Gabriel Naudé critique des alchimistes
p. 405-421
Texte intégral
1L’attitude de la culture libertine du xviie siècle et des représentants du « libertinage érudit » à l’égard de l’alchimie est en général critique1. G. Naudé, érudit et bibliothécaire, connaisseur de la tradition antique et de la Renaissance, a toujours manifesté son opposition radicale aux « chimistes » et aux hermétistes, qui remontait peut-être à ses premières études de médecine à Paris sous la direction de René Moreau, et qui fut renforcée pendant son séjour en Italie à Padoue, à l’université où avaient enseigné Pomponazzi et Nifo, Zabarella et Cremonini2.
2 Cette opposition aux « chimistes », qui était propre à tout un milieu universitaire et médical parisien, peut être symbolisée par un ami de Naudé, Guy Patin, le futur doyen de la faculté de Médecine de Paris, qui mena toute sa vie une lutte implacable contre les chimistes et les paracelsistes, qu’il appelait imposteurs, charlatans et ignorants3. Les Lettres que Patin nous a laissées sont très utiles pour dessiner le portrait du personnage : un médecin s’inspirant d’Hippocrate et de Galien, soignant les malades par saignées ou purgatifs, très conservateur dans ses rapports avec la corporation médicale mais curieux des nouveautés littéraires, qui garde dans son cabinet les portraits de Rabelais, d’Érasme, de Montaigne et de Charron et ne croit ni aux miracles ni aux sorcières. Dans ces Lettres éclate toute la haine de Patin pour les apothicaires et les chimistes, mais aussi pour le fanatisme et la crédulité, pour les bigots, les hypocrites... et les moines.
3Dans une lettre datée du 11 juin 1649 Patin expose sa doctrine médicale et scientifique à propos des chimistes et des paracelsistes. Après avoir rappelé les remèdes « fort trompeurs » qui viennent des Arabes, Patin parle des chimistes « qui ont tâché de tout gâter en dépit de la médecine et des médicaments vulgaires qui sont les meilleurs », et qui « ont encore renchéri par-dessus, et les ont fourrés partout où ils ont pu, duce fanatico et maniaco suo Paracelso. Vous ne verrez autre chose dans Crollius et aliis eiusmodi impostoribus et stercoreis scriptoribus, qui utinam tempori et chartae parcentes, nihil unquam scripsissent. Toutes ces dénominations de remèdes n’ont été mises en œuvre, ou au moins au jour, que par des charlatans qui se croyent, par ces titres spéciaux, donner de la réputation et de la pratique »4. Tous ces nouveaux médicaments ne produisent rien, poursuit Patin, et ils ont déjà été condamnés par Éraste dans son livre contre la médecine de Paracelse5. Et encore, à propos des qualités occultes des chimistes, le médecin parisien affirme ironiquement : « je n’en connois point, si ce n’est peut-être : Medicamenta purgantia, in quitus forsan delitescit aliquid occultum. Tout ce que je ne sais poinct m’est une qualité occulte. [...] C’est profession de l’ignorance et trop relever inscientiam veterum academicorum, que de mettre partout des qualités occultes, comme font les chimistes aujourd’hui dans leurs puants écrits »6.
4Aucune modération ou politesse dans les propos de Patin : les chimistes sont des imposteurs, Paracelse un fanatique et un maniaque, les qualités occultes n’existent pas, les iatrochimistes écrivent des livres inutiles, fétides et puants. Le paracelsiste Croll est appelé – dans une lettre du 20 février 1654 – un homme qui « ne fut jamais ni médecin, ni sage, ni bon philosophe », mais plutôt « un esprit particulier, mélancolique et ambitieux qui, malcontent de la science ordinaire des écoles, vouloit en inventer quelque autre plus certaine »7.
5Ces mots nous font mesurer la violence de la polémique entretenue par Patin à la Faculté de Paris contre les partisans de l’antimoine8. Dans cette lutte Patin invoque la tradition médicale classique mais en appelle aussi à l’expérience pour montrer l’inutilité des chimistes et de leurs nouveaux médicaments : « L’expérience nous l’a fait connoître, et je tiens pour très certain ce que j’ai autrefois appris d’un de mes maîtres, duo sunt animalia mendacissima, herborista, chimista ». Alors, la chimie et l’antimoine ne sont pas seulement inutiles, ils sont dangereux et mortels pour beaucoup de malades : « La chimie n’est nullement nécessaire en médecine, et il faut avouer qu’elle y a fait bien plus de mal que de bien, vu que sous ombre d’éprouver des médicaments métalliques, naturellement virulents et pernicieux, avec leurs nouvelles préparations, la pluspart des malades ont été tués. L’antimoine seul en a plus tué que n’a fait le roi de Suède en Allemagne »9.
6La querelle de l’antimoine a été très longue et très animée parmi les médecins de cette époque, et dans une lettre du 3 mai 1653 à Belin fils, médecin à Troyes, Patin rappelle que la Faculté de Paris a déjà condamné deux fois l’antimoine : « Notre Faculté n’a jamais reconnu le Vinum emeticum de l’antidotaire. L’antimoine a été condamné comme poison par deux décrets solennels de la Faculté, tous deux autorisés de la cour de parlement par arrêt, l’un en 1566 et l’autre l’an 1615. Il falloit premièrement casser ces deux décrets par trois assemblées tenues exprès ; on n’a rien fait de tout cela, et ainsi l’antimoine demeure poison, et c’est bien encore par le grand nombre de ceux qu’il a tué ici »10. Ainsi, à l’occasion de l’autorisation de l’antimoine par l’assemblée de la Faculté de médecine du 16 avril 1666, Patin a des mots pleins de chagrin et de peine et il exprime sa vive indignation contre une assemblée indigne de « sa réputation » : « La cabale de cette dernière assemblée a fait tort à sa réputation. Les messieurs disent qu’un poison n’est point poison dans la main du bon médecin. Ils parlent contre leur propre expérience ; car la plupart d’entre eux ont tué leur femme, leurs enfants et leurs amis. Quoi qu’il en soit, pour favoriser les apothicaires ils disent du bien d’une drogue dont eux-mêmes n’oseroient goûter »11. Mais c’est Paracelse le vrai coupable, le responsable de tous ces nouveaux écrits de chimie, c’est lui le « prince des charlatans et effronté imposteur »12 qui a corrompu la médecine et qui continue à faire des disciples par la réimpression de ses œuvres. En écrivant à André Falconet le 2 mars 1655, Patin se plaint de la nouvelle édition que l’on va faire des écrits de Paracelse en Suisse et affirme que l’Alcoran lui-même n’est pas si nuisible : « Avez vous ouï dire que le Paracelse s’imprime à Genève en quatre volumes in folio ? Quelle honte qu’un si méchant livre trouve des presses et des ouvriers qui ne se peuvent trouver pour quelque chose de fort bon ! J’aimerois mieux qu’on eût imprimé l’Alcoran, qui n’est pas si dangereux, et qui au moins ne tromperoit pas tant de monde, La chimie est la fausse monnoie de notre métier » 13.
7Cette censure de la iatrochimie et de la médecine paracelsiste est très nette chez Patin qui, dans les préceptes particuliers qu’il donne à son fils, lui conseille de se garder de faire recours aux nouveaux médicaments et de rester fidèle à une médecine « dogmatique », fondée sur la raison et sur le refus de toute méthode empirique14.
8 Comparée à la virulence de celle de Patin, la critique de Naudé à l’égard l’alchimie apparaît bien plus nuancée et révèle une connaissance plus approfondie. L’attitude philosophique de Naudé peut se définir comme une sorte d’éclectisme ou, mieux, un éclectisme naturaliste. En effet, s’il s’est nourri de Montaigne et de Charron comme de Sénèque, ses premiers maîtres à Paris furent le médecin René Moreau et l’aristotélicien Jean-Cécile Frey. Ainsi Naudé fréquenta la riche bibliothèque pleine d’ouvrages de médecine du premier, qui devait lui inculquer les principes d’une médecine classique et orthodoxe, fidèle à Ippocrate et à Galien et fondée sur l’idée d’une union entre tradition et raison ; et grâce au deuxième, il s’initia à la philosophie d’Aristote. De plus, son long séjour en Italie – la première fois à Padoue entre 1626 et 1627 pour y étudier médecine et la seconde fois pendant 11 ans, entre 1631 et 1642, à la suite du cardinal Gianfrancesco Guidi di Bagno – devait lui faire connaître la tradition aristotélicienne italienne ainsi que le sensibiliser à la nouvelle philosophie de la nature et aux idées de Cardan ou de Campanella. Mais soit à cause de sa formation médicale et philosophique, soit à cause de son érudition de bibliothécaire et de bibliophile, Naudé avait une vaste connaissance de la tradition hermétique et alchimiste, que pourtant il ne cessa jamais de critiquer.
9Cette connaissance nous est attestée par un Catalogue des livres qui sont en l’estude de G. Naudé, à Paris, conservé à Paris, à la Bibliothèque nationale (fonds français 5681). Il s’agit d’un manuscrit qui n’est pas de la main de Naudé mais qui se termine par une note autographe très utile – « Nota che alli 10 de settembre 1639, io haveva nella mia camera in Roma piu de 1600 pezze de libri, tanto piccole che grandi, senza contare molli da ligare »15 – qui nous indique que ce document n’est pas antérieur à 1642, année du retour de Naudé à Paris. Les livres cités sont au nombre d’environ quatre mille et le catalogue suit un ordre topographique, recensant les livres qui, dans l’étude, se trouvent sur diverses « tablettes », dans des armoires et enfin ceux qui sont empilés ou empaquetés. En feuilletant ce catalogue on trouve de nombreux livres de la tradition hermétique et alchimique : pas seulement les œuvres de « Mercurius Trismegistuse » (f. 22r)16 ou de Marsile Ficin (f. 7r), mais les livres de Paracelse (f. 8r) et de nombreux autres textes alchimiques ou liés à la polémique anti-alchimique, comme « La Tourette de l’or potable / [...] L’esprit de vie / Le Chymiste françois / [...] Leo Suavius in Paracelso de vita longa / L’idée parfaite de la philosophie chimique / [...] Lapis philosophicus dogmaticorum Palmarij »17. Et encore : « Thomas Manresinus de metallorum transmutatione / [...] Jac. Zuingeri examen principiorum chymicorum / [...] Libavij Alchimia triumphans / Fabri palladium Spagiricum / Crollij Basilica chymica / [...] Crollius de signaturis / Aurora Paracelsi / Roch. le Baillif de la conformité d’Ippocrate à Paracelse / Interrogation de Roc le Baillif / [...] Defense de Roc le Baillif / [...] Alchymia impugnata Guiberti / [...] Anonymus recens de metallorum trasmutatione / [...] Greg. Martinus de trib. Chymicorum principiis adversus Senertum / Winpinens de concordia Paracel. et Galen. / [...] Sigilla veterum sophorum / Clavis sympathiae septem metallorum Constantii Albini »18. Ces titres nous permettent de déduire que Naudé est certainement concerné par l’alchimie, mais qu’il suit aussi en particulier les débats liés à la médecine paracelsiste, comme le montrent, entre autres, les textes de Croll ou ceux sur les rapports entre Paracelse et Galien. Mais nous rencontrons aussi des textes qui font partie du milieu culturel hermétique, tels que ceux de G. Bruno (De umbris idearum), de Maier, de Pontus de Thiard ou de Trithème. Après des titres comme « Maieri arcana arcanissima sive hierogl. Aegyptia » ou « Microcosme de Pontus de Thiare » (f. 17v), on trouve une liste de livres plus directement liés à l’alchimie et aux Rose-Croix tels que : « Arcangelus de Bourgo novo. In conclusiones Cabal. Pici Mirand. / Porta de occultis literarum notis / Trithemij Poligr./ Smoll manuale rerum admirab. / Alstedij physica Mosaica, Rabinica, peripatetica, chymica / [...] Maieri Ulisses postumus / Idem de legib. fratemitatis cruceirosae / Eiusdem silentium post clamores id est Apologia pro fratrib. R.C. / Admonitione Nehusij de fratrib. R.C. / [...] Instruction de Node [sic !] contre les R.C. / Nehusius & autres Livrets sur les R.C. / Artephij clavis maiods sapientiae / [...] Bamodi Auriga aurea »19.
10 Or, ces nombreuses références aux écrits de Michael Maier, paracelsiste et médecin à Prague de l’empereur Rodolphe II, ainsi qu’à un auteur comme Henricus Neuhusius – qui dans sa Pia et utilissima admonitio de Fratribus Rosae Crucis (Dantzig, 1618) avait soutenu que les frères de la Rose-Croix étaient des sociniens – montre l’intérêt particulier de Naudé pour ce mouvement et pour ses implications politiques et religieuses.
11Naudé devait en effet très bien connaître ces textes, puisqu’il avait publié en 1623 à Paris son Instruction à la France sur l’histoire des Frères de la Roze-Croix, une critique – philosophique et politique – contre la secte des Rose-Croix et contre la tradition hermétique tout entière. Dans son introduction « Au lecteur », Naudé expose immédiatement son dessein : « abbattre les tayes & cataractes du mensonge, & vous faire recognoistre la verité que vous devez suivre pour vous instruire en l’histoire des Rozecruceens [...] ou Freres de la Roze-Croix ». Ainsi Naudé, qui a fait « la recherche de leurs premiers principes & fondement », donne « la censure sur quelqu’unes de leurs propositions & articles », écrit « contre une infinité de resveries semblables à celle-cy », et termine en montrant « combien toutes ces fabuleuses narrations ont tousiours esté dangereuses & preiudiciables à ceux qui les ont nourries & fomentees »20.
12 Dans les dix chapitres de son livre, Naudé parle de la crédulité des Français, rappelle comment ils reçoivent les opinions les plus aberrantes et examine l’ histoire des Frères de la Rose-Croix, « plus absurde que toutes les precedentes ». Une analyse des différentes opinions des Rose-Croix aboutit, au chapitre ix, à la considération des « absurditez & impertinences [...] de cette Compagnie » et, au chapitre X, à la conclusion « Que tous les faux bruits, & principalement de cette Compagnie, sont preiudiciables à tous les Royaumes, Estais & Monarchies »21. L’hypothèse critique de Naudé s’appuie donc sur l’équation Rose-Croix = imposture, mais se développe en cherchant des généalogies et des origines théoriques à ce mouvement mystérieux. Naudé, lui, se place « au niveau de la raison », comme il l’écrit au commencement du troisième paragraphe du chapitre VII – « Pour moy desirant esquarrer toutes choses au niveau de la raison »22 – et il fait suivre cette déclaration de principe par une liste des extravagances répandues par les Rose-Croix, qui profitent de l’ignorance du peuple. Ainsi, affirme-t-il, « il est bien aisé de discourir de la quint’essence, Medecine universelle, pierre des Philosophes, signature des choses, thresors, planettes, intelligences, Magie, Cabale, Chymie, & mysteres les plus cachez, devant une populace & troupe d’ignorans qui pour ne les entendre les admirent, ou en presence de ceux qui auroient la capacité de respondre, si la liberté ne leur en estoit déniee par ces oracles Encyclopedyques, qui ne veulent estre contredits en leurs theses & propositions »23.
13Dans ces lignes de Naudé transparaît l’attitude rationaliste et sceptique qui caractérisa pendant toute sa vie cet érudit libertin et « déniaisé », toujours éloigné des préjugés populaires et critique de la crédulité et de la superstition ; mais à cette opposition presque instinctive aux Rose-Croix, il faut ajouter une opposition plus culturelle et historique. Naudé, en effet, place, peu de pages après, les Rose-Croix au cœur de cette tradition magique et hermétique qu’il se propose de critiquer et il distingue les opinions de cette compagnie de la pensée de philosophes tels que Cardan, Scaliger ou Pic de la Mirandole. La philosophie de la nature de la Renaissance, même avec ses éléments de magie naturelle, a une dignité et une solidité théoriques que l’on ne retrouve pas dans les discours vains et ridicules des Rose-Croix. Ainsi, si l’on compare les affirmations de cette confrérie « avec celles d’un Cardan, Scaliger ou Pic de la Mirandole, il faudra de necessité que nous confessions que ces Freres illuminez ne sont que des buffles et gros asnes, dignes plus veritablement de porter sur leur dos croisé la Bibliothèque de ceux-cy, que non pas de paroistre & tenir rang au concert des gens doctes »24.
14Les Rose-Croix n’appartiennent pas à une véritable école philosophique ; ce sont des charlatans qui prêchent des absurdités et renouent avec une tradition hermétique, magique et cabalistique qui prétend avoir son origine dans l’antiquité égyptienne et range au nombre de ses continuateurs l’imposteur Paracelse, « le Luther de la Medecine »25. Et Paracelse, par « les blasphémés & absurditez de sa nouvelle doctrine », a eu des disciples, tels que Croll, Du Chesne ou Hartmann26.
15Or, les références à la iatrochimie et aux « escrits cabalistiques et mysterieux d’un Conrard, Crollius, Hartman, & tous ceux qui suiuent les traces de cette Société »27 s’unissent à une condamnation des « tromperies des Magiciens, Chymistes, Astrologues et Ciarlatans », tandis qu’un dangereux mélange de médecine, magie, chimie et exégèse biblique se manifeste dans le « style entrelassé de Meandres et labyrintes de confusion » que présentent les écrits des Rose-Croix28. La confusion du langage et le manque d’ordre de leur exposition rendent ces œuvres chaotiques et inutiles ; ainsi « il est impossible à aucune personne de rien comprendre en cette panspermie, ie voulois dire pan-sophie, tiree et extraitte de la Medecine, Chimie, Histoire, Magie, et Saincte Escriture, non moins dangereuse pour une si grande confusion, que ce monstre descrit par les Poëtes, Prima leo, postrema draco, media ipsa chimera »29.
16Les origines hermétiques de cette Compagnie sont représentées emblématiquement par « Conrard », c’est-à-dire par Heinrich Khunrath, l’auteur de l’Amphitheatrum sapientiae aeternae, qui était peut-être un frère des Rose-Croix et qui a toujours considéré Paracelse comme son maître. Mais dans la pensée de Khunrath et dans les enigmes des Rose-Croix on ne trouve aucune solution des prétendus mystères qui sont pris en considération et leurs vaines spéculations aboutissent à des non-sens et à des énigmes : « Ainsi se peut-il faire que cette façon de faire de Conrard, lequel au dire de plusieurs estoit un des Freres de la R.C. soit le style duquel use cette venerable Compagnie, quand, à l’imitation de Paracelse, qui est la pierre fondamentale de toute cette Congregation, ou des Chymistes, Magiciens et Astrologues, sous ombre de nous declarer les sectes pretendus de sa chimerisee doctrine, elle nous en faict totalement perdre la cognoissance par la multitude des enigmes et difficultez sous l’adveu desquelles elle fait hardiment couler l’ineptie de ses conceptions »30. Naudé condamne alors les songes ridicules des Rose-Croix et situe ce mouvement dans la tradition de pensée hermétique, tradition qu’il connaissait assez bien, comme il le montre au chapitre II où, rappelant la variété des opinions humaines, il cite, entre autres, Pantheus, Fludd et Khunrath, Trithème et J. Dee, le Pimandre dans la traduction française de François de Foix Candale, et encore Francesco Giorgi, Pontus de Tyard, Giordano Bruno, Raymond Lulle et Paracelse31.
17Mais Naudé ne se borne pas seulement à une critique philosophique, qui retrouve dans la tradition hermétique et dans Paracelse les antécédents de cette Compagnie, il avance aussi une critique politique, qui est très intéressante puisqu’elle nous montre déjà dans cet écrit de jeunesse, l’esprit du futur auteur des Considérations politiques. Dans le dernier chapitre, Naudé analyse les conséquences politiques produites par l’apparition des affiches des Rose-Croix en France et par les rumeurs créées par l’existence de cette congrégation. Il met en évidence le très grand pouvoir exercé par la religion dans un État et souligne que les troubles religieux ne sont jamais loin des agitations politiques. À son avis, « tous ces faux bruits, nouveautez, propheties & opinions anticipees, ont tousiours esté cause de la subversion des Estais & entière ruine des plus grandes Monarchies »32.
18Naudé apporte de nombreux exemples historiques – comme les conquêtes de Ferdinand Cortès au Mexique ou celles de François Pizarro au Pérou – pour montrer que, de l’antiquité romaine jusqu’à son époque, les superstitions et les prophéties ont toujours été dangereuses pour la stabilité politique. Pour cette raison il faut « bannir & reietter loing de nous tous les contes & faux bruits qui depuis quelques iours ont mis en vogue parmy les plus credules cette creance que beaucoup ont de l’existence & verité des articles de ces illuminez Freres & venerable Société, laquelle, combien que ce ne soit qu’une pure Chimere, s’est toutesfois efforcée de nous faire ressentir & participer les dangereux effects de sa noire malice »33.
19 Naudé a écrit cette Instruction pour avertir de la nécessité de défendre la tranquillité de la France contre les troubles possibles suscités par les Rose-Croix : « i’ay creu que ie ne pouvois mieux tesmoigner l’affection que i’ay tousiours eue à la conservation de cette Monarchie & tranquillité de nostre Royaume, que de vous enseigner comme un autre Marius, le moyen de cognoistre & discerner la bonne monnoye d’avec la fausse »34. Son sens politique est ainsi le ressort qui a poussé Naudé à écrire ce pamphlet, comme il l’avait déjà poussé à publier en 1620 sa première œuvre. Le Marfore – une défense de la monarchie et une critique des libelles qui créent du désordre dans l’État. La vocation politique et absolutiste de Naudé – mais il s’agit d’un absolutisme désenchanté, qui s’inspire de Machiavel et conçoit la religion comme un instrument nécessaire pour contrôler et mieux gouverner le peuple – émerge donc déjà dans ces écrits de jeunesse avant de se réaliser complètement dans les Considérations politiques (1639) – une sorte de Bible politique libertine – et dans le Mascurat (1650), un texte énorme et riche d’érudition où Naudé défend l’absolutisme et Mazarin contre les Frondeurs. De fait, un telle lecture politique des Rose-Croix réapparaît dans les Considérations, où l’histoire de la congrégation sert d’exemple pour montrer l’ignorance et la crédulité d’une « populace » qui est privée de l’usage de la raison et croit à toutes sortes de prédicateurs, imposteurs et prophètes35.
20De toute façon dans l’Instruction le lien entre politique et érudition – typique chez Naudé – offre l’opportunité d’une double censure, philosophique et politique, du mouvement des Rose-Croix.
21Mais Naudé apporte d’autres éléments à la critique des chimistes et de Paracelse dans un important écrit des années vingt : l’Apologie pour tous les grands personnages qui ont esté faussement soupçonnez de magie (1625). Texte central pour la critique des idées magiques, démonologiques et astrologiques qui s’accomplit entre le xvie et le xviie siècle, l’Apologie dénonce toute une tradition historique qui a accusé penseurs et philosophes de pratiquer la magie. Dans cette recherche de la vérité contre les superstitions et les fausses convictions populaires, Naudé se propose de censurer « les mensonges des Charlatans, les resveries des Alchymistes, la sottise des Magiciens, les enigmes des Cabalistes, les combinations des Lullistes, & semblables folies »36, et il analyse les causes qui fondent et qui maintiennent en vie les croyances à la magie et à la sorcellerie. Naudé croit que les accusations de magie contre de nombreux personnages de l’Antiquité sont historiquement fausses et il élabore un système de réfutation qui rejette tous les faits contraires à la raison, en refusant jusqu’au critère de l’approbation générale et du consensus gentium. Or cette critique sceptique et rationaliste de la magie rencontre aussi l’alchimie. Dans ce cas, la solution est double. D’un côté, il nie que de nombreux personnages aient vraiment été alchimistes dans la mesure où l’attribution des textes alchimiques qui leur a été faite se révèle fausse. De l’autre côté, il situe l’alchimie à l’intérieur d’une philosophie de la nature, qui ne dépasse pas l’ordre physique, mais sans oublier de signaler la confusion, la tromperie et le mensonge de cette pratique. Ainsi Naudé évite-t-il toute confusion entre magie et alchimie, même s’il continue à critiquer l’alchimie en tant que science fausse, dangereuse et inutile.
22L’auteur de l’Apologie absout de la sorte soit Thomas d’Aquin soit Albert le Grand des accusations d’avoir été alchimistes. Même s’il y a des livres « des Images de Necromantie, de l’Art Métallique, des secrets de l’Alchymie, & de essentijs essentiarum, qui [...] se vendent tous les iours sous le nom de S. Thomas d’Aquin », il n’est pas possible ou du moins vraisemblable que le Docteur Angélique « se soit amusé ou à la Magie, ou à toutes les resveries des Alchymistes »37. De même Albert le Grand n’a jamais écrit les livres d’alchimie qui lui sont attribués, mais plutôt quelque imposteur qui, « suivant la tromperie ordinaire de tous les Alchymistes »38, a utilisé son nom pour se donner du crédit.
23Mais, pour mieux remarquer la différence entre magie et alchimie, il semble utile de considérer le jugement de Naudé sur Paracelse dans son Apologie. Les pages sur le médecin suisse commencent par une censure du personnage, défini « grand Heresiarque en la Philosophie, Medecine & Religion [...] qui est auiourd’huy le Zenith & Soleil levant de tous les Alchymistes », mais se poursuivent sur une tentative de l’innocenter du « crime de Magie »39. Certes, on s’explique le soupçon de magie si l’on pense à « la nouveauté de ses conceptions, la difficulté de son style, & l’obscurité d’un grand nombre de mots qui viennent le plus souvent à la rencontre de ceux qui feuillettent ses livres », et aux « méandres » et confusions qui naissent d’un tel style de raisonnement40. En tout cas, Naudé déclare ne pas bien connaître le « Dictionnaire que Rulandus a dressé des Phrases de cet Autheur », – c’est-à-dire le Lexicon Alchemiae sive Dictionarium Alchimisticum de Martin Ruland, publié à Francfort en 1612 – et il fait confiance à « l’opinion de ses principaux Interprétés, Severin le Danois & Crollius », selon lesquels Paracelse aurait eu recours à une exposition abstruse, fumeuse et obscure pour cacher et couvrir sa doctrine aux yeux du peuple et la rendre accessible aux seuls savants41. Naudé utilise alors l’interprétation de médecins de l’école paracelsiste pour nier l’existence de conceptions magiques chez l’auteur du Paragranum et pour placer la science paracelsiste dans le cadre d’une philosophie de la nature, bien qu’elle soit ésotérique et incompréhensible aux non-initiés.
24Mais après avoir sauvé la théorie paracelsiste de toute possible contamination avec la magie et avoir défendu Paracelse du crime de recourir à la magie ou aux invocations42, Naudé attaque le médecin suisse. Paracelse est un menteur et un charlatan, qui s’est vanté en de nombreux passages de ses livres d’être capable d’accomplir des actions extraordinaires mais qui en fin de compte n’est qu’un bavard et indigne de foi. En effet, Naudé s’« estonne grandement, veu qu’il se vante d’avoir eu la cognoissance de toutes ces especes de Magie, pourquoy jamais il n’a rien voulu faire par leur moyen : comme s’il n’eust pas esté plus à propos de confirmer cette nouvelle doctrine par quelqu’une de ses experiences, que de suivre la piste ordinaire des charlatans, qui desployent un torrent d’Eloquence commune & populaire pour vanter la merveilleuse puissance de leurs drogues, se disent maistres passez en la Medecine & experimentez à guerir toutes sortes de maladies »43. Ce que Paracelse appelle science est par conséquent seulement charlatanerie d’un personnage qui dit être capable de choses extraordinaires mais qui ne réussit pas à mettre en pratique ses idées. L’image de Paracelse est alors plutôt celle d’un menteur que celle d’un homme de science et il a recours à une rhétorique – ou mieux à une loquacité – populaire pour vendre ses drogues et sa médecine universelle.
25La différence que l’on trouve ici entre une conception rationnelle orthodoxe de la science et l’image paracelsienne est donc infranchissable. En effet, Naudé accuse Paracelse de vouloir subvenir et changer les statuts des sciences « en les allongeant ou accorcissant à leur phantaisie comme la courroye d’un estrier »44. Nous avons déjà trouvé la même image dans le chapitre I à propos des historiens qui ne présentent jamais les choses comme elles sont, mais les changent à leur volonté et « allongent » et « amplifient » la matière historique et « la biaisent & la desguisent suivant qu’ils le iugent à propos »45.
26En tous cas, Paracelse n’a pas été magicien, puisque la magie ne consiste pas en spéculations et en théories mais en « la pratique du Cercle & des invocations ». En fait, bien qu’il soit aussi à blâmer pour ses théories philosophiques et médicales, le Paracelse de Naudé devrait être condamné pour sa doctrine religieuse, car il a eu « l’opinion grandement depravee, touchant ce qui est de la Religion »46. Paracelse est ainsi surtout un hérétique, tant en religion qu’en philosophie.
27Tandis que Paracelse est la cible préférée de l’auteur de l’Apologie, parce qu’il représente l’idée même de l’alchimie avec ses dangereuses nouveautés, Naudé découvre par ailleurs que la dimension allégorique et symbolique propre au discours alchimique est, en même temps, un principe de confusion et de tromperie. En effet. telles sont les « fables & resveries manifestes » des alchimistes qu’ils en arrivent à cette « folie ordinaire » qui est de rechercher partout la pierre philosophale, et d’en trouver des symboles dans des tableaux, des sculptures et des textes littéraires tels que l’Odyssée ou l’Énéide ; qu’ils découvrent dans le sacrifice de la messe et dans l’Incarnation, des « emblesmes & figures » de leurs théories et croyances, qu’ils regardent la Genèse, le Cantique des Cantiques ou l’Apocalypse comme des allégories et croient que Moïse, Job, Joseph ou Abraham ont eu connaissance du secret de la transmutation alchimique47. Toutes ces extravagances et absurdités démontrent à Naudé qu’il y a des gens qui ne méritent pas le nom d’hommes puisqu’ils n’utilisent ni le jugement, ni la raison : « Et puis il n’y aura pas sujet [...] de s’esmerveiller que telles inepties & blasphemes puissent trouver place dans la creuse cervelle de ces melancholiques, qui ne meriteroient rien moins pour la peine d’une telle temerité ou ignorance que d’estre aussi bien despoüillez du nom d’hommes comme ils le font de ce qui seul nous le doit donner, sçavoir le iugement & la raison »48.
28L’opposition entre philosophie et alchimie recouvre ainsi celle entre raison et déraison, entre sagesse et folie, entre bon sens et extravagance. Les éléments symboliques propres à la spéculation alchimique et les affirmations génériques et invérifiables d’une doctrine procédant par correspondances continues n’ont aucune commune mesure avec la conception rationaliste propre à Naudé, qui élabore une sorte d’éclectisme naturaliste très éloigné des spéculations métaphysiques ou, pire encore, mystiques. Pour Naudé, qui ne reniera jamais Aristote, la philosophie du Stagirite doit être corrigée par la lecture des aristotéliciens de Padoue et par la nouvelle philosophie de la nature de la Renaissance, sans oublier la leçon des sceptiques français tels Montaigne et Charron – maîtres qui doutent des faussetés et des croyances populaires. Il y a alors une véritable incompatibilité entre le naturalisme pétri de scepticisme propre à Naudé et la mystique des correspondances des alchimistes et des sciences occultes. Du reste, le naturalisme de Naudé, avec ses relations avec Aristote, se présente comme un modèle et un idéal de rationalité qui, d’un côté donne à tous les phénomènes une explication d’ordre naturel, et de l’autre permet de censurer la magie et les superstitions et de dénoncer les croyances et les préjugés. C’est cette idée de raison qui permet à Naudé de nier la magie, le pouvoir occulte des Rose-Croix et la pierre philosophale – en un mot tout fait prodigieux – et de ramener toutes les expériences qui semblent surnaturelles à des raisons naturelles – au nom de la physiologie et de la raison et en s’appuyant sur l’exemple de Pomponazzi ou de Cardan.
29Cette opposition nette entre raison naturelle et magie ou crédulité restera inébranlable chez l’érudit parisien qui fera constamment appel aux bons droits de la raison. Dans un texte des années trente, le Syntagma de studio liberali – publié à Urbino en 1632 et qui est une sorte de discours de la méthode critique –, Naudé oppose l’évidence et la constance de la raison aux croyances de la multitude, aux prophètes, aux astrologues et aux alchimistes, et se propose de rester fidèle « uni tantum evidentissimae, ac constantissimae Rationi »49.
30Ainsi le choix dans l’Instruction à la France de se placer « au niveau de la raison », l’invitation dans l’Apologie de suivre le « iugement & la raison » et l’exhortation du Syntagma d’obéir seulement à une raison absolument évidente et certaine, montrent la grande différence entre l’idéal de connaissance de Naudé et celui des alchimistes, et prouvent la constante opposition de ce libertin érudit aux sciences occultes, à la magie et à tout mélange illicite entre religion et philosophie.
Notes de bas de page
1 Cf. R. Pintard, Le Libertinage érudit dans la première moitié du xviie siècle, Paris, 1943. Un exemple, même s’il est marginal, de l’attitude « libertine » et rationaliste à l’égard de la tradition hermétique nous est fourni par un texte manuscrit clandestin de la moitié du xviie siècle, le Theophrastus redivivus (1659), où est donnée une interprétation naturaliste et matérialiste d’un passage de l’Asclepius. Cf. Theophrastus redivivus, edizione prima e critica a cura di G. Canziani e G. Paganini, 2 vol., Firenze, 1981-1982, pp. 271-272 : « Mercurius Trismegistus [in lib. de Mundo], Aegyptiorum sacerdos, de diis ut sacerdotem decet recte sentiens, de istis vicissitudinibus loquitur, ad deos illas referons, et dicit deum ad amovendam mundi senectutem sceleraque hominum depellenda, nunc cataclysmum, nunc exustionem, nunc vero populares et late hominum genus devastantes morbos inducere. Cum hæc cuncta contigerint, tune ille dominus primipotens, unus gubernator mundi intuens in mores factaque, sua voluntate vitiis resistens, malignitatem omnem vel illuvione diluens, vel igne consumens, vel morbis pestilentibus ubique per diversa loca dispersis finiens, ad antiquam faciem mundum revocabit, ut et mundus ipse adorandus videatur et mirandus ». Voir p. 350 une référence à Hermès Trismégiste comme « législateur ».
Sur l’alchimie en France au xviie siècle voir entre autres : H. Metzger, Les Doctrines chimiques en France du début du xviie siècle à la fin du xviiie siècle, Paris, 1923 ; C. Vasoli, « Alchemy in the Seventeenth Century. The European and Italian Scene », dans M.L. Righini Bonelli, R.W. Shea (edited by), Reason, Experiment and Mysticism in the Scientific Révolution, Science History Publications, New York, 1975, pp. 49-58 ; xviie Siècle, 120, Juillet/Septembre 1978, numéro sur « Littérature et Alchimie », notamment F. Secret, « Situation de la littérature alchimique en Europe, à la fin du xvie et au début du xviie siècle », pp. 135-144 ; S. Matton, « Thématique alchimique et littérature religieuse dans la France du xviie siècle », Chrysopœia, II (1988), pp. 129-208. Sur la présence de l’alchimie en France jusqu’au début du xviiie siècle, cf. A.G. Debus, « Alchemy in the Age of Reason : the Chemical Philosophers in Early Eighteenth-Century France », dans I. Merkel, A.G. Debus (éd.), Hermeticism and the Renaissance. Intellectual History and the Occult in Early Modem Europe, Washington – London – Toronto, 1988, pp. 231-250.
2 Sur G. Naudé voir R. Pintard, Le Libertinage érudit..., cit, pp. 156-178 (sur les études et la formation de N.), 209-214, 245-270 (sur N. en Italie), 304-311, 367-369, 381-382, 390-391, 415- 416, 442-476 (sur le rationalisme critique de N.), 540-551 (sur la pensée politique de N.). Parmi les nombreuses études critiques consacrées à Naudé on se bornera à rappeler : C.-A. Sainte-Beuve, « Gabriel Naudé », dans Portraits littéraires, Paris, 1876, t. 1, pp. 467-524 ; J.V. Rice, Gabriel Naudé 1600-1653, Baltimore, Maryland, 1939 ; V. De Caprariis, « Politica ed erudizione nel pensiero di Gabriel Naudé », Atti dell’Accademia Pontaniana, IV (1950-52), pp. 29-53 ; C. Bissel, Die Bibliographia politica des Gabriel Naudé, Erlangen, 1966 ; D.E. Curtis, Progress and Eternal Recurrence in the Work of Gabriel Naudé, Hull, 1967 ; J.A. Clarke, Gabriel Naudé 1600-1653, Hamden, Connecticut, 1970 ; J. Freund, « La situation exceptionnelle comme justification de la raison d’État chez Gabriel Naudé », dans Staatsrason. Studien zur Geschichte eines politischen Begriffs, hrsg. von R. Schnur, Berlin, 1975, pp. 141-164 ; P.O. Kristeller, « Between the Italian Renaissance and the French Enlightenment : Gabriel Naudé as an Editor », Renaissance Quarterly, XXXII (1979), pp. 41- 72 ; A. Pessina, « Virtù e storia nella riflessione politica di Gabriel Naudé », dans Ricerche su letteratura libertina e letteratura clandestina nel Seicento, Milano, 1981, pp. 287-295 ; F. Charles-Daubert, « Gabriel Naudé entre la France et l’Italie au temps de Mazarin », dans La France et l’Italie au temps de Mazarin, textes recueillis et publiés par Jean Serroy, Presses Universitaires de Grenoble, 1986, pp. 101-108 ; L. Bianchi, « Libertinisme et conservatisme politique : le cas de Gabriel Naudé », Tijdschrift voor de Studie van de Verlichting en van het Vrije Denken, XIV-XV (1987), pp. 385-404 ; L. Bianchi, « Tradizione scettica e ordinamento dei saperi in Gabriel Naudé », Studi filosofici, VII (1984) [mais 1988], pp. 111-128 ; L. Bianchi, Tradizione libertina e critica storica. Da Naudé a Bayle, Milano, 1988 ; L. Marin, « Pour une théorie baroque de l’action politique. Lecture des “Considérations politiques sur les coups d’État” de Gabriel Naudé », introduction à G. Naudé, Considérations politiques sur les coups d’État, Paris, 1988, pp. 5-65.
3 Sur G. Patin voir ; R. Pintard, La Mothe le Vayer, Gassendi, Guy Patin. Études de bibliographie et de critique, suivies de textes inédits de Guy Patin, Paris, 1943 ; R. Pintard, Le Libertinage érudit..., cit., pp. 311-325, 380, 430-431, 539-540 ; L. Thorndike, A History of Magic and Experimental Science, New York, t. VII, 1958, pp. 526-543.
4 G. Patin, Lettres [...] Nouvelle édition augmentée de lettres inédites, par J.-H. Reveillé-Parise, 3 vol., Paris, 1846,1.1, p. 447.
5 Cf. ibid. : « Les remèdes ne font et ne produisent rien ; ils trompent les médecins qui s’y fient, et traînent en longueur et en langueur les malades à qui on les fait prendre. Parum distant a principiis chimicorum, quæ neque probantur, neque determinantur. Les spécifiques des chimistes sont presque la même chose, que Thomas Erastus in disputationibus suis adversus novam medicinam Paracelsi, a si bien réfutés ». Le texte de T. Éraste (Disputationes de medicina nova Philippi Paracelsi) parut à Bâle en 1572-73.
6 G. Patin, Lettres, cit., t. I, pp. 447-448.
7 G. Patin, Lettres, cit., t. II, pp. 114-115.
8 Pour la polémique sur l’antimoine à la faculté de Paris voir : J. Lévy-Valensi, La Médecine et les médecins français au xviie siècle, Paris, 1933, pp. 132-156 ; W.P.D. Wightman, Science and the Renaissance, 2 vol., Edinburg – London, 1962, I, pp. 257-258 (sur l’interdition de l’usage de l’antimoine à Paris en 1575) ; L. Thorndike, A history of magic and experimental science, cit., t. VII, 1958, pp. 528-532 ; A.G. Debus, The Chemical Philosophy. Paracelsian Science and Medicine in the Sixteenth and Seventeenth Centuries, 2 vol., New York, 1977, I, pp. 147-150.
9 G. Patin, Lettres, cit., t. II, p. 563.
10 G. Patin, Lettres, cit., 1.1, pp. 190-191.
11 G. Patin, Lettres, cit., t. III, pp. 608-610. Pour d’autres utiles passages relatifs à la polémique sur l’antimoine, voir ibid., t. I, pp. 77, 175, 514 ; t. II, pp. 198, 443. Patin critique, entre autres, le médecin Turquet de Mayerne, partisan de l’antimoine, appelé « charlatan » et « imposteur ». Cf. ibid., t. III, p. 608 et t. II, p. 172. Sur Théodore Turquet de Mayeme médecin du roi d’Angleterre, voir ibid., 1.1, pp. 280, 366, 514.
12 G. Patin, Lettres, t. II, p. 424.
13 G. Patin, Lettres, cit., t. III, p. 47. Pour d’autres indications critiques à l’égard de Paracelse, voir ibid., 1.1, p. 269 ; t. II, p. 97 ; t. III, pp. 297, 366. Voir aussi le témoignage sur Patin que l’on trouve dans L’Esprit de Guy Patin. Cf. L’Esprit de Guy Patin tiré de ses conversations, de son cabinet, de ses lettres, et de ses autres Ouvrages. Avec son portrait historique, A Amsterdam, 1709. Voir notamment « Le libraire au Lecteur » ff. 1-10 (dès le fol. 3r « Portrait historique de M. Guy Patin »), ff. 4v-5v : « Il étoit [...] admirateur des Anciens, d’Hipocrate, de Ciceron, de Pline et de Galien ; ennemi juré des Auteurs Arabes, des Empiriques, des Chymistes, et de tous ceux qui vouloient s’ériger en maîtres dans la Médecine, ou qui la chargeoient d’un fatras importun de remedes. Il appelloit les Chymiques, les Singes de la Medecine, les Apotiquaires, des Cuisiniers Arabesques, parce que les Arabes ont merveilleusement augmenté la Pharmacie ; [...] De la trentième année de son âge, il entra dans une grande réputation. [...] C’étoit en ce temps-là que les disputes des Medecins sur l’Antimoine commençoient à s’échauffer. Il fut un de ceux qui s’opposa à son établissement avec le plus de vigueur. [...] M. Patin voyoit que les Chymistes faisoient leur idole, de l’antimoine ; que sous prétexte de sçavoir apprivoiser ce dragon, et d’en connoître les vertus secretes, chaque empirique se mêloit d’en donner à tort et à travers [...] que les Medecins les plus accréditez en usoient sans discernement et presque toujours avec mauvais succès ». Cf. aussi f. 6v : « Quoi qu’il en soit, les funestes expériences de ce remede encore peu connu, rendoient excusable la chaleur avec laquelle M. Patin s’opposoit à son établissement. Il avoit dressé un fort gros registre de ceux que l’antimoine avoit tuez, et il l’appelloit Le Martyrologe de l’antimoine. »
14 Cf. G. Patin, Preceptes particuliers d’un médecin à son fils, dans R. Pintard, La Mothe le Vayer, Gassendi, Guy Patin, cit., pp. 63- 69, p. 67 : « La Pharmacie est une pierre d’achoppement et de scandale a un medecin, dont il se doit sagement garder. Ne faites iamais rien contre vostre conscience et l’honneur de vostre profession en faveur d’un apoticaire. Ejusmodi homunculi sunt miseri nebulones et turpissimi lucriones misellis ægris duntaxat initiantes et medicorum famæ insidias struentes. Si vous ostez 4. boettes de leur boutique, tout le reste n’est que forfanterie, boëttes peintes et dorées ou où ne trouve que crottes de souris qui passent pour poivre et pour gingembre. Cette invention de boutiques et de parties d’apoticaires n’est entrée en crédit que par la connivence de quelques medecins et par la sottise du peuple qui veut estre trompé. Un médecin ne scauroit beaucoup ordonner chez un malade sans luy faire tort et sa conscience aussi, et mesme le plus souvent il se damne et tue son malade. Πολυφαρμακία est filia ignorantiœ. Ad bene vivendum natura paucis contenta est. Ad bene medendum paucis opus est remediis, sed probatis et selectis, peu et qui soit bon et bien donné, id est en temps et lieu ». Voir aussi ibid., p. 69 : « Quand vous voyez une grande maladie et que vous recognoissez, par les regles de vostre art, le danger qu’il y a, souvenez vous d’en avertir les parens du malade, et apres en avoir fait sagement vostre prognostic, pensez tout de bon et travaillez serieusement a la guerison, en roulant tousiours en vostre esprit Quœ sint, quœ fuerint, quœ mox ventura trahantur. Appliquez-y vostre esprit, et tous les talens de vostre sagesse ; mais gardez-vous bien de devenir empirique ; raisonnez tousiours et ne vous servez de l’experience que comme de la servante de la raison et de la science que vous vous estes aquise : les sectes des Methodiques et des Empiriques, si elles ne sont soumises et n’obeissent a la Dogmatique, ne sont que des extremitez vitieuses que vous devez soigneusement eviter. Hippocrate n’a rien dit de plus vray que : Experimentum fallax. Un médecin qui ne raisonne point n’est point medecin, il n’est qu’un charlatan. Il faut saigner, purger, ventouser, donner du vin ou l’oster a un malade par raison. Medicus debet habere rationem in numerato. Erubescat medicus sine ratione, jurisconsultus sine lege. » On trouve d’autres passages critiques de G. Patin contre les « chimistes », cf. G. Patin, Lettres, cit., t. II, pp. 410, 564, 572.
15 Catalogue des livres qui sont en l’estude de G. Naudé, à Paris, Paris, Bibliothèque nationale, ms. fr. 5681, ff. 1-31 (dès maintenant cité comme Catalogue), ici f. 31r.
16 L’attitude de Naudé à l’égard d’Hermès Trismégiste reste ambiguë. En effet dans son Apologie il soutient que les œuvres d’Hermès sont « totalement fausses », tandis que dans son Advis pour dresser une bibliothèque il situe les œuvres de Trismégiste parmi celles de philosophie et les définit les plus anciennes, sans faire allusion à ces textes comme faux ou faussement attribués à Hermès. Cf. G. Naudé, Apologie pour tous les grands personnages qui ont esté faussement soupçonnez de magie, A Paris, chez François Targa, 1625, p. 101 (dorénavant cité comme Apologie) : « Car pour ne point parler des Œuvres d’Orphee, de Trismégiste, de Berose, & Manethon, qui sont totalement fausses [...] », et G. Naudé, Advis pour dresser une bibliothèque, A Paris, chez François Targa, 1627, pp. 100-101 : « En Philosophie, commencer par celle de Trismégiste qui est la plus ancienne, poursuivre par celle de Platon, d’Aristote, de Raymond Lulle, Ramus, & achever par les Novateurs Telesius, Patrice, Campanella, Verulam... ». Pour une critique du Corpus Hermeticum au commencement du xviie siècle, qui s’applique à démontrer que la langue et le contenu de ces textes ne peuvent pas remonter à l’époque égyptienne à laquelle ils prétendent se rattacher, et qui date le Corpus du temps de Jésus Christ, voir I. Casaubon, De rebus sacris et ecclesiasticis exercitationes XVI, Londini, 1614 (autre édition, Francofurti, 1615). Sur la question, cf. A. Grafton, « Protestant versus Prophet : Isaac Casaubon on Hermes Trismegistus », Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, XLVI (1983), pp. 68-93. Naudé ne semble pas, apparemment, partager les conclusions de Casaubon.
17 Catalogue, f. 17v.
18 Catalogue, f. 18r.
19 Catalogue, f. 21v.
20 G. Naudé, Instruction à la France sur la verité de l’histoire des Frères de la Roze-Croix, A Paris, 1623, « Au Lecteur » (dès maintenant cité comme Instruction). Sur les Rose-Croix voir notamment P. Arnold, Histoire des Rose-Croix et les origines de la Franc-Maçonnerie, Paris, 1955, et pour des références à Naudé cf. pp. 12-15. Sur les Rose-Croix et sur leurs affiches, que l’on disait être apparues à Paris en 1623, voir aussi F. Garasse, La Doctrine curieuse des beaux esprits de ce temps, ou pretendus tels, Paris, 1623, pp. 83 sqq., et J. Gaultier, Table chronologique de l’estat du christianisme depuis la naissance de Jésus-Christ jusques à l’année 1625, Lyon, 1626. Le Mercure François, en parlant des Rose-Croix, utilise l’œuvre de Naudé ; cf. Le Neufiesme Tome du Mercure François, ou suitte de l’histoire de nostre temps, sous le regne du tres-chrestien Roy de France et de Navarre, Louys XIII, A Paris, 1624, pp. 371-387. On retrouve ici de nombreux passages de l’Instruction de Naudé tirés des paragraphes 2, 3 et 4 du chapitre iv, qui traitent de l’origine des Rose-Croix et de leurs lois (cf., ibid., pp. 377-383). Voir aussi les réactions de Descartes aux bruits sur la présence à Paris en 1623 des frères de la Rose-Croix, selon le témoignage de Baillet ; cf. A. Baillet, La Vie de Monsieur Descartes, Paris, 1691, livre II, chapitre V, pp. 106-109, en particulier p. 107 : « Ce n’étoit que depuis trés-peu de jours qu’on parloit à Paris des confrères de la Rose-croix, dont il [Descartes] avoit fait des recherches inutilement en Allemagne durant l’hiver de l’an 1619 : & l’on commençoit à faire courir le bruit qu’il s’étoit enrollé dans la confrérie. M. Descartes fut d’autant plus surpris de cette novelle, que la chose avoit peu de rapport au caractére de son esprit, & à l’inclination qu’il avoit toûjours eue, de considérer les Rose-croix comme des imposteurs ou des visionnaires. Il jugea aisément que ce bruit desavantageux ne pouvoit être que de l’invention de quelque esprit mal intentionné [...] Il s’étoit fait un changement considérable depuis l’Allemagne jusqu’à Paris sur les sentimens que le Public avoit des Rose-croix. On peut dire qu’à la réserve de M. Descartes & d’un très-petit nombre d’esprits choisis l’on étoit en 1619 assez favorablement prévenu pour les Rose-croix par toute l’Allemagne. Mais ayant eu le malheur de s’être fait connoître à Paris dans le même têms que les Alumbrados, ou les Illuminez d’Espagne, leur réputation échoüa dés l’entrée. On les tourna en ridicule, & on les qualifia du nom d’invisibles ; on mit leur histoire en romans ; on en fit des farces à l’hôtel de Bourgogne ; & on en chantoit déjà les chansons sur le pont-neuf, quand Mr. Descartes arriva à Paris. Il en avoit reçu la prémiére nouvelle par une affiche qu’il en avoit lûë aux coins des rues & aux édifices publics, dés son arrivée. L’affiche étoit de l’imagination de quelque bouffon, & elle étoit conçuë en ces termes [...] ». Sur les Rose-Croix à Paris et sur les réactions produites, cf. F. Secret, « Notes sur quelques alchimistes de la Renaissance », Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance, XXXIII (1971), pp. 625-640, I : « Un témoignage oublié sur l’épisode des placards des Frères de la Rose-Croix », pp. 625-626 ; Frances A. Yates, The Rosicrucian Enlightenment, London, 1972, chap. vii, « The Rosicrucian scare in France », pp. 103-117.
21 Voir les titres des dix chapitres de l’Instruction : chap. I « Que la nature des François est trop prompte à embrasser et suivre toutes sortes d’opinions nouvelles et ridicules », pp. 1-8 ; chap. ii « Qu’il n’y a iamais eu opinion si absurde qui n’ait trouvé des cerveaux capables de la recevoir », pp. 8-17 ; chap. iii « Histoire des Freres de la R.C. plus absurde que toutes les precedentes, et par quel moyen elle a esté cognuë en France », pp. 17-28 ; chap. iv « Histoire au vray des Freres de la R.C. », pp. 28-40 ; chap. V « Response à la principale raison de l’instauration promise, laquelle est le principal fondement de cette Compagnie », pp. 40-52 ; chap. vi « Satisfaction à l’authorité de ceux qui ont approuvé cette Compagnie », pp. 52-61 ; chap. vii « Response aux expériences que l’on apporte pour confirmer cette Société », pp. 61-71 ; chap. viii « Les diverses coniectures et interpretations que plusieurs ont donné à cette Compagnie », pp. 72-89 ; chap. ix « Les absurditez et impertinences qui se rencontrent és articles de cette Compagnie, et en l’Amphithéâtre de Conrard, avec l’explication d’iceluy », pp. 89-105 ; chap. X « Que tous les faux bruits, et principalement de cette Compagnie, sont preiudiciables à tous les Royaumes, Estais et Monarchies », pp. 106-115.
22 Instruction, p. 64.
23 Instruction, pp. 64-65.
24 Instruction, p. 66.
25 Instruction, p. 75.
26 Cf. Instruction, pp. 75-76 : « Voire mesme cette marque de diuision est si essentielle au mensonge, que Paracelse, le Luther de la Medecine, a plustost esté diuersifié par Crollius. du Chesne, Hartman, & vne infinité d’autres, que nous n’auons recognu par l’intelligence de ses œuures, les blasphémés & absurditez de sa nouuelle doctrine. Et cette illuminee fraternité de la Roze- Croix n’a pas si tost ouuert le cadenas de son silence pour nous publier le Roman de sa Confession, qu’à l’instant mesme on luy a donné cinq ou six diuerses faces, & autant d’interpretations ridicules, que l’imagination de ceux qui en ont voulu discourir en a peu tracer sur le champ d’vne infinité de conjectures curieusement recherchées dans la bourbe de leurs escrits ».
27 Instruction, p. 85. Naudé se réfère ici à ces textes iatrochimiques : H. Khunrath, Amphitheatrum sapientiæ œtemœ, s.l., 1605 (autre édition, Hanoviæ, 1609) ; O. Croll, Basilica chymica [...] in fine libri additus est autoris eiusdem tractatus novus de signaturis rerum internis, Francofurti, 1609 (voir la traduction française de ce texte : La Royale Chimie de Crollius, traduitte en françois par J. Marcel de Boulenc, Lyon, 1624). Johannes Hartmann (1568-1631), professeur à Marburg, a publié des Disputationes chymico-medicœ (Marpurgi, 1611) et a réédité la Basilica chymica de Croll (Francofurti, s. d., mais 1612). Sur la médecine paracelsienne en France aux xvie et xviie siècles, cf. A.G. Debus, The Chemical Philosophy. Paracetsian Science and Medicine in the Sixteenth and Seventeenth Centuries, cit., I, chap. 3, pp. 145-173.
28 Instruction, p. 97 [mais 95 !].
29 Instruction, pp. 97-98.
30 Instruction, p. 105. F.A. Yates a souligné la place de Khunrath et de son Amphitheatrum sapientiœ œternœ dans le mouvement des Rose-Croix, cf. F.A. Yates, The Rosicrucian Enlightenment, cit., p. 38.
31 Cf. Instruction, pp. 14-16, et notamment pp. 15-16 : « Mais quoy, c’est trop s’arrester à vn coin de cette piece ; venez à cet autre, & obligez de vostre fauorable audience vne troupe de ces Messieurs lesquels vous veulent interpreter leurs œuures, Conrard son Amphitheatre, Tritheme sa Steganographie, Dee sa Monade hieroglyphique, George Venitien son Harmonie du monde, Bouuelle l’excellent traicté qu’il a composé de plus quant nihilo, Augustin Panthée son Voarchadumia, Becan ses origines, Candale son Pimandre, Thyart sa Musique, Gemma sa Cyclognomonie, Brunus les umbres de ses Idees, Raymond Lulle sa Dialectique, Paracelse son Commentaire de Magie qu’il a composé sur l’Apocalypse, Cayer historien du Juif errant sa traduction du Guildiu Schatz und Kunst Kamuer ». F.A. Yates met en évidence les rapports que Naudé a retrouvés entre tradition hermétique et doctrine des Rose-Croix, cf. F.A. Yates, The Rosicrucian Enlightenment, cit., p. 108.
32 Instruction, p. 108.
33 Instruction, p. 111.
34 Instruction, p. 113.
35 Cf. G. Naudé, Considérations politiques sur les coups d’Estat, Rome, 1639, pp. 155-156 : « Que des imposteurs & Charlatans se qualifient frères de la Rose-Croix, il courra après eux. [...] Qu’on lui conte les Fables de Melusine, du Sabat des Sorcières, des Loups garous, des Lutins, des Fées, des Paredres, il les admirera. Que la matrice tourmente quelque pauvre fille, il dira qu’elle est possédée, ou croira à quelque Prêtre ignorant ou méchant, qui la fait passer pour telle. Que quelque Alchimiste, Magicien, Astrologue, Lulliste, Cabaliste, commencent un peu à le cajoler, il les prendra pour les plus sçavans, et pour les plus honnêtes gens du monde. [...] Bref si on le trompe & besle aujourd’hui, il se laissera encore surprendre demain, ne faisants jamais profit des rencontres passez, pour se gouverner dans les presentes ou futures ; & en ces choses consistent les principaux signes de sa grande foiblesse et imbécillité ».
36 Apologie, p. 14. Ce texte a eu beaucoup de réimpressions. À la première édition parisienne de l’année 1625 il faut ajouter d’autres éditions : La Haye, 1653 ; Paris, 1669 ; La Haye, 1679 ; Amsterdam, 1712. Il y a aussi une traduction anglaise qui remonte au milieu du xviie siècle : The history of magick, by way of apology, for ail the wise men who hâve injustly been reputed magicians, front the création, to the present age [...] Englished by J. Davis, London, 1657.
37 Apologie, pp. 482-483.
38 Apologie, p. 521. Voir le passage entier, pp. 520-521 : « nous nous arresterons seulement à celuy que François Pic dit qu’il a composé de la quinte-essence, pour monstrer par la fausseté d’iceluy quelle estime on doit faire des autres, estant indubitable qu’Albert le Grand n’a iamais songé à le faire, comme il se peut prouver non point parce qu’il se mocque des Alchymistes & de leur transmutation prétendue dans son troisiesme livre des Mineraux, suivant que Velcurion & Guibert s’efforcent de le monstrer, veu qu’il y soustient une opinion du tout contraire, mais parce que l’autheur du dit livre se qualifie en iceluy Religieux de l’Ordre de S. François, & dit qu’il l’a composé lors qu’il estoit en prison : lesquelles deux circonstances, qui se doivent indubitablement rapporter à lean du Rupescissa, monstrent assez que quelque imposteur s’est advisé de le compiler du livre qu’il a faict sur ce sujet, pour le divulguer & mettre en vogue sous le nom d’Albert le Grand, suivant la tromperie ordinaire de tous les Alchymistes, qui n’ont rien de plus commun que cette ruse pour donner du crédit à leurs promesses, & au moyen d’icelles ».
39 Apologie, p. 391.
40 Cf. Apologie, pp. 392-393 : « la nouveauté de ses conceptions, la difficulté de son style, & l’obscurité d’un grand nombre de mots qui viennent le plus souvent à la rencontre de ceux qui fueillettent ses livres, comme sont par exemple, Ens Pagoycum, Cagastricum, Cherionium, Leffas, lesadach, Trarames, Stannar, Perenda, Relloleum, & une infinité d’autres semblables, rendent tellement le lecteur douteux & incertain de ce qu’il veut dire, qu’il ne marche qu’en tastonnant parmy de tels Meandres, & ne sçauroit discerner quand il parle d’une crote ou d’une pilule, d’une pierre ou d’un pain, du Diable ou de la Nature ; à plus forte raison pourrait il douter s’il ne se sert point de la Magie comme d’Enigmes (à l’exemple de Tritheme) pour voiler ses preceptes, & ne descouvrir la vanité de son Art, qu’il iugeoit bien devoir estre tant plus admiré que moins il serait entendu ».
41 Cf. Apologie, pp. 393-394 : « Et quant est de mon particulier, puisque ie n’ay point estudié si auant dans le Dictionnaire que Rulandus a dressé des Phrases de cet Autheur, que ie puisse iuger de ses œuvres, pour les entendre, ie suivray volontiers en ceste question de sa Magie l’opinion de ses principaux Interpretes, Severin le Danois & Crollius, qui ne la font servir que de voile & couverture à sa doctrine, tesmoin ce que dict le dernier [In Epistola scripta Paracelso], page 77. de sa Préface, Paracelsum expertis stilo magico scripsisse, non vulgo, sed sibi & intelligentibus in schola magica educatis sapientiæ filijs, mysteria sua sub varijs nominibus occultasse : comme en effect il est certain que les noms de beaucoup d’esprits qu’il entremesle fort souvent dans ses livres, & que l’on pourrait prendre pour des vercelets de Diables, se doivent interpreter, suivant l’opinion de lacques Gohory [Comment, in lib. 4. Paracelsi d. vita long.], qui a esté le premier fauteur du Paracelsisme en France, des extraicts & diverses essences, de leurs proprietez & preparations, ou finalement des choses minerales, vegetales & animees, desquelles il se servoit pour la composition de ses remedes ».
42 Cf. Apologie, pp. 394-395 : « Aussi est-il vray que Iean Oporin, qui fut long-temps son serviteur, & qui semble avoir le premier descouvert tout ce qu’on luy obiecte maintenant, ne faict aucune mention de sa Magie, ny de ses invocations, & que Vvetterus qui demeura 27. mois avec luy n’en dict rien autre chose, sinon qu’il le menaçoit quand il estoit yure, de faire venir une milliace de Diables, pour monstrer quel empire & puissance il avoit sur eux, sans qu’il se faille arrester à ce que beaucoup disent du Démon familier qui estoit renfermé dans le pommeau de son espee. Car pour ne point mettre en ieu l’opinion des Alchymistes qui maintiennent que c’estoit le secret de la pierre Philosophale, il y a plus d’apparence de croire que s’il y avoit enfermé quelque chose, c’estoit infalliblement deux ou trois dozes de son Laudanum duquel il ne vouloit iamais estre despourveu, parce qu’il en faisoit des merveilles & s’en servoit comme d’une medecine universelle pour guerir toutes sortes de maladies ».
43 Apologie, p. 397. Ces affirmations de Naudé, sceptiques à l’égard des différentes espèces de magie que Paracelse affirme connaître, se placent à la suite des exemples trouvés dans les textes de Paracelse sur sa prétendue connaissance de l’art magique. Cf. Apologie, pp. 395-397 : « puisque non content d’avoir mis la Magie pour l’une des quatre colomnes de la Medecine, il s’est efforcé de plus de nous en descouvrir les preceptes & la nature par tous ses livres, & principalement en celuy qu’il a faict de philosophia sagaci, ou il la divise en six especes & parties differentes, la première desquelles traicte de la signification des signes qui se rencontrent outre l’ordre de la nature, comme de l’Estoille qui apparut aux Mages ; la deuxiesme de la metamorphosé & transmutation des corps ; la troisiesme de la vertu des mots & des paroles ; la quatriesme des anneaux & gamahees ; la cinquiesme des images ensorcelées ; & la demiere de la cabale qu’il disoit s’occuper à faire toutes les actions extraordinaires qui ne se peuvent reduire à pas une de ces cinq parties, comme de faire meurir les fruicts en un instant, de faire plus cheminer un cheval en un iour, qu’un autre ne feroit en un mois ; de discourir intelligiblement avec ceux qui sont esloignez de nous de plus de deux cens lieues : & bref de faire tout ce qui semble, & que l’on a tousiour tenu pour impossible ».
44 Apologie, p. 398.
45 Apologie, p. 18.
46 Voir les affirmations conclusives du chapitre xiv relatives à Paracelse dans l’Apologie, pp. 398-399 : « & que Paracelse [...] voulut aussi bien faire changer de face à la Magie qu’il avoit faict à la Medecine & Philosophie, & qu’il se vantoit de pouvoir faire en la Religion, menaçant le Pape & Luther de les ranger tous deux à ses maximes toutes fois & quantes qu’il en aurait la volomnté. C’est pourquoy combien qu’il puisse estre à bon droict condamné comme un heresiarque, pour avoir eu l’opinion grandement depravee, touchant ce qui est de sa Religion, ie croy neantmoins qu’il ne doit estre soupçonné de Magie, veu qu’elle ne consiste point és spéculations & en la Théorie, que chacun peut desduire & expliquer en tel sens que bon luy semble ; mais en la pratique du Cercle & des invocations, esquelles, comme nous avons monstré cy dessus, pas un des Autheurs les plus contraires à sa doctrine, n’ont iamais voulu soustenir qu’il se soit amusé ».
47 Cf. Apologie, pp. 582-583 : « C’est pourquoy [...] ie croy que si i’ay amassé quelque peu de bile à cause du récit auquel i’ay esté forcé & le seray encor au Chapitre suivant, de tant de fables & resveries manifestes, il vaut mieux la descharger premierement sur la folie ordinaire & l’impiété de nos Soufleurs & Alchymistes, qui sont tellement passionez à leur recherche de la pierre Philosophale, qu’apres en avoir trouvé les mystères cachez sous les métamorphosés, l’Eneide, l’Odyssee, les Amours de Theagane & Cariclee, les epitaphes, tableaux, sculptures, grotesques & marmousets, & ne leur restans plus qu’à les chercher dans la saincte Escriture, ils ont esté si prophanes que de prendre le sacrifice de la Messe & le miracle de l’Incarnation pour emblesmes & figures de ce qu’ils ont descouvert estre exprimé mot à mot dans la Genese, les derniers Chapitres du Prophete Esdras, le Cantique des Cantiques, & l’Apocalypse, & de cette trasmutation si souveraine, le secret de laquelle estoit infailliblement cogneu, comme ils disent, au bon homme lob qui multiplia tous ses biens au septuple par le moyen d’icelle, à Abraham qui fit la guerre à quatre Roys, à Ioseph qui devint si puissant tout d’un coup, à Moyse qui convertit le veau d’or en cendre, à Gedeon qui l’a representee sous sa toison, quoy qu’elle ne fust d’or comme celle des Argonautes ; à Salomon qui ne faisoit non plus d’estat de l’or que des pierres [...] ».
48 Apologie, p. 584.
49 Cf. G. Naudé, Syntagma de studio liberali... Secundo editio, Arimini, 1633 (première édition Urbini, 1632), pp. 109-110 : « quare ut huic malo obviam eatur, effingendus est animus ad exemplar heroicæ fortitudinis, qui res omnes attente despiciat, intrepide exploret, acute discutiat ; non Multitudini credens, quia non tam bene cum rebus humants geritur, ut meliora pluribus placeant ; non Prophetis, nisi qui signa dederint, quoniam pauci Spiritu sancto agitantur : omnes ferme humore melancholico, fastu, vel intempestiva devotione ; non Astrologis, quia tot iacula cum emittant, mirum non est aliquod tangere ; non Alchymistis, quoniam ab iis drachmam petunt, quibus thesauros pollicentur ; non Famæ, quia tam ficti pravique, tenax, quam nuncia veri describitur a Poetis ; sed uni tantum evidentissimae, ac constantissimae Rationi ». Pour une critique des « chimistes », voir aussi pp. 84, 95 et pp. 104-105 : « atque etiam Chymia in se suscipit, corpora ipsa inquinata depurare, impedita liberare, immatura perficere ; quibus demum adiuncta Cabala totius divinæ scripturæ mysteria recludere, ac palam exhibere conipicienda profitetur ; ipsæ tamen taies in se, & in interiori sua ratione esse depræhenduntur, ut plus habeant ex phantasia, & fide quam ex ratione, & demonstratione [...] ».
Il existe encore d’autres textes dans lesquels Naudé critique les alchimistes. Cf., entre autres, G. Naudé, Advis pour dresser une bibliothèque, cit., chap. iv, p. 41 : « En suitte tous ceux qui ont escrit le plus heureusement contre quelque Science, ou qui se sont opposez avec plus de doctrine & d’animosité [...] aux Livres de quelques Autheurs des plus celebres & renommez [...] Morisotus qui a renversé l’abus des Chymistes, [...] Thomas Eraste qui a pertinemment refuté Paracelse » (allusion au texte de Claude-Barthélemy Morisot, Porticus medicœa, Parisiis, apud F. Targa, 1626) et pp. 42-43 : « C’est pourquoy veu que depuis peu plus de trente ou quarante Autheurs de nom se sont declarez contre Aristote, que Copernic, Kepler & Galilaeus ont tout changé l’Astronomie ; Paracelse, Severin le Danois, du Chesne & Crollius la Medecine ; & que plusieurs autres ont introduit de nouveaux principes, & basti sur iceux des ratiocinations estranges, inouyës & non iamais preveuës ; ie dis que tous ces Autheurs sont tres-necessaires dans une Bibliothèque ». Cf. la critique de l’alchimie aux pages 45-46 : « Secondement tous les curieux & non vulgaires, comme sont les livres de Cardan, Pomponace, Brunus, & tous ceux qui traictent de la Caballe, Memoire artificielle, Art de Lulle, Pierre Philosophale, Divinations, & autres matieres semblables : Car encore bien que la plus-part d’icelles n’enseignent rien que des choses vaines & inutiles, & que ie les tienne pour des pierres d’achopement à tous ceux qui s’y amusent ; si est-ce neant-moins que pour avoir de quoy contenter les foibles esprits aussi bien que les forts, & satisfaire au moins à ceux qui les veulent voir pour les refuter, il faut recueillir ceux qui en traictent, deussent-ils estre parmy les autres livres d’une Bibliotheque, comme les serpens & viperes entre les autres animaux [...] & ce à l’exemple du monde où ces choses inutiles & dangereuses accomplissent le chef-d’œuvre & la fabrique de sa composition ». Cf. aussi G. Naudé, De antiquitate et dignitate Scholæ medicœ Parisiensis Panegyris, Lutetiæ Parisiorum, 1628, où l’on trouve des passages contre Paracelse et la médecine paracelsiste : pp. 67, 73 (« & ex Eremo Paracelsi rudes & rupices Medicastri ») et p. 68 (« quem ignorant rudes Empirici [...] ; quem non viderunt vetularum nepotes, & latromagi [...] ; quem non assequuntur fumivenduli Paracelsistæ, Hermetici medicastri, Basilicæ Crollianæ fautores, & id genus omne Medicorum, quidvis aliud quam rectam rationem consequentium »). Cf aussi G. Naudé, Quœstio iatrophilologica, de Fato etfatali vitœ termina, dans Jan van Bevenvijck, Epistolica quœstio, De vitœ termina, Fatali an Mobili ? Cum doctorum responsis. Pars tertia, et ultima, nunc primum édita, Lugduni Batavorum, 1639, pp. 1-82, notament pp. 71-72.
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