Chapitre premier. Dialectique et causalité occulte : l’art des secrets de Jérôme Cardan
p. 21-39
Texte intégral
Cette sapience est spéculative et pratique à la fois, parce qu’elle applique ce qu’elle comprend aux œuvres utiles au genre humain.
Tommaso Campanella, Del senso delle cose e della magia (1604), testo inedito italiano a cura di Antonio Bruers, Bari, Laterza, 1925, 1. IV, chap. I, « Della magia in commune, e sua divisione », p. 223.
1Girolamo Cardano, médecin et mathématicien milanais, né en 1501 et mort en 1576, est surtout connu pour ses deux encyclopédies de philosophie naturelle, le De subtilitate (1550) et le De varietate rerum (1557), ainsi que pour une autobiographie intitulée De vita propria dont on doit l’édition posthume à Gabriel Naudé, en 1643. L’ensemble de ses œuvres occupe dix volumes in-folio, dans l’édition lyonnaise de 16631. Au tome II figure un opuscule intitulé De secretis qu’il rédige en 15612 et publie pour la première fois l’année suivante, avec d’autres traités, à la suite de son ouvrage sur les rêves3. Cardan y pose la question du secret4. L’ouvrage a la particularité de concentrer, en une dizaine de feuillets, un ensemble de problèmes concernant le rapport du savoir avec ce qui est caché, au xvie siècle : la nature de ce savoir, sa dimension encyclopédique et le problème de sa divulgation, en étroite connexion avec sa dimension pratique.
2Le De secretis a pour objet les effets occultes de causes occultes, qu’il s’agisse d’actions, de productions ou d’artifices, produits par l’art et par la nature. Il correspond à l’entreprise, à première vue contradictoire avec la nature de ses objets, d’élaborer une théorie complète de l’art des secrets, conformément aux règles de la dialectique, selon les deux procédés de l’inventio et de la dispositio. L’art des secrets ne consiste pas seulement, en effet, à exposer des règles pour les découvrir (inventio), mais aussi à dresser une classification ordonnée (dispositio) des livres écrits ou à écrire, sur tous les champs couverts par la notion de secret. Cardan élabore ainsi une des multiples expositions de son entreprise encyclopédique, mais cette fois, en fonction de la distinction générale entre le manifeste et l’occulte.
La définition des secrets
3La première étape de l’exposé est la définition. Cardan insiste sur le caractère restrictif de celle qu’il donne des secrets, qu’il définit, dans un premier temps, par ce qu’ils ne sont pas :
Par le nom de secrets, on n’entend pas ici les choses que l’on ne peut pas connaître, ni non plus celles que l’on peut connaître aussitôt par un raisonnement méthodique (methodo ac ratione). (…) Nous appelons donc secrets ce que l’on découvre, du fait d’une raison qui n’est pas évidente (non evidentem ob rationem), et pour cela aussi, très peu sont clairs par nature (natura nota)5.
4Le secret n’est ni le connaissable, ni l’inconnaissable, mais ce qui, tout en étant connaissable, reste caché. Une telle dissimulation peut être l’objet d’une intention humaine, ou faire partie intégrante de la chose cachée. Cardan considère le second cas6 : si les secrets sont cachés, c’est du fait d’une « raison » particulière, dépourvue de l’évidence qui autoriserait une connaissance rapide par un raisonnement bien mené. Leur caractère caché ne dépend donc pas de ce que nous les connaissons ou non. Par conséquent, ils ne changent pas de nature du fait qu’ils sont divulgués ou, après avoir été découverts, de nouveau oubliés ou perdus7.
5C’est poser le problème de la nature des « raisons » à l’œuvre dans les secrets. Cardan s’exprime d’autant moins sur elles que leur nature est précisément d’être cachée. Dans cette situation spécifique, l’appellation revêt une importance particulière. Cardan estime que, dans le cas du secret, les termes grecs et latins sont adéquats : « En grec, secret se dit : anagnos ou aporrèton, en latin, occultum, secretum, arcanum, abditum, ou ineffabile. » Néanmoins, dans la mesure où la chose, et non le mot, est le véritable objet de la recherche, il insiste sur la nécessité de ne pas hésiter à restreindre, et surtout à étendre le sens des mots qui désignent les secrets, « pour éviter que périssent beaucoup de choses utiles et liées entre elles »8. En effet, c’est souvent l’utilité des secrets, leur efficacité et de ce fait, leur usage fréquent qui conduit, de proche en proche, à remonter de l’effet à la cause et de secret en secret.
6Cardan peut alors formuler une définition des secrets dans leur rapport à la connaissance, sans perdre de vue que, pour l’intelligence humaine, une telle connaissance n’a pas sa source dans la contemplation, mais dans l’usage :
Nous appelons donc secrètes et connues les choses dont la raison n’est pas si évidente qu’elles doivent être connues de beaucoup, mais dont l’usage a instruit plusieurs, et nous appelons occultes et non encore découvertes, celles dont il existe des semences permettant de les découvrir, ou qui ne peuvent être découvertes que par hasard, du fait de l’abondance et de l’usage fréquent de la chose dans laquelle se trouve cette vertu (vis). Quant à celles que l’on ne découvre jamais et qui reposent sur des raisons manifestes, même si elles ne sont pas encore découvertes, elles ne méritent pas d’être appelées secrètes9.
7La connaissance des secrets est donc à proprement parler une connaissance par les effets dont l’amorce se trouve dans l’utilité et l’efficacité. L’inégalité qu’introduit la diversité des usages et de la fécondité des différents secrets fait qu’il existe des degrés dans le caché. Cette différence de degrés devrait permettre de passer d’un secret à l’autre, du peu connu à ce qui est encore inconnu. La notion de secret est donc inséparable, chez Cardan, d’une théorie de la connaissance humaine. Les secrets sont des amorces de connaissances du fait de leur nombre et de leur nature miraculeuse10, deux caractères qui ne sont pas contradictoires. En effet, si nous ignorons plus de choses que nous n’en connaissons, c’est, comme l’explique Cardan, du fait que les mêmes causes occultes peuvent produire une multiplicité d’effets dont le caractère occulte est variable : certains peuvent être découverts ; d’autres restent inaccessibles à la raison humaine11. Caractères distinctifs d’un être ou d’une chose, irréductibles aux causes élémentaires et au tempérament, « des traits singuliers de cette sorte » que Cardan appelle le propre ou la propriété, « méritent le nom de miracula ; ils sont les marques les plus particularisées de la varietas rerum », écrit Jean Céard12. C’est, par exemple, une agilité particulière des mains chez celui qui jette les dés, ou l’absence incompréhensible de cicatrice chez tel grand brûlé, que l’on ne saurait attribuer à l’art humain, en l’occurrence le même traitement médical, pratiqué invariablement par tous les médecins13. Le miracle (miraculum) n’est plus ici l’exceptionnel, signe que Dieu déroge à un ordre naturel qu’il a lui-même établi, ni l’étonnant (mirum) l’effet de l’illusionisme du démon, mais la manifestation « subtile » d’une rationalité cachée, à l’œuvre dans la nature.
8Parmi les différentes sortes (modi) de secrets, Cardan désigne certaines sciences et certains arts comme relevant du genre même du secret. Or ils ne se distinguent ni par la connaissance pure, ni même par la connaissance utile du fait de ses applications, mais par le fait de porter sur « ce qui peut advenir », en termes d’œuvres, d’actions ou de représentations. Et dans les trois derniers genres, Cardan privilégie « ceux qui portent sur les œuvres, qui sont aussi les plus lucratifs » : « l’alchimie, la magie et la fabrication des couleurs »14. Il est donc impossible de séparer la connaissance des secrets du pouvoir qu’elle confère, ce qui n’empêche pas Cardan de distinguer l’alchimie et la magie par un trait particulier qui nous permet de préciser ce qu’il entend par secret au sens propre, d’un point de vue théorique : l’alchimie et la magie se caractérisent par le fait que « l’art tout entier réside dans des raisons très subtiles »15.
9Dans le De subtilitate, Cardan définit ainsi la subtilité : « Est subtilité quelque définition et raison, par laquelle les choses sensibles difficilement sont comprises par les sens, et les choses intelligibles par l’intellect, ou entendement »16. La difficulté empreinte dans certains êtres et productions de la nature, liée à leur caractère caché, est en réalité ce qui va permettre d’élaborer un art pour les rechercher. C’est sans doute la raison pour laquelle Alfonso Ingegno explicite la subtilité comme une « capacité à surmonter les obstacles qui s’interposent entre les sens et les objets sensibles et l’intellect et les objets intelligibles »17. La subtilité sera donc l’art de détecter ces causes occultes dont la sympathie et l’antipathie sont les manifestations les plus tangibles18. Dans le De secretis, Cardan ne reprend le terme que dans le passage cité19, mais il consacre un chapitre entier à détailler les aptitudes que doivent posséder ceux qui sont aptes (apti) à rechercher les secrets.
10Cependant, alors que toutes ces définitions des secrets tendent à énoncer les modalités de leur dévoilement, elles nous semblent plutôt formuler les points sur lesquels ils échappent à toute tentative de rationalisation. À la fin du chapitre ii où il distingue les différents genres de secrets, Cardan propose une dernière classification particulièrement éloquente à cet égard : « Derechef, il y a des secrets qui n’ont aucune cause manifeste, d’autres dont les principes ne sont pas manifestes par eux-mêmes, et d’autres qui sont si éloignés des principes que, sans un grand travail, ils sont inconnaissables »20.
11Ainsi définis, les secrets ont en commun la difficulté, voire l’impossibilité de se voir assigner une cause ou des principes, autrement dit, de voir articuler leur singularité à la nécessité d’un enchaînement causal et aux principes premiers d’une science ou d’un art. L’enjeu est la formulation d’une théorie de la causalité occulte et l’énonciation de règles générales pour un art des secrets.
« Une méthode générale »
12Dans le chapitre ix, Cardan présente son ouvrage comme le seul qu’il ait écrit sur la question. Il « traite », dit-il, « des principes de l’art tout entier », et il est pensé « pour que tous ceux qui restent puissent être élaborés par d’autres selon cette méthode »21.
13En effet, bien que les sujets traités recoupent d’autres ouvrages, en particulier le De subtilitate et le De varietate, comme il le signale lui-même pour les secrets du ciel et pour ceux qui concernent les principes naturels22, le De secretis se distingue, selon Cardan, par la mise en œuvre d’un savoir lui aussi secret, la dialectique : « moi aussi » après d’autres auteurs, dit-il, « j’ai écrit sur ces sujets, alors que je n’avais pas encore découvert les règles cachées de la dialectique ni n’en avais fait une exposition ordonnée » ; mais avec de maigres résultats : peu de connu, au milieu d’une infinité de choses inconnues. « C’est la raison pour laquelle », poursuit-il, « j’ai écrit ce livre, pour présenter la méthode permettant de rechercher tout ce qui est caché. (…) Il me servira aussi à ordonner trois livres que j’ai écrits »23. Et il utilise presque les mêmes termes pour décrire l’opuscule, dans le De libris propriis : « je n’y ai consigné aucun secret, mais j’y ai seulement présenté la voie permettant de les découvir »24.
14En plusieurs endroits du De libris propriis, Cardan a signalé le rôle capital pour la suite de son œuvre de la Dialectique qu’il rédige en 1559 et ne publiera qu’en 156625. Voici comment il la décrit :
C’est pourquoi j’ai formé le nouveau projet d’essayer un jour, en rédigeant une Méthode certaine, de m’aplanir la route pour terminer plus facilement les livres qu’il me restait [à écrire] (…). J’ai donc eu l’heureuse idée de composer une Dialectique (…). Sous son égide, nous pouvons pénétrer tous les arts dont les principes nous sont connus, de sorte que l’accès à toutes les nouvelles questions et à tous les nouveaux problèmes nous soit immédiatement ouvert26.
15Pour Cardan, la dialectique est donc à la fois une méthode de découverte et d’amplification du savoir. En tant que méthode, elle est synonyme de ratio et via, chemin à suivre, avec les connotations que le terme de methodus reçoit au xvie siècle, de facilité, d’efficacité et d’utilité27. Cardan ajoute à la dimension théorique de la découverte celle, purement utilitaire, d’ordonnance de l’œuvre déjà rédigée et de programmation de l’œuvre à venir. Il reprend ainsi un caractère qu’Aristote attribuait à la dialectique, au début des Topiques : être une méthode de découverte qui ouvre la voie à de nouvelles recherches.
Autre avantage encore, en ce qui regarde les principes premiers de chaque science : il est, en effet, impossible de raisonner sur eux en se fondant sur des principes qui sont propres à la science en question, puisque les principes sont les éléments premiers de tout le reste ; c’est seulement au moyen des opinions probables qui concernent chacun d’eux qu’il faut les expliquer. Or c’est là l’office propre, ou le plus approprié de la dialectique : car en raison de sa nature investigatrice, elle nous ouvre la porte aux principes de toutes les recherches28.
16Mais pour Cardan, la dialectique est la logique commune à « tous les arts dont les principes nous sont connus »29. C’est sans doute pour cela qu’il peut la qualifier de « méthode certaine », logique de la vérité et non logique du probable. Elle ne devrait donc s’appliquer aux arts dont les principes sont cachés que dans la mesure où elle autorise la découverte de ces principes à partir des « arts dont les principes nous sont connus ». Cardan procède à cette application dans le chapitre vi du De secretis :
Il faut être exercé non seulement dans les sciences manifestes, mais aussi dans celles que l’on découvre par des raisons obscures et profondes : cela contribue beaucoup à évaluer exactement les raisons des découvertes, comme nous l’avons dit dans le second livre intitulé Dialectique : en effet, une fois découverts, dans chaque discipline, certains principes qui ne se présentent pas immédiatement, il faut en rédiger un abrégé et élaborer la dialectique que nous avons dite précédemment, propre à cette discipline et à celle qui lui est semblable30.
17Appliquée aux secrets, la dialectique retrouve sa nature d’exercice31 ; dans le cas particulier de la découverte des arts et des sciences, où la recherche consiste à « évaluer exactement les raisons des découvertes » – mais le terme « inventorum » peut désigner aussi les inventeurs –, elle s’apparente à la méthode résolutive de Galien, si importante dans la Dialectica, comme l’a montré Ingo Schütze, pour l’exposition de la médecine « selon l’invention a notione finis »32. Il s’agit d’une méthode qui consiste à découvrir les arts à partir de la représentation de leur fin, en déterminant les procédés mis en œuvre pour atteindre cette fin33. D’autre part, en tant qu’elle porte « sur les manières particulières de composer les livres de ce genre [sc. les livres de secrets], et par conséquent, sur la logique propre à chaque discipline (…) »34, la Dialectica a une double dimension pratique et encyclopédique.
18Élaboré selon les règles de la dialectique, le De secretis devrait donc se présenter comme un exposé en abrégé des principes des disciplines qualifiées de secrètes, en raison du caractère non manifeste de leurs principes. De fait, Cardan a décrit le premier livre des secrets, c’est-à-dire le premier livre du De secretis, comme traitant « des principes de l’art tout entier, pour que tous ceux qui restent puissent être élaborés par d’autres selon cette méthode »35. Le De secretis est donc une méthode générale de l’art des secrets, comme le reconnaît Cardan lui-même lorsque, devançant l’objection selon laquelle il serait trop vieux pour se lancer dans la rédaction d’un tel programme, il réplique : « Et si je léguais plutôt une méthode générale à la postérité, dépourvue pour l’essentiel de la découverte et de la rédaction »36 ?
19Le De secretis se déploiera donc dans deux directions : la découverte (inveniendi) et la rédaction (conscribendi), ou l’inventio et la dispositio. Le premier objectif de Cardan est de montrer la voie de la découverte des secrets à ceux qui viendront après lui, amorçant du même coup le processus d’écriture ; son second objectif est de mettre de l’ordre dans la rédaction de ses propres ouvrages, à l’aide de sa méthode de rédaction des livres de secrets, moins ici dans le sens rhétorique de dispositio des arguments à l’intérieur de chaque livre, que comme dispositio, dans le sens de programme de rédaction ordonnée des livres de secrets37. Le projet est véritablement encyclopédique, conformément à la vocation de Cardan, ou si l’on préfère, à son destin, qui lui est confirmé dans un rêve dont il fait état dans son autobiographie :
Il me semblait que mon âme se trouvait dans le ciel de la lune, dépouillée du corps et isolée, ce qui soulevait mes plaintes. J’entendis la voix de mon père qui disait : « Dieu m’a donné à toi comme gardien. Tout ici est plein d’âmes que tu ne vois pas plus que tu ne me vois, mais à elles tu es en outre empêché de parler. Tu resteras dans le ciel sept mille ans, et tout autant dans chacune des sphères jusqu’à la huitième ; ensuite tu parviendras au royaume de Dieu. » Je l’interprétai ainsi : l’âme de mon père est mon génie tutélaire (qu’y aurait-il de plus bienveillant et de plus favorable ?) ; la Lune, c’est la grammaire ; Mercure la géométrie et l’arithmétique ; Vénus la musique, l’art de la divination et la poésie ; le Soleil, la morale ; Jupiter, la science de la nature ; Mars, la médecine ; Saturne, l’agriculture, la botanique et les autres arts inférieurs ; le huitième ciel, un aperçu de toutes les sciences, la sagesse naturelle et les études diverses ; après cela je reposerai enfin avec le Seigneur. Cette division a été presque reproduite dans les sept sections de mes Problèmes. Le temps est proche où ils seront achevés et publiés38.
20Comme l’inventio, ce projet de rédaction d’ouvrages repose sur un élément essentiel de la méthode qui est la considération des fins. Au chapitre xxi, Cardan insiste sur la nécessité « d’élire une fin », « puisque, comme je l’ai dit, la fin dirige tout »39. Dans quel sens ? Dans les Topique, Aristote écrivait que « nous possèderons parfaitement la méthode, quand nous serons pour elle ce que nous sommes à l’égard de la Rhétorique et de la Médecine et des autres capacités de ce genre, c’est-à-dire [capables d’] accomplir, à l’aide des possibilités dont on dispose, la fin proposée »40. Dans le De secretis, c’est la considération « des fins et des modes des opérations »41 qui dicte la liste non exhaustive des livres écrits ou à écrire sur les secrets. Cardan prend soin d’exclure la tromperie délibérée pour ne considérer que le « véritables inventions », au nombre desquelles il place l’illusionisme (praestigia), dès lors que ces inventions n’ont pas pour but de tromper42. Les fins les plus générales sont selon lui la sapience, l’utilité et le lucre. L’exposition détaillée qu’il donne des huit genres de fins : « vivre longtemps, être en bonne santé, posséder les capacités de l’esprit, être riche, honoré, doté de plaisirs et d’enfants (…) »43, inscrit son projet dans le cadre du bien-vivre (eu zên) aristotélicien44. Et le long chapitre xxii qu’il consacre aux conditions que doit remplir le secret utile ne laisse plus de doute sur la priorité de la dimension pratique, avec un aspect largement utilitaire, de la démarche de Cardan dans le De secretis.
21Au chapitre ix du De secretis, notre auteur élabore donc une liste de cent ouvrages (le même nombre que celui des chapitres du De varietate rerum), dont l’ordre va, en gros, de la métaphysique à la physique, aux mathématiques, aux techniques, à l’éthique, à la politique, aux secrets impossibles à classer sous un genre, aux secrets tout simplement impossibles, et jusqu’à ceux « dont on ignore encore les genres »45. Bien qu’il présente son énumération en termes de livres et non en termes de disciplines, qu’il la caractérise comme programmatique et non exhaustive et surtout qu’il ne l’assortisse d’aucun commentaire, il est difficile de ne pas rapprocher cette esquisse d’encyclopédie méthodique de l’intérêt contemporain pour « le problème de la méthode (avec le double sens de méthode d’« enseignement » et de méthode de « construction » des différentes formes de savoir) »46.
22Cardan aborde la question de l’enseignement des secrets dans le dernier chapitre, intitulé : « Comment transmettre les secrets pour qu’ils gardent leur autorité ». Son attitude en la matière peut être caractérisée par le double souci de transmettre le savoir sous une forme propre à stimuler les esprits (il dit : à les cultiver, metiri)47, et donc, sans tout dévoiler, tout en évitant de mettre à la disposition de tous un art qui, plus que tous les autres du fait de la nature cachée de ses principes, s’expose aux pires utilisations48. D’où toute une déontologie de la transmission des secrets qu’il développe dans le chapitre xxv49.
23Au risque d’en donner une image en partie déformée, nous avons choisi de privilégier les aspects théoriques d’un ouvrage, on l’a vu, ouvertement dicté par une visée pratique et utilitaire, en concentrant notre attention sur la méthode de construction, par Cardan, d’un savoir sur les secrets, et par conséquent, sur la découverte. Il se propose de montrer qu’un tel savoir est possible, en référence à deux disciplines dont les causes d’une part et les principes de l’autre sont manifestes : la médecine et les mathématiques.
Le modèle médical
24C’est au chapitre xv du De secretis que Cardan analyse « les modalité du passage des universaux aux propres dans la recherche »50. Mais il prend ici le terme de « propre » dans le sens de propriété manifeste renvoyant à la causalité élémentaire et au tempérament – en l’occurrence, propriété manifeste des médicaments.
25L’objection vient de ceux qui pensent que « les secrets résident dans la seule expérience et dans le seul usage et que la raison est superflue » ; autrement dit, que la recherche des secrets est vouée à n’être qu’un tâtonnement, impossible à exprimer par des règles. Pour leur répondre, Cardan fait appel à Galien :
Il faut leur montrer, du fait de leur accusation, qu’il y a des préceptes généraux et qu’ils sont utiles. En effet, de même que Galien, dans les cinq premiers livres sur les médicaments simples, expose très exactement ce qui n’était connu qu’imparfaitement par l’expérience et qu’il l’a exposé généralement, parfaitement et rationnellement, il est utile de procéder de même dans les choses obscures51.
26Dans le De simplicium medicamentorum temperamentis ac facultatibus, Galien ne traite pas de la composition des médicaments, puisqu’il s’agit des médicaments simples, ni de leurs applications qui font l’objet du De methodo medendi, mais du tempérament des éléments (le chaud, le froid, le sec et l’humide) qui leur confère, selon lui, leurs propriétés (dunameis / facultates). Contrairement à ce que croient les philosophes sceptiques et les médecins empiriques, en effet, Galien pense que l’essence des propriétés des médicaments est connaissable. Pour cela, il commence par distinguer les qualités des corps et les actions des médicaments (chaud, froid, sec et humide) « kat’heauton / per se » ou « kata tès heautou phusin / ex sua natura », des qualités ou des actions par accident, « to kata sumbébèkos / ex accidente », en vue d’explorer les propriétés des médicaments de toutes espèces et d’exposer en particulier ce qu’il avait exposé en général sur les médicaments dans le De elementis secundum Hippocratem52.
27On le sait, la médecine galénique se situe absolument en dehors de la problématique de la causalité occulte53 et Cardan entretient avec elle un rapport essentiellement critique, si ce n’est dans le domaine de l’invention, concerné ici54. L’action des médicaments simples est donc en elle-même manifeste, mais pour nous, « connue imparfaitement par l’expérience », ce qui la rapproche à deux égards des secrets : par la difficulté de son identification et par sa nature simple qui renvoie ici à des propriétés manifestes et non à des propriétés occultes. Le traité de pharmacologie théorique est ainsi, sans doute, dans le domaine de la médecine, le correspondant le plus significatif de l’art des secrets et l’exposition qu’en fait Galien, qui consiste à rapporter l’action des médicaments simples à un principe d’explication unique : le tempérament, un bon modèle à suivre pour l’exposition des secrets. Mais en tout état de cause, elle ne saurait répondre à la question de l’essence de leurs propriétés.
28De ce fait, le modèle de Galien ne met pas Cardan à l’abri de l’objection sur la distinction insurmontable entre le manifeste et l’occulte : dans le cas des propriétés occultes, on ne saurait remonter de cause en cause, comme on le fait, de qualité en qualité, jusqu’à la qualité première qui caractérise tel tempérament et définit la propriété manifeste de tel médicament simple. Le modèle de la médecine galénique montre ici ses limites, face à l’objection de départ selon laquelle « les secrets résident dans la seule expérience et dans le seul usage et que la raison est superflue ».
29Cardan répond à l’objection par le principe de l’universalité de la causalité dans la nature : « (…) Nous ne doutons pas qu’il y ait des causes en toutes choses. Et sans aucun doute, si l’on ne peut connaître les causes premières, on peut connaître les causes prochaines (proximas) »55. Il énonce ainsi pour la première fois la règle générale qui guide son investigation sur les secrets et sa tentative d’aller le plus loin possible vers une science du propre et du particulier, dans le cadre de la théorie aristotélicienne de la connaissance où connaître, c’est connaître par les causes56, et où la recherche des causes premières sera synonyme de recherche des principes.
30Mais une règle générale ne saurait suffire : seule une science dont on retrouve les raisons dans la nature peut fournir autre chose qu’un modèle, un véritable fondement pour l’art des secrets. C’est le cas des mathématiques.
La raison mathématique
31Cardan s’en explique au chapitre xi du De secretis :
La véritable connaissance des secrets procède des causes des choses, et elle ne réside que chez les dieux. Seuls, en effet, ils comprennent (intelligunt) l’intimité des choses. Pour notre part, nous n’en avons qu’une connaissance extérieure et lointaine ; c’est pourquoi nous connaissons très peu de secrets de la nature, alors qu’ils sont innombrables, et ces quelques secrets, nous les connaissons plutôt par la mécanique et par l’expérience (experimento) que par la contemplation et la science. Mais dans certains domaines comme les mathématiques, parce que nous connaissons par les causes, nous connaissons aussi davantage de secrets. Et si nous disposions d’un grand nombre de principes, nous en connaîtrions beaucoup plus. Car les mathématiques sont plus connues des hommes que la physique ; et donc tout ce qui peut être ramené à la raison mathématique est plus clair pour nous57.
32Les mathématiques ont la particularité d’être à la fois une connaissance par les causes et une connaissance accessible aux hommes. Ce privilège est contrebalancé par le petit nombre de ses principes connus de nous, dont deux ou trois ont néanmoins suffi à Archimède pour constituer un art dans sa totalité58. Les principes des mathématiques s’appliquent notamment à la construction de machines pneumatique ou hydrauliques : « toutes les choses de ce type dépendent en effet d’une raison mathématique, jointe à des principes naturels »59. La mécanique est un type de connaissance accessible à l’intelligence humaine qui met en jeu à la fois la raison et l’expérience. La construction des machines par Héron, à la suite d’Archimède, montre comment on peut passer de la raison à l’expérience et à l’inverse, de l’expérience à la raison, en prenant à leur tour les machines comme modèles pour comprendre les principes à l’œuvre dans la nature60. La pneumatique et l’hydraulique, même si elles ne s’y réduisent pas, entrent souvent dans la composition des automates dont les mouvements ont l’apparence de la vie, ce qui les apparente aux secrets61. Et l’on peut en dire autant des mathématiques et plus exactement de la géométrie, en certaines de leurs parties qui ont les caractères extérieurs du secret, du fait de la difficulté de leur découverte, de leur extraordinaire utilité et de la beauté qui les caractérise, sans pour autant en avoir la nature62.
33Les mathématiques, et en particulier la géométrie euclidienne, ont des principes que l’on retrouve à l’œuvre dans la nature dont les principes sont, pour leur part, accessibles à la seule expérience (experimentum), que l’on pourrait définir par l’épreuve des faits ou des effets ; effets de préférence rares, voire spectaculaires ; en tout cas inexplicables par des « raisons » manifestes. Les techniques offrent un accès privilégié à certains secrets de la nature, du fait de la vicariance entre l’art naturel et l’art humain qui permet un véritable va et vient entre la raison et l’expérience. Cardan conclut ainsi son explication de la recherche des causes dans le cas de l’action de l’aimant :
Il est donc clair qu’ils se trompent, ceux qui pensent que les raisons générales sont inutiles dans la recherche des secrets. Mais ceux qui ramènent l’art tout entier à des raisons générales ne se trompent pas moins. Il est nécessaire de perfectionner, de distinguer, de manifester les expériences par les raisons, ou de confirmer par des expériences les raisons que l’on a découvertes. Omettre cela, c’est l’erreur suprême et elle ridiculise les hommes63.
34La rencontre, dans certaines productions de la nature et de l’art humain, entre la raison mathématique et l’expérience, ainsi que le postulat de l’universalité du principe de causalité, accréditent la possibilité de remonter à des premiers principes des arts secrets. C’est à ce titre que Cardan transpose la méthode euclidienne de recherche des principes à la philosophie de la nature. Le propre est maintenant assimilé à un principe premier ; principe propre à une science ou à un art particulier. Au centre de l’opération, enfin, on trouve la recherche du moyen terme, élément essentiel, comme l’a rappelé Ingo Schütze, de la dialectique cardanienne64.
35Cardan écrit :
Nous descendrons d’abord des universaux aux propres ; les propres seront des sortes de principes premiers. Nous sélectionnerons les principes à partir des expériences (experimentis) et des choses générales (rebus generalibus), mais non à partir des très générales (generalissimis)65.
36Dans le domaine de la philosophie de la nature, les « propres » sont caractérisés comme les principes premiers auxquels il faut remonter. Tout le problème est de choisir des cas dans lesquels l’expérience rencontre la raison mathématique. C’est la géométrie euclidienne qui sera chargée de faire comprendre ce que Cardan entend ici par « des choses générales », mais non « très générales » :
C’est comme en mathématiques où, dans la confrontation entre le cône, le cylindre et la sphère, nous ne poserons pas les principes suivants : « le tout est plus grand que sa partie » et « les choses égales à une quantité sont égales entre elles », car Euclide les a déjà posés et qu’ils sont très généralement valables pour toutes les quantités. Mais nous ne pouvons pas non plus poser ceux qui ne sont propres qu’aux cônes, à la sphère et au cylindre : en effet, ils ne peuvent pas être des principes parce qu’ils ne s’appliquent pas à toute quantité et qu’il faudrait les démontrer. Mais c’est une sorte d’intermédiaire (medium) qui fait que toutes les quantités s’accordent selon une certaine raison ; et cette raison convient aux cônes et à la sphère, et par l’intermédiaire de celle-ci, aussi aux cylindres. C’est pourquoi toute doctrine procède à partir de choses générales et même généralissimes, mais il y en a qui exigent une certaine raison ; on peut parler des principes des parties ou des principes propres à cette discipline66.
37Cardan distingue les principes propres à une discipline des principes communs à toutes, à partir de la géométrie euclidienne. Les « notions communes (koinai ennoiai) » ou axiomes, énoncés par Euclide au début des Éléments, sont ici représentés par deux d’entre eux : la première notion commune : « Les choses égales à une même chose sont ausi égales entre elles », et la huitième : « Et le tout {est} plus grand que la partie »67. Ces « notions communes » ou axiomes sont au principe de la stéréométrie, mais au même titre qu’elles le sont des autres sections de la géométrie. À l’inverse, des principes qui s’appliqueraient exclusivement aux figures solides que sont les cônes, la sphère et les cylindres ne seraient pas de véritables principes, puisqu’il faudrait les démontrer. Or les principes sont indémontrables. Il faut donc trouver « une sorte d’intermédiaire (medium) » qui formule, dans les termes généraux d’un rapport, l’appartenance de ces différentes figures (cônes, sphère, cylindres) à une même discipline68. Au livre XI des Éléments, Euclide donne des cônes, de la sphère et des cylindres des définitions génétiques élaborées selon un même processus de construction : par la révolution complète d’une figure plane autour d’un axe maintenu fixe69. En quoi la sphère intervient-elle dans la position d’un moyen terme commun entre les cônes et les cylindres, selon Cardan ? Si l’on s’en tient à ce qu’en dit Euclide, on peut faire l’hypothèse que c’est en qualité de figure solide simple et parfaitement régulière70 dont le cône et le cylindre constitueraient les deux développements extrêmes. Mais on ne peut s’empêcher de penser que le choix par Cardan de ce qu’Euclide concevait comme des figures de révolution renvoie aussi à la forme de la terre et à l’argumentation de Ptolémée pour la justifier. Cette argumentation, reprise par Théon d’Alexandrie dans son Commentaire sur l’Almageste à propos de la terre et du cosmos et, à propos du cosmos, par Euclide (ou le ps. Euclide) dans le prologue des Phénomènes, est résumée ainsi par Bernard Vitrac : la terre (ou le cosmos) n’est ni conique, ni cylindrique, elle est donc sphérique71.
38L’exemple des figures solides renvoie donc à une véritable construction du monde ; quant à la transposition de la méthode euclidienne de recherche des principes à la recherche des secrets, elle représente, comme précédemment, une tentative pour appliquer à la philosophie de la nature des principes valables dans les sciences démonstratives ou apodictiques. Dans les Seconds Analytiques, Aristote identifie en effet la recherche de la cause à celle du moyen terme qui relie la conclusion aux prémisses dans le syllogisme72, et il étend cette théorie à toutes les formes de causalité. Le commentaire de J. Tricot est sur ce point particulièrement éclairant :
On est ainsi conduit à identifier cause et raison, ou, si l’on préfère, cause et moyen terme, et à ramener toute recherche d’ordre scientifique, à la découverte de la médiation ; l’opération causale apparaît comme un équivalent concret de l’opération syllogistique, et cette équivalence se manifeste dans tous les modes de causalité : causalité matérielle (Anal. post., II, 11, 94 a 24-36, p. 198-199 de notre trad.), causalité efficiente (94 a 36-b 8, p. 199-200), causalité finale (b 8-20, p. 200-202). La cause véritable est donc toujours la forme et l’essence. Toutefois, l’identité de l’opération causale et de la démonstration syllogistique n’est pleinement réalisée que dans le cas de la cause formelle, où l’effet est simultané à la cause. Pour les autres causes, où cette simultanéité ne joue pas, il est nécessaire de faire appel à l’expérience pour isoler le lien causal : suivant l’expression de Thémistius, il faut alors raisonner non plus katôthen de la cause à l’effet, mais anôthen, de l’effet à la cause73.
39Appliquée aux secrets, la recherche de la cause comme moyen terme procèdera de l’effet à la cause. Mais les principes propres aux différents arts secrets restent des sortes de postulats74 qui appellent, en lieu et place de démonstrations, une confirmation dans des expériences :
Mais dans les choses naturelles, comme nous postulons (quaeramus) des choses rares, il faut aussi poser des matières rares, et de même que chez les mathématiciens, nous essayons de trouver des démonstrations concernant certaines parties, qui soient les principes du savoir dans [ces parties], de même chez les philosophes, nous essayerons de trouver des expériences (experimenta)75.
40Il reste maintenant à montrer comment Cardan applique ces règles à la recherche des principes de l’art des secrets.
La connaissance des secrets
41Pour Cardan, la rareté n’est pas signe d’exception, mais de rationalité cachée : elle renvoie à une causalité occulte76 et par conséquent, à une nature entièrement régie par la loi de la causalité, mais dont on recherche la régularité à partir de l’exceptionnel. Cardan conclut ainsi le chapitre xxiv du De secretis, intitulé : « Conjecture pour découvrir les secrets » :
C’est pourquoi il faut observer les choses singulières et rares ; mais une fois qu’elles sont répandues, si elles ont quelque chose de digne d’admiration lorsqu’elles se produisent, elles ouvrent et enseignent rapidement une voie facile pour découvrir d’autres secrets77.
42On doit pouvoir remonter au secret recherché par conjecture, à partir de ce que l’on connaît déjà (la séparation des métaux ou leur polissage), d’« une apparence miraculeuse » (dans le cas de l’aimant), d’une rareté digne d’admiration (dans le cas de certains animaux), d’une forme admirable, d’une naissance étonnante, d’une propriété (dans le cas du lynx), de la sympathie ou de l’antipathie, et des opérations effectuées. La rareté est également synonyme de facilité, et sa nature de point de départ pour la recherche correspond à la règle selon laquelle « il faut commencer par ce qui est facile », les « matières » étant réputées plus faciles à connaître que les « genres d’actions »78.
43Dans le domaine de l’action, c’est la modification (mutatio) qui caractérise les secrets :
Nous l’avons dit, les secrets reposent sur une modification (mutatio) de l’esprit, du corps ou de la production de la vie, et d’autres choses que nous avons évoquées, et leurs principes sont au nombre de quatre : la sympathie et l’antipathie, les instruments, le mouvement de l’esprit et l’agilité manuelle79.
44C’est un cas particulièrement spectaculaire que Cardan prend pour exemple : celui de l’aimant. L’attraction n’est pas un simple déplacement, dans la mesure où l’aspect miraculeux de son action met en jeu la sympathie et l’antipathie. Cardan récapitule ce qu’il en a dit au chapitre v, en deux suppositions corroborées par des expériences, et trois axiomes : on suppose (1) que cette pierre attire le fer, (2) qu’elle le dirige en partie vers le Nord, et en partie vers le Sud, mais latéralement ; et trois axiomes généraux parce que valables pour tout ce qui se trouve dans la nature : (3) le semblable attire le semblable et le contraire repousse le contraire ; (4) ce qui attire, s’il ne peut pas attirer, se dirige vers les choses qui lui sont conformes ; (5) enfin, les choses qui sont unies sont nécessairement attirées, pourvu que les choses auxquelles elles sont unies soient attirées. Cardan conclut : À partir de deux suppositions seulement, corroborées par l’expérience elle-même, et de trois axiomes généraux, tout ce que l’on voit dans cette pierre a une cause claire80.
45Ainsi applique-t-il la méthode euclidienne à la philosophie de la nature, dans une démarche qui semble recouper celle qu’il décrit dans un chapitre du De arcanis aeternitatis consacré aux « manières dont les hommes connaissent ce qui est caché »81. Après avoir distingué l’inspiration par les songes, la connaissance venue des sens et un troisième genre qui : « dépend de la connaissance des principes et que nous utilisons surtout en mathématiques »82, il insiste tout particulièrement sur un genre mixte, composé des deux derniers et, selon lui, le plus congruent :
Lorsque, à partir de très profondes et certaines raisons, nous pénétrons les principes les plus reculés de la nature comme des causes et qu’à partir d’eux, nous conjecturons la suite et la variété des choses et des effets (…). Cette connaissance émane surtout de la division, de la comparaison et de la séparation, puisque nous pensons que ce sont là les causes communes à toutes choses, qui conviennent à toutes83.
46L’esprit humain n’a pas à proprement parler une connaissance par les causes des principes cachés de la nature, mais il se comporte envers eux comme s’ils étaient des causes – on reconnaît ici les suppositions qui président à la recherche des principes d’un secret comme celui de l’aimant. Quant aux axiomes, ils correspondent à des principes logiques très généraux comme la division, la comparaison et la séparation, mais aussi, on l’a vu, la transitivité qui permet à Cardan de transposer dans le domaine de l’occulte un protocole de savoir à l’œuvre dans la connaissance de ce qui est manifeste.
47Le livre I du De secretis ajoute ainsi un chapitre original à l’histoire de la méthode au xvie siècle, en esquissant des règles et un programme d’application de la dialectique, entendue comme logique de la vérité et méthode certaine, à un nouveau domaine de savoir : les arts dont les principes sont cachés aux hommes, à partir d’arts et de sciences dont les principes leur sont connus. Cette entreprise, que Cardan ne poursuivra pas au-delà du livre I, n’est pas seulement une méthode d’exposition du savoir occulte, mais aussi une méthode de recherche des causes – voire des principes – occultes. Le savoir est occulte, mais la méthode de recherche claire, prête à se mettre au service d’un pouvoir et propre à reformuler, dans cette nouvelle perspective, le bien-vivre aristotélicien.
Notes de bas de page
1 Girolamo Cardano, Opera omnia, édition Charles Spon, Lyon, Jean Antoine Huguetan et Marc Antoine Ravaud, 1663. Nous citons cette édition. Sur Cardan, voir Jean Céard, La Nature et les prodiges. L’insolite au xvie siècle, Genève, Droz, 1977 ; 1996, p. 229-251 ; A.Ingegno, Saggio sulla filosofia di Cardano, Firenze, La Nuova Italia, 1980 ; Girolamo Cardano. Philosoph, Naturforscher, Arzt, Hrsg. E. Kessler, Wolfenbütteler Abhandlungen zur Renaissance Forschung, Bd. 15, Wiesbaden, Harrassowitz Verlag, 1994 ; Nancy G. Siraisi, The Clock and the Mirror. Girolamo Cardano and Renaissance Medicine, Princeton University Press, Princeton, N. J., 1997 ; Girolamo Cardano. Le opere, le fonti, la vita, atti del convegno internazionale di studi, Milano, 11-13 dicembre 1997, a cura di M. Baldi e G. Canziani, Milano, Franco Angeli, 1999 ; A. Grafton, Cardano’s Cosmos : the World and Works of a Renaissance Astrologer, Cambridge Mass., London, Harvard University Press, 1999 ; I. Schütze, Die Naturphilosophie in Girolamo Cardanos De subtilitate, München, Wilhelm Fink, 2000.
2 Girolamo Cardano, De libris propriis, dans Opera omnia, éd. cit., t. I, p. 118 b.
3 G. Cardano, Somniorum synesiorum omnis generis insomnia explicantes, libri IIII, quibus accedunt ejusdem etiam : … De secretis…, Bâle, 1585, pagination non continue.
4 Sur les secreta, voir A. Serrai, Storia della bibliografia, I, Bibliografia e Cabala. Le Enciclopedie rinascimentali (I), a cura di M. Cochetti, Milano, Bulzoni, 1988, « I “libri di segreti” », p. 338 sq. (sur Cardan, p. 340-342) ; William Eamon, Science and the Secrets of Nature. Books of secrets in Medieval and early modern Culture, Princeton N. J., Princeton University Press, 1994 (sur Cardan, ad ind. ; sur le De secretis en particulier, p. 278-281).
5 « Verum cum secretorum nomine quae sciri non possunt, haud intelligantur hîc, nec etiam quae confestim methodo et ratione scire licet (…). Ea ergo secreta dicimus, quae non evidentem ob rationem inventa sunt : atque ob id etiam paucissimis natura nota sunt ». De secretis, éd. cit., chap. i, p. 537 a.
6 Nous laissons ici de côté le problème de la divulgation limitée des secrets, traitée par Cardan au chapitre xxv de l’ouvrage.
7 Au début du chapitre iii consacré à la nature des secrets, Cardan pose la question : « Utrum vero, quod secretum est, verti possit in vulgatam rem, causa inventa : et an causae, cognitione oblita atque amissa, vulgata in secreti naturam transire possint, considerandum ». Ibid., chap. iii, p. 538 a.
8 « Dicitur autem secretum graece anagnos vel aporrèton latine seu occultum dicat, seu secretum, aut arcanum, vel abditum, aut ineffabile. Se hoc aliquid maius est, nihil moror : nam non nomen, ut dixi de Subtilitate, quaeritur, sed res ipsa quaeritur : nec res una tam apte expressa est a Latinis aut Graecis, ut proposito nostro ad unguem satisfaciat. Quapropter et ampliare et contrahere significata licet : modo admoniti sint lectores, ne propter verbulum unum multa utilia et simul connexa pereant ». Ibid., chap. i, p. 537 b.
9 « Dicemus ergo secreta esse et cognita, quorum ratio non adeo perspicua est ut pluribus nota esse debeant : tametsi usus docuerit plurimos, et occulta, necdum inventa, quorum extant seminaria quaedam inveniendi aut quoniam necesse sit casu detegi, ob rei in qua sita est illa vis copiam, et frequentem usum. Quae vero nunquam detegentur, et quae manifestis innituntur rationibus, licet nondum inventa, Secreta dici non merentur ». Ibid. Cardan reformule cela au début du chap. iii, p. 537 b-538 a.
10 « Eritque forsan illud pro exemplo, ob uberem copiosamque materiam ac miracula quamplurima quae in ea continentur ». Ibid., chap. i, p. 537 b. Sur la multitude de ce qui est inconnu, au regard de ce qui est connu, voir le début de l’ouvrage, chap. i, p. 537 a.
11 « Cum enim proprium aliquid inest, et abditas habet causas, necesse est causas illas latere, et ab occultis illis causis alios produci effectus, qui naturaliter occulti et ipsi erunt : quanquam et ipsi, ut primus casus, forsan detegentur ». Ibid., chap. ii, p. 538 a.
12 J. Céard, « La notion de « miraculum » dans la pensée de Cardan », Acta conventus neo-latini Turonensis, Université François Rabelais, 6-10 septembre 1976, J.-Cl. Margolin (éd.), Paris, Vrin, 1980, t. II, p. 925-937 ; p. 926. Sur la même question, voir Luisa Simonutti, « Miracula e mirabilia in alcune opere di Cardano », dans Girolamo Cardano. Le opere, le fonti, la vita, op. cit., p. 181-214 ; sur le De secretis, voir p. 198.
13 De secretis, éd. cit., chap. xiii, p. 544 b. Dans le De ludo aleae, Cardan soumet le jeu de dés au calcul des probabilités. Sur ce point, voir A. Grafton, Cardano’s Cosmos, op. cit., p. 173.
14 « Secreta quidem alia, ut dixi, in cognitione consistunt : alia in cognitione quae usui utilis est, atque haec indivisa : Alia autem circa ea quae fieri possunt, vel in operibus, vel actionibus aut repraesentationibus : horum trium, et maxime quae circa opera versantur, quae etiam magis lucrosa sunt : quaedam ex genere ipso Secreta appellantur : ut quae circa Alchymicam, et Magiam, et colores ». De secretis, éd. cit., chap. iv, p. 538 b. Cardan propose ces distinctions dès le chap. ii, p. 538 a.
15 « Omnium autem maxime [necessaria est exercitatio], quae circa secretas artes versantur : ut chymica, magia : nam in huiusmodi vel minima negligentia evertit omnia : quoniam tota ars in subtilissimis rationibus reposita est ». Ibid., chap. vi, p. 540 b. Voir De subtilitate, éd. cit., t. III, p. 614 a.
16 Les livres de Hiérome Cardanus médecin milanais, intitulés de la subtilité, & subtiles inventions, ensemble les causes occultes & raisons d’icelles, traduits de latin en français par Richard Le Blanc, Paris, Guillaume Le Noir, 1556, l I : Des principes, p. 1. « Est autem subtilitas ratio quaedam, qua sensibilia a sensibus, intelligibilia ab intellectu, difficile compraehenduntur », dans Opera, t. III, p. 357 a.
17 A. Ingegno, Saggio sulla filosofia di Cardano, op. cit., p. 212.
18 P. Magnard, « La notion de subtilité chez Jérôme Cardan », dans Girolamo Cardano. Le opere, le fonti, la vita, op. cit., p. 159-167. Voir également la définition que donne l’auteur de la sympathie : « une analogie ou proportion dont le moyen terme ne saurait être déterminé ». Ibid., p. 160.
19 « At haec minima quis custodire poterit qui non exercitatus etiam diu in eo negotio fuerit ? quandoquidem subtilitas haec solius ususfructus sit ». De secretis, éd. cit., chap. vi, p. 540 b.
20 « Sunt rursus secreta quaedam quae causam nullam habent manifestam : alia, quorum principia sunt non per se manifesta : alia, a principiis adeo remota, ut sine maxima negociatione sciri non possint. » Ibid., chap. ii, p. 538 a.
21 « Primum igitur liber, qui et solus edetur a me de Secretis, est hic praesens, in quo de totius artis principiis tractatur : ut reliqui omnes possint hac ratione a diversis confici ». Cardan, De secretis, éd. cit., chap. ix, p. 542 a.
22 « Quintus est [sc. liber], de coelo : cuius portionem seligere licet ex libris de Subtilitate et Rerum varietate. Eum tamen non scripsi : sed alium quendam loco huius, et omnium sequentium velut farraginem : qui extat, nec edetur (…). Decimusnonus, de loco, inani, tempore, individuo, materia prima, forma, motu et corporum repugnantia. Cuius pars in Primo libro De Subtilitate a nobis tractata est : ut reliquorum omnium, in reliquis libris eius Operis, tum de Varietate rerum ». Ibid., p. 542 a ; 542 a-b.
23 « (…) Et nos antea de his scripsimus, cum nondum Dialecticae regulas abditas invenissem, atque in ordinem redegissem. Lusimus et operam ob id omnes, infinita inter pauca nota ignota relinquentes. Ea de causa hunc librum conscripsemus, ut pateret ratio investigandi quaecunque abdita sunt. (…) Alia utilitas erit, ut tres libros a me conscriptos in ordinem redigam ». Ibid., chap. I, p. 537a ; b.
24 « Nullum apposui secretum, sed solum viam illa inveniendi patefaci ». De libris propriis, dans Opera omnia, éd. cit., t. I, p. 118 b. Sur cet ouvrage et ses différentes versions, voir Ian Maclean, « Interpreting the De libris propriis », dans Girolamo Cardano. Le opere, le fonti, la vita, op. cit., p. 13-33.
25 Ingo Schütze met à l’épreuve ces déclarations de Cardan dans un article où il s’attache à « vérifier l’hypothèse selon laquelle la Dialectica a eu moins d’importance pour l’histoire de la logique que pour l’activité littéraire de Cardan lui-même ». Il montre que la dialectique, en fournissant à Cardan des instruments pour ordonner ses idées, apporte un véritable « fondement méthodologique à la dimension encyclopédique de son œuvre ». Ingo Schütze, « La Dialectica di Cardano e la rivalutazione enciclopedica della logica », dans Girolamo Cardano. Le opere, le fonti, la vita, op. cit., p. 147-157 ; p. 155 ; 157.
26 « Itaque novum consilium inii, si possem aliquando certa conscripta Methodo, mihi faciliorem ad absolvendos libros, qui restabant, viam sternere (…). Feliciter ergo excogitavi ut conderem Dialecticam (…). Hoc presidio omnes artes, quarum principia cognoverimus, ita penetrare licet, ut ad quaecumque etiam nova quaesita atque problemata statim pateat aditus ». De libris propriis, dans Opera omnia, éd. cit., t. I, p. 113 a. Voir également la présentation du quatrième livre des secrets : « adiutus mirum in modum Dialectica : nam et alias aggressus fueram hanc provinciam, sed parum feliciter ». Ibid., p. 117 b.
27 H. W. Arndt, « Methode » dans Historisches Wörterbuch der Philosophie, Berlin, 1980, t. V, col. 1312. Sur cette question, voir Neal W. Gilbert, Renaissance Concepts of Method, New York-London, Columbia University Press, 1960 ; C. Vasoli, « La retorica e la dialettica umanistiche e le origini delle concezioni moderne del “metodo” », dans Id., Profezia e ragione. Studi sulla cultura del Cinquecento e del Seicento, Napoli, Morano, 1974, p. 509-593.
28 Aristote, Topiques, l. I-VIII, trad. par J. Tricot, Paris, Vrin, 1974, 101 a-b, p. 6.
29 Souligné par nous.
30 « Convenit autem non solum exercitatum esse in scientis manifestis, sed in his quae obscuris quibusdam ac profundis rationibus inventa sunt : ob id plurimum confert, iam inventorum rationes ad amussim perpendere, ut in secundo libro diximus, qui Dialectica inscribitur : inventis enim principiis quibusdam in singulis disciplinis, quae non statim occurrunt, oportet ea in compendium redigere, constituereque qualem antea diximus dialecticam propriam illi ac consimili disciplinae ». De secretis, éd. cit., chap. vi, p. 540 a.
31 Aristote, Topiques, I, 2, 101 a, 25-30.
32 I. Schütze, « La Dialectica… », art. cit., p. 150. Voir p. 150-151.
33 Voir l’exposition particulièrement claire qu’en fait Antoine de Gouvéa, dans C. Vasoli, La dialettica e la retorica, op. cit., p. 415-416.
34 « Secundus autem, est de specialibus modis huiusmodi libros conficiendi : et ita de propria cuiusque disciplinae logica : confectus est hic a me, et vocatur Dialectica. Extat ». De secretis, éd. cit., chap. ix, p. 542 a. Sur l’union, chez Cardan, de la logique générale et des logiques spéciales dans la dialectique, voir I. Schütze, art. cit., p. 152-154.
35 De secretis, éd. cit., chap. ix, p. 542 a, cité supra, p. 26, n. 1.
36 « An potius methodum quandam generalem posteris relinquam, quae desunt maxima ex parte inveniendi ac conscribendi » ? De secretis, éd. cit., chap. i, p. 537 a. Nous soulignons.
37 La distinction entre inventio et dispositio remonte à Cicéron. Elle a été reprise par Rudolph Agricola, un des principaux théoriciens de la dialectique humaniste.
38 Cardan, Ma vie, trad. par Jean Dayre, révisée et éditée par Ét. Wolff, préface d’Ét. Wolff, Paris, Belin, 1991, p. 149.
39 « De fine eligendo – Oportet ergo finem primum, si possumus, eligere : quandoquidem, ut dixi, a fine omnia diriguntur ». De secretis, éd. cit., chap. xxi, p. 549 a.
40 Aristote, Topiques, I, 3, 101 b, 5-10, trad. cit., p. 7.
41 « De finibus et modis operationum ». De secretis, éd. cit., chap. viii, p. 541 b.
42 « Sed redeo ad veras inventiones, inter quas etiam praestigiae numerari debent : neque enim a decipiendum excogitatae sunt ». Ibid., chap. viii, p. 541 b.
43 « Igitur finium genera sunt octo : vivere diu, bene valere corpore, atque mente potentem esse, divitem, ornatum, cum voluptate, et filiis. Omnia ergo secreta ad unum horum generum deduci ac tendere debent ». Ibid., chap. viii, p. 541 b.
44 Aristote, Éthique à Nicomaque, I, 6, 1097 b 20-1098 a 20.
45 « De secretis quorum genera adhuc ignota sunt ». Ibid., chap. ix, p. 543 b.
46 C. Vasoli, La dialettica e la retorica dell’Umanesimo. « Invenzione » e « Metodo » nella cultura del XV e XVI secolo, Milano, Feltrinelli, 1968, p. 416.
47 De secretis, éd. cit., chap. xxv, p. 551 b.
48 Ibid. ; voir aussi chap. xxiv, p. 550 a-b.
49 Ibid., chap. xxv, p. 550 b-551 b.
50 « Quomodo ex universalibus ad propria in inquisitione deveniendum ». Ibid., chap. xv, p. 545 a.
51 « Ostendere tamen oportet, horum ob accusationem generalia praecepta et esse, et utilia esse : nam quemadmodum Galenus in libris primis quinque de simplicis medicamentis, quae solum experientia imperfecte nota erant, ad trutinam deducit, et generaliter et perfecte et cum ratione deduxit : ita etiam in obscuris facere utile est ». Ibid., chap. xv, p. 545 b.
52 Galien, De simplicium medicamentorum temperamentis ac facultatibus, dans Opera omnia, C. G. Kühn (ed.), Leipzig, 1826, Georg Olms, Hildesheim, 1965, t. XI, chap. i, p. 379-381 et suivantes. L’ouvrage est composé de six livres. Sur la médecine galénique et sa tradition, voir l’ouvrage classique d’Owsei Temkin, Galenism. Rise and Decline of a Medical Philosophy, Ithaca – London, Cornell University Press, 1973. Cardan est lui-même l’auteur d’un De simplicium medicamentorum nocumentis, dans Opera omnia, éd. cit., t. VII, p. 247- 252.
53 Sur ces questions, voir l’article très riche de Massimo Luigi Bianchi, « Occulto e manifesto nella medicina del Rinascimento », Atti e memorie dell’Accademia toscana di scienze e lettere « La Colombaria », XLVII, 1982, p. 183-248.
54 « Galenus autem versatus est circa inventionem artium, caetera quae de demonstratione iacta ridicula sunt : nam nec Hippocratis Dialecticam assecutus est, nedum ut ei aliquid adiecerit ». Cardan, Dialectica, éd. cit., t. I, p. 302 b. Sur les rapports de Cardan avec Galien, voir Nancy G. Siraisi, « Cardano and the history of medicine », dans Girolamo Cardano. Le opere, le fonti, la vita, op. cit., p. 341-362 ; Id., The Clock and the Mirror, op. cit., sur la critique de Galien, en particulier, p. 138-142.
55 « At dicent hi ; Utile certe erit, si fieri possit : sed negamus fieri posse, ubi abditae, non ut in secundis ac tertiis qualitatibus quae ex primis pendent, causae notae fuerint. Nos vero causam in quibuscunque esse non dubitamus. Sciri etiam posse proximas, si non primas, haud dubium est ». De secretis, op. cit., chap. xv, p. 545 b.
56 « Nous estimons posséder la science d’une chose d’une manière absolue, et non pas, à la façon des Sophistes, d’une manière purement accidentelle, quand nous croyons que nous connaissons la cause par laquelle la chose est, et qu’en outre il n’est pas possible que la chose soit autre qu’elle n’est. Il est évident que telle est la nature de la connaissance scientifique ». Aristote, Les Seconds analytiques, trad. par J. Tricot, Paris, Vrin, 1979, I, 2, 71 b 10, p. 7.
57 « Porrò vera cognitio secretorum ex causis rerum proficiscitur, eaque sola est in diis. Hi enim solum intima rerum intelligunt : nos autem exteriora tantum, et procul etiam ob id naturalia secreta pauca novimus ex innumerabilibus : atque illa pauca, ex Mechanica potius, atque experimento, quam contemplatione atque scientia. In quibusdam autem, velut Mathematicis : quoniam ibi per causam scimus, etiam secreta plura novimus. Et si plura haberemus principia, multo plura etiam sciremus. Mathematicae enim magis cognitae sunt hominibus, quam naturales : quaecumque igitur ad Mathematicam rationem perduci possunt, notiora sunt nobis ». De secretis, éd. cit., chap. xi, p. 544 a.
58 « Ignorantur autem pleraque in Mathematicis, ob paucitatem cognitorum principiorum. Duobus enim aut tribus inventis principiis, una tota ars constituitur : quod fecisse videmus pluries Archimedem ». Ibid.
59 « Omnia autem huiusmodi ex ratione mathematica, pendent, naturalibus principiis iuncta ». Ibid.
60 « Videtur autem conversa via procedendi in naturalibus puris, ex experimento ad rationes progredientibus in machinis, ex ratione ad experimentum ». Ibid.
61 Sur Héron d’Alexandrie, voir B. Gille, Les Mécaniciens grecs. La naissance de la technologie, Paris, Seuil, 1980, chap. vi, p. 122-145. Sur Archimède, p. 72-78.
62 « Sed quae procul absunt a principiis per se notis, ut quae ab Euclide ultimis in libris demonstratur, et a nobis in primis quinque, cum vere secreta non sint, desinere non possunt, tametsi ab homine nullo cognoscantur. Sunt enim in causis suis et hominum labore reposita. Dicuntur autem secreta ob inventionis difficultatem, et quoniam inventa quandam retinent pulchritudinem, vel evidentem utilitatem. Et quamvis haec secreta non sint, sic tamen appellantur : quoniam de his etiam hîc tractatio a nobis est instituta ». De secretis, éd. cit., chap. iii, p. 538 b. Voir également la fin du texte cité supra, p. 23, n. 2 (chap. iii, p. 537 b).
63 « Ex quo patet, aberrare illos, qui generales rationes secreta perquirendi putant esse inutiles : non minus his qui totam artem ad generalia et rationem traducunt. Sed necesse est rationibus experimenta excolere, distinguere, declarare aut rationibus inventa, experimentis confirmare. Sed hoc omisisse, maior est error, hominesque ridiculos facit ». Ibid., chap. xvii, p. 547 b.
64 « Secondo l’autore la Dialectica deve considerare le regole speciali utili alle singole scienze. Infatti, senza le regole speciali la logica sarebbe sì necessaria per tutte le discipline, ma poco utile perché, essendo solamente generale, non offrirebbe i mezzi sufficienti per inventare i concetti medi dei sillogismi e delle dimostrazioni ». « La Dialectica… », art. cit, p. 154.
65 « Primum ex universalibus ad propria descendemus, erunt autem propria, tanquam prima quaedam principia. Seligemus autem principia ex experimentis et rebus generalibus, sed non generalissimis ». De secretis, éd. cit., chap. xv, p. 545 b.
66 « Velut in mathematicis non assumimus in coni, cylindri ac sphaerae comparatione principia illa : Omne totum maius est sua parte, et Quae uni aequantur quantitati invicem sunt aequalia : nam haec iam Euclides assumpsit, et sunt generalissima omnibus quantitatibus. Sed neque propria conis sphaerae et cylindro tantum : haec enim principia esse non possunt : quia omni quantitati non conveniunt essentque demonstranda : sed est quoddam medium, scilicet ut omnibus quantitatibus certam rationem servantibus congruant : ea autem ratio convenit conis atque sphaerae, et per illa etiam cylindris. Itaque ex generalibus omnis doctrina procedit, imo generalissimis : sed huiusmodi quaedam sunt, quae certam rationem exigunt : dicique possunt principia partium, seu propria illius disciplinae ». Ibid.
67 Euclide, Les Éléments, vol. I, Introduction générale, livres I à IV : Géométrie plane, trad. et commentaire par B. Vitrac, Paris, PUF, 1990, p. 178-179.
68 Euclide définit la « raison (logos) » ou rapport au livre V des Éléments : « Un rapport est la relation, telle ou telle, selon la taille, [qu’il y a] entre deux grandeurs du même genre ». Ibid., vol. III, l. V, p. 36.
69 Voir ibid., vol. IV, livre XI, définitions 14 (la sphère), 18 (le cône), 21 (le cylindre), p. 86-92, ainsi que le commentaire de Bernard Vitrac et son introduction, p. 18.
70 Ibid., vol. IV, l. XI, introduction de Bernard Vitrac, p. 13-18 et en particulier, p. 14.
71 Cet ensemble de textes est indiqué et cité par Bernard Vitrac, ibid., introduction, p. 13-14. Sur ces questions, voir le recueil d’articles de Germaine Aujac, La Sphère, instrument au service de la découverte du monde, Caen, Paradigme, 1993.
72 Aristote, Seconds analytiques, trad. cit., II, 1, 2, 89b-90 a, et sa conclusion : « Ainsi donc que nous l’avons dit, connaître ce qu’est une chose revient à connaître pourquoi elle est », et il prend un exemple géométrique : « et aussi en tant qu’elles [sc. les choses] sont dites posséder quelque attribut, tel que égal à deux droits, ou plus grand ou plus petit. » 90 a, 30-35.
73 J. Tricot, dans Aristote, Métaphysique, Z, 9, Paris, Vrin, 1974, t. I, p. 397, n. 1. Sur cette question, voir également Métaphysique, M, 4, 1078 b 24 et Z, 9, 1034 a 31.
74 Nous traduisons quaerere par « postuler », en référence aux aitèmata d’Euclide, demandes ou postulats. Dans les Seconds Analytiques, Aristote définit le postulat en I, 10, 76b, 30-35 (trad. cit., p. 57-58). Bernard Vitrac résume : « un postulat est donc une hypothèse contestée en attente de démonstration » (dans Euclide, Éléments, cit., vol. I, p. 120).
75 « In naturalibus vero, cum rara quaeramus, etiam raras quasdam materias assumere oportet : et ut in mathematicis circa partes quasdam tentamus invenire demonstrationes, quod haec sint principia sciendi in illis : ita in Philosophis tentabimus invenire experimenta ». De secretis, éd. cit., chap. xv, p. 545 b.
76 « (…) Quod raritatis causam secreta continere necesse sit ». De secretis, éd. cit., chap. xiii p. 544 b.
77 « Itaque singula rara rimari oportet : vulgata autem, si quid sit admiratione dignum, dum se produnt, viam facilem ad alia secreta invenienda prompte pandunt ac docent ». Ibid., chap. xxiv, p. 550 b.
78 « In his omnibus a notioribus et partibus est inchoandum : faciliora enim praecedere debent. Porrò materiae notiores sunt actionum generibus ». Ibid., chap. vii, p. 541 b. Cardan l’applique à l’exposition du savoir au chap. vii.
79 « Diximus enim, secreta versari aut circa mutationem animi, aut corporis, aut vitae producendae rationem, et caetera quae superius commemoravimus, quorum principia sunt quatuor : sympathia et antipathia, instrumenta, commotio mentis, et manuum agilitas ». Ibid., chap. xvii, p. 546 b.
80 « Ergo ex duobus tantum suppositis, experientia ipsa comprobatis, et tribus axiomatibus generalibus, universa quae in hoc lapide videntur, causam notam habent ». Ibid., chap. xvii, p. 546 b.
81 « De modis quibus homines cognoscant abdita et de afflatus generibus ». Cardan, De arcanis aeternitatis, dans Opera, éd. cit., t. X, p. 1.
82 « Est et tertium genus, quod a principiorum notitia pendet, hoc autem maxime in Mathematicis utimur ». Ibid.
83 « Quod vero maxime congruit, est mixtum genus ex secundo tertioque modo : cum profundissimis certisque rationibus in naturae penitiora principia tanquam causas venimus atque ex his successus et varietates rerum effectuumque coniectamur (…). Fit autem maxime haec cognitio ex divisione comparatione ac separatione, ut eas esse causas rerum arbitremur communes, quae omnibus conveniunt ». Ibid. Nous soulignons.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Mousikè et aretè
La musique et l’éthique de l’Antiquité à l’âge moderne
Florence Malhomme et Anne-Gabrielle Wersinger (dir.)
2007
Unité de l’être et dialectique
L’idée de philosophie naturelle chez Giordano Bruno
Tristan Dagron
1999
Aux sources de l’esprit cartésien
L’axe La Ramée-Descartes : De la Dialectique de 1555 aux Regulae
André Robinet
1996