XV. Aventures d’Érec
p. 136-138
Texte intégral
Ch. 149. Où l’on retrouve Méraugis qui dormait lors du départ d’Érec
1Le conte dit qu’Érec avait laissé Méraugis dans son sommeil, d’après le récit qui vous a été fait. Or, Méraugis était resté endormi jusqu’au lever du soleil. En se réveillant, il regarda autour de lui mais, ne voyant pas Érec, il se leva prestement et commença d’arpenter l’endroit dans tous les sens. Ne l’ayant pas retrouvé, il devina aussitôt qu’Érec venait de lui fausser compagnie, pour mener grand deuil de son côté et mourir, ainsi, loin des gens. À cette pensée, Méraugis éprouva un si grand chagrin qu’il en resta tout interdit, puis il se mit à gémir et à pleurer pour son compagnon Érec, avec une telle intensité que c’en était merveille. Il venait de perdre un compagnon dont il avait pu mesurer toute l’excellence.
2– Hélas ! mon bon ami et compagnon, disait-il, chevalier hardi, si parfait en armes et en courtoisie, en civilité et en mesure, affable et avenant comme jamais le fut chevalier ! Vous m’avez quitté, maintenant je le sais, pour mener votre deuil loin de moi, afin que je ne puisse être le témoin de votre peine et de votre chagrin, ni vous, à votre tour, être le témoin du chagrin que j’aurais partagé avec vous. Voilà bien une preuve de votre courtoisie !
3Voilà quel était l’état d’esprit de Méraugis, parlant avec lui-même, abîmé dans son chagrin, à cause du départ d’Érec. Il en était peiné comme s’il se fût agi de son frère.
Ch. 150. Où Hestor des Marés renverse Méraugis
4Après le départ d’Érec, Méraugis ne s’était pas encore remis en route, quand il vit arriver sur la plaine un chevalier armé de pied en cap. C’était Hestor des Marés. En le voyant venir sur lui, Méraugis crut qu’il voulait entrer en lice. Il se saisit de son écu et de sa lance, enfourcha son cheval prestement et se planta au milieu de la route pour voir ce que l’autre lui voulait. Quand Hestor le vit, planté là au milieu de la route, il se dit en lui-même :
5– Ce chevalier s’est lancé dans une juste quête et il me tiendra pour un couard si je ne me mesure pas à lui.
6Hestor héla donc Méraugis et lui dit :
7– Chevalier, chercheriez-vous à combattre ?
8Méraugis, qui se jugeait lui-même très hardi et déjà aguerri, lui répondit :
9– Messire chevalier, puisque vous me sollicitez pour un duel, je ferai de mon mieux pour ne pas vous décevoir.
10Ils déboulèrent alors, l’un contre l’autre, avec tout l’élan de leurs chevaux : le choc fut si rude que les lances volèrent en pièces, et Méraugis, après une fort mauvaise chute, se retrouva à terre tout meurtri. Hestor tenait bon sur sa selle, sans tomber à terre. Tout marri de se voir allongé sur le sol lors de cette aventure, Méraugis se releva et empoigna son épée afin de bien paraître. Celui qui l’avait renversé, voyant comment Méraugis se relevait, le tint en plus haute estime qu’auparavant, et il commençait même à se douter qu’il pourrait bien être de la Table ronde. Aussi, voulait-il mieux le connaître avant de pousser plus avant.
Ch. 151. Où Hestor et Méraugis, s’étant reconnus, repartent ensemble
11Hestor dit alors à Méraugis :
12– Messire chevalier, vous voilà à pied, moi à cheval et, de plus, bien portant, voulez-vous encore vous battre ?
13Et Méraugis répondit qu’il le voulait bel et bien, autrement il en serait déshonoré.
14– Eh bien, dit Hestor, je vous prie donc, pour l’honneur de la chevalerie, de me dire qui vous êtes ou ce que vous recherchez. Ensuite il se pourrait que je vous combatte ou que je vous laisse en paix.
15– Messire chevalier, cela ne vous sera point refusé, puisque vous m’en faites la demande. Sachez que j’ai nom Méraugis et que je suis natif de la Cornouailles. Je n’ai encore rien entrepris de si considérable que mon cœur puisse en être comblé, et je ne me suis pas encore fait un nom. Et pourtant j’étais devenu le compagnon, jusqu’à il y peu de temps, d’un preux chevalier, à cause de toutes les qualités que je voyais chez lui.
16Et Méraugis lui raconta alors comment tout s’était passé.
17– Et comment se nommait-il ? demanda Hestor.
18Et Méraugis de le lui dévoiler. Aussitôt qu’Hestor eut entendu ce nom, et qu’il fut au courant d’une telle aventure et de ces événements, il en fut très affligé, car il aimait Érec d’une profonde amitié. Il dit alors à Méraugis :
19– Mon ami, vous êtes à la recherche d’un homme que j’aime de tout mon cœur. Et si vous aussi, vous l’aimez autant que vous le dites, ce n’est pas moi qui me battrai, aucunement, contre vous, sauf si une haine mortelle existait entre nous. Aussi, vous fais-je grâce de ce duel et, si Dieu le veut, je m’en tiendrai là. Qui plus est, je m’avoue vaincu plutôt que de poursuivre le combat.
20Une fois descendu de cheval, le chevalier tendit son épée à Méraugis, en disant :
21– Veuillez la prendre, je m’avoue vaincu.
22– Messire, dit Méraugis, si Dieu le veut, je n’en ferai rien, ne méritant pas un tel honneur. Vous êtes sans conteste meilleur chevalier que moi.
23– Maintenant, dites-moi, demanda Hestor, voulez-vous entreprendre la recherche d’Érec ?
24– Messire, dit-il, tout ce que je désire c’est de repartir au plus tôt à sa recherche jusqu’à le retrouver.
25– Eh bien, je vous prie, dit Hestor, de bien vouloir m’accepter comme compagnon dans cette quête d’Érec. Moi aussi je vais le rechercher, aussi longtemps que je ne l’aurai pas retrouvé. Je tiens beaucoup à le réconforter de cette mésaventure qui lui est arrivée.
26Méraugis lui répondit combien sa compagnie lui procurait de la joie. C’est ainsi qu’il devint un bon compagnon d’Hestor. Puis les deux chevaliers partirent à la recherche d’Érec.
27– Savez-vous de quel côté il est parti ? demanda Hestor.
28– Non, répondit Méraugis, je ne vois pas trace de son passage et, de plus, j’ignore à quelle heure il m’a quitté.
29– Eh bien, allons à l’aventure, dit Hestor, et que Dieu nous guide pour le retrouver !
30C’est aussi mon choix, dit Méraugis.
31Et ils se mirent en route tous les deux, chevauchant au gré de l’aventure.
32Mais ici l’Estoire cesse d’en parler pour revenir à Gauvain.
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