Chapitre VIII. [18, 19 ; 22, 30]
p. 99-105
Texte intégral
11. <73a14-17> Te semble-t-il qu’il soit1 convenable de chercher au sujet de ces substances si elles sont une ou plusieurs <je veux dire> celles qui n’ont pas de grandeur (et) que rien ne souille de la matière ? Il convient que nous enquêtions à ce sujet, car ceux qui furent avant nous, parmi ceux qui ont défendu les substances que la matière ne souille pas (et) qui ne se meuvent pas, n’ont rien dit de clair sur leur quantité. Et ils n’ont rien dit non plus de détaillé sur le nombre des substances en faveur desquelles ils parlaient. <73 a17> Certains d’entre eux ont défendu les formes. En effet, ils ont enseigné que la substance des formes n’est pas souillée par la matière, et qu’elles ne se meuvent pas. Pourtant, [23] ils n’ont (rien) dit de leur nombre, mais ont posé que ce qu’il en est est douteux, à la façon des nombres dont nous ne savons pas à combien ils se montent. <73a18-21> Ils disent en effet des formes qu’elles sont des nombres, (et) tantôt ils les prolongent jusqu’à l’infini, tantôt ils leur imposent dix comme limite.
22. [23, 4] <73a22> Quant à nous, il convient que nous supposions à partir des choses que nous avons posées comme prémisses et que nous avons définies, que ⎡a le principe premier est unique, que la matière ne s’y mêle pas, qu’il n’est pas un corps, /26/ et qu’il meut d’un mouvement premier perpétuel et éternel (tout en restant) en dehors de tout mouvement et changement. Et quant au fait qu’il y a après ce principe premier2 plusieurs substances dont l’état est le même, [19] le raisonnement le déduit avec nécessité et le sens en témoigne.
33. <73a26s.> Le mouvement de tout ce qui se meut vient d’un moteur. Il faut nécessairement que la cause première soit unique et qu’elle ne se meuve ni par son essence ni par accident3. Quant aux substances qui meuvent les corps qui sont après elle, il faut nécessairement qu’elles soient autant que les corps qui se meuvent, qu’elles soient immobiles en leur essence, mais qu’elles se meuvent par accident, comme l’argument le rend nécessaire dans le cas 4 de l’âme.⎦ Et il n’est pas nécessaire que nous les posions seulement (comme) immobiles, mais aussi comme perpétuelles. En effet, <73a34ss.> la nature des astres est une des substances éternelles, et leur moteur est éternel. En effet, il est antérieur à ce qui se meut, et ce qui est antérieur à la substance est sans nul doute une substance.
44. <73b3s.> Maintenant, pour être fixé sur le nombre des puissances, il faut prêter attention à ce que nous en fait connaître la science qui est unie à la philosophie, à savoir la science des astres. En effet, cette science est celle qui s’efforce d’éclaircir le nombre des mouvements qui meuvent chacun des astres errants, et le nombre des sphères qui le meuvent. Or, le nombre des sphères qui portent les astres et le nombre des sphères qui les guident est différent selon callippe de ce qu’il est selon EUDOXe. Il faut malgré tout que nous rappelions que le nombre des puissances motrices correspond au nombre des corps qui se meuvent, <73b2s.> que, parmi les puissances, une (est) première, une seconde, dans le même ordre que les sphères, et que la différence entre elles n’est pas seulement par le degré, mais par l’être et la substance, du fait qu’elles vont en décroissant, graduellement, vers le plus défectueux. C’est pour cette raison que leurs degrés (forment) un premier et un second, car ce qui est rendu nécessaire pour (chaque sphère) et qui s’ensuit de (cette situation), c’est une différence quant à la substance.
55. Si j’ai dit que <73b4s.> la science des astres est très unie à la philosophie, c’est seulement parce qu’elle seule cherche la substance sensible éternelle. <73b6s.> Quant au reste des mathématiques, leur recherche porte sur les accidents qui affectent les corps : la géométrie étudie la quantité continue et l’arithmétique étudie la quantité discrète. <73b8s.> Même pour celui qui ne comprend que peu de choses à la science des astres, c’est un fait que chacun des astres se meut de mouvements nombreux, et que chacun des corps qui se meuvent est manifeste et visible.
66. [23, 27] <73b10s.> Quant à (savoir) quel est le nombre de chacun d’eux, et quel est le nombre de tous les mouvements des astres errants, ce qu’il faut que nous en mentionnions ici est ce qu’ont dit certains des savants en géométrie, de telle sorte que nous le comprenions et afin que nous puissions nous représenter dans notre intellect leur nombre avec précision. <73b13s.> Quant au reste de ce qui suit, il faut que nous cherchions nous-mêmes certaines (de ces choses), /27/ et que nous en apprenions certaines de la bouche de qui cherche là-dessus. Si nous trouvons là-dessus quelque chose de meilleur que ce qu’ont trouvé jusqu’à présent ceux qui ont étudié et cherché là-dessus, nous apporterons toutes (ces choses), et nous recevrons de ceux d’entre eux qui se sont distingués dans la recherche.
77. Je dis qu’ <73b17> eudoxe a posé que le mouvement du soleil et (celui) de la lune [24] dépendent chacun de trois sphères :
8(1) <73b18s.> le premier est la sphère des étoiles fixes ;
9(2) <73b19s.> le second est la sphère du Zodiaque ;
10(3) <73b20s.> le troisième est la sphère inclinée à travers la largeur du Zodiaque.
11<73b21s.> L’inclinaison de la sphère sur laquelle tourne la lune est plus large que l’inclinaison de la sphère sur laquelle tourne le soleil.
12<73b22s.> Quant aux astres errants, il pose que le mouvement de chacun dépend de quatre sphères :
13<73b24s.> (1) La première et (2) la seconde de ces quatre sphères sont la première et la seconde sphères du soleil et de la lune.
14<73b25-27> En effet, la sphère des étoiles fixes est le moteur de toutes les sphères, et les mouvements de ce qui est en-dessous de cette sphère, à savoir la sphère du Zodiaque, sont communs à toutes les sphères.
15(3) <73b28s.> Quant à la troisième sphère, ses pôles sont particuliers, autres que les autres sphères, sur le centre de la sphère du Zodiaque.
16(4) <73b29> Quant à la quatrième sphère, son mouvement est selon le cercle incliné à partir du centre de cette sphère.
17Pour chacun des autres astres, sauf Vénus et Mercure5, les pôles de la troisième sphère sont deux pôles particuliers. Quant à Vénus et Mercure, leurs pôles sont communs.
18Voilà ce qu’a posé eudoxe.
198. <73b32-34> Quant à callippe, il a placé les sphères dans la même situation que celle qu’avait posée eudoxe, à savoir la gradation de leurs distances réciproques. <73b34s.> Et il est également d’accord avec lui quant au nombre des sphères de Jupiter et de Saturne. Mais il pensa qu’il fallait ajouter au soleil comme à la lune deux sphères, afin que ceci s’accorde avec ce qui est vu par l’œil en ce qui les concerne. <73b37> Quant aux autres astres errants, il semble qu’il faille ajouter à chacun d’eux une sphère.
209. <73b38> Mais il est nécessaire, si toutes (ces sphères) sont à même, une fois combinées, de correspondre à ce que voit l’œil, qu’il y ait pour chacun des astres errants (autant) d’autres sphères moins une qui les fassent tourner ; <74a3s.> et l’étoile d’en-dessous tournera jusqu’à ce que la première sphère revienne perpétuellement au lieu d’où elle avait commencé6. <74a4> En effet, c’est seulement ainsi que toutes peuvent tourner par la révolution de la sphère des étoiles fixes.
2110. <74a6> Puisque ces sphères dans lequelles se meuvent ces (astres) sont, les unes huit et les autres vingt-cinq <74a7> et que seules les sphères par lesquelles /28/ se meut l’étoile qui est en-dessous d’elles (toutes) ne doivent pas tourner, <74a8> les sphères qui font tourner les deux premières sont six, et celles qui font tourner les quatre autres sont seize. <74a10> Le nombre des sphères, celles d’entre elles qui se meuvent et celles qui font tourner ces sphères, sera en tout de cinquante-cinq. <74a12> Si l’on n’ajoute pas au soleil et à la lune les mouvements que nous avons rappelés, le nombre des sphères sera de quarante-sept. [24, 25] <74a14> Et les mouvements seront en ce nombre.
2211. <74a15> Il faut dire, en outre, que le nombre des substances et des principes qui les7 meuvent sans être mus, et le nombre des substances sensibles, sont égaux à ce nombre. En effet, il est nécessaire que le nombre des mouvements soit égal au nombre des sphères qui se meuvent, et que le nombre des causes motrices soit égal au nombre des mouvements. <74a16s.> Il nous faut déclarer de façon décisive que ceci suit de ce que nous avons rappelé ; quant à décider que le nombre de ces mouvements est tel nombre, nous n’avons pas à le faire. Nous laissons la décision nécessaire à ce sujet à ceux dont c’est le métier, et qui sont là-dessus plus forts (que nous).
2312. <74a17> S’il est impossible qu’il y ait un mouvement qui ne se ramène pas au mouvement d’un astre quelconque, il n’est pas possible non plus qu’il y ait une substance et une nature divine oisive et sans action. En effet, l’état de toute cette substance est bon ; elle ne s’interrompt pas dans son action propre, [25] laquelle fait partie de sa définition au sommet de l’excellence, une fois qu’elle a atteint la perfection de la vie perpétuelle. <74a20> S’il en est ainsi, il n’est pas possible qu’il y ait en dehors de ces corps un autre corps qui soit sans mouvement, <74a21s.> mais il faut que le nombre des substances soit ce (même) nombre. <74a22> En effet, s’il y avait là-haut d’autres mouvements, il y aurait également là-haut d’autres corps en mouvement. Or, il n’y a pas là-haut de corps en plus des corps qui se voient. S’il en est ainsi, il n’y a ni un autre mouvement, ni d’autres causes motrices en plus de celles-ci. <74a25> En effet, toute cause motrice, si elle existe, n’existe qu’en vue d’une chose qui se meut. Et tout mouvement existe à partir de son moteur. <74a26s.> Il n’est en effet pas possible qu’il existe un mouvement en vue de soi-même, et pas non plus en vue d’un autre mouvement, mais (il sera) en vue des astres.
2413. Si j’ai dit qu’il était impossible qu’un mouvement existe en vue de soi-même, et pas non plus en vue d’un autre mouvement, c’est seulement parce que la nature a déjà rendu impossible et absurde ce qui se comporte à la façon du vide, lequel n’a pas de sens, et (à la façon) de l’infini. Ce qui s’ensuit de ce qu’un mouvement existe en vue de soi-même, c’est ce qui n’a pas de sens ; <74a28> ce qui s’ensuit de l’existence d’un mouvement en vue d’un mouvement, c’est l’infini.
2514. Puisqu’il en est ainsi, nous cherchons ce qui s’ensuit de ce discours, [25, 13] et nous disons que, si le monde était plus d’un, il serait nécessaire sans nul doute que les causes premières soient également plus d’une ; et à plus forte raison, si toutes étaient sous un genre unique, à la façon des individus, /29/ car les principes seraient également sous un genre unique, et tous entreraient dans le nombre un. Mais <74a33s.> la cause de la pluralité des choses dont la forme est la même, et qui sont plusieurs en nombre, est la matière et l’élément. En effet, <74a34> tous les individus ont une définition unique en soi, et la différence entre Socrate et Platon vient de la matière. Or, la forme première, le premier moteur, est sans mélange de matière, et n’a pas de corps. <74a36s.> Il est donc nécessaire que le premier moteur soit unique dans la définition et dans le nombre. Et le corps qui se meut, s’il est continu (en son) mouvement, sera lui aussi nécessairement unique.
2615. Il n’y a donc pas que <74a38> le monde qui soit unique, comme nous l’avons expliqué dans les « Physiques », mais la cause motrice elle aussi est unique, comme nous l’avons expliqué dans d’autres livres. Ce que nous avons expliqué dans nos propos physiques est nécessaire : il n’y a pas en dehors de lui d’autre corps, ni léger ni lourd. Quant à ce que la démonstration véritable rend nécessaire, dans les propos physiques précédents, à savoir qu’b ⎡ il est impossible que les principes des mouvements soient plusieurs, le plus convenable est que la nature première est une et diffuse 8 dans toutes les sphères, et c’est le désir.
2716. De même que la loi dans le gouvernement de la cité 9 est une⎦, il en est de même du roi. Et toute la société se meut par le désir qu’elle a d’être attirée à la suite de cette loi. En effet, il en est comme nous l’avons dit plusieurs fois : (c’est) comme le désir qui existe lorsque (les sujets) aiment le commandement et le règne du roi à cause du gouvernement dont ils bénéficient. En effet, nous trouvons aussi dans ce gouvernement qui est (ici-bas) chez nous que la chose désirée est initialement une dans le tout : c’est la loi ou le roi. La façon dont la société parvient à s’approcher de l’exécution de ce que commande le roi ne procède pas d’un acte unique [26] de leur part, mais certains (agissent) comme des chefs, certains comme des esclaves, certains des deux façons ensemble, certains comme des ouvriers, certains comme des marins, certains comme des fantassins, certains comme des cavaliers, certains comme des archers. Les actions sont nombreuses, les modes de vie différents, et les mouvements sont aussi très différents, et parfois opposés. Et pourtant, l’intention de tous est d’exécuter une chose unique, et tous convoitent une chose unique à la façon de ce qui est désiré, et c’est afin qu’ils soient dans l’état que le roi a commandé et ordonné.
2817. Cet (ordre) est unique, il ne se meut pas et n’a pas de grandeur. Par comparaison avec ce qui n’est pas lui, il est grand. En effet, les mouvements dont il a l’intention sont nombreux, les actions (accomplies) sont nombreuses, et de même les substances que ces actes affectent. Sauf qu’il les englobe toutes. En effet, il serait impossible qu’elles le désirent, si les formes propres à chacune d’entre elles et leurs actions propres ne dépendaient de lui ; et la dépendance de toutes par rapport à lui est à cause du fait qu’elles sont attirées à sa suite.
2918. [26, 11] Ce qui indique également que ce que nous avons dit est exact, (à savoir) que les substances premières meuvent le monde et les corps célestes, et qu’elles existent à la façon de la société aristocratique, <74a38s.> c’est ce que nous avons reçu des anciens. En effet, eux aussi ont témoigné en disant à la postérité par voie d’allusion que ces /30/ corps sont divins et que le corps divin est uni à toute la nature. <74b3s.> Quant au reste de ce qui suit, il a été ajouté par manière de métaphore, pour persuader le vulgaire, à cause des lois et de ce que (ce procédé) comporte d’utile : ils ont donné à ces formes divines les <74b6> formes d’espèces animales, comme le bélier, les poissons, le lion, et les ont appelées de ces noms, soit d’après les forces qu’elles leur semblaient posséder, soit à cause de leurs actions, soit à cause de leur ressemblance avec ces espèces animales. <74b8> Mais nous, nous avons initialement reçu cette chose unique : les anciens pensaient que <74b9> les substances premières et motrices étaient divines, conformément à ce que nous avons hérité d’eux et dont ils ont établi pour nous la vérité ; (et) j’ai trouvé cela <74b9s.> un discours divin.
Notes de bas de page
Notes de fin
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Thémistius
Paraphrase de la Métaphysique d’Aristote (livre lambda)
Thémistius Rémi Brague (trad.)
1999
« L’art de bien lire »
Nietzsche et la philologie
Jean-François Balaudé et Patrick Wotling (dir.)
2012
L’Idée platonicienne dans la philosophie contemporaine
Jalons
Sylvain Delcomminette et Antonio Mazzu (dir.)
2012
La fêlure du plaisir, vol. 2
Études sur le Philèbe de Platon II. Contextes
Monique Dixsaut (dir.)
1999
La connaissance de soi
Études sur le traité 49 de Plotin
Monique Dixsaut, Pierre-Marie Morel et Karine Tordo-Rombaut (dir.)
2002
L’Euthyphron de Platon
Philosophie et religion
Platon Jean-Yves Chateau (éd.) Jean-Yves Chateau (trad.)
2005