Chapitre 12. Où raison est donnée de ce qu’en certaines parties de cette histoire on ne se reportera pas aux Pères de l’Église, mais on suivra les exposés des écrivains modernes [Des antipodes ou de la supériorité des Modernes sur les Anciens. De l’invention biblique du Brésil et de la mission prophétique des Portugais]
p. 165-240
Texte intégral
1Aussi vrai que notre intention est de suivre, autant que possible, les pas des Pères de l’Église, comme les premiers fondateurs et lumières d’icelle après les Apôtres (lesquels ne peuvent entrer dans cette controverse, parce qu’en tout ce qu’ils écrivirent ils furent illuminés par l’Esprit saint, et les suivre, comme nous le ferons en tout, n’est pas courtoisie, révérence et piété, mais obligation), et aussi vrai que notre désir a toujours été d’avoir présent sous notre regard ce flambeau, pour qu’il éclaire et pénètre de sa lumière (comme nous le disions) l’obscurité des prophéties, cependant, puisqu’il n’est ni ne sera possible de suivre en certaines matières dont nous parlerons ce même objectif, la raison et l’ordre même de ces écrits exige, avant que de les poursuivre, que nous écartions cette objection, pour que les moins savants et les plus scrupuleux ne la relèvent et croient entendues par avance les raisons de ce que nous ferons, ainsi que les fondements, licence et autorité que nous avons de le faire.
2On verra en certaines parties de cette Histoire que nous nous séparons des Pères de l’Église, ou que nous divergeons de l’explication qu’ils ont donnée de certains passages des Écritures, ce que nous ne ferons que pour d’impérieuses raisons qui nous y obligent, sans offense au respect que nous leur devons ni amoindrissement de la vérité que nous suivons, mais au contraire pour une meilleure sûreté et meilleur fondement de celle-ci, car c’est notre intention et notre obligation que de la chercher et découvrir, là où elle se trouve, pour ce que le respect que l’on doit à la vérité est supérieur à tout autre et le plus grand de tous.
3Les raisons qui nous obligent à cela sont au nombre de trois : la première est que les anciens Docteurs n’ont pas tout dit, la seconde qu’ils n’ont pas toujours dit juste, la troisième qu’ils n’ont pas été d’accord en tout. En chacun de ces cas, il est non seulement licite et convenable, mais également nécessaire de suivre ce que l’on juge le plus conforme à la vérité, parce que les choses qu’ils n’ont pas dites, on ne peut qu’en parler sans eux, sur celles où ils se sont trompés, on ne saurait les suivre, et sur celles où ils ne sont point tombés d’accord, liberté nous est donnée de suivre l’un ou l’autre, comme de diverger de tous, si ainsi il nous en semble, comme bientôt nous l’expliquerons.
Preuve de la première raison
4Premièrement, il est certain que les Pères de l’Église n’ont pas tout dit, et cela est facile à prouver par la pratique et l’interprétation de leurs écrits eux-mêmes, dans lesquels on ne trouve mention de maintes et grandes choses savantes, découvertes et rajoutées par la suite, non seulement dans les autres sciences divines, mais dans l’intelligence même des Saintes Écritures, et, en particulier, dans celles des prophètes, choses qui ont été dans des temps plus proches du nôtre redécouvertes, discutées et dont on a mieux compris, chez les écrivains modernes, comment elles devaient être lues. Et bien que ces considérations suffisent à ceux qui sont versés dans ce genre de lecture des uns et des autres, je citerai ici, pour les autres, les dires de deux grands auteurs, Castro et Canisius84, tous deux du siècle qui précède le nôtre, et tous deux connaisseurs fort diligents de l’Antiquité et fort savants en la matière érudite des Saintes Écritures, des conciles et des Pères de l’Église, lesquels auteurs affirment expressément que de nombreuses choses sont aujourd’hui connues et comprises, alors qu’elles étaient ou ignorées des Pères (comme le dit Castro) ou inconnues d’eux (comme fort courtoisement l’affirme Canisius).
5Les propos de ce dernier, dans le premier livre du De beata Virgine, chapitre sept, sont les suivants :
Demum habuerint Patres suorum temporum rationem, quibus multa vel prorsus incognita erant, vel obscura, neque satis evoluta, quæ posteris diligentius excutienda, et clarius illustranda, explicandaque, non sine certo Dei consilio relinquebantur.85
6Quant à Castro, dans le premier livre de son Adversus omnes hæreses, au chapitre second, après avoir prouvé la même chose à partir d’un passage du chapitre six du Cantique des cantiques (que nous citerons plus loin), il conclut ainsi : « Quo sit, ut multa nunc sciamus, quæ a primis Patribus aut dubitata, aut prorsus ignorata fuerunt86. » De telles discordances ne sont pas apparues seulement à l’expérience de notre temps, elles étaient connues déjà à l’époque des Pères ; beaucoup ont écrit à ce sujet, parmi ceux de la première époque, comme Tertulien, ou parmi ceux de la plus récente, comme Richard de Saint-Victor, dont nous rapporterons les paroles dans ce même chapitre.
7La raison pour laquelle de nombreuses choses, aujourd’hui connues, ne l’étaient pas à l’époque des Pères, peut être appréciée du point de vue des écrits patristiques, du point de Dieu ou du point de vue de ces choses-là elles-mêmes.
8Que ces choses elles-mêmes fussent inconnues, cela ne doit pas nous surprendre, car elles sont très complexes, obscures et emmêlées dans les Saintes Écritures et fondues parmi les énigmes des prophètes ; on ne pouvait donc les comprendre et pénétrer seulement par l’acuité de l’entendement, aussi sublime et sublimissime fût-il, et ce, aussi longtemps qu’il n’était assisté par la connaissance d’autres informations et circonstances, lesquelles ne sont découvertes qu’avec le temps et ne peuvent être que le fruit d’une longue expérience.
9C’est aussi un très excellent exemple que celui des sciences et des arts, dits naturels, lesquels en leur début et rudiments furent imparfaits, et qui, avec les années, l’expérience et la pratique ont atteint aujourd’hui une si haute perfection, comme l’art de la navigation, comme celui de la guerre, la musique, l’architecture, la géographie, l’hydrographie et l’ensemble des mathématiques, tout particulièrement la chronologie, dont nous parlerons dans ce même chapitre. Et de même que ces sciences et arts se développèrent et perfectionnèrent grandement grâce à l’appoint et usage de curieux instruments qui grâce à eux furent inventés – comme en science nautique, l’astrolabe, la boussole et l’aimant, et dans l’art de la guerre, la si terrible et si subtile invention de la poudre, qui donna âme et existence à de si nombreux et remarquables instruments de combat –, de même ont pu se développer et s’étendre grandement les sciences divines, et parvenir à la perfection et éminence qu’elles ont aujourd’hui par des instruments qui leur sont propres, lesquels sont la multitude des livres qui sont diffusés et dont l’accès est ouvert à tout le monde grâce à l’imprimerie, d’où il résulte que la doctrine et la science particulière des hommes illustres deviennent accessibles à tous en des lieux fort éloignés, sans oublier les facilités offertes aux maîtres, qui sont les instruments vivants des sciences, à travers les nombreuses et très concourues universités, les théâtres et autres institutions publiques vouée à la connaissance – toutes commodités qui manquaient à l’époque des Pères. Ainsi le Maximus Doctor qu’a été saint Jérôme dut-il, comme il l’écrit lui-même, copier les livres de sa propre main au prix d’un immense travail, voyager en Grèce, en Palestine, en Égypte et dans les Gaules pour y recueillir les écrits de saint Hilaire, écouter saint Grégoire de Nazianze, Didyme [saint Thomas] et les maîtres experts en langue hébraïque. Toutes ces difficultés ne pouvaient être vaincues et dépassées que par un esprit animé d’un grand courage et du zèle de servir l’Église, comme l’était celui de saint Jérôme, digne d’immortels éloges pour l’éminence de sa science, comme pour les travaux et les peines par lesquels il l’a acquise et faite sienne.
10En ce qui concerne les Pères eux-mêmes, il faut également considérer qu’ils ne purent spéculer et dire maintes choses de grande importance, qui par la suite furent connues et écrites, par le fait qu’il durent s’accommoder d’abord des contingences des temps où ils vécurent. La principale préoccupation des Pères était de prouver la vérité de l’Incarnation du Fils de Dieu et le mystère de sa Crucifixion, laquelle, du fait de l’aveuglement des Juifs (comme le dit saint Paul) était considérée comme un scandale, et du fait de l’ignorance des Gentils comme une absurdité. Et comme telle était la guerre et la conquête de ces temps-là, toutes les armes de l’Écriture sainte étaient forgées et employées contre cette résistance. C’est la raison pour laquelle les premiers Pères et leurs successeurs ne cherchaient rien d’autre dans les Livres sacrés, aussi bien les prophétiques que les historiques, que les mystères du Christ. C’est un bon témoignage de cette vérité ce que dit Rupert87 à Frédéric, archevêque de Cologne, dans le prologue de ses Commentaires sur les prophètes mineurs : « Scito me, Pater mi, sicut in cæteris Scripturis, ita et in volumine duodecim Prophetarum operam dedisse, ad quærendum Christum88. » Et comme c’était là la seule chose qu’ils cherchaient afin de l’écrire, ce n’est que cette chose-là qu’ils trouvaient et qu’ils écrivaient, suivant les sens allégoriques et mystiques, et délaissant, ou y insistant moins, le sens littéral, comme on peut le voir dans tous les exposés des Pères, qui portent tous sur l’allégorie, ne touchant que très superficiellement à la lettre, et peut-être même non sans quelque impropriété et forcement du sens.
11Ainsi l’a-t-on remarqué chez les Pères eux-mêmes, les uns plus modernes que les anciens, et d’autres moins anciens que les plus anciens. L’un des premiers à le faire est Richard de Saint Victor89, contemporain de saint Bernard, dans son « Prologue » à propos du prophète Ézéchiel, où il déclare s’écarter de saint Grégoire, car celui-ci n’est pas assez proche du texte littéral ; parmi d’autres ensuite, il y a saint Grégoire lui-même, un Père du VIe siècle après Jésus-Christ, dans son proème sur le Livre des Rois, où il déclare avoir été obligé de ne point suivre les Pères les plus anciens, car ils ne suivaient pas le fil, la logique et les véritables implications de l’Histoire.
12Je ne reproduis pas ici le texte de saint Grégoire, car il aura sa place un peu plus loin, quant à celui de Richard, après avoir montré que les Pères anciens s’attachaient surtout à étudier l’allégorie, voici ce qu’il dit :
Hinc contigisse arbitror, ut litteræ expositionem in obscurioribus quibusdam locis antiqui Patres tacite præterirent, vel paulo negligentius tractarent ; qui si plenius insisterent, multo perfectius procul dubio, quam aliqui ex modernis, id potuissent.90
13En d’autres termes :
Les Pères anciens, pour mettre toute leur habileté et leur génie à rendre le sens allégorique des Écritures, ou bien ont-il passé totalement sous silence, ou alors ont-ils traité avec moins de soin certains passages plus obscurs de celles-ci, et il est certain (d’autant qu’ils étaient dotés d’esprits très brillants, enrichis de force science et érudition) que, s’ils s’étaient mieux attachés au sens réel et littéral du texte, ils auraient pu l’entendre plus parfaitement et plus heureusement que n’importe lequel des modernes.
14Dans ces conditions, de par la véracité de cette remarque, il advient que la différence entre le Pères anciens et les commentateurs modernes des Écritures est la même que celle qui existait entre ces deux hommes de l’Évangile, l’un comme l’autre riche et fortuné : le premier découvrit un trésor et il donna tout ce qu’il avait pour acheter le terrain où celui-ci se trouvait ; le second, qui ne cherchait que des marguerites, en trouva une des plus précieuses, et il employa à l’acquérir toute la fortune dont il disposait. Les Pères anciens, qui ne cherchaient dans les Écritures que le Christ, n’y trouvèrent que le Christ, et pour cette marguerite si précieuse ils mirent tout le talent de leurs études ; les modernes, qui ne mettent pas leur seul soin à découvrir ce trésor comme seule richesse, trouvent, outre la marguerite, une grande quantité de pierres précieuses et ils retirent de ce nouveau trésor (comme disait le Christ) nova et vetera91, des richesses anciennes et nouvelles – les anciennes qui sont l’annonce des vérités du passé, les nouvelles qui sont la connaissance d’autres futures.
15Finalement il faut considérer ce silence sur les choses que les Pères n’ont pas dites comme la volonté de Dieu, Lequel par providence particulière n’a pas voulu qu’iceux les connussent et les écrivissent alors, pour que l’Église, notre Mère, ressemblât à son Époux et qu’au fil des années et de l’âge elle crût en lumière et en sapience. Ainsi l’a remarqué, parmi bien d’autres théologiens, ce même Canisius, à la suite du passage cité plus haut :
Quæ posteris diligentius excutienda, et clarius illustranda, explicandaque, non sine certo Dei consilio relinquebantur, non vero homini tantum, sed etiam Ecclesiæ Christi tempus auget sapientiam, et Spiritus Sanctus aliam, atque aliam doctrinæ lucem patefacit.92
16Dans le chapitre du Cantique des cantiques, où l’Époux est le Christ et l’Épouse l’Église, sont prophétisés les progrès que celle-ci doit faire, et ces progrès sont comparés avec beaucoup de justesse à la lumière de l’aube : « Quæ est ista, quæ progreditur, quasi aurora consurgens93 ? » Ainsi que l’aube naît des ténèbres nocturnes et qu’avec la lumière elle va toujours croissant vers la plus grande clarté, ainsi l’Église, née des ténèbres de l’ignorance et de l’infidélité, commença-t-elle avec peu de lumière et de connaissance, et voici qu’elle va croissant de resplendeur en resplendeur, de clarté en clarté. Ce sont les termes dont use saint Paul dans sa seconde Épître aux Corinthiens : « Nos vero omnes, revelata facie, gloriam Domini speculantes, in eamdem imaginem transformamur a claritate in claritatem94. » L’apôtre parlait ainsi du voile d’infidélité dont les Juifs se sont couvert les yeux pour ne pas voir le Christ, et il dit que nous, les chrétiens, qui sommes les membres dont se compose l’Église, nous avons ôté par la foi ce voile, et les yeux ouverts, le regard clair, grâce à notre propre spéculation et raisonnement, nous croissons de clarté en clarté, point seulement pour sortir des ténèbres vers la lumière, mais pour aller d’une lumière à une autre, toujours plus grande et toujours plus claire, transformant par là même l’Église à l’image de son Époux, le Christ.
17Ainsi donc comme le Christ, bien que sa science fût toujours égale et identique (en tant que dieu, infinie, en tant qu’homme, fort réduite), même dans les actes publics et dans sa manifestation au monde, ne la montra jamais dans sa totalité, mais qu’il la dispensa par parties, grandissant en elle, en même temps qu’il grandissait en années, comme le dit l’évangéliste Luc : « Proficiebat sapientia et aetate95 », ainsi l’Église, qui est le corps mystique de ce même Christ, se transformant à son image et prenant modèle en lui et pour lui, croît toujours en lumière et connaissance, à mesure qu’elle croît en années et en âge.
Crescat igitur oportet, et nullum vehementerque proficiat, tam singulorum quam omnium, tam unius hominis quam totius Ecclesiæ, ætatum ac seculorum gradibus intelligentia, scientia, sapientia, comme le dit d’une façon savante et élégante Vincent de Lérins96.
18De telle sorte que vont croissant l’intelligence, la science et la connaissance par les degrés du temps, comme vont croissant et passent les années, les siècles et les âges ; et cela non seulement en l’Église universelle et commune à tous, mais aussi chez les hommes et les Docteurs en particulier, qui sont les membres de son corps et les rayons de la lumière dont elle est faite. Il faut à partir de là remarquer et avertir (chose dont on aurait déjà dû faire remarque et mention) que les auteurs anciens et les plus reculés dans le temps ne sont pas, à proprement et rigoureusement parler, passés, mais présents ; les auteurs du passé ne sont pas ceux qu’on appelle vulgairement les Anciens, mais ceux qui aujourd’hui et dans les époques les plus proches de nous sont appelés les Modernes. En effet, de même qu’il y eut dans la vie du Christ une petite enfance, une enfance, une adolescence et ensuite l’âge parfait, ainsi dans les années et la durée de l’Église il y a cette même distinction et succession des âges, par laquelle le corps mystique de celle-ci croît et augmente toujours, jusqu’à arriver à la plénitude de la perfection ou parfaite mesure de l’âge du Christ, comme le dit expressément saint Paul, parlant de ces mêmes Docteurs :
Alios autem pastores et doctores, ad consummationem sanctorum in opus ministerii, in ædificationem corporis Christi : donec occurramus omnes in unitatem fidei et agnitionis Filii Dei, in virum perfectum, in mensuram ætatis plenitudinis Christi.97
19D’où il s’ensuit que les Docteurs de la petite enfance, de l’enfance et de l’adolescence de l’Église ont été les modernes, inspirés par la science moderne, et les Docteurs de l’âge adulte et de l’âge mûr de l’Église sont les plus anciens, les plus reculés dans le temps, inspirés par la science la plus ancienne, car l’Église n’est pas faite de constructions mortes, mais au contraire de membres vifs et elle n’a pas grandi depuis notre époque vers des temps anciens, mais depuis les anciens vers les nôtres. Et ce serait aller non seulement contre la loi naturelle, mais contre le respect dû à l’époque, que de considérer que l’Église n’est pas plus savante dans son âge adulte qu’elle ne l’était dans sa jeunesse.
20Contre cela, les hérétiques disent (comme l’a montré Báñez98) que l’Église aujourd’hui n’est pas plus éclairée que jadis, et qu’elle l’est même moins, et ils tirent argument pour démontrer cet aveuglement, de la question du soleil et de la terre99. Ils disent que le Christ est le soleil de l’Église et cette première et véritable lumière « quæ illuminat omnem hominem veniens in hunc mundum100 », et plus nous nous éloignons des temps où le Christ a vécu parmi les hommes, plus ténus, moins nombreux, moins forts sont les rayons de sa lumière, ainsi qu’il en est de la lumière du soleil réel, ou de quelqu’autre lumière, qui illumine et réchauffe plus ceux qui lui sont les plus proches, et moins ceux qui sont les plus éloignés, les plus distants. Mais la belle apparence de cette raison est aussi fausse que toutes celles de leurs auteurs, car même si le Christ s’est séparé corporellement des hommes, spirituellement et par une particulière et invisible assistance il est resté parmi eux, et il les assistera (à l’intérieur toutefois de son Église) jusqu’à la fin du monde, comme il l’a promis à tous les véritables disciples de sa doctrine quand il leur a dit : « Ecce ego vobiscum sum usque ad consummationem saeculi101. » Il a également laissé en substitution de sa personne, en qualité de second maître de son école, l’Esprit saint, également Dieu avec lui, lequel par une même et non point différente lumière non seulement illumine l’Église avec la même clarté de vérité, mais par l’entremise de sa Providence lui fait découvrir d’autres vérités plus grandes encore le moment venu, montrant et dévoilant ces vérités cachées et suprêmes que le Christ, compte tenu de la moindre capacité de ses disciples, a omis de leur révéler, quand il enseignait lui-même, leur disant cependant (pour que l’hérétique ne doute point du secours de l’Esprit saint envers l’Église et envers la tête de celle-ci) que l’Esprit saint les en instruirait : « Adhuc multa habeo vobis dicere : sed non potestis portare modo. Cum autem venerit ille Spiritus veritatis, docebit vos omnem veritatem102. »
21Et pour que la perfidie hérétique ne puisse ainsi tenter de se dérober (comme cela est fait bien imprudemment pour d’autres lieux pourtant fort clairs des Écritures), en remontant à des temps anciens où ils admettaient que l’Église fût alors vraiment éclairée, qu’ils lisent donc le très ancien Tertulien :
Regula quidem fidei una omnino est, sola immobilis et irreformabilis […] Hac lege fidei manente, cætera jam disciplinæ et conversationis admittunt novitatem correctionis, operante scilicet et proficiente usque in finem gratia Dei. Quale est enim ut diabolo semper operante et adjiciente quotidie ad iniquitatis ingenia, opus Dei aut cessaverit, aut proficere destiterit, cum propterea Paracletum miserit Dominus, ut quoniam humana mediocritas omnia semel capere non poterat, paulatim dirigeretur, et ordineratur, et ad perfectum perduceretur disciplina, ab illo Vicario Domini Spiritu Sancto ? […] Quæ est ergo Paracleti administratio nisi hæc, quod disciplina dirigitur, quod intellectus reformatur, quod ad meliora proficitur ?103
22Je ne m’arrête pas à traduire ces paroles, car elles sont en somme tout ce que nous venons de dire jusqu’à présent. Je souhaite seulement que l’on réfléchisse à cette nouvelle sentence, si bien trouvée, de Tertulien : « Quale est enim ut diabolo semper operante et adjiciente quotidie ad iniquitatis ingenia… » Si le Démon toujours travaille, et sans relâche, à susciter chaque jour de nouvelles erreurs, de nouvelles tromperies pour nous assaillir, et de nouvelles ténèbres pour obscurcir la lumière de la vérité et l’éclat de l’Église, comment le Saint-Esprit pourrait-il cesser d’opposer toujours auprès d’elle, à ces nouvelles ténèbres de nouvelles clartés, à ces nouvelles erreurs de nouvelles vérités, à toutes ces tromperies une nouvelle illumination, et de remporter contre cet ennemi et ses séides de nouvelles victoires ? C’est dans son propre aveuglement que l’hérétique démontre la plus grande lumière de l’Église. C’est pour cela que saint Paul a dit : « Oportet hæreses esse104 », tel est le bien que tire d’un si grand mal la très sage Providence, qui (comme le dit si savamment saint Augustin) eut plus grande gloire encore en sa grandeur à transformer les maux en biens, que d’empêcher ces mêmes maux.
23Ainsi ceux qui voudraient connaître les progrès de connaissance, que l’Église ne cesse de faire et d’accroître au fil des ans, ne doivent-ils point user de la ressemblance avec le soleil et la lumière, mais avec la source et la rivière, ce que fit le Christ lui-même en sa doctrine, lorsqu’il a dit :
Si quis sitit, veniat ad me et bibat. Qui credit in me, sicut dicit Scriptura, flumina de ventre ejus fluent aquæ vivæ. Hoc autem dixit de spiritu, quem accepturi erant credentes in eum.105
24La lumière du soleil, plus elle est distante, plus elle s’affaiblit et diminue, par contre, la rivière qui naît à sa source, plus elle avance et s’éloigne de son origine, plus elle grossit, car elle reçoit d’autres cours d’eau et de nouvelles eaux, ce qui fait qu’elle devient plus large, plus profonde, plus puissante. Telle est la connaissance dont participe l’Église, car entrent constamment en elle les plus purs courants de doctrine de tant de Docteurs catholiques fort savants, lesquels l’enrichissent chaque jour de nouveaux écrits très excellents dans les différentes matières de la théologie, ce dont notre siècle a connu une très féconde abondance plus que tout autre jusqu’à nos jours. La connaissance de l’Église, lorsqu’elle illumine, est lumière, lorsqu’elle grandit, elle est fleuve – fleuve né de cette même Source et lumière de ce même Soleil qu’est le Christ –, conservant en même temps les lumières dans la limpidité des eaux et la force des eaux dans la splendeur de la lumière, ainsi que cela est décrit dans cette merveilleuse métamorphose du chapitre dix du Livre d’Esther : « Parvus fons, qui crevit in fluvium, et in lucem solemque conversus est, et in aquas plurimas redundavit106. » Le Christ soleil étant lui-même source, l’Église lumière coulant comme rivière, c’est pour cela même qu’elle est toujours plus lumineuse, toujours parée de plus d’éclat.
25Et comme, par providence particulière de Dieu, et pour la raison de la difficulté et obscurité de certains passages des Écritures, et du fait aussi que les Pères s’appliquaient à confirmer d’autres vérités et qu’ils étaient aux prises avec les combats propres à leurs temps, on a omis de décrire certaines choses dont l’Église par la suite a été instruite et dont elle s’est illustrée, il n’est pas excessif que de toutes celles qui n’ont point été dites, nous en parlions aujourd’hui, ou qu’il nous appartienne de les dire, celles-ci n’ayant pas été dites. On ne doit pas voir en cela un moindre respect à l’encontre des Pères si savants et si saints, car ne pas vouloir découvrir et savoir ce qu’ils n’ont point dit est plutôt vice de paresse que vertu de révérence, comme conclut si bien ce même Richard de Saint-Victor, plus haut cité :
Sed nec illud tacite prætereo, quod quidam quasi ob reverentia Patrum nollunt ab illis omissa attentare, nec videantur aliquid ultra maiores præsumere. Sed inertiæ suæ hujusmodi velamen habentes, otio torpent, et aliorum industriam in veritatis investigatione et inventione derident, subsanant et exsufflant, sed qui habitat in cœlis, irridebit eos et Dominus subsanabit eos.107
26Lisez et craignez cette sentence, vous qui critiquez ceux qui souhaitent seulement éviter de tomber sous la critique qui s’y trouve faite, et n’oubliez pas qu’elle est d’un des Pères de l’Église.
Seconde raison. Discours sur les raisons pour lesquelles à l’époque des anciens Pères de l’Église il fut impossible de comprendre entièrement certains passages des prophètes
27En second lieu nous disions que les Pères n’avaient pas toujours dit juste en toute chose, et bien que nous puissions prouver la vérité de ce fondement par l’exposé des choses où ils se sont trompés, par respect et révérence dus par les enfants envers leurs parents, et nous souvenant de la bénédiction qu’ont méritée les deux fils [de Noé], Sem et Japhet, quand ils tournèrent le dos et écartèrent leur regard de ce qui chez leur père pût offenser la décence, nous aussi nous couvrirons d’un voile cette matière, laissant un sujet si indigne aux Luther, Calvin, [Théodore de] Bèze, Wycliffe et autres légitimes héritiers de l’impie et irrévérent Cham108.
28Nous ne nions pas cependant qu’il y eut nombre de pieux auteurs catholiques dans les livres desquels on peut trouver en nombre ces exemples. Ces derniers les écrivirent non point par manque de respect à l’égard des Pères anciens, lesquels méritent également une éternelle vénération par leur connaissance et leur sainteté, mais par amour de la vérité, nécessité de la doctrine et mise en garde des moins savants qui viendraient à lire leurs œuvres. Ainsi font ceux qui dressent les cartes de navigation, quand ils signalent sur le très vaste et très profond océan les hauts fonds (en petit nombre et très rares, si on les compare à l’immensité des eaux) pour une meilleure vigilance et plus grande sécurité de ceux qui naviguent.
29Sur cette matière écrivirent le très savant Sixte Senense, sur l’ensemble des livres cinq et six de sa Bibliotheca sancta ; Ferdinando Vellosillo, évêque de Lugo, dans ses Remarques théologiques sur Cinq Pères de l’Église ; Alphonse Castro, dans son Adversus omnes hæreses ; Antonio Possevino, dans son Aparato sacro ; le cardinal Cesare Baronio, en de nombreux endroits de ses Annales ; Melchior Cano109, dans son De locis theologicis, et bien d’autres encore110. Ce dernier, au livre sept, chapitre trois, dit ainsi :
Auctores canonici, ut superni, cælestes, divini, stabilem perpetuamque constantiam servant ; reliqui vero scriptores sancti, inferiores et humani sunt, deficiuntque interdum, ac monstrum quandoque pariunt propter convenientem ordinem, institutumque naturæ.111
30Mais parmi ces exemples naturels de la fragilité humaine, nous pouvons, comme preuve de ces derniers, en lire d’autres des Pères eux-mêmes, dans lesquels, confessant avec grande humilité et modestie qu’ils pouvaient se tromper, étant hommes eux aussi, ils nous montrent par la connaissance qu’ils avaient d’eux-mêmes (et que nous, nous devons avoir de nous-mêmes) combien ils étaient véritablement saints et par là extrêmement savants. Je citerai ici les paroles de deux des plus grands Docteurs, l’un de la théologie scholastique, l’autre de la théologie positive112, à savoir saint Augustin et saint Jérôme.
31Saint Augustin, dans son épître cent quarante-huit, adressée à Fortunantianus113, dit la chose suivante :
Neque enim quorumlibet disputationes quamvis catholicorum et laudatorum hominum, velut scripturas canonicas laudare debemus, ut nobis non liceat (salva honorificientia, quæ illis debetur) aliquid in eorum scriptis improbare, atque respuere (si forte invenimus, quod aliter senserint quam veritas habet, divino adjutorio vel ab aliis intellecta, vel a nobis) ; talis ego sum in scriptis aliorum, tales volo esse intellectores meorum.
Les sentences et les résolutions des auteurs, fussent-ils catholiques et fort estimés pour leur science et doctrine, nous ne devons pas les lire comme des Écritures canoniques, au point qu’il nous serait interdit (sauf révérence gardée à leurs personnes) de réprouver ou de ne point suivre certaines choses qu’ils ont dites, dès lors que nous trouverions la vérité par une autre voie, ou mieux comprise par d’autres, ou encore par nous-mêmes. C’est de cette façon-là [dit saint Augustin] que je lis les écrits des autres et que je souhaite que soient lus les miens.
32Saint Jérôme pensait la même chose, aussi bien pour les écrits des autres que pour les siens. Il le dit ainsi dans son épître quatre-vingt-deux à Théophile [d’Alexandrie] à propos des erreurs de Jean le Yérosolimate114 :
Scio me aliter habere Apostolos, aliter reliquos tractores : illos semper vera dicere : istos in quibusdam ut homines aberrare.
Je sais la différence qu’il faut faire entre les écrits des Apôtres et ceux des autres écrivains ecclésiastiques ; je sais que les premiers disent toujours vrai, et que les autres se trompent quelquefois [affirme ce si grand Docteur].
33Et si le fondement des erreurs humaines est l’effet naturel de ce que les hommes sont hommes, il s’ensuit bien évidemment qu’aucun homme ne peut se voir libre de cette tare de l’humanité, pour aussi docte et savant qu’il soit. Que le plus bel exemple en soit le prodigieux livre des Rétractations de saint Augustin, dont l’auteur mérite plus de vénération pour cette œuvre que pour tout autre. Ce dernier, poursuivant dans le même sens que saint Jérôme, au livre second du De baptismo contra Donatistas, chapitre cinq, dit avec une admirable piété et une remarquable intelligence, la chose suivante :
Homines enim sumus, unde aliquid aliter sapere, quam se res habet, humana tentatio est : nimis autem amando sententiam suam, vel invidendo melioribus, usque ad prescidendæ communionis et condendi schismatis vel hæresis sacrilegium pervenire, diabolica præsumptio est. In nullo aliter sapere, quam res se habet, angelica perfectio est.115
34De telle sorte que, selon saint Augustin, « se tromper en quelque matière est faiblesse des hommes, dire vrai en tout est perfection des anges, et vouloir défendre son point de vue, jusqu’à rompre la charité et l’unité de l’Église, est une présomption diabolique ». Et comme les Saints Pères ont été les fils très obéissants de l’Église catholique, soumettant tous leurs écrits à son jugement suprême, si en quelque matière ils se sont trompés, comme nous le disons ou le supposons, la raison en est tout simplement qu’ils ont été des hommes et qu’ils n’étaient pas des anges.
35Mais pour que l’on voie quel fut le motif ou les motifs qu’ils eurent de ne pas atteindre à la véritable intelligence de certaines Écritures, principalement celles des prophètes, qui est la raison même de ces considérations, je dirai maintenant ce que j’ai retiré de l’interprétation de ces mêmes Écritures prophétiques, des exposés des Pères à leur sujet, et des opinions les plus répandues et admises parmi les savants, à l’époque où ceux-ci écrivirent. Et j’inscris ici avec le plus grand plaisir ma remarque (sous le coup de laquelle je ne suis pas encore tombé, si ce n’est à travers de nombreuses années d’étude et de contact avec ces mêmes Pères), qu’on peut en déduire et facilement reconnaître, sans flatterie excessive de leurs immenses connaissances, combien il eût été impossible qu’ils trouvassent, à leur époque et selon leurs hypothèses, la véritable signification de certains passages des prophètes, qu’ils entendirent d’une façon différente, selon un tout autre sens.
36Le premier point sur lequel les Pères se trouvèrent en situation de ne point entendre à leur époque le sens littéral et historique de ces textes prophétiques, est la carence qu’il y avait alors dans le monde en matière de cosmographie véritable et exacte, et la fausse opinion soit que le globe terrestre fût parfaitement sphérique, soit que les parties opposées à celles que l’on connaissait en ce temps-là, fussent non seulement désertes mais inhabitables. Ce sentiment, partagé par de nombreux philosophes anciens, était considéré par les Pères comme fondé en vérité et vérifié, à l’encontre de l’opinion ou de la légende qu’il existât ce qu’on appelait alors les antipodes, puisque les principes sur lesquels les Pères se fondaient pour les nier, n’étaient point les mêmes entre tous.
37Les raisons philosophiques, sur lesquelles certains se basaient (qui alors, avant qu’expérience ne fût faite, étaient tenues pour de véritables raisons, et apparaissent maintenant, à l’expérience, comme ridicules) sont décrites par Lactance Firmianus116, qui étaient un des Pères de l’époque et l’un des plus doctes de son temps, lorsqu’il se moque très élégamment de ceux qui sont d’une opinion contraire :
Quid illi, qui esse contrarios vestigiis nostris antipodas putant ? Num aliquid loquuntur ? Aut est quisquam tam ineptus, qui credat esse homines quorum vestigia sint superiora quam capita ? Aut ibi quæ apud nos jacent inversa pendere ? Fruges et arbores deorsum versas crescere ? Pluvias et nives, et grandium sursum versus cadere in terram ? Et miratur aliquis hortos pensiles inter septem mira narrari, cum philosophi, et agros, et maria, et urbes, et montes pensiles faciant ? Hujus quoque erroris aperienda nobis origo est […]. Quæ igitur illos ad antipodas ratio perduxit ? Videbant siderum cursus in occasum meantium, solem atque lunam in eamdem partem semper occidere, atque oriri semper ad eadem. Cum autem non prospicerent quæ machinatio cursus eorum temperaret, nec quomodo ab occasu ad orientem remearent, cœlum autem ipsum in omnes partes putarent esse devexum, quod sic videri, propter immensam latitudinem necesse est ; existimaverunt rotundum esse mundum sicut pilam, et ex motu siderum opinati sunt cœlum volvi, sic astra solemque, cum occiderint, volubilitate ipsa mundi ad ortum referri. Itaque et æreos orbes fabricati sunt, quasi ad figuram mundi, eosque cælerunt portentosis quibusdam simulacris quæ astra esse dicerent. Hanc igitur cæli rotunditatem illud sequebatur, ut terra in medio sinu ejus esset inclusa. Quod si ita esset, etiam ipsam terram globo similem ; neque enim fieri posset ut non esset rotundum, quod rotundo conclusum teneretur. Si autem rotunda etiam terra esset, necesse esse, ut in omnes cæli partes eamdem faciem gerat, id est, montes erigat, campos tendat, maria consternat. Quod si esset, etiam sequebatur illud extremum, ut nulla sit pars terræ, quæ non ab hominibus cæterisque animalibus incolatur. Sic pendulos istos antipodas cæli rotunditas adinvenit. Quod si quæras ab iis, qui hæc portenta defendunt, qumodo ergo non cadunt omnia in inferiorem illam cæli partem, respondent hanc rerum esse naturam, ut pondera in medium ferantur, et ad medium connexa sint omnia, sicut radios videmus in rota ; quæ autem levia sunt, ut nebula, fumus, ignis, a medio deferantur ut cælum petant. Quid dicam de iis nescio, qui, cum semel aberraverint, constanter in stultitia perseverant, et vana vanis defendunt, nisi quod eos interdum puto, aut joci causa philosophari, aut prudentes et scios mendacia defendenda suscipere, quasi ut ingenia sua in malis rebus exerceant vel ostendant.
38Jusqu’ici, Lactance se rit bien moins de ceux qui sont d’une opinion contraire à la sienne, que nous-mêmes nous pourrions aujourd’hui rire de lui. C’est pour cela que je n’ai pas hésité à copier cette page en latin, qui pour ceux qui l’entendent ne sera sans doute point trop longue par sa matière et son élégance, et moins encore pour ceux qui ne le comprennent pas, passant alors plus brièvement encore. Et je demande à ceux qui n’ont pas besoin de traduction, telle que je la fais ci-après, de suivre l’exemple des autres, ne serait-ce que pour qu’il n’aient pas l’impression que l’on ne puisse traduire dans notre langue les élégances de la langue latine.
Ceux qui tiennent qu’il y a des antipodes, tiennent-ils un sentiment raisonnable ? Y a-t-il quelqu’un assez extravagant pour se persuader qu’il y ait des hommes qui aient les pieds en haut et la tête en bas ; que tout ce qui est couché en ce pays-ci, soit suspendu en celui-là ; que les herbes et les arbres y croissent en descendant, et que la pluie et la grêle y tombent en montant ? Faut-il s’étonner que l’on ait mis les jardins suspendus de Babylone au nombre des merveilles de la nature, puisque les philosophes suspendent aussi des mers, des villes et des montagnes ? Cherchons la source de cette erreur, et nous trouverons sans doute qu’elle procède de la même cause que les autres […]. Comment donc se sont-ils engagés à soutenir qu’il y a des antipodes ? En observant le mouvement et le cours des astres, ils ont remarqué que le soleil et la lune se couchent toujours du même côté et se lèvent toujours de même. Mais ne pouvant découvrir l’ordre de leur marche, ni deviner comment ils passaient de l’Occident à l’Orient, ils se sont imaginé que le ciel était rond, tel que sa vaste étendue le fait paraître ; que le monde même était rond comme une boule, que le ciel tournait continuellement, et qu’en tournant il ramenait le soleil et les astres de l’Occident à l’Orient. C’est ce qui les a portés à faire des globes d’airain, sur lesquels ils ont gravé des figures monstrueuses auxquelles ils ont donné le nom d’astres. Le ciel étant rond, il fallait que la terre, qui est renfermée dans son étendue, fût aussi ronde. Que si elle est ronde, elle regarde le ciel de tous côtés de la même manière, et lui oppose de tous côtés des mers, des plaines et des montagnes. Il suit encore de là qu’il n’y a aucune partie qui ne soit habitée. Voilà comment la rondeur que l’on a attribuée au ciel a donné occasion d’inventer les antipodes. Quand l’on demande à ceux qui défendent ces opinions monstrueuses, comment il se peut faire que ce qui est sur la terre ne tombe pas vers le ciel, ils répondent que c’est parce que les corps pesants tendent toujours vers le milieu comme les rayons d’une roue, et que les corps légers, comme les nuées, la fumée, le feu, s’élèvent en l’air. J’avoue que je ne sais ce que je dois dire de ces personnes qui demeurent opiniâtres dans leurs erreurs, et qui soutiennent leurs extravagances, si ce n’est que quand ils disputent, ils n’ont point d’autre dessein que de se divertir ou de faire paraître leur esprit.
39Tel est le discours de Lactance, dans le livre troisième de son Divinorum institutionum, au chapitre vingt-quatre, et il est bon que tout ait été écrit dans le détail pour que nous sachions ce qu’à cette époque on savait du monde et que l’on mesure aussi ce que ce même monde doit aux Portugais, les premiers découvreurs des antipodes.
40Saint Augustin a suivi lui aussi l’opinion de Lactance, bien qu’il n’en partage pas les fondements, qu’il combat dans le livre des Catégories117, mais au livre seize de La Cité de Dieu il affirme que l’on ne doit pas croire aux antipodes, en des termes aussi sûrs que ceux qui suivent :
Quod vero et antipodas esse fabulantur, id est, homines a contraria parte terræ, ubi sol oritur quando occidit nobis, adversa pedibus nostris calcare vestigia, nulla ratione credendum est. Neque hoc ulla historia cognitione didicisse se affirmant, sed quasi ratiocinando conjectant.
Et quant à la fable [dit saint Augustin] de ceux qui prétendent qu’il existe des antipodes, c’est-à-dire des hommes de l’autre partie du monde, où le soleil se lève pour eux quand il se couche pour nous, et qui marchent sur le sol avec la plante des pieds tournée vers les nôtres propres, comme nous vis-à-vis d’eux, c’est une chose que l’on ne peut croire en aucune façon, et leurs auteurs ne se basent sur aucune histoire qui l’affirmerait, ils se contentent de la conjecturer par des discours.
41Ce si savant Docteur n’aurait jamais dit cela si, à son époque, eussent été connues les histoires des Portugais. Pour autant, ceci est le plus bel éloge que l’on puisse faire à notre nation (comme l’a dit un de ses grands orateurs) que les Portugais aient pu parvenir par l’épée là où saint Augustin ne put parvenir par l’entendement.
42La raison pour laquelle saint Augustin nie l’existence des antipodes, mérite d’ailleurs encore plus notre éloge et notre admiration, car l’argument sur lequel se fonde cette négation est le suivant :
Tous les hommes qui se sont propagés et disséminés dans le monde sont tous descendants d’Adam, comme l’affirme l’Écriture ; il s’ensuit donc qu’il ne peut y avoir d’antipodes, puisque s’il dût y en avoir, il faudrait qu’ils soient passés dans l’autre partie du monde au-delà de l’immensité de la mer océane, et c’est une grande absurdité que de penser que des hommes aient pu faire cette navigation.
43Telle est la raison invoquée par saint Augustin et tel est l’éloge fameux que fait le très illustre Africain, sans savoir de qui il parle, en l’occurrence des Portugais, plus tard conquérants de sa patrie :
[…] nimis absurdum est ut dicatur aliquos homines ex hac in illam partem oceani immensitate trajecta, navigare ac pervenire potuisse, ut etiam illic ex uno illo primo homine genus institueretur humanum118.
44Cette même opinion fut commune à tous les Pères de l’Église : ainsi, avant même Lactance, nous la retrouvons chez saint Justin et, avant saint Augustin, chez saint Hilaire, saint Jean Chrysostome, saint Basile et saint Ambroise, et plusieurs siècles plus tard, chez Procope, Théophylacte, Euthyme119 et bien d’autres – les uns se fondant sur les raisons déjà rapportées, et tous sur celle si souvent invoquée par les philosophes, historiens et poètes, de ce que non seulement la zone torride était inhabitable, mais qu’on supposait que l’incendie provoqué par le voisinage du soleil était tel qu’il n’y avait aucun moyen de la traverser.
Media vero terrarum [dit Pline] qua solis orbita est, exusta flammis et cremata, cominus vapore torretur. Circa duæ tantum inter exustam et rigentes, temperantur, eaque ipsæ inter se non perviæ propter incendium sideris.120
45Et cet incendie de la zone torride, encore à une époque proche de la nôtre, était un des arguments les plus solides par lequel les adversaires de l’entreprise de l’infant Dom Henrique combattaient son projet, tenant pour impossible ces découvertes, comme le raconte notre propre histoire.
46À ces raisons purement philosophiques et discursives, les Pères en ajoutaient d’autres théologiques, tirées de certains textes de l’Écriture sainte, lesquels, avant que l’expérience ne fût faite, semblaient affirmer ou définir clairement que sous la terre il n’y avait rien d’autre que de l’eau. Procope argumentait ainsi à propos du premier chapitre de la Genèse :
Quod autem universa terra in aquis subsistat, nec ulla sit pars ejus, quæ infra nos sita sit, aquis vacua et denudata hominibus, notum reor, nam sic docet Scriptura : « Quid expandit terram super aquis ? » Et iterum : « Quia ipse super maria fundavit eam. »121
47La première citation est du psaume cent trente-cinq, et la seconde du psaume vingt-trois, et véritablement les mots de l’une comme de l’autre sont si clairs, que si notre vue ne nous avait appris le contraire, il semble bien qu’on ne pourrait les entendre autrement, et Dieu, qui peut tout, pour montrer son omnipotence avait fondé la terre sur de l’eau.
48Ainsi le croyait aussi Thalès, le Milésien, un des sept sages de la Grèce, avec bien d’autres philosophes, lesquels expliquaient les tremblements de terre par l’instabilité de ce fondement, le peu de solidité de sa propre nature122. Mais dès lors que l’expérience nous eût montré que dessous (ou plutôt de l’autre côté de la terre où nous habitons) il y avait une autre terre et d’autres habitants, qui sont donc les antipodes, la correction de cette erreur nous a conduits aussi à mieux comprendre ces textes de David, qui disent ainsi : quand Dieu créa le monde, au début, l’élément terre était recouvert par l’élément eau, l’eau était donc par-dessus la terre, eu égard à sa noble et gracieuse nature, l’élément le plus noble se trouvant au-dessus ; mais comme il en résultait que la terre était vide et inhabitable (ainsi que le note le texte : « terra autem erat inanis et vacua123 »), que fit la Divine Providence, si ce n’est écarter l’eau qui se trouvait sur la terre et lui trouver un autre lieu, qui est aujourd’hui celui de la mer, de telle sorte que la terre lui soit supérieure, et qu’elle puisse donc produire et être habitée : « Et dixit Deus : “Congregentur aquæ […] in locum unum, et appareat arida124.” » Et comme de ce fait la terre est restée supérieure à l’eau, voilà la raison qui fait dire à David que la terre est au-dessus de l’eau, au sens de supérieure et non inférieure et en dessous, comme elle l’était auparavant et là où elle aurait dû être de par sa nature.
49Je répète le texte en entier pour qu’on en voie mieux la vérité et la clarté d’exposition : « Domini est terra et plenitudo ejus, orbis terrarum et universi qui habitant in eo ; quia ipse super maria fundavit eum, et super fluvia præparavit eum125. » Autrement dit : « Dieu est le Seigneur de la terre et de tous ses habitants. » Et pourquoi Seigneur de la terre ? Parce que c’est Lui qui l’a créée. Et pourquoi Seigneur de ses habitants ? Parce que, en faisant de la terre un élément supérieur à l’eau, Il l’a rendue habitable. C’est là le véritable sens du mot praeparavit, car en faisant en sorte que la terre soit supérieure à l’eau, Il l’a préparée et aménagée pour qu’elle pût être habitée. « Ratio cur Dominus terræ omniumque in ea rerum […] sit Deus [dit Lorin126], quoniam terram fecit, et supereminere aquis fecit, ut habitari posset127. » Et il n’est pas étonnant que Lorin ait mieux compris que Procope ce texte sur la terre et la mer, car Procope ne savait pas qu’il y avait des mers et des terres habitées par des antipodes, et Lorin, lui, le savait. Mais voyons d’autres passages plus difficiles ou totalement impossibles à comprendre, avant que l’on ait eu connaissance des antipodes.
Sont cités ci-après divers passages des prophètes que les commentateurs modernes comprennent mieux à partir de la découverte des antipodes et des conquêtes portugaises
50Commençons par ce même David et le passage suivant du psaume soixante-sept : « Regna terræ, cantate Deo, psallite Domino, psallite Deo, qui ascendit super cælum cæli ad Orientem ; ecce dabit voci suæ vocem virtutis128. » Génébrard, Viegas, Mendonça129 et d’autres y voient la conversion des royaumes et des terres d’Orient, convertis à la foi par la prédication des Portugais et les découvertes faites par eux. Et c’est là que très habilement Viegas fait remarquer que David avait dit dans le même psaume : « Cantate Deo, psalmum dicite nomini ejus, iter facite ei, qui ascendit super Occasum, Dominus nomen llli130. » Il montre ainsi que la foi et la connaissance de Dieu devaient d’abord venir vers les terres les plus occidentales, qui sont celles que nous habitons, et qu’ensuite elles devaient aller vers celles de l’Orient, qui sont celles que nous avons découvertes, conquises, et éclairées de la lumière de l’Évangile. Telle est la vertu que Dieu a donné aux voix qui portent Sa propre voix (c’est-à-dire aux voix de Ses prédicateurs) : « Ecce dabit voci suæ vocem virtutis131. »
51Tout le psaume soixante-quatre, explique Basilio Ponce132, fait référence à la nouvelle conversion des Indes, les Orientales comme les Occidentales, et de nombreux passages de cet auteur touchent à cette explication, de telle sorte que ceux qui n’avaient pas eu cette intuition n’ont pu manquer dès lors de dire la même chose. Lorin, commentant le verset neuf, « Turbabuntur gentes et timebunt qui habitant terminos e signis tuis ; exitus matutini et vespere delectabis133 », entend par habitants des extrémités de la terre les gens de l’Orient et de l’Occident, et ainsi explique-t-il ce passage : « “Exitus matutini et vespere” pro hominibus qui habitant ubi exit dies et ubi exit nox, hoc est, pro Orientalibus et Occidentalibus134. »
52De telle sorte que les hommes dont parle David sont ceux qui sont au bout du monde et aux extrêmes de la terre, là où naît le jour et où naît la nuit ; l’un de ces extrêmes à l’Orient sont les Indes orientales, et l’autre à l’Occident les Indes occidentales. Cette terre, l’une comme l’autre, le prophète dit que Dieu la visitera et l’arrosera (comme il l’a arrosée) de l’eau du baptême : « Visitasti terram et inebriasti eam135 », et il ajoute avec une grande énergie que le Seigneur multipliera ses richesses : « Multiplicasti locupletare eam136. » En effet, après lui avoir donné les plus grandes richesses temporelles (que sont les mines d’or et d’argent, les rubis, les perles et tant d’autres trésors), Il devait y ajouter les richesses spirituelles et celle de la grâce, de sorte que chacune de ses parties fût non seulement riche mais vit ses richesses multipliées : « Multiplicasti locupletare eam. » Et pour cela, il était nécessaire que le redoutable et indompté Océan se rendît au pouvoir des hommes et se laissât sillonner par leurs navires, ce à quoi jusque-là il n’avait pas consenti, et David ajoute qu’il le ferait en changeant la nature des eaux : « Qui conturbas profundum maris sonum fluctu137 », ou comme le lisent saint Jérôme et Théodotion138 : « Compescens, sedans, mulcens sonitum, cavitatem, latitudinem et profunditatem maris139. »
53Finalement, pour que nous ne puissions pas douter qu’il s’agit bien de ces mers-là, le prophète ajoute qu’il ne peut s’agir des mers qui baignent les terres et les plages proches de nous, mais de mers situées beaucoup plus loin et de terres et de gens fort éloignés : « Spes omnium finium terræ et in mari longe140 », ou, comme le dit l’hébreu : « maris remotorum141 ». Et il y a aussi un mystère, et même un grand mystère, dans le prologue par lequel David introduit ce que nous venons de rapporter jusqu’ici, ce sont ces mots : « Sanctum est templum tuum, mirabile in æquitate142. » C’est comme s’il avait dit : « Avant de prêcher l’Évangile en ces terres et dans ces mondes de l’Orient et de l’Occident, il semble que vous, Seigneur, et votre Église ne respectiez pas l’égalité entre les hommes, puisque depuis tant années et tant de siècles vous avez ouvert certains à la lumière de la foi, et vous avez permis par vos jugements insondables que d’autres restassent dans les ténèbres (argument qui fut opposé à François Xavier par les Japonais) ». Cependant, dès lors que la Foi et l’Évangile, et la connaissance et le culte du véritable Dieu ont traversé les mers et sont arrivés jusqu’aux plus lointaines nations de l’Orient et de l’Occident, maintenant oui on peut dire que « votre Église est admirable en égalité » : « Sanctum est templum tuum, mirabile in æquitate. »
54Salomon, qui succéda à David non seulement par la couronne, mais également par l’esprit de prophétie, en de nombreux endroits de ses Cantiques prophétisa aussi certaines merveilles de notre temps. C’est dans ce sens que certains modernes ont expliqué ces paroles du chapitre quatre : « Surge, Aquilo, et veni, Auster, et perfla in hortum meum, et fluent aromata illius143 » – comme si le Christ, parlant de son jardin (qui est l’Église), avait dit que le Nord en sorte et que le Sud y entre : « Surge, Aquilo, et veni, Auster », c’est-à-dire que sortissent de l’Église les nations du Nord, comme elles en sont sorties dans notre temps à travers l’hérésie, et qu’entrassent dans cette même Église les nations du Sud (qui sont celles du Nouveau Monde), comme elles y sont entrées par la foi. À cette interprétation qui est très juste et véritable, nous pouvons appliquer les paroles d’Honorius144 :
Siquidem inauditam hæresim per malignos homines Draco [Diabolus] mentibus fidelium infudit, qua totum hortum Ecclesiæ quasi quadam lepra vitiavit ; sed Rex gloriæ Christus suis auxilium præbuit, dum universam hæresim per sapientes destruxit, et de horto suo flagello anathematis expulit ; expulso autem Aquilone, Auster hortum intravit.145
55On trouve peu après dans le texte : « et fluent aromata illius146 ». Ces mots, compris tels quels, ne désignent-ils pas les intérêts temporels que les nefs de l’Inde rapportent en échange des biens spirituels qu’elles y amènent, lorsque elles reviennent de ces contrées chargées d’arômes et autres espèces aromatiques ? Salomon n’avait pas dit autre chose, dans le verset précédent, avec une précision et une vigueur admirables. Il parle des missions que conduisent dans ces contrées les prédicateurs de la foi, et il dit : « Emissiones tuæ paradisus malorum punicorum cum pomorum fructibus147 » ; « Vos missions sont un paradis où l’on ne cueille pas les fruits des arbres, mais le fruit des fruits », « cum pomorum fructibus », puisque que grâce au fruit spirituel que vont recueillir les missionnaires, nous reviennent de là les fruits temporels par lesquels le Portugal s’enrichit, et si les seconds fruits viennent à manquer, c’est parce que manquent aussi les premiers, dont ceux-ci proviennent. Mais quels sont ces fruits ? Salomon le dit lui-même : « Cypri cum nardo, nardus et crocus, fistula et cinnamonum cum universis lignis Libani, myrrha et aloe, cum omnibus primis unguentis148 » ; « La cannelle, le canéfier, le santal, le benjoin, les aquilarias, les calambacs149, et autres variétés et espèces odoriférantes et aromatiques » – toutes espèces qui sont les mêmes que celles qui viennent de l’Inde.
56Au chapitre sept, ce même Salomon, ou plutôt l’Épouse (qui est l’Église), s’adresse ainsi avec son Époux, le Christ : « Mandragoræ dederunt odorem suum ; in portis nostris omnia poma ; nova et vetera servavi tibi150. » Ces mandragores sont les prédicateurs de la foi, comme le dit saint Grégoire :
Quid per mandragoram, herbam scilicet medicinalem et odoriferam, nisi virtus perfectorum intelligitur ? Qui, dum imperfectorum infirmitatibus medentur in fide quam prædicant, id est, in portis Ecclesiæ veri medici esse comprobantur.151
57Avec le parfum de ces mandragores et avec la doctrine de ces prédicateurs, l’Épouse dit qu’elle réunit pour son Époux les fruits anciens avec les nouveaux (ainsi l’interprètent les Septante152 ), « nova et vetera servavi tibi », parce que les chrétiens anciens, qui étaient ceux d’Europe, l’Église les a réunis à ces nouveaux chrétiens, qui sont ces gens nouveaux qu’on a découverts en Orient et en Occident, lesquels sont les portes dont parle l’Épouse : « in portis nostris », une porte par où le soleil se lève dans notre hémisphère, celle de l’Orient, et une autre par où il se lève pour les antipodes, qui est l’Occident. C’est ainsi qu’entendent ce passage certains auteurs que cite Cornelius153, lequel en résume le sens de cette manière :
Nonnulli per nova opinantur hic notari novi orbis […] inventionem et conversionem ad Christum. Novus enim hic orbis continet Peruanos, Mexicanos, Brasilios, Chilenses, etc est dimidium totius orbis, ut patet ex globo cosmographico […] jam per religiosos S. Dominici, S. Francisci et Societatis Jesu totus pene subjacet Ecclesiæ. Sic in India Orientali, hoc sæculo et præcedenti mire per eosdem propagatur fides ad Japones, ubi plurimi pro fide certant usque ad martyria lentorum ignium, apud Sinenses, Molucenses, Ceilanos.154
58De telle sorte que les fruits nouveaux, que l’Église, par l’odeur de ces mandragores médicinales et odoriférantes, a réuni aux plus vieux et plus anciens, sont ceux du Pérou, du Mexique, du Brésil et du Chili, et ceux aussi du Japon, de la Chine, des Moluques et de Ceylan, les uns par les portes de l’Orient, les autres par celles de l’Occident : « Mandragoræ dederunt odorem suum ; in portis nostris omnia poma ; nova et vetera servavi tibi. » On pouvait croire que ces gens avaient été oubliés, en fait ils ont été réservés pour le temps présent : « servavi tibi ».
59Dans la quasi-totalité du chapitre huit, Salomon décrit la même conversion des Indes, en particulier lorsqu’il dit :
Soror nostra parva, et ubera non habet. Quid faciemus sorori nostræ in die quando alloquenda est ? Si murus est, ædificemus super eum propugnacula argentea ; si ostium, compigamus illud tabulis cedrinis.155
60Jusqu’à maintenant ce passage demeurait obscur, mais ces mystères sont admirables, et plus admirables encore leur exactitude. Fray Luis de León [Ludovicus Legionensis ou Ludovico Legionense]156, dans ses Commentaires de ce passage de Salomon, interprète la jeune sœur de l’Épouse comme l’Église des gentils, récemment convertis à la foi :
Sub personna hujus sororis natu minoris, et parum forma præsentis, cujus de collocatione sponsa solicitari dicitur, multi significantur populi atque gentes longe a nostro orbe remotæ, ad Christum adducendæ nova quadam Evangelii tradendi ratione, hoc est, significatur Hispanorum navigationibus reperti orbis, ejusque incolarum ad Christi fidem nuper facta conversio.157
61Bien que l’Église dans son ensemble ne soit qu’une, comme celle de ces nouvelles gens est apparue autour des années 500, c’est pour cette raison que Salomon l’appelle « petite sœur » – « soror nostra parva es » –, et non pas par l’étendue des terres ou le nombre de ses habitants, car elle est plus grande ou au moins égale à l’ensemble de l’Église ancienne, mais par sa jeunesse dans le temps et par l’époque récente où elle s’est convertie. Et il dit avec grande précision qu’elle n’a pas encore de seins – « et ubera non habet » – parce que pendant toutes ces années elle a été sevrée du lait de la véritable doctrine.
62Et comme l’union de cette nouvelle Église avec le Christ était une entreprise pleine de grandes difficultés – autant par la distance de ces terres lointaines et par la navigation sur des mers inconnues que par la résistance de certains peuples, les uns barbares, d’autres civilisés, mais tous féroces, armés et belliqueux, et si supérieurs en nombre et multitude à ceux qui venaient pour les conduire et initier à la foi –, ces difficultés, l’Église ancienne les décrivait ainsi à son Époux, le Christ : « Quid faciemus sorori nostræ in die quando alloquenda est ? », « Que ferons-nous, Seigneur, quand viendra le temps pour ma jeune sœur de vous épouser ? » Ce à quoi le Christ répond par le très vieux conseil de sa Divine Providence : « Si murus est, ædificemus super eum propugnacula argentea, si ostium, compingamus illud tabulis cedrinis. » Qui ne trouvera pas admirables, dans cette réponse, les conseils de la Divine Providence ? Dieu disposa, depuis la création du monde, que ces terres, à l’extérieur comme à l’intérieur, fussent enrichies de choses très précieuses, pour que l’intérêt des hommes rendît moins rebutantes ces difficultés, sans quoi il aurait été impossible de les vaincre. Et c’est bien comme si le Seigneur avait dit :
Même si la conquête de la foi se heurte à des murs qui empêchent l’entrée sur ces terres, il y a aussi des portes par où l’on peut entrer, et ces murs seront vaincus par l’argent et ces portes seront ouvertes par le cèdre.
Si murus est, ædificemus super eum propugnacula argentea, si ostium, compingamus illud tabulis cedrinis.
63Par argent, il faut entendre les mines, par cèdre odoriférant, il faut entendre les plantes précieuses. Et les mines que ces terres recèlent en leurs entrailles, et les plantes aromatiques et précieuses qui y poussent seront les moyens et les appâts qui induiront et disposeront l’intérêt humain à vaincre toutes ces difficultés et à ouvrir et forcer ces portes. Et cela fut ainsi, car l’argent, l’or, les rubis, les diamants, les émeraudes que ces terres génèrent et qu’elles cachent dans leurs entrailles, de même que les aquilarias, le calambac, le bois de braise, le bois violet158, l’ébène, la cannelle, le clou de girofle et le poivre qui y poussent, ont été les appâts capables de susciter un appétit si puissant chez les hommes pour qu’ils affrontent les périls et les épreuves de la navigation, puis ceux de la conquête de l’une et l’autre des deux Indes, et il est bien certain que si Dieu, par sa Providence, n’avait enrichi ces terres de tous ces trésors, le zèle de la religion n’aurait jamais suffi à y introduire la foi.
64Le prophète Isaïe, comme prophète particulièrement choisi pour décrire les merveilles de la Loi évangélique, a été le premier à parler de nous et de ces terres. Au chapitre quarante-neuf, il dit ainsi :
Ecce isti de longe venient, et ecce illi ab aquilone et mari, et isti de terra australi. Laudate, cæli, et exulta, terra, jubilate, montes, laudem, quia consolatus est Dominus populum suum, et pauperum suorum miserebitur.159
65Ce passage, Cornelius et Arias Montano160 l’entendent comme décrivant la conversion de la Chine, et ils le prouvent à partir de l’original en hébreu où on lit « de terra Sinim », ce que saint Jérôme, Simaque, Aquila, Théodotion161, à l’exemple de ce qui se fait en syriaque et en arabe, traduisent tous comme s’il s’agissait de « de terra Sinarum ». En effet, c’est là la façon de dire de la langue hébraïque, en laquelle les Galiléens se disent Gelilim, les Juifs Jehudim, les Assyriens Assurim, et donc pareillement les Chinois Sinim.
66Et si l’on oppose à cette interprétation que la Chine n’est pas une terre australe mais orientale, et qu’on ne peut pas y vérifier l’expression de terra Australi, les mêmes auteurs répondent que l’Esprit saint, qui inspirait la plume de saint Jérôme, faisait en fait allusion aux navigations des Portugais, lesquels, lorsqu’ils naviguent jusqu’en Orient, commencent leur voyage par la région australe, en doublant de cap de Bonne Espérance :
Sinæ enim qui proprie hic significatur, licet sint ad Orientem dici tamen possunt as Austrum, quia Lusitani in Sinas navigaturi, initio longo flexu, navigant ad Austrum, scilicet ex Lusitania usque ad promontorium Bonæ Spei, quod ultimum est in continente et directe oppositum Austro.162
67C’est de cette façon-là que les Portugais devaient être ceux qui apporteraient la foi en Chine, en naviguant par le sud ou Auster, raison pour laquelle l’Esprit saint appela la Chine « australe », non point par sa situation sur terre, mais par la route maritime suivie pour s’y rendre.
68De cette même navigation vers la Chine, Isaïe fait à nouveau mention au chapitre onze, verset onze, ce qu’explique longuement et avec beaucoup d’érudition Malvenda, à la suite de Foreiro163, deux très doctes personnalités de la famille dominicaine.
69Le prophète Isaïe dit encore au chapitre soixante :
Qui sunt isti, qui ut nubes volant et quasi columbæ ad fenestras suas ? Me enim insulæ expectant, et naves maris in principio, ut adducam filios tuos de longe ; argentum eorum et aurum eorum cum eis, nomini Domini Dei tui et Sancto Israel, quia glorificavit te ; et ædificabunt filii peregrinorum muros tuos, et reges eorum ministrabunt tibi.164
70Par ces mots est admirablement prophétisée la conversion des Indes Occidentales, comme l’expliquent ce même Cornelius, Bozio, Aldrovandi165 et d’autres encore. D’une manière tout à fait appropriée, le prophète appelle « îles » les Indes Occidentales : « Me enim insulæ expectant ». En effet, toutes ces très vastes étendues de terres, lorsqu’on les a découvertes, étaient entourées par la mer, et il suffisait pour les appeler ainsi de considérer l’immensité des mers qui les séparent de l’Ancien Monde. D’autre part, ces terres, au début, étaient désignées sous le nom d’Antilles, comme on peut le lire dans l’histoire de leur découverte. Les nuages qui volent vers elles pour les fertiliser – « Qui sunt isti, qui ut nubes volant » – sont les Portugais, prédicateurs de l’Évangile, portés par le vent comme les nuages, lesquels sont aussi comme les colombes – « et sicut columbæ ad fenestras suas » – parce que ces nuages apportent avec eux l’eau du Baptême, sans oublier que l’Esprit saint est descendu sous la forme d’une colombe et que ce sont là les deux éléments qui ont toujours été associés dans la représentation du Baptême : au premier chapitre de la Genèse : « Spiritus Domini ferbatur super aquas166 » ; et au troisième de saint Jean : « Nisi qui renatus fuerit ex aqua et Spiritu Sancto167 ».
71Mais ce même Bozio et Aldrovandi ont encore fait remarquer à propos du nom et de l’image de la colombe une autre caractéristique très subtile, tirée de l’histoire de la découverte de ces mêmes Indes, sachant que le premier découvreur et premier navigateur à y aborder était Christophe Colomb. Ils ajoutent que c’est à cela que faisait allusion le prophète lorsqu’il appelait colombes (ou colombs) tous ceux qui suivent la même route et autre navigation des Indes : « Nomine columbæ […] alludit ad Christophorum Columbum, qui nobis iter ad illas oras primus aperuit168. » Et tout cela est dit beaucoup mieux et d’une manière bien mieux appropriée que ce que racontèrent les Anciens à propos des Argonautes, lorsqu’ils allèrent conquérir la Toison d’or en Colchide, et qu’ils étaient guidés par une colombe : Et qui movistis duo littora, cum ratis Argus/Dux erat, ignoto missa columba mari169. » Les Potosi et autres mines d’or ou d’argent, que ces autres Argonautes devaient aller conquérir en même temps que des âmes pour l’Église, le prophète ne les a pas oubliés non plus : « et adducam filios tuos de longe, argentum eorum et aurum eorum cum eis », « beaucoup d’or et beaucoup d’argent, et de nombreux fils pour l’Église, tout cela depuis si loin ! ». Et pour que ne fussent point oubliées les flottes des Indes : « et naves maris in principio » – ou (comme Foreiro le déduit à partir de l’hébreu) : « et naves maris cum primaria, seu prætoria » –, ces nefs n’étaient pas isolées dans leur navigation, mais regroupées en flottes avec leurs capitaines. Finalement, ces hommes pélerins devaient construire les murs de l’Église sur ces terres : « et ædificabunt filii peregrinorum muros tuos » – et les ministres de tout cela devaient être les rois eux-mêmes, comme le sont avec tant de piété les rois catholiques : « et reges eorum ministrabunt tibi ».
72Le passage d’Isaïe, au chapitre quarante et un, est également bien connu :
Egeni et pauperes quærunt aquas, et non sunt ; lingua eorum siti aruit. Ego Dominus exaudiam eos ; Deus Israel non derelinquam eos. Aperiam in supinis collibus flumina, et in medio camporum fontes ; ponam desertum in stagna aquarum, et terram inviam in rivos aquarum. Dabo in solitudine cedrum, et spinam, et myrtum, et lignum olivæ ; ponam in deserto abietem, ulmum et buxum simul, ut videant et sciant, et recogitent, et intellegant pariter, quia manus Domini fecit hoc.170
73Combien de pauvres gens, de misérables sont en train de mourir de soif par manque d’eau, vivant comme ils vivent en plein paganisme, privés qu’ils sont de l’eau du Baptême ! Mais Moi (dit Dieu), qui suis aussi leur Seigneur, Je les entendrai et Je ne les oublierai pas : « Ego Dominus exaudiam et non derelinquam eos. » Dans ces montagnes, dans ces déserts secs et stériles je ferai naître des sources et jaillir des rivières abondantes, et aussi peu de chemins qu’il y ait en ces terres, j’ouvrirai des chemins pour qu’arrivent jusqu’à eux les eaux dont ils ont besoin : « et terram inviam in rivos aquarum ». Et là où l’on n’a jamais cueilli aucun fruit, je ferai que l’on récolte des fruits copieux et de toute sorte : « Dabo in solitudine cedrum, et spinam, et myrtum, et lignum olivæ », pour que le monde sache et connaisse combien je suis puissant et que toute cette œuvre est de ma main : « ut videant et sciant, quia manus Domini fecit hoc ».
74Saint Cyrille, saint Jérôme, Procope et Théodoret171 interprètent ce texte comme signifiant la conversion des gentils, que Dieu devait convertir par la prédication de l’Évangile, mais ils ne dirent pas qui étaient ou devaient être ces gentils, parce qu’ils ne les connaissaient pas. Par contre, les Docteurs modernes nous ont dit qui ils sont. Le père Cornelius, après le très révérend Claude Acquaviva172, général de notre ordre, dit ainsi : « Hæc etiam hodie in Japone, Brasilia, China, aliisque Indiarum pronvinciis impleri magna lætitia conspicimus173 », autrement dit « que s’est accomplie et continue à s’accomplir la prophétie au Japon, au Brésil, en Chine ».
75Jusqu’ici nous étions, avec Isaïe, sur la terre ferme, passons maintenant du côté des îles, qui sont les premières par où commencèrent les découvertes. Au chapitre cinquante-huit, Isaïe parle des grandes œuvres qu’accomplira l’homme miséricordieux, et comme la plus grande œuvre et la plus grande miséricorde de toutes est de sortir les âmes de l’Enfer, comme on sort celles des païens, quand par la lumière de la foi on leur montre le chemin du salut, les mots du prophète ne peuvent s’entendre à la lettre d’aucune autre manière qu’à travers notre infant Dom Henrique, initiateur des découvertes, dont le principal objectif dans cette entreprise, comme le disent toutes nos histoires, a été le pur zèle, très pieux, de la religion et de la conversion des gentils. Les paroles d’Isaïe sont les suivantes :
Et ædificabuntur in te deserta sæculorum, fundamenta generationis, et generationis suscitabis, et vocaberis ædificator sepium, avertens semitas in quietem.174
Par vous se peupleront les déserts vides depuis des siècles, vous lancerez les fondements de générations nouvelles, vous serez appelés à construire des enceintes et à faire en sorte que ceux qui errent sans cesse y trouvent leur place.
76Ainsi furent en toutes choses les œuvres du prince Henri, poursuivies ensuite par les rois du Portugal, qui continuèrent ce qu’il avait entrepris. Tout d’abord, c’est grâce à lui et par lui que furent peuplés les déserts séculaires, car de nombreuses îles, qui dès l’origine du monde et pendant tant de siècles étaient restées désertes, inconnues et sans peuplement (comme l’île de Madère, les Terceiras ou Açores), par lui furent découvertes, peuplées et aménagées, et de désertes qu’elles étaient anciennement, ces îles sont devenues aujourd’hui si peuplées et populeuses, et si joliment ennoblies par de superbes villes et de somptueux édifices, que l’on peut dire : « ædificabantur in te deserta sæculorum ». Et de la même manière que ce prince glorieux lança dans ces îles stériles et désertes les premiers fondements de la génération humaine, faisant en sorte qu’elles fussent peuplées d’hommes, ainsi en d’autres îles, qui étaient habitées par des barbares (comme l’étaient les Canaries et le Cap Vert), lança-t-il les premiers fondements de la génération divine, faisant en sorte que par le moyen de la prédication et de la lumière de l’Évangile, ces barbares païens connussent Dieu et fussent engendrés dans le Christ : « fundamenta generationis et generationis suscitabis ». Le moyen dont usèrent pour cette seconde et si importante génération les princes très religieux du Portugal fut d’envoyer des religieux dans toutes ces conquêtes, des gens de grande vertu et de grand savoir, pour qu’ils y fondassent et construisissent des couvents des divers ordres, et c’est pour cela que le prophète dit que le premier auteur de cette œuvre sera appelé le « constructeur d’enceintes », lesquelles sont, comme l’ont noté plusieurs commentateurs, les enceintes et les cloîtres des divers ordres : « et vocaberis ædificator sepium ». Finalement, le prophète ne tait pas non plus quel fruit est issu de cette sainte industrie parmi tous ces peuples païens et barbares, lequel fut qu’alors qu’ils vivaient en brousse à l’égal des animaux, ces gens-là fussent pacifiés, qu’ils s’établissent et vécussent comme des hommes, ce qui est dit ainsi : « avertens semitas in quietem ».
77C’est dans ce sens exact et littéral que Bozio explique le texte d’Isaïe, mais avant de transcrire ses propres paroles, je veux ici citer notre João de Barros175, lorsqu’il rapporte ce que disaient et médisaient de cette entreprise de l’infant ceux pour qui elle était inutile et infructueuse :
Les anciens rois de ce royaume [disaient-ils] ont toujours fait venir des gens des royaumes étrangers pour y créer des colonies de peuplement, et lui veut envoyer les naturels du Portugal pour peupler des terres vides à travers tous les périls de la mer, de la faim et de la soif, dont souffrent tous ceux qui vont là-bas. Certes, il y a peu, son père lui a donné un autre exemple en attribuant les terres incultes de Lavre, près de Coruche, à Lambert des Orches, Allemand, pour qu’il les mît en valeur et peuplât, avec obligation d’y amener d’Allemagne des habitants étrangers, et il n’envoya pas ses vassaux au-delà des mers cultiver les terres que Dieu avait laissé en pâture aux brutes. Et l’on vit bien que ces parages leur sont plus naturels qu’à nous, car en quelques jours, une lapine s’y multiplia de telle sorte qu’elle fit fuir tout le monde de la première île, tel un avertissement de Dieu, lequel tenait à ce que cette île ne fût rien d’autre que la pâture des bêtes, et non un lieu où nous pussions demeurer ; et quand on veut, comme le dit l’infant, trouver des gens en ces terres de Guinée, nous ne savons pas qui ils sont, ni quelles sont leurs habitudes de combat, et si cela devait être une terre aussi barbare que les Canaries, où les naturels vont de rocher en rocher comme des chèvres, jetant des pierres contre tous ceux qui essaient de les réduire, quel profit pouvons-nous tirer de régions si stériles et rudes, et de la capture de gens si frustes ? On ne peut certainement s’attendre à rien d’autre d’eux qu’ils ne rendissent plus difficile la maintenance de ces terres et qu’ils vinssent dévorer nos travaux, perdant là parents et amis en échange de gloutons de cette espèce.176
78C’est ce que débattaient et disaient les sages et fins politiques de ce temps, qui sont toujours les instruments les plus affûtés dont le monde et le Démon usent pour faire obstacle aux œuvres de Dieu. Mais ces terres stériles sont celles-là mêmes que l’on voit aujourd’hui, par le zèle et la constance de ce prince, si peuplées, cultivées et riches, et ces barbares, qui comme des animaux sautaient de roche en roche, sont ceux qui aujourd’hui y vivent dans la paix, l’humanité, l’ordre et la civilité chrétienne, non seulement eux mais un nombre infini d’autres.
79Les propos de Bozio, que nous avons promis de citer, sont les suivants, ils se trouvent au livre vingt, chapitre septième :
Idem perfectum videmus in insulis, quas Tertieras vocant, Hispaniæ in Oceano adjacentibus Occidentem versus ; similiter in Canariis, quas nomine Promontorii Viridis appellant, Sancti Laurentii Ascencionis, et omnibus quæ Africa litora respiciunt ; amplius cunctisque, quas Oceanus alluit, latissimis etiam regionibus Indiarum, sive Orientem sive Occidentem solem, vel Austrum, Boreamve spectantibus idem contingit ; neque finis ullus hucusque apparet. Oppida innumera et civitates pulcherrimæ passim conduntur, in quibus constituuntur cœtus hominum, excitantur fundamenta generationis et generationis eorum, qui bestiarum modo prius incertis sedibus vagabantur, et in stabulis ipsis habitant.177
80Voilà ce que dit cet auteur si savant, lequel, dans ce même livre vingt, chapitre trois, explique d’autres passages d’Isaïe à propos des îles que les Portugais ont conquises pour le Christ, nommément Ceylan, les Maldives, Socotora, le Japon, Java, les Moluques et autres. Le prophète Isaïe appelle ces îles « de longe », comme au chapitre quarante-neuf : « Audite, insulæ, et attendite, populi de longe », et au chapitre soixante-six : « Ad insulas longe ad illos, qui non audierunt de me »178. Anciennement, tout le monde considérait l’Italie et l’Espagne comme des îles, car elles étaient entourées d’eau, l’une par la Méditerranée, l’autre par l’Océan, mais en vérité ce ne sont pas des îles sinon des terres fermes, et on ne peut pas non plus les appeler « de longe » si on les compare à celles que nous avons découvertes plus tard, qui sont à proprement parler des îles, et des îles très lointaines.
81Mais terminons-en avec Isaïe, à propos d’un texte très connu du chapitre dix-huit, lequel a toujours été considéré comme un des plus difficiles et des plus obscurs de tous les prophètes. C’est celui-ci :
Vae terræ cymbalo alarum, quæ est trans flumina Æthiopiæ, quæ mittit in mare legatos, et in vasis papyri super aquas ! Ite, Angeli veloces, ad gentem convulsam et dilaceratam, ad populum terribilem, post quem non est alius, ad gentem expectantem et conculcatam, cujus diripuerunt flumina terram ejus.179
82Les interprètes anciens ont toujours beaucoup peiné pour trouver la véritable explication et application de ce texte, mais ils n’ont pas trouvé ni ne pouvaient le faire car il leur manquait d’avoir connaissance de la terre et des gens dont parlait le prophète. Les commentateurs modernes découvrirent globalement le sens de la prophétie en disant qu’il fallait l’entendre comme la conversion à la foi de ces terres et de ces gens nouveaux qui récemment furent connus dans le monde avec la découverte des antipodes ; et certains notèrent avec subtilité et parfaite propriété des termes ce que signifie le sens précis de l’expression « ad gentem conculcatam », « des gens foulés au pied », car les Antipodes, se trouvant en dessous de nous, c’est un peu comme si nous les foulions au pied. Mais si l’on y regarde de plus près, à propos de ces gens, de cette terre ou de cette province dont parle la prophétie, on s’aperçoit que les modernes eux non plus n’ont pas découvert le sens propre, vernaculaire et naturel de celle-ci, et ce sens nous allons le révéler et l’exposer ici, après l’avoir recueilli d’une personne savante et versée dans l’étude des Écritures, qui après avoir vu ces gens, foulé ces terres et navigué sur les eaux dont parle le texte, a fini par tout comprendre. Et elle l’a compris vraiment, comme nous le verrons et le verront mieux encore ceux qui auront lu les exposés anciens et modernes à ce sujet.
83Cornelius a pensé que le prophète parle de l’Éthiopie et du prêtre Jean, mais l’Éthiopie elle-même ne peut être au-delà de l’Éthiopie, comme le dit le texte. Malvenda180 (et un autre qu’il cite) comprend qu’il s’agit des Chinois et des Japonais, et il applique aux navigations des Portugais la paraphrase « chaldéenne » :
Chaldeæus interpres hæc verba Isaiæ in hunc modum reddidit : « Vae terræ, ad quam veniunt cum navibus a terra longinqua, et vela sua extendunt, ut aquila, volans alis suis. » Apposite in Indiam, quæ quondam remotarum gentium frequentibus navigationibus petebatur, et nunc ab extremo Occidente Lusitanorum victricibus classibus aditur, quæ etiam ipsas sinarum oras prætervectæ, Japoniorum insulas tenent.181
84Mais cet exposé, comme celui de Mendonça et de Rebelo182 (qui entendent dans le texte l’Inde orientale), a contre lui ce que nous dirons par la suite. José Acosta, si versé dans les Écritures comme dans la géographie et l’histoire des Indes Occidentales, Ludovico Legionense, Thomas, Arias Montano, Frédéric van Lummen, Martin Delrío183 et d’autres disent (fort bien) qu’Isaïe a parlé de l’Amérique et du Nouveau Monde, et cela est facile et clair à prouver parce que cette terre que décrit le poète se trouve au-delà de l’Éthiopie – « trans flumina Æthiopiæ » – et c’est une terre après laquelle il n’y en a plus d’autre – « ad populum post quem non est alius ». Or, ces deux indices ne se peuvent vérifier qu’en Amérique, qui est une terre qui se situe au-delà de l’Éthiopie et après laquelle il n’y en a point d’autre, si ce n’est la vaste étendue de la mer du Sud184. Mais dans la mesure où Isaïe donne autant de détails particuliers et tant d’éléments d’individualisation, il est clair qu’il entend montrer qu’il ne s’agit pas de toute l’Amérique ni de tout le Nouveau Monde dans son ensemble, mais d’une province bien particulière, et comme les auteurs plus haut cités ne nous disent pas de quelle province il s’agit, il sera nécessaire que nous le disions, ce que je vais faire maintenant.
85Je dis premièrement que le texte d’Isaïe se réfère au Brésil, parce que le Brésil est la terre qui se trouve directement au-delà et de l’autre côté de l’Éthiopie, comme dit le prophète : « quæ est trans flumina Æthiopiæ », ou, comme le traduit et commente François Watebled185 : « terra quæ est sita ultra Æthiopiam (quæ Æthiopia scatet fluminibus)186 ». Or, l’original hébreu dit au pied de la lettre : « de trans flumina Æthiopiæ », et cette expression « de trans », comme l’a fait remarquer Malvenda, est un hébraïsme, semblable à celui de notre propre langue : les Hébreux disent « de trans » et nous nous disons « de trás » [derrière]. Et ainsi, du point de vue de la géographie de ces terres, il se trouve que par rapport à Jérusalem, et en tenant compte de la rotondité du globe terrestre, le Brésil se trouve immédiatement « derrière » l’Éthiopie.
86Le prophète ajoute que les gens de cette terre sont terribles : « ad populum terribilem », et il ne peut y avoir de gens plus terribles parmi toutes les espèces qui ont figure humaine que ceux-là (qui sont les Indiens du Brésil), qui non seulement tuent leurs ennemis, mais qui, après les avoir tués, les dépècent, les font rôtir et les mangent ; ils les chassent d’ailleurs à cette fin et ce sont leurs propres femmes qui les préparent, invitent les hôtes et les aident à se régaler des ces mets délicats tout à fait inhumains. Et ainsi a-t-on vu pendant ces guerres, alors que ces barbares étaient encerclés, leurs femmes grimper en haut des tranchées ou des palissades qui leur tiennent lieu de murs, et montrer aux nôtres les marmites dans lesquelles elles entendaient les faire cuire. Ils font également leurs flûtes avec des os humains et ils en jouent, les portant à leur bouche sans aucune horreur, et c’est chez eux une règle de noblesse que de ne pouvoir porter un nom qu’après avoir brisé le crâne de quelque ennemi, même si c’est un crâne déterré, et tout cela accompagné de cérémonies cruelles, barbares et véritablement terribles.
87Au lieu de « gentem conculcatam », [Théodoret] de Cyr187 lit « gentem depilatam », « des gens dépourvus de poils », et c’est bien ce qui se passe chez les Indiens du Brésil qui, dans leur grande majorité, n’ont point de barbe et dont la peau, sur la poitrine et sur tout reste du corps, est dépourvue de pilosité, à la grande différence des Européens.
88Tels sont les indices communs que nous donne le prophète sur cette terre et sur ces gens, mais comme il donne avec beaucoup de détails d’autres indices plus particuliers, qui ne correspondent pas à l’ensemble des gens et des terres du Brésil, il est à nouveau nécessaire que nous aussi nous déclarions dans quelle province et chez quels habitants ces détails sont en parfaite correspondance. Et nous allons montrer, avec la plus exacte propriété, que cette province est celle que nous appelons vulgairement le Maragnon, qui pour être peu connue et rarement citée par les écrivains, se trouve privée, ce qui n’est pas étonnant, par manque d’information et oubli obscur, de l’honneur de ce fameux oracle d’un des prophètes les plus illustres qui, de fait, a parlé si expressément de ces gens-là.
89Donc, le prophète dit que ces hommes sont des gens à qui les fleuves ont volé leur terre : « cujus diripuerunt flumina terram ejus ». Et ces particularités sont décrites avec une admirable exactitude, car sur toute cette terre (où les fleuves sont infinis, les plus grands et les plus puissants du monde) presque tous les terroirs sont inondés et couverts d’eau douce, sans que l’on voie autre chose pendant plusieurs jours de voyage que des forêts, palmeraies et arbres gigantesques, dont les racines et les troncs s’enfoncent dans l’eau ; très rares sont les endroits, sur des distances de cent, deux cents lieues et même plus, où l’on puisse poser le pied en terre ferme, et l’on doit toujours naviguer au milieu d’arbres très épais de l’un et l’autre côté, par des ruelles, traverses et places d’eau que la nature a laissées à découvert, libres de végétation. Et comme ces lieux inondés sont chose commune dans toutes les terres de cette côte, on voit qu’il s’agit de destructions et de rapines que les fleuves ont faites à la terre, plus particulièrement encore dans ce très vaste archipel du fleuve qu’on appela jadis d’Orellana et que l’on nomme aujourd’hui des Amazones188, dont les terres sont dominées et noyées par les eaux, au point que sont très rares et fort étroits les endroits un peu plus élevés, fort éloignés les uns des autres, où les Indiens ont pu établir leurs villages, lesquels Indiens pour cette raison ne vivent pas à même le sol, mais dans des habitations construites sur pilotis, que l’on appelle juraus, pour que les eaux des plus grandes crues puissent passer sous elles189. Et du fait que les arbres eux-mêmes, ayant leurs racines et leurs troncs cachés par l’eau, surnagent et apparaissent au-dessus d’elle, la seule différence qu’il y ait entre arbres et maisons est que les uns ont une ramure verte et que les autres sont faites de palmes séchées.
90C’est ainsi que vivent les Nheengaibas, Guaianas, Mamaianas190 et autres tribus anciennement très populeuses, dont on dit avec justesse qu’ils marchent plus avec leurs mains qu’avec leurs pieds, car ils ne peuvent faire un pas sans se saisir d’une pagaie, les fleuves leur restituant la terre qu’ils leur ont prise par les fruits sauvages des arbres dont ils se nourrissent (leur cueillette est fort propre, car tous tombent dans l’eau) et par une grande quantité de tortues et de lamantins (qui sont les troupeaux qui paissent dans ces parages), en plus de quelque autre poisson ou de la chasse d’oiseaux et meutes de porcs sauvages, qui en des lieux moins submergés, dans la boue et entre les racines des arbres se nourrissent de leurs fruits. Et le prophète ajoute que ce n’est pas le fleuve, mais les fleuves qui provoquent cela, car bien que le fleuve des Amazones soit célèbre pour son immense grandeur, toute cette région est faite d’une accumulation de très nombreux autres fleuves, qui y viennent déboucher et se joindre à lui, communiquant entre eux et mélangeant leurs eaux, comme s’ils s’étaient unis et avaient conjuré leurs forces pour ce vol qu’ils ont fait à la terre : « cujus diripuerunt flumina terram ejus ».
91Le prophète poursuit sa description et il dit que les habitants de cette province sont des gens « que l’on a arrachés de leur terre et dispersés » : seul l’Esprit saint aura pu résumer en deux mots l’histoire et l’infortune récente de ces gens. Quand les Portugais ont conquis les terres de Pernambouc, les Indiens désespérant (malgré leur courage et une résistance de nombreuses années) de vaincre contre nos armes, certains se soumirent, restant sur leurs propres terres, d’autres, par une généreuse résolution, refusèrent la servitude et s’enfoncèrent vers l’intérieur, où ils sont encore fort nombreux, d’autres encore, fuyant du côté de la mer, réapparurent du côté du Maragnon et là, comme soldats fort expérimentés et rompus à affronter un ennemi aussi puissant, firent à l’encontre des habitants ce que nous leur avions fait à eux. De ce périple et de cette guerre, il s’ensuivit pour tous ces gens les deux effets que relève Isaïe, ils furent « arrachés à leur terre et dispersés » : les vainqueurs furent arrachés à leurs terres, car les Portugais les avaient chassés de chez eux, et également dispersés, cela parce qu’ils se retrouvèrent isolés en divers endroits, puisque après leur victoire ils durent, pour maintenir leur pouvoir de violence, se diviser en petites colonies, fort distantes les unes des autres ; les vaincus quant à eux furent également arrachés de leurs terres, car les Toupinambas (comme s’appellent les Pernamboucains) les chassèrent de leur patrie, et aussi (à plus forte raison) dispersés, car, ne pouvant résister, beaucoup d’entre eux s’enfuirent par petits groupes par les forêts et les fleuves, suivant diverses directions, où ils s’établirent, sans que pour autant de nouveaux ennemis ne les séparassent à nouveau. Ainsi les uns et les autres furent-ils « arrachés de leurs terres » et les uns et les autres furent aussi « dispersés » : « gentem convulsam et dilaceratam ».
92De la même manière, connus déjà pour le sort qui leur était réservé, le prophète les décrit aussi, et d’une façon détaillée, pour leur connaissance et leur art de la navigation, domaine où les Maragnons sont très réputés parmi les Indiens, car ils ont été soit les premiers inventeurs de leur science nautique (comme des gens qui sont nés et ont été élevés beaucoup plus dans l’eau que sur terre), soit que par leur savoir-faire ils firent grandement progresser le caractère rudimentaire des embarcations dont usaient les premiers habitants. Tant et si bien que la principale nation de cette région, prenant le nom même de cet art de naviguer et des propres embarcations qui naviguaient par là, se nomment les Iguaranas, parce que leurs embarcations, qui sont des pirogues, s’appellent dans leur langue des igaras, et de ce nom d’igaras dérive la dénomination des Iguaranas, comme si nous disions les « nautes », ou les « constructeurs et seigneurs des nefs ».
93Isaïe dit que ces gens dont il parle sont un peuple « qui mittit in mare legatos et in vasis papyri super aquas » : « qui mande sur les eaux d’un côté et de l’autre ses ambassadeurs sur des canots taillés dans des troncs d’arbres ». Toutes les paroles du prophète ont leur mystère et toutes décrivent avec une grande exactitude les gens dont elles parlent. Le prophète dit que le peuple envoie ses représentants, et « peuple » est bien l’antécédent du pronom relatif « qui », car en effet ces gens n’ont pas de roi ; c’est le peuple lui-même, la nation elle-même qui élit ceux qui leur paraissent avoir le meilleur talent, aussi bien pour les affaires de paix que pour celles de la guerre, et c’est bien ce que veut dire le mot legatus, tel que l’utilisent les auteurs de langue latine. Le prophète dit aussi qu’ils vont sur l’eau sur des canots creusés dans des troncs d’arbres, car c’est en cette matière et par cette technique que les embarcations sont faites. Dès lors qu’ils ont acquis l’usage du fer, ils se sont mis à creuser des troncs d’arbres et à faire dans un seul tronc de très grandes pirogues, dont l’auteur de ces lignes a eu l’occasion de voir l’une d’entre elles, de dix-sept empans de large et cent de long. Mais avant qu’ils ne connussent le fer, ils élaguaient ces mêmes troncs, lesquels sont très grands et très droits, en retirant l’écorce sur toute la longueur, et en faisaient leurs embarcations. Et l’on ne saurait mettre en doute que le prophète dise aussi que ces embarcations allaient en mer, « qui mittit in mare », car outre qu’elles allaient effectivement en mer, cet immense archipel d’eau douce dont nous avons parlé porte dans leur langue le nom de « mer » à cause de son étendue, et c’est de là qu’est venu le nom que les Portugais lui attribuèrent de « Grand Pará » ou « Maragnon », deux termes qui veulent dire « grande mer », puisque para signifie « mer »191.
94À partir de tout ce que nous venons de dire jusqu’ici, il sera plus facile d’entendre la grande énigme des premiers mots du texte du prophète, que voici : « Vae terræ cymbalo alarum ». Ce passage a causé bien des soucis aux interprètes et les a poussés à dire beaucoup de choses impropres et contre raison, comme ceux qui parlent à la devinette et n’ont rien deviné et ne pouvaient le faire. Les Septante192, au lieu de « terræ cymbalo alarum », ont lu « terræ navium alarum », ce qui signifie la même chose, car les termes hébraïques dont ces deux versions sont tirées ont le même sens et signifient : « Malheur au peuple dont les vaisseaux ont des ailes », ou encore « Malheur au peuple dont les cloches ont des ailes ».
95Si ce sont des cloches, comment peut-il s’agir de navires ? Et si ce sont des navires, comment peut-il s’agir de cloches ? Cette difficulté fut jusqu’à présent une torture pour les esprits des commentateurs sacrés, depuis 1600 jusqu’à nos jours. Mais comment pouvaient-ils comprendre l’énigme s’ils ne savaient pas de quelle terre il s’agissait et s’ils en ignoraient la langue ? Pour l’intelligence du véritable sens de ce texte, de cette énigme, il faut se souvenir que le mot latin cymbalum, par lequel nous désignons nos cloches de métal, signifie aussi n’importe quel autre instrument qui puisse faire autant de bruit et de vacarme, et telles sont les cymbales dont usaient anciennement ces gens-là, lesquelles portaient divers noms comme « sistres », « crotales » ou « crécelles », d’où le nom général de « cymbales ». Ainsi l’expliqua avec grande érudition Charpentier193, traduisant en vers ce même passage d’Isaïe : « Vae tibi, quæ reducem sistris crepitantibus Apim / Concelebras, crotalos et inania cymbala pulsans194. »
96Il faut également se souvenir que les Maragnons utilisaient des instruments qu’ils appellent maracas, non point de métal, car ils n’en avaient pas, mais faits avec des calebasses ou de grandes noix de coco, dans lesquelles ils introduisaient des cailloux ou des graines de divers fruits, durs et préparés pour qu’ils fissent grand bruit et vacarme ; ils se servaient des plus petits pour les fêtes et les danses, et des plus gros pour la guerre. Et ces maracas étaient proprement leurs cymbales ou leurs cloches, et ainsi lorsqu’ils virent les cloches dont nous usons, ils les appelèrent itamaracas, ce qui veut dire « maracas (ou cloches) de métal ». Ceci posé, le commentateur qui est allé le plus loin dans l’investigation de cette énigme a été Miguel de Palacio195, lequel dans son commentaire littéral de ce passage d’Isaïe dit ainsi : « Fortasse indicus usus nominis cymbali, ut notet navem, antiquitus inolevit apud Hebræos tempore Isaiæ196 », « Il est probable [dit-il] qu’au temps d’Isaïe les embarcations des Indiens furent appelées cloches chez les Hébreux ». Et je dis, moi, ne serait-ce pas plutôt parce que les embarcations des Indiens dont parle Isaïe s’appelaient elles-mêmes cloches, ou qu’elles auraient pris ce nom, non pas parce que ce nom était utilisé chez les Hébreux, mais parce qu’il l’était chez les Indiens eux-mêmes ? Il en était et il en est ainsi, et de cette façon se trouve expliquée et comprise cette énigme si ancienne et si obscure d’Isaïe.
97Les plus grandes embarcations des Maragnons s’appellent des maracatim, terme dérivé de maracas qui, comme nous l’avons dit, signifie « cloche » chez eux, et la raison qui leur faisait donner ce nom à leur plus grandes embarcations est que, lorsqu’ils partaient pour une bataille navale (ce qui était coutumier chez eux), ils plaçaient à la proue un de ces maracas, un très gros, attaché aux mâts ou à de longs bâtons, et l’agitant avec force très habilement, en accompagnement naturel du mouvement des canots et des rameurs, ils produisaient un vacarme barbare et guerrier tout à fait horrible. Et comme la proue du canot s’appelle tim, tiré d’une métaphore désignant le nez des humains ou le bec des oiseaux, qui a le même nom, en ajoutant le mot tim au mot maraca, ils ont appelé leurs canots ou leurs grandes embarcations maracatim. C’est le nom qu’ils utilisent encore aujourd’hui et par lequel ils désignent nos navires. Ce n’est rien d’autre que ce que firent les Romains lorsqu’ils appelèrent leurs galères rostratas, à cause des pointes de fer acérées qu’elles avaient à leur proue, une expression qui elle aussi provient d’un nom ou d’une métaphore désignant le bec des oiseaux, qu’on appelle « rostre ». Ainsi donc Isaïe veut dire que la terre dont il parle est une terre où l’on utilise des embarcations qui ont pour nom « cloches », ce que sont très exactement les maracatim des Maragnons.
98Mais toute la difficulté et propriété de l’énigme n’est pas totalement expliquée, puisque le prophète dit que ces embarcations et ces cloches étaient des cloches et des embarcations pourvues d’ailes : « cymbalo alarum, navium alarum ». Tous les commentateurs s’accordent à dire que les ailes étaient les voiles des navires, lesquelles sont bien les ailes des navires, comme le confirme le poète : « velorum pandimus alas197 ». Or, cette explication pourrait être parfaitement admise, s’il ne fallait l’entendre au sens propre et véritable, car le prophète n’allait pas donner comme indice représentatif de ces embarcations une chose si commune et si répandue universellement. J’ajoute donc que le texte parle de véritables ailes d’oiseaux. Comme ces peuplades ne pratiquent pas le tissage ni ne connaissent les tissus, l’usage des plumes est très répandu parmi eux dans toute la beauté des coloris dont la nature a paré les oiseaux, principalement ceux que l’on appelle les guaras, dont il y a une grande quantité, tous grands et rouges, sans mélange d’autre couleur. Ils se parent donc de ces plumes lorsqu’ils veulent se donner l’air brave, principalement quand ils partent à la guerre, pour laquelle ils ornent leurs armes de ces plumes ; non seulement ils les mettent à l’empenne des flèches, mais ils en placent sur les arcs, les rondaches et sur leurs lances de bois et de pierres, qu’ils appellent tangapemas. Et lorsqu’il s’agit d’une guerre navale, ils garnissent leurs canots avec ces plumes rouges de guara, les disposant aussi sur les mâts et les maracas de la proue. C’est pour cela que le prophète, qui voyait toutes ces choses-là et les tenait pour si nouvelles, appela les canots des « cloches » et même des « cloches ailées » : « navium alarum, cymbalo alarum ».
99Et pour qu’il ne manquât point à cette terre une démarcation ou une localisation (comme disent les géographes) en termes de latitude, là où la Vulgate a interprété « gentem expectantem », la transcription exacte de l’hébreu (comme disent Foreiro, Pagnini, Watebled, Sánchez198 et bien d’autres) est « gentem lineæ lineæ », « les gens de la ligne de la ligne », car en effet les Maragons sont ceux qui, au-delà de l’Éthiopie, se trouvent très exactement et perpendiculairement sous la ligne équinoxiale, ce qui rend la propriété de tout cela admirable.
100En effet, comme le mot « lineæ » se répète, c’est le cas aussi dans le texte de expectantem, ce qui permet au prophète de conclure par ce qui est sa principale et totale intention, autrement dit d’exhorter les prédicateurs de l’Évangile à se faire les anges gardiens de tous ces malheureux, lesquels ont besoin que quelqu’un tout à la fois les illumine et les défende : « Ite, Angeli, ad gentem expectantem, expectantem », « des gens qui attendent et attendent encore », car les Maragnons, parmi tous les gens du Brésil, ont été les derniers chez qui soit arrivées la nouvelle de l’Évangile et la connaissance du véritable Dieu, et qu’ils ont attendu ce bien (qui également a tant tardé pour tous les Américains) plus longtemps que tous les autres. Au Brésil, la prédication de la foi n’a commencé qu’en l’an 1501 [sic], l’année où Pedro Alvares Cabral le découvrit, et au Maragnon en 1615 seulement, lorsque Alexandre de Moura en fit la conquête, c’est-à-dire 114 ans après les autres peuples du Brésil199. Mais aujourd’hui encore, leur sort n’est pas meilleur sous l’emprise de ce « vae » du poète : « Vae terræ cymbalo alarum », parce que leur état d’espérance s’est mué en celui de désespérance. Et espèrent-ils se sauver ceux qui sont la cause de tant de maux, et de maux éternels ?
101Nous nous sommes longuement étendu sur l’explication de ce texte, mais il était nécessaire qu’il en fût ainsi par sa difficulté et par le fait qu’aujourd’hui encore il n’est pas compris. Je laisse de côté de nombreux passages du prophète Isaïe, lequel peut être réellement compté au nombre des chroniqueurs du Portugal, par le nombre de fois où il parle des conquêtes spirituelles des Portugais, et des peuples et nations qui grâce à ses prédicateurs se sont convertis à la foi – ce qui a été le premier et principal projet dans lequel s’investirent nos rois très pieux, comme on peut le voir en ce qu’écrivent leurs historiens à propos du roi Dom Manuel, du roi Dom João Segundo, de l’infant Dom Henrique, du roi Dom João Terceiro et du roi Dom Sebastião.
Nous avons épargné au lecteur la suite de ce long débat théologique, sur l’interprétation nouvelle des textes anciens, privé pendant de longues pages de son caractère exotique et par là même stupéfiant. Nous n’avons conservé que la partie finale, où Vieyra revient à l’essentiel, à savoir le double providentialisme des découvertes des Portugais… et du Quint Empire.
B. E.
102Nous verrons au chapitre suivant de nombreux passages des prophètes commentés par des auteurs ayant écrit dans les cent dernières années, depuis que par le moyen de la navigation de la Mer océane a été rompu le fabuleux enchantement des antipodes, jadis niés, et depuis qu’ont été découverts tant de terres et tant de peuples, non seulement inconnus des Anciens, mais ni même présumés ou imaginés par eux. Nous verrons l’admirable exactitude et la profusion des détails avec lesquels ces mêmes prophètes ont décrit les mers, les îles, les navigations, les terres, les lieux, les mines, les arbres, les fruits, les gens, les coutumes, l’aveuglement et l’infidélité dans lesquels ceux-ci vivaient, et surtout la foi et la lumière de l’Évangile, le moyen par lequel grâce aux prédicateurs du Christ ils devaient le connaître, l’adorer et le servir, comme aujourd’hui ils le connaissent, l’adorent et le servent pour la plus grande gloire de l’Église.
103Et maintenant je me demande seulement : comment était-il possible que ces anciens et même très anciens auteurs eussent pu expliquer dans ce sens-là les prophètes, ou comment pouvaient-ils interpréter, si ce n’est comprendre, que c’était de ces gens, de ces terres et de ces mers dont parlaient leurs oracles et leurs prophéties ? Si l’on croyait si fermement et si justement qu’il n’y avait pas ni pouvait y avoir d’antipodes, comment pouvait-on entendre les prophéties sur les antipodes ? Si l’on croyait que l’immensité de la Mer océane n’était pas navigable et que l’on tenait pour absurde la seule idée de cette navigation, comment pouvait-on entendre les prophéties à propos de ces navigations et de ces mers ? Si l’on croyait que la zone torride était un perpétuel incendie et qu’elle était totalement embrasée et inhabitable, comment pouvait-on interpréter les prophéties sur les habitants de cette même zone torride ? Comment pouvait-on penser, ou ne serait-ce même avoir l’idée, que les prophètes parlaient des Américains, si on ne savait pas que l’Amérique existait ? Qu’ils parlaient des Indiens du Brésil, quand on ignorait l’existence du Brésil ? Qu’ils parlaient des Péruviens et des Chiliens, quand on ignorait l’existence du Pérou et du Chili ? Comment pouvait-on interpréter les prophéties des îles désertes ou peuplées de l’Océan, si l’on ne savait pas que ces îles existaient de par le monde ? Comment savait-on que les prophètes parlaient des Éthiopiens d’Occident, quand on ne savait pas qu’une telle Éthiopie existait ? Comment pouvait-on savoir qu’ils parlaient des Japonais, quand on ne savait pas que le Japon existait, ou qu’ils parlaient des Chinois, quand on savait pas que la Chine existait ? Si les prophètes dans les figures énigmatiques de leurs oracles annoncent la nature, les caractères, les coutumes, les mœurs et l’histoire des gens dont ils parlent, comment pouvaient avoir connaissance de ces gens et de ces royaumes ceux qui ne pouvaient savoir leur nature, leurs caractères, leurs coutumes, leurs mœurs ni leur histoire ? Ces terres sont définies à partir de leur situation, de leurs fleuves, de leurs arbres, de leurs fruits, de leurs mines et de leurs métaux ; comment pouvaient connaître ni même deviner ce qu’il en était ceux qui n’avaient aucune information sur leur situation, sur leurs fleuves, leurs mines, leurs arbres ni leurs fruits ? Et même aujourd’hui, après la découverte et la reconnaissance de toutes ces terres et de tous ces peuples, et après qu’on a écrit tant de livres sur leur histoire naturelle et politique, il se trouve encore que, par manque d’informations plus détaillées et précises, on ne sache pas localiser autrement que d’une manière approximative, et sans identification individuelle, certaines terres et certains peuples dont les prophètes ont parlé. Imaginez quelle obscure confusion devait être celle des Anciens, qui ignoraient ni ne pouvaient imaginer toutes ces choses-là et qui tenaient même leurs contraires comme choses vérifiées et certaines ?
104Fray Juan de La Puente200, dans son ouvrage savant sur La Similitude des deux monarchies, la romaine et l’espagnole, lorsqu’il tente d’expliquer certain passage d’Isaïe à propos de l’Espagne, parle ainsi des théologiens, alors qu’il est lui-même maître en théologie : « L’ignorance de la géographie et des autres arts libéraux est la cause de ce que les théologiens ne comprennent pas le sens de l’Écriture divine201. » Et si ceci ne peut se dire des théologiens de notre temps sans qu’il soit fait affront à leur science et à leurs capacités, alors qu’une si grande partie du monde a été découverte et reconnue, c’est bien ce que l’on doit par force reconnaître chez les Anciens, aussi doctes et savants fussent-ils (comme véritablement ils l’étaient), sans affront ni manque de respect pour leur grande érudition et leurs immenses connaissances, car ils connaissaient la géographie de leur monde et ne pouvaient connaître ou deviner celle du nôtre. Seule une nouvelle révélation ou quelque lumière surnaturelle pouvaient permettre aux auteurs de ce temps de connaître ce que nous-mêmes aujourd’hui connaissons si naturellement et avec tant de facilité. Mais cette révélation et cette lumière, pour autant qu’ils fussent des hommes de grande sainteté et aimés de Dieu, ce même Dieu ne souhaita pas qu’ils les eussent, car c’étaient les dispositions établies par sa Providence que toutes ces choses-là ne fussent point connues et restassent cachées jusques aux temps comptés et marqués par elle, moment où il serait décrété qu’elles fussent connues et découvertes.
105« Fide intellegimus aptata esse sæcula verbo Dei, ut ex invisibilibus, visiblia fierent202 », comme le dit l’apôtre Paul : « Dieu disposa et répartit les siècles selon les décrets de sa parole, pour que les choses invisibles devinssent visibles. » Rien d’étonnant donc à ce que de si grandes parties du monde et les gens qui les habitent soient restés inconnus et invisibles pendant tant de siècles, et qu’ensuite soit advenu un siècle où ils fussent découverts et devinssent visibles. Et ainsi, comme, une fois le rideau levé, ces terres et ces gens dont avaient parlé les prophètes ont été découverts et connus, de même découvrit-on et réussit-on à comprendre les secrets et les mystères dont ils avaient parlé dans leurs prophéties. De ces terres ultramarines cachées et inconnues, Isaïe parlait au chapitre vingt-quatre, quand il disait : « In doctrinis glorificate Dominum ; in insulis maris nomem Domini Israel203 », et il ajoutait : « Secretum meum mihi, secretum meum mihi204 », « Ce secret est seulement pour moi, ce secret est seulement pour moi ». Et si dans la même prophétie étaient prophétisées diverses choses et aussi le fait qu’elles devaient rester secrètes, comment se pouvait-il, contre la vérité infaillible de la prophétie, que les Anciens connussent ce secret, avant que ne vienne le temps où Dieu aurait décidé qu’il fût révélé ?
106Le Cantique du prophète Habacuc, qui traite aussi de ces nouvelles découvertes ou triomphes de la foi dans la conversion de ces peuples, a pour titre « Pro Ignorantiis » ou, comme le lisent Aquila et Simaque : « Pro Ignorantionibus »205. Et si le dessein de Dieu était que la compréhension, ou de toutes ou d’une grande partie des choses que le prophète chante, fût impossible, quel grief à eux porté ou quel discrédit de leur part c’est, ou ce pourrait être, qu’elles restassent occultes, inconnues et ignorées des anciens savants ? Les hommes peuvent garder leurs secrets, Dieu dès lors ne pourrait-il pas aussi garder les siens ? Comme il est donc certain que ces secrets de la Divine Providence ne pouvaient être percés par la science humaine et que cette même Providence avait décidé qu’ils ne seraient pas connus par la révélation…
Le texte s’interrompt ici et reste inachevé.
Dans les deux éditions courantes, Sá da Costa (1953) et Casa da Moeda (1982, HF), la dernière phrase porte un simple point d’interrogation. Elle précède le fameux « Laus Deo » des textes anciens. La chute est alors ainsi rédigée : « Comme si la Providence ne pouvait pas aussi décréter que cela ne serait connu par aucune révélation ? ! »
B. E.
Notes de bas de page
84 Alfonso (ou Alonzo) de Castro (1495-1558), religieux espagnol, auteur d’un traité contre les hérésies (voir, ci-après, note 86) ; saint Pierre Canisius (1521-1597), jésuite hollandais.
85 « Les Pères avaient seulement l’intelligence de leur propre temps. De nombreuses époques leur étaient absolument inconnues ou obscures, et insuffisamment expliquées ; ces époques n’étaient pas laissées à la postérité pour les examiner, les éclairer et les expliquer attentivement, sans la volonté certaine de Dieu. » (A. de Castro, De Sancta Maria Virgine Deipara, I, vii, p. 50)
86 « C’est grâce à cela que nous connaissons aujourd’hui bon nombre de choses ignorées ou totalement inconnues des premiers Pères. » (A. de Castro, Adversus omnes haereses, I, 2)
87 Rupert ([ ?] 1070-[ ?] 1130), bénédictin allemand auteur d’exégèses.
88 « Sachez, Père, que, de même que dans le reste des Écritures, je me suis consacré dans le douzième volume des Prophètes à la recherche du Christ. » (Rupert, Commentaires sur les prophètes mineurs, prologue)
89 Richard de Saint-Victor (mort en 1173), religieux d’origine écossaise, qui a officié dans le couvent Saint-Victor, à Paris.
90 In visionem Ezechielis, « Prologus » (Sur les visions d’Ézéchiel, « Prologue »).
91 Matthieu, 13, 52.
92 « Car ce n’est pas uniquement l’homme, mais également l’Église du Christ qui croît en sagesse avec le temps, et qui découvre par l’Esprit saint les lumières de tel ou tel enseignement religieux. » (Canisius, De Beata Virgine)
93 « Qui est celle, qui s’avance, qui apparaît comme l’aurore […] ? » (Cantique, 6, 10)
94 « Nous tous, dont le visage découvert reflète la gloire du Seigneur, nous sommes transformés en la même image, de gloire en gloire […]. » (2 Corinthiens, 3, 18)
95 « Et [Jésus] croissait en sagesse, en stature et en grâce » (Luc, 2, 52). Vieyra simplifie « en sagesse et en âge ».
96 Vincent de Lérins (mort en 450), compagnon de saint Honorat, évêque d’Arles. « L’intelligence, la science et la connaissance doivent s’accroître et se développer abondamment et considérablement par les degrés du temps et des générations, tant pour chacun en particulier que pour tous, tant pour chaque homme que pour l’Église universelle. » (Commonitorium [Aide-mémoire], I, 23)
97 « C’est lui qui a donné […] les autres comme pasteurs et docteurs, pour le perfectionnement des saints, cela en vue de l’œuvre de ministère et de l’édification du corps du Christ, jusqu’à ce que nous soyons tous parvenus à l’unité de la foi et de la connaissance du Fils de Dieu, à l’état d’homme fait, à la mesure de la stature parfaite du Christ. » (Éphésiens, 4, 11-13)
98 Domingo Báñez (1528-1604), dominicain espagnol et directeur spirituel de sainte Thérèse, surtout connu pour son débat avec le jésuite Molina sur la question de la grâce.
99 C’est le point crucial, à l’époque de Galilée, comme nous l’avons suggéré dans l’introduction du présent ouvrage. On remarquera l’éclectisme de Vieyra qui, semble-t-il, n’est dupe de rien, surtout dans un chapitre comme celui-ci, mais qui sait aussi se taire.
100 « [C’était la véritable lumière] qui, en venant dans le monde, éclaire tout homme. » (Jean, I, 9)
101 Les derniers mots de l’Évangile de Matthieu : « Et voici, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde. » (Matthieu, 28, 20)
102 « J’ai encore beaucoup à vous dire, mais vous en seriez maintenant accablés. Quand il viendra, lui, l’Esprit de vérité, il vous conduira dans toute la vérité. » (Jean, 16, 11-12)
103 « La règle de la foi est absolument une, règle seule immuable, n’admettant aucune réforme. […] Tant que cette loi de la foi demeure intacte, tout le reste, qui regarde la discipline et la conduite, admet la nouveauté par une sorte d’amendement, sous la direction de la grâce de Dieu qui opère et nous perfectionne jusqu’à la fin. Quelle apparence, après tout, que, le démon travaillant sans relâche et ajoutant chaque jour à l’esprit d’iniquité, l’œuvre de Dieu s’interrompe ou cesse de nous perfectionner, surtout quand le Seigneur n’a envoyé le Paraclet qu’afin que l’homme, impuissant par sa faiblesse à tout comprendre à la fois, fût dirigé peu à peu, façonné et conduit à la perfection de la discipline par l’Esprit saint, vicaire du Seigneur ! […] Quel est donc le ministère du Paraclet, sinon de régler la discipline, d’interpréter les Écritures, de réformer l’intelligence, de nous avancer de plus en plus dans la perfection ? » (Tertulien, Du voile des vierges, I, 4)
104 « Il faut bien qu’il y ait aussi parmi vous des groupes divergents » (1 Corinthiens, 11, 19).
105 « Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi ; et qu’il boive. Celui qui croit en moi, des fleuves d’eau vive couleront de son sein, comme dit l’Écriture. » (Isaïe, 58, 11) « Il dit cela de l’Esprit qu’allaient recevoir ceux qui croiraient en lui. » (Jean, 7, 32)
106 « La petite source qui s’agrandit en un fleuve, et se transforma dans la lumière du soleil, et rejaillit en de multiples cours d’eaux. » (Vulgate, Esther 10, 6)
107 « Je n’omets pas de dire ce que certains, comme par crainte des Pères, refusent de prendre en compte et passent sous silence, ne présumant rien qui n’ait été avancé par leurs ancêtres. Sous le voile de leur inertie ils sont engourdis par l’inaction, et cependant ils raillent l’application d’autrui à rechercher et à trouver la vérité, ils s’en moquent et en rient ; mais c’est d’eux que celui qui habite au ciel, le Seigneur, rira et se moquera. » (R. de Saint-Victor, Sur les visions d’Ézéchiel, prologue)
108 Tous ces gens sont bien connus, y compris Cham (Genèse, 9, 18-25). Quant à John Wycliffe (Wilklef dans l’original), c’est un des précurseurs de la Réforme anglicane ([?] 1320-1384).
109 Melchior Cano (1509-1560), dominicain espagnol, professeur de théologie à Salamanque, a participé notamment à la controverse de Valladolid (1550).
110 Tous ces auteurs, y compris Castro (déjà cité, voir, ci-dessus, note 84), sont des exégètes et commentateurs modernes, familiers des lectures de Vieyra : Sixte Senense (naturel de Sienne), franciscain devenu dominicain (1520-1569) ; Ferdinando Vellosillo (mort en 1578), évêque de Lugo, en Galice (et non de Lucques, en Italie, comme indiqué dans l’original) ; Antonio Possevino (1534-1611), jésuite italien ; César Baronio (1538-1607), oratorien italien.
111 « Les auteurs canoniques, semblables à des êtres supérieurs, célestes, divins, observent une constance stable et éternelle ; les autres auteurs sont saints, mais inférieurs et humains ; parfois ils pèchent, et parfois ils produisent un monstre, à cause de l’ordre établi et de leur disposition naturelle à cela. » (M. Cano, De locis theologicis, VII, 3)
112 On distingue en effet traditionnellement la théologie spéculative (scholastique) et la théologie positive (exégèse, histoire, etc.) (voir Besselaar, LAHF, p. 163).
113 Évêque de Sicca, ville de Numidie (Ve siècle).
114 Jean de Jérusalem (1042-1120), auteur de prophéties controversées. Il s’agit bien de la lettre 82 (§ 7), et non 62, comme l’indique Cidade (voir Œuvres de saint Jérôme, Paris, Dessez, 1837).
115 « Nous sommes hommes ; et l’une des preuves de notre faiblesse humaine, c’est de concevoir parfois de fausses idées sur la nature des choses. Mais s’attacher exclusivement à son propre sentiment, et jalouser ceux qui ont raison contre nous, et cela jusqu’à se séparer de l’unité et former schisme ou hérésie, c’est là une présomption véritablement diabolique. Enfin, ne jamais se tromper, c’est un privilège qui n’appartient qu’aux anges. » (saint Augustin, De baptismo contra Donatistas, II, 5)
116 Firmianus Lactantius ([?]250-[?]325) : apologiste chrétien originaire d’Afrique du Nord. Dans ses Institutiones divinæ (Institutions divines), son œuvre majeure en sept livres, il défend la doctrine chrétienne en tant que système harmonieux, en faisant appel au témoignage des auteurs païens, et non aux Écritures.
117 Ouvrage faussement attribué à saint Augustin (voir Besselaar, LAHF, note 44, p. 163).
118 « […] et il serait trop absurde de prétendre qu’après avoir franchi l’immensité de l’Océan, quelques hommes aient pu, hardis navigateurs, passer de cette partie du monde en l’autre, pour y fonder la race humaine à partir de ce seul premier homme. » (saint Augustin, La Cité de Dieu, XVI, 9)
119 Procope de Gaza (mort vers 540), rhéteur grec, auteur de lettres et de commentaires ; Théophylacte est un historien byzantin (VIIe siècle) ; Euthyme (mort vers 1120) est un exégète, également byzantin. L’identification avec Procope de Césarée (mort vers 562) reste possible, compte tenu du vague de l’énumération.
120 « La portion de la terre située sous la zone du milieu, qui est celle de l’orbite du soleil, est brûlée, embrasée par les flammes et les vapeurs. Située à égale distance des plages glacées et de la zone torride, les deux dernières portions jouissent d’une température modérée ; mais l’embrasement des astres qui les séparent empêche qu’on puisse passer de l’une à l’autre. » (Pline l’Ancien, Histoire naturelle, II, 172)
121 « Que la terre entière se tienne sur l’eau, et qu’aucune partie sous nos pieds ne soit dépourvue ni d’eau ni d’hommes, cela est reconnu, ainsi que l’enseigne l’Écriture : “Pourquoi Dieu a-t-il étendu la terre sur les eaux ?”, puis, avec insistance : “Parce qu’il l’a fondée au-dessus des mers.” » (Procope, In Genesim, I, 6)
122 Jusqu’à la découverte des plaques tectoniques, les théories basées sur les fluides ont été fréquemment avancées, y compris lors du tremblement de terre de Lisbonne, en 1755, sous la plume de gens aussi sérieux qu’Emmanuel Kant.
123 « La terre était informe est vide » (Genèse, I, 2).
124 « Dieu dit : “Que les eaux qui sont au-dessous du ciel se rassemblent en un seul lieu et que le sec paraisse.” » (ibid., I, 9)
125 « À l’Éternel la terre et ce qu’elle renferme, le monde et ceux qui l’habitent, car il l’a fondée sur les mers et affermie sur les fleuves. » (Psaumes, 24, 1-2)
126 Jean Lorin (1559-1634), jésuite français, commentateur des Psaumes et du Nouveau Testament.
127 « La raison pour laquelle Dieu est le maître de la terre et de toute chose qui s’y trouve est qu’il a créé la terre et a fait qu’elle s’élève au-dessus des eaux, afin qu’elle puisse être habitée. » (J. de Lorin, Commentaria in Librum Psalmorum)
128 « Royaumes de la terre, chantez pour Dieu, jouez pour le Seigneur, celui qui s’avance au plus haut des cieux vers l’Orient ; voici qu’il fait entendre sa voix, une voix puissante. » (Psaumes, 67, 33-34 ; toutes les références du Livre des Psaumes se rapportent à la Vulgate.)
129 Gilbert Génébrard (1537-1597), bénédictin français, auteur d’une Chronographia, consultée par Vieyra ; Brás Viegas (1554-1599), jésuite portugais, commentateur de l’Apocalypse ; Francisco de Mendonça (1573-1626), jésuite portugais, commentateur du Livre des Rois.
130 « Chantez pour Dieu, chantez son nom, frayez un chemin à celui qui s’avance au-dessus des nuées, son nom est le seigneur. » (Psaumes 67, 5)
131 « Voici qu’il fait entendre sa voix, une voix puissante. » (ibid., 7, 34)
132 Basilio Ponce (1569-1629), augustin espagnol, neveu de Fray Luis de León.
133 « Les habitants du bout du monde se sont effrayés de tes signes ; tu fais crier de joie les régions du levant et du couchant. » (ibid., 64, 9)
134 « “Les régions du levant et du couchant” pour les hommes qui vivent là où se lève le jour et là où se lève la nuit, c’est-à-dire, pour l’Orient et l’Occident. » (J. de Lorin, Commentaria in Librum Psalmorum)
135 « Tu as visité la terre, tu l’as abreuvée » (Psaumes, 65, 10).
136 « Tu l’a comblée de richesses. » (ibid.)
137 « Toi qui troubles les profondeurs de la mer, et qui fais retentir le bruit de ses flots. » (ibid., 64, 8)
138 Et non Teodosio, comme dans l’original. Il s’agit d’un prosélyte du IIe siècle après J.-C. (voir Besselaar, LAHF, p. 197).
139 « Il apaise, calme et adoucit le vacarme, le fond, l’ampleur et la profondeur des mers. »
140 « Dieu sécurité de notre terre entière, et au loin sur la mer ».
141 « La mer des hommes lointains » (Psaumes, 64, 6).
142 « Ton temple est saint, admirable en égalité » (ibid., 64, 5-6).
143 « Lève-toi, aquilon ! Viens, autan ! Soufflez sur mon jardin, et que les parfums s’en exhalent ! » (Cantique, 4, 16)
144 Honorius d’Autun (XIIe siècle), exégète et sermonnaire.
145 « Si le Démon répandit dans les esprits des fidèles une hérésie inouïe, par des hommes mauvais, corrompant ainsi tout le jardin de l’Église comme une lèpre, le Christ Roi de gloire secourut cependant les siens : par des hommes sages, il détruisit l’hérésie répandue dans le monde, et chassa à coups de fouet les anathèmes hors de son jardin ; une fois chassé l’aquilon, l’Auster entra dans le jardin. » (Honorius, Expositio in Cantica Canticorum, II, 4)
146 « Et qu’exhalent ses parfums » (ibid.).
147 « Tes jets [sic] forment un jardin où sont des grenadiers, avec les fruits les plus excellents. » (Cantique, 4, 13)
148 « Les troënes avec le nard, le nard et le safran, le roseau aromatique et le cinnamone, avec tous les arbres qui donnent l’encens, la myrrhe et l’aloès, avec tous les principaux aromates. » (ibid., 4, 13-14)
149 Dans la nomenclature moderne, le calambac fait partie de l’espèce des aquilarias sous le nom d’Aquilaria malaccensis. Il s’agit d’essences tropicales dont on extrait parfums et latex.
150 « Les mandragores répandent leur parfum et nous avons à nos portes les meilleurs fruits, nouveaux et anciens, mon bien-aimé je les ai gardés pour toi. » (ibid., 7, 14)
151 « Qu’entend-on par mandragore, cette plante assurément médicinale et parfumée, sinon la vertu des hommes parfaits ? Ceux qui, tandis qu’ils soignent les maladies des créatures imparfaites à travers la foi qu’ils prêchent, sont reconnus aux portes de l’Église comme de véritables médecins. » (Grégoire le Grand [saint Grégoire, voir, ci-dessus, note 65], Super Cantica Canticorum, VII, 16)
152 Rappelons qu’est connue sous ce nom la première version grecque de l’Ancien Testament (IIIe ou IIe siècle avant J.-C.).
153 Cornelis van den Steene (Cornélius de Pierre Écrite ou Cornelius a Lapide) (1567-1637), jésuite flamand, professeur à Louvain. Ces exégèses ont été très utilisées par Vieyra.
154 « Certains pensent que l’on désigne ici par “fruits nouveaux” la découverte du Nouveau Monde et sa récente conversion au Christ. En effet, cette contrée nouvelle, qui compte Péruviens, Mexicains, Brésiliens, Chiliens, etc., constitue la moitié de la terre entière, comme cela apparaît sur le globe cosmographique. […] La terre entière est déjà quasiment soumise à l’Église, grâce aux religieux de saint Dominique, de saint François et de la Société de Jésus. De la même manière, au cours de ce siècle et du précédent, la foi s’est prodigieusement étendue en Inde orientale jusqu’aux Japonais, où certains, en Chine, dans les Moluques et à Ceylan, luttent jusqu’à un lent martyre par les flammes, au nom de la foi. » (Cornelius, Commentaria in Cantica Canticorum, VI, 13, p. 498)
155 « Nous avons une petite sœur, qui n’a point encore de mamelles. Que ferons-nous de notre sœur, le jour où on la recherchera ? Si elle est un mur, nous bâtirons sur elle des créneaux d’argent ; si elle est une porte, nous la fermerons avec une planche de cèdre. » (Cantique, 8, 8-9)
156 Fray Luis de León (1527-1591), célébrissime poète et prosateur espagnol que l’on retrouve ici dans sa vocation première de religieux.
157 « Par le personnage de cette sœur cadette et par la description qui en est faite dans ce passage [l’Épouse s’inquiétant pour son mariage], on désigne les nombreux peuples et nations, très éloignés de notre monde, qui doivent être amenés au Christ par un enseignement nouveau de l’Évangile. On parle ici de ces terres découvertes par les navigations des Espagnols, et de la conversion récente de ses habitants à la parole du Christ. » (L. de León, Divinorum librorum primi apud salmanticenses interpretis explanationum in eosdem, VIII, 3)
158 Le bois de braise (Cæsalpinia echinata) est connu pour sa teinture et a probablement donné son nom au Brésil ; le bois violet est également un bois précieux (Catingae Ducke). Pour aquilaria et calambac, voir, ci-dessus, note 149.
159 « Les voici, ils viennent de loin, les uns du septentrion et de l’occident, les autres [du pays de Sinim]. Cieux, réjouissez-vous ! Terre, sois dans l’allégresse ! Montagnes, éclatez en cris de joie ! Car l’Éternel console son peuple, il a pitié de ses malheureux. » (Isaïe, 49, 12-13)
160 Pour Cornelius, voir, ci-dessus, note 153. Arias Benito Montano (1527-1578) est un hébraïsant espagnol, éditeur de la Bible d’Anvers.
161 Simaque et Aquila sont des prosélytes juifs du IIe siècle, comme Théodotion (Théodose dans l’original).
162 « La Chine dont on parle ici doit être située en Orient, mais nous pouvons également dire qu’elle est une terre australe, parce que les Lusitaniens, pour naviguer jusqu’à la Chine, commencent par prendre la direction du sud, sans doute de la Lusitanie jusqu’au cap de Bonne Espérance, qui marque l’extrême fin du continent, et se trouve au sud. » (Cornelius, Commentaria in Isaiam prophetam, « Dices », p. 304)
163 Francisco Foreiro (1522-1581), dominicain portugais, ayant participé au concile de Trente et auteur d’une transcription latine d’Isaïe ; Tomás Malvenda (1566-1628), dominicain espagnol auteur d’un De Antichristo lu par Vieyra.
164 « Qui sont ceux-là qui volent comme des nuées, comme des colombes vers leur colombier ? Car les îles espèrent en moi, et les navires [de Tarsis] sont en tête pour ramener de loin tes enfants, avec leur argent et leur or, à cause du nom d’Israël qui te glorifie. Les fils de l’étranger rebâtiront tes murs, et leurs rois seront tes serviteurs. » (Isaïe, 60, 8-10)
165 Tomaso Bozio (1548-1620), oratorien italien, grand pourfendeur de la Réforme ; Ulisso Aldrovandi (1522-1600), naturaliste et médecin italien (Aldrovando dans l’original).
166 « […] l’esprit de Dieu se mouvait au-dessus des eaux. » (Genèse, I, 2)
167 « […] si un homme ne naît d’eau et d’Esprit, il ne peut entrer dans le Royaume de Dieu. » (Jean, 2, 5)
168 « Le nom “colombes” fait allusion à Christophe Colomb, qui le premier nous a ouvert la voie vers ces contrées. » (Cornelius, Commentaria in Isaiam prophetam)
169 « [Les vents] qui ébranlèrent les deux rivages, quand les Argonautes virent une colombe guider leur vaisseau incertain à travers des mers inconnues. » (Properce, Élégies, II, 26, v. 39-40)
170 « Les malheureux et les indigents cherchent de l’eau, et il n’y en a point ; leur langue est desséchée par la soif. Moi, l’Éternel, je les exaucerai ; moi le Dieu d’Israël, je ne les abandonnerai pas. Je ferai jaillir des fleuves sur les collines et des sources au milieu des vallées ; je changerai le désert en étang et la terre aride en courants d’eau. Je mettrai dans le désert le cèdre, l’acacia, le myrte et l’olivier ; je mettrai dans les lieux stériles le cyprès, l’orme et le buis, tous ensemble, afin qu’ils voient, qu’ils sachent, qu’ils observent et considèrent que la main de l’Éternel a fait ces choses. » (Isaïe, 41, 17-20)
171 Théodoret ([?] 393-[?] 460), évêque de Cyr, près d’Antioche, grand exégète et polémiste.
172 Claude Acquaviva (1543-1615), jésuite italien, général de la Compagnie de 1581 à 1615.
173 « Aujourd’hui encore au Japon, au Brésil, en Chine et dans les autres régions des Indes, c’est emplis d’une grande joie que nous contemplons cela. » (Cornelius, Commentaria in Isaiam prophetam, p. 262)
174 « Les tiens rebâtiront sur d’anciennes ruines, tu relèveras des fondements antiques, on t’appellera réparateur des brèches, celui qui restaure les chemins, qui rend le pays habitable […]. » (Isaïe, 58, 12)
175 João de Barros ([?] 1490-1596), le grand historien portugais de l’empire des Indes.
176 « [E mais temos exemplos contrarios a esta sua opinião, porque] os Reys passados deste Reyno sempre dos Reynos alheios pera o seu trouxeram gente a este a fazer novas povoações ; e elle quer levar os naturaes Portuguezes a povoar terras hermas per tantos perigos de mar, de fome, e sede, como vemos que passam os que lá vam. Certo que outro exemplo lhe deo seu Padre poucos dias ha, dando os maninhos de Lavra junto de Coruche a Lambert de Orches Alemão, que os rompesse, e povoasse, com obrigação de trazer a elle moradores estrangeiros d’Alemanha ; e não mandou seus vassallos passar além mar romper terras, que Deos deo por pastos dos brutos. E bem se vio quanto mais naturaes são para elles, que pera nós, pois em tão poucos dias huma coelha multiplicou tanto, que os lançou fora da primeira Ilha, quasi como amoestação de Deos, que ha por bem ser aquella terra pastada de alimarias, e não habitada por nós. E quando quer que nessas terras de Guiné se achasse tanta gente, como o Infante diz, não sabemos que gente he, nem o modo de sua peleja ; e quando fosse tão barbara, como sabemos que he a das Canareas, a qual anda de penedo em penedo, como cabras às pedradas contra quem os quer offender, nós que proveito podemos ter de terra tão esterele, e aspera, e cativar gente tão mesquinha ? Certo nós não sabemos outro, senão virem elles encarentar o mantimento da terra, e comerem nossos trabalhos ; e por cobrarmos hum comedor destes, perdemos os amigos, e parentes. » (Barros, 1777-1788, vol. 1, livre I, chap. 4, p. 38-39)
177 « Nous voyons la même chose dans les îles Terceiras, situées du côté occidental de l’océan d’Espagne ; de même dans les îles Canaries, nommées ainsi d’après le Promontoire verdoyant [cap Vert ?], les îles Ascension de Saint Laurent, et toutes celles qui sont tournées vers le littoral africain ; plus encore, il en est de même dans toutes les îles que baigne l’océan, et dans les très vastes régions indiennes tournées vers l’orient ou vers l’occident, vers l’Auster ou le Borée, et aucune limite n’apparaît jusque-là. On fonde partout d’innombrables villes et cités d’une très grande beauté, où se constituent des assemblées humaines et où se dressent les fondements d’une génération nouvelle, ainsi que la génération de ceux qui autrefois erraient sans but à la manière des bêtes, et demeurent aujourd’hui dans un lieu fixe. » (T. Bozio, De signis Ecclesiæ Dei, XX, 7, 88)
178 « Îles, écoutez-moi, peuples lointains, soyez attentifs » ; « aux îles lointaines, qui jamais n’ont entendu parler de moi » (Isaïe, 49, 1, et 66, 19).
179 « Malheur à la terre où retentit le cliquetis des armes, au-delà des fleuves de l’Éthiopie ! Toi qui envoies sur mer des messagers, dans des navires de jonc voguant à la surface des eaux ! Allez, messagers rapides, vers la nation forte et vigoureuse, vers ce peuple redoutable depuis qu’il existe, nation puissante qui écrase tout et dont le pays est coupé par des fleuves […]. » (Isaïe, 18, 1-2)
180 Thomas Malvenda (voir, ci-dessus, note 163).
181 « L’interprète chaldéen a restitué ainsi ces paroles d’Isaïe : “Malheur à la terre vers laquelle se dirigent des navires venus d’une contrée lointaine, qui déploient leurs voiles comme un aigle déploie ses ailes pour voler !” Or, en Inde, autrefois recherchée par les fréquentes expéditions de peuples étrangers, aujourd’hui abordent les flottes triomphantes des Lusitaniens à l’extrême occident, qui ont même dépassé les rivages de la Chine, et atteignent les îles japonaises. » (T. Malvenda, De Antichristo, III, 12)
182 Francisco Rebelo (1547-1608), jésuite portugais, professeur de théologie.
183 José Acosta (da Costa, à la portugaise dans l’original) (1540-1600), jésuite espagnol, surtout connu comme historien ; Johannes Frederik van Lummem (1533-1602), théologien flamand d’Anvers ; Martin Antonio Delrío (1551-1608), jésuite belge d’origine espagnole, théologien ; les autres sont connus ou ont déjà été cités.
184 Le Pacifique, bien sûr, dans le langage moderne.
185 François Watebled (ou Outeblé), transcrit Vatable dans l’original ([ ?] 1480-1547), hébraïste français, professeur au Collège de France, auteur des Scholia in Biblia sacra.
186 « La terre située au-delà de l’Éthiopie (Éthiopie qui regorge de fleuves) ».
187 L’expression « o Siro », transcrite « o Sírio » dans la version Sá da Costa (1953), sur laquelle Hernâni Cidade comme José van den Besselaar restent muets, renvoie de toute évidence à Théodoret de Cyr, exégète de la Bible (voir, ci-dessus, note 171).
188 Comme on le sait, Francisco de Orellana ([ ?]-1550) est le premier Européen à avoir descendu le cours de l’Amazone, mais c’est le fabuleux récit de Gaspar de Carvajal, où est décrite la rencontre avec les Amazones, qui a été déterminant pour la postérité.
189 Dans le brésilien moderne, la variante jirau s’est conservée et désigne la réserve surélevée de vivres et d’ustensiles, ainsi conçue pour les mêmes raisons de possibles inondations.
190 Les Nheengaibas (« ceux qui parlent trop ») et les Mamaianas sont bien des peuples amazoniens (île de Marajó). Par contre, les Guaianas, connus dès le XVIe siècle, habitaient la région de São Paulo.
191 Si pará veut bien dire « mer » en tupi, le rapprochement avec Maranhão (Maragnon) est beaucoup moins évident.
192 Rappelons qu’il s’agit de la première version grecque de l’Ancien Testament (voir, ci-dessus, note 152).
193 Jean Charpentier, dit Carpenteius, jurisconsulte de la ville d’Arras, auteur d’une version d’Isaïe en vers latins (1588).
194 « Malheur à toi, qui célèbres le retour d’Apis au son des sistres, / qui agites des crotales et frappes des cymbales ! » (J. Charpentier, In vaticinia Isaiæ, prophetæ clarissimi paraphrasis)
195 Miguel de Palacio ([?] 1550-[?] 1620), grenadin, professeur à Salamanca, auteur d’un commentaire sur Isaïe. Vieyra lui donne le prénom Gabriel.
196 Dilucidationum et declamationum topologicarum in Esaiam prophetam libri, Isaïe, 18, 1-2.
197 « Et nous avons déployé les ailes de nos voiles » (Virgile, Énéide, livre III, v. 520).
198 Xantes Pagnini (Vieyra transcrit Pagnino) (1470-1541) dominicain italien, traducteur de la Bible ; Gaspar Sánchez (1554-1628), commentateur des prophètes. Pour les deux autres, voir, ci-dessus, notes 163 et 185.
199 C’est bien en 1615 que Alexandre de Moura s’empare du Maragnon, d’où il expulse le Français La Revardière ; mais c’est le 22 avril 1500 que Cabral touche la côte de Porto Seguro, au Brésil. Vieyra, il est vrai, ne connaissait pas la lettre de Vaz de Caminha au roi Dom Manuel, qui n’a été divulguée qu’au XIXe siècle.
200 Dominicain espagnol, chroniqueur de Philippe III. Le titre original est La Conveniencia de las dos Monarquias católicas, la de la Iglesia romana y la del Imperio español (1612).
201 « La falta de geografía y de las otras artes liberales es causa que los teólogos no atinen con el sentido de la Divina Escritura. » (ibid.).
202 « C’est par la foi que nous comprenons que le monde a été formé par la parole de Dieu, de sorte que ce qu’on voit ne provient pas de ce qui est visible. » (Hébreux, 11, 3)
203 « Glorifiez donc l’Éternel dans les lieux où brille la lumière, le nom de l’Éternel, Dieu d’Israël, dans les îles de la mer. » (Isaïe, 24, 15)
204 Cette expression biblique fragmentaire est souvent reprise, mais difficilement localisable avec certitude. Elle est bien attribuée à Isaïe (24, 16) dans un exemple illustre, la Bible de Paul Claudel (!).
205 « Pour les ignorants » ou « Pour ce qui est des ignorances ». En ce qui concerne Aquila et Simaque, voir, ci-dessus, note 256.
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