XVIII. Mort d’Érec
p. 150-170
Texte intégral
Ch. 163. Où les demoiselles, après avoir examiné Érec, éloignent son corps de la source
1Comme le disait le conte, les demoiselles s’étaient approchées de la source auprès de laquelle était allongé Érec. En le voyant, elles se mirent à l’examiner car il gisait immobile comme un cadavre.
2– Mon Dieu ! s’écria la plus jeune des demoiselles, qu’est-ce que cela peut bien être ? Comment ce chevalier est-il arrivé jusqu’ici ?
3– Nous n’en savons rien, dirent ensemble les deux autres.
4– Je vous dirai ce qu’il en est, fit alors la dame, celui-ci est Érec, fils du roi Lac, celui qui n’avait jamais failli à sa parole. Il vient de tuer sa sœur voici quelques jours, ne voulant pas se voir blâmé d’avoir repris sa parole.
5– Ah ! dirent-elles, c’est donc à cause de cette triste aventure qu’il est en cet état… Malheur sur qui l’a poussé à faire périr sa propre sœur ! Il a perpétré le plus grand forfait que jamais ait accompli chevalier, le meurtre de sa propre sœur. Que Dieu le guide, et vite, vers le lieu où il perdra sa vie !
6– Mon Dieu, dit la dame, vous avez mal agi en blâmant ce chevalier. Votre désir de vengeance s’accomplira très vite, et tous ceux qui en entendront parler seront épouvantés. Ce sera une immense perte que cette mort si précoce car jamais je ne vis de meilleur chevalier, et plus loyal, que celui-ci. Et assurément si je pouvais empêcher sa mort et prolonger de la sorte ses jours, je le ferais très volontiers, mais je ne le puis parce que tel n’est pas le bon vouloir de Dieu.
7C’est ainsi que parlait la dame au sujet d’Érec, mais celui-ci ne pouvait rien répondre. Les demoiselles l’examinèrent longuement et, le prenant chacune d’un côté, l’une par ici, l’autre par là, elles l’éloignèrent de la source à une portée d’arbalète. Aussitôt qu’on eut éloigné son corps, Érec reprit des forces et retrouva toute sa vigueur d’avant. Ayant repris ses esprits, il dit aux demoiselles :
8– Mes dames, vous avez eu pitié de moi, en me retirant de là-bas, car si j’étais resté auprès de la source, je n’aurais pas tardé à mourir. Mais je vous prie, au nom de Dieu, de ne plus nourrir d’inimitié à mon égard à cause du meurtre de ma sœur. Ce que j’ai fait, c’est la vérité, je l’ai fait malgré moi, et me voilà devenu, à cause d’elle, le plus à plaindre des hommes. Cela dit, je me devais de le faire.
9Sans rien répondre, elles partirent à la recherche de son cheval et de ses armes pour les lui remettre. Érec les en remercia vivement, et elles repartirent vers la source. Il harnacha son cheval, reprit ses armes, monta en selle et quitta les lieux. Érec chevauchait en maudissant la source et tous ceux qui en étaient à l’origine. Jamais il ne lui était survenu d’aventure d’où il fût sorti si déconfit et honteux.
10Érec chevauchait, vous disais-je, en ruminant sur cette aventure et, chemin faisant, il arriva ce même jour dans une vallée. Il y fit halte à la lisière d’une forêt, sans rien manger ni boire. Ses tourments avaient redoublé parce qu’il avait entendu parler de sa mort et qu’il était, en plus, très peiné d’avoir perdu la trace de Méraugis. S’il avait Méraugis pour compagnon, il ne craignait pas qu’un chevalier pût le tuer au combat, mais il pensa ensuite que s’il mourait au combat, à la loyale et sans traîtrise, ce serait plus en réparation pour sa sœur que par défaut de chevalerie. En effet, il y avait peu de chevaliers preux au royaume de Londres qu’il pouvait redouter, par eux-mêmes. Pourtant son cœur n’en continuait pas moins de l’avertir et de lui dire qu’il était guetté par la mort, et que c’était bien à cause de sa sœur. Cette nuit-là, il ne dormit ni peu ni beaucoup, accablé qu’il était par ces sombres pensées. Alors son cœur commença à gémir avec une telle force que ses yeux se remplirent de larmes. Voilà comment Érec, lui qui n’avait jamais connu la frayeur dans son cœur, ne pouvait maintenant s’empêcher de fondre en larmes. Il se mit alors à prier en disant :
11– Ah ! Notre-Dame, mère de grâce et de miséricorde, montrez-vous secourable et, si tel est votre bon plaisir, ne me laissez pas périr si tôt par la faute de ce que j’ai accompli sur ma sœur ! Ô Jésus-Christ, père miséricordieux, ayez pitié de ce misérable fils de roi. J’ai péché contre vous, plus que tout autre pécheur, mais ne regardez pas mon péché lequel est si vil que tous les anges des cieux sont saisis d’épouvante. Seigneur, toi qui est père véritable et veilles sur l’univers, sois le guide de ce pécheur qui t’invoque d’un cœur sincère. J’ai gravement péché, il est vrai, mais je t’invoque, Seigneur, d’un cœur sincère et avec une volonté pure. C’est bien mon péché, je le reconnais sincèrement, qui me procure mort et confusion. Si ta grâce ne me vient en aide, je suis perdu. Aie pitié, Seigneur, de ce pauvre malheureux, garde-le de tout danger guettant sa vie ! Père béni, mon âme malheureuse n’est pas en faute, ce sont ses mauvaises œuvres. Cette âme, Seigneur, quand elle quittera son corps, daigne l’accueillir dans ta sainte demeure, là où se trouvent toutes les saintes joies et le bonheur parfait.
Ch. 164. Où Érec renverse Sagremor à deux reprises
12Ayant fini sa prière, Érec se coucha par terre, les bras en croix et tourné vers l’orient. Il resta dans cette position, en récitant ses prières le mieux qu’il savait, et ce jusqu’au lever du soleil. Puis il remit et laça son heaume, monta en selle et chevaucha à travers la forêt. Il lui advint ce jour, entre prime et tierce, de rencontrer Sagremor, armé de pied en cap, et tout prêt à jouter avec le premier venu, n’ayant eu l’occasion depuis longtemps d’accomplir quelque fait d’armes. Aussi fut-il tout heureux de voir Érec, qu’il n’avait pas reconnu et ce dernier non plus, venir de son côté. Sagremor héla Érec d’une voix forte :
13– Messire chevalier, en garde ! il vous faut jouter avec moi.
14En voyant que Sagremor le défiait en duel, Érec n’osa se dérober, ne voulant pas être accusé de bassesse. Ils déboulèrent donc l’un contre l’autre en s’assenant des coups de toutes leurs forces. Sagremor brisa sa lance contre Érec qui était plus vigoureux, comme on pouvait s’y attendre de la part de quelqu’un qui comptait parmi les chevaliers les plus en vue de tout le royaume en matière de chevalerie. Il frappa Sagremor au milieu de la poitrine, en le faisant rouler à terre, inconscient, par derrière la croupe de son cheval, mais sans lui faire plus de mal. Après quoi, Érec poursuivit son chemin, sans s’en prendre davantage à Sagremor.
15En revenant à lui, Sagremor se vit à terre, ce dont il fut très marri. Il se releva très vite, remonta à cheval et partit à la poursuite d’Érec en criant d’une voix forte après lui :
16– Revenez, chevalier, si vous m’avez renversé, je n’en suis pas pour autant battu.
17Érec, s’apercevant qu’il était suivi, ne savait que faire car, s’il se dérobait au combat, cela tournerait à son déshonneur. Il empoigna donc son épée et, tournant bride contre lui, il dit :
18– Messire chevalier, vous êtes dans votre tort, puisque vous m’obligez à vous combattre. Si cela devait mal tourner pour vous, ce ne serait pas de ma faute !
19Il le chargea alors épée au clair, en lui assenant un coup si fort qu’il entama sa chair. Par bonheur pour Sagremor, la blessure n’était pas mortelle. L’épée toutefois était si bien trempée et le coup si puissant que la plaie fut profonde. Sagremor s’en trouva si mal que, ne pouvant tenir en selle, il tomba à la renverse tout étourdi, ne sachant plus si c’était la nuit ou le jour. Le voyant à terre, Érec remit l’épée au fourreau, puis il suivit son chemin, mais le cœur gros et tourmenté, pressentant que ce chevalier-là pourrait bien être de la Table ronde.
Ch. 165. Où Érec et Yvain aux Blanches Mains engagent le combat
20Lorsqu’Érec eut laissé Sagremor, comme je viens de vous dire, il ne se passa pas longtemps qu’il ne rencontrât Yvain aux Blanches Mains. Leurs chevaux s’étant flairés, ils se mirent à hennir : Yvain se retourna et aperçut Érec. S’il le reconnut c’est que, la veille, Gauvain lui avait décrit ses armes, tout en lui faisant part de ses griefs à l’égard d’Érec qui l’avait déshonoré sous le regard de nombreux chevaliers. Yvain lui avait promis alors de le venger s’il venait à rencontrer ce dernier. À la vue d’Érec, il se souvint incontinent de la promesse faite à Gauvain, mais il se demandait s’il devait l’attaquer tout de suite ou plus tard. Son cœur lui dit de le charger sur-le-champ, mais c’était un conseil venant à la fois du diable et du mauvais sort qui l’attendait. Dès lors, il tourna bride en disant :
21– Ah ! Érec mauvais et déloyal, prenez garde à moi ! Je vous défie !
22En s’entendant appeler mauvais et déloyal, Érec fut tout étonné et se demandait qui pouvait bien être ce chevalier, puis il répondit, le sourire aux lèvres :
23– Vous avez raison, messire chevalier, je ne suis pas tel que je devrais être, mais non plus tel que vous dites. Si Dieu le veut, je me défendrai contre ce grief de déloyauté, laquelle n’a aucune place en moi.
24Sur ces paroles, il chargea Yvain. Ils échangèrent de tels coups que les écus et les hauberts ne suffirent pas à éviter que les fers de lance ne pénètrent dans leurs corps. Ils ne purent s’empêcher de tomber tous deux à terre, leurs chevaux s’écroulant sur eux. Ils étaient si brisés qu’ils auraient eu bien besoin de maîtres en médecine. Tous les deux étaient grièvement blessés. Yvain était touché à mort tandis qu’Érec était moins atteint. Ils se relevèrent sans tarder, enrageant de se voir blessés et tout désireux de se venger l’un de l’autre. Quand chacun ôta de son corps le fer de lance, ils n’en ressentirent même pas la douleur, tant ils étaient chauffés à blanc par le combat. Ayant empoigné leurs épées, ils s’élancèrent, tels des lions, l’un contre l’autre, en échangeant des coups si formidables que c’en était merveille. Chacun pressait tellement l’autre que tous les deux se retrouvèrent avec pas moins de sept blessures sur le corps, et ce dès avant la fin du premier des duels. Cela dit, Érec n’était pas si atteint qu’Yvain. Il était un chevalier bien plus aguerri alors qu’Yvain avait eu de la peine à être admis à la Table ronde.
Ch. 166. Où Érec demande à Yvain son nom et où ce dernier refuse de le lui donner
25Le premier combat avait été si long qu’ils avaient bien besoin de se reposer un peu, aussi se mirent-ils à l’écart pour reprendre leur souffle. Comme ils étaient là à se dévisager, Érec, qui avait conçu beaucoup d’estime pour Yvain en voyant son courage et ses qualités (sans toutefois l’avoir reconnu), parla le premier. Érec se doutait, en effet, que son rival fît partie lui aussi de la Table ronde. Si la chose était confirmée, il ne se battrait plus contre lui pour rien au monde, à moins qu’il y fût contraint.
26– Messire chevalier, dit-il, je me suis battu longuement contre vous. Or on peut vous compter, d’après ce que j’ai pu constater, parmi les très bons chevaliers qu’il m’ait été donné de rencontrer depuis fort longtemps. Au nom de votre excellence, et non pas de ma peur, qui n’est pas plus forte que la vôtre, et au nom de la courtoisie aussi, je vous prie, par Dieu, de me dévoiler votre nom. Si vous êtes tel homme, cela m’obligerait à interrompre ce combat et à m’avouer vaincu, si tel autre, je m’efforcerai, autant que je le puis, de vous vaincre, tout comme vous le voulez de votre côté.
27Yvain aux Blanches Mains lui répondit alors en disant :
28– Cela, vous ne l’apprendrez pas de ma bouche en ce moment, car je vous porte une haine si mortelle que je ne vous dévoilerai pas mon nom. Vous n’obtiendrez de moi que de vous tuer ou de périr moi-même. Et sachez que cette bataille se passe d’explications : l’un de nous doit mourir bientôt, c’est tout, ne me posez donc plus de questions !
29– Messire, dit Érec, j’ai bien compris vos paroles et, en effet, aucun bien ne sortira de ce combat. Mais si je vous ai adressé la parole, c’était par courtoisie et par affabilité, et non pas que j’aie peur de vous. Et je m’en vais vous montrer, si Dieu le veut et avant le terme du prochain duel, ce que je sais faire. Et puisque, telle est votre volonté, menons la querelle à outrance !
Ch. 167. Où Érec blesse mortellement Yvain
30Après quoi, ils reprirent le combat si farouchement qu’aucun des deux ne put éviter de perdre beaucoup de sang. L’état d’Yvain, qui s’essoufflait de façon inquiétante, allait en empirant. À le voir ainsi, personne n’aurait douté que c’en était fini pour lui. En effet Érec, excellent chevalier que la renommée suivait partout, le pressait, sans lui laisser le temps de se ressaisir. Il ne cessait d’assener à Yvain des coups puissants, si bien que ce dernier, poussé à bout, commençait à perdre du terrain. Le voyant très affaibli, Érec leva son épée pour le frapper au sommet du crâne, mais sans avoir l’intention de le tuer car, si cela n’avait tenu qu’à lui, il ne l’aurait jamais tué, pas plus qu’un autre, sauf pour un outrage très grave. Mais le coup partit si fort qu’il se révéla mortel. Yvain tomba, face contre terre, comme s’il était dans les affres de l’agonie. Érec, le voyant si meurtri, comprit qu’il ne se relèverait plus. Il remit donc l’épée dans son fourreau, très peiné d’avoir causé sa mort. Puis il se pencha vers Yvain pour lui dire :
31– Messire chevalier, je vous prie, au nom de Dieu et de la courtoisie, de me dire qui vous êtes, et croyez que votre mort me chagrine beaucoup. J’ai reconnu en vous une bien grande valeur.
32Yvain, qui agonisait, se ressaisit pour lui dire :
33– Ah ! Érec, sachez que je suis Yvain aux Blanches Mains, compagnon de la Table ronde. Vous avez été maintes fois témoin de mes faits d’armes.
34En entendant ces paroles, Érec resta tout interdit de douleur, puis, la rage au cœur, il répondit à Yvain :
35– Assurément, messire Yvain, vous avez commis une grande vilenie en me cachant votre nom : vous, vous en êtes mort, et moi, je me retrouve parjure.
Ch. 168. Où l’on raconte le trépas d’Yvain aux Blanches Mains
36À ces mots, Érec se mit à contempler Yvain étendu par terre et à l’agonie. Constatant qu’il était déjà mort, Érec remonta à cheval, ne voulant que personne pût le trouver sur place. En effet, si cette affaire parvenait à la cour du roi Arthur, on lui en ferait le reproche sans vouloir croire à la réalité des faits. Il chevaucha donc pour quitter les lieux et s’engagea dans la forêt, atteint d’au moins dix blessures très profondes, dont la moindre d’entre elles aurait pu être fatale à un autre chevalier que lui. Ce qui faisait le plus souffrir Érec, c’étaient ses pertes de sang assez abondantes, en sorte que tout chevalier, allant à sa poursuite, pourrait le retrouver en suivant la trace laissée par son sang.
Ch. 169. Où Gauvain, ayant retrouvé le cadavre d’Yvain, part à la poursuite d’Érec qu’il rejoint
37À peine Érec avait-il quitté l’endroit où Yvain gisait mort, que l’aventure y amena Gauvain qui faisait route dans les parages à la recherche d’aventures. Il venait de prendre congé le jour même de son frère Agravain sur un chemin, à la croisée de deux sentiers. En arrivant à l’endroit du duel, Gauvain aperçut le cadavre d’Yvain qu’il reconnut aussitôt. Il descendit du cheval pour s’en approcher et fut si affligé qu’il crut devenir fou :
38– Hélas ! Yvain, s’écriait-il, un si bon chevalier. Quel dommage irréparable que la perte d’un si preux chevalier ! Votre mort, c’est certain, causera bien du chagrin à nombre de chevaliers de la Table ronde qui feront votre deuil à juste titre. Vous étiez un chevalier preux parmi les preux, tous les compagnons vous le diront. Mais puisque votre mort est toute récente, soyez assuré que je n’aurai de joie avant de vous avoir vengé, et je pense être en mesure de le faire car, d’après ce qu’il me semble, celui qui vous a fait cela ne peut pas se trouver bien loin.
39Il enfourcha alors son cheval et repartit à bride abattue à la poursuite d’Érec. Gauvain, ayant aperçu les traînées de sang, devina la route que l’autre avait empruntée. Il se réjouit beaucoup de l’aubaine car, pensait-il, c’était bien le meurtrier d’Yvain, et personne d’autre, qui était passé par là. Dès lors, son seul souci fut de foncer à vive allure et, en effet, il ne tarda pas beaucoup à rejoindre Érec qui marchait à pied, très lentement. Atteint comme il l’était, Érec avait plus besoin de repos que de combat.
Ch. 170. Où Gauvain hésite à attaquer Érec, voyant qu’il était blessé d’importance
40Quand il fut en vue d’Érec, Gauvain le reconnut aussitôt mais, sachant qu’il s’agissait d’un chevalier très preux et très loyal, il ne pouvait croire le moins du monde que c’était lui le meurtrier d’Yvain. Et il commença à se demander ce qu’il fallait faire : ou bien attaquer Érec ou bien le laisser pour une autre occasion. Gauvain décida alors de renoncer, ne trouvant pas de motif valable pour s’en prendre à lui mais, s’il avait été sûr qu’il s’agissait bien du meurtrier, il n’aurait pas manqué de le faire.
41En arrivant près d’Érec, il le salua fort courtoisement, et Érec en fit de même bien qu’il n’eût pas reconnu Gauvain, après quoi Érec lui demanda qui il était :
42– Vous ne me reconnaissez donc pas ? demanda Gauvain.
43– Ma foi, messire, non, répondit Érec.
44– Eh bien, sachez que je suis Gauvain, le neveu du roi Arthur.
45– À la bonne heure, dit Érec, messire, soyez le bienvenu.
46– Et qui vous a blessé de la sorte ? demanda Gauvain.
47– Messire, répondit Érec, mon péché et l’adversité qui s’acharne souvent contre les hommes.
48– Dites-moi, donc, comment cela est arrivé.
49– Je vous raconterai tout, répondit Érec, sans rien vous cacher. Sachez que tout cela est l’œuvre d’Yvain aux Blanches Mains.
50Et de raconter à Gauvain tout le détail des événements.
51– Et je vous jure, messire, sur la foi que je dois à Dieu et à tous les chevaliers de la Table ronde que si je l’avais reconnu, comme il m’avait reconnu, j’aurais préféré me laisser transpercer le cœur d’un coup de lance plutôt que de lever ma main contre lui. Et personne ne doit me tenir pour coupable : c’est son orgueil et son emportement qui sont à l’origine de tout.
52– Et vous, comment vous sentez-vous ? demanda Gauvain.
53– Sachez que je suis gravement blessé, répondit Érec. J’ai perdu une telle quantité de sang que cela paraît incroyable. Mais si je trouvais un endroit pour me reposer et un maître en médecine, je pourrais en guérir.
54– Comment vous vous portez, dit Gauvain, je l’ignore, mais, quand bien même vous seriez bien portant, comme personne sur terre et plus frais que jamais vous l’avez été, je ne manquerais pas de vous défier. Votre tort est si immense qu’il n’est pas de trésor au monde, c’est sûr, pouvant m’empêcher de vous donner la mort. Vous venez de tuer Yvain aux Blanches Mains, et on me tiendrait pour un bien piètre chevalier si je ne vengeais pas un parent si proche par le sang. Donc, je vous défie et désormais, mettez-vous en garde ! Je vous tuerai, n’en doutez pas, si je l’emporte sur vous !
Ch. 171. Où Érec reproche à Gauvain de mal agir en s’attaquant à lui alors qu’il est grièvement blessé
55D’entendre ces paroles de Gauvain, Érec était tout effaré, d’abord parce qu’il croyait être sincèrement aimé de Gauvain et, ensuite, parce qu’il le tenait pour un loyal chevalier. Érec, quant à lui, n’aurait jamais voulu s’en prendre à Gauvain, eût-il commis de graves torts à son encontre, puisque tous deux étaient des chevaliers de la Table ronde.
56– Hélas ! messire Gauvain, dit-il, que dites-vous là ? Souvenez-vous du serment de la Table ronde dont, l’un et l’autre, nous sommes compagnons. Ne flétrissez pas votre honneur à cause d’un homme tel que moi, car, soyez-en sûr, si vous me tuez, vous deviendrez homme parjure et déloyal. Plus jamais vous n’aurez d’honneur, si vous me tuez dans l’état où je suis, mais, bien au contraire, il s’ensuivra pour vous honte et déshonneur. Je suis blessé et tout brisé, ayant perdu tant de sang qu’il ne me reste que les forces d’un chevalier mourant. Aussi, vous vous devez de ne point pas m’assaillir tant que je me trouverai dans cet état.
57– Tout ce discours ne sert à rien, répondit Gauvain, il faut vous battre contre moi et défendre votre vie. Sinon, sachez-le, je vous ferai périr, peu importe la manière.
58– Comment, messire ? dit Érec, allez-vous vraiment faire cela… ?
59– Sur ma foi, oui, dit Gauvain.
60– Je regrette vraiment d’être blessé, dit Érec, car si j’avais été bien portant, vous n’auriez pas été si hardi de m’attaquer. Avec l’aide de Dieu je vous aurais vaincu, j’en suis persuadé. Mais puisque c’est ainsi, je vais me défendre de mon mieux.
Ch. 172. Où Gauvain tue le cheval d’Érec afin de mieux tuer ce dernier
61Tout en empoignant son épée, Érec dit :
62– Messire Gauvain, vous commettez un tort bien grave en m’attaquant au moment même où, comme vous le voyez, je ne puis me défendre. Que Dieu me vienne en aide ! La vérité est de mon côté, et Il ne manquera de venir à mon secours si tel est son bon vouloir. Mais je vois aussi qu’Il est contre moi. Il me faut périr, Dieu soit loué, en réparation de la mort de ma sœur.
63Érec se recommanda alors à Dieu avec une grande humilité. Gauvain, s’étant approché, lui décocha alors un coup de toutes ses forces sur le sommet du heaume. Érec en fut tout étourdi et près de s’évanouir mais il réussit tant bien que mal à tenir en selle. Il était dans une situation très éprouvante car, ayant perdu beaucoup de sang, il se retrouvait très affaibli, mais il se défendait si bien, avec le peu de forces qui lui restaient, qu’il n’est pas d’homme, connaissant son état de faiblesse, qui n’eût considéré cette situation comme le plus grand prodige du monde. Gauvain, qui était bien portant et dans la plénitude de ses moyens, le frappait avec violence partout où il pouvait l’atteindre. Érec faisait de même autant que ses forces le lui permettaient. Il puisait dans ses réserves de vigueur et d’énergie, comme celui qui voit la mort s’approcher de lui. Et c’est cela même qui le faisait se défendre avec la dernière énergie. Gauvain trouvait chez lui une telle résistance que cela tenait du prodige. Il avait beau être lui-même alerte et agile, Érec ne lui rendait pas moins de coups, parfois bien plus, mais ce n’étaient pas des coups aussi forts qu’à son habitude car sa force et son sang l’abandonnaient cruellement. Si Érec se défendait si merveilleusement, avec ce sursaut d’énergie, c’est aussi qu’il était chauffé à blanc par la rage. C’était pour lui, comme dit le proverbe, du quitte ou double. Gauvain commençait à douter sur l’issue du combat. En toute vérité, comme l’Estoire véritable le confirme, Gauvain n’aurait jamais réussi à le vaincre s’il n’avait tué le cheval d’Érec : c’est cela qui le fit tomber à terre, emporté par son cheval mort.
Ch. 173. Où Gauvain tue Érec avec grande méchanceté et félonie.
64Se voyant à terre, Érec dit :
65– Ah ! Gauvain, maintenant je découvre chez vous une racine de couardise et de méchanceté. Vous venez de tuer mon cheval et, après ma mort, vous ne pourrez plus dire que vous m’avez tué loyalement et selon votre bon droit. C’est à la déloyale que vous m’avez tué, ayant attaqué de la sorte mon cheval. Mais, je ne me soucie plus de la suite du combat : à moi l’honneur et à vous le déshonneur !
66Gauvain n’était toujours pas rassuré, même s’il voyait Érec ayant mis pied à terre. Il se précipita sur Érec, le chargeant du poitrail de son cheval, pour le renverser. Érec s’étala de tout son long face contre terre. Il perdit connaissance à cause des souffrances qu’il avait endurées : son épée tomba d’un côté et son écu de l’autre. En voyant Érec qui gisait à terre, Gauvain descendit de cheval et, après avoir découpé un pan de son haubert, il plongea l’épée dans son corps. Érec s’effondra alors saisi par les affres de la mort.
Ch. 174. Où Gauvain abandonne Érec mortellement blessé.
67Croyant Érec mort, Gauvain fut très content de tenir ainsi sa vengeance. Après avoir rengainé son épée et s’être remis en selle, il emprunta un autre chemin, ne voulant surtout pas que l’on apprît que c’était lui qui avait tué Érec. Si on venait à l’apprendre, cela lui serait reproché, il en était persuadé, par tous ceux qui auraient eu vent de l’affaire. Le tenant pour mort, il laissa donc Érec gisant à terre. Or celui-ci n’était pas mort et il avait même repris tous ses esprits, à ceci près que son corps, à bout de forces, se trouvait dans la même position où il s’était effondré. Cela tourna à son bien : son corps était certes brisé et martyrisé mais son cœur était tout à son Sauveur. Au lieu d’oublier Dieu, il chassait de son esprit toute autre pensée afin de mieux se le remémorer. Il implorait sa pitié, au milieu des sanglots, et le priant de son mieux avec les mots qu’il parvenait à trouver :
68– Jésus-Christ, Père tout-puissant et généreux, prends en pitié ce pauvre malheureux qui t’appelle dans sa détresse ! Seigneur, Père très clément, je te rends grâces par cette mort que tu m’as envoyée. À cause de mes péchés, je le reconnais, j’aurais dû périr d’une mort encore plus cruelle que celle-ci ! Dans ta pitié, Seigneur, protège-moi en ce dernier jour et dans cette ultime heure qui m’attend, quand mon âme affligée quittera ce corps chétif et qu’elle se rendra, par une voie mystérieuse, vers le lieu redoutable… à moins que ta miséricorde ne la rappelle vers toi !
Ch. 175. Où Hestor et Méraugis rencontrent Érec qui est sur le point de mourir.
69Sa prière faite, Érec fondit en larmes, comme celui qui craint et tremble pour son âme. Il voyait bien qu’il se trouvait aux portes de la mort. Comme il pleurait de la sorte, voici venir Hestor et Méraugis : l’aventure les avait guidés à cet endroit. À la vue d’Érec qui gisait le visage contre terre, l’épée et l’écu à ses côtés, ces derniers ne le reconnurent pas car il avait changé d’armes. Toutefois ils firent une halte, pensant qu’il s’agissait d’un chevalier errant.
70– Mon Dieu ! se dirent-ils, ce chevalier, qui pourrait-il bien être ?
71– Ma foi, dit Méraugis, quel qu’il soit, ce devait être un excellent chevalier : l’on dirait qu’il s’est battu jusqu’à la mort…
72– Ne croyez plus jamais à mes paroles, dit Hestor, s’il ne s’agit pas bel et bien d’un compagnon de la Table ronde, et sachez aussi que bien des preux chevaliers vont s’affliger de cette mort. Allons voir qui il est. Mon cœur me dit que nous aurons bien du chagrin : il s’agit sans doute de l’un de nos amis.
Ch. 176. Où Hestor et Méraugis reconnaissent Érec qui agonise
73Après avoir mis pied à terre, ils attachèrent leurs chevaux à des arbres. Hestor s’approcha alors d’Érec et, à genoux devant lui, il lui retira le heaume aussi doucement qu’il le put. Érec ne se retourna que légèrement, pressé qu’il était par la mort. Méraugis s’approcha alors de lui et, après s’être assis, il prit la tête d’Érec qu’il posa sur ses genoux. Puis il se mit à lui nettoyer les yeux recouverts de sang ainsi que son visage tout blême déjà à cause de l’agonie. Après l’avoir examiné, il le trouva dans un état désespéré ce qui le remplit de peine et de chagrin. Hestor, qui était encore en train de l’examiner, dit alors à Méraugis :
74– Mon ami, quel est votre avis sur ce chevalier ?
75– Il est toujours vivant, cela dit je ne pense pas qu’il passera la soirée tellement il est blessé. Je suis certain qu’il s’agit d’un excellent chevalier à la vue de tout ce qu’il vient d’endurer.
76– Demandez-lui maintenant son nom, dit Hestor, au cas où il ferait partie de nos connaissances.
77– Messire chevalier, demanda Méraugis, qui êtes-vous ? Au nom de Dieu, dites-le moi, si vous le pouvez.
78Et Érec, qui avait bien compris la question, répondit tant bien que mal :
79– Je suis Érec, fils du roi Lac et compagnon de la Table ronde, et c’est Gauvain qui m’a donné la mort en toute déloyauté. Après m’avoir salué, il m’attaqua avec grande démesure. Il savait bien que, venant de battre deux chevaliers, j’étais blessé et très mal-en-point, mais il n’a pas agi envers moi avec la loyauté qu’il aurait dû respecter. Qui plus est, il avait reconnu en moi un chevalier de la Table ronde. Mais que Dieu lui pardonne comme je lui pardonne moi aussi…
Ch. 177. Où l’on parle du deuil que menèrent Hestor et Méraugis lorsqu’ils apprirent que le chevalier blessé n’était autre qu’Érec
80En entendant ces mots, Méraugis se laissa tomber accablé par son chagrin. Il eût préféré être mort, tellement il aimait Érec. Après s’être évanoui, il perdit longtemps l’usage de la parole. Une fois revenu à lui, il dit :
81– Malheureux que je suis ! Quelle perte et quelle épreuve pour moi ! Hélas, Gauvain ! Qu’il plaise à Dieu de t’envoyer malheur et male mort car tu viens de tuer le meilleur chevalier, et le plus loyal, que jamais je vis. Et je prie Dieu de te rendre le salaire de tes œuvres.
82Hestor, ayant appris que ce chevalier étranger était Érec, celui qu’il avait tant aimé, éprouva un si vif chagrin qu’il crut défaillir. Il se mit à maudire Gauvain et toute sa lignée, puis il dit en proie à un immense chagrin et les larmes aux yeux :
83– Messire Érec, croyez-vous pouvoir guérir ?
84Érec parvint à lui répondre en homme courageux et vigoureux qu’il était :
85– Et qui êtes-vous, messire chevalier, pour me poser une telle question ?
86– Je suis Hestor des Marés, votre compagnon et votre ami fidèle. Je suis si accablé par vos malheurs que je serais prêt à jurer de quitter à tout jamais les armes, si cela pouvait vous tirer de la situation où vous êtes. Et celui qui vous porte sur ses genoux, c’est Méraugis avec qui j’allais à votre recherche.
87En entendant qu’il s’agissait de ses amis, Érec dit :
88– Soyez les bienvenus, mes amis ! Je me réjouis de votre arrivée et de votre présence ici au moment même de ma mort puisque vous êtes les personnes que j’aime le plus au monde. Avant de mourir, je vous prie, en amis et compagnons que vous êtes, de porter mon corps chez le roi Arthur. Vous allez le présenter à la Table ronde, dont je suis compagnon par la grâce de Dieu, comme vous le savez bien. Une fois que vous m’aurez déposé sur mon siège, alors le roi fera de moi ce qu’il voudra bien, mais surtout ne manquez pas de rapporter au roi Arthur la félonie de Gauvain contre moi.
89– N’y pensez plus, dit Hestor, je vous promets de vous venger de mon mieux et de flétrir Gauvain, autant qu’il est en mon pouvoir, à la cour du roi Arthur : les preux en parleront encore longtemps après votre mort.
Ch. 178. Où Érec rend l’âme au grand deuil d’Hestor et de Méraugis.
90Érec dit ensuite :
91– Jésus-Christ, Père compatissant et riche en miséricorde, ayez pitié de moi : ne me jugez pas d’après mes péchés mais que votre miséricorde me vienne en aide !
92Après ces paroles, il dit encore :
93– Messires, vous qui êtes mes compagnons et amis, je vous prie de vous souvenir de moi dans vos prières et dans vos aumônes car je suis un bien grand pécheur. Et c’est, sans doute, à cause de mon péché que ce malheur s’est abattu sur moi.
94À peine avait-il proféré ces mots que son âme quitta son corps. Méraugis et Hestor firent alors grand deuil :
95– Mon Dieu, hélas ! disait Méraugis, n’eût-il pas mieux valu que ce soit Gauvain le félon qui meure d’une telle mort plutôt que vous, si bon et si loyal, qui passiez en excellence tous les autres chevaliers que j’ai pu rencontrer. Gauvain, chevalier mauvais et déloyal, j’ose prier Dieu que tu tombes entre mes mains. Je n’échangerais pas ta tête contre toutes les richesses du monde que l’on pourrait m’offrir. Seigneur Dieu, comment as-tu pu vouloir qu’un homme comme celui-ci vienne à mourir de la sorte ?
96C’est ainsi que tous deux poussaient leur plaintes, et ce pendant un long moment. Là-dessus, survient Gaheriet, le frère de Gauvain, conduit par l’aventure. Du premier coup d’œil, Gaheriet les reconnut et il était tout abasourdi en voyant le deuil qu’ils menaient. Hestor, qui l’avait vu et reconnu lui aussi, ne put se retenir de lui dire :
97– Gaheriet, maintenant vous pouvez voir de vos yeux la grande déloyauté de votre frère qui vient de tuer ce chevalier, l’un des meilleurs qui soient dans la maison du roi Arthur : il s’agit d’Érec le fils du roi Lac.
98D’entendre ces nouvelles, Gaheriet, qui était un très loyal chevalier, fut très peiné et il dit :
99– Et qui vous a donc raconté cela ?
100– C’est un tel dont nous savons, répondit Hestor, qu’il n’a jamais menti.
101– Sur ma foi, répondit Gaheriet, je suis consterné et même stupéfait que cela ait pu arriver. Dieu m’en est témoin, je tenais mon frère pour l’un des plus loyaux chevaliers qui fussent dans cette quête, et je le pense encore, n’étaient les nouvelles que vous m’en donnez.
102– Dieu m’en est témoin, répondit Hestor, si vous n’étiez mon compagnon, je m’en serais pris à vous de toutes mes forces, à défaut de votre frère, afin de venger ce chevalier.
103Méraugis se taisait, accablé qu’il était par cette histoire.
Ch. 179. Où l’on dépose le cadavre d’Érec sur une civière afin de le porter chez le roi Arthur.
104Plus tard, Méraugis dit :
105– Je désirerais pour Érec tout l’honneur qui se peut. Comment pourrions-nous accomplir les dernières volontés d’Érec ?
106– Voilà ce que nous ferons, et rien d’autre, dit Hestor, nous allons préparer une civière et la placer entre nos deux chevaux. Quant à nous, nous le suivrons à pied jusqu’à ce que Dieu nous fasse rencontrer des bêtes de somme pouvant le porter.
107– Vous avez bien parlé, dit Méraugis7.
108Gaheriet leur demanda alors où ils voulaient porter le corps et Hestor de lui répondre :
109– Chez le roi Arthur, où nous raconterons la déloyauté que fit votre frère, par quelles voies il l’a fait périr. Au moment de mourir, il nous a prié de le faire savoir au roi Arthur.
110D’entendre ces paroles, Gaheriet fut très peiné, ayant compris que son frère serait couvert de honte et que sa déloyauté serait divulguée dans le monde entier, une fois que la chose serait connue à la cour. Il fondit alors en larmes, et en proie à ce lourd chagrin, il les quitta sans prendre congé.
Ch. 180. Où Hestor et Méraugis arrivent au château
111En voyant partir Gaheriet, Méraugis prit et laça son heaume et Hestor de lui demander :
112– Qu’allez-vous faire ?
113– Je vais aller, répondit-il, à la poursuite de ce chevalier et, à défaut de trouver son frère, me venger sur lui de mes souffrances.
114– Vous n’en ferez rien, dit Hestor, il n’y est pour rien dans la déloyauté de son frère et, croyez-moi, il en est aussi accablé que vous : c’est l’un des plus loyaux chevaliers que je connaisse et aussi des plus courtois. Aussi, je vous prie de le laisser partir en paix.
115À cause de ces paroles d’Hestor, Méraugis renonça à le poursuivre. Ayant réfléchi à la façon dont ils allaient emmener Érec, ils déposèrent son corps sur la civière, en faisant de leur mieux et de la façon la plus digne qu’ils purent trouver. Ils se rendirent à pied vers un château qui était tout proche, où on leur procura des chevaux et tout ce dont ils avaient besoin. Ils y apprêtèrent aussi le cadavre afin de pouvoir le porter aussi loin que possible. Partis du château, ils arrivèrent, en faisant de grandes journées, à Camaalot, où se trouvait le roi Arthur, triste et accablé dans un deuil qui jamais ne cessait. Il aurait eu un cœur de pierre celui qui se serait trouvé sur place sans compatir au deuil que faisaient les dames et ceux qui attendaient le retour de leurs amis partis à la quête du Graal. Le chagrin du roi grandissait de jour en jour, si bien qu’il en venait à préférer la mort. Si quelqu’un me demandait ici la raison de cet état, je lui répondrais selon ce qu’en dit la véritable Estoire.
Ch. 181. Où l’on dit comment le roi Arthur fait examiner tous les jours la Table ronde
116Le roi Arthur aimait sans exception tous ceux de la Table ronde comme s’il se fût agi de ses enfants, aussi était-il fort peiné de les voir partir. Désireux de savoir ce qu’il en était advenu, il se rendait pour cela tous les jours, avant le repas, auprès des sièges de la Table ronde afin de les examiner. Il s’en approchait pour voir à partir des inscriptions si le maître du siège était toujours en vie : vivant, son nom y restait inscrit ; mort, toute écriture avait disparu. Soyez-en certains, la Table ronde était si prodigieuse que si quelqu’un venait à mourir en quelque endroit que ce fût, proche ou éloigné, l’inscription s’effaçait incontinent, ce qui se vérifia pour nombre de chevaliers.
Ch. 182. Où le roi Arthur apprend la mort du roi Baudemagus
117C’est donc par cette voie, dont je viens de vous parler, que le roi Arthur apprenait la vérité des faits sur tous et chacun des morts de la Table ronde, ainsi que le jour où chacun avait trépassé. Bien des preux suivaient son exemple : les chevaliers avaient été si nombreux à partir qu’il n’y avait personne à la cour qui ne comptât parmi eux quelqu’un de sa parenté. Dès lors, l’on y faisait toutes les semaines grand deuil, car il se passait rarement plus d’une ou deux semaines sans qu’il n’y eût un ou deux morts. Le roi était, lui, très peiné à cause d’Yvain le Bâtard et d’Yvain de Cinel : la sœur de ce dernier était venue à la cour où elle avait raconté devant tous les barons présents comment Gauvain avait laissé Yvain aller tout seul au-devant de la mort dans le château, comment celui-là avait tué ensuite Patridès, neveu du roi Baudemagus, alors même qu’il avait bien reconnu en lui, au moment de le frapper, un compagnon de la Table ronde. Le roi, que ces nouvelles affligeaient au plus haut point, avait alors dit à la demoiselle :
118– S’il est bien tel que vous dites, il mérite d’avoir la tête tranchée et de perdre son siège à la Table ronde.
119Tous les chevaliers présents étaient du même avis. Le roi fut très peiné et affligé aussi par le trépas du roi Baudemagus. La nouvelle s’étant répandue à la cour, ils furent tous si éprouvés par la mort de ce roi Baudemagus que l’on ne dressa pas de table pour les chevaliers deux jours durant. Mais, en apprenant la mort d’Érec, fils du roi Lac, le deuil fut encore plus intense. Les plaintes et les lamentations que dames et chevaliers poussaient partout à Camaalot étaient telles que l’on n’aurait pas entendu un coup de tonnerre pour puissant qu’il fût. Sages et fols se lamentaient sur Érec, vieillards et jeunes. Et sachez qu’à Camaalot l’on apprit sa mort cinq jours avant la venue de son corps, si bien qu’à son arrivée le deuil tirait sur sa fin.
Ch. 183. Où les deux chevaliers arrivent dans la demeure d’Arthur en portant le corps d’Érec
120Un jour (c’était un lundi) arrivent à Camaalot les deux chevaliers portant le corps d’Érec. Ils parcouraient la ville, si dolents et si affligés, qu’il n’est pas d’homme qui, en les voyant, ne fût pris de compassion.
121En arrivant aux appartements où se trouvait la Table ronde, après avoir déposé par terre la civière, ils prirent dans leurs bras le corps d’Érec et, gémissant très profondément sous leurs heaumes, ils disaient :
122– Hélas ! bon chevalier, quelle perte et quel chagrin nous cause votre mort !
123Puis ils déposèrent Érec sur son siège, en disant d’un cœur accablé de tristesse :
124– Hélas ! messire, que n’êtes vous pas bien portant comme naguère, quand tout le royaume de Londres devenait meilleur à cause de vous !
125En entendant ces paroles, le roi Arthur et les autres chevaliers présents s’approchèrent pour s’enquérir de ce qu’ils entendaient faire. Or, ils ne reconnurent pas Hestor, qui avait changé ses armes. Quant à Méraugis, ils ne pouvaient le reconnaître puisqu’ils ne l’avaient jamais rencontré. Pour ce qui est d’Érec, ils ne le reconnaissaient pas non plus, son visage était rouge de sang. Le roi demanda alors à Hestor :
126– Dites-moi, mon ami, pourquoi avez-vous déposé sur le siège le corps de ce chevalier ?
127– Sire, répondit Hestor, c’est lui qui nous a prié, au moment de mourir, de porter son corps ici et de l’asseoir sur ce siège, puis de vous présenter ses plaintes, puisqu’il ne peut plus le faire de lui-même, au sujet de votre neveu Gauvain qui l’a fait périr en toute déloyauté et traîtrise. Nous allons vous en faire le récit, autrement nous n’accomplirions pas comme il se doit ce dont il nous a chargés.
128Hestor se mit alors à faire son réquisitoire devant le roi et tous les chevaliers qui s’étaient rassemblés : comment Gauvain s’en était pris à Érec, lequel venait tout juste d’affronter deux chevaliers, et comment Gauvain l’avait achevé alors que, blessé, Érec se rendait à merci. D’ailleurs, ajouta-t-il, Érec avait bien adressé ses salutations à Gauvain en lui déclarant son nom.
Ch. 184. Où le roi Arthur et ses chevaliers sont accablés de chagrin à cause de la mort d’Érec
129En écoutant ce récit, et ayant compris qu’il s’agissait d’Érec le fils du roi Lac que l’on ramenait d’une terre lointaine, tous les présents menèrent un très grand deuil, comme s’ils avaient eu sous les yeux les cadavres de tous leurs amis. Méraugis, dont le chagrin ne pouvait être plus grand, dit alors :
130– Messires, comme il ne pouvait se rendre ici en personne pour formuler sa plainte, il s’est fait ramener mort afin de présenter sa querelle devant vous. Et maintenant, faites ce qu’il sied de faire pour un fils de roi tué par traîtrise.
131Et le roi, qui était fort éprouvé comme s’il se fût agi de son propre fils, dit :
132– Maudite soit l’heure où Gauvain fut adoubé, lui qui s’emploie à commettre des félonies de ce genre. Lui et tout son lignage auront à en rougir : il n’y gagnera que blâme et flétrissure. Si les choses se sont vraiment passées de la sorte, il doit perdre son siège à la Table ronde.
133Qu’il était grand, le deuil que tous menèrent pour Érec ! Méraugis dit alors au roi :
134– Votre neveu Gauvain n’en est pas à son premier forfait : lors de cette quête, il a tué deux autres chevaliers qu’on ne devrait pas moins pleurer qu’Érec.
135– De qui s’agit-il ? dit le roi.
136Et Méraugis de répondre :
137– Baudemagus, j’en suis certain, c’est encore votre neveu Gauvain qui l’a fait périr. Cette mort, je l’aurais bien vengée, si Érec n’était pas arrivé au même moment et ne m’en avait pas détourné. Et Gauvain a tué aussi Patridès le neveu du roi Baudemagus.
138– Maudite soit l’heure où Érec s’est trouvé sur ton chemin, car tu n’as pu faire périr celui qui accomplit tant de mauvaises actions !
139Et le roi ordonna que l’on traite Érec en fils de roi et en preux chevalier qu’il était, en le faisant enterrer dans une riche sépulture en l’église Saint-Étienne, où l’on déposait le corps de tous les compagnons. Chevaliers et dames le pleurèrent beaucoup. Ce jour-là, vous n’auriez rencontré homme ou femme, dans la toute ville de Camaalot, qui ne fût triste. Et le roi, lui qui avait un cœur ferme plus que tout autre homme de sa cour, poussait aussi de telles plaintes que c’en était merveille à voir, tandis que l’on portait le corps d’Érec vers sa sépulture.
Ch. 185. Où le roi demande des nouvelles aux deux chevaliers
140Aussitôt qu’Érec fut enseveli, le roi se retourna vers son palais et, ayant reconnu Hestor, il ordonna qu’on lui retire ses armes. Le roi embrassa plusieurs fois Hestor, tout en lui disant :
141– Je vous aurais fait bon accueil, n’était la mort de ces deux preux, laquelle m’ôte toute joie et tout plaisir. Mais, je vous en prie, si vous avez des nouvelles de Lancelot, de Galaad et d’autres chevaliers de votre lignée, faites-les moi savoir.
142– Sire, répondit Hestor, je pense que mon frère est heureux et bien portant, de même que Galaad et toute notre lignée.
143– Et comment se sont-ils comportés dans cette quête ? demanda le roi.
144– Sire, ils y ont rencontré bien des aventures sans pouvoir les mener à terme : c’est Dieu qui ne l’a pas voulu. Quant à eux, ils ont fait de leur mieux, s’agissant, comme vous le savez bien, de preux chevaliers.
145– Certes, dit le roi, ce sont d’excellents chevaliers, je le sais. D’aucuns pourront bien se comporter lors de cette quête, mais eux seront encore meilleurs, car aucun lignage de chevaliers ne saurait les égaler. Mais venons-en à Galaad, celui qui accomplit jadis l’épreuve du Siège périlleux, que m’en dites-vous ?
146– Pour sûr, Sire, il s’agit du meilleur chevalier au monde. D’après ce que j’ai pu en voir, ce n’est sûrement pas un défaut de prouesse qui pourra l’empêcher d’accomplir toutes les aventures du royaume de Londres.
147– Que Dieu lui vienne en aide ! dit le roi. Ce serait pour moi une bien grande joie, s’il plaisait à Dieu que je puisse le revoir sous mon toit, comme j’ai pu le voir la dernière fois. Et mon neveu, Gaheriet, cela fait-il longtemps que vous l’avez rencontré ?
148– Il était avec nous, répondit Hestor, au moment où Érec se mourait. Puis il nous a quittés, fort peiné à cause de cette mort.
149– J’étais sûr, dit le roi, qu’il serait accablé par une telle félonie. Je reconnais en lui le plus loyal des chevaliers de mon lignage.
150Il demanda alors à Hestor qui était ce chevalier qui l’accompagnait et Hestor de lui répondre :
151– C’est un chevalier que j’ai rencontré au hasard de cette quête et nous sommes devenus des compagnons inséparables : il s’agit d’un très bon chevalier, si hardi que c’en est merveille. Cela dit, il n’a jamais pu connaître ses origines, qui étaient son père et sa mère. On lui a dit qu’il pourrait apprendre toute la vérité chez vous, c’est pourquoi il s’est rendu au royaume de Londres.
152– Mon Dieu, vous me racontez une merveille incroyable : être un si bon chevalier que vous le dites et ne pas connaître sa propre lignée !
153– Les choses sont telles que je vous les rapporte, dit Hestor.
154– Et où demeurait-il avant de venir sur nos terres ? demanda le roi.
155– En Cornouailles, répondit Hestor, et cela fait à peine deux ans qu’il fut adoubé.
156– Mais, est-ce qu’il accepterait de demeurer avec nous ? demanda le roi.
157– Je crois bien que oui, répondit Hestor, du moins tant qu’il ne connaîtra pas la vérité sur son lignage. Il doit l’apprendre ici même d’après ce qui lui a été dit.
158– Et vous, allez-vous rester avec moi, demanda le roi, maintenant que votre lignage se trouve ainsi affaibli, d’après ce qu’il semble ?
159– Ce serait violer le serment que j’ai fait.
160– Même au risque de le violer un peu, vous ne devriez pas moins vous rendre à mes prières.
161– Sire, répondit Hestor, en toute autre chose j’exécuterais vos désirs, mais rester ici pour ce motif, je ne saurais le faire pour rien au monde, car je serais parjure.
Ch. 186. Où Méraugis accède à l’honneur de la Table ronde
162En entendant cette réponse, le roi ne voulut plus discuter, s’apercevant que cela ne servirait à rien. Se tournant alors vers Méraugis, il lui dit :
163– Vous êtes donc de Cornouailles ?
164– C’est cela, répondit-il.
165Et le roi de lui dire :
166– Êtes-vous venu ici pour demeurer avec nous ?
167– Sire, répondit-il, je resterai chez vous en attendant que Dieu me fasse connaître la chose pour laquelle je suis venu.
168– Soyez donc le bienvenu, dit le roi, et sachez que votre arrivée nous fait grand plaisir. Vous trouverez ici des gens qui chercheront à vous honorer et à vous plaire, qui se réjouiront aussi avec vous. Mais il ne faut pas nous en vouloir si nous ne vous présentons pas un visage aussi aimable que nous le devrions : nous n’y pouvons rien, sachez-le, tellement nous sommes attristés et minés par tous les malheurs qui s’abattent sur nous.
169Méraugis, après avoir beaucoup remercié le roi de ses paroles, lui dit :
170– Ce n’est pas merveille, Sire, si vous avez tristesse et chagrin. À cause des faits de chevalerie qui se produisaient ici, votre terre était naguère crainte et redoutée, fort renommée aussi partout dans le monde.
171Hestor fit ensuite la louange de Méraugis pour ses faits d’armes : il en disait le plus grand bien à tous ceux qui, ce jour-là, le questionnaient à son sujet. Le roi et la reine prièrent Hestor de demeurer quelques jour en leur compagnie. Le lendemain, à midi, comme le roi, après la messe, siégeait dans son palais, l’un des clercs qui devait rédiger le livre des prouesses des chevaliers errants se présenta. Il s’agenouilla devant le roi et dit :
172– Sire, si vous y consentez, je vous montrerai une chose qui vous remplira d’aise.
173– Eh bien, montrez-la moi, dit le roi.
174– Sire, répondit-il, il vous faut nous croire.
175Ils se rendirent alors tous les deux auprès de la Table ronde et, sur le siège qui avait appartenu à Érec, ils trouvèrent une inscription toute fraîche qui disait : « Ici doit siéger Méraugis de Norgalès. »
176En voyant ces caractères et après les avoir lus, le roi fit appeler Hestor et une foule d’autres chevaliers afin de les leur montrer. Il leur demanda :
177– Que pensez-vous de cette aventure ?
178Et Hestor, qui avait beaucoup d’estime pour Méraugis, se réjouit beaucoup de cette aventure et, prenant la parole en premier, il dit :
179– Je crois que mon compagnon vient de gagner l’honneur de la Table ronde. Cette inscription en est la preuve.
180– Loué soit Jésus-Christ, dit le roi, qui a prêté un si prompt secours à la Table ronde en la personne d’un homme tel que celui-ci !
181Le visage du roi devint alors moins sombre qu’auparavant et, se rendant près de Méraugis, il le prit par la main, tout en lui disant :
182– Mon ami, soyez le bienvenu. Si nous ignorons qui vous êtes, Dieu, lui, sait et vous veut beaucoup de bien. Vous pouvez voir sur le siège de la Table ronde combien Dieu vous aime puisqu’Il vous en fait le don, et il en est de même pour nous qui vous l’octroyons en son nom. Dieu veuille, dans sa grande bonté, que vous égaliez en vertu l’homme qui avait occupé ce siège.
183– À Dieu plaise ! dit alors Méraugis avant de prendre place dans ce siège qui avait appartenu à Érec.
184Cela parut bien à tout le monde et il y eut grande liesse partout dans le palais, mais la fête ne fut pas aussi belle qu’elle aurait pu l’être puisqu’ils étaient en proie à la tristesse qui les accablait.
Ch. 187. Où Méraugis apprend de qui il est le fils et quel est son lignage
185Le jour même où Méraugis gagna son siège à la Table ronde, il advint que deux chevaliers en armes se présentèrent à lui : l’un portait des armes blanches et l’autre des armes noires. Des deux, l’un était Claudin, fils du roi Claudas. Claudin était parti pour la cour avec son compagnon, bien avant Hestor, mais bien des choses leur étaient survenues qui les avaient retardés plus qu’ils ne l’auraient souhaité. En arrivant, ils mirent pied à terre et ils entrèrent dans la cour encore tout armés, tels qu’ils étaient arrivés. Parvenus en présence du roi, ils le saluèrent de même que tous les autres chevaliers, après quoi, ils demandèrent si Méraugis se trouvait bien en ce lieu. Et le roi de répondre :
186– Oui, le voilà, mais de grâce faites-vous désarmer.
187Après qu’ils eurent ôté leurs armes, l’un d’eux sortit une lettre qu’il portait contre sa poitrine, et il la tendit à Méraugis en disant :
188– C’est une recluse qui vous l’envoie. Je l’ai rencontrée dans un pays lointain, il n’y a pas si longtemps. Cette dame est la tante de Perceval et elle m’a dit que cette lettre vous renseignerait avec certitude sur les choses que vous désirez savoir le plus au monde.
189D’entendre ces nouvelles, Méraugis fut si joyeux que c’était merveille à voir. En prenant cette lettre, il dit :
190– Sire, vous m’avez donné une preuve d’amour telle que je ne saurais vous gratifier comme il le faudrait. Que Dieu veuille me donner l’occasion de vous rendre ce bienfait !
191Méraugis prit alors la lettre et il la garda par-devers soi, ne voulant pas la lire devant tous les preux chevaliers qui se trouvaient présents. Le roi posa alors des questions à Claudin au sujet de sa vie et de son pays, et celui-ci répondit par le détail. Le roi en éprouva un vif plaisir car il avait en haute estime les prouesses de chevalerie et on venait de lui en offrir un récit. Aussi, fit-il bien d’honneurs à Méraugis ainsi qu’au chevalier aux armes blanches. Il questionna aussi Claudin sur son départ du royaume de Gaunes et ce dernier lui en fit un récit véridique, comme cela est rapporté dans le conte.
Ch. 188. Où Claudin et Arthur le Petit accèdent à l’honneur de la Table ronde
192Alors qu’ils se trouvaient tous ensemble, tout à la joie et à la fête pour honorer ces chevaliers étrangers, une demoiselle, fort instruite, survint à l’heure de vêpres et, se tenant devant le roi, elle dit :
193– Sire, sur les sièges [du roi Baudemagus et] d’Yvain aux Blanches Mains il y a une inscription toute fraîche : je crois bien que les sièges ont retrouvé un maître !
194Le roi fut tout joyeux de ces nouvelles et, se rendant sur place, il trouva sur le siège du roi Baudemagus le nom de Claudin, et sur le siège d’Yvain aux Blanches Mains le nom d’Arthur le Petit (c’était lui le chevalier aux armes blanches). Et sachez aussi qu’il était fils du roi Arthur, comme je m’en vais vous le raconter, autrement vous ne pourriez pas en avoir connaissance.
Notes de bas de page
7 Le texte donne Hestor.
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Arthur, Gauvain et Mériadoc
Récits arthuriens latins du xiiie siècle
Philippe Walter (dir.) Jean-Charles Berthet, Martine Furno, Claudine Marc et al. (trad.)
2007
La Quête du Saint Graal et la mort d'Arthur
Version castillane
Juan Vivas Vincent Serverat et Philippe Walter (trad.)
2006
Histoire d'Arthur et de Merlin
Roman moyen-anglais du xive siècle
Anne Berthelot (éd.) Anne Berthelot (trad.)
2013
La pourpre et la glèbe
Rhétorique des états de la société dans l'Espagne médiévale
Vincent Serverat
1997
Le devin maudit
Merlin, Lailoken, Suibhne — Textes et études
Philippe Walter (dir.) Jean-Charles Berthet, Nathalie Stalmans, Philippe Walter et al. (trad.)
1999
La Chanson de Walther
Waltharii poesis
Sophie Albert, Silvère Menegaldo et Francine Mora (dir.)
2009
Wigalois, le chevalier à la roue
Roman allemand du xiiie siècle de Wirnt de Grafenberg
Wirnt de Grafenberg Claude Lecouteux et Véronique Lévy (trad.)
2001