Chapitre V. La philosophie morale de Jean Bodin dans le Paradoxe de 1596
p. 105-123
Texte intégral
1Bodin formule sa philosophie morale dans un opuscule relativement négligé par la critique qu’il publie l’année même de sa mort, en 1596. Rédigé en latin en 15911, sous le titre de : Paradoxon quod nec virtus ulla in mediocritate nec summum hominis bonum in virtutis actione consistere possit, cet ouvrage est contemporain de l’Universae naturae theatrum2 et sans doute aussi du Colloquium heptaplomeres3. Bodin le traduit lui-même en français sous le titre : Le Paradoxe de Jean Bodin Angevin, qu’il n’y a pas une seule vertu en médiocrité, ni au milieu de deux vices ; cette version paraîtra après sa mort, en 15984. Il s’agit d’un cours de philosophie morale, dans lequel Bodin expose, sous forme pédagogique, les fondements théoriques, philosophiques et juridiques de sa pensée. C’est dire l’intérêt de l’ouvrage, mais aussi sa difficulté. On y retrouve, à propos des vertus, la même hétérogénéité des points de vue établie en politique à propos du souverain et des citoyens, l’action humaine étant maintenant considérée dans la sphère privée des volontés individuelles.
2On s’emploiera ici à reparcourir les termes de la question morale dans la pensée de Bodin, en situant les principaux thèmes exposés dans l’ouvrage, dans le contexte théorique des discussions sur la philosophie morale à la Renaissance5, notamment la question du souverain bien, du libre-arbitre et de la vertu ; on tentera, d’autre part, d’en dégager les enjeux théorique et la place dans la pensée bodinienne. On est en présence d’une pensée fortement argumentée qui met les catégories de l’éthique antique au service de la définition des rapports entre l’homme et Dieu, en référence constante à l’Écriture. Ces rapports se disent dans les termes du commandement et de l’obéissance, de la punition et de la récompense.
3Si l’on peut considérer le Paradoxe, comme Diego Quaglioni propose de le faire, comme la clef de lecture de l’ensemble de l’œuvre de Bodin, il faut reconnaître qu’il reste jusqu’à maintenant une crux pour ses interprètes6. Pierre Mesnard a montré, dans un long article datant de 1949, que l’on trouvait dans le Paradoxe une conception profondément religieuse de l’éthique, dans laquelle l’exaltation de la vie philosophique et contemplative débouchait sur une véritable mystique, consonant d’ailleurs tout à fait avec l’expérience prophétique évoquée par Bodin dans la Démonomanie7. C’était définir le Paradoxe comme un texte « judaïsant », par « la manière très explicite dont il se rattache à la tradition mosaïque » (l’Ecriture, mais aussi Maïmonide) et par une théologie simplifiée renvoyant à un judaïsme archaïque, excluant son interprétation dans les termes de la religion naturelle. Par la suite, Paul L. Rose a développé cette idée de manière systématique, dans Jean Bodin and the great God of Nature (1980), en argumentant que dans le Paradoxe, « Bodin travaillait avec un jeu de catégories judaïsées (judaised) qui lui étaient propres »8. L’interprétation du Paradoxe est donc tout aussi complexe que l’identification de la religion bodinienne, à laquelle elle est, on le voit, très étroitement liée.
Le paradoxe : présentation
4L’année de la mort de Bodin, 1596, est aussi celle des éditions latines originales du Paradoxon et du Theatrum et l’année au cours de laquelle Bodin termine lui-même la traduction française du Paradoxon9, qui ne paraîtra qu’en 1598. Publiées chez Denis Du Val, les deux versions de l’ouvrage ne connaissent pas d’autre édition ancienne, si l’on excepte la traduction française qu’en a fait Claude de Magdaillan au début du siècle suivant10. Il s’agit d’une traduction fidèle que l’auteur avait entreprise comme exercice scolaire. On peut penser que Bodin a attaché une importance particulière à la traduction du texte au point de s’y être employé lui-même. C’est un souci qu’il avait à l’époque, comme le confirme la promesse obtenue de Roussin, l’éditeur lyonnais du Theatrum, de publier une traduction française de ce texte, d’après un procès intenté par l’éditeur au traducteur du Theatrum en 159711.
5Le passage à la langue vulgaire correspond à une adaptation consciente à un public plus large : moindre attention à la précision des termes, multiplications des comparaisons et des exemples, suppression des références précises et des termes techniques, suppression de la plupart des notes marginales. On peut imaginer comment Bodin a travaillé à la correction du texte : par déplacement de passages, par développements au fil de la plume. Parmi les variantes entre les versions latine et française, on notera le caractère plus explicite, plus développé de la traduction française. Il faudrait parler d’une version revue et adaptée.
6L’ouvrage se présente sous la forme à la fois pédagogique, mémorative et polémique d’un dialogue entre père et fils12, le Fils parlant généralement en référence à Aristote. La forme dialoguée rassemble l’ensemble de ces caractères ; comme le reconnaît le Père, « en termes de philosophie on ne se doit jamais arrêter à l’autorité : mais il faut balancer tout au contrepoids de la raison : car même Aristote ne fit onques mise ni recette de l’autorité de son maître Platon, non plus que de tous les autres philosophes »13. C’est donc à l’aune de la raison que la pensée philosophique progresse en s’opposant : aux raisons avancées par le Fils qui reflètent sa formation scolaire, le Père répond par ses propres raisons, fondées sur la vision bodinienne de la nature et sur des sources alternatives qu’il révèle inégalement, selon les éditions latine et française du texte.
7Les personnages visent à « tenir un ordre certain, et que le commencement se rapporte à la fin, le milieu à l’un et à l’autre, et chacune partie au total »14. Ce n’est rien d’autre que l’analyse, définie par Bodin, dans la Methodus, comme la « maîtresse de l’enseignement des arts », qui divise, en « assur[ant] la cohérence du tout aux parties »15. Bodin formulait dans des termes semblables l’unité organique qu’il avait donnée à un autre dialogue, confrontant lui aussi un maître et un élève, en la personne du « Mystagogue » et du « Theorus », le Theatrum : « Or nous n’avons rien eu en plus grande recommandation que de garder l’ordre indissoluble de nature, leur cohérence, affinité et consentement, et de montrer comme répond la première extrémité à la dernière et leur milieu avec toutes les deux, et le tout avec une chacune de ses parties »16. Le Theatrum avait l’avantage de préciser que l’ordre adopté dans le livre ne faisait que reproduire celui de la création : partant du principe, il retournait au principe. L’unité du Paradoxe repose plus prosaïquement sur la décomposition de la définition du souverain bien, soit de la formule : « le souverain bien de l’homme ne gît point en l’action de vertu » : Bodin analyse successivement les termes de « bien », de « souverain bien de l’homme », d’« action » et de « vertu »17. Il avait déjà procédé à ce type de « déduction » d’une définition au début des Six livres de la République – en l’occurrence, celle de la « République ». Une telle unité organique n’est pas celle d’un système, mais semble attribuable à une démarche proche de celle que Pierre Hadot prête aux philosophes antiques : « Finalement, j’en suis venu à penser que ces apparentes incohérences s’expliquaient par le fait que les philosophes antiques ne cherchaient pas avant tout à présenter une théorie systématique de la réalité, mais à apprendre à leurs disciples une méthode pour s’orienter aussi bien dans la pensée que dans la vie »18 – ici, la simplicité de la composition de l’ouvrage et la rigueur de la progression dans la confrontation des raisons.
8Le Paradoxe est enfin un texte polémique, dans lequel Bodin oppose à la doctrine aristotélicienne de la mesotès ou du juste milieu généralement reçue, le paradoxe selon lequel il n’y a pas de vertu au milieu de deux vices. Cet énoncé se présente donc sous une forme paradoxale au sens le plus répandu du terme, comme il le note dans l’édition française, qui débute dans les termes suivants :
Fils : Plusieurs ont trouvé bien étrange, que vous mon Père ayez mis en avant ce paradoxe contre l’opinion commune, qu’il n’y a pas une seule vertu en médiocrité ni au milieu de deux vices et que le souverain bien des hommes ne gît point en l’action de vertu19.
9Nous sommes donc ici en présence d’un paradoxe tel que Bodin le définit aussi dans le Paradoxe de Malestroit, lorsqu’il désigne le propos de M. de Malestroit comme « un paradoxe, ou bien une opinion contraire à la commune »20. Mais en affirmant qu’il n’y a pas de vertu au milieu de deux vices, le Paradoxe prononce une affirmation d’inexistence, ce qui le rapproche à nouveau titre du Paradoxe de Malestroit. On se souvient de l’article dans lequel William Monter rapprochait le paradoxe de Malestroit de la théorie de Jean Wier sur la sorcellerie : de la même façon que Malestroit nie la réalité de l’inflation, Wier nie celle de la sorcellerie21. Monter voyait là une méthode propre à Bodin. Le paradoxe proposé ici par Bodin ressemble au paradoxe de Malestroit et à celui de Jean Wier en ce qu’il consiste lui aussi à nier l’existence de quelque chose : inexistence de l’enchérissement dans le cas de Malestroit, inexistence de la sorcellerie chez Wier, inexistence du mal et du vice en morale.
10Toute la différence vient de ce que, dans notre opuscule, c’est Bodin lui-même qui est l’auteur du paradoxe et de l’affirmation d’inexistence. La critique qu’il opposait à Wier et à Malestroit, au nom d’un monde plein dans lequel il y avait peu de place pour l’illusion et l’impossible, mais qui intégrait sans difficultés les démons, les sorciers et l’inflation monétaire, est-elle pour autant infirmée par le Paradoxe ? Autrement dit, au nom de quelle nouvelle position Bodin est-il maintenant l’auteur d’un paradoxe et non son critique ?
11Dans notre opuscule, l’ordre du bien et l’ordre de l’être se correspondent. Par conséquent, le mal n’est pas un principe contraire au bien, mais seulement la privation de bien, comme l’a dit Augustin : pas plus que le mal au bien, le vice ne s’oppose à la vertu. Donc le vice n’existe pas plus que le mal, ou du moins n’existe-t-il que comme privation de vertu :
Car tout ainsi que la vertu est un bien, aussi le vice est un mal : or nous avons montré ci-dessus que le mal n’est rien que privation de bien : et par conséquent le vice n’est que privation de vertu22.
12Le monde de Bodin continue alors d’intégrer les démons, mais comme un « défaut de bien » : ainsi, ils ne sont pas mauvais par nature, mais « moins bons que les anges », et Bodin définit leur rôle dans la nature sur le modèle de celui des bourreaux dans les Républiques :
Mais ce très grand monarque du monde a disposé ses Anges comme gouverneurs et présidents, non seulement en chacune province et cité, ains aussi en chacune famille, voire à chacune personne : comme en cas pareil il a ordonné des bourreaux exécuteurs de sa haute justice, pour prendre la juste vengeance des forfaits d’un chacun23.
13Bodin critique aussi Aristote parce qu’il estime que le bien est fini et le mal infini et procédant de la matière. En disant que la seule origine du mal est la privation de bien, Bodin affirme à la fois que le mal n’est rien d’existant, que la matière n’est pas mauvaise et qu’il n’y a rien d’infini dans un monde qu’il considère comme fini, seul Dieu étant infini24. On voit donc que l’objet de l’ouvrage n’est pas une simple polémique contre Aristote, mais l’intégration de cette polémique, que l’on retrouve dans d’autres textes de l’époque, à l’intérieur d’un exposé complet de la philosophie morale de Bodin et de la métaphysique créationiste sur laquelle elle repose : dans un monde créé par Dieu et entièrement bon, comme l’écrit P. Mesnard, « on se trouve d’emblée en dehors des hypothèses aristotéliciennes »25.
14Il s’agira maintenant de situer sommairement la philosophie morale de Bodin dans le contexte de la problématique morale qui lui est contemporaine.
Bodin et la question éthique
15À la suite d’Aristote, les auteurs de la Renaissance s’accordent pour faire de l’individu le sujet de l’éthique et de la détermination du souverain bien de l’homme l’objet de l’éthique. Au début de l’Éthique à Nicomaque, Aristote a défini le bien (to ariston) comme « ce à quoi toutes choses tendent » (I, 1, 1094 a), identifiant donc le bien avec la fin. Il a défini le souverain bien comme la fin que l’on souhaite pour elle-même et en vue de laquelle les autres fins subordonnées sont poursuivies (1094 a), et identifié celle-ci avec le bonheur (eudaimonia). Pour les auteurs chrétiens du Moyen Âge et de la Renaissance, Dieu seul peut correspondre à cette définition du souverain bien que l’homme ne peut atteindre qu’après la mort, dans la jouissance de Dieu par l’âme immortelle.
16Bodin s’inscrit dans ce schéma : pour lui, Dieu est le Bien et en tant que tel, il est la fin et le principe de tous les êtres créés, dont l’homme26. Mais on est encore en-deçà de l’éthique, puisque, du point de vue de ce rapport avec Dieu, l’homme ne se distingue en rien des autres créatures. Si l’éthique est exclusivement un fait humain, c’est pour une autre raison que Bodin énonce de la façon suivante : Aristote fait du souverain bien le sujet de l’éthique. Mais s’il faut identifier le souverain bien à Dieu, alors le sujet de l’éthique se confond avec celui de la théologie. Il faut donc conclure que Dieu ne saurait être le sujet de l’éthique, mais « l’homme disposé à recevoir la félicité humaine » (en latin, Bodin dit : homo beandus)27. La raison de la distinction vient de la définition aristotélicienne de « toute science qui gît en action », comme « ayant pour sujet la chose à laquelle le fruit et profit d’icelle est acquis », la praxis, non tournée vers la production d’un objet extérieur, comme c’est le cas de la poïésis28.
17En tant que sujet de l’éthique, l’homme poursuit donc à la fois son propre bien : l’accomplissement de sa nature propre ou le bonheur humain, et une fin qui lui est extérieure, Dieu, dans le sens où il sert à la gloire de Dieu, comme les autres créatures. Bodin opère ainsi une disjonction entre le bien et la fin qu’Aristote identifiait : dans une perspective chrétienne, si le souverain bien de l’homme est de glorifier Dieu comme partie de sa création, sa félicité propre consiste dans autre chose : « une très longue et très heureuse vie (...) qui ne s’entend pas seulement de cette vie présente, mais aussi bien de la vie future »29. Or la distinction entre le bien et la fin correspond à une disjonction dans l’ordre de la représentation, ce que nous nous représentons comme notre bien ne correspondant pas au bien que nous devons viser, à savoir la gloire de Dieu. Ainsi, « celui qu’on rôtit tout vif à petit feu [parvient] à la fin à laquelle il était né » : servir à la gloire de Dieu, autant que « le plus méchant (…) au jour de [la] vengeance » divine30.
18La félicité humaine se réalise dans un rapport avec Dieu, selon les modalités suivantes : « Le souverain bien de l’homme ne gît ni en action, ni en contemplation simplement, comme plusieurs estiment, mais bien en une certaine effusion de lumière divine qui advient à l’homme quand il a la vision de Dieu »31. La première position est celle d’Aristote et la seconde, celle de Platon, comme Bodin l’explique un peu plus loin32. Sa critique de Platon porte sur le fait que la contemplation, entendue comme « union de Dieu et de l’âme humaine », tend à confondre le créateur et la créature. Il vise sans doute ici la lecture qu’en propose Marsile Ficin, dans la Théologie platonicienne, qui place le souverain bien dans la contemplation de Dieu par l’âme, contemplation dans laquelle l’intellect devient semblable à l’objet qu’il contemple. Il critique aussi la contemplation entendue comme connaissance, à laquelle il substitue la notion de jouissance de Dieu. Cette critique a pour conséquence de faire de la prophétie le degré le plus proche de la jouissance de Dieu :
F. : Qui pouvons-nous dire être les plus heureux en ce monde après ceux-là que vous avez dit être très heureux ? P. : Ceux à qui Dieu a départi la lumière de prophétie et qui ont la communication du bon Ange que les autres appellent l’intellect actuel, de la splendeur duquel les gens de bien sont instruits par songes et visions de tout ce qu’il faut suivre ou fuir et avertir les Princes et les peuples de la volonté de Dieu33.
19La théorie de l’intellect que l’on trouve chez Averroès est donc au fondement du prophétisme politique que Bodin développe dans la Démonomanie des sorciers, tout particulièrement au livre IV. Mais l’enjeu théorique essentiel du dépassement de la contemplation est de faire de la félicité humaine un acte de la volonté et non de l’intellect.
20Savoir si la fruition de Dieu est le fait de la volonté ou de l’intellect est une question controversée à la Renaissance. D’après The Cambridge History of Renaissance Philosophy, on trouvait déjà la position de Bodin chez Coluccio Salutati, mais c’est chez les philosophes platoniciens que la question est le plus discutée. Même si l’éthique aristotélicienne est dominante, le platonisme introduit son influence dans ce domaine, par l’intermédiaire de Marsile Ficin, qui, dans l’Argumentum de summo bono, identifie le souverain bien avec la contemplation de Dieu (et non avec celle des choses créées), donnant ainsi une version acceptable du platonisme dans une perspective chrétienne. Il faut ajouter que Platon est considéré à l’époque et notamment par Bodin, au chapitre viii de la Methodus, comme le premier à avoir affirmé que le monde a eu un commencement. Il est donc facilement intégrable à une vision du monde créationiste.
21La controverse se concentre autour de Marsile Ficin, qui a soutenu successivement les deux positions. On se contentera de signaler le cas de Léon l’Hébreu34. Référence privilégiée par Bodin lorqu’il est question du souverain bien dans la République, il n’apparaît pas dans le Paradoxon. Or dans les Dialoghi d’amore, Léon l’Hébreu unit la connaissance et la volonté dans un acte unique qu’il appelle amour intellectuel de Dieu. Son absence ici vient peut-être de ce que Bodin prend très nettement position pour faire de la béatitude humaine un acte de la volonté.
22Faire de la béatitude un acte de la volonté revient à en attribuer la responsabilité à l’homme seul, sans aide extérieure, en l’occurrence, l’aide divine. Cela oblige Bodin à prendre position sur des questions aussi capitales que celles du libre-arbitre et de la grâce. La fruition de Dieu est accessible à une volonté humaine, dans le sens où, ici comme dans le chapitre iii de la Methodus, Bodin définit la volonté libre comme principe de toute action humaine :
Or c’est un point résolu entre tous les philosophes et théologiens, que toutes action sont en la puissance de l’homme, quand le fondement et principe d’icelles sont en la puissance d’icelui : si donc la volonté qui est en nous est le principe de toute action, aussi seront en notre puissance les actions qui d épendent de la volonté35.
23Bodin formule la question en termes de « devoir » (officium) : que doit faire l’homme pour parvenir à la félicité ? Sa réponse est la suivante : il doit « faire les commandements de Dieu »36. Dans le Traité des devoirs (De officiis), Cicéron a fait du libre arbitre la condition de possibilité d’une discussion sur le devoir (il parle d’« une possibilité de choix, sans laquelle on ne peut arriver à découvrir le devoir »37). L’obéissance est donc pensable indépendamment de la contrainte, comme libre adhésion de la volonté. Ici, comme dans le Theatrum, Bodin pense le rapport de l’homme avec Dieu comme un rapport de commandement et d’obéissance, en homologie exacte avec le rapport entre les sujets et le souverain : il oppose Dieu au tyran, à l’égard de qui la crainte ne repose pas sur l’amour des sujets, parce qu’il demande l’impossible, alors que Dieu ne demande que ce qui est accessible à l’homme usant de sa raison naturelle :
Dieu n’a rien commandé d’impossible à faire : ains toutes choses faciles, raisonnables, équitables et naturelles. (…) Il faut donc confesser que nous pouvons toutes fois et quantes que nous voudrons mettre en exécution les commandements de Dieu d’une pure et franche volonté : car Dieu n’aime pas une volonté forcée38.
24Même si Bodin n’exclut pas l’aide extraordinaire de Dieu, que nous savons présente chez lui par l’intermédiaire des anges, il est donc essentiel pour lui que l’homme puisse porter la pleine responsabilité de sa vie morale.
25C’est dire que nous sommes responsables lorsque nous péchons, en désaccord avec Platon, pour qui nul ne fait le mal volontairement :
P. Je ne suis pas d’accord avec Platon, vu qu’il n’y a aucun péché s’il n’est fait de plein gré, et ne suffit pas d’une simple volonté : car la peur et la force contraint souvent de faire chose qu’on ne ferait jamais, si la volont é était franche.
26Dans l’édition latine, Bodin renvoie en note au De libero arbitrio d’Augustin, qui « dit qu’il n’y a pas de péché qui ne soit volontaire »39. Et il prend par la même occasion position contre Pic qui, « dans les Conclusions, interprète l’affirmation de Platon d’après Thomas, lorsqu’il écrit qu’il n’y a pas de péché dans la volonté s’il n’y a défaut dans la raison »40. Bodin poursuivra plus loin sa discussion avec Pic à propos de la liberté de la volonté.
27Une autre conséquence de cette position est le rejet des vertus théologales comme vertus au plein sens du terme. En effet, la foi, l’espérance et la charité, dans la mesure où elles sont exclusivement « infuses par la grâce de Dieu et n’ont d’autre objet ni respect que Dieu même »41, échappent à la fois aux forces humaines et à la représentation du bien, puisqu’elles ne concernent que Dieu seul. Bodin propose au contraire l’amour de Dieu, en tant qu’il a son principe dans une volonté libre, comme un mouvement de la volonté qui ne se retourne pas vers le sujet, mais est orienté tout entier vers son objet. Il en fait le synonyme de ce que les théologiens appellent la « charité » et Salomon, la « vraie sapience »42. Aux vertus théologales, il préfère donc la sapience, présente dans les textes dits sapientiaux, qui précèdent la version qu’en ont proposée les théologiens. Cela vaut aussi pour la foi :
Quand l’homme de bien est tellement saisi de l’amour divin (…), il est ravi à l’aimer et si cet amour procédait de la pure volonté et affection intérieure de l’homme, la vertu en serait beaucoup plus grande et plus illustre que d’être infuse divinement, comme il faut juger en pareil cas pour la foi43.
28Bodin explicite sa pensée en divisant la foi (ou croyance en Dieu), en fonction de la présence de la volonté : « la vraie foi », la science comme croyance, et la foi comme vertu théologale, « divinement infuse » :
C’est que la vraie foi dépend d’une pure et franche volonté, qui croit sans force d’arguments ni de raisonnements nécessaires : et qui est en cela contraire à la science, qui est fondée en démonstration forcée et nécessaire : or si la foi est forcée, ce n’est plus foi : et si elle est divinement infuse, elle ne dépend pas de la volonté intérieure de l’homme ce qui est principalement requis en la foi, ains du commandement extérieur : il y a donc plus de mérite quand elle procède d’une pure volonté, que quand elle est infuse, et qu’elle vient d’autrui44.
29Il reprend ici une distinction qu’il a déjà formulée dans l’épître dédicatoire du Theatrum, entre « l’histoire divine, simple et pure, » qui, « sans aucun ornement ni charme des discours, sans aucune démonstration, ouvre la voie du salut », et « la science naturelle, dont la force est telle qu’elle est seule capable d’arracher [aux hommes] leur assentiment malgré eux, sur la construction et l’origine du monde, à partir de la suite continue des effets et des causes, et sur la puissance infinie du seul Dieu éternel »45. Il établit donc une distinction entre deux origines de la croyance : la croyance résulte d’une libre adhésion à « l’histoire divine », précédemment désignée comme « les préceptes des lois divines » et les « oracles des prophètes » ; mais elle peut aussi être obtenue par le pouvoir contraignant des démonstrations des philosophes. Dans ce cas, la volonté est entraînée dans l’amour de Dieu, reconnu comme artisan de la nature : « Ces choses ne nous apportent pas seulement une très douce volupté, mais encore un tel désir de leur auteur que, frappés de stupeur et comme foudroyés, nous somme ravis dans son amour malgré nous », ajoute Bodin46.
30La foi peut donc être imposée de l’extérieur ou libre ; du point de vue de l’éthique, elle n’est à proprement parler une vertu que si elle elle résulte d’une libre adhésion de la volonté. Mais la subordination de l’intellect à la volonté pourrait avoir des conséquences ruineuses pour la théorie de la connaissance. Car si la volonté est maîtresse de l’entendement, c’est elle qui le détermine à comprendre :
Car combien que la force de l’intellect gît en la discrétion de ce qui est vrai ou faux et la volonté en ce qui est bon ou mauvais : si est-ce néanmoins que l’intellect est en la puissance de la volonté : car il est certain que nul ne peut être contraint d’entendre ni de contempler, s’il ne lui plaît recevoir les démonstrations et arguments qu’on lui montre, et ne croira rien de ce qui est bien vérifié si la volonté s’y oppose47.
31Mais le Fils n’est pas prêt à accepter la thèse sans discussion :
F. : Soit ainsi que la force de l’entendement soit empêchée par la volonté, si est ce qu’il n’y a rien qui puisse empêcher l’entendement de ne croire pas ce qu’il voit et connaît clair comme le jour.
32Le texte latin dit : « Demus intellectionem a voluntate prohiberi, nemo tamen opinor assensionem cohibere potest earum rerum quas animo comprehensas habet »48, et Magdaillan traduit, à notre avis plus clairement que Bodin : « Donnons que l’acte d’entendre soit arrêté par la volonté : Nul toutefois que je pense peut arrêter le consentement des choses qu’il a une fois embrassées en l’esprit »49.
33Pour le Père, au contraire, l’entendement est soumis à la volonté, au point que sans elle, l’évidence elle-même est sans force :
P. : C’est bien l’avis de quelques uns mais il est rejeté à bon droit : car en ce qu’ils disent qu’il n’est pas en notre puissance de croire chose contre l’évidente preuve de sens commun, non seulement ils ruinent les fondements de toute religion, ains encore ils anéantissent la force de la volonté : car qui empêche que nous ne croyons que les fleuves montent en haut, et que le feu descende contre bas, quand il nous plaît de le croire ainsi50 ?
34Pour que la foi soit possible et la volonté libre, Bodin affirme qu’elle doit pouvoir nier l’évidence. C’est un argument que l’on retrouve dans une célèbre lettre de Descartes à Mesland, où il s’agit aussi d’affirmer la force de la volonté51. Bodin désigne, en note, les tenants de « l’avis » adverse : Jean Pic de la Mirandole et Duns Scot (« Ioannes Picus in Apologia, et Scotus lib. 2. sententiarum d. 6. q. 2 »). La référence à Duns Scot, citée par Bodin dans les versions latine et française du Paradoxe, est la question suivante : « Si le péché du premier ange a été formellement l’orgueil », à laquelle le théologien répond par la négative. Elle présuppose que la volonté peut suivre ou non la droite raison, mais que, dans tous les cas, elle est subordonnée à celle-ci52. La référence à Pic renvoie à l’Apologia dans la version latine du Paradoxon, et aux Conclusiones dans la version française53. Dans les Conclusiones, Pic reprend la thèse de Duns Scot sous la forme suivante : « Le premier péché de l’ange fut le péché d’omission, le second péché, celui de luxure et le troisième, le péché d’orgueil »54. Mais c’est seulement à la suite de cette conclusion, non condamnée, que l’on trouve une autre conclusion, en rapport direct avec l’argumentation bodinienne, qui, pour avoir été condamnée, figure aussi dans l’Apologia, sous le titre suivant : De libertate credendi disputatio. Elle correspond bien à « l’avis » qui, selon Bodin, « est rejeté à bon droit ». Dans l’Apologia, Pic écrit, en effet, reprenant presque à l’identique la formulation des Conclusiones :
Ainsi, de même que nul n’a telle ou telle opinion ferme parce qu’il veut l’avoir, de même nul ne croit fermement que telle chose est vraie parce qu’il veut le croire ainsi. De cette conclusion, j’infère ce corollaire : il n’est pas au libre pouvoir de l’homme de croire qu’un article de foi est vrai, quand il lui plaît, et de croire qu’il n’est pas vrai, quand il lui plaît55.
35Autrement dit, la foi n’est qu’un cas particulier de la croyance et elle repose sur le même rapport entre la volonté et l’intellect que celui qui fonde la croyance : la vérité, comme un article de foi, s’impose à l’adhésion. Comme Bodin le précise en note dans l’édition latine, cet « avis (…) rejeté à bon droit », l’a été « par les théologiens de Rome sous le pontificat d’Innocent VIII. Voir l’Apologie de Pic »56, en référence à la suite du passage que nous avons cité, où Pic écrit : « Ces maîtres ont jugé que la proposition était erronée, ainsi que son corollaire, et sentait l’hérésie. Mais pour ma part, je pense que la conclusion est fondamentale, et non seulement conforme à la religion catholique, mais très vraie et même bien plus vraie que son opposée »57.
36C’est donc en toute orthodoxie que Bodin prétend étendre la responsabilité de l’homme à tous ses actes, y compris à l’acte de connaissance qui n’est donc qu’une forme de croyance comme adhésion de la volonté58. Dès la Methodus, c’est en termes d’assentiment (assensio), probable, nécessaire et religieux, qu’il formulait l’attitude humaine à l’égard des trois histoires : humaine, naturelle et divine59. L’existence d’un assentiment nécessaire, du fait du caractère contraignant sur la volonté des raisonnements des philosophes, n’empêche donc pas la volonté de rester maîtresse en l’homme. S’il est « en notre puissance de croire chose contre l’évidente preuve de sens commun », c’est semble-t-il uniquement dans le sens d’une affirmation de la force de la volonté et du caractère incompréhensible, pour un intellect humain, de l’économie divine dans la nature.
La critique d’aristote
37Comment cette conception de la volonté s’articule-t-elle à la polémique contre Aristote ? Dans l’Éthique à Nicomaque, II, 6, Aristote définit la vertu morale comme « une disposition à agir d’une façon délibérée » en observant la moyenne, dans les affections et dans les actions, entre deux vices, l’excès et le défaut. Cette doctrine, particulièrement populaire, a été critiquée à la Renaissance, ce qui place Bodin dans une tradition, recensée par The Cambridge History of Renaissance Philosophy60, dont les principaux représentants sont Lauro Quirini, Pléthon, Valla et Vivès. On se bornera ici à dégager les raisons théoriques et les enjeux de la critique de Bodin dans le Paradoxon.
38L’argument principal de Bodin en faveur de son « paradoxe » est que le caractère extrême des vertus est seul compatible avec un bien qualifié de souverain, « car si les vertus et biens particuliers étaient médiocres et au milieu, il faudrait que le souverain bien fût aussi médiocre et au milieu de tous les vices en général »61. En vertu de ce raisonnement, il élabore, par contraste, sa propre théorie de la vertu. Il pense le rapport entre les vertus et les vices comme un cas particulier du rapport entre le bien et le mal : si le mal est privation d’être, le vice est privation de vertu et par conséquent, il n’a pas d’existence à proprement parler. Après avoir examiné les différentes formes de contrariété, Bodin continue néanmoins de l’opposer à la vertu, dans une opposition frontale comportant seulement deux éléments, « par ce beau principe de nature, que jamais deux choses ne sont contraires à une : comme le chaud au froid, et non pas au sec, le blanc au noir, et non pas au vert, et ainsi des autres : autrement la ruine et subversion de ce monde s’en suivrait »62. Sa position est conforme à l’objection de Lorenzo Valla à Aristote, dans le De vero falsoque bono63.
39Cette vision des choses a des conséquences sur la définition de la vertu. Elle ne peut pas plus être, selon la définition qu’en donne Aristote, « une qualité louable acquise à l’âme », que le vice ne peut être une habitude acquise « par plusieurs actions vicieuses »64. La vertu ne peut donc pas être, chez Bodin, une habitude acquise par la mise en œuvre de la faculté rationnelle ; elle se caractérise, selon lui, par sa présence, dans l’esprit humain, à l’état de semence divine :
P. Nature n’a point planté de vices en nous : c’est pourquoi le sage disait qu’il était bien né et que son âme étant bonne trouvera un corps pur et net65. Mais tous les anciens Hébreux et Académiques ont tenu pour chose assurée que nous avons les âmes parsemées d’une semence divine de toutes vertus, qui nous peuvent conduire à peu près à la vie bienheureuse, si nous endurons qu’elles prennent leur accroissement : et pour la preuve, nous voyons que les tendres esprits qui n’ont jamais rien appris, conçoivent soudain les principes et fondements de toutes sciences66.
40Selon Paul Rose, l’expression : « les anciens Hébreux » renvoie à Philon67 ; quant aux « Académiques », ils font référence au Ménon de Platon et à la théorie de la réminiscence68.
41Le caractère extrême des vertus est attesté par une comparaison avec la nature : Bodin compare l’âme semée de vertus à la terre enceinte de plantes, de métaux, etc. C’est dire que le problème de leur acquisition et de leur entretien ne se pose pas ; c’est dire aussi que, comme toute action naturelle, la vertu s’exerce toujours au plus fort de sa puissance :
Combien que la médiocrité n’est aucunement convenable à la nature : soit pour exemple le feu qui ne chauffe jamais à demi, mais si fort qu’il brûle, et ne se peut imaginer davantage : et le soleil ne lui point à demi, mais de toute sa puissance et d’une splendeur si grande qu’elle étonne un chacun : ainsi voit-on de toutes créatures, que chacune montre sa propriété de toute sa force : si donc les vertus sont convenables à la nature, comme elles sont, il faut qu’elles montrent leur force à l’extrêmité, et non point à demi69.
42Bodin utilisera, un peu plus loin, le même raisonnement, en appliquant aux vertus, au service de sa thèse, des principes qui s’appliquent dans la nature : « Bref, il est impossible d’imaginer aucune vertu entre les vices qui ne soit vicieuse (…). Parce que le moyen de toutes choses est toujours composé des extrémités : il faut donc que la vertu soit vicieuse »70. Bodin reprend ici une critique que Lorenzo Valla avait déjà développée contre Aristote, dans le De vero falsoque bono71 et dans la Repastinatio dialectice et philosophie72.
43Un second argument en faveur du caractère extrême des vertus vient du Deutéronome, où le premier commandement divin s’exprime sous une forme extrême : « ce grand Législateur au commandement le plus haut qu’il fit jamais, et le plus remarquable dit ainsi, Tu n’as qu’un Dieu éternel, tu l’aimeras de tout ton cœur, et de tout ton âme, et de toute ta puissance, et te joindras à lui pour jamais »73. On reconnaît la formulation bodinienne du souverain bien humain comme amour de Dieu et union avec Lui. On remarque en outre que la loi de Dieu, telle qu’elle est révélée dans l’Écriture, s’accorde avec la nature. Elle ne devrait donc pas exclure la religion naturelle, tout en étant une expression religieuse plus haute, parce qu’objet d’une révélation divine.
44Bodin ajoute enfin un troisième argument, tiré du droit des gens, qui attribue les grandes récompenses et les grandes peines aux grandes vertus et aux grands vices, attestant par là du caractère extrême de ceux-ci :
Et pour le faire court, nous lisons que les lois et ordonnances de tous les peuples donnent peu de loyers à ceux qui ont peu de vertu, les grands loyers à ceux qui ont les grandes vertus et les très grands à ceux qui sont très vertueux, très justes, très magnanimes, très modestes. Il faut donc conclure puisque le prix et loyer est extrême, que les vertus sont aussi en extrémité, et non pas en médiocrité74.
45La loi naturelle concorde donc avec la loi divine révélée dans l’Écriture et avec le droit des gens, pour dire la vérité sur l’éthique – en l’occurrence, sur la véritable nature des vertus. On voit ainsi que les hommes ont à leur disposition trois voies pour découvrir la vérité sur l’éthique. Or dans le Theatrum, Bodin disait avoir renoncé à son projet initial, formulé dans la Juris universi distributio et dans la Methodus, de recueillir le droit universel dans l’histoire. Pourtant, on voit, dans le Paradoxe, que le droit des gens continue d’attester le caractère naturel et divin de la justice, alors même que, au plus fort des guerres de religion, elle se manifeste sous les formes les plus dissemblables. Diego Quaglioni a montré comment le Paradoxe fondait dans l’Écriture et la théologie politique les principes du système pénal théorisé par Bodin dans la République75. Le système divin de rétribution des bons par des loyers et des méchants par des peines qui fait l’objet du Paradoxe reproduit exactement le système politique décrit dans la République pour les États politiques : dans la nature, les anges et les démons sont les magistrats divins qui distribuent les loyers et les peines. Une telle conception de l’administration des peines fournit à Bodin une clé de lecture des guerres de religion en termes de justice divine : dans l’épître dédicatoire à l’édition latine du Paradoxe, Dieu prend lui-même la place des juges dans les tribunaux déserts76.
46Mais il y a là une difficulté sur laquelle Bodin revient, à la fin de l’ouvrage, par l’intermédiaire d’une question du Fils, qui met le doigt sur une ambiguïté des propos paternels : « Tantôt vous avez dit que la sapience de Dieu gît en son amour très ardent : et maintenant vous dites que la sapience gît à craindre Dieu bien fort »77. Bodin explicite alors sa théorie de l’amour, selon laquelle il n’y a pas d’amour entre égaux78, en précisant ce qui, en Dieu, manque à toute créature et doit, pour cette raison, susciter un amour extrême : « une bonté infinie et une puissance infinie ». L’amour n’allant pas sans crainte d’offenser l’objet aimé et les hommes ayant plus besoin de la bonté de Dieu que de sa puissance, « l’amour divin doit surpasser la crainte d’icelui »79. Néanmoins, le rapport des hommes à Dieu prend le plus souvent la forme de la crainte :
Il faut donc tenir pour tout résolu que la vraie sapience de Dieu gît en son amour et en sa crainte : et d’autant que la plupart des hommes est plus retenue par la crainte que par l’amour, pour cette cause la crainte de Dieu est beaucoup plus souvent recommandée, et très convenable à la Majesté divine, et très nécessaire au salut de tous empires, états et monarchies80.
47Ainsi, le souverain bien humain s’accomplit dans celui des Républiques, sous forme d’obéissance au pouvoir établi, dans le meilleur des cas, une monarchie royale, respectueuse des lois divines et naturelles.
48Le caractère extrême des vertus et de leur exercice étant ainsi établi, Bodin critique Aristote sur la distinction entre vertus morales et vertus intellectuelles, à laquelle il propose de substituer celle entre vertus actives et vertus contemplatives. L’enjeu est la maîtrise de la volonté sur les actions. Bodin identifie l’âme à l’intellect, seul capable de maîtriser ses actions (« Il n’y a qu’une âme en l’homme, à savoir l’intellect »)81. Pour lui, en effet, « toutes les vertus sont intellectuelles d’autant que le seul intellect est capable de vertu, comme les Stoïciens ont très bien dit. (…) Or l’entendement est maître de toutes les actions de l’âme : il s’ensuit donc que toutes les vertus sont intellectuelles »82.
49Lorsque Bodin détaille ces vertus, il désigne deux vertus contemplatives : la sapience et la science, et deux vertus actives : la prudence et l’art. Il classe les autres vertus sous la prudence : la magnanimité, la tempérance, et la justice qui n’est que leur accord. Dans cette classification des vertus actives, on retrouve les quatre vertus cardinales de la philosophie platonicienne, stoïcienne et chrétienne. On est donc en présence d’un syncrétisme qui réconcilie les traditions en les inscrivant dans un ordre hiérarchique dont l’élément le plus haut vient de l’Écriture : la sapience, « parce que le plus haut point de toutes choses est d’aimer et servir Dieu d’un cœur entier, en quoi gît la vraie louange de sagesse »83. La division des trois vertus morales (prudence, magnanimité, tempérance) vient de Salomon « qui a représenté ces trois vertus par trois figures, et non plus, qu’il fit mouler autour de grand vase de cuivre plein d’eau pure (…), à savoir la figure de l’homme, du lion et du bœuf »84. Pour la sapience, Bodin renvoie au charriot de Platon dans le Phèdre et à la vision d’Ézéchiel, « où le chariot céleste est tiré par quatre animaux, à savoir l’homme, le lion, le bœuf et l’aigle ». L’aigle « semble signifier la sapience qui élève et ravit l’âme au plus haut qu’elle peut voler pour avoir la vision de Dieu (…). Toutefois », ajoute le Père dans la version française, « il y a peut-être quelque plus haut secret, que l’interprète de la vision a déclaré ne vouloir dire », et il renvoie en note à la troisième partie du Guide des égarés de Maïmonide, dont les sept premiers chapitres sont un commentaire de la vision d’Ézéchiel85.
50Enfin, contre Aristote, Bodin introduit l’action au nombre des vertus. Il répond ainsi à l’objection selon laquelle le meilleur artisan peut être méchant homme : « Or il n’y a si méchant homme qui n’ait quelque vertu : et quoi qu’il soit méchant, s’il est bon architecte, il est bon et louable, en ce qu’il a contribué à la société humaine par un métier profitable et bon »86. Faire des arts de la production des vertus élargit le champ de l’éthique aux arts mécaniques, non pas, explique le Père, parce que l’on confond le bon artisan avec l’homme de bien, mais parce que l’utilité de leur art pour la société humaine est le premier degré vers le bonheur : « nous pourrons conclure que celui qui est bon laboureur, est aussi bon, en ce qu’il rapporte au bien public un bon art et profitable, puisque tout bien est donné de Dieu à l’usage des hommes pour les bien heurer, et s’il faut ainsi dire, bonifier »87. On retrouve la gradation continue des actions humaines qui mènent vers le souverain bien, telle que Bodin la détaille au chapitre iii de la Methodus.
51Mais dans la mesure où Bodin, à la suite de Platon, définit la justice comme « l’accord mélodieux de prudence, magnanimité et tempérance »88, ne réintroduit-il pas la médiété ? On peut alors se demander s’il ne critique pas la théorie de la mesotès seulement lorsqu’il refuse la distinction entre vertus intellectuelles et vertus morales et fait de toutes les vertus des vertus intellectuelles. Le caractère paradoxal de la proposition qui sert de titre à l’opuscule de Bodin viendrait alors de ce qu’elle semble s’appliquer à toutes les vertus. Dès lors qu’elle ne s’applique plus qu’aux vertus intellectuelles, elle redevient une proposition non paradoxale, telle qu’on peut la rencontrer, par exemple, dans un index de l’opuscule de Plutarque intitulé De la vertu morale et traduit par Amyot : « Toute vertu ne consiste en médiocrité ». Mais il est peu probable que Bodin adopte une position que lui-même critique chez certains disciples d’Aristote :
Nous avons ci-dessus montré par vives raisons et nécessaires, que toute vertu est intellectuelle : or les disciples d’Aristote se sont en celà départis de l’opinion de leur maître, en ce qu’il a dit sans distinction, que toute vertu gît en médiocrité : car ils ont excepté les vertus intellectuelles, et n’ont mis en médiocrité que les vertus morales. Et néanmoins les disciples d’Aristote, ayant ainsi tranché le différend par moitié, n’ont pas pris garde à une autre absurdité qui en résulte, c’est qu’il vaut mieux à leur côté, être médiocrement bon, que médiocrement docte : jaçoit qu’il est plus expédient d’être homme de bien tout à fait qu’à demi, et savoir moins89.
52Un des « disciples d’Aristote » est certainement Leonardo Bruni, dans la réponse qu’il adresse à Lauro Quirini qui critiquait la notion aristotélicienne de médiété, vers 144190. Plus généralement, on fera l’hypothèse qu’en substituant à la distinction entre vertus morales et vertus intellectuelles celle entre vertus actives et vertus contemplatives, Bodin met en œuvre un raisonnement qu’il a déjà utilisé en politique.
53L’intellect est le domaine de l’absolu, de l’absence de mesure, où ce qui est, est absolument. Toutes les vertus sont intellectuelles, dans le sens où, si elles sont des vertus, elles le sont absolument. Mais d’un point de vue exhaustif, il faut aussi considérer leur mise en pratique, la pratique étant définie par Bodin comme « l’usage des sciences que l’on met en action »91, de la même façon que, dans la communauté politique, il ne faut pas seulement considérer la souveraineté ou l’État, mais aussi la souveraineté dans son exercice, c’est-à-dire le gouvernement. Dans la République, le gouvernement se combine avec la souveraineté sans s’y mêler. En fin de compte, Bodin adresserait à Aristote, sur la vertu, la même critique que celle qu’il adresse aux partisans du régime mixte en politique, qui confondent souveraineté et gouvernement. Ne pas confondre contemplation et action, c’est ne pas confondre le bien et la représentation du bien ; le bien et la fin. La définition par Aristote de « toute science qui gît en action », comme « ayant pour sujet la chose à laquelle le fruit et profit d’icelle est acquise » – en l’occurrence, « l’homme disposé à recevoir la félicité humaine »92, tend à imposer un point de vue faussé sur le bien, objet de la philosophie morale, c’est-à-dire sur Dieu.
54Le Paradoxe n’est donc pas uniquement un ouvrage polémique, mais une reformulation des principes de la philosophie de Bodin, sous forme de prises de positions argumentées, face à l’ensemble des problèmes qui se posaient à la philosophie morale de son temps. La reprise de Valla et la référence à l’Écriture inscrivent l’ouvrage dans la tradition humaniste, tout en assurant sa cohérence avec la pensée bodinienne : on y retrouve notamment la même hétérogénéité absolue entre le bien et le mal, les vertus et les vices et les vertus actives et contemplatives, qu’entre le souverain et les sujets dans la République. On comprend alors mieux les motifs de la critique par Bodin de la vertu aristotélicienne comme juste milieu, comme d’un point de vue partiel qu’il convient d’intégrer dans une théorie du souverain bien échappant à notre représentation du bien humain, si ce n’est sous la forme d’une vertu extrême.
Notes de bas de page
1 Bodin termine l’opuscule le troisième jour des calendes de septembre 1591, soit le 30 août : « Hunc libellum flagrante Gallia civili bello scripsit Joannes Bodinus Regius apud Veromanduos Procurator A. D. III. Cal. Septembr. anno M. D. XCI. ». J. Bodin, Paradoxon quod nec virtus ulla in mediocritate nec summum hominis bonum in virtutis actione consistere possit, Paris, Denys Du Val, 1596, p. 100, désormais cité Paradoxon.
2 Bodin rédige le Theatrum pendant l’année 1590 : « Comme en ceste presente année 1590 en laquelle nous escrivons cecy... », Théâtre, éd. cit., l. V, p. 806 ; Theatrum, éd. cit., p. 500. Il cite le Paradoxon dans le Théâtre, l. II, p. 186 ; Theatrum, éd. cit., p. 139. Quant au Theatrum, on le trouve cité dans deux notes de l’édition latine du Paradoxon, éd.cit., p. 12, n. k et p. 50, n. c, et dans le Paradoxe, éd. cit., p. 49 ; 58.
3 On s’accorde généralement pour dater le Colloquium de 1593. Voir F. Berriot, « La fortune du Colloquium heptaplomeres », dans J. Bodin, Colloque entre sept scavants, éd. cit., p. xlv, n. 119. Nous n’entrerons pas dans la discussion de l’attribution du manuscrit à Bodin. Signalons seulement que l’on trouve un résumé du contenu du Paradoxon au livre V du Colloquium, éd. cit., p. 296-300. Voir aussi l. IV, p. 205.
4 Le Paradoxe de Jean Bodin Angevin, qu’il n’y a pas une seule vertu en médiocrité, ni au milieu de deux vices, éd. cit.
5 On se réfèrera sur ce point à Jill Kraye, « Moral Philosophy », dans The Cambridge History of Renaissance Philosophy, Charles B. Schmitt (ed.), CUP, 1988, p. 303-386.
6 D. Quaglioni, I limiti della sovranità, Padova, CEDAM, 1992, chap. v : « Diritto, morale e religione : il “problema penale” in Bodin », p. 159-168, en particulier, p. 160.
7 Rapprocher Démonomanie, I, ii et Paradoxe, éd. cit., p. 75, sur la pratique de la prière matinale.
8 P. Mesnard, « Jean Bodin et la critique de la morale d’Aristote », Revue thomiste, LVII, 1949, p. 542-562 ; p. 562 ; Paul LRose, Jean Bodin and the Great God of Nature, Genève, Droz, 1980, chap. v : « The judaised Ethics of the Paradoxe », p. 96-125 ; p. 98. Voir également T. N. Tentler, « The Meaning of Prudence in Bodin », Traditio, XV, 1959, p. 365-384.
9 « Cet œuvre a esté achevé de traduire par l’autheur le seconde jour de Janvier 1596 ». Paradoxe, éd. cit., p. 99.
10 Paradoxe de M. J. Bodin, doctes et excellents discours de la vertu... traduit du latin en françois par Claude de Magdaillan, Paris, Du Bray, 1604. Sur les questions d’éditions, voir la Bibliographie critique des éditions anciennes de Jean Bodin, par R. Crahay, M.-Th. Isaac, M.-Th. Lenger, R. Plisnier, Bruxelles, Palais des Académies, 1992, p. 285-290.
11 Voir Archives départementales du Rhône, BP 400, Sentence du 31 mai 1597, cité par A. M. Blair, The Theater of Nature : Jean Bodin and Renaissance Science, op. cit., p. 203.
12 La forme pédagogique des questions et des réponses invite à la comparaison avec d’autres textes de Bodin : le Theatrum et l’Epistre de Jean Bodin touchant l’institution de ses enfants à son nepveu du 9 Novembre 1586, dans J. Bodin, Colloque entre sept scavants, op. cit., p. 585-587.
13 Paradoxe, éd. cit., p. 44. Aristote, Éthique à Nicomaque, I, 4, 1096 a 15.
14 Ibid.
15 Methodus, op. cit., chap. ii, p. 116 a, citée infra, chap. xii, p. 230-231 ; Juris universi distributio, épître dédicatoire (trad. L. Jerphagnon, Paris, PUF, 1985, p. 8-9). Sur cette théorie de la définition, voir M.-D. Couzinet, Histoire et méthode, op. cit., p. 143-144 et ad ind.
16 Bodin, « Ce qui est proposé et contenu en tout cet œuvre », Théâtre, éd. cit. (non paginé).
17 « Bien », Paradoxe, éd. cit., p. 43-49 ; « Souverain bien de l’homme », p. 49-51 ; « action », p. 51-56 ; « vertu », p. 56-75.
18 P. Hadot, La Philosophie comme manière de vivre, op. cit., p. 148.
19 Paradoxe, éd. cit., p. 43. Le terme de « paradoxe » apparaît encore une fois dans l’édition française, p. 63.
20 Discours de Jean Bodin sur le rehaussement et diminution tant d’or que d’argent, et le moyen d’y remedier, aux paradoxes du sieur de Malestroit, dans J. Bodin, Les Six livres de la République, Paris, Fayard, 1986, t. VI, épître dédicatoire, p. 413. Sur le paradoxe, voir Frances A. Yates, « Paradox and Paradise », dans Ead., Collected Essays, vol. III, London, Routledge & Keagan Paul, 1982, chap. xxv.
21 E. William Monter, « Inflation and Witchcraft : the Case of Jean Bodin », dans Id., Enforcing Morality in Early Modern Europe, Fifteen Studies in English and French, 1987, p. 371-389.
22 Paradoxe, éd. cit., p. 56.
23 Ibid., p. 46.
24 Ibid., p. 44-45.
25 P. Mesnard, « J. Bodin et la critique de la morale d’Aristote », art. cit. p. 552.
26 Paradoxe, éd. cit., p. 47.
27 Ibid., p. 48 ; Paradoxon, éd. cit., p. 20.
28 Ibid. ; Aristote, Éthique à Nicomaque, VI, 5, 1140 b 6.
29 Paradoxe, éd. cit., p. 49. Pour la première partie de la définition, voir Aristote, Éthique à Nicomaque, I, 6, 1098 a 15 sq. : « le bien pour l’homme consiste dans une activité de l’âme en accord avec la vertu (…), mais il faut ajouter : “et cela dans une vie accomplie jusqu’à son terme” ».
30 Ibid., p. 47-48.
31 Ibid., p. 50.
32 « Platon a résolu que la contemplation est le but et souverain bien des hommes : Aristote a dit que c’est l’action de vertu ». Mais « Aristote [a] doublé d’opinion sous même voile de paroles, appelant l’action de l’âme contemplation, qui est comme s’il disait que le mouvement et repos est tout un, chose impossible par nature ». Ibid., p. 58. Sur la critique d’Aristote que l’on trouve déjà dans la Methodus et dans la République, voir supra, chap. iv, p. 98, n. 2.
33 Paradoxe, éd. cit., p. 52.
34 Voir J. Kraye, dans The Cambridge History of Renaissance Philosophy, op. cit., p. 349-353 ; Léon Hébreu, Dialogues d’amour, trad. Pontus de Tyard (1551), T. Dagron et S. Ansaldi (éd.), Paris, Vrin, 2006.
35 Paradoxe, éd. cit., p. 53. Voir Methodus, éd. cit., chap. iii, p. 119 a-b.
36 Ibid. ; Paradoxon, éd. cit., p. 35.
37 Cicéron, Traité des devoirs, I, ii, dans Les Stoïciens, P.-M. Schuhl (éd.), trad. É. Bréhier, Paris, Gallimard, 1962, t. I, p. 497.
38 Paradoxe, éd. cit., p. 54.
39 Paradoxon, éd. cit., p. 37, n. Augustin, De libero arbitrio libri tres, l. III, i, 1-3.
40 Paradoxe, éd. cit., p. 53. « Lorsque Platon affirme que nul ne commet de faute, si ce n’est malgré lui, il ne veut rien dire d’autre que cela même que soutient Thomas, à savoir qu’il ne peut y avoir de faute dans la volonté, si ce n’est par une défaillance de la raison ». Paradoxon, éd. cit., p. 37, n. Giovanni Pico della Mirandola, 900 conclusions philosophiques, cabalistiques et théologiques, éd. et trad. par B. Schefer, Paris, Allia, 1999, « 62 conclusions selon mon opinion personnelle sur la doctrine de Platon », conclusion 46, p. 167.
41 Paradoxe, éd. cit., p. 71.
42 Ibid.
43 Ibid., p. 72.
44 Ibid., p. 72.
45 Theatrum, éd. cit., épître dédicatoire non paginée ; voir p. 96, n. 3.
46 Ibid.
47 Ibid., p. 59.
48 Paradoxon, éd. cit., p. 54.
49 Paradoxes de M. J. Bodin, trad. C. de Magdaillan, éd. cit., p. 64.
50 Paradoxe, éd. cit., p. 59.
51 À propos de la liberté d’indifférence, Descartes écrit « Quam positivam facultatem non negavi esse in voluntate. Imo illam in ea esse arbitror, non modo ad illos actus ad quos a nullis evidentibus rationibus in unam partem magis quam in aliam impellitur, sed etiam ad alios omnes ; adeo ut, cum valde evidens ratio nos in unam partem movet, etsi, moraliter loquendo, vix possimus in contrariam ferri, absolute tamen possimus. Semper enim nobis licet nos revocare a bono clare cognito prosequendo, vel a perspicua veritate admittenda, modo tantum cogitemus bonum libertatem arbitrii nostri per hoc testari ». Descartes [au P. Mesland ?], [9 février 1645 ?], dans Œuvres de Descartes, éd. cit., t. IV, p. 173 ; voir la version française de Clerselier, t. III, p. 379 et sa trad. lat., ibid., p. 704-706.
52 Johannes Duns Scotus, Lectura in librum secundum sententiarum, dans Id., Opera omnia, reprografischer Nachdruck der Ausgabe Lyon 1639, Hildesheim, G. Olms, VI. 1, 1968, d. 6, qu. 2, p. 534 sq. Sur le rapport entre la volonté et la connaissance, voir en particulier p. 336 et 537.
53 Paradoxon, éd. cit., p. 54 ; Paradoxe, éd. cit., p. 59, n. ????.
54 G. Pico della Mirandola, 900 conclusions philosophiques, cabalistiques et théologiques, éd. cit., « 29 conclusions de théologie selon mon opinion personnelle », conclusion 17, p. 151.
55 « Sic nullus praecise sic opinatur, quia vult opinari : ita nullus credit, sic esse verum praecise, quia vult sic credere. Ex hac conclusione correlariem infero istam. Non est in libera potestate hominis credere articulum fidei esse verum, quando sibi placet et credere eum non esse verum, quando sibi placet ». Ioannis Pici Mirandulae de libertate credendi disputatio, dans Id., Opera omnia (1557- 1573), t. I, Hildesheim, G. Olms, 1969 (p. 224-229), p. 224. Voir G. Pico della Mirandola, 900 conclusion, éd. cit., « 29 conclusions de théologie… », conclusion 18, p. 151-152.
56 « A theologis Romae sub Innocentio VIII pontifice Rom. vide Apologiam Pici ». Paradoxon, éd. cit., p. 54, n. K.
57 « Judicaverunt Isti Magistri, quod propositio cum suo correlario esset erronea et haeresim sapiens. ego autem reputo, conclusionem principalem esse, non solum catholicam, sed verissimam, et longe veriorem sua opposita ». G. Pico della Mirandola, De libertate credendi, op. cit., p. 224. Sur la condamnation des Conclusiones par Innocent VIII (le 5 août 1487), à la suite de leur discussion par une commission de théologiens et de canonistes, voir C. Vasoli, « Introduzione », ibid., p. xvii.
58 À propos du souverain bien de l’homme défini comme « droite connaissance de Dieu », Bodin précise : « C’est bien le degré le plus proche à l’amour de Dieu : car il est impossible de bien aimer devant que de connaître : et pour néant toutefois aimerait-on qui n’aurait espérance de jouir de la chose aimée ». Paradoxe, éd. cit., p. 52.
59 J. Bodin, Methodus, éd. cit., c. iii, p. 114 b.
60 J. Kraye, dans The Cambridge History of Renaissance Philosophy, op. cit., p. 339-342.
61 Paradoxe, éd. cit., p. 63.
62 Ibid., p. 60.
63 Ibid., « Quod cum ita sint, videamus an Aristoteles tuus recte fecerit statuens maiorem numerum vitiorum quam virtutum. In quo tu cum illo sentis, ego vero minime, cum evidentissima ratione probari possit singulas virtutes singulis vitiis adversa fronte consistere, falsoque illud dici hinc et hinc excessum ac defectum, in medio esse virtutem, que mediocritas quedam dicitur inter nimium et parum, incassumque disputari utrum duorum extremorum medio sit magis contrarium ». L. Valla, De vero falsoque bono, Maristella De Panizza Loch (ed.), Bari, Adriatica Editrice, 1970, p. 95.
64 Paradoxe, éd. cit., p. 56.
65 Sagesse, VIII, xix-xx. Bodin indique la référence en note dans l’édition latine et il renvoie également à Job, II, v. Il cite de nouveau le passage de la Sagesse, p. 73-74 de l’édition française.
66 Paradoxe, éd. cit., p. 63.
67 P. L. Rose, Jean Bodin and the Great God of Nature, op. cit., p. 108.
68 Platon, Ménon, 81 a-86 c. À propos du Colloquium et plus particulièrement de ce passage du Paradoxe, Maryanne Cline Horowitz conclut : « What is evidently apparent is the coalescence in the mature Jean Bodin’s thought of Hebraic, Platonic, and Stoic imagery of the goodness within nature ». « Bodin and Judaism », dans Jean Bodin a 400 anni della morte. Bilancio storiografico e prospettive di ricerca, actes du colloque international pour le quatrième centenaire de la mort de Jean Bodin, Turin, 6-7 décembre 1996, dans Il pensiero politico, vol. XXX, t. ii, A. Enzo Baldini (ed.), Firenze, Olschki, 1997 (p. 205-216), p. 215 ; Ead., Seeds of Virtue and Knowledge, Princeton (N. J.), Princeton University Press, 1998, chap. viii, p. 181-205.
69 Paradoxe, éd. cit., p. 61.
70 Ibid., p. 62.
71 « Absurdum esse quod Aristoteles fecit ut duas inter se res sane diversas in unam speciem includere atque in unum nomen confunderet ». L. Valla, De vero falsoque bono, ed. cit., p. 96.
72 « Cur non oppono plura singulis virtutibus vitia, ut fecit Aristoteles (…). Ego, ut de hoc iam disputem, animadverto dolosa esse tria ista nomina « nimium », « parum », « medium ». (…) « Medium » vero id dicitur quod extremorum est particeps, ut tepor caloris et frigoris. Virtus autem non est media extremorum, veluti liberalitas avarici et prodigalitatis : neque enim virtus est particeps vitiorum ». L. Valla, Repastinatio dialectice et philosophie, Gianni Zippel (ed.), Padova, Antenore, 1982, p. 79-80.
73 Paradoxe, éd. cit., p. 61.
74 Ibid.
75 D. Quaglioni, « Diritto, morale e religione », art. cit.
76 Pour Montaigne, une telle lecture est l’effet d’un jugement erroné : « À voir nos guerres civiles, qui ne crie que cette machine se bouleverse et que le jour du jugement nous prend au collet, sans s’aviser que plusieurs pires choses se sont vues, et que les dix mille parts du monde ne laissent pas de galler le bon temps cependant ? Moi, selon leur licence et impunité, j’admire de les voir si douces et molles. À qui il gèle sur la tête, tout l’hémisphère semble être en tempête et orage ». Montaigne, Essais, éd. cit., I, 26, p. 157.
77 Paradoxe, éd. cit., p. 74.
78 Sur cette question, voir M.-D. Couzinet, « La notion d’amitié chez Bodin », art. cit.
79 Paradoxe, éd. cit., p. 74.
80 Ibid.
81 Ibid., p. 58.
82 Ibid.
83 Ibid., p. 64.
84 Ibid., p. 67. Ézéchiel, i et x (dans le Paradoxon, éd. cit., p. 85, n. B).
85 Ibid., p. 71 et n. *.
86 Ibid., p. 65.
87 Ibid., p. 66.
88 Ibid., p. 67.
89 Ibid., p. 60.
90 Voir sur ce point J. Kraye, « Moral Philosophy », dans The Cambridge History of Renaissance Philosophy, op. cit., p. 339-340.
91 Paradoxe, éd. cit., p. 66.
92 Ibid., p. 48.
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