Médecine et alchimie chez Michel Savonarole (1385-1466)
p. 109-122
Texte intégral
1Les œuvres médicales de la première moitié du xve siècle donnent parfois au lecteur moderne l’impression d’un chaos, d’une prolifération d’idées fécondes, mais contradictoires, d’une somme d’observations et d’expériences personnelles que l’interprétation d’ordre théorique parvient difficilement à relier entre elles. D’une grande érudition, puisqu’ils dominent en règle générale l’ensemble de la littérature médicale traduite et composée depuis le xiie siècle, les médecins du xve siècle exercent un regard curieux sur le monde qui les entoure. Loin de s’enfermer dans la seule logique de leur propre système explicatif, ils cherchent dans les autres disciplines matière à réflexion. Les critiques qu’adressait Roger Bacon à leurs prédécesseurs, près de deux siècles auparavant, ne semblent plus de mise. Dans le De erroribus medicorum 1 y était ridiculisé le goût des médecins pour l’argumentation logique, en même temps que faisaient l’objet d’une sévère mise en garde le peu d’attention portée à la composition des médicaments – souvent laissée sous la seule responsabilité des apothicaires – et l’ignorance en matière d’astrologie et d’alchimie. Moins soucieux que les contemporains de Roger Bacon d’assurer l’autonomie de leur science et de démontrer son excellence, conscients aussi des limites de leur efficacité pratique, les médecins du xve siècle se tournent volontiers vers des techniques auxiliaires. Les plus célèbres d’entre eux y sont probablement encouragés par la fréquentation des cours princières, dont la plupart succombe alors aux modes astrologique et alchimique.
2En un précédent article2, nous avons tenté de mesurer la sensibilité à ces courants de trois médecins de la première moitié du xve siècle : deux Italiens, Antonio Guaineri et Michel Savonarole, et un Français, Jacques Despars. Exacts contemporains, ces auteurs avaient pour points communs d’enseigner au sein d’une université et d’être attachés à une cour princière. Si des nuances apparaissent dans leur adhésion à l’astrologie (Jacques Despars la refusant même totalement), ils manifestent tous trois un intérêt pour l’alchimie, qui n’est cependant pas facile à caractériser ni à mesurer. Antonio Guaineri enregistre surtout les cures miraculeuses opérées par des alchimistes que leurs succès amenèrent à se consacrer exclusivement à la pratique médicale. Jacques Despars ne semble pas prêt à faire intervenir l’alchimie dans sa thérapeutique, mais il décrit longuement l’alambic, évoque à plusieurs reprises le travail des métaux et ne prononce aucune critique à l’égard des alchimistes, alors qu’il vitupère violemment contre les astrologues. Les rapports entre médecine et alchimie sont encore plus explicites chez Michel Savonarole, qui nous retiendra ici.
3Dans son cas, comme dans d’autres, la lecture du Canon d’Avicenne constitua sans doute un encouragement. Alors que le nom du philosophe arabe était associé à divers traités alchimiques traduits en latin3, son œuvre médicale orientait d’une part vers une approche pharmacologique expérimentale, par la mise en évidence du concept de forme spécifique, vertu d’un simple ou d’un composé non déductible des qualités premières, et invitait d’autre part à réaliser des manipulations au moyen de l’alambic. Comme le remarque Roger Bacon, Avicenne semble accréditer l’idée que l’étude du corps humain transmittit medicos ad alkimiam. Roger Bacon cite l’expérience décrite dans le Canon pour isoler par distillation les quatre humeurs de la masse sanguine. Qualifiées de « filles des éléments » depuis le Pantegni de Constantin l’Africain, les humeurs et leur composition menaient tout naturellement à une physique de la matière4. Une autre expérience dont faisait état le Canon tendait à évaluer, toujours au moyen de la distillation, la sécheresse relative des poils et des os5. Habitué à une lecture assidue de l’œuvre d’Avicenne, un médecin du xve siècle pouvait se croire autorisé à franchir le seuil de l’alchimie, d’autant plus que la condamnation de son versant transmutatoire, présentée dans le Sifā, ne circulait pas sous le nom du philosophe arabe, mais soit sous celui d’Aristote, soit sous celui du traducteur Alfred de Sareshel6. Dans le prologue à sa Practica maior, c’est sous la seule autorité du Canon d’Avicenne que se place Michel Savonarole : « Sed prius scito quod que in hoc volumine a me congregata sunt ex ductu mei Avicenne aliorumque plurium fide dignorum codicibus excerpsi. Impavidus itaque Avicennam allegabis sub eadem rubrica quod in mea sic positum invenies »7. La Practica maior constitue donc, selon l’auteur lui-même, une sorte de paraphrase du Canon d’Avicenne.
4Michel Savonarole est né en 1385, dans une famille de marchands et de drapiers. Entre 1413 et 1440 il enseigne les arts et la médecine à l’université de Padoue. En 1440 il entre à la cour d’Este où il resta jusqu’à sa mort, au service de trois marquis successifs, Niccolo III, Leonello et Borso. Comblé d’honneurs par ces princes, il enseigna aussi la médecine à l’université de Ferrare ; peut-être par un simple fruit du hasard, cette même université semble avoir accueilli quelque temps Paracelse dans les années 15208. En 1452, naît Jérôme Savonarole, petit-fils de Michel qui suivit de près son éducation, avant de mourir peu après le 24 février 14669.
5Tout en restant intimement dépendant dans ses œuvres médicales de la tradition médiévale, Michel Savonarole fait figure d’homme de la Renaissance par ses intérêts les plus divers qui lui doivent parfois la qualification de polygraphe. Certains de ses ouvrages ont un propos religieux ou historique, d’autres peuvent être considérés comme littéraires. Son Speculum phisionomiae laisse apparaître un intérêt pour le milieu des peintres et des sculpteurs ; l’auteur y insère un long chapitre sur la simetria hominis, l’harmonie des proportions, donnant ainsi un ton nouveau à l’interprétation physiognomonique.
6Une orientation délibérément pratique caractérise ses œuvres médicales. Dans le prologue à sa Practica maior, que nous avons déjà eu l’occasion de mentionner, il souligne le caractère laborieux des recherches in theorica, pour vanter l’utilité, mais aussi signaler la grande difficulté d’une approche des practicabilia. En conformité avec la tradiction médicale inaugurée au xiie siècle, Michel Savonarole nomme practica la science qui permet, à l’aide de la raison et du savoir-faire, de passer des principes généraux à l’action dans le domaine du particulier. Raillant, à l’imitation de Galien, les longues barbes des sophistes, il voit dans le medicus rationalis avant tout un artifex sensualis 10.
7Deux ouvrages de Michel Savonarole abordent directement la question de l’alchimie : le Libellas de aqua ardenti et le De balneis. Dédié au juriste Antonio Roselli, le traité sur l’eau ardente fut écrit en 1440. L’auteur traduisit lui-même cet ouvrage en italien, entre 1444 et 1450, à l’intention de Leonello d’Este11. Il n’est pas nécessaire de revenir sur les aspects techniques qui ont été relevés dans diverses histoires de la distillation12. Plus délicat est d’évaluer, à la lecture de ce traité, l’implication de Michel Savonarole dans une démarche alchimique. L’auteur y fait état de sources d’origine différente ; s’il se place en premier lieu sous le patronage du médecin bolonais de la seconde moitié du xiiie siècle Taddeo Alderotti et de ses Cons ilia sur l’alcool, il se réfère aussi à des témoignages oraux et aux écrits des alchimistes : « post Thadei magni medici gravissima consilia de ea aliqua perlegi, que et audita et in libris alchimistarum lecta, cum laude digna sint, hoc meo opusculo inserere statui »13. Bien des éléments du De aqua ardenti sont repris des Consilia de aqua vite de Taddeo. Les mêmes vertus curatives et préventives, en particulier de la vieillesse, y sont énumérées ; la distinction entre espèce simple, faite uniquement à partir du vin, et espèce composée, la mise en évidence au sein de l’espèce simple de celle le plus communément employée issue de la troisième ou de la quatrième distillation, de celle dite perfecta issue de la septième et enfin de celle dite perfectissima, issue de la dixième, se trouvaient déjà chez le maître bolonais du xiiie siècle qui décrivait aussi avec précision le mode d’opération, le matériel, le dosage14. L’action sur le mercure était également signalée.
8Le savoir de Michel Savonarole ne semble pas seulement livresque. Il ne fait guère de doute qu’il a lui-même participé à des opérations de distillation. Il évoque son socius (el compagno nostro dans la version italienne)15 qui, afin de diminuer le nombre des rectifications, avait allongé le col de son alambic, en plaçant la cucurbite au rez-de-chaussée et le chapiteau en haut de la maison. Pour Michel Savonarole, cette tentative ne présentait pas d’utilité, puisque c’est le nombre des rectifications qui assure la puissance de l’eau ardente. Au chapitre des vaisseaux, il condamne l’usage du plomb pour vanter les mérites du verre, d’une complexion chaude et sèche bénéfique à celle de l’homme. L’or, bien qu’« égal à l’âme et au corps humains », ne peut en effet être utilisé que par les puissants de ce monde (magistrati, li gran segnori)16. Quant à l’argent et à la terre, ils sont à bannir en raison de leur complexion froide.
9Fort proche dans ses aspects techniques et médicaux des Consilia de Taddeo Alderotti, le De aqua ardenti se situe aussi dans le sillage de Jean de Rupescissa, ou plutôt de sa descendance pseudo-lullienne. L’adhésion de Michel Savonarole à cette tradition alchimique s’exprime néanmoins de façon hésitante. Si la mise en garde contre l’obscurité des alchimistes, leur avidité qui les pousse plutôt à s’enrichir qu’à transmettre leur savoir, leur recours à des mots obscurs et à un langage codé peut être placée au compte des lieux communs’d’une Practica 17, d’autres réticences semblent plus réelles, en particulier sur le problème central de l’assimilation de l’eau ardente à la quintessence. Il déclare en effet : « Et je ne suivrai pas l’opinion de Raymond, homme certes divin, et celle de nombreux autres qui ont écrit avant, voulant, quant à eux, appeler l’eau de vie quintessence, la comparant dans ses actions au ciel »18. Malgré cette déclaration, il résume en de longs paragraphes les raisons de cette appellation qui recouvre un « divin secret ». La cause rationnelle (causa rationalis) tient aux effets qui ne peuvent être réduits à ceux des quatre éléments : l’intervention d’une vertu céleste est nécessaire pour en rendre compte. Toute eau ardente n’atteint pas la dignité de celle appelée « quintessence », obtenue après d’innombrables rectifications et sous l’effet d’un influx divin. Son obtention est reconnaissable à un signe très suave : « en effet, quand tu estimeras l’avoir confectionnée après un certain nombre de jours, tu la retiendras enfermée avec le lut de sapience et après, l’orifice ouvert, toute la maison embaumera, de telle sorte qu’aucun parfum du monde ne pourra lui être comparé, comme il n’y a aucune douceur semblable à l’émission du sperme »19. Après l’exposé de ce rêve des distillateurs, Michel Savonarole revient à la réalité : « Ne crains en rien de parvenir ainsi à cette essence, car, à ce que je crois, aucun médecin de notre temps n’y est parvenu ». Il referme donc la parenthèse pour revenir à ce qui lui paraît « vrai par un indice facile ». Tout au long de son traité, Michel Savonarole répète qu’il n’est question que de l’eau ardente, la plus pure possible, mais non de la quintessence. L’eau qu’il décrit ne fait que combattre les maladies dues au froid, tandis que l’autre vaincrait tous les maux20. Alors que Taddeo Alderotti appelait l’eau de vie « omnium medicinarum mater et domina », Michel Savonarole, malgré toutes les vertus qu’il lui attribue, en particulier dans le prolongement de la vie, la qualifie seulement de « medicinarum calidarum magistra »21. Les réticences de Michel Savonarole sont d’ordre pratique : il souhaite rester dans le domaine de ce qu’il a vu réaliser ou a réalisé lui-même. Que penser de cette prudence ? Ne serait-elle pas destinée à calmer les inquiétudes du juriste Antonio Roselli et à lui montrer l’« innocence » des activités des distillateurs ? Tout en faisant état du rêve des alchimistes, il en souligne le caractère irréalisable, selon lui, dans un avenir proche.
10La mise à distance de la véritable quintessence n’exclut pas l’attribution de vertus célestes à l’eau ardente. Deux types de chaleur y sont, en effet, actualisés : la chaleur élémentaire, qui échauffe et assèche les corps ; la chaleur céleste, vivifiante, qui lui vient du vin, porteur lui-même de la vertu solaire qui a mûri les raisins. La première agit par la destruction des superfluités, la seconde par la génération de l’esprit ou pneuma. La conjonction de ces deux types de chaleur explique la puissance de l’eau ardente, capable de prolonger la vie. La chaleur céleste contenue dans le vin – et encore plus active dans l’eau de vie – est unie à la chaleur humaine puisque, comme le dit Aristote, « l’homme et le soleil engendrent l’homme ». Nous aurons l’occasion de revenir sur cette citation répétée à d’innombrables reprises par Michel Savonarole. Selon lui, rien ne peut être comparé à l’action du vin et de la chaleur solaire qu’il contient22. Malgré les prétentions des alchimistes, l’or potable n’a pas une grande efficacité. Bien que l’or lui-même soit ami de la nature humaine, ses bienfaits sont de peu d’utilité dans les processus de génération et de nutrition. Quant à l’or potable des alchimistes, il est digne de moquerie (O cassa de risso digna...), car converti en substance liquide, il ne retient pas la forme propre du métal23. Rien ne peut donc rivaliser avec l’eau ardente, véhicule de la chaleur solaire. L’adhésion de Michel Savonarole à la tradition issue de Rupescissa ne semble pas aller au-delà de cette conviction.
11Le second ouvrage dans lequel Michel Savonarole traite directement d’alchimie est le De balneis. Composé en 1448-1449, c’est-à-dire environ huit ans après la version latine du De aqua ardenti, le De balneis est dédié au marquis d’Este, Borso. Il connut un important succès et fut même traduit en grec par Théodore Gaza. Imprimé à plusieurs reprises après l’édition princeps de Ferrare, en 1485, il ouvre la célèbre collection De balneis omnia quae extant apud Graecos, Latinos et Arabas, éditée par les Junte en 1553 à Venise. Comparé à son homologue du xive siècle, le De balneis du médecin et astronome padouan Giovanni Dondi, auquel il se réfère par endroits, l’ouvrage de Michel Savonarole présente de plus abondants développements sur la composition minérale des eaux. Le deuxième livre, consacré aux natures et propriétés des bains naturels, fait une large part à l’étude des minéraux simples qui les composent en commençant, bien sûr, par le soufre et en terminant par le cuivre.
12Lynn Thorndike a jadis analysé ce traité24. Il y relevait notamment l’anecdote dans laquelle Michel Savonarole dit avoir accompagné aux bains les deux condottières vénitiens Carmagnola et Gattamelata. Il notait les principales particularités, comme la noblesse accordée au fer ou la préférence donnée à une douce sublimation, plutôt qu’à une ébullition, dans l’extraction des minéraux contenus dans les eaux. Tout en s’amusant de quelques naïvetés, il soulignait les connaissances de l’auteur en matière de minéralogie, de métallurgie et son désir de recourir à des expériences personnellement menées. Lynn Thorndike remarquait aussi que Michel Savonarole accepte la théorie de la génération des métaux par le soufre et le mercure, en se référant à Hermès Trismégiste25, mais qu’il rejette la possibilité de la transmutation. Il convient de revenir sur cette prise de position exprimée au chapitre du sel. Après avoir énuméré les différentes espèces naturelles, Michel Savonarole en vient à considérer la fabrication du sel que les alchimistes prétendent opérer à partir de Furine. Il condamne la prétention des alchimistes : « Et ex hoc loco accipe errorem alchimistarum formarum distantiam ignorantium, qui ignorantes quod ille transitus est impossibilis, enituntur tamen formas disparatas sic alterare, ut opinantur ab una in aliam transitum fieri posse, ut stagnum in aurum converti »26. L’urine ne se convertit pas plus en sel que l’étain en or : des formes aussi éloignées ne peuvent être altérées au point de passer de l’une à l’autre. Après cette déclaration, vient une longue citation de la fin du De congelatione et conglutinatione lapidum et sa condamnation de la transmutation, contenant les phrases célèbres « ars debilior est quam natura » et « sciant ergo artifices alchimie species vere permutari non posse »27. En réalité, les alchimistes ne peuvent convertir les complexions, changer les espèces : ils n’agissent que sur les qualités accidentelles et ne réalisent que des imitations. La condamnation exprimée par Michel Savonarole se limite donc à la citation du De congelatione ; y est ajoutée seulement une phrase, dont la traduction s’avère délicate : « Nam operationes taies fieri debent in habentibus simboleitatem et hic consideret alchimista ». Que doit-on comprendre sous le terme de simboleitas ? Une ressemblance, une correspondance ? La transmutation serait donc possible sous certaines conditions, mais Michel Savonarole déclare inutile de poursuivre la discussion sur ce sujet28.
13Si la condamnation de la transmutation n’est dans le De balneis qu’une répétition du De congelatione, Michel Savonarole semble néanmoins y adhérer. Or, dans le Libreto de tute le cosse che se manzano comunamente, un opuscule de diététique écrit peu de temps après, entre 1450 et 1452, et dédié également à Borso d’Este, il laisse supposer une opinion contraire. L’opuscule se termine, en effet, par la question de la possibilité d’une prolongation de la vie. Un parallèle y est établi entre l’action du médecin et les opérations des alchimistes : « Tout ce dont les principes peuvent être conservés et renforcés, peut par une telle action être prolongé. Or, les principes de la vie humaine, qui sont le chaud et l’humide, sont susceptibles d’être renforcés, comme il est clairement prouvé ; donc, la prolongation de la vie est possible. Peut-être paraît-il étrange de dire que l’humide et le chaud sont améliorables ; pourtant, nous le voyons par expérience. Le médecin le prouve aussi par la raison, à savoir qu’un mélancolique de nature devient bilieux, ou un bilieux devient sanguin, grâce à de bons aliments, un bon air et en prenant un bon repos. En outre, nous voyons dans le domaine des choses minérales que, par l’action de l’art alchimique, les métaux changent de complexion et de nature, qu’à partir de l’étain est fait de l’argent et d’autres choses semblables »29. Même si Michel Savonarole évite de prendre l’exemple de la transmutation en or, il envisage la possibilité qu’un métal change de complexion, ce qu’il semblait nier dans le De balneis. Que doit-on croire ? La condamnation formulée dans ce dernier ouvrage, qui ne fait que répéter le De congelatione, ou la remarque du Libreto, qui pourrait ne représenter qu’une métaphore, reposant sur ce que les alchimistes prétendent faire sans admettre pour autant qu’ils y parviennent ? Nous retrouvons la même ambiguïté que dans le De aqua ardenti, dans lequel les dires des alchimistes n’étaient acceptés que sous certaines réserves. La différence notée dans les exemples choisis respectivement dans le De balneis et le Libreto n’est probablement pas fortuite : alors que la prétendue conversion de l’étain en or est citée pour rejeter la possibilité de la transmutation, c’est celle de l’étain en argent qui est évoquée à l’appui du contraire. Comme dans le De aqua ardenti, Michel Savonarole semble ainsi retenir ce qui paraît « vrai par un indice facile » et laisser de côté les opérations au résultat moins convaincant ou plus sujettes à la réprobation.
14Prudent dans ses options lorsqu’il traite directement du sujet, Michel Savonarole fait-il apparaître à travers ses conceptions et sa pratique médicales un intérêt véritable pour l’alchimie ? Un tel intérêt va généralement de pair avec une attention particulière portée à la pharmacologie. C’est en effet le cas. Dans la Practica maior, rédigée entre 1440 et 1446, une large place est faite à la composition des médicaments. Comme Roger Bacon dans son De erroribus medicorum, Michel Savonarole invite les jeunes médecins à prévoir eux-mêmes le détail des recettes, sans s’en remettre à l’incompétence et à l’avidité des apothicaires30. À cette fin, il prévoit de longs passages sur les simples et les composés, sur les quatre degrés d’intensité qui affectent les qualités, sur la subdivision de chaque degré en trois mansiones etc.31. Fidèle à Avicenne, il insiste sur la nécessaire « fermentation » des composés32, qui permet d’obtenir l’effet recherché et qui est d’autant plus difficile à évaluer que le nombre des simples est élevé. En résumé, l’ouvrage de Michel Savonarole comporte une partie pharmacologique assez étoffée. Les substances minérales entrent fréquemment dans les prescriptions, mais seule une étude statistique menée en comparaison avec d’autres œuvres, antérieures ou contemporaines, permettrait de mesurer leur importance. Ce qui paraît plus inhabituel sous la plume d’un médecin universitaire est la fréquence du recours à l’alambic pour distiller des substances animales les plus diverses. Ainsi, du sang humain (ou à défaut de porc), de la chair d’escargots mêlée à de la cannelle et du safran, après leur passage par l’alambic, donnent une eau soulageant les phtisiques33. De même, contre les maladies sanguines, une longue recette d’eau de viande est prescrite, que l’on peut obtenir soit par sublimation à l’alambic, soit par décoction34. Elle est réalisée avec un gros poulet ou une poule, vidés et coupés en quatre morceaux, auxquels sont ajoutées des roses séchées infusées dans l’eau de roses, de la poudre de coriandre et de perles ; certains, selon Michel Savonarole, y mettent des ducats « ad artis decorem », mais il est préférable d’utiliser des feuilles d’or pur. La distillation lente à l’alambic permet de renforcer la complexion chaude de la viande, puisque les parties ignées et aériennes s’élèvent et se séparent des parties terrestres pourvoyeuses d’un refroidissement. L’eau de viande ainsi obtenue étant de qualité plus chaude que la viande elle-même, son effet peut être violent et il convient de la tempérer en mêlant du coriandre et des perles qui réduisent l’inflammation. Nul doute que ces distillations de substances animales sont plutôt issues de la tradition médico-alchimique que de la thérapeutique galénique. Les œuvres attribuées à Arnaud de Villeneuve ou à Raymond Lull, le De consideratione quintae essentiae de Jean de Rupescissa, pour ne citer que les plus célèbres, font grand cas de la distillation du sang humain (perfection opus nature, selon les termes de Rupescissa)35 et de toutes sortes de chairs.
15Étrangement, il est difficile de trouver, dans la Practica maior, un recours à l’eau ardente. Un dépouillement exhaustif de cette longue œuvre n’a pu être mené, mais la lecture des prescriptions prévues pour les maladies dont la guérison par l’eau ardente est enregistrée dans le De aqua ardenti ne fait nullement apparaître ce produit. En revanche, un manuscrit conserve, sous le nom de Michel Savonarole, une recette contre le tintement d’oreilles qui introduit l’eau ardente en friction sur la tête et la nuque36. Dans le traité sur la peste, écrit en italien entre 1444 et 1449, avec une dédicace à Leonello d’Este, cette susbstance sous sa forme simple apparaît en une recette reprise du De aqua ardenti. Il faut ajouter que, rédigée en latin au sein d’un traité en italien, elle semble plutôt une addition marginale incorporée ensuite au texte ; en outre, une restriction est apportée à l’usage de l’eau ardente : condamnée par certains dans la cure, elle ne peut l’être dans la prévention37. Cette restriction laisse supposer une polémique. Le De aqua ardenti, qui remonte à 1440, valut-il quelque tracas à son auteur ? Ou, au contraire, constituait-il déjà une réponse à des attaques, une sorte de mise au point ? Nous savons que peu de temps avant la mort de Michel Savonarole eut lieu en 1463 à l’université de Padoue un débat sur les doctrines de Rupescissa38. Il est possible que de vives discussions aient été ouvertes auparavant ; rappelons que Michel Savonarole interrompit son enseignement à Padoue pour entrer à la cour de Ferrare, l’année même de la rédaction du De aqua ardenti. L’omission de l’eau ardente dans la Practica maior qu’il dédie à un collègue universitaire, le maître in theorica medicine, Sigismondo Polcastro39, pourrait ainsi trouver une explication. De même, dans le Libreto de tute le cosse che se manzano, Michel Savonarole fait preuve de la plus grande discrétion. L’eau ardente est mentionnée au chapitre du vin par les mots l’aqua de vita o vero, zoè aqua ardente fatta pur del vino ; elle est seulement dite chaude et sèche au quatrième degré40. À la fin du Libreto, lorsqu’il est question de la prolongation de la vie, aucune allusion n’y est faite ; en revanche, des pilules contenant de l’or pur sont prescrites. Contrairement à ce qu’il énonçait dans le De aqua ardenti, Michel Savonarole semble donner sa préférence à l’or dans le Libreto, comme dans la Practica Maior où il l’inclut dans diverses préparations. En cette dernière œuvre, l’or est également considéré comme le métal le plus approprié pour appliquer les cautères, en vertu de sa complexion tempérée, comparable à celle de l’homme. L’auteur déclare suivre sur ce point Pietro d’Abano, mais s’écarter de Mésué (le pseudo), qui préconisait le cuivre, et du chirurgien Albucasis, qui optait pour le fer41.
16Au terme de cette recherche d’indices glanés parmi certaines de ses œuvres, l’engagement de Michel Savonarole dans une démarche alchimique s’avère difficile à cerner et à mesurer. La qualité diverse des destinataires et le ton de légèreté affectant parfois ses écrits contribuent sans aucun doute à masquer la véritable personnalité de l’auteur, qui mérite pleinement le titre de polygraphe. Cependant, le modèle alchimique, ou du moins celui de la transformation de la matière, semble avoir influencé sa pensée médicale. On sait combien l’alchimie a utilisé les processus biologiques et physiologiques pour rendre compte de ses propres interventions42. La lecture des œuvres de Michel Savonarole suggère une sorte de renversement : c’est le modèle alchimique qui aide à comprendre les processus biologiques et physiologiques. La définition de l’aliment donnée dans la Practica maior en fournit un exemple.
« L’aliment est tout ce qui, entrant dans le corps humain, opère par la matière, car il est tellement passible et transmutable par la chaleur de notre corps que sa matière perd sa forme préexistante pour recevoir la forme d’un membre, d’un esprit ou d’une humidité quelconque de notre corps. On distingue l’aliment nutritif et l’aliment médicinal. L’aliment médicinal est celui qui est transmuté en corps et qui altère le corps de façon notable, bien qu’il soit plus transmuté qu’il n’altère. L’aliment nutritif est celui qui est tellement transmuté qu’il n’altère pas de façon notable »43.
17Cette définition, banale sur le fond, tranche quelque peu par sa formulation dans un contexte médical. Comparons avec celle du Canon d’Avicenne, œuvre que prétend suivre fidèlement Michel Savonarole : « Comme l’aliment n’est semblable qu’en puissance à ce qui est nourri, a été créée la virtus immutaüva afin de rendre les aliments semblables en acte à ce qui est nourri. Pour cela ont été créés les instruments et les voies qui permettent d’attirer, d’expulser, de retenir et de digérer »44. Le vocabulaire choisi par Michel Savonarole et l’omission des interventions proprement physiologiques placent sa définition dans un cadre plus conforme à la transformation de la matière qu’à la digestion. De même l’idée d’un passage de la potentialité à l’acte a disparu.
18Sans faire état des importants débats à la fois théologiques et médicaux qu’a suscités au Moyen Âge la question de la formation de l’embryon, le Speculum phisionomiae livre une vision assez succincte de la génération, inspirée d’un passage du De generatione animalium d’Aristote qui postule l’intervention dans le sperme d’un pneuma analogue à l’éther45. Michel Savonarole suit sur ce point la description donnée par Pietro d’Abano dans sa Compilatio phisionomiae, qui distinguait deux sortes de chaleur (ou esprits) coopérant à la formation de l’embryon : la chaleur céleste, octroyant au sperme une nature proportionnée à l’ordonnancement des astres (facit sperma naturam habens proportionalem astrorum ordinationi), et la chaleur élémentaire ou ignée, rendant la matière apte à accepter la forme, par échauffement, amollissement, isolation des homogènes, séparation ou rassemblement des hétérogènes suivant les besoins. Toutes ces opérations étaient attribuées à la vertu informative, comparée au forgeron travaillant le fer à l’aide du feu et des marteaux46. Michel Savonarole reprend l’ensemble de la présentation de Pietro d’Abano, mais il la modifie de façon notable : il fait disparaître l’idée d’une nature proportionnée à l’ordonnancement des astres, évoquant seulement l’action d’un calidum celeste\ il remplace l’image du forgeron façonneur de l’ensemble par celle de la séquestration de l’or à partir de l’argent, qui sert à rendre compte de l’action de la chaleur élémentaire47 ; enfin, il ajoute un processus de purification dans la formation des organes principaux. Si l’intention de Pietro d’Abano était de montrer le rôle déterminant des astres dans le façonnement de l’embryon, Michel Savonarole tend plutôt à nous décrire une natura sagax fabriquant le corps, ainsi que le suggère le passage que nous traduisons ci-dessous.
« Comme la génération du vivant est la première participation de l’âme à la chaleur naturelle, selon le De morte et vita48, il fut nécessaire qu’elle s’unît à la chaleur. Mais cette chaleur par laquelle l’écume se fait dans le sperme est double. La première appelée vivifiante et céleste, contribuant le plus à la génération du fœtus lui-même ; l’autre est appelée élémentaire, ignée, consumante, par laquelle, comme dit Aristote, rien d’autre n’est engendré. C’est pourquoi la vertu divine elle-même en coopération avec la chaleur élémentaire met en mouvement la nature du sperme par l’échauffement et l’écume afin que ses parties [du sperme] soient mues, séquestrées et rassemblées. En effet, comme le sperme est constitué de diverses parties, la nature sagace les sépare les unes des autres par la chaleur. Elle divise les homogènes, assemble en leurs lieux hétérogènes et homogènes afin de former avec cette diversité les divers membres. En séparant ainsi les parties elle opère l’agencement, en faisant des parties homogènes les plus dures les os, des moins dures les cartilages, des plus molles les veines et les artères, d’autres parties encore les membranes. Des parties les plus pures elle fait les organes principaux, et de la plus pure de toutes et la plus parfaite, elle s’efforce de produire le cœur. »49
19 On ne peut que rapprocher ces deux chaleurs responsables du processus de la génération de leurs homologues définies dans le De aqua ardenti : l’eau ardente renferme deux types de chaleur, la chaleur élémentaire, qui échauffe et assèche, et la chaleur céleste, c’est-à-dire la chaleur solaire transmise par le vin, qui vivifie50. Malgré sa vénération pour Pietro d’Abano, Michel Savonarole n’est guère intéressé par l’astrologie, ni compétent en ce domaine. Il se contente de répéter les lieux communs, par exemple à propos de l’action des sept planètes sur le développement de l’embryon. La démonstration astrologique qu’il propose dans le De balneis pour justifier la croyance populaire dans le caractère néfaste des années bissextiles51 est d’une grande naïveté et manifeste une légèreté que Pietro d’Abano n’aurait sans doute guère appréciée. Michel Savonarole part d’une constatation : les années bissextiles apportent des calamités, dans la végétation, chez les animaux et les hommes. Or, le calcul de ces années est une invention humaine qui n’a pas de fondement dans le ciel. Néanmoins, la responsabilité ne peut qu’incomber à Saturne et, par voie de conséquence, à l’humeur mélancolique qu’elle régit. En effet, comme il est établi, chaque humeur est affectée d’un rythme ; à son mouvement diurne, dû au cours de la lune, s’ajoute une périodicité constatable dans les fièvres aiguës. Tandis que le mouvement du sang est continu, le flegme est mû quotidiennement, la bile tous les trois jours, la mélancolie tous les quatre jours. Il postule alors que le rythme des planètes ne se mesure pas en jours, mais en années. Le chiffre quatre étant retenu traditionnellement pour le couple Saturne-mélancolie, cela explique les calamités des années bissextiles. Bel exemple de raisonnement circulaire qui, en outre, ne repose sur aucune donnée astronomique. Michel Savonarole avoue lui-même être le premier à avancer une telle interprétation. Il s’avère en ce cas moins prudent qu’à son habitude ; tout en affirmant l’influence des astres sur la terre et sur l’homme, il s’en remet généralement aux astrologues52. Peu enclin à entrer dans les détails techniques, il est surtout attaché à la notion d’ordre, nécessaire à la cité comme au monde : « Dieu tout puissant, lorsqu’il a conçu de créer le monde, a créé d’abord le ciel, car il voulait que toutes les créatures fussent régies par lui comme par leur roi [...] En effet, de même qu’un ordre est nécessaire au bien-être des peuples, de toute la vie politique et économique, et qu’il faut que l’inférieur obéisse au supérieur (car tout, autrement, irait à la ruine), ainsi est-il nécessaire que le monde d’ici-bas suive l’influx du monde supérieur, sinon tout irait à la ruine »53. Cette vision ordonnée du monde implique au sommet de la hiérarchie la présence d’un chef. Ce n’est pas tant en l’influence particulière de tel ou tel astre que croit Michel Savonarole qu’en l’hégémonie du soleil. La phrase « l’homme et le soleil engendrent l’homme »54 est répétée inlassablement et à tous propos dans chacune de ses œuvres. À la moindre occasion, cet astre – et par voie de conséquence le cœur qu’il régit – est glorifié. Les exemples pourraient être multipliés ; nous nous contenterons de celui-ci qui rassemble divers qualificatifs, dont une étymologie de style isidorien : « le soleil est comme seul luisant, car il est la source de toute lumière ; son rayonnement illumine les mondes inférieur et supérieur ; c’est une planète fortunée, chaude et sèche ; il est dit œil du monde, joie du jour, beauté du ciel etc. »55. Cette admiration ne serait que banale si elle ne revenait incessamment et si l’action de la chaleur solaire n’était toujours privilégiée. Responsable de l’ampleur de la poitrine des hommes, dont le cœur est plus chaud que celui des femmes56, elle aide aussi aux opérations de la matière. Ainsi, les eaux minérales transportées dans des récipients hors de leur lieu d’origine perdent de leurs vertus, car elles ne reçoivent plus l’action du soleil ; de même, les résidus solides obtenus après une douce sublimation doivent être de préférence séchés au soleil57. Il est patent que si l’art peut imiter la nature, c’est, selon Michel Savonarole, avec l’aide du soleil. Au milieu des contradictions et des légèretés que nous avons notées, cet héliocentrisme semble une conviction solidement enracinée. Il resterait à se demander ce qu’il représente exactement dans la pensée d’un homme profondément religieux, mais, là encore, les liens avec une tradition alchimique ne sont pas à exclure58. L’œuvre de Michel Savonarole mériterait d’être plus finement analysée sous cet angle59 et d’être replacée dans le courant qui mène aux spéculations hermético-alchimiques du xvie siècle.
Notes de bas de page
1 A.G. Little et E. Withington (éd.). Opéra hactenus inedita Rogeri Baconi, IX, Oxford, 1928, pp. 150-171.
2 D. Jacquart, « Theory, Everyday Practice, and Three Fifteenth-Century Physicians », Osiris, 2e sér., 6 (1990), pp. 140-160.
3 On admet généralement que le Liber Abuali Abincine de anima in arte alchemiae et la lettre Ad Hasen regem de re tecta sont apocryphes ; il est néanmoins possible qu’ils aient été composés par Avicenne antérieurement à la critique de la transmutation, présentée dans le Šifā’. Voir la mise au point de R. Halleux, Les Textes alchimiques, Turnhout, 1979, (Typologie des sources du Moyen Age occidental, fasc. 32), p. 69.
4 Voir D. Jacquart, Aristotelian Thought in Salerno, dans P. Dronke (éd.), A History of Twelfth-Century Western Philosophy, Cambridge, 1988, pp. 407-428.
5 L’expérience sur la masse sanguine figure dans le Canon, I, 1.4.1. Elle est relatée dans le De erroribus medicorum, éd. cit., pp. 156-157 ; Roger Bacon se trompe lorsqu’il déclare qu’Avicenne s’oppose à Galien qui aurait énoncé que seul le sang nourrit les différentes parties du corps : Galien lui-même réfute cette idée proposée par certains. Expérience sur les os et les poils : Canon, I, 1.2.
6 Il s’agit de l’opuscule célèbre De congelatione et conglutinatione lapidum, le plus souvent annexé au quatrième livre des Météorologiques. Éd. E.J. Holmyard et D.C. Mandeville, Avicennae « De congelatione et conglutinatione lapidum » being sections of the « Kitâb al-Shifâ ’ », The Latin and Arabie texts edited with an English translation of the lutter and with critical notes, Paris, 1927.
7 Practica maior, éd. Venise, 1559.
8 Sur le passage éventuel de Paracelse à Ferrare voir la notice de W. Pagel dans Dictionary of Scientific Biography, vol. X, New York, 1974, p. 304.
9 La monographie de référence sur Michel Savonarole reste celle de A. Segarizzi, Della vita e delle opéré di Michèle Savonarola medico padovano del secoloxv, Padoue, 1900. Voir aussi T. Pesenti, Professori e promoto ri di medicina nello Studio di Padova dal 1405 al 1509, Padoue, 1984, pp. 187-196 (contient la liste de ses œuvres) et ead., « Michele Savonarola a Padova : l’ambiente, le opere, la cultura medica », Quaderni per la storia dell’ Università di Padova, 9-10 (1976-1977), pp. 45-102.
10 Galien lui-même raillait les longues barbes des sophistes dans le De differentiis pulsuum 2.3, voir P. Moraux, Galien de Pergame : Souvenirs d’un médecin, Paris, 1985, pp. 84-88. Ajoutons que c’est aussi un topos de certains alchimistes, voir W. Ganzenmüller, L’Alchimie au Moyen Age, traduit de l’allemand par G. Petit-Dutaillis, Paris, [1940], p. 162.
11 Le De aqua ardenti fut imprimé la première fois à Pise en 1484. Il fut réimprimé à Haguenau en 1532 et à Bâle en 1561 avec les œuvres de Jean de Rupescissa et du pseudo-Lull sur la quintessence. Édition de la version italienne : L. Belloni, I trattati in volgare delle peste e dell’ acqua ardente, Rome, 1953.
12 Voir en particulier R.J. Forbes, Short History ofthe Art of Distillation, Leyde, 1948, pp. 65-67. Repris par S. Colnort-Bodet, Le Code alchimique dévoilé, Distillateurs, alchimistes et symbolistes, Paris, 1989, pp. 184-185.
13 Je me réfère à l’édition de Bâle, 1561, p. 240.
14 Édition de ces Consilia·. E.O. von Lippmann, « Thaddäus Florentinus (Taddeo Alderotti) über den Weingeist », Archiv fur Geschichte der Medizin, 7 (1913-1914), pp. 379-389. Sur Taddeo Alderotti, voir N.G. Siraisi, Taddeo Alderotti and his pupils. Princeton, 1981.
15 Éd. Bâle, 1561, p. 270 ; éd. Belloni, p. 62.
16 Ibid.
17 « Une practica s’ouvre souvent par une introduction qui met le lecteur en garde contre l’obscurité des anciens livres et leur vocabulaire confus, contre les imposteurs, contre les compositions inefficaces, contre le découragement et les diverses difficultés qui peuvent surgir. » (R. Halleux, Les Textes alchimiques, p. 80).
18 Éd. Bâle, 1561, p. 243.
19 Ibid, pp. 245-246. Cette description trouve son origine chez Jean de Rupescissa, cf. R. Halleux, « Les ouvrages alchimiques de Jean de Rupescissa », dans Histoire littéraire de la France, t. XLI, Paris, 1981, p. 254.
20 « Primus quod que de ardenti aqua scripta sunt intelligi debent in egritudinibus precipue frigidis, que sic conferre visa sunt. Aqua enim quant essentiam quintam notam nominavimus in omnibus indifferenter valet et de hac non est sermo noster » (ibid., p. 287).
21 Ibid., p. 242. Pour Taddeo Alderotti, voir éd. von Lippmann, p. 382.
22 « Aqua ardens, vint spiritus est et anima, ut actum [...] Vini quidem caliditatem a celesti calore solari emanari minime hesitabitur, cum ab eo uvarum maturatio omnino fieri comprehendimus. Itaque vini calorem celestem divinumque esse non indigne Antiqui enuntiarunt. Calor quidem celestis humano calori coniunctus, cum hominem generet, arbitrandum equidem est et ipsum nutrire et vitam in longum ducere posse. Nam cuius potentia in maius est, in minus posse fatendum est. Quamobrem cum homo et sol generent hominem, inquit Aristoteles, id concedendum ut calor vini calori nostro, ut Princeps [Avicenna] ait, maxima sit cum proprietate coniunctus [...] Que autem dicta ac dicenda sunt, sic planiora fiant, accipiendum duas in ardenti aqua caliditatis actiones esse. Primam quidem elementarem qua exiccat et corpora calefacit, cuius dominium super alteram posuimus, nam per eam calidam et siccam enunciavimus. Reliquam celestem, vivificativam. a vino contractam, quam in eum sui in creatione Solaris virtus impressit [...] Plane itaque asserendum est, ut arbitror, elementarem celestemque caliditatem ardentem aquam in se possidere, et amplexatam sic eam naturam dividere diversisque in operationibus eius uti, ut elementarem in superfluitatum consumptionem convertat, celestem vero in spiritus generationem » (éd. Bâle, 1561, pp. 279, 290, 302).
23 Ibid., pp. 292-293. Éd. Belloni, p. 75.
24 L. Thomdike, A History of Magic and Experimental Science, vol. IV, New York – Londres, 1934, pp.197-214.
25 « De sulfure [...] Et quoniam ab alchimistis, ut ab Ermete Trimegesto, ut semen ponitur masculinum ipsumque cum argento vivo commixtum ut cum uxore in omnia alia convertibile, que res non contingeret nisi merito sue incomplete substantie [...] » (éd. Ferrare, 1485, fol. 80v). Une citation du De mineralibus d’Albert le Grand suit cette affirmation. La foliotation que nous signalons de l’édition de Ferrare est celle présente dans l’exemplaire annexé au manuscrit latin 7357 de la Bibliothèque nationale.
26 Éd. Ferrare, 1485, f. 82v.
27 Cf. éd. E.J. Holmyard et D.C. Mandeville, op. cit., pp. 53-54. Le texte utilisé par Michel Savonarole semble se rapprocher (mais sans complète coïncidence) des éditions de Bologne 1501 et de Lyon 1528, dont les variantes apparaissent en notes.
28 De façon troublante, Michel Savonarole clôt la discussion par une phrase qui se rapproche de l’arabe, mais qui ne se trouve pas dans la traduction latine, telle qu’elle est éditée dans l’ouvrage de E.J. Holmyard et D.C. Mandeville. Traduction anglaise du texte arabe donnée dans cet ouvrage : « There is much I could hâve said upon this subject if I had so desired, but there is little profit in it nor is there any necessity for it here ». Texte de Michel Savonarole : « Et his prosequi non utile facio, quare ab eorum narratione supersedeo ». 11 est possible que Michel Savonarole se soit référé à un manuscrit qui comportait cette phrase, mais nous n’avons pu le vérifier dans le cadre de cette communication. Il peut s’agir aussi d’une simple coïncidence pour une phrase d’une grande banalité.
29 J. Nystedt (éd.), Libreto de tute le cosse che se manzano. Un libro di dietetica di Michele Savonarola, medico padovano del secolo xv, Stockholm, 1982, p. 177.
30 « Ex quo patere potest modus compositionis aliqualiter receptaram qui, quamquam difficilis sit, a sapientibus facile comprehendi potest. Ex quibus non vereor inferre quod recepte in apothecis ordinale sunt secundum plurimum casuales et ut proprius loquar fortunales, quoniam egris non raro fortunam prebent. Infertur secundo quod non debent iuvenes medici verecundari studere receptas in eorum studiis et eas sic confectas in apotheca portare » (Practica maior, V. 3, éd. Venise, 1559, f. 10v).
31 La subdivision des degrés en trois parties remonte à Galien, cf. G. Harig, Bestimmung der Intensitat in medizinischen System Galens, Berlin, 1974, pp. 118-119. Le terme de mansiones fut diffusé par la traduction du commentaire de ’Ali ibn Ridwān au Tegni de Galien, élaborée par Gérard de Crémone (éd. Venise, 1513, fol. 35v.). Arnaud de Villeneuve, dans ses Aphorismi de gradibus, utilisait le terme de mete. Voir sur cette question : M.R. McVaugh (éd.), Aphorismi de gradibus, Grenade-Barcelone, 1975 (Amaldi de Villanova, Opéra medica omniall), pp. 233-235. Cette subdivision n’est réellement prise en compte, au Moyen Âge, que par les théoriciens de la phamacologie. Michel Savonarole ne se réfère à aucune source précise ; il mentionne seulement auctores nostri (Practica maior, V. 3, f. 9r).
32 Ibid., f. 9v. Sur la « fermentation » avicennienne, voir M.R. Mc Vaugh, Aphorismi..., p. 35.
33 Practica maior, VI. 10. 16.
34 Ibid., III. 6. 6.
35 Jean de Rupescissa, De consideratione quintae essentiae, éd. Bâle, 1561, p. 41. Rappelons l’attribution à Arnaud de Villeneuve d’une Epistola de sanguine humano, très diffusée, qui décrit la fabrication d’un élixir de longue vie à partir de la distillation de sang humain, cf. J.A. Paniagua, El maestro Arnau de Vilanova medico. Valence, 1969 (Cuadernos Valencianos de Historia de la Medicina y de la Ciencia VIII, Série A), p. 79.
36 Ms. Bibl. Riccardiana, 2153, ff. 165r-166v, cf. L. Belloni, I trattati in volgare..., p. XXX.
37 « Et si aqua vitis simplex in peste a quibusdam acusatur, hec equidem in preservatione minime acusare poterunt », cf. L. Belloni, op. cit., p. 17. Cette recette, sans la restriction, apparaît dans le De aqua ardenti, éd. Bâle, 1561, p. 315.
38 Cf. M. Pereira, The Alchemical Corpus Attributed to Raymond Lull, Londres, 1989 (Warburg Institute Surveys and Texts), p. 27. Michela Pereira, dans son étude de la diffusion des œuvres pseudolulliennes en Italie, oublie de mentionner Michel Savonarole.
39 Sur ce médecin, voir T. Pesenti, Professori e promotori..., pp. 167-170.
40 Ed. J. Nystedt, p. 131.
41 Practica maior, VI. 10. 9.
42 Nous renvoyons à l’article de C. Crisciani, Il corpo nella tradizione alchemica : teorie, similitudini, immagini, à paraître dans Micrologus.
43 « Cibus est omne quod ingrediens corpus humanum est in eo a materia operativum, quia taliter a calore nostri corporis passibile et transmutabile ut eius materia preexistentem formam perdet et formam membri aut spiritus aut alterius humiditatis nostri corporis recipiat. Et dividitur cibus in cibum cibalem et cibum medicinalem. Cibus medicinalis est cuius est transmutari in corpus et corpus alterare notabiliter, licet magis transmutetur quam alteret. Cibus cibalis est cuius est ita transmutari quod non alteret notabiliter » (Practica maior, II. 2.1, f. 20v).
44 « Propterea quod nutriens non fuit simile nutrito nisi in potentia, ideo creata fuit virtus immutativa quatinus nutrientia mutet in similitudinem nutritorum in effectu. Et ad hoc creata fuerunt instrumenta et canales qui sunt ad attrahendum et expellendum et retinendum et digerendum » (Canon, I, 3, capitulum singulare).
45 « Il y a toujours dans le sperme ce qui rend les semences fécondes, c’est-à-dire ce qu’on appelle la chaleur. Or cette chaleur n’est ni du feu, ni une substance de ce genre, mais le pneuma emmagasiné dans le sperme et dans l’écumeux, et la nature inhérente à ce pneuma et qui est analogue à l’élément astral » (Aristote, De la génération des animaux, II. 3, 736b, éd. et trad. P. Louis, Paris, 1961, p. 61). Nous avons remplacé par pneuma le terme de « gaz » utilisé par le traducteur. Sur cette conception d’Aristote, voir M. Roussel, « Ether et chaleur dans l’embryologie aristotélicienne : influences archaïques », dans Mélanges d’études anciennes offerts à Maurice Lebel, Québec, 1980, pp. 157-160. Sur le statut des deux sortes d’« esprits » dans les conceptions embryologiques médiévales, voir M.A. Hewson, Giles of Rome and the Médiéval Theory of Conception, Londres, 1973, pp. 95-120.
46 Pietro d’Abano, Liber compilationis phisionomiae, III. 3. 8, éd. Padoue, 1474. Sur l’utilisation de Pietro d’Abano par Michel Savonarole, voir G. Federici Vescovini, « Pietro d’Abano e la medicina astrologica dello Speculum physiognomiae di, Michele Savonarola », dans Musagetes, Festschrift fur Wolfram Prinz, Berlin, 1992, pp. 167-177.
47 « Alterum elementale dictum igneum eius est eterogenea sequestrare ut in sequestratione auri ab argento ab ipso calido igneo fteri percipimus » (Spéculum phisionomiae, ms. Paris, Bibl. nat., lat. 7357, f. 59v).
48 Cf. Aristote, De la jeunesse et de la vieillesse et de la vie et de la mort et de la respiration 24 (18), 479a : « La naissance est donc la première participation de l’âme nutritive à la chaleur, et à la vie » (éd. et trad. R. Mugnier, Paris, 1965, p. 131).
49 Speculum phisionomiae, ms. lat. 7357, f. 60r-v : « Cum generatio viventis sit participatio prima anime in calido naturali De morte et vita, eam calido comitari necesse fuit. Hoc autem calidum quo spumificatio in spermate fit duplex accipitur. Primum quidem vivificativum et celeste nominatur ad ipsius fetus generationem quam maxime faciens, aliud elementare igneum consumptivum, per quod, ut Aristoteles, nullum aliud generatur primum. Itaque virtus ipsa divina calore elementari cooperante sic naturam spermatis calefaciendo, spumificando agitat ut eius partes commoveantur sequestrenturque et congregentur ; nam, cum sperma diversis ex partibus constitutum sit, natura sagax illas adinvicem calore segregat. Et homogenea ab homogeneis dividens, homogenea, heterogenea suis in locis congregantur ut ex ipsis diversis diversa posset membra formare. Unde sic partes separando lineationes constituit ut ex partibus durioribus homogeneis ossa, ex minus duris cartilagines fiant, ex mollioribus vene et arterie, ex aliis panniculi. Ex purioribusque partibus membra fiant principalia et ex harum omnium parte puriori atque perfection cor producere nititur. »
50 Cf. supra.
51 De balneis, éd. Ferrare, 1475, ff. 102r-103r.
52 Par exemple, à propos de l’influence des astres sur la nocivité des eaux thermales : « Quod autem aqua termarum quandoque a stellis et celo alteretur fiatque morbosa non nego, sed hec indagatio astronomi est » (ibid., f. 101 v).
53 « Nam Deus ipse omnipotens cum mundum creare concepisset, primum celum creavit, cum omnia creantia volebat ab ipso tamquam a suo rege regi debere... Nam quemadmodum ad bene esse populorum et totius vite politice ac yconomice necessarius ordo est eaque dependentia ut inferior superiori obediat, quoniam aliter omnia tenderent in ruinam, sic necessarius est ordo horum inferiorum ad superiora et eorum in ea influxus, secus autem omnia in ruinam tenderent » (ibid., f. 102v).
54 Cette phrase s’inspire d’Aristote, Physique, II. 2, 194b « car ce qui engendre un homme, c’est un homme, plus le soleil » (éd. et trad. H. Carteron, 6e éd., Paris, 1983, p. 64).
55 « Sol dicitur quasi solus lucens, quia fons totius luminis est, cuius irradiatione inferiora et superiora illustratur, planeta per se fortunatus est, calidus et siccus, qui mundi oculus dicitur et iocunditas diei ac celi pulcritudo... » (Spéculum phisionomiae, f. 66r).
56 Cf. D. Jacquart, « La morphologie du corps féminin selon les médecins de la fin du Moyen Age », à paraître dans Micrologus.
57 De balneis, ff. 87r, 108v.
58 Sur héliocentrisme et alchimie, voir S. Colnort-Bodet, Le Code alchimique dévoilé, pp. 60-67. A la glorification du soleil faite par Michel Savonarole, on peut opposer le rôle prépondérant accordé par Pietro d’Abano à la lune, censée recevoir et refléter les influences de toutes les planètes (y compris le soleil) et régir le monde de la génération et de la corruption (« luna cui ceteri planete suam dant dispositionem, cum hoc quod ipsa naturam hanc régit inferiorem generabilem et corruptibilem », Conciliator, diff. 104, éd. Mantoue, 1472).
59 Nous n’avons pu livrer ici que les réflexions d’un historien de la médecine ; une lecture par un spécialiste de l’alchimie, à la fois opératoire et spéculative, serait des plus éclairantes.
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