bien au contraire, le préserver dans la mesure du possible19.
29Encore incapables de concevoir la société comme un sujet autre, obéissant à d’autres lois que celles qui régissent les individus, ils restent prisonniers de la pensée holistique grecque20 et de l’ordre féodal, limitant ainsi d’emblée les moyens de redéfinir le pouvoir « séparé » comme le fera plus tard Jean Bodin ; leur confusion entre éthique et politique leur fait rejeter les réformes institutionnelles entreprises par les tenants de la scolastique21. Car, comme le veut un proverbe turc ancien : « c’est par la tête que le poisson pourrit ». Si ceux qui contrôlent les institutions sont corrompus, les institutions le sont aussi22.
30Bref, aux institutions et à la politique, les humanistes-conseillers vont substituer l’éthique personnelle du Roi, sur le modèle organiciste grec qui non seulement ne distingue pas entre le Vrai, le Beau, le Bien, mais ne fait pas de distinction entre l’Individu et la Cité. La cité platonicienne, par exemple23, tout institutionnelle soit-elle, dépend, en dernier ressort, de la « vertu » de ses dirigeants dont Platon, ne voulant prendre aucune chance, dira qu’ils devront être philosophes.
31Et c’est précisément Platon que cite le personnage Thomas More lorsqu’il tente, une dernière fois, de persuader un Raphaël obstiné de servir le roi :
Je demeure convaincu, dit-il, que si vous consentiez à moins détester les cours princières, vos conseils pourraient rendre de réels services à la communauté [...]. Si votre cher Platon dit vrai lorsqu’il estime que les États connaîtront le bonheur le jour où les philosophes seront rois, ou quand les rois s’adonneront à la philosophie, combien ce bonheur est encore bien éloigné, puisque les philosophes ne daignent même pas communiquer leur avis aux rois !
L’Utopie, p. 414.
32Aristote, dont l’approche intégrée de l’éthique et du politique n’est pas éloignée de celle de Platon, sera également relu et cité. Entre le concile de Bâle et les premiers écrits de Pomponazzi, les commentaires sur la Métaphysique d’Aristote se succèdent au point d’approcher en nombre les commentaires écrits pendant les deux siècles précédents24. Les humanistes reprendront notamment les passages qui leur conviennent de l’Ethique à Nicomaque25 et ils oublieront, bien à propos, la conclusion du Stagirite, à savoir la nécessité de trouver un équilibre entre vertus et institutions26. Ajoutons que le stoïcisme contribua également à l’idée qu’un bon gouvernement est fonction de l’éthique personnelle du Prince, lequel doit être regardé comme le modèle de ses sujets27.
33La métaphore du miroir, speculum, prend alors tout son sens : l’éthique de l’Un se reflète à l’infini. Nous ne sommes plus tout à fait dans un système chrétien fait de confessions et de repentirs, de nécessité et d’interventions divines « incommensurables ». Nous sommes dans l’univers magique des « correspondances28 ».
34Et pourtant, les humanistes ne répètent pas tout à fait les messages stoïcien et platonicien, lesquels enseignent non seulement une fusion de l’éthique et du politique mais une fusion du vrai, du beau et du bien dans laquelle le temporel ne peut fonder le temporel29. Une nouvelle dimension est en train de naître : celle de l’histoire. Nous sommes à ce moment charnière dont nous avons parlé au chapitre second, ce moment où le pouvoir féodal sacré commence à glisser vers le pouvoir profane de l’État moderne.
UN NOUVEAU TEMPS : CELUI DE L’HISTOIRE
35Les contemporains de Thomas More introduisent, en effet, un élément chrétien, augustinien plus précisément, au cœur même de cette sphère holistique parfaite : le sens de l’histoire ouverte et le sens de la responsabilité chrétienne historique. Le philosophe doit être « engagé », un thème humaniste sans cesse repris dans L’Utopie par Pierre Gilles et le personnage Thomas More.
36Ceux-ci font en effet miroiter aux yeux du Prince chrétien la possibilité de trouver une immortalité temporelle dans l’histoire et surtout d’aménager ce temps au mieux de ses responsabilités chrétiennes, au nom non plus des préceptes révélés par Dieu, mais d’une réinterpétation d’une éducation où s’introduit la raison. Leur mélange n’a de sens ni d’un point de vue grec ni d’un point de vue chrétien, mais c’est dans ce creuset épistémologique que va commencer à se former l’idée d’une temporalité historique rationnelle appelée progrès.
37On offre donc aux princes, en échange de leur prise de responsabilité temporelle (Dieu leur a donné le pouvoir, ils doivent l’assumer), une récompense romaine fort peu chrétienne mais tout aussi alléchante : l’immortalité historique. On redécouvre ainsi les grandes tirades cicéroniennes sur la gloire et l’immortalité des héros politiques. Les humanistes font leur la devise du quattrocento selon laquelle l’ambition la plus haute de tout politique est d’obtenir « honneur, gloire et renommée30 ».
38Encore une fois, la proposition apparaît bien banale et courtisane ; d’autant qu’elle est reprise par les chantres et les poètes des cours italienne et française. Dite par un courtisan, elle a, avouons-le, peu d’intérêt. Mais énoncée par des humanistes convaincus de la supériorité de la raison et du savoir humain, elle laisse entrevoir la possibilité de détacher l’homme et ses actes de son référent divin et du dessein providentiel de Dieu sur la civitas christiana. La marche de l’histoire vient de naître : l’autorité est en train de glisser du Royaume des cieux vers le Royaume terrestre.
39Deuxième proposition faustienne au Prince : on lui promet une autre forme de maîtrise du temps, un savoir qui mène à la stabilité et à la prospérité qui, dit-on, l’accompagnent. La proposition est d’autant plus intéressante que, comme nous l’avons vu précédemment, la prospérité n’est plus garantie par des pillages ad hoc. Se maintenir au pouvoir demande désormais un minimum de « négociation » et de gestion dont bien peu de rois, selon Thomas More, sont capables. Dans un de ses épigrammes latins – De cupiditate regnandi – il soupire : « Parmi tous les rois, il y en a un à peine, sinon un du tout, qui gère bien son royaume31. » L’instabilité endémique de l’Europe est suffisante pour en convaincre les esprits princiers les plus obtus.
40Le Prince a donc besoin de gestionnaires et les conseillers sont prêts – du moins le disent-ils – à lui apprendre la négociation. L’éducation proposée par les humanistes devient alors autant une « demande » qu’une « offre ». Et, en bons « négociateurs » qu’ils sont, ils ne cessent de vanter les beautés et la richesse de l’éducation, sources grecques, chrétiennes et romaines à l’appui, ainsi que la qualité de leur service. Dans la tradition humaniste, ils vantent en effet sans relâche l’éducation en général et celle du Prince en particulier, répétant qu’elle est la clef du succès. Érasme emprunte aux anciens, à Platon notamment, l’idée que la bonne marche d’un État repose entièrement sur la qualité de l’éducation du Prince. Le parfait conseiller, bien éduqué, est bien sûr le Cardinal Morton qui est ainsi décrit dans L’Utopie : « Sa connaissance du Droit est étendue, son intelligence exceptionnelle, sa mémoire prodigieusement fidèle. » (L’Utopie, p. 378).
41Que faut-il enseigner au Prince de si précieux qui lui apportera gloire immortelle, stabilité et prospérité ? la logique aristotélicienne ? l’abstraction platonicienne ? le retrait stoïcien ? En partie seulement, car les humanistes sélectionnent soigneusement certains passages de philosophie grecque. Ils retiennent les éléments qui servent de caution à leur propre discours, bénéficiant ainsi de l’autorité du Stagirite et de Platon. Mais en même temps, dans leur hâte pragmatique, ils ne s’arrêtent ni aux inconséquences, ni aux contradictions. Leur proposition utilise Platon, mais elle est d’emblée démiurgique : il ne s’agit pas de « sortir de la caverne », ni pour eux ni pour le Prince. Ils sont chrétiens et seront jugés d’après leurs actions après leur mort.
42Le Prince a des responsabilités temporelles dont il devra rendre compte à Dieu ; bref, il a besoin d’une éducation théorique et pratique : d’un savoir-faire. Le conseiller a des responsabilités tout aussi chrétiennes. On ne doit pas abandonner un Prince lorsqu’on possède le savoir, « pas plus qu’on ne doit abandonner un navire en pleine tempête sous prétexte qu’on est impuissant à maîtriser le vent » (L’Utopie, p. 433). Aménager la caverne fait partie du devoir chrétien. Conclusion : les philosophes doivent être « utiles32 ».
43Leur vœu d’utilité politique et le savoir de l’époque ne leur laissent que peu de choix quant aux matières de l’enseignement : ils proposent au Prince de lui enseigner la rhétorique, bien sûr, les langues anciennes, la philosophie grecque, auxquelles ils ajoutent un savoir « nouveau » issu du comparatif, dont nous verrons plus loin l’importance épistémologique.
44On compare les mœurs des pays récemment découverts avec les coutumes de son pays- et les événements de l’histoire qui, disent-ils, est source de savoir puisqu’elle se répète sur un fond de nature humaine que Vivès dit « invariable ». Les humanistes du Sud notamment empruntent au Livre V de la Politique d’Aristote, et surtout à Polybe et à Cicéron et donc aux Stoïciens, l’idée d’un temps cyclique33. L’histoire devient l’ultime modèle – « le giron de toute sagesse pratique », pour reprendre l’expression de Vivès. Elle est, pour Budé, « le maître ultime, le guide ‘parmi nos plus grands professeurs’ qui nous montre le chemin d’une vie vertueuse et honnête34 ». Tous redécouvrent notamment la Rome de Cicéron35, qui leur apparaît comme le modèle par excellence de la stabilité et de la prospérité36.
45Autre mérite de l’histoire : elle est, selon eux, la démonstration qu’on peut trouver un équilibre acceptable entre la morale et la politique : utilitas et honestas, une dichotomie qu’ils viennent, sans s’en rendre compte, d’exacerber en n’acceptant plus tout à fait comme guide le Bien révélé par les Écritures et en insistant pour jouer les démiurges. Ainsi devrait se trouver résolue la question de départ du Livre premier : comment concilier l’éthique (honestas : la punition des voleurs) avec l’efficacité (la prévention du vol : utilitas), à savoir qu’ils ne recommencent plus ou que l’on décourage les autres voleurs ? La réponse est évidente : il faut de meilleurs princes, mieux éduqués, qui offriront à leurs sujets un meilleur modèle de conduite.
46Le thème devint particulièrement intéressant du fait que « quelques humanistes italiens avaient développé la notion de nécessité politique, laquelle demande des politiques immorales, alors que les humanistes du Nord, pour lesquels un tel principe était détestable, cherchaient des arguments pour les combattre37 ». Une extrême confusion s’ensuivit : tous utilisèrent le même concept – la « vertu »– pour désigner la qualité nécessaire à un Prince qui, éclairé par les leçons de l’histoire, pratiquerait à bon escient l’honestas et l’utilitas – ou pour désigner sa ruse. Le mot, ainsi ballotté, aura le sens qu’on voudra bien lui donner. « Pour Machiavel, [...] le concept de virtù est utilisé simplement pour désigner toutes les qualités nécessaires au Prince, quelles qu’elles soient, pour ‘se maintenir au pouvoir’ et ‘réaliser de grandes choses’38. »
47Les autres humanistes italiens, en mal d’idées, retourneront à Cicéron pour donner au mot un contenu plus précis :
Comme Cicéron l’avait dit [...], le but de l’éducation n’est pas simplement de produire un homme possédant quelques compétences techniques, ni même un homme capable d’atteindre toutes les vertus [...]. L’ambition est plutôt de cultiver « la vertu » (virtus) qui brillera au-dessus toutes les autres39 [...].
48Quant à Érasme, il se garde de préciser ce qu’il entend vraiment par le mot « vertu » et se contente de dire que, si le Prince veut être vertueux, il lui faut choisir ses conseillers avec soin :
Il pense que cette part de la tâche princière est facile, étant donné qu’il suffit de nommer au service royal des hommes de valeurs. Plus loin, il explique que les conseillers doivent faire preuve de sagacité et être dignes de confiance. Et c’est à peu près tout ce qu’Érasme peut conseiller aux princes pour résoudre les problèmes pratiques les plus urgents auxquels ils doivent faire face40.
49À vrai dire, le personnage Thomas More et Pierre Gilles ne sont guère plus sagaces lorsqu’il s’agit de préciser davantage ce qu’ils entendent par « vertu » princière et conseillère. Ils ne s’entendent à vrai dire que sur une seule restriction, et de taille : la vertu princière, délaissant les ambitions territoriales, s’exerce à l’intérieur du royaume. Ayant fait de l’histoire la source du savoir politique, il leur est impossible de développer l’idée d’universalité et de responsabilité au delà des frontières de leur propre pays. Thomas More lui-même, sans doute le plus aventureux de tous, ne s’y risquera pas. Son Utopie est une île et ses dirigeants entendent défendre d’abord et avant tout les intérêts des Utopiens41, même si cela implique une guerre qu’ils abhorent. Hythlodée, tout en accusant la guerre d’être une « réalité bestiale » (L’Utopie, p. 566), en reconnaît la réalité. Thomas More, écrit en ce sens George Logan, « fonctionne comme un théoricien de la ville-État ; son objectif est de s’occuper des intérêts réels des citoyens d’Utopie et non de ceux de l’humanité en général42. »
50L’offre étant faite au Prince, il reste à nos humanistes à vendre leurs services, ce qu’ils font avec leur habituelle arrogance – dont nous verrons qu’elle avait son utilité : ils se disent d’emblée les meilleurs et ne cessent de mettre en garde les princes contre les fraudeurs et les courtisans qui ne cherchent que leur propre intérêt. Un chapitre du livre The Governor de Sir Thomas Elyot ne s’intitule-t-il pas « The mortal poison of flattery » ?
51Eux seuls, parce qu’éduqués et vertueux, représentent l’intérêt général et donc celui du Prince43. Ils ont un modèle qui a « réussi » en la personne du Cardinal Morton, dont More ne cesse de faire l’éloge :
Sa parole était à la fois élégante et persuasive, sa connaissance du Droit très étendue, son intelligence exceptionnelle, sa mémoire prodigieusement fidèle. L’étude et l’exercice avaient encore développé ses éminentes qualités naturelles. Le roi faisait le plus grand cas de ses avis [...].
L’Utopie, p. 378.
52Leurs intentions sont honnêtes : c’est par vertu qu’ils acceptent de quitter leur tour d’ivoire. Et Érasme de citer Plutarque pour justifier sa vocation : « C’est non sans raison que Plutarque affirma que nul ne sert mieux l’Etat que celui qui pénètre l’esprit du Prince [...] des meilleures idées qui conviennent le mieux à un Prince44. »
53Fidèles à leur logique, ils concluent à leur propre « vertu »45. À vrai dire – et cette fois, c’est le personnage Thomas More qui parle_, les amis de la justice et de l’éducation n’ont pas le choix : « Vous ne pouvez jamais réaliser cet idéal plus efficacement, dit-il à Hythlodée, qu’en faisant partie du conseil de quelque grand prince auquel vous inspireriez-je suis certain que telle serait votre ambition – des mesures conformes au droit et à la morale. » (L’Utopie, p. 374).
54Fanfaronnades ? Sans doute, mais qui ne sont pas gratuites : derrière ces déclarations à l’emporte-pièce, quelquefois décousues, parfois insistantes, se cache une série de propositions d’une logique bien subversive.
55D’abord les humanistes sont en train d’établir l’idée que le pouvoir n’est pas un fait mais une responsabilité, qu’il a besoin d’hommes de mérite, et que ce mérite repose sur l’éducation, non sur la naissance. Rappelons une fois encore que l’une des phrases les plus subversives de L’Utopie est celle qui décrit le Cardinal Morton en ces termes : « L’État, visiblement, reposait en grande partie sur lui. » (L’Utopie, p. 378).
56On notera ce « visiblement », marque de la reconnaissance semi-officielle d’un statut à venir. Érasme, dans un des moments d’intuition géniale dont il a le secret, fait écho à l’audace de la proposition : « Homines non nascuntur, sed finguntur » (les hommes sont formés par l’éducation plus que par la naissance), s’écrie-t-il46. Il ne poursuivra pas la logique de la proposition, à savoir que le pouvoir devrait être en conséquence laissé directement aux gens de mérite quelle que soit leur naissance47. Aucun humaniste d’ailleurs ne le fera vraiment en ces termes et de manière aussi directe. Tout au plus Érasme insistera-t-il sur la nécessité pour les gouvernants de justifier leur position.
57Les humanistes exercent alors un léger chantage intellectuel : si le Prince refuse le savoir, c’est la preuve qu’il est un vulgaire tyran. Et si l’anathème ne suffit pas, on rappellera au tyran amateur que son règne sera de courte durée et que son nom ne passera pas à l’histoire.
58Mais la subversion va encore plus loin. Le terrain est prêt pour faire du savoir et de l’éducation le but de la vie. Pétrarque, leur maître à tous, fut le premier à l’énoncer : le savoir doit servir à améliorer la condition humaine48. Érasme continuera le rêve : il croyait en la perfectibilité du Prince et donc de l’homme.
[...] Érasme croyait que l’homme était perfectible par ses propres moyens. Il fut proche du paganisme lorsqu’il déclara que dans notre effort pour atteindre les limites de l’humanité et nous rapprocher de Dieu, nous devrions prendre Prométhée comme modèle – le plus grand symbole de l’orgueil de l’homme et de son ambition rebelle49 !
59Puis il hésita et revint au dogme chrétien. Mais il était trop tard : l’idée d’un savoir souverain et celle d’un temps linéaire, source de savoir cumulatif, sont désormais lancées.
60L’alchimie étrange de ces mélanges inconséquents de religion et de philosophie a donc été explosive – ouvrant des brèches épistémologiques dans un système clos, brèches qui permettent à un dialogue laïc, tel celui de L’Utopie, d’être. Après tout, on y discute entre pairs de la légitimité de l’autorité et de l’incompétence des rois. Après tout, le livre peut être publié sans attirer d’ennuis à celui qui allait devenir chancelier d’Angleterre.
61Mais les humanistes sont tous plus ou moins conscients que la réponse du negotium n’est pas complètement satisfaisante. Les tenants du negotium, notamment, font tous abstraction du problème de la violence inhérente aux individus et à l’acte de gouverner, qu’ils n’arrivent point à intégrer dans ce qui leur paraît être une solution. À vrai dire, leur raisonnement en miroir, même déplacé dans l’histoire, ne leur permet toujours pas de séparer la sphère politique profane « violente » de sa légitimité par l’autorité divine50. L’histoire leur apprend aussi que les philosophes « éclairant » les « despotes » connurent bien des déboires, à commencer par Platon. Aussi hésitent-ils...
Notes de bas de page
1 Hythlodée vient en effet de raconter quelques-uns de ses voyages. II « eut la possibilité de visiter de nombreux pays situés en deçà et au-delà, car il ne se trouvait aucun navire, quelle que fût sa destination, sur lequel lui et ses compagnons ne fussent très volontiers admis. » (L’Utopie, p. 369).
2 Citons notamment De l’Institution du prince de Guillaume Budé (1519), De Regis officia opusculum de Josse Clichtove (1519), De Regis institutione et disciplina d’Hieronymus Osorio (1540), Institucion de un rey christiano de Felipe de la Torre (1556), Agatharcia, id est, bonus principatus : vel epitoma boni principis de Jacob Wimpfeling (1500), De Educatione principum de Johann Sturm (1551) et The Book named the governor de Sir Thomas Elyot (1531). N’oublions pas enfin les traités les plus connus : Le Prince de Machiavel, écrit en 1513, et Enchiridion principis christiani, publié par Érasme en 1503.
3 Une expression de J.H. Hexter, citée par George Logan, 1983, p. 58.
4 Les spécialistes d’histoire politique ne sont d’ailleurs pas toujours tendres pour les auteurs de ces traités. J.H. Hexter s’en prend particulièrement au speculum principis qu’il qualifie de « minable et ennuyeux ». (J.H. Hexter, 1965, p. 103) « Ceux des auteurs humanistes qui conseillaient les princes, continue-t-il, semblent avoir traité de la question du conseil de la manière la plus banale, en évitant de traiter de tous les aspects difficiles du problème. » (p. 110) Quant à Paul Oskar Kristeller, il les qualifie de « moindres penseurs ». Voir E. Cassirer, P.O. Kristeller et J.H. Randall Jr., The Renaissance Philosophy of Man, Chicago, The University of Chicago Press, 1948.
5 Le Jeu des perles de verre. Essai de biographie de Magister Ludi Joseph Valet, Paris, Calmann-Lévy, 1955. Publié au début des années quarante, l’ouvrage décrit cet avenir qui est désormais pour nous déjà du passé. Hesse annonce la mort de la culture émiettée en autant de points de vente et, en conséquence, la mort du « sens ». Un jour, quelques individus se mettent à jouer avec des perles de verre et redécouvrent, ce faisant, l’harmonie.
6 Skinner, 1978, p. 28.
7 « Essentiellement, ils ne prétendent même plus vouloir offrir une éducation en rhétorique. Ils se présentent plutôt eux-mêmes comme de naturels conseillers politiques offrant leurs services aux souverains et aux villes. Ils ne veulent pas davantage se contenter d’écrire simplement pour des étudiants qui deviendront plus tard eux-mêmes magistrats. » (Skinner, 1978, p. 33).
8 « Alors qu’ils s’intéressent davantage et de manière plus ouverte à la politique que dans les traditions plus anciennes d’écriture rhétorique, ces auteurs traitent entièrement du gouvernement civil du point de vue d’un professeur de rhétorique. » (Skinner, 1978, p. 35).
9 Bodéüs, 1988, p. 126.
10 Bodéüs, 1988, p. 126.
11 « Quelles furent à Oxford les études du jeune Thomas ? D’abord l’achèvement de la rhétorique. » (Prévost, 1969, p. 37).
12 Ce cadre fournit « la trame conceptuelle de la théorie politique italienne de la Renaissance et, avec quelques modifications, de celle du Nord de l’Europe. » (Logan, 1983, p. 75).
13 Olivier Reboul, Introduction à la rhétorique, Paris, P.U.F., 1968, p. 9-10.
14 Reboul, 1968, p. 8.
15 Caspari, 1968, p. 62.
16 Popkin, 1988, p. 672.
17 Skinner, 1978, p. 219.
18 « [...] Les conditions sociales et politiques propres à l’Angleterre des Tudors les a forcés à concentrer leur pensée et leur effort sur la petite noblesse. » (Caspari, 1968, p. 2).
19 Skinner, 1978, p. 238-39.
20 La cité grecque, explique Fustel de Coulanges, « avait été fondée sur une religion et constituée comme une Église. De là sa force ; de là aussi son omnipotence et l’empire absolu qu’elle exerçait sur ses membres. Dans une société établie sur de tels principes, la liberté individuelle ne pouvait pas exister. » Fustel de Coulanges, La Cité antique, Paris, Hachette, 1957, p. 265.
21 Notamment, et à un niveau d’explication mondain, les humanistes prennent systématiquement le contre-pied des préoccupations scolastiques, lesquelles comprenaient une réflexion poussée sur les institutions. [Les théoriciens scolastiques] « ont tendance à faire porter la majeure partie de leur attention sur la machinerie du gouvernement. Ils se présentent eux-mêmes moins comme moralistes que comme analystes des politiques ; pour eux le meilleur moyen de promouvoir le bien commun et de maintenir la paix est non pas tant la vertu des individus que l’efficacité des institutions. C’est à ce principe qu’ils accrochent leur espoir. » (Skinner, 1978, p. 60) Voir aussi Logan, 1983, p. 38.
22 « [...] on ne doit pas espérer que les institutions – fussent-elles les meilleures possibles – puissent les [les dirigeants] contrôler ou les former. En revanche, si ces hommes sont vertueux, la santé des institutions aura une importance secondaire. C’est une tradition (dont Machiavel et Montesquieu seront les représentants les plus importants) qui insiste sur le fait qu’il faut avant tout soutenir l’esprit des dirigeants, du peuple et des lois, plus que la machinerie du gouvernement. » (Skinner, 1978, p. 45).
23 Logan, 1983, p. 87.
24 Charles H. Lohr, « The sixteenth-century transformations of the Aristotelian division of the speculative sciences », The Shapes of Knowledge from the Renaissance to Enlightment, édité par Donald R. Kelley & Richard H. Popkin, Dordrecht, Kluwer Academic, 1991, p. 49.
25 « La Politique (et l’Éthique à Nicomaque) devinrent disponibles en latin au milieu du xiiie siècle. » (Logan, 1983. p. 86).
26 Voir Logan, 1983, p. 87 et suiv.
27 « En théorie politique comme ailleurs, la pensée des premiers humanistes avait comme source principale la tradition de la rhétorique romaine, et plus précisément Cicéron et Sénèque (les deux seuls Romains qu’Hythlodée juge dignes d’êtres lus). Sénèque est un Stoïcien ; et bien que Cicéron se dise de la Nouvelle Académie, ses sympathies en matière de théorie politique et éthique vont principalement aux Stoïciens, dont il reprend longuement les idées. » (Logan, 1983, p. 85-86) Voir aussi p. 92-93.
28 Voir Michel Foucault, Les Mots et les choses. Une archéologie des sciences humaines, Paris, Gallimard, 1966.
29 Pour Platon, on le sait, le temps est corruption. La politique et donc l’éthique sont un essai d’arrêter le temps en se conformant aux Idées éternelles. Pour les Stoïciens, la conformité à la nature, donc au temps cyclique, est la clef de la sagesse personnelle et politique. Quoique opposées en apparence, les deux philosophies se rejoignent dans leur mépris pour toute tentative d’aménager un temps linéaire.
30 Skinner, 1978, p. 234.
31 Cité par Logan, 1983. p. 73.
32 Skinner, 1978, p. 106 et suiv.
33 Skinner, 1978, p. 109-110.
34 Skinner, 1978, p. 220.
35 Voir Jacques Chomarat, « La philosophie de l’histoire d’Érasme d’après ses réflexions sur l’histoire romaine », Moreana, 100. 1989, 159-167.
36 « [...] La clef de la sagesse politique se trouve dans l’étude systématique des premières Républiques, et tout particulièrement de la république de la Rome antique [...] ». (Skinner, 1978, p. 169).
37 Logan, 1983, p. 52-53.
38 Skinner, 1978, p. 138.
39 Skinner, 1978, p. 87.
40 Hexter, 1965, p. iii.
41 Il y a néanmoins ouverture puisque l’île accueille volontiers tous ceux qui acceptent de se conformer à ses règlements.
42 Logan, 1983. p. 235.
43 « Cela leur permet de dire que tout homme de savoir qui devient conseiller du Prince accomplira une tâche de la plus haute importance, puisqu’il contribuera à ‘la bonne mise en ordre’ de la monarchie et aidera ce faisant à la conservation de la meilleure forme possible de république. » (Skinner, 1978, p. 219).
44 Logan, 1983, p. 42.
45 « Il semblait évident, pour Bruni et ses successeurs, que l’idée de negotium, ou une participation totale à la vie civile, devrait être considérée comme la plus haute condition de la vie humaine. » (Skinner, 1978, p. 115) Voir aussi Logan, 1983, p. 102.
46 Voir W.H. Woodward, Studies in Education during the Age of the Renaissance, Cambridge, 1906, p. 116. Cité par Caspari, 1968, p. 55.
47 « La plupart des théoriciens anglais n’osaient poursuivre la position platonicienne jusqu’au bout de sa logique : si le savoir conduit à la vertu, et si la vertu seule qualifie un dirigeant, il s’ensuit, selon Platon et More, que ceux qui ne possèdent ni savoir ni vertu doivent être éliminés de la classe dirigeante, dans laquelle il faut accepter des hommes venant des couches inférieures de la société. » (Caspari, 1968, p. 19).
48 « L’insistance générale qui veut que le savoir ne soit justifié que s’il est rattaché à l’amélioration de la vie humaine est au centre de l’héritage de Pétrarque. » (Logan, 1983, p. 41).
49 Caspari, 1968, p. 61.
50 Il faudra attendre Le Prince que Machiavel, à l’écart du mouvement du negotium, finit d’écrire en 1513.
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