Kopuhoroto’e
p. 139-146
Texte intégral
1Cet homme s’appelait Tuteanuanua*. Maiotera* était sa femme. Leur pays était Teahuiotu*. Un jour, cet homme dit à sa femme :
2– Je vais fabriquer une pirogue pour aller à la pêche.
3Et il partit construire la pirogue. Quand elle fut finie, ils partirent tous deux pêcher à la ligne. Ils s’en allèrent en pagayant et arrivèrent sur un toka. Ils jetèrent leur ligne mais n’attrapèrent pas de poisson. Il y avait là une femme fantôme qui avait attaché l’hameçon à un pâté de corail. Ils tirèrent, tirèrent : impossible de le décrocher.
4Le mari envoya sa femme :
5– Plonge chercher notre hameçon.
6Sa femme répondit :
7– Je n’y arriverai pas.
8Son mari lui dit :
9– Mais si, ce n’est pas profond.
10– Si je plonge et qu’une femme monte à la surface par l’avant de la pirogue, ne la prends pas. Si elle monte devant toi, ce sera moi, car il y a là une femme fantôme qui se tient au fond de la mer, elle s’appelle Kopuhoroto’e*. Inutile de tirer sur la ligne : c’est elle qui a accroché l’hameçon, qui l’a accroché à un bloc de corail.
11Là-dessus, la femme plongea à la recherche de l’hameçon. La véritable épouse descendit de la pirogue. Le fantôme monta à la surface par l’avant de la pirogue. Tuteanuanua lui dit :
12– Je ne te prends pas dans la pirogue, tu es un fantôme.
13Elle disparut alors et monta à la surface par l’arrière en prenant le visage de la vraie femme. Elle dit :
14– Prends-moi vite et allons-nous-en, de peur d’être attrapés par Kopuhoroto’e.
15Elle monta dans la pirogue. L’homme se mit à pagayer et ils s’éloignèrent tous deux. C’est alors que la vraie femme remonta à la surface. Elle cria derrière eux :
16– Hé, la pirogue, revenez ici ! C’est Kopuhoroto’e qui est là ; tu ne peux pas faire l’amour avec elle, c’est moi, Maiotera, qui suis ici.
17La femme véritable était enceinte et, de même, la femme fantôme était enceinte elle aussi. Les gens de la pirogue continuèrent à pagayer, ils abordèrent sur le sable, allèrent à la maison. Ils vécurent ensemble. Le courant entraîna Maiotera.
18Il y avait dans une autre vallée un homme qui élevait les cochons de Tuteanuanua et de Maiotera. C’était un homme qui vivait seul. Il n’avait pas de femme. Le courant entraîna Maiotera et elle aborda dans la vallée où habitait le porcher. Elle se cacha, car elle était pleine de confusion : ses vêtements avaient été enlevés par la mer. Quand l’homme eut apporté la nourriture des cochons, ceux-ci se mirent sitôt après à grogner, car la femme leur avait volé leur nourriture. Le porcher se dit :
19– Les cochons ont bien vite fini de manger. Qu’est-ce donc ?
20Il décida de faire le guet. Lorsqu’il eut apporté la nourriture des cochons, il revint pour faire le guet. La femme vint chasser les cochons et prit pour elle leur nourriture. Le porcher l’observa : c’était la femme de Tuteanuanua et les cochons leur appartenaient à tous deux. Il lui demanda :
21– Pour quelle raison es-tu venue là et pourquoi manges-tu la nourriture des cochons ?
22Elle lui répondit :
23– J’ai été rejetée à la mer par Tuteanuanua. Il vit maintenant avec un fantôme.
24Le porcher alla chercher un pagne pour elle. Ils allèrent à la maison et il lui servit un bon repas. Maiotera fut désormais la femme du porcher.
25Quelque temps après, l’enfant de Maiotera naquit. C’était un garçon. On donna à l’enfant le nom de Tekaka’atumeitoka*. Ils demeurèrent là jusqu’à ce que l’enfant fût grand. De temps à autre, Tuteanuanua venait chercher des cochons pour manger. Lorsqu’ils le voyaient venir, la femme se cachait et c’était le porcher qui se montrait. Quant à Kopuhoroto’e, elle n’avait pas encore accouché. L’enfant véritable avait atteint l’âge de dix ans, Kopuhoroto’e n’avait toujours pas accouché.
26Un jour, cet enfant alla se promener. Il arriva dans la vallée où demeurait son père. Il y avait beaucoup d’enfants dans cette vallée. À son arrivée, le jeune garçon rencontra quelques enfants. Ils coururent prévenir Tuteanuanua :
27– Il y a là, avec nous, un jeune garçon qui s’est baigné dans la rivière, on ne sait pas d’où il vient.
28Tuteanuanua répondit :
29– Conduisez-le ici, auprès de moi.
30Tuteanuanua l’interrogea :
31– Quel est ton nom ?
32Le jeune homme révéla son nom. Il lui demanda encore :
33– Qui est ton père ?
34– C’est l’homme qui élève les cochons.
35Il dit encore :
36– Qui est ta mère ?
37– C’est Maiotera.
38Il dit alors :
39– Va chercher ta mère et venez ici auprès de moi.
40Le jeune homme partit la chercher. Tuteanuanua comprit que la femme qui demeurait avec lui était un fantôme. La voilà donc, cette beauté avec laquelle il vivait ! Tuteanuanua alla la chercher. Il lui donna un coup de pied dans le ventre. Elle s’enfuit dans la mer et elle accoucha d’une murène, d’un oursin noir, d’un morceau de corail et d’un oursin-crayon. Elle retourna dans la mer et ne revint plus.
41Alors l’homme appela promptement sa femme et la fit revenir auprès de lui. Le porcher la pleura beaucoup et elle fit de même assurément : il y avait longtemps qu’ils vivaient ensemble tous deux et partageaient leur chaleur. La femme prit le chemin du retour ; voici qu’ils se rencontrent tous deux. De la retrouver, Tuteanuanua pleura beaucoup. Maiotera lui dit :
42– Où est cette femme qui était avec toi ?
43Tuteanuanua lui répondit :
44– Je l’ai chassée maintenant, c’était un diable. Il y avait toutes sortes de choses dans son ventre, des choses de la mer. Je n’avais pas vu que c’était un fantôme.
45Sa femme lui dit :
46– Comment se fait-il que tu n’aies pas vu que dix ans avaient passé sans qu’elle ait accouché ? Il faut neuf lunes pour avoir un enfant. Je t’avais dit : « Hé, la pirogue, revenez ! C’est Kopuhoroto’e. Tu ne peux pas faire l’amour avec elle. »
47– Tu avais raison, comment a-t-il pu se faire que j’aie vécu avec un fantôme !
48Dès lors, bien sûr, l’enfant demeura avec eux. Il grandit. Il dit un jour à son père :
49– Je vais aller me promener.
50– N’y va pas, tu te feras prendre par un revenant.
51L’enfant répondit :
52– Non, je partirai.
53L’enfant partit. Il alla très loin. Il arriva dans une vallée où il rencontra un vieillard. Celui-ci dit :
54– Arrête-toi ici.
55Le jeune homme s’arrêta.
56– D’où viens-tu ? Où vas-tu ?
57– Je vais me promener.
58Le vieillard lui dit :
59– Ne pars pas, restons ici tous deux : il y a des femmes en amont de la vallée, elles sont sept. La cadette est la plus belle. Le matin, elles montent sur un pandanus pour cueillir des fleurs et s’en faire des couronnes. Le pandanus a sept branches. Chacune a sa branche. La cadette se tient sur les racines pendantes. C’est elle qui est la plus belle.
60Le jeune homme répondit :
61– Que font-elles sur ce pandanus ?
62Le vieillard répondit :
63– Elles cueillent des fleurs pour s’en faire des couronnes.
64Le matin, de très bonne heure, le jeune homme monta vers le pandanus et il se cacha. Voici qu’elles arrivèrent : Puahuavai* monta sur sa branche, puis Kohuhu*, puis Mouhutai*, puis Kaupe*, puis Puaeva*, puis Niou*. Elles grimpèrent toutes, puis, bien après elles, la cadette Puaperevai*. Soudain elle aperçut le jeune homme, ils se regardèrent : il était beau, elle était belle. Le jeune homme emmena la jeune fille et retourna à la maison du vieillard. Ils demeurèrent là. Ils firent bien sûr l’amour cette nuit-là. Le lendemain matin, la jeune fille dit :
65– Je retourne vers la montagne cueillir des fleurs de pandanus.
66Le jeune homme répondit :
67– Oui, vas-y, mais lorsque tu auras assez de fleurs, reviens vite, dépêche-toi !
68– Je ferai vite ma cueillette.
69Voici qu’elle montait pour mourir. Les sœurs aînées étaient jalouses de leur cadette. Elles partirent et, arrivées près du pandanus, les sœurs aînées se préparèrent à la faire mourir. Sitôt montées sur leurs branches, elles lui donnèrent des coups de pied. Elle tomba dans la rivière Rariuhi*. C’était une rivière profonde. Le pandanus poussait en haut d’un précipice. La jeune fille mourut.
70Le jeune homme l’attendait. Elle ne revint pas. Il partit voir dans la montagne. Personne. Toutes les jeunes filles s’étaient enfuies. Le jeune homme demeura là, depuis le matin jusqu’au lendemain. Voici que reviennent les jeunes filles pour cueillir les fleurs de pandanus. Le jeune homme leur demanda :
71– Est-ce que vous avez vu votre sœur cadette ?
72Aucune voix ne se fit entendre. Le jeune homme pleura beaucoup sa femme. Puis il les questionna encore. Lorsqu’elles eurent assez de fleurs, la plus jeune des sœurs, qui s’appelait Kohuhu, finit par avouer :
73– Ta femme, dit-elle, est morte, nos sœurs aînées l’ont frappée à coups de pied. Elle est tombée dans une rivière profonde, la rivière Rariuhi. Il y a deux vieillards qui gardent la rivière. Va les supplier.
74– Mais, dit le jeune homme, en quels termes dois-je leur adresser la parole ?
75Kohuhu, la jeune fille qui lui avait fait connaître la vérité, lui répondit :
76– Appelle les deux vieillards par leur nom : Tutu’umahinahina* et Popotahi*. Dis en criant : « Hé ! Tutu’umahinahina ! Hé ! Popotahi »
77– Comment arriverai-je à les trouver ?
78– Lorsque ces deux vieillards t’auront entendu, ils te demanderont : « Que nous veux-tu ? » Tu leur diras : « Je veux ma femme, ma femme qui est tombée dans la rivière Rariuhi. » Ce sont ces deux vieux qui t’apprendront comment tu dois t’y prendre.
79Kohuhu s’éloigna. Le jeune homme resta et cria comme on lui avait dit de le faire. Puis il partit en criant jusqu’à ce qu’il rencontre les deux vieillards. Ceux-ci lui dirent :
80– Que nous veux-tu ?
81Le jeune homme répondit :
82– Ma femme est tombée dans la rivière Rariuhi, allons ensemble la chercher.
83– Vas-y toi-même, répondirent les deux vieillards. Le corps de ta femme est chez l’anguille, chez le kikopu, chez la chevrette, chez le maihautu et chez les autres animaux de l’eau douce. Tu dois aller mendier auprès d’eux et c’est ainsi que tu dois leur parler : « Hé, chevrette que voici, n’as-tu pas vu le corps de ma femme ? » Appelle-les tous. Ils t’apporteront les bouchées et les morceaux du corps de ta femme qu’ils se sont partagés entre eux. Quand ils te les auront rendus, enveloppe-les dans un mouchoir et emporte-les. Quand tu seras arrivé au pandanus, secoue le mouchoir : ta femme reviendra à la vie.
84Tekaka’atumeitoka s’en alla et appela à grands cris la chevrette. Elle arriva avec sa bouchée.
85– Hé, chevrette, toi qui viens ici, n’as-tu pas vu le corps de ma femme ?
86Et il s’adressa de même au maihautu, au kikopu et à l’anguille. Les autres bêtes des eaux avaient rapporté toutes leurs bouchées, mais l’anguille n’avait pas rendu les siennes : c’était elle qui avait le sexe de la femme, le morceau qui compte. L’anguille était très avare. Elle n’était pas pressée de rendre ses bouchées. Ce n’est qu’après s’être fait très longtemps supplier que l’anguille finit par les rendre. Il rassembla toutes les bouchées puis alla jusqu’au pandanus et secoua le mouchoir. Sa femme revint à la vie. Tekaka’atumeitoka se réjouit. Sa femme s’appelait Puaperevai. Ils se réjouirent tous deux et vécurent encore ensemble.
87Le travail est fini. Je me suis arrêté ici, c’est la partie du conte que je sais. Ici finit l’histoire de Tuteanuanua et de Kopuhoroto’e.
Auteur
Vallée de Hakahau, île de Ua Pou
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