L’énigme d’Isidore Ducasse. Ressemblances et dissemblances entre son œuvre et celle de Frank Kuppner
p. 193-209
Texte intégral
D’un point de vue purement logique, l’acceptation d’un seul contre-exemple à la loi « tous les cygnes sont blancs » implique la fausseté de la loi « tous les cygnes sont blancs », loi dont nous avons accepté le contre-exemple. Du point de vue de la logique, si l’induction n’est pas recevable, la réfutation, la preuve de fausseté, est un moyen logiquement recevable d’argumenter à partir d’un seul contre-exemple à la règle correspondante (ou plutôt contre elle). [...] Cette situation logique est complètement indépendante de la question de savoir si dans la pratique nous accepterions ou non de réfuter une loi par ailleurs souvent vérifiée à partir d’un seul contre-exemple, un cygne noir solitaire par exemple. Je ne pense pas que nous nous laisserions si facilement convaincre ; nous pourrions très bien suspecter que ce spécimen noir en face de nous n’est pas un cygne...1
Dirigez-vous du côté où se trouve le lac des cygnes ; et, je vous dirai plus tard pourquoi il s’en trouve un de complètement noir parmi la troupe, et dont le corps, supportant une enclume, surmontée du cadavre en putréfaction d’un crabe tourteau, inspire à bon droit de la méfiance à ses autres aquatiques camarades.2
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1Isidore-Lucien Ducasse est né à Montevideo, le 4 avril 1846, de parents français. Le premier texte complet de son seul roman, Les Chants de Maldoror, fut publié en Belgique, en 1869, sous le pseudonyme du comte de Lautréamont. Les Poésies furent publiées en deux parties, en 1870, peu avant la mort de Ducasse, le 24 novembre de la même année. Il avait 24 ans.
2Frank Kuppner est né à Glasgow en 1951. Il a écrit plusieurs recueils de poésie, notamment A Bad Day For The Sung Dynasty et Everything is Strange qui se caractérisent par la peinture d’une délinquance débonnaire et spirituelle, et des romans, certains récompensés par des prix littéraires, comme A Very Quiet Street et Something Very Like Murder, qui se caractérisent par une réflexion sur les causes et les conséquences des délinquances réelles, celles qui ont une issue tragique, souvent fatale.
S’il fallait citer une seule influence présidant à l’ensemble du livre, ce ne pourrait être que Lautréamont. Ou Ducasse, pour lui donner son véritable nom.3
3Kuppner admet ainsi, ou même revendique, l’existence d’un lien entre son propre recueil, Ridiculous ! Absurd ! Disgusting !4 et Isidore Ducasse. Nous nous proposons d’étudier ici un certain nombre de passages de la première partie de son ouvrage, « Lost Work »5, afin de déterminer la nature de ces liens, partant de l’hypothèse qu’une lecture de « Lost Work » n’est vraiment possible qu’après explicitation des règles de correspondance entre le texte et celui de Ducasse. Là même où les deux textes semblent coïncider le plus parfaitement, se profilent un certain nombre de différences aussi diverses qu’évidentes, dont la nature peut s’expliquer, jusqu’à un certain point, par la présence de plusieurs figures médiatrices incontournables qui occupent l’espace intermédiaire entre Ducasse et Kuppner.
4André Breton, cofondateur et chef du mouvement surréaliste en France, fait continuellement référence à Ducasse dans ses écrits ; en même temps, il n’a rien de bien important à dire sur lui, ou en tout cas pas grand-chose qui puisse être considéré comme une véritable critique littéraire, et ceci pour des raisons que je m’efforcerai d’exposer plus loin. Il est néanmoins l’un des intermédiaires incontournables entre nous et Ducasse et il a sans doute largement contribué à élargir le concert d’éloges décernés à un écrivain qui a toujours suscité des commentaires relevant de l’hyperbole apocalyptique. Léon Bloy dans « Le cabanon de Prométhée »6, première critique des Chants de Maldoror (publiée en 1890, vingt ans après la mort de Ducasse), parle d’un ouvrage « tout à fait sans analogue » (p. 48) et ajoute :
C’est un diamant, du diamant noir et toute consigne altière doit tomber, je suppose, en présence d’une telle aubaine, (p. 5 3)
5Son « je suppose » raffiné et quelque peu visionnaire semble anticiper et railler par avance la récupération de ces textes par des réseaux prétendument rebelles, les surréalistes d’abord, puis l’équipe de Tel Quel (voir aussi l’ouvrage de Julia Kristeva, La Révolution du langage poétique : l’avant-garde à la fin du XIXe siècle, Lautréamont et Mallarmé). Les commentaires ultérieurs ne s’encombreront plus de la pointe d’ironie qui perçait sous l’admiration de Bloy. Dans son Anthologie de l’humour noir7, Breton écrit à propos des ouvrages de Ducasse « qu’ils sont l’expression d’une révélation totale qui semble excéder les possibilités humaines » et prévoit que « tout ce qui, durant des siècles, se pensera et s’entreprendra de plus audacieux a trouvé ici à se formuler par avance dans sa loi magique » (p. 228). Ailleurs il affirmera que Lautréamont est un augure de l’écriture automatique. Un tel enthousiasme était et est toujours contagieux et les louanges se sont multipliées, notamment dans le groupe surréaliste ; mais c’est peut-être dans l’ouvrage de Franklin Rosemont, André Breton and the First Principles of Surrealism8 qu’on en trouve l’expression la plus extrême :
Je confesse qu’il m’est impossible de donner une mesure convenable de la fantastique grandeur de Lautréamont ; impossible d’exprimer plus qu’une infime parcelle de la cruauté océanique, suprêmement redoutable qu’il déchaîne contre tout ce qui est mesquin et pleurnichard. Le décrire simplement comme le plus grand poète de tous les temps serait encore trop peu.
6Même Patrick Besnier, dans l’intelligente introduction à son édition de 1992 des Chants de Maldoror et autres œuvres9, ne peut s’empêcher (en l’adaptant au goût du jour) de céder à cette rhétorique qu’il critique pourtant :
Si l’on tient à sa tranquillité, on décrète alors que Ducasse délire, qu’il bouffonne, etc. La critique ducassienne n’a pas manqué de ces échappatoires. Il serait plus rigoureux de conclure que Ducasse était un extraterrestre.
7Il y a entre Ducasse et Kuppner une différence très révélatrice dont il conviendra d’expliquer les raisons : alors que Frank Kuppner utilise des tropes et des techniques semblables à ceux de Ducasse, les qualificatifs généralement suscités par les écrits de ce dernier, à savoir « décalé », « révolutionnaire », « scandaleux », « excessif », « violent », « renversant », etc. seraient inadaptés pour décrire « Lost Work » ; non seulement ils seraient inadaptés mais ils seraient même en contradiction complète avec le mouvement général de l’écriture. Une approche rapide de certains passages semble d’abord confirmer une proximité entre les textes avant que ne s’ouvre une faille dans cette proximité, faille qui fournira les matériaux nécessaires à l’élaboration du principe général de la transformation kuppnérienne.
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Un morceau de papier toilette divin flotte jusqu’au sol et atterrit à vos pieds.10
8Dans Les Chants de Maldoror, l’association entre le Créateur et la matière fécale commence au Chant 8 du deuxième livre, lorsque Maldoror voit Dieu assis sur un trône fait d’or et de merde, emmailloté dans un drap d’hôpital souillé, les pieds dans une mare de sang bouillant, cogitant sur ses créations humaines. On assiste, dans Les Chants de Maldoror, au dénigrement de l’Être suprême à qui l’on attribue des besoins physiques rabaissants – en l’enchaînant à la cuvette des toilettes, ou en le montrant au bordel ; saoul, il titube et tombe dans un fossé où les animaux lui crachent dessus et se moquent de lui, les hommes se soulagent à plusieurs reprises sur son visage : autant de marques d’irrespect dont on trouve des équivalents édulcorés dans « Lost Work », qui modifie la représentation en l’axant davantage sur l’hygiène corporelle. Le narrateur de « Lost Work » est un être « au moins à moitié responsable de la création de l’univers » (p. 9) mais qui a sans conteste des préoccupations et des besoins humains. Il n’est pas omniscient puisqu’il est enclin à la spéculation, et il est très probablement mort. Le « papier toilette divin » est le premier élément qui semble indiquer que Les Chants de Maldoror, ou, plutôt, quelque chose de similaire mais qui n’est pas Les Chants de Maldoror, se déroule à la périphérie du texte de Kuppner tandis que nous le lisons.
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... aussi sûr que la viscosité du sperme d’une espèce disparue de morse volant, (p. 16)
9Les séries de comparaisons apparemment arbitraires mais très étudiées que l’on trouve dans Les Chants de Maldoror11 ont leurs équivalents dans « Lost Work ». Bien que je n’aie nullement l’intention d’étayer cette affirmation par quelque preuve grossière, il me semble que les comparaisons de Kuppner sont considérablement moins dérangeantes que celles de Lautréamont, parce que régulièrement et plus clairement mises au service d’un effet humoristique ou éthique. Nous commençons à percevoir un certain nombre de raisons expliquant la nette différence d’émotion suscitée par le texte de Kuppner ; cependant, pour le moment, je me contenterai d’établir des liens entre les textes, phase indispensable à la mise en évidence ultérieure des importantes divergences.
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Deux petits bouts de viande se tenaient côte à côte sur un promontoire dominant l’océan. La brise marine ébouriffait leurs cheveux et le bruit occasionnel d’un dauphin ou d’un avion survolant leur tête, ou retombant dans l’écume, venait interrompre le cours mélancolique et absorbé de leurs pensées.12
10Animaux et objets inanimés, dotés de pouvoirs par la fiction, sont introduits et abandonnés sans qu’une explication quelconque ne soit généralement donnée chez l’un ou l’autre auteur. L’exemple anthropomorphique cité ci-dessus trouve son plus proche équivalent dans Les Chants de Maldoror avec l’épisode du jeune homme au bordel narré par un cheveu de la tête du Créateur, perdu par son propriétaire dans l’une des chambres du bordel. Dieu torture sadiquement le jeune homme tandis que l’horrible scène est décrite au cheveu (incapable de voir parce qu’incapable de se tenir sur sa racine irritée) par des « lambeaux de chair »13 arrachés de l’épaule du jeune homme qui tombent au pied du lit. La citation de Kuppner, comme la précédente, est un exemple d’extension de l’univers de Maldoror qui se retrouve, transformé, dans le texte de Kuppner ; la frénésie des Chants de Maldoror fait place à une sorte de tranquillité, mais une tranquillité « mélancolique », peut-être traumatisée, qui pourrait s’expliquer par les événements dont les « bouts de viande » ont été témoins dans l’autre roman.
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11À un point particulièrement crucial de « Lost Work », une statuette de grande valeur est renversée par « le balancement des minuscules organes génitaux » d’un jeune homme céleste et se brise sur le sol. L’Être divin, perturbé, commence alors sa phrase en français, s’interrompt et se corrige.14
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12Le titre « Lost Work (Œuvre perdue) » pourrait être une allusion à quelques difficultés éditoriales, à des problèmes d’origine, de survivance ou de disparition d’une œuvre, problèmes souvent rencontrés par les petites publications obscures du xix e siècle. On ne dispose pas du manuscrit des Chants de Maldoror ; quant aux Poésies, il semble qu’elles aient d’abord paru puis disparu sans être remarquées avant leur redécouverte en 1919 par Breton qui les publie dans la revue dadaïste Littérature. En même temps, le titre « Lost Work » fait partie d’une œuvre qui existe bien, qui est là pour être lue. La perception du titre est modifiée par le traitement ironique. Nous reviendrons plus loin à cette manière de procéder mais on peut d’ores et déjà discerner un rapport entre la façon dont Kuppner choisit ses titres et ce que fait John Ashbery lorsqu’il intitule un livre et un poème Hôtel Lautréamont. À Paris, Ducasse a vécu et écrit, anonymement, dans des hôtels et il est mort dans l’un d’eux, tout aussi obscurément. Ashbery s’amuse à utiliser son pseudonyme comme une marque déposée et revendique ainsi l’héritage de son prédécesseur.
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13Kuppner décrit une pièce dans laquelle se trouvent :
des photographies de Levitan, Friedrich, Watteau et Schubert..., des frères Goncourt, de diverses actrices et mannequins (l’une d’elles en train de danser) et peut-être d’Isidore Ducasse (s’il s’agit vraiment de lui sur cette photographie découverte assez récemment et photocopiée récemment), (p. 65)
14La citation du nom du précurseur est un témoignage de la présence / absence simultanée de Ducasse dans « Lost Work », de sa présence très fortement distanciée, présence d’une image de Ducasse, présence d’une image qui est peut-être Ducasse, présence d’une copie d’une image qui est peut-être Ducasse. Soumise à au moins deux transformations avant de nous atteindre, l’image implique largement autant l’absence que la présence et l’espace entre ces deux états permet le passage des différents éléments qui vont provoquer et orienter les transformations observées entre les écrits de Ducasse et ceux de Kuppner.
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Ce qui est imaginé n’était autrefois que prouvé, (p. 9)
15Cette affirmation, inversion d’un des Proverbes de l’Enfer de William Blake15, rappelle la manière dont Ducasse revisite certains auteurs dans ses Poésies.16 Cependant, André Breton, Maurice Blanchot et Georges Bataille s’accorderont tous sur l’irréductible ambiguïté de la dernière œuvre de Ducasse tandis que les détournements de Kuppner trahissent une influence poppérienne.17 La plus célèbre contribution de Karl Popper à la philosophie de la science est en effet sa mise en question de la possibilité même d’établir une quelconque preuve scientifique : selon lui, tout savoir est provisoire et ceci de façon permanente. De cette philosophie de la science découle une éthique poppérienne qui prône la prudence et, à la « dangereuse prétention » de certitude, préfère la recherche scrupuleuse des erreurs ; Kuppner adhère à cette philosophie qui conforte la suprématie de la fiction sur (ce qu’il nous faut appeler) les « faits ».
16La partie 10 du deuxième livre des Chants de Maldoror s’ouvre sur un hymne à la louange des mathématiques qui ont permis à Maldoror, le héros du livre, de se débarrasser du « vague dans [son] esprit » pour le remplacer par « une froideur excessive, une prudence consommée et une logique implacable ».18 Ce panégyrique prête bien sûr à discussion, comme l’ensemble du livre. Dans son essai sur Les Chants de Maldoror19), Cecile Lindsay voit le roman comme un pamphlet anti-humaniste relativement direct qui privilégie « une mutabilité fluide [et] une intégration océanique à l’autre, c’est-à-dire à la nature animale », au détriment du « continent rocheux de la vie humaine telle qu’elle est » (p. 159). Cette lecture néglige le caractère ambivalent de la matérialité et de la métamorphose, représentées comme dynamiques et libératrices dans les passages qu’elle cite mais qui apparaissent passives, mortelles, sales dans certains autres qu’elle omet de citer, comme par exemple la partie 4 du quatrième livre qui commence ainsi : « Je suis sale. Les poux me rongent. Les pourceaux, quand ils me regardent, vomissent. »20 Le narrateur est paralysé par une nuée de parasites21, notamment un énorme champignon qui pousse sur sa nuque, une famille de crapauds qui niche sous son aisselle gauche, un serpent, qui après avoir mangé son pénis, en a pris la place, deux méduses fixées à ses fesses et un crabe qui a élu domicile au niveau de son anus. La préférence d’un « organicisme désordonné » à la passion forcenée de l’homme pour l’ordre contraint Lindsay à s’étonner consciencieusement de l’étrangeté de Maldoror qui vénère par ailleurs les mathématiques, « une science qui tire des lignes droites [et] décrit des lois éternelles »22 avant de poursuivre son explication erronée mais à ses yeux essentielle de la position finale de Maldoror.
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Comment, se dit-on, alors même que l’on presse son visage contre ces fesses marxistes-léninistes adorablement métalliques, se peut-il que des milliers de gens fassent une sortie de l’univers aussi inopportune – mort en ce monde, extinction en cette ville, disparition dans cette zone électorale – en cet instant manifestement impossible, manifestement parfait.23
17Il y a derrière ces « fesses marxistes-léninistes » tout un ensemble d’associations. Tout d’abord, l’utilisation de cet adjectif pour qualifier un cul induit une trivialisation de la doctrine du matérialisme historique et de la théorie de la plus-value qui rappelle, sur le mode burlesque, les critiques de l’historicisme marxiste exprimées par Popper dans The Open Society and its Enemies. L’expression signale aussi une autre médiation entre Ducasse et Kuppner, celle de l’Ecole de New York avec des poètes comme Frank O’Hara, John Ashbery, Harry Mathews, James Schuyler et Kenneth Koch, tous francophiles et collaborateurs de Locus solus, revue de poésie des années cinquante. L’expression « fesses marxistes-léninistes » renvoie en effet au poème de Mathews, « Histoire », qui raconte la soirée au restaurant d’un couple romantique, tandis que chacun des vers de chacune des strophes s’achève alternativement sur les mots « maoïsme », « racisme », « militarisme », « fascisme », « sexisme» et « marxisme-léninisme ».24 Le texte de Mathews comme celui de Kuppner suscite un plaisir inattendu par la juxtaposition apparemment arbitraire de termes incompatibles ; le rapprochement entre les deux auteurs suggère plutôt une filiation qu’une transformation par Kuppner des textes antérieurs. Il me semble que tous deux travaillent à saper les idéologies citées ou encore à ridiculiser la terminologie creuse de la langue politique. Comme le suggère le titre de la revue à laquelle Mathews contribuait, l’École de New York s’intéressait beaucoup aux œuvres de Raymond Roussel, lesquelles étaient inspirées par des expérimentations insolemment innocentes, ludiques et formelles. Ashbery a notamment déclaré à propos de Roussel :
Il nous laisse avec une œuvre semblable au temple parfaitement conservé d’un culte qui aurait disparu sans laisser de trace, ou encore à un ensemble d’outils compliqués dont il serait impossible de découvrir l’emploi.25
18Que ce travail bizarre, décalé, dépourvu de toute finalité, suscite une telle marque d’intérêt est symptomatique de la position esthétisante de l’Ecole de New York. D’autres avant-gardistes plus engagés, plus politisés, plus déchaînés, voire plus nihilistes, comme Rimbaud, Tzara ou Breton, ont aussi été revendiqués par cette école mais les dénonciations emphatiques, les appels à la destruction de leurs manifestes sont considérés comme des bouffonneries ou des poétisations dont on se moque ou que l’on pastiche (voir par exemple le non-manifeste de O’Hara, « Personism »). Dans l’article nécrologique qu’il a rédigé pour O’Hara, Ashbery déclare, pour expliquer et défendre le peu d’engagement apparent de la poésie de O’Hara : « La certitude fixe des limites à ce qui peut arriver. » On rapprochera cette phrase de celle prononcée par Kuppner dans un entretien, « La certitude nous tuera tous »26, et des convictions de Popper sur l’infinie faillibilité. Si Ashbery semble plutôt libertaire et Kuppner anxieusement réprobateur, tous deux, et Popper avec eux, condamnent la fantaisie totalitaire qui consiste à vouloir enfermer le futur dans une seule voie prédéterminée.
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Un silence renouvelé, semblable à la physiologie du cou d’un pendu, qui, qu’il se brise dans une chute modérément importante ou qu’il soit simplement serré pour empêcher le passage de cet ingrédient soudainement vital qu’est l’air, est cependant exactement la même, que lui, le cou, soit innocent de la charge du crime, ou coupable, ou seulement probablement coupable, ou accusé d’aucun crime, ce qui revient au même pour la corde, tandis qu’elle laisse le corps se balancer doucement, tantôt d’un côté, tantôt de l’autre, laissant à ceux qui regardent, et seulement à eux, s’il y en a, le soin de décider si des choses comme la justice et l’innocence et le temps qu’il fait sont des questions vitales, réglées sur fond de paysage lugubre, et j’aurais renoncé à l’ouïe sur le champ si, à cet instant, l’un des doigts de pied, pourtant nullement différent des autres, n’avait commencé à parler, timidement d’abord, mais avec une amplitude de voix et une confiance qui allaient croissant.27
19Nous avons ici l’un des plus interminables exemples d’une comparaison à la Lautréamont. Le « silence » y est comparé à la « physiologie d’un pendu », comparaison des plus arbitraires, qui, à mi-parcours, se révèle une nouvelle condamnation de la certitude, de la foi aveugle en l’infaillibilité du système judiciaire, laquelle serait susceptible d’expliquer un attachement obstiné à l’institution de la peine de mort.
20Plus loin dans « Lost Work », deux merdeux dans un club luxueux s’admirent mutuellement le pénis en échangeant des aphorismes sur un certain nombre de sujets, notamment les mérites relatifs des genres littéraires. L’un dit à l’autre : « La seule grande force de la poésie, c’est que ce n’est pas de la prose » pour s’entendre répondre que « malheureusement ce n’est que l’une de ses nombreuses faiblesses » (p. 63). L’idée reçue, à laquelle on serait tenté de céder, voudrait que l’on considère leurs énoncés aphoristiques, en raison de leur forme même, comme l’expression parfaite d’un humour et d’une vérité durables ; mais cette idée est contredite par le fait que les aphorismes sont émis par deux cons lascifs qui échangent des bons mots sur les belles lettres dans un environnement des plus respectables et des plus débonnaires, en dégustant de bons vins et en fumant des cigares. De fait l’un des merdeux lui-même, à la page suivante, admettra qu’il y a plus d’aphorismes qui sont « carrément faux que vaguement vrais » (p. 64). On pense à nouveau à Poésies et à la façon dont Isidore Ducasse y corrige les écrits d’auteurs comme Pascal. Cependant, quand Kuppner se moque de l’aphoriste, c’est surtout pour démystifier la suffisance et la certitude malavisée qui président à la forme même de l’aphorisme. Les critiques, du moins ceux qui sont sages, s’accordent à reconnaître que la façon dont Ducasse utilise les aphorismes est infiniment ambiguë. Dans L’Homme révolté, au milieu d’une attaque contre ce qu’il considère comme le nihilisme décadent et dangereux des révolutionnaires poétiques et politiques, Camus situe Les Chants de Maldoror et Poésies dans une trajectoire dialectique qui ferait du deuxième ouvrage une simple réfutation du premier, l’antithèse de la thèse de Maldoror.28 Breton fait dans « Sucre jaune » une courte réponse polémique à Albert Camus et, tout en dénonçant la prétention de ce dernier à décider ce que l’un ou l’autre de ces textes signifie, s’efforce de réintroduire une réserve de bon aloi :
De l’œuvre la plus géniale des temps modernes, qui pose d’innombrables problèmes d’« intention », se joue simultanément sur plusieurs plans, abonde en télescopages de sens, spécule sur de continuelles interférences du sérieux et de l’humour et déroute systématiquement l’interprétation rationnelle, il nous présente une trame qui vaudrait, au plus, pour un résumé de feuilleton : « Maldoror, désespérant de la justice divine, prendra le parti du mal. Faire souffrir et, ce faisant, souffrir, tel est le programme. »29
21Dans le même article, Breton fait l’éloge d’une autre étude, Lautréamont et Sade, de Maurice Blanchot qu’il cite à propos des Poésies :
Un grand nombre de « pensées », si elles célèbrent la vertu, la célèbrent si dédaigneusement ou, au contraire, avec une outrance si excessive que la louange devient dénigrement. [...] Quelle puissance est donc en lui, pourtant tournée vers la lumière, quelle surabondance créatrice en vain mise au service de la règle, mais si grande qu’elle ne peut qu’humilier la règle et, derrière elle, glorifier la liberté sans mesure ?30
22Puis, de façon surprenante, Breton déclare que Camus, l’anti-hégélien qui lit sans l’aide de la dialectique hégélienne, est donc privé de cette aide pour lire les Poésies.31 Bataille, qui a commenté le débat dans un court article intitulé « Le temps de la révolte », s’insurge lui aussi contre le point de vue de Camus qu’il juge simpliste ; il considère cependant que le problème tient surtout dans la volonté de Camus de poser Les Chants de Maldoror et Poésies en termes opposés d’une dialectique.32 Quelle que soit l’opinion de Breton sur l’œuvre de Ducasse, les passages les plus intéressants de son attaque contre Camus sont ceux dans lesquels il s’oppose au mouvement thèse, antithèse, synthèse, mouvement de la dialectique de Camus fondée sur les polarités morales supposées de chacune des deux œuvres. Ailleurs Breton décrit son auteur préféré comme « la figure éblouissante de lumière noire »33 et privilégie le paradoxe, l’oxymoron pour démontrer l’impossible possibilité d’être de Ducasse : c’est bien cette qualité paradoxale qui explique le problème que posent ces textes impossibles à la dialectique. Je me permettrai de suggérer un rapport entre les textes d’Isidore Ducasse et ce que Jacques Derrida appelle « des indécidables », ces termes
qui ne se laissent plus comprendre dans l’opposition philosophique (binaire) et qui pourtant l’habitent, lui résistent, la désorganisent mais sans jamais constituer un troisième terme, sans jamais donner lieu à une solution dans la forme de la dialectique spéculative...34
23Comme Derrida utilise « des indécidables [...] contre la réappropriation incessante [d’]une dialectique de type hégélien » (p. 58), de même les œuvres d’Isidore Ducasse résistent aux essais d’appropriation ou d’interprétation fondées sur l’insertion dans des oppositions binaires sans nuances. L’opposition ouverte ou implicite entre Breton, Blanchot et Bataille d’une part et Camus d’autre part repose sur la volonté des premiers de respecter l’ambiguïté irréductible de chacun des deux textes et sur le désir trop vif du second de décider de leur signification, séparément et l’un par rapport à l’autre.
24Si, pour Breton et Bataille, les textes de Ducasse sont une énigme magnifique et insoluble35 et pour Camus le creuset littéraire de toute l’horreur politique moderne, la dérangeante question se pose maintenant de savoir quelle signification Kuppner prête à ces textes, si même il pense qu’ils ont une signification. Un court article de l’Encyclopaedia Supplement, publié dans un numéro de l’Edinburgh Review, nous fournit une piste : Kuppner y commente deux erreurs dans la traduction de comparaisons ducassiennes tirées de l’édition Penguin Classics des Chants de Maldoror. Le premier exemple est amusant mais, comme le souligne Kuppner, nettement moins bizarre que la version originale française. Le deuxième exemple concerne le passage suivant :
Le grand-duc de Virginie, beau comme un mémoire sur la courbe que décrit un chien en courant après son maître, s’enfonça dans les crevasses d’un couvent en ruines.
25Kuppner donne d’abord deux exemples de traduction plus exactes, dont celle d’Alexis Lykiard :
The Virginian eagle-owl, lovely as a thesis on the curve described by a dog running after his master, swooped down into the crevices of a ruined couvent.
26Puis celle de Penguin :
The Virginian eagle-owl, handsome as the memento which a dog leaves on the curh as it runs after its master, buried himself in the crevices of a ruined convenu36
27Il s’est préalablement déclaré « loin d’être convaincu que, aussi spectaculairement erronée que soit la version [Penguin], Ducasse ne l’eût point acceptée avec délice si seulement elle lui était venue à l’esprit en premier »37 ; ceci nous laisse donc penser que Kuppner juge cette erreur de traduction plus ducassienne que la propre formulation de Ducasse. On peut donc en conclure que, pour Kuppner, les plaisanteries sur les merdes de chien sont proches de l’essence de ce qu’être ducassien veut dire et en venir à supposer que, contrairement à Breton, Bataille et Camus qui lorsqu’ils regardent l’œuvre de Ducasse voient quelque chose de complètement « autre », Kuppner lorsqu’il regarde l’œuvre de Ducasse voit quelque chose qui n’est pas vraiment différent des aspects les plus saugrenus des écrits de... Frank Kuppner.
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Je trouve que la physiologie féminine devient presque insupportablement simple et convaincante, comme une preuve mathématique implacable, lorsque l’on est nu dans un lit avec deux dauphins femelles, la mère et la fille, nues elles aussi.38
28Cette phrase coupée en son milieu par une comparaison, qui, si elle était un peu plus outrée, semblerait directement sortie des Chants de Maldoror, marque pourtant une nouvelle modification de Kuppner par rapport à Ducasse : dans « Lost Work » les dauphins remplacent les requins des Chants. Le ménage à trois, placide et familial, de l’extrait ci-dessus est à comparer à l’accouplement extatique de Maldoror avec un requin femelle énorme, sauvage et cannibale, au plus fort d’un orage violent, après un naufrage et un carnage frénétique ; on constate, une fois encore, que Kuppner s’empare des tropes les plus provocants, les plus obsessionnels de Ducasse pour les détourner vers ce que j’appellerai, faute d’un mot plus approprié, la plaisanterie ; une douce indécence.
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Puis pour la troisième fois, il tira sur l’une de ses extrêmement longues oreilles et, jetant un coup d’œil plus bas sur les corps nus et fendus des quatre ou cinq jeunes favorites étendues sur le sol sous les branches tombantes de quelques arbres39, simulant le sommeil – car la nuit s’apprêtait à tomber – il sentit une impulsion le parcourir, une illumination si intense que sa certitude absolue de ne pas être encore né pour la première fois ne put perturber son calme.40
29On retrouve, une fois encore, le matériau obscène des Chants de Maldoror : ici le célèbre passage où Maldoror et son bull-dog violent une jeune adolescente endormie. Avec son couteau, Maldoror défigure le bull-dog puis se met à extraire du vagin les organes internes de la jeune fille. Chez Kuppner, l’obscénité intervient sans description et se retrouve confinée dans une proposition subordonnée. Ailleurs, Kuppner semble détourner d’autres classiques français du xix e siècle. Le personnage des poèmes en prose de Baudelaire, par exemple, promeneur urbain en quête de sensations, se retrouve dans A Very Quiet Street sous les traits d’un flâneur poussé par des motivations éthiques, qui mène une enquête personnelle et officieuse sur une célèbre affaire de meurtre et d’emprisonnement abusif dans la ville de Glasgow. Le titre du volume dont « Lost Work » est tiré, Ridiculous ! Absurd ! Disgusting !, est la traduction de l’exclamation qu’aurait prononcée un certain homme d’affaires d’Afrique du Nord vers 1880 en réponse à quelqu’un qui tentait d’aborder le sujet des œuvres littéraires antérieures dudit homme d’affaires. La fin de non-recevoir clairement signifiée par Rimbaud, qui ne sort de son indifférence délibérée que pour exprimer un violent mépris, est récupérée par Kuppner, adoucie, utilisée sur un mode ironique pour en faire le titre d’un livre accepté et publié : ce détournement indique peut-être que Kuppner considère l’absolutisme de Rimbaud comme un sentiment faux, un faux désir de destruction. Ce titre est caractéristique du désir de Kuppner de dissocier la notion d’avant-garde de celle de révolution totale et perpétuelle. Il vise plutôt à l’orienter vers un expérimentalisme poppérien qui soumet toute production nouvelle à l’élimination préalable du dogme au vu de notre expérience de la violence. Sa transposition des tropes ducassiens élimine donc la possibilité du « long frisson »41 qui a parcouru tant de lecteurs de Maldoror et des Poésies et qui est inextricablement lié à leur (in)interprétabilité abyssale et vertigineuse, pour la remplacer par un humour satirique et dévastateur qui viendrait motiver, diriger, corriger Ducasse « dans le sens de l’espoir42 »
Notes de bas de page
1 Karl Popper, « The problem of induction », dans Popper Selections, éd. David Miller, New Jersey, Princeton University Press, 1985, p. 110.
2 Lautréamont, Œuvres complètes, Paris, Gallimard (Pléiade), 1970 (édition française). Toutes les citations des Chants de Maldoror et de Poésies sont tirées de cette édition, ici p. 229-230. Édition en langue anglaise : Isidore Ducasse, Maldoror and Poems, trad. Paul Knight, Londres, Penguin, 1978.
3 Conversation avec Frank Kuppner, dans Talking Verse, éd. Robert Crawford, Henry Hart, David Kinloch, Richard Price, Saint Andrews & Williamsburg, Verse, 1995, p. 107. Tiré de la même conversation : « [“Lost Work”] doit paraître bien plus original qu’il ne l’est en réalité à quiconque ne connaît pas Lautréamont. C’est-à-dire à presque tout le monde, je pense », p. 107.
4 Frank Kuppner, Ridiculous ! Absurd ! Disgusting !, Manchester, Carcanet, 1989.
5 « Œuvre perdue » (note du traducteur).
6 Léon Bloy, « Le cabanon de Prométhée », dans Belluaires et Porchers : 1884-1894, Paris, Jean-Jacques Pauvert, 1905.
7 André Breton, Anthologie de l’humour noir, Paris, Jean-Jacques Pauvert, 1966.
8 Franklin Rosemont, André Breton and the First Principles of Surrealism, Londres, Pluto Press, 1978, p. 13.
9 Lautréamont, Les Chants de Maldoror et autres œuvres, éd. Patrick Besnier, Paris, Livre de poche, 1992, p. 21.
10 Frank Kuppner, « Lost Work », dans Ridiculous !..., op. cit., p. 9.
11 Dont la plus célèbre est très certainement la suivante : « Il est beau comme la rétractilité des serres des oiseaux rapaces ; ou encore, comme l’incertitude des mouvements musculaires dans les plaies des parties molles de la région cervicale postérieure ; ou plutôt, comme ce piège à rats perpétuel, toujours retendu par l’animal pris, qui peut prendre seul des rongeurs indéfiniment, et fonctionner même caché sous la paille ; et surtout, comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie ! » (Les Chants de Maldoror, p. 224-225)
12 « Lost Work », p. 60.
13 Les Chants de Maldoror, p. 149.
14 « Lost Work », p. 14.
15 « What is now proved was once only imagin’d » (Ce qui est maintenant prouvé, n’était autrefois qu’imaginé), The Complete Poetry and Prose of William Blake, éd. David V. Erdman, New York, Doubleday, 1988, p. 36. Les Proverbes de l’Enfer, dans leur perversité incommensurable, représentent peut-être ce qui, dans la littérature anglaise, s’approche le plus de la dernière œuvre de Ducasse.
16 Citons par exemple le renversement du sens de la phrase de Dante « Lasciate ogne speranza, voi ch'intrate » qui devient « Vous qui entrez, laissez tout désespoir », Poésies, p. 275 ; ou encore la pensée de Pascal, « L’homme n’est qu’un roseau... » qui devient « L’homme est un chêne », Poésies, p. 275.
17 « Si j’ai une philosophie, elle provient surtout et en droite ligne de Karl Popper », Conversation avec Frank Kuppner, dans Talking Verse, op. dt., p. 104.
18 Tes Chants de Maldoror, p. 105.
19 Cecile Lindsay, « Tearing the body : Modem self and postmodern corporality in Les Chants de Maldoror- », Nineteenth Century French Studies, no 22, 1993-1994,1-II, p. 149-165.
20 Les Chants de Maldoror, p. 169.
21 Note du traducteur : En anglais, « a host of parasites ». Robin Purves précise en note qu’il a choisi ces termes à dessein, soulignant que « le degré d’infestation est tel qu’il problématisé l’opposition binaire hôte/parasite ». Il joue ainsi sur la polysémie de host, équivalent anglais de « hôte, celui qui accueille » mais qui signifie aussi « une foule de ».
22 Cecile Lindsay, art. cité, p. 162.
23 « Lost Work », p. 28.
24 Ce qui donne par exemple dans la troisième strophe : « Dans le taxi il l’embrassa bientôt. Elle le laissa dégrafer son maoïsme / Et caresser sa peau élastique, qui était parcourue par des frissons de racisme. / Lorsque sous son jean il sentit le doux Lycra de son militarisme, / Son désir l’étrangla presque. Sa petite langue était aussi puissante que le fascisme / Dans sa certitude évanescente. Il eut envie de lui arracher sur le champ son sexisme / Mais se souvint : “Le plaisir se trouve dans la patience et non dans la violence vorace du marxisme-léninisme.” » Tiré d’« Histoire», Harry Mathews, Armenian Papers : Poems 1954-1984, New Jersey, Princeton University Press, 1987, p. 80.
25 Introduction de John Ashbery à l’édition américaine de l’ouvrage de Raymond Roussel, Comment j’ai écrit certains de mes livres, publié sous le titre How I Wrote Certain Of My Books and Other Writings, éd. Trevor Winkfield, Boston, Exact Change, 1995, p. xxii.
26 Conversation avec Frank Kuppner, dans Talking Verse, op. cit., p. 104.
27 « Lost Work », p. 59.
28 Albert Camus, L’Homme révolté., Paris, Gallimard, 1951, p. 107 : « Les blasphèmes et le conformisme de Lautréamont illustrent également cette malheureuse contradiction qui se résout avec lui dans la volonté de n’être rien. » La thèse c’est le blasphème, l’antithèse la conformité et la synthèse le nihilisme.
29 André Breton, « Sucre jaune », dans Poésie et autre, Paris, Club du meilleur livre, 1960, p. 294.
30 Ibid. Breton cite Maurice Blanchot, Lautréamont et Sade, Paris, Minuit, 1963.
31 André Breton, ibid., p. 295 : « Camus – qui tient Hegel pour le grand responsable des malheurs de notre temps – se prive ici par trop des secours de la dialectique. Le procédé en vigueur dans Poésies, qui consiste à contredire avec obstination – et toujours très subtilement – des pensées de Pascal, de La Rochefoucault, de Vauvenargues, outre qu’il est incontestablement subversif, met sur la voie d’une opération de réfutation générale – dialectique – qui renverserait le signe sous lequel prétend être construit tout l’ouvrage. »
32 Georges Bataille, « Le temps de la révolte », dans Œuvres complètes XII, Articles II : 1950-1961, Paris, Gallimard, 1988, p. 152 : « Je ne pense pas que le passage incriminé tienne suffisamment compte du caractère démesuré, “forcené”, provocant, de ce texte “conformiste” : imagine-t-on un personnage soucieux de conformisme que les Poésies satisferaient ? Il n’empêche que la dialectique de Camus, tirée de l’opposition des Poésies aux Chants de Maldoror ; expose (sans l’épuiser) un mouvement de l’esprit de Lautréamont qui touche à l’essentiel de la révolte. » Ce qui est essentiel ici, c’est que la dialectique peut éclairer, jusqu’à un certain point, ce qui se passe dans les textes de Ducasse, sans épuiser ce qui s’y passe. En fait, les textes épuisent la dialectique.
33 André Breton, Anthologie de l’humour noir, op. cit., p. 228.
34 Jacques Derrida, Positions, Paris, Minuit, 1972, p. 58.
35 Magnifique parce qu’insoluble. Les citations sans fin de Ducasse par Breton signalent paradoxalement une véritable réticence. Il n’a rien à dire sur les textes et il n’arrête pas de le dire. C’est peut-être de la poésie mais ce n’est pas, au grand soulagement de tous, de la critique littéraire.
36 Note du traducteur : « Mémoire » a été traduit de façon erronée par memento (souvenir) tandis que curb, faux ami de « courbe » signifie « trottoir » ; le traducteur a donc introduit l’idée d’un souvenir laissé par le chien sur le trottoir, qui n’est bien sûr nullement dans le texte de Lautréamont.
37 Frank Kuppner, « Lautréamont’s Maldoror (2 points in the Penguin Version) », Edinburgh Review, no 78-79, 1988, p. 254-255.
38 « Lost Work », p. 72.
39 La langue de Kuppner, sinon Kuppner lui-même, fait ici référence au premier recueil de poèmes de John Ashbery, Some Trees, New York, Ecco, 1956.
40 « Lost Work », p. 73.
41 Georges Bataille, « Le temps de la révolte », art. cité, p. 151.
42 Lautréamont, lettre à M. Verboeckhoven, Paris, 21 février 1870, dans Œuvres complètes, p. 298.
Auteur
Université de Glasgow
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