Papologie
Stendhal conclavologue et constituant
p. 165-181
Dédicace
Philippe Berthier.
Texte intégral
1Ennemi viscéral des kings et des « p... », Stendhal ne pouvait être que fasciné par le « king p... » (prêtre) de l’unique théocratie d’Europe, de la plus vieille monarchie d’Europe, autocratique et élective par-dessus le marché ; fasciné par les papes qui, n’ayant pas de divisions à aligner, comme le soulignait Staline, ne pouvaient directement poursuivre leur politique par la guerre, et se trouvaient condamnés depuis des siècles à un jeu diplomatique compliqué de billard à une, deux ou trois bandes pour neutraliser réciproquement les appétits de leurs voisins italiens ou continentaux. Les Etats du pape avaient failli disparaître dans l’Empire des 130 départements. Ils avaient failli disparaître en 1813-1814, partagés « fifty-fifty » dans des magouilles entre Murat et l’Autriche. Après le retour du pape, Naples et Vienne continuent à lorgner sur ces Etats au statu quo précaire. La situation est d’autant moins tenable qu’en dépit du postulat de Metternich, « L’Italie n’est qu’une expression géographique », le nationalisme italien, avivé par la Révolution française et le romantisme, est en plein essor malgré les bâillons et les répressions. Dans la mesure où il l’approuve pleinement, par la raison et par le cœur, Stendhal aimerait agir sur l’opinion pour faciliter une transition qui ne soit pas sanglante.
2J’examinerai en premier lieu comment Stendhal voyait l’avenir spirituel du catholicisme en général (son projet de « Constitution ecclésiastique » de 1818, matrice de « concordats » propres à réduire l’autorité pontificale dans les affaires spirituelles des autres nations) ; en second lieu, l’aspect temporel de la monarchie romaine. D’abord le brio avec lequel le chroniqueur dépeint le jeu gérontocratique et dérisoire des conclaves de 1823 et 1829. J’aborderai ensuite la façon dont son imagination combinatoire a esquissé en 1818 deux « Constitutions » pour introduire graduellement une dose d’« opinion » dans le gouvernement pontifical. On sait de reste qu’il ne prise guère le régime des deux chambres, dont il redoute l’inculture, la soumission à l’argent et la disparition des despotes éclairés dont le mécénat fit naître tant de chefs-d’œuvre. Disons qu’entre deux maux, l’aveuglement de vieillards obscurantistes qui mène à la guerre civile et l’inélégance des parvenus qui le démodera, lui Stendhal, il choisit le moindre, et que le rebelle parle plus fort chez lui que l’esthète. En dernier lieu, j’essaierai de montrer que les événements de 1817 à 1870 attestent la clairvoyance de Stendhal sur les maux de l’Italie de son temps et sur leurs remèdes.
a) Constitution ecclésiale des catholiques
3Le premier texte à apparaître, sans titre, dans L’Italie en 1818, n’est pas un projet de Constitution politique pour les Etats temporels du souverain pontife, mais un projet, assez singulier, de « Constitution civile du clergé », si j’ose dire, ou de « matrice de Concordats », pour régler les affaires internes de l’Église catholique au niveau de tous les États où se trouvent des catholiques. Stendhal, éprouvant plus de sympathie pour les États luthériens, et constatant la décatholicisation générale, en fait une question purement théorique et donne (en cataracte, avec le désordre du brouillon) des conseils désintéressés : « Si l’on veut que la religion romaine subsiste, il faut [...] »1
4Que faut-il ? Dans chaque pays, un bicaméralisme de deux chambres ecclésiastiques, avec réunion annuelle dans la capitale de l’État, sur convocation « du roi ou du pape ». J’interprète comme suit cette formule qui reviendra. Le pape convoque, bien sûr, pour les États pontificaux. S’il y a des États où le Souverain ne se soucie pas d’intervenir (soit qu’il soit très ultramontain, soit que les catholiques soient très minoritaires, soit que l’Église soit séparée de l’État), c’est encore le pape qui convoque. Si le souverain, par contre, est soucieux de préserver les idiosyncrasies de son Église (s’il est, par exemple, gallican), c’est lui qui convoque. Il est implicite que des concordats doivent régir l’alternative, comme ils doivent fixer « l’état actuel » des dogmes, rites et usages nationaux, à codifier pour chaque État dès le départ. On retrouve le « jansénisme » de Stendhal et, presque textuellement, le troisième article de la Déclaration des quatre articles que Bossuet, à l’instigation de Louis XIV, avait fait voter à l’Assemblée générale extraordinaire du clergé de France en 1682 : « On doit observer les règles, coutumes et constitutions établies dans l’église gallicane. » Deux chambres donc, celle des évêques et archevêques, celle des curés. Cette dernière est élue par un collège composé aux trois quarts par « tous les prêtres autres qu’évêques » et pour un quart de « laïcs » parmi les habitants les plus imposés de la circonscription. Les athées ou infidèles fortunés contribueraient donc à l’élection de cette chambre. Pour la France, Stendhal imagine une chambre de 200 curés députés.
5Condition préalable pour devenir curé : être prêtre français (en France donc, par extension, être sujet du pays où l’on exercera) et avoir été élu curé par les deux cents habitants les plus imposés de la cure.
6Quelle est la condition préalable pour devenir évêque quand un évêché devient vacant ? Il faut avoir été cinq ans curé et, de plus, avoir été élu curé député. Le clergé de chaque diocèse présentera deux candidats réunissant ces conditions, et « le pape ou le roi » en choisira un.
7Cinquante ans plus tard, limitation draconienne du pouvoir souverain : le clergé de chaque diocèse désignera librement son évêque. « Le pape ou le roi » ne pourront s’opposer qu’en le déférant en justice ; si le prévenu n’est pas condamné, il entrera en possession de son siège.
8Ajoutons quatre traits impressionnants :
- Tout prêtre pouvant prouver qu’il a trois mille francs de rente peut se marier.
- Cette liberté devient une obligation pour accéder au siège d’archevêque : il faut être marié. Stendhal stipule même que, s’il est veuf, il se remariera dans l’année.
- Tous les délits ecclésiastiques seront jugés par les deux chambres ecclésiastiques nationales.
- Tous les « nouveaux règlements » pour un Etat se feront « de concert entre le pape et les deux chambres ecclésiastiques nationales ».
9Comme on voit, Stendhal pousse très loin le gallicanisme et le système représentatif, parce qu’il vomit l’autocratie du pape, l’arbitraire et les magouilles de la curie, le secret des conciliabules. Pas de survie, à ses yeux, pour le catholicisme sans ces réformes qui introduisent « l’opinion » dans le système, à l’échelle nationale : l’opinion des notables laïcs et l’opinion du clergé de base ; et, bien évidemment, les échos qu’une presse libre donnera à cette opinion. Enfin, la possibilité de convoler comme les pasteurs ou les rabbins banalisera l’homme d’église.
b) Récit du conclave de 1823, qui vit l’élévation de Léon XII
10Passons à moins aride. Inséré dans les Promenades dans Rome, à la date fictive du 16 octobre 1828, comme une lettre envoyée le 21 décembre 1824 par un certain (une certaine) « Alb. Rub » à un certain « Sir William D*** à Londres », présenté comme « un article emprunté à un journal grave, intitulé La Revue britannique qui l’a traduit librement d’un journal anglais », ce récit est, comme bien l’on suppose, de la plume de Stendhal : paru dans le London Magazine de juillet 1825 sous le titre « History of the last condaver », l’article a été traduit en français dans le tome XXII (1829), de La Revue britannique2. Stendhal retouche cette traduction. Son récit s’étend sur quatorze pages et demie de l’édition de La Pléiade des Voyages en Italie (pages 999 à 1014).
11En préambule, rappel historique : le retour de Pie VII à Rome en 1814, et l’heureuse inspiration qui lui fit confier le pouvoir temporel au cardinal Consalvi, habile politique, sorte de « Richelieu », qui écarta des hautes charges les ultras en leur conférant la pourpre, en leur maintenant les honneurs, mais en les privant de toute influence, et qui veilla à remplir le Sacré Collège d’incapables timorés. Stendhal en excepte quelques vétérans comme le cardinal Spina, archevêque de Gênes, et le cardinal Fesch, soixante-dix ans, archevêque de Lyon et oncle de Napoléon. Le secrétaire d’Etat Consalvi, soixante-sept ans, comptait bien faire le successeur de Pie VII et rester ministre.
12Rappelons qu’il y a 70 cardinaux au maximum, que leur nombre habituel tourne autour de la cinquantaine, et qu’ils sont hiérarchisés en catégories : « cardinaux évêques », titulaires des diocèses « surburbicaires » (c’est-à-dire des environs immédiats de Rome) ; cinquante « cardinaux-prêtres », rattachés pro forma aux cinquante églises de Rome, exerçant leurs ministères dans les diverses nations sous forme épiscopale ou autre ; et quatorze « cardinaux-diacres », rattachés pro forma à d’anciennes diaconies. Tant que ces derniers n’ont pas pris les ordres, ils peuvent toujours quitter l’Église et se marier ; mais ils ne peuvent participer aux conclaves que s’ils ont été ordonnés.
13Se joue alors, entre ces quarante-huit sages vieillards que seul l’Esprit-Saint est censé inspirer, une comédie à épisodes et rebondissements, où les victuailles, le chocolat, les coups fourrés, les confidences fielleuses, le bluff et les apartés de couloir jouent un rôle dont Stendhal se délecte. Son cher cardinal de Retz, s’apprêtant à conter par le menu les batailles et les ruses du conclave qui éleva Alexandre VII en 165 5, voyait lui aussi cette assemblée comme un théâtre :
Tous les acteurs firent bien. Le théâtre était toujours rempli ; les scènes ne furent pas beaucoup diversifiées mais la pièce fut belle
[…] et les épisodes en furent curieuses.3
14Le 3 septembre 1823, les 48 cardinaux entrent en conclave au palais de Monte Cavallo, et l’on ferme les portes. Comme sa famille depuis des générations, le prince Chigi assure l’hermétisme du conclave, mais n’ose fouiller les repas processionnellement apportés aux conclavistes. Si l’ambassadeur de France tient pour péché de faire passer des messages, le ministre de Russie et l’ambassadeur d’Autriche ne manquent pas de se procurer des nouvelles chaque jour, et les billets circulent dans les poulets rôtis et les pâtés.
15La plus grande haine pour Consalvi animait les cardinaux. Leurs Éminences veulent résolument un pape d’un caractère ferme car trop d’idées neuves agitent les États pontificaux. Mais un principe tacite veut qu’on ne mécontente ni Paris ni Vienne : c’est une constante de la politique temporelle de la papauté, coincée depuis des siècles, au nord et au sud, entre les expansionnismes rivaux de la France et de l’Autriche, entre Anjou et Hohenstaufen, entre Bourbons et Habsbourg, et contrainte à de perpétuels dosages et bascules d’alliances. Fin 1823, Leurs Éminences estiment qu’un pape ultra ferait l’affaire. Louis XVIII, modéré par habileté, podagre à soixante-huit ans, est bien mal en point. On pense qu’il ne passera pas l’année. De deux ans son cadet, son frère et héritier, le comte d’Artois, soixante-six ans, qui sera Charles X, oint à Reims l’année suivante, est un réactionnaire à tous crins. Mais la nouvelle d’une proclamation modérée du duc d’Angoulême qui venait de diriger l’expédition d’Espagne, Louis, quarante-huit ans, fils aîné du comte d’Artois et donc futur dauphin, leur fait penser qu’un pape flexible s’entendrait mieux avec le cabinet des Tuileries que le cardinal Cavalchini, énergique gouverneur de Rome, auquel ils songeaient d’abord. Exit Cavalchini.
16Alors ? Alors on songe à un certain cardinal « dont je tairai le nom ». Mais un de ses bons collègues rappelle qu’il s’était parjuré dans la « fameuse affaire Lepri », une spoliation qui avait vu Pie VI casser un jugement de la rote et s’attribuer sans scrupules, au détriment de la veuve et de l’orphelin, l’héritage du richissime Lepri.
17Au quinzième jour du conclave, on songea au « cardinal N*** ». Il obtint 28 voix sur les 33 nécessaires pour la majorité des deux tiers. Mais le bruit se répandit qu’il avait bu une tasse de chocolat un jour de jeûne. Exit le « cardinal N*** ».
18Le dévot cardinal Della Somaglia, doyen du Collège avec ses soixante-dix-neuf ans, avait ses chances. Mais il les ruina en confiant qu’il prendrait comme ministre le cardinal Albani, soixante-treize ans. Albani qui avait pris le diaconat de fraîche date, Albani qu’on soupçonnait d’être derrière les assassinats de Bassville en 1793 et du général Duphot en 1797, sans parler de l’anarchie de l’interrègne en 1814 ! Quel plus sûr moyen de se brouiller avec la France !
19Les zelanti se rabattent sur le cardinal Severoli, évêque de Viterbe, homme austère, d’une piété médiévale. Mais Severoli avait eu le tort en 1809 de sermonner sans ménagements diplomatiques l’empereur d’Autriche qui s’apprêtait à donner sa fille Marie-Louise à Napoléon : François II se faisait complice d’adultère et de bigamie ! Problème paradoxal pour l’Autriche : même si, politiquement, l’ultra Severoli seyait à merveille, cette affaire de 1809 faisait de son élection un petit Canossa pour la cour de Vienne.
20Stendhal rappelle ici que quatre puissances catholiques, l’Autriche, l’Espagne, la France et le Portugal jouissent traditionnellement d’un droit d’exclusion, autrement dit du droit d’exercer un veto contre un candidat, droit valable une seule fois. Severoli atteignait 32 voix sur 33. L’Espagne ne se souciait pas d’exercer son droit, tout ultra lui était bon ; le Portugal était au diable vauvert, en proie à des séditions et soulèvements ; les cardinaux français (Clermont-Tonnerre et La Fare) se laissaient duper par les Italiens et leur seule mission était d’exclure l’archiduc Rodolphe si d’aventure il approchait de la tiare. Severoli touchait au but. Mais dans la nuit, l’ambitieux Albani prit secrètement les instructions de l’ambassade d’Autriche, et annonça le lendemain que Vienne excluait Severoli.
21Celui-ci soutint d’abord héroïquement la catastrophe, puis alla se mettre au lit. Ses partisans vinrent lui demander conseil. « Je choisirais, leur dit-il, De’Gregorio ou Annibal Délia Genga. » Severoli ne se remit pas de son échec et mourut quelques mois plus tard.
22Depuis 1814, De’Gregorio (soixante-cinq ans) visait le trône de saint Pierre, et soutenait sa cause par d’étranges arguments. Fils naturel de Charles III d’Espagne, demi-frère donc des deux derniers rois de Naples et d’Espagne (Charles IV mort en 1819, et Ferdinand Ier des Deux-Siciles), il serinait à l’ambassadeur de Louis XVIII que rien ne serait plus convenable que le sang d’un Bourbon sur le siège pontifical. Envers l’ambassadeur d’Autriche, l’argumentation était plus subtile : une fois pape, lui qui était presque prince, il aplanirait le chemin de sa succession pour l’archiduc Rodolphe de Habsbourg. Mais le Sacré Collège se méfiait des princes et presque princes. Annibal Della Genga, vicaire du pape défunt, avait contre lui ses quarante-sept ans, une jeunesse assez galante (plusieurs enfants d’une Mme Pfiffer comme abbé à Rome, et d’autres d’une grande dame de Munich où il avait été légat). Plaidaient pour lui la faveur que lui avait montrée Pie VI avant la Révolution, les persécutions dont Consalvi l’avait accablé (Stendhal donne des détails croustillants4,) sa piété présente et une santé si fragile qu’on lui avait dix-sept fois administré le viatique. Le 28 septembre, il fut élu, choisit le nom de Léon XII en hommage à Léon X et aux Médicis qui avaient au xvie siècle comblé sa famille. Habilement modéré en politique étrangère, il se rendra impopulaire dans ses États par un gouvernement sévère et despotique et contraindra les Juifs à retourner au ghetto. Il prit pour secrétaires d’Etat le vieux Délia Somaglia, puis Bernetti, « homme d’affaires et de plaisir, lié à la princesse Doria, qui n’est sous-diacre qu’à brevet, et se pourrait marier demain en rendant son chapeau », comme le précise Chateaubriand5.
c) Récit du conclave de 1829, qui vit l’élévation de Pie VIII
23Le 10 février 1829, après un règne d’un peu plus de cinq ans, Léon XII trépassait. Voici Stendhal pris de court par l’« événement ». Puisqu’il est censé être à Rome avec des amis, impossible de faire l’économie du conclave, d’autant plus que M. de Chateaubriand est ambassadeur de France. Le 23 février, à la suite de leur doyen Della Somaglia, les cardinaux entrèrent en cérémonie en conclave. Le « parti sarde » (nouveau nom des ultras) domine et l’on appréhende un durcissement en politique extérieure. Impossible de décrire de l’intérieur comme pour le conclave précédent. Stendhal doit peindre « de chic », à partir de la rue et des rumeurs. Il est vrai que, sur place, Chateaubriand n’est guère plus avancé. Il bombarde son ministre de courriers pour savoir s’il faudrait exercer l’exclusive, et contre qui, mais ne reçoit pas de réponse. Il conclut, désabusé :
Les passions caduques d’une cinquantaine de vieillards ne m’offrent aucune prise sur elles. J’ai à combattre la bêtise dans les uns, l’ignorance du siècle dans les autres ; le fanatisme dans ceux-ci, et la duplicité dans ceux-là ; dans presque tous les ambitions, les intérêts et les haines politiques, et je suis séparé par des murs et par des mystères de l’assemblée où fermentent tant d’éléments de division. À chaque instant la scène varie..6
24L’offensive des libéraux est menée par le cardinal Bernetti, ancien gouverneur de Rome, qui redoute que l’élection d’un ultra proautrichien avive le carbonarisme et la haine des Italiens contre l’Autriche. Il faut donc élire un candidat libéral, De Gregorio, avant l’éventuelle arrivée d’Albani, l’octogénaire et valétudinaire légat de Bologne, porteur de l’exclusion autrichienne. Au soir du 7 mars, De’Gregorio obtient la majorité des deux tiers, mais le vote du cardinal Benvenuti est déclaré nul, en raison d’adjonctions plus intempestives que spirituelles. Tout semblait acquis pour le lendemain, mais Albani survint dans la nuit : « tout est perdu ». Les ultras Pacca (celui qui avait excommunié Napoléon) et Giustiniani reprennent espoir. Le sens de la combinazione centriste de ce club de gérontes finit par l’emporter : le 11 mars, ils élurent François-Xavier Castiglioni, évêque de Frascati, grand pénitencier, qui prit le nom de Pie VIII. Le conclave s’acheva par la proclamation rituelle de l’élection, sous une pluie diluvienne qui différa longtemps, à la fureur de la foule attroupée, l’apparition du porte-parole (Albani) au balcon de Monte Cavallo. Ni libéral, ni ultra, Pie VIII représentait le parti autrichien et modéré. Chateaubriand crie victoire. Castiglioni est un moindre mal, certes mais ses premières mesures inquiètent : par un chassé-croisé significatif, il exile Bernetti à la légation de Bologne et choisit Albani comme secrétaire d’État. Cet Albani « riche, avare et plein de fausseté » (selon Chateaubriand), que Hugo stigmatisera trois ans plus tard (novembre 1831, si sa date est juste) dans le dernier poème des Feuilles d’automne :
Quand Teutonie aux fers se débat sous dix rois ;
Quand Lisbonne, jadis belle et toujours en fête,
Pend au gibet les pieds de Miguel sur sa tête ;
Losqu’Albani gouverne au pays de Caton ;
[...]
25Dernière phrase des Promenades dans Rome :
On a trouvé ce matin écrit en lettres énormes avec de la craie
blanche, en vingt endroits de Rome et à la porte du palais de
Monte Cavallo, où réside le pape :
Siamo servi si, ma servi ognor frementi
Alfieri.7
26On voudra bien considérer que cette chute vaut aussi, dans l’esprit de Stendhal, pour la France de 1829.
d) Stendhal constituant
27Après la politique-comédie, voici la politique-fiction, ou Stendhal constituant. Accumulant en 1818 des notes destinées à une édition améliorée de Rome, Naples et Florence en 1817, Stendhal se risque avec une certaine hâte ou fièvre, mais aussi des ellipses ou imprécisions prudentes à proposer un, voire deux « Projet de Constitution des Etats de l’Eglise » qui dormiront dans les cartons de la bibliothèque de Grenoble jusqu’à ce que Martineau exhume l’ensemble des notes en 1933. L’Europe entière se cherche de nouvelles bases après le grand chambardement napoléonien. Analysons le premier projet, en 23 articles8, précédés du laconique préambule suivant :
Considérant que le Prince est coupable devant Dieu de tous les crimes qu’il pourrait prévenir en changeant le régime de l’État,
Article premier. – [...]
28Ce préambule reprend presque textuellement une maxime prêtée au cardinal Consalvi, arguant de la chute de la criminalité pour se défendre devant Pie VII des allégations des cardinaux ultras selon lesquels les mesures qu’il prend « tendent à augmenter le nombre des damnés parmi les sujets de l’Église » : « un souverain est responsable, aux yeux de Dieu, de tous les crimes que ses lois laissent commettre. » Ibidem, Stendhal rapporte une conversation avec « un prélat » :
Il convient avec moi que si [Consalvi] est blâmable, c’est de ne pas avoir essayé d’une constitution en trois articles :
– Les dix-sept provinces nomment chacune dix députés, parmi lesquels le gouvernement en choisit cinq pour former la Chambre des communes (soit 85 membres).
– La Chambre des pairs est nommée, chaque année, par le gouvernement, et composée des deux tiers des cardinaux et de dix riches propriétaires (soit une Chambre des pairs d’environ 50 membres).
– Ces deux chambres votent l’impôt.
29Notons le vocabulaire britannique et, page suivante, l’allusion à Jean-Louis Delolme, Constitution de l'Angleterre ou état du gouvernement anglais comparé avec la forme républicaine et avec les autres monarchies de l’Europe9 qui fut l’évangile des libéraux. Le sérieux scientifique de Delolme, « membre du Conseil des Deux-Cents de la République de Genève », son analyse des tares des régimes républicains (de type rousseauiste, démocratie directe et référendums)10, son apologie de la constitution anglaise ont convaincu définitivement Stendhal. Pour Delolme, la puissance exécutive doit être réunie en une seule personne : « [le roi] n’est que magistrat et les lois [...] doivent diriger sa conduite »11 et « L’exécutif est aisément contenu lorsqu’il n’est qu’un »12.
30Par contre, la division de la puissance législative en deux chambres borne réciproquement la puissance de chacune, et cette dialectique favorise la recherche d’un consensus. L’adjoint provisoire aux commissaires des guerres « de Beyle » avait achevé en mars 1808, à Brunswick en Basse-Saxe, la lecture de Delolme, dans l’édition de 178713. Il avait même eu alors la velléité de s’en inspirer pour un pamphlet qui eût opposé à Mirabeau la philosophie de « Junius », approuvée par Delolme :
Le but ou l’intention des lois n’est pas de se fier sur ce que les hommes voudront faire, mais de prendre des précautions contre ce qu’ils pourraient faire.14
31C’est à partir des principes delolmiens et du canevas élémentaire suggéré par le « prélat » anonyme que va s’exercer la pensée réformatrice de Stendhal en 181815.
32Il suppose d’abord l’élargissement de la base territoriale des suffrages, à savoir la réduction des dix-sept provinces des Etats du pape (patrimoine de Pierre, trois légations de Bologne, Ferrare et Ravenne, présidence d’Urbin, Ancône, Ombrie, Spolète, Pérouse, etc.) en huit (ou dix ?) circonscriptions électorales ou « délégations » (les ajustements ne sont pas bien clairs). Il s’agit d’établir un compromis entre un système bicaméral à suffrage censitaire, les privilèges des cardinaux et l’autocratie du pape. Simple, n’est-ce-pas ?
33Chambre des députés :
34– Élection annuelle à deux tours. Le Ier avril, tous les citoyens (notons ce mot incroyable pour des sujets !) payant cent francs d’impôt élisent 300 « électeurs » par « délégation ».
35– Un mois plus tard, ce collège de 300 votants élit vingt « candidats » par « délégation » : ils doivent payer mille francs d’impôts ou faire partie (à supposer qu’on n’en trouve pas vingt taxés à mille francs) des 200 plus imposés de la « délégation ». Ne peuvent être candidats le délégué (le légat de Rome) ni l’évêque ni le président du collège.
36– Le mois suivant, Sa Sainteté choisit dix députés parmi les 20 candidats de chaque délégation (autrement dit, il en écarte la moitié). S’y adjoignent de droit un député du commerce choisi par Ancône, un député avocat ou médecin de Bologne, un député professeur de Rome. On aurait donc une chambre de 83 à 103 députés.
37Chambre des pairs :
38– Hormis l’archevêque de Bologne et l’évêque d’Ancône, membres de droit, les pairs sont tous nommés annuellement par le pape : dix princes romains (les princes romains descendent de neveux, parents ou favoris de papes, superbement enrichis par le népotisme lors de l’opulence pontificale antérieure au xviiie siècle) ; six généraux (fautil entendre « six généraux d’ordres réguliers » ?) ; deux pairs « choisis parmi les dix habitants les plus riches de chaque délégation » ; et enfin les cardinaux (en nombre indéterminé) auxquels le pape confère cette pairie annuelle. L’addition permet d’imaginer, au départ, une cinquantaine de pairs.
39Ces deux chambres, convoquées chaque année pour le 1er novembre par Sa Sainteté, qui désigne aussi leurs présidents, votent en séance publique les impôts pour un an. Seul le pape propose les lois. Les membres des chambres jouissent de l’immunité pour les opinions émises dans l’exercice de leurs fonctions. Les députés reçoivent une indemnité de 500 francs par mois pendant les sessions.
40Aux quatorze premiers articles, Stendhal ajoute :
41– Un serment solennel de respecter la Constitution, exigé des ecclésiastiques et des militaires à chaque avancement, renouvelé par les cardinaux à l’entrée d’un conclave, et par le nouveau pape ; et dix chaires de professeurs de Constitution dans les collèges de l’État.
42– Des perspectives d’évolution vers plus de liberté dans le choix des députés, plus de stabilité dans la pairie, moins de lenteur et d’arbitraire dans la justice : dix ans après le début du nouveau régime (soit en 1828), chaque délégation ne choisira plus que quinze candidats à la députation, et le pape ne pourra en récuser que cinq (soit le tiers au lieu de la moitié) ; cinq ans plus tard (soit en 183 3), les dix députés de chaque délégation seront nommés directement et le pape n’aura plus de veto.
43En ce qui concerne les pairs, au bout du délai de dix ans (1828), vingt seront nommés à vie (à l’exception des cardinaux), pourvu qu’ils paient trois mille écus d’impôts dans leur délégation ; cinq ans plus tard (1833), toujours sous la même condition, la pairie sera héréditaire. Le nombre de pairs est indéterminé, mais doit être identique pour chaque délégation, à l’exception de celle de Rome qui a les dix princes en surnombre.
44En matière de justice, tout citoyen arrêté doit être entendu dans les trois jours et jugé dans les six mois. Au bout du délai de dix ans (soit en 1828), un jugement par jury concernera les prévenus payant plus de cinquante francs d’impôt. Encore dix ans, soit en 1838, et tous les prévenus bénéficieront d’un jury.
45Voyons cela de plus près. Le choix des pairs est à la discrétion du pape, comme il l’est à la discrétion du monarque dans la Charte « octroyée » en 1817 par Louis XVIII. Mais en France, ils sont pairs à vie dès le départ, alors que Stendhal ne leur accorde, pendant les dix premières années qu’un an d’exercice. Ensuite, le pape pourra leur accorder la pairie à vie.
46Pour ce qui est de la chambre basse, Stendhal imagine, en fixant un cens à 100 francs pour les votants, un compromis complexe entre la Charte française de 1817 (cens de 300 francs, fort élevé, pour les votants, encore plus élevé pour les éligibles), la Constitution de l’an III (cens minimal pour les votants, cens de 150 à 200 francs pour les électeurs et les éligibles), et la Constitution de l’an VIII, œuvre de Bonaparte, qui prévoit que les premiers votants élisent au suffrage universel des notabilités communales, lesquelles élisent des notabilités départementales, lesquelles élisent des notabilités nationales (environ 5 000), qui ne sont qu’un vivier d’« admissibles » dans lequel le pouvoir (en l’occurence le « Sénat conservateur », entièrement aux mains de l’autocrate, consul puis empereur) fait son choix sans contrainte pour pourvoir le Conseil d’Etat qui rédige les lois, le Tribunat qui émet un avis sur les lois, et le Corps législatif qui les vote sans débats. Sous couvert du suffrage universel, la Constitution de l’an VIII, qui régit la France de 1799 à 1814, démultiplie les rouages technocratiques et permet de ne sélectionner qu’un cinquième (le plus servile) des notables élus.
47La formule de Stendhal prévoit un cens plus élevé que celui de la Constitution de l’an III et a fortiori que celui de la Constitution de l’an I (3 francs, 10 francs et 54 francs), mais plus bas que celui de la Charte. Il propose pour les votants et les électeurs un cens à 100 francs ; et un cens à 1 000 francs pour les « candidats », dont le pontife ne peut récuser que la moitié, puis le tiers, puis aucun. En somme, c’est une charte censitaire, un peu moins exigeante à la base, et réduisant progressivement les possibilités de filtrage des « candidats » par le souverain.
48Ce projet s’accompagne d’un autre, dont Stendhal ne revendique pas la paternité, et qu’« une personne obligeante » qui lui aurait fourni « beaucoup de renseignements sur l’état actuel des arts en Italie » lui aurait demandé d’insérer. Cela commence comme un conte de Boccace : réunis à Frascati alors que se déroule le congrès de Vienne, « six amis dont la fortune réunie s’élève à plus de sept millions » déplorent que le congrès n’ait pas donné un « règlement » aux Etats romains, et pour se désennuyer imaginent une Constitution. Je l’appellerai désormais la « version Frascati ».
49L’Etat du Saint-Siège sera divisé en « Présidences » (huit, comme il appert par la suite).
50Chambre des pairs :
51– Tous les propriétaires de chaque Présidence payant plus de vingt francs d’impôt nommeront 100 électeurs, lesquels choisiront parmi les 50 les plus imposés (payant au moins six-cents francs d’impôts, soit cent écus romains) 10 candidats, entre lesquels le pape nommera 5 pairs héréditaires.
52– À ces quarante pairs s’ajoutent les trente cardinaux les plus âgés. Ces 70 pairs forment le « Sénat » et s’appellent « pères conscrits ». Chaque année, le pape peut nommer un maximum de trois nouveaux pairs à sa discrétion, pourvu qu’ils possèdent plus de 500 francs de terres dans l’État. Toute autre noblesse que la pairie est abolie : plus d’armoiries ni de titres.
53Chambre des tribuns du peuple :
54– La chambre basse est élue, dans chaque Présidence, par le même collège d’électeurs que les candidats à la pairie héréditaire : ce collège élit trois curés exerçant dans la présidence depuis plus de deux ans. Le pouvoir tribunitien de ces 24 curés élus vient de ce que l’impôt, qui sera annuel, doit être voté (séparément) par les deux chambres, convoquées en novembre de chaque année.
55Le pape peut casser ou proroger les chambres (la cohérence n’est pas claire : comment casser des pairs héréditaires ou à vie ?).
56Les dispositions suivantes de cette constitution imaginaire portent sur la liberté de la presse (totale, hors de Rome intra muros) et sur la justice : tous les délits, ceux de la presse comme les autres, seront jugés par des jurys.
57La version Frascati dispose aussi :
- De l’administration des Présidences : le Président sera assisté d’un conseil de cinq membres choisis parmi les 200 plus imposés.
- De l’administration des villes : chaque ville présente chaque année trois sujets du pape ; le pape en élimine deux et garde le troisième pour être Podestà pour un an. Le Podestà gère les finances de la ville, assisté d’un conseil de 12 Anziani. Mais attention ! pour être Président ou Podestà ou ministre des Finances, il faut être marié ou veuf. Ce qui exclut de ces charges tous les célibataires, donc les religieux !
- De l’élection des papes : les conclaves sont d’une façon draconienne limités dans le temps ; si le nouveau pape n’est pas élu dans les 40 jours, on fait sortir le 41e jour les cinq cardinaux les plus âgés. Au 51e jour, les cinq suivants. Si l’on arrive à 99 jours sans pape, le cardinal le plus âgé est censé élu le 100e jour.
- Et d’une foule de détails secondaires.
58Cette version Frascati diffère extraordinairement de la version de Paris. D’abord dans son vocabulaire et certaines idées reprises de la Rome antique. La version de Paris est évolutive et concède beaucoup de pouvoirs au monarque dans le choix des pairs (les princes romains, autant de cardinaux qu’il veut, les récusations...) ; la version Frascati est radicale : elle élimine d’un trait de plume la noblesse romaine (trop liée aux familles d’anciens pontifes, et souvent ruinée) au profit d’une majorité de 40 pairs élus, très riches, héréditaires d’emblée, bref, de la bourgeoisie fortunée (« la classe industrielle » dira bientôt Saint-Simon, force vive du pays « créatrice d’emplois et de richesses »), et d’une minorité de trente cardinaux, non point choisis par le pape mais « les 30 plus anciens », autrement dit, vu l’âge moyen des pontifes, des gens qui, loin d’être leurs créatures, ont souvent reçu la pourpre avant eux, qui ont pu être leurs rivaux à la curie avant de l’être au Conclave, et qui seront souvent malades. La Chambre des tribuns confie charitablement à des curés de village ou de quartier, élus par les mêmes électeurs que les pairs, le soin et le devoir de défendre la veuve et l’orphelin, les sans-le-sou et les misérables au contact quotidien desquels ils vivent. Tribuns de la plèbe, ces 24 curés devront veiller à ce que l’aristocratie de la fortune n’abuse pas.
59La version Frascati, radicalement laïcisante, paradoxalement à la fois ploutocratique et populiste, d’un libéralisme inouï (liberté de la presse partout et tout de suite, jurys partout et tout de suite, « prisons réglées sur le modèle de celle de Philadelphie ») est-elle une invention de Stendhal destinée à servir de repoussoir à la version de Paris et à en souligner la modération ? C’est mon intime conviction.
60En 1828, dix ans après ces spéculations, l’immobilisme est total. Absolument rien n’a changé à Rome. Stendhal voit venir « une guerre civile fort cruelle » et en rabat de beaucoup sur ses souhaits :
Si le gouvernement représentatif n’amenait pas à sa suite l’esprit d’examen et la liberté de la presse, quelque pape honnête homme, comme Ganganelli ou Lambertini16, donnerait à ses peuples une chambre unique chargée de voter le budget [...] Cette chambre pourrait être composée de dix députés des villes, de vingt princes romains et de tous les cardinaux.17
61Avant de conclure, revenons aux Constitutions de Stendhal pour les Etats du pape. En 1817 existaient deux perspectives pour l’avenir à terme de l’Italie : son partage entre l’Autriche et les Deux-Siciles ; son unification. Cette unification pouvait se faire dans un sens centraliste et jacobin, ou dans un sens fédéraliste et girondin (voire américain). Au fond, l’intuition de Stendhal est que le premier Etat qui réussira à se libéraliser fera tâche d’huile, contraindra ses voisins à faire de même et, par la conquête de l’opinion et la convergence progressive des institutions, rendra une union possible. Stendhal voit loin. Telle sera en effet la politique initialement suivie par Pie IX, dans sa frénésie de réformes entre son élévation en mars 1846 et sa fuite à Gaete en novembre 1848 : outre la tentative (avortée) d’une union douanière avec le duché de Florence et les États sardes, Pie IX accorda une Consulta, ou Conseil d’État, assemblée consultative élue par les notables des provinces. Elle se réunit le 14 novembre 1847 et réclama la liberté de la presse, l’éloignement des jésuites, un ministère laïque et la formation d’une ligue italienne contre l’Autriche. La révolution française de 1848 contraignit Pie IX à accorder en catastrophe le 14 mars un « Statut fondamental » introduisant un gouvernement représentatif. À la fin de l’année, le pape s’enfuit, et une assemblée constituante élue au suffrage universel le déclara déchu de ses domaines temporels. Rétabli par l’armée française, le pape faillit plus tard (selon les stipulations de l’armistice de Villafranca en 1859) devenir « Président honoraire » d’une « Confédération italienne ». Mais trop tard : Toscane, Modène, Parme et la Romagne se sont jetées dans les bras de Victor-Emmanuel IL L’autre fédérateur possible était en effet le royaume de Piémont-Sardaigne. Stendhal ne pouvait guère l’imaginer, au vu de l’absolutisme de Victor-Emmanuel Ier de 1814a 1821, années de répression féroce, et de Charles-Félix de 1821 à 1831. Mais, plus habile, Charles Albert, qui lui succéda, accorda une constitution libérale en 1848. Son fils, Victor-Emmanuel II, monta sur le trône en 1849, et recueillit tout le bénéfice. Habilement conseillé par Cavour, il disposait d’une monnaie d’échange pour avoir le soutien de la France : Nice et la Savoie. En 1861, il devint le premier roi d’Italie (depuis Napoléon Ier), y compris l’Ombrie, les Marches et les Deux-Siciles. Ne manquaient que la Vénétie et Rome. Depuis 1870, le pape n’est souverain que du Vatican.
62Aucun des papes qui se sont succédé entre Pie VII et Jean-Paul II n’a donné de suite aux conseils de Stendhal. Pis : l’Opus Dei, émanation de l’esprit de croisade du catholicisme franquiste, a pris la relève des jésuites dans un ultramontanisme intégriste et réactionnaire à l’échelle de la planète. Nul n’ignore que Jean-Paul II est le pape que l’Opus Dei a voulu (Mgr Kônig, archevêque de Vienne, fut l’agent de son élévation), qu’il est entouré de conseillers de l’Opus, qu’il a accordé à son fondateur, Escriva de Balaguer, une béatification précipitée en 1992, qu’il a accordé à cette organisation le statut de « prélature nullius », faisant ainsi échapper ses membres à l’autorité des évêques diocésains. Les 80 000 membres de l’Opus à travers la planète, bien que laïcs à 98 %, sont soumis à des vœux de pauvreté, chasteté et obéissance18. La mission de ce nouvel avatar des jésuites dans le capitalisme libéral est, à travers une multitude de sociétés, de banques, de fondations, d’infiltrer l’opinion, les médias, les multinationales et les gouvernements « en recourant à tous les moyens visibles et cachés, publics et secrets »19. Stendhal, réveille-toi !
Notes de bas de page
1 L’Italie en 1818, dans Voyages en Italie, Paris, Gallimard « La Pléiade », 1992, p. 180.
2 Renée Dénier présente et compare ces deux textes dans l’édition Keith McWatters de Stendhal, Chroniques pour l’Angleterre, t. IV, 1824-1825, Grenoble, Ellug, 1995, vol. 1, p. 27-94. On corrigera l’erreur de la note 11, p. 60 : Louis, duc d’Angoulême, est le fils aîné et non pas le neveu de Charles X.
3 Mémoires, Paris, Garnier, 1987, vol. II, p. 501.
4 Voyages en Italie, op. cit., p. 120 5-1210.
5 Mémoires d’outre-tombe, édition abrégée en 2 vol., Genève, La Palatine, 1946, vol. II, p. 175.
6 Ibid, p. 211.
7 « Oui, nous sommes esclaves, mais esclaves toujours frémissants » : Alfieri (1740-1803), Misogallo, texte inexact. V. Del Litto restitue le texte exact, et signale d’après Caraccio que l’information figurait dans Le Constitutionnel du 25 juillet 1829 : Voyages en Italie, op. cit., p. 1743-1744, note 1 de la p. 1161.
8 L’Italie en 1818, op. cit., p. 182-184.
9 Amsterdam, 1771, nombreuses rééditions.
10 « La multitude est incapable d’une résolution réfléchie » ; J.-L. Delolme, Constitution de l’Angleterre ou état du gouvernement anglais comparé avec la forme républicaine et avec les autres monarchies de l'Europe, 5e édition, Paris, Lemonnier, 1819, t. I, p. 259.
11 Ibid., p. 86.
12 Ibid., p. 226.
13 Stendhal, Œuvres intimes, Paris, Gallimard « La Pléiade », 1982, t. I, p. 498. Le millésime 1806, donné par V. Del Litto dans La Vie intellectuelle de Stendhal, Paris, PUF, 19 5 8, p. 368, note 220, est une coquille.
14 Constitution de l'Angleterre.op. cit., t. I, chap. XII, p. 171.
15 Voyages en Italie, op. cit., p. 182 et suiv. (Fonds Stendhal de Grenoble, R 5 896, registre VII, folios 89-91, s. d.)
16 Le premier, Clément XIV, supprima en 1773 la Compagnie de Jésus. Le second, le Bolonais Benoît XIV (1675-1753), libéral aimable et éclairé, épris de justice, assoupit les disputes du jansénisme, et rabattit les prétendons de la cour. Mais il manquait de caractère, et Stendhal apprécie surtout son œuvre de restaurateur du Colisée et d’embellisseur de Rome.
17 Promenades dans Rome, op. cit., p. 603.
18 Tous renseignements tirés de François Normand, « La troublante ascension de l’Opus Dei », Le Monde diplomatique, septembre 1995.
19 Hans Urs Von Balthasar, « Integralismus », Wort und Wahrheit, no 17, 1963.
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