Jazz
Senghor et le genre de l’ode épico-lyrique
p. 97-106
Texte intégral
1Tout, lorsqu’on lit l’agrégé Senghor, atteste son humanisme. Y compris l’humanisme au sens de pratique des « Humanités », de la littérature gréco-latine. Et, dans cette littérature, il affectionne le genre de l’« ode » qu’il transpose en « guimm ». Un rappel de l’histoire du genre peut être utile.
a) L’ode épico-lyrique : l’apogée
2La religion domine les genres du lyrisme choral dans la Grèce prépindarique : hymnes comme le péan, chant grave exécuté par un chœur d’hommes ; hyporchème, plus vif et accompagné de danse ; parthénée, exécuté par un chœur de jeunes filles ; dithyrambe, enfin, en l’honneur de Dionysos, d’où sortira la tragédie.
3Le lyrisme profane, célébrant un homme et non pas un dieu apparaît entre 600 et 500 avant Jésus-Christ, et se plie à trois subdivisions : le thrène, chant funèbre ; l’encomion, éloge, et l’épinicie, cas particulier de l’encomion, ode triomphale chantée dans la ville natale d’un vainqueur aux jeux panhelléniques. Ce lyrisme profane se développe à Sparte avec Alcman, en Grande Grèce avec Stésichore, inventeur de la structure triadique strophe-antistrophe-épode ; c’est également Stésichore qui contamine l’ode de données épiques. Les colonies de Grande Grèce prétendaient en effet devoir leur fondation aux héros de la guerre de Troie, d’où des légendes épiques, des récits mythiques. Ainsi se créa un dorien littéraire mêlé de termes homériques.
4Pindare (518-446 avant Jésus-Christ), Thébain itinérant, poète à gages, a pour clients les éleveurs princiers des coursiers de Grande Grèce, comme Hiéron de Syracuse, Théron d’Agrigente ou Arcésilas de Cyrène. Autrement dit, des colons parvenus, des tyrans soucieux de faire accroire à une ascendance héroïque, voire divine. Ses quatre livres d’épinicies comptent douze Pythiques, quatorze Olympiques, huit Isthmiques, et onze Néméennes. Ces odes triomphales, poèmes de circonstance, consacrent peu de place à l’éloge de l’athlète lui-même. La fête est étendue à la famille et à la cité. Comme l’hymne religieux, l’épinicie s’ouvre sur une invocation et consacre une large place aux récits mythiques et aux sentences morales. L’éloge personnel vise moins les qualités physiques de l’athlète que ses qualités morales : patience, courage, loyauté... L’ode le situe dans une lignée d’ancêtres valeureux largement mythiques. Elle s’ouvre sur une invocation, à un dieu, aux Muses, parfois à la Patrie. Le récit mythique est la pièce maîtresse. La légende, en rapport plus ou moins étroit avec l’événement, a trait soit au dieu en l’honneur de qui les jeux sont institués, soit à la ville où se célèbre la fête, soit à la famille du vainqueur ou à sa patrie. Il donne une consécration à la victoire en l’associant à des gloires antiques, en rattachant le présent au passé légendaire.
5La plupart des lettrés ont admiré en Pindare la puissance du mouvement, l’obscurité audacieuse et fréquente, le beau désordre. « La splendeur de nos hymnes triomphaux vole d’un sujet à l’autre, comme l’abeille. » Il recherche la noblesse de ton, le grandiose, les périphrases, les mots composés, les métaphores hardies (« les cheveux d’or de l’air », c’est-à-dire les nuages dorés), une versification souple et variée qui épouse la musique. Rares sont ceux qui avouent que ce pompeux fatras généalogique et dynastique les ennuie : « Son œuvre est en général prodigieusement ennuyeuse », déclare Robert Brasillach qui n’en retient que quelques images éclatantes et quelque amertume sur la « poignante brièveté de la jeunesse »1.
b) L’ode épico-lyrique : la désuétude
6Par haine de la guerre civile et parce que le maître Auguste le lui demandait avec insistance, Horace tenta d’acclimater à Rome l’ode épico-lyrique au service de la morale pacificatrice du vainqueur d’Actium. Ronsard tenta de la greffer en France, mais, dupe de la typographie des éditions grecques, il choisit de rimer des sujets courtisans dans un mètre étriqué, alors que le souffle du chant grec ignorait la rime et se déployait dans l’unité minimale de la strophe entière.
7À l’époque classique, Boileau prit la défense du « beau désordre » de Pindare, mais l’ode demeura un genre d’adulation propagandiste, de fayotage parfaitement artificiel, comme dans l’« Ode sur la prise de Namur » (1693) :
Quelle docte et sainte ivresse
Aujourd’hui me fait la loi ?
Chastes nymphes du Permesse
N’est-ce pas vous que je voi ?
Accourez, troupe savante :
Des sons que ma lyre enfante
Ces arbres sont réjouis.
Marquez-en bien la cadence ;
Et vous, vents, faites silence :
Je vais parler de Louis.2
8L’époque révolutionnaire, éprise d’une Grèce héroïque, relance l’ode, pour ou contre les pouvoirs. Ainsi Lebrun-Pindare à la gloire des matelots patriotes du Vengeur, ainsi André Chénier en l’honneur de Charlotte Corday :
La Grèce, ô fille illustre admirant ton courage
Epuiserait Paros pour placer ton image
Auprès d’Harmodius auprès de son ami.
Et des chœurs sur ta tombe en une sainte ivresse,
Chanteraient Némésis, la tardive déesse
Qui frappe le méchant sur son trône endormi.
c) L’ode épico-lyrique : le retour
9Après les odes royalistes et chrétiennes du jeune Hugo (1823-1828), le genre s’endort. Il ne se réveille qu’après la libération du souffle apportée par Rimbaud et Lautréamont, l’abandon des mètres canoniques. Les Cinq Grandes Odes de Claudel (1911) renouent avec Pindare, dans « Les Muses » (Paris, 1900 - Foutchéou, 1904). Commencée autour d’un éloge des Muses inspiré d’un sarcophage d’Ostie conservé au Louvre, cette ode bascule à Foutchéou, évoquant sous le nom d’Érato l’emprise érotique de Rosalie Vetch, rencontrée sur le bateau qui ramenait Claudel en Chine, et hébergée au consulat avec le mari complaisant et leurs quatre enfants :
La Ménade affolée par le tambour ! au cri perçant du fifre, la Bacchante roidie dans le dieu tonnant !
Toute brûlante ! toute mourante ! toute languissante ! Tu me tends
la main, tu ouvres les lèvres [...] Ami !
C’est trop, c’est trop attendre, Prends-moi ! [...]
Que fais-tu ici encore ? Baise-moi et viens ! [...]
10Suivent « L’Esprit et l’eau » (Pékin, 1904), « Magnificat » (TienTsin, 1907), « La Muse qui est la Grâce » (idem) disposée de manière pindarique (strophe-antistrophe-épode), « La maison fermée » (TienTsin, 1908).
11Et, presque en même temps, Saint-John Perse l’agnostique emprunte la même voie pour faire l’éloge de son île tropicale (1911 : Pour fêter une enfance ; Images à Crusoé). Suivront l’aiguillon spirituel d’Anabase (1924), Exil (1942), Pluie (1943), Neiges (1944), Vents (1946), Amers C19 57)
12De ce survol, retenons déjà cinq points :
- Au sens traditionnel, l’ode est un poème impersonnel à visée collective. Ce qui est loué est une personne, mais à travers elle sa lignée (enracinement dans une terre et ses légendes), la grandeur historique de la terre de ses pères, ses mobiles d’action altruistes. Le héros incarne, dans le temps et l’espace, plus grand que lui.
- L’ode se distingue de l’épopée par le contexte culturel (célébration festive), une métrique particulière, le caractère chanté (et non pas déclamé), éventuellement la danse, par opposition à la récitation rhapsodique. Par la dimension, souple, mais plus courte qu’un chant d’épopée qui compte autour de 500 vers ; enfin, par le fait que les fragments narratifs ne sont pas au centre d’une représentation mais à la marge de l’éloge.
- Ce genre a perdu (s’il l’a vraiment jamais eu) son arrière-plan de communion civique, malgré les Te Deum louis-quatorziens, les cérémonies révolutionnaires ou les tentatives de la Restauration.
- Le développement d’une autre conception de l’Histoire rend Yépos suspect (patriotisme chauvin, colonialisme raciste, impérialisme conquérant, etc. : voir le chapitre « Quête » dans mon Abécédaire critiqué)3 D’où, chez Claudel et Perse, la recherche d’une universalité transhistorique, planétaire ou catholique, et l’intégration d’une part de lyrisme personnel (l’universel à l’œuvre dans le moi).
- Par sa situation historique particulière, Senghor est en état de faire une synthèse de l’ode antique et de l’ode moderne : suscitation d’une musique fantôme d’Armstrong et de Gillespie, recouvrement de valeurs ancestrales, éloge d’un terroir et d’un peuple qui se libère, référence à une culture populaire vivace où survivent chant, danse et transe chamanique (voir plus haut le chapitre « Archaïque »), insertion de ces valeurs dans une visée planétaire (le métissage) et catholique.
d) Analyse rythmique
13Je me propose maintenant d’étudier le rythme, les sons et les sens dans la seconde laisse du guimm « À New York (pour un orchestre de jazz : solo de trompette) » d’Éthiopiques (1956) de Léopold Sédar Senghor4. Je mets en italique les voyelles recevant un accent tonique.
- Voici le temps des signes et des comptes (Décasyllabe : 4/2-4.)
- New York ! or voici le temps de la manne et de l’hysope. (Verset : 2/i-syncope-4-3-4.)
- Il n’est que d’écouter les trombones de Dieu, ton cœur battre au rythme du sang ton sang. (Verset de vingt-deux syllabes : alexandrin, 2-473-3, puis multiplication d’accents avec syncopes « jazzantes », 2-1/5/1-1 ou, avec un accent sur le « y » de rythme, 2-1/2-3/1-1.)
- J’ai vu dans Harlem bourdonnant de bruits, de couleurs solennell(es) et d’odeurs flamboyantes (Verset de vingt-deux syllabes : décasyllabe à césure centrale, 2-373-2, puis alexandrin, 3-373-3, avec aphérèse à la césure.)
- C’est l’heure du thé chez le livreur en produits pharmaceutiques (Verset de ton apollinarien, de seize syllabes non réductibles à deux octosyllabes : trois accents au minimum, 5-4-7, pour une diction prosaïque. Une scansion à cinq accents, 2-3-4-3-4, semble improbable !)
- J’ai vu se préparer la fête de la Nuit à la fuite du jour. Je proclame la Nuit plus véridique que le jour. (Verset de trente-deux syllabes : dix-huit syllabes, 2-4/2-4/3-3, puis six syllabes, 3-3, et huit syllabes, 4-4. Lisible en deux alexandrins suivis d’un octosyllabe. Métrique de type persien, c’est-à-dire quatre « membres » métriques de six syllabes et un de huit.)
- C’est l’heure pure où dans les rues, Dieu fait germer la vie d’avant-mémoire (Verset de dix-huit syllabes : lisible en un octosyllabe, 4-4, et un décasyllabe, 4/2-4.)
- Tous les éléments amphibies rayonnant comme des soleils. (Verset de seize syllabes : lisible en deux octosyllabes en miroir, 5-3/3-5.)
- Harlem Harlem ! voici ce que j’ai vu Harlem Harlem ! Une brise verte de blé sourdre des pavés labourés par les pieds nus des danseurs Dans (Verset de trente-huit syllabes partagé en quatorze syllabes, 2-2/2-4/2-2, suivies de vingt-quatre syllabes, 3-2/3-1/4-3/3-1/3/1, avec allongement « dionysiaque » du verset, tonicité forte, un peu problématique, présentant des heurts d’accents « jazzant » : « blé »/« sourdre » ; « pieds »/« nus » ; « danseurs »/« Dans ». Ce dernier heurt sur la voyelle atone de « dans », crée une ambiguïté sémantique : les Dans sont une ethnie africaine.)
- Croupes ondes de soie et seins de fers de lance, ballets de nénuphars et de masques fabuleux (Verset de vingt-cinq syllabes : lisible en un alexandrin, 1 - 5/2-4, puis un hexasyllabe, 2-4, et un heptasyllabe, 3-4. L’heptasyllabe en dernière position réintroduit l’imparité et empêche l’installation d’un rythme d’alexandrins.)
- Aux pieds des chevaux de police, les mangues de l’amour rouler des maisons basses. (Verset de vingt syllabes : lisible en un octosyllabe, 2-3-3, et un alexandrin, 2-4/2-4.)
- Et j’ai vu le long des trottoirs des ruisseaux de rhum blanc des ruisseaux de lait noir dans le brouillard bleu des cigares. (Verset de vingt-huit syllabes : lisible en un octosyllabe, 3-5, puis un alexandrin, 3-3/3-3 et un octosyllabe, 5-3. Suraccentuation jazzante possible du dernier octosyllabe sur le mot « brouillard » : 4-1-3.)
- J’ai vu le ciel neiger au soir des fleurs de coton et des ailes de séraphins et des panaches de sorciers. (Verset de vingt-neuf syllabes : lisible en un octosyllabe, 2-2-4, puis un pentasyllabe qui introduit l’impair, et deux octosyllabes, 3-5 et 4-4.)
- Écoute New York ! Ô écoute ta voix mâle de cuivre ta voix vibrante de hautbois, l’angoisse bouchée de tes larmes tomber en gros caillots de sang (Verset de trente-huit ou trente-neuf syllabes : 2-3/1-2-3/1-3 puis 4-4, puis 2-3-3,et 2-4-2-Lisible en un vers libre de quinze syllabes, très syncopé, suivi de trois octosyllabes. Lisible aussi, plus classiquement, avec un octosyllabe initial, 2-3/1-2, suivi d’un hexasyllabe, 3 sans accent sur « voix »-3, puis de trois octosyllabes, 4-4, 2-3-3et 2-4-2. Dans le second cas, le « e » muet du second « écoute » ne compte pas. La première lecture, avec son imparité, les deux syncopes 3/1, le heurt de « écouTE TA voix » et son hiatus « OÉ » semble préférable.)
- Écoute au loin battre ton cœur nocturne, rythme et sang du tam-tam, tam-tam sang et tam-tam (Verset de vingt-deux syllabes : lisible en un décasyllabe suraccentué avec syncope, 2-2/1-5, suivi d’un alexandrin suraccentué avec syncope, 1-2-3/2-1-3.)
14Si l’on récapitule le rythme de ces quinze versets :
- Quatre versets (1 à 4) de prise d’élan : 10 + 14 + 22 + 22.
- Un verset (5) de parenthèse apollinarienne : 16.
- Quatre versets (6 à 9) d’apogée dyonisiaque de la danse : 32+18 + 16 + 38.
- Deux versets (10 et 11) de développement descriptif halluciné : 25 + 20.
- Un verset (12) sur les rues de jazz-bars sous la pluie : 28.
- Un verset (13) sur le ciel neigeux : 29.
- Un verset (14) d’apostrophe dyonisiaque à la ville : 38.
- Un verset (15) d’insistance lointaine du tam-tam : 22.
151. Senghor crée une antithèse entre :
- une ville cérébrale, abstraite (« signes », « comptes »), artificielle (« trottoirs », « rues ») et répressive (« police »), bref inhumaine ou plutôt amputée ;
- et une partie de la ville exaltant la vie physique, viscérale (« cœur », pulsation), sensuelle (« bruits », « couleurs », « odeurs » en synesthésie), érotique enfin (« croupes », « seins », « amour », « mâle »).
162. Cette exaltation dépasse le sujet individuel :
- dionysiaque et festive, elle est collective (musique chant danse) ;
- elle est en harmonie avec la nature, le cosmos (interpénétration pluie, neige, « brouillard ») ;
- elle est en harmonie avec une mémoire ancestrale non refoulée (« coton », « masques fabuleux », « panaches de sorciers ») ;
- en harmonie enfin avec un christianisme heureux (« manne », « hysope », « Dieu », « ailes de séraphins »).
173. Le recouvrement des valeurs occultées implique un effort de synthèse et d’intégration propre à la Modernité littéraire, un métissage textuel :
- incorporation de mètres traditionnels et de la « chose vue » apollinarienne ;
- verset biblique et claudélien mais « jazzé » par l’abondance des syncopes (heurts d’accents toniques) et la mimesis des stridences de la trompette ;
- en guise de rime, un tissage insistant d’anaphores, de rimes intérieures et d’échos en AR, EUR, WAR, OUR, UI (« Harlem », « cœur », « noir », « jour », « nuit »). « Wa-wa » de la trompette bouchée, dissémination anagrammatique des mots clés, ainsi « Harlem » dans les mots « manne », « germer », « mâle », « larmes », « éléments », « pharmaceutiques », « amphibies », etc.
e) Analyse phonique
18VWASI le temps des Signes et des comptes/New York ! or VWASI le temps de la manne et de l’hysope.
19Il n’est que d’éCOUter les trombones de DiEU, ton CŒUR battre au rythme du sang ton sang.
20J’ai vu dans HARLEM BOURdonnant de brWI de KOULEURS solennelles et d’ODELTRS flambWAyantes/C’est L’HEURE du thé chez le livrEUR en proDWI pHARmaceutiques/J’ai vu se préparer la fête de la NWI à la FWIte du JOUR. Je proclame la NWI plus véridique que le JOUR.
21C’est L’HEURE pure où dans les rues, Dieu fait gERMer la vie d’avant-MÉM\XA\R/Tous les éLÉMents AmPHIbies rayonnant comme des soleils.
22HARLEM HARLEM ! VWASI ce que j’ai vu HARLEM HARLEM ! une brise verte de blé sOURdre des pavés laBOURés par les pieds nus des danSEURS Dans/Croupes ondes de SWA et Seins de fers de lance, ballets de nénuFAR et de masques fabuleux/aux pieds des chevaux de police, LÉMangues de l’Amour rouler dÉMaisons basses.
23Et j’ai vu le long des TrotTWAR des RWIsseaux de rhum blanc des RWIsseaux de lait NWAR dans le brouYAR bleu des SIGAR.
24J’ai vu le Siel neiger au SWAr des flEURS de coton et des ailes de séraphins et des panaches de sorciers.
25Écoute New York ! O écoute TA VWA mâle de cWIvre TA VWA vibrante de hautbWA, l’anGWAsse bouchée de tes larmes tomber en gros caillots de sang/Écoute au loin battre ton CŒUR nocturne, rythme et SANG du TAM-TAM, TAM-TAM SANG et TAM-TAM.
26Un système d’anaphores complète ce cratylisme avec la pulsation de « j’ai vu » rimbaldiens :
27VOICI LE TEMPS des signes et des comptes/NEW YORK ! or VOICI LE TEMPS de la manne et de l’hysope.
28Il n’est que d’ÉCOUTER les trombones de DIEU, UN CŒUR BATTRE au RYTHME du SANG ton SANG.
29J’AI VU dans HARLEM bourdonnant de bruits de couleurs solennelles et d’odeurs flamboyantes/C’est l’heure du thé chez le livreur en produits pharmaceutiques/J’AI VU se préparer la fête de la NUIT à la fuite du JOUR. Je proclame la NUIT plus véridique que le JOUR.
30C’est l’heure pure où dans les rues, DIEU fait germer la vie d’avant-mémoire/Tous les éléments amphibies rayonnant comme des soleils.
31HARLEM HARLEM ! VOICI ce que J’AI VU HARLEM HARLEM ! une brise verte de blé sourdre des pavés labourés par les pieds nus des danseurs Dans/Croupes ondes de soie et seins de fers de lance, ballets de nénuphars et de masques fabuleux/Aux pieds des chevaux de police, les mangues de l’amour rouler des maisons basses.
32Et J’AI VU le long des trottoirs DES RUISSEAUX de rhum blanc DES RUISSEAUX de lait noir dans le brouillard bleu des cigares.
33J’AI VU le ciel neiger au soir des fleurs de coton et des ailes de séraphins et des panaches de sorciers.
34ÉCOUTE NEW YORK ! Ô ÉCOUTE TA VOIX mâle de cuivre TA VOIX vibrante de hautbois, l’angoisse bouchée de tes larmes tomber en gros caillots de SANG/ÉCOUTE au loin BATTRE TON CŒUR nocturne, RYTHME et SANG DU TAM-TAM, TAM-TAM SANG ET TAM-TAM.
35Cette antithèse entre une ville non poétique – Manhattan – et son cœur poétique – Harlem –, découverte au cours d’une mission de quinze jours, en avril 1955, par le député français est « informée » par les antithèses « jour »/« Nuit » et « blanc »/« noir », et l’apologie des valeurs de la négritude. Mais elle dépasse largement l’aspect de la revendication ethnique. Elle symbolise une dualité raison/déraison, conscient/inconscient, une scission actuelle et une réconciliation possible qui concerne tous les hommes « civilisés ».
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