Précédent Suivant

’Ikitepanoa

p. 121-138


Texte intégral

1Cet homme s’appelait ’Ikitepanoa*, il avait deux frères cadets. Cette île était très peuplée. Ensuite, la population éleva ’Ikitepanoa pour en faire son chef1. Il y avait parmi eux un homme descendant de chef, mais il était né sans père ; c’est pour cette raison qu’on ne l’avait pas élevé pour en faire un chef. Il s’appelait Hopekoutoki*.

2Certains furent jaloux d’’Ikitepanoa. C’étaient ses deux cadets. Ils s’enfuirent dans la montagne, sur les pics2. Ils ne s’entendaient pas avec leur frère aîné, ils en étaient jaloux. Quelques hommes s’enfuirent avec eux dans la montagne.

3Un jour, Hopekoutoki s’enfuit avec sa femme dans une autre vallée. C’était une vallée inhabitée. C’est là qu’il s’installa. Sa femme se trouva enceinte. Un jour qu’elle se promenait dans leur enclos, elle fut remplie d’admiration pour les fleurs qui s’y trouvaient. Elle dit à son mari :

4– Je brûle d’envie d’avoir des koko’u. Je vais aller manger des koko’u.

5La femme monta dans la vallée manger des koko’u. Pendant la montée, elle éprouva des douleurs et fit une fausse couche. La mère jeta un regard : c’était un garçon. Elle le mit au bord du chemin. Elle retourna à la maison chez son mari et dit :

6– J’ai fait une fausse couche, notre enfant est tombé.

7Son mari répondit :

8– Je vais aller regarder.

9Il partit. Le temps qu’il soit arrivé, il n’y avait plus rien. Le petit enfant avait du mana. Il s’était sauvé chez ses grands-parents : deux vieilles femmes qui étaient les mères3 de son père. Elles s’appelaient Tutuike et Hakaokoike. Les deux vieilles femmes donnèrent à l’enfant le nom de Tu. C’étaient les deux grands-mères du petit enfant. Son père et sa mère ne savaient pas que l’enfant était vivant. Ensuite, lorsque la femme se trouva de nouveau enceinte, son mari lui dit :

10– Nous allons aller tous deux à Havaiki*4, notre enfant survivra.

11Ils partirent tous deux pour Havaiki pour la naissance de leur second enfant. Quelque temps après, seulement, cet enfant vint au monde. C’était une fille. On lui donna le nom de Tevaitotoku’a*. Ils se réjouirent tous deux de ce que l’enfant ne soit pas mort pendant l’accouchement. Ils habitèrent à Havaiki.

12La fille grandit. Bon. Son père attrapa une maladie. Puis il mourut. Bon, sa femme resta avec sa fille. Les deux femmes enterrèrent le corps. Elles plantèrent des fleurs sur le tombeau du père. Les fleurs poussèrent. Quelque temps après, la mère attrapa une maladie. Sa fille fut pleine de frayeur. Puis, la maladie s’aggrava, la fille pleura beaucoup. Ensuite, la mère mourut. Elle creusa une tombe pour sa mère. Elle y ensevelit sa mère et demeura seule. Elle planta une fleur sur la tombe de sa mère. La fleur poussa, elle était agréable à regarder. C’est devant la maison qu’avaient été ensevelis le père et la mère.

13Un matin, cette jeune fille s’éveilla et resta dehors à regarder la tombe de son père et de sa mère. Elle vit la fleur qui était au-dessus de la tombe de son père et qui se balançait. Elle alla regarder et s’approcha, elle vit la terre qui remuait. Ah ! La jeune fille eut peur, elle s’éloigna. La terre se mit à remuer fortement. Le cercueil de son père se dressa. La jeune fille prit la fuite. Son père la poursuivit par-derrière, il cherchait à la faire mourir. Le fantôme devint furieux. La jeune fille se mit à courir devant, suivie de son père. Comme il était près de la rattraper, son frère vit la scène depuis la terre de lumière. C’était cet enfant né d’une fausse couche. Il prit une corde qu’il fit pendre devant la jeune fille. La jeune fille saisit une extrémité de la corde. Le jeune homme tira. Il la fit monter jusqu’au niveau du sol puis s’arrêta. La jeune fille dit :

14– Te voilà bien attrapé !

15Son père lui répondit :

16– Tends-moi tes jambes, je vais les embrasser, alors tu remonteras d’ici sur la terre de lumière, sinon, passe-moi tes cheveux.

17– Non, dit la jeune fille, tu es bien attrapé, retourne sous terre.

18La jeune fille grimpa jusqu’à la terre de lumière. Son arrivée sur la terre de lumière eut lieu près du rivage de la mer. La rivière de l’île coulait jusqu’à la mer5.

19Elle se cacha là, car elle était sans vêtements. Le jeune homme lui apporta des vêtements. C’était un jeune homme d’une grande beauté. Il savait qu’ils étaient nés tous deux du même père et de la même mère, mais la jeune fille ne le savait pas. Il lui donna les vêtements et l’embrassa. La jeune fille fut alors éperdue d’amour pour le jeune homme. Elle lui dit simplement :

20– Demeurons ensemble tous deux.

21Le jeune homme lui répondit :

22– Un instant ! Causons tous deux d’abord. Je te réponds : écoute-moi, quel est ton nom ?

23La jeune fille lui répondit :

24– Je suis Tevaitotoku’a.

25– Qui est ton père ?

26– C’est Hopekoutoki, dit la jeune fille.

27Le jeune homme dit :

28– Combien d’enfants a eu ta mère ?

29– Un seul, dit la jeune fille.

30– Elle n’en a pas eu d’autres ?

31– Non, lui répondit-elle ; cependant, ma mère m’a dit qu’elle avait fait une fausse couche, que l’enfant était mort et que c’était un garçon.

32Tu répondit :

33– Je suis cet enfant. Comment pourrions-nous demeurer ensemble ? Nous sommes des parents.

34La jeune fille lui dit :

35– Tu racontes des mensonges, demeurons ensemble.

36Tu lui dit :

37– Je dis la vérité. Allons tous deux à la demeure du chef.

38Alors, ils tombèrent dans les bras l’un de l’autre. Ils pensaient à leur père et à leur mère qui étaient morts à Havaiki. Tu dit à sa sœur :

39– Montons !

40Sa sœur avait honte. Tu insista et ils montèrent tous deux. À proximité de la maison du chef, Tu dit à sa sœur :

41– Reste là, je vais avertir le chef.

42Il partit avertir le chef et lui dit :

43– Il y a ici une femme étrangère.

44Le chef lui répondit :

45– Va la chercher et conduis-la auprès du chef.

46Le chef dit à Tu :

47– D’où vient cette jolie femme que tu as trouvée ?

48Tu lui dit :

49– Elle vient du bord de la mer.

50Tu ne lui révéla pas qu’elle était sa sœur. Le chef lui dit :

51– Cette femme est pour moi.

52Le chef avait déjà une femme. Tu partit chez le frère cadet du chef qui était dans la montagne. Celui-ci n’avait pas de femme. Les deux frères cadets du chef n’avaient pas de femme. Tu dit à cet homme :

53– Il y a une femme, en bas de la vallée, chez le chef.

54Cet homme lui répondit :

55– Comment pourrait-on avoir cette femme ?

56– Prépare un repas. Nous allons tous deux faire appeler cette femme. Dis que dans trois jours elle sera de retour. Quand elle sera arrivée ici, ne la rends pas, garde-la pour toi. ’Ikitepanoa a déjà une femme, garde celle-ci pour toi.

57Cet homme dit :

58– C’est entendu.

59Il prépara un repas. Il fit appeler la femme qui était chez le chef. Le chef consentit ; cependant, au bout de trois jours, il fallait la renvoyer. Cette femme arriva pour le repas. Ils mangèrent. Le repas fini, Tu se précipita chez l’autre frère cadet du chef, le plus jeune. Il demeura là et dit à cet homme :

60– Il y a une femme chez ton frère aîné. Prépare un repas et fais-la appeler.

61Cet homme répondit :

62– C’est entendu.

63Il fit préparer un repas et appela cette femme. Il fit savoir que trois jours après son arrivée pour le repas, elle serait de retour. La femme partit. Le chef l’attendait. Trois jours passèrent, la femme n’était pas arrivée. Un messager arriva. En fait, elle était montée chez l’autre frère, encore plus au fond de la vallée, pour prendre un repas. Le cadet du chef le fit savoir au messager :

64– Elle n’est pas chez moi, elle est montée au fond de la vallée, chez notre frère cadet. Quand elle aura passé trois jours, elle sera de retour chez toi.

65Le chef attendit encore trois jours, elle n’était toujours pas arrivée. Le chef dit :

66– Si elle n’arrive pas demain, après-demain, c’est la guerre.

67Tu dit :

68– Ne la rends pas, garde-la pour toi, qu’importe s’il y a la guerre, il faut essayer.

69L’autre frère, l’aîné, vint aussi et ils se retrouvèrent tous avec Tu en un seul endroit. C’était là que se trouvaient les deux vieilles femmes qui avaient élevé Tu. Les soldats des deux frères cadets n’étaient pas très nombreux. Le chef en avait davantage. Le lendemain, les soldats du chef arrivèrent. Ils combattirent, on échangea des coups de pique. Il ne restait presque plus de soldats aux deux frères. Tu et les deux vieilles s’enfuirent alors dans la région des pics. Les soldats du chef vinrent à bout des gens des deux frères cadets. Ils enlevèrent la femme, mais elle ne fut pas tuée, ils la renvoyèrent chez le chef.

70Tu demeura avec les deux vieilles dans la région des pics. Ils vécurent tous trois dans la solitude. Comment faire pour atteindre la mer ? Ils redoutaient le chef. Le chef et ses sujets passaient leur temps à faire la fête. Deux filles du chef se rendirent dans une autre vallée ; elles pleuraient sur leur mère qui avait été répudiée par leur père. Il vivait avec la sœur de Tu. Tu vivait dans la région des pics avec les deux vieilles femmes et les maris de celles-ci. Un jour, Tu grimpa sur un arbre et dit :

71– Grand-pitié pour le pays,

72« Grand-pitié pour la nourriture,

73« Si j’avais un père à moi,

74« Il viendrait avec du poisson pour moi,

75« Si j’avais une mère à moi,

76« Elle viendrait avec une calebasse de pōpoi.

77Les deux vieillards disent :

78– Allons tous deux vers la mer, chez le chef, pour voler de la nourriture.

79– Nous nous ferons prendre, dit le premier.

80– Non, dit le second, quand ils dormiront, nous partirons voler.

81– C’est entendu, dit le premier.

82Le soir, ils partirent tous deux et arrivèrent au bord de la mer. La fête donnée par le chef et ses sujets s’était arrêtée, les gens étaient partis dormir. La nourriture qu’on n’avait pu finir était restée simplement sur le paepae. Les deux vieillards arrivèrent, ils se rassasièrent, ils bourrèrent de pleines corbeilles, c’est-à-dire ce que l’on appellerait aujourd’hui des paniers. Ils revinrent tous deux dans la région des pics. Ils mangèrent tous. Quand ce fut fini, Tu monta à nouveau dans l’arbre et dit la même chose que l’autre jour. Les deux vieillards l’entendirent encore. Ils se préparèrent à nouveau, avec les mêmes corbeilles pour mettre la nourriture. Un instant avant de partir, les deux vieillards dirent à Tu :

83– Lorsque nous serons descendus, si le vent arrive derrière toi, c’est que nous nous serons fait prendre. Si le vent arrive devant toi, nous ne sommes pas pris.

84Tu attendit. Au point du jour, le vent arriva devant Tu.

85– Les deux vieux ne se sont pas fait prendre, dit Tu. Ils arrivèrent. Le lendemain matin, arrivèrent les deux vieillards. Il y avait quatre corbeilles pleines de nourriture. Les deux vieilles femmes se réjouirent d’avoir de la nourriture. Ils mangèrent ; trois jours après, la nourriture était épuisée. Tu vit qu’il n’y avait plus rien à manger. Il grimpa de nouveau sur l’arbre. Les deux vieillards dirent :

86– Allons, l’ami, descendons : notre petit-fils a encore grimpé à l’arbre !

87L’un des vieillards dit :

88– C’est peut-être cette fois-ci, l’ami, que nous nous ferons prendre.

89– Peut-être, dit son compagnon.

90Les deux vieilles tressèrent des corbeilles, elles en firent quatre. Le soir, les deux vieillards descendirent.

91Les gens du chef avaient alors compris qu’on leur volait de la nourriture. Ils guettèrent les voleurs. À la fin de la fête, certains d’entre eux se cachèrent et ne dormirent pas. Les deux vieillards virent que les gens dormaient. L’un des deux dit :

92– Allons-y, l’ami, les gens se sont endormis.

93Pas du tout, ils étaient là, à guetter les voleurs. Néanmoins, ils y allèrent. Une grande quantité de nourriture était restée sur le paepae. Ils ramassèrent la nourriture et en remplirent les corbeilles. Hé ! Ils mangèrent tous deux ! Alors les gens les empoignèrent tous deux. Ils dirent à grands cris :

94– Hé ! Nous avons pris les voleurs !

95– Qui ça ?

96– Ce sont deux vieillards, s’écrièrent-ils.

97Le chef dit :

98– Tuez-les, mettez-les au four pour en faire le plat de viande de notre repas de tout à l’heure.

99Les deux vieillards se lamentèrent. Hé ! Le vent arriva dans le dos de Tu. Tu dit aux deux vieilles :

100– Nos deux vieux se sont fait prendre !

101Ils se mirent tous à se lamenter. Les deux vieilles dirent :

102– Il ne reste plus que nous deux.

103– Oui, répondit l’une d’elles.

104On mit au four les deux vieillards, on les mangea, on acheva le repas. C’est vraiment un plat de viande.

105Néanmoins les deux vieilles firent à tout hasard des préparatifs. Elles tressèrent des corbeilles.

106Elles avaient tout à fait raison : trois jours après, Tu grimpa encore sur l’arbre et s’écria :

107– Grand-pitié pour le pays,

108« Grand-pitié pour Ta’aoa,

109« Grand-pitié pour la nourriture

110« Si j’avais un père,

111« Je mangerais du poisson frais,

112« Si j’avais une mère,

113« Elle arriverait avec une calebasse de pōpoi.

114Les deux vieilles dirent :

115– Allons, l’amie, préparons-nous. Allons, descendons !

116Elles répétèrent ce qu’avaient dit les deux vieillards :

117– Si le vent arrive dans ton dos, nous sommes prises. Si le vent arrive devant toi, nous ne le sommes pas.

118Tu répondit :

119– C’est entendu.

120Elles s’en allèrent. Le soir, le chef dit :

121– Il n’y a plus de voleurs.

122En réalité, il y avait les deux vieilles, il restait encore ces deux-là. Quand elles furent proches de la maison, elles s’arrêtèrent. Elles attendirent la fin de la fête :

123– Quand les gens dormiront, nous partirons voler la nourriture.

124La fête cessa. Les gens allèrent dormir. Les deux vieilles grimpèrent sur le paepae, elles bourrèrent les corbeilles de nourriture. Elles mangèrent toutes deux, se rassasièrent, prirent les corbeilles et montèrent. Le vent arriva devant Tu. Il dit :

125– Voici mes deux vieilles.

126Elles arrivèrent auprès de Tu et lui dirent :

127– Voici à manger, réveille-toi.

128Tu s’était couché. Il s’éveilla. Ils se mirent tous à manger.

129On s’était aperçu que la nourriture avait été emportée. Les gens guettèrent les voleurs, car on avait emporté les vivres pendant la nuit.

130Trois jours après, la nourriture fut épuisée. Tu grimpa de nouveau à l’arbre et prononça les mêmes paroles que l’autre jour. Les deux vieilles femmes dirent :

131– Nous allons peut-être nous faire prendre.

132Elles dirent à Tu :

133– Lorsque nous serons descendues, prends bien soin de toi-même. Ce voyage-ci est peut-être celui où nous nous ferons prendre. Cependant, si nous nous faisons prendre, tant pis pour nous deux, quant à toi, tu resteras tout seul. Mais s’il arrive un oiseau chez toi, un komako, dis-lui : « Ordure, tu manges le pagne des deux vieilles. »

134Nombreux furent les oiseaux dont les deux vieilles lui parlèrent. Restait le kukupa. C’était un oiseau dont les deux vieilles n’avaient pas parlé, elles avaient oublié. Tous les oiseaux arrivèrent, et, en tout dernier lieu, le kukupa. Le kukupa se lamenta. Tu l’entendit, il dit :

135– Qu’est-ce donc que celui-ci ?

136L’oiseau pénétra à l’intérieur de la maison. Tu se rendit compte que c’était un fantôme. Il se lamenta en disant :

137– Je suis mort.

138L’oiseau recommença à se lamenter. Tu s’enfuit de la maison qu’il abandonna à l’oiseau. Bien. Ensuite, les deux vieilles femmes se firent prendre. Les gens s’écrièrent :

139– Hé ! Nous avons pris les voleurs.

140Certains s’exclamèrent :

141– Qui ça ?

142– Tuituike et Hakaokaoike.

143Le chef leur cria :

144– Prenez-les, nous allons les manger !

145Les deux vieilles dirent :

146– Laissez-nous arroser les pagnes du chef.

147Le chef dit :

148– Ne les tuez pas, laissez-leur la vie pour qu’elles arrosent les pagnes pour moi.

149On leur laissa la vie. Leur travail était d’arroser les pagnes du chef.

150Quant à Tu, il était en train de descendre le long de la vallée. Quand les deux vieilles l’avaient quitté, il était un adulte. Maintenant, c’était un petit garçon. Il arriva sur la plage et joua à prendre des bains de mer avec les enfants. Les affaires des deux vieilles séchaient sur les galets. C’étaient les pagnes du chef. Quand Tu vit que les deux vieilles allaient chercher les pagnes du chef, il les écrasa à coups de pierres pour qu’elles se mettent en colère. Quand les deux vieilles s’en aperçurent, elles partirent battre le garçon. Tu avait une tache de naissance à l’aisselle. Les deux vieilles femmes aperçurent la marque que Tu avait jadis. C’est lorsque Tu tomba par terre qu’elles virent la tache de naissance à son aisselle. Elles comprirent alors :

151– C’est Tu, c’est notre petit-fils !

152Il y a un instant elles le battaient à coups de bâton, maintenant elles pleuraient en disant :

153– Prends garde, mon petit, de te faire voir par le chef. Il te tuerait, peut-être.

154– Non, allez maintenant supplier le chef en ma faveur.

155Les deux vieilles supplièrent le chef qui répondit :

156– Allez le chercher, qu’il vienne auprès de moi.

157C’était le soir, lorsque Tu arriva auprès du chef. Il y eut la nuit une grande fête. Lorsque la fête fut près de cesser, Tu dit au chef :

158– Donne-moi un tambour, je vais en jouer.

159– C’est entendu, dit le chef.

160Il y avait une femme, au fond de la vallée, qui avait deux filles, deux filles très belles, Ku’anui* et Ku’aiti*. Toutes les nuits, elles avaient entendu le tambour du chef, ce n’était pas beau. Cette nuit-là, c’était différent, c’était très joli : impossible de dormir tant le tambour était agréable quand Tu en jouait. Il articulait ainsi le nom de la femme du haut de la vallée : « Titi, titi, patue, patue, hé, Ku’a6 ! » La femme descendit de la vallée en courant. Quand Tu vit la femme qui accourait, il abandonna l’instrument et le fit passer au chef qui se mit à en jouer.

161Le lendemain, Tu alla taper des mains dans la rivière, il articulait le nom de la femme. Un jour, il se laissa surprendre. Un soir, Tu alla prendre un bain de rivière, il tapait des mains dans l’eau : « Titi, titi, patue, patue hé, Ku’a. » La jeune femme descendit de la vallée en courant. Tu resta seulement dans l’eau, il ne se sauva pas. La femme arriva. Sitôt arrivée, elle sauta dans l’eau et entoura par surprise le cou de Tu avec ses bras. Désormais, ils vécurent ensemble et allèrent à la maison du chef. Ils y demeurèrent tous deux.

162Quelque temps après, Tu dit au chef :

163– Allons tous les deux à la pêche.

164– C’est bien, répondit le chef, allons-y tous les deux.

165Ils partirent à la pêche. Ils pêchèrent tous deux du poisson à la ligne. Le chef fit une prise, c’était un va’u. Tu fit une prise, c’était une carangue. Le chef fit une nouvelle prise, c’était un petit requin. Tu dit :

166– Cela suffit, allons au rivage.

167Ils arrivèrent sur la plage. Tu dit au chef :

168– Donne-moi ce petit requin.

169Le chef répondit :

170– Prends-le pour toi.

171Il le prit et arriva chez lui, le requin n’était pas mort. Il l’apporta dans la rivière le lendemain. Le surlendemain, Tu dit au chef :

172– Dis à tes sujets de venir avec moi faire un barrage sur la rivière pour mon poisson.

173Ils allèrent barrer la rivière, en un seul jour ce fut fini. Ils mirent le poisson à l’intérieur. Quelques années après, le poisson remplissait le bassin. On fit un nouveau barrage. On fit trois barrages successifs sur la rivière, trois fois le bassin fut rempli. Pas moyen d’en venir à bout, ils le jetèrent à la mer. Ce poisson obéissait à la voix de Tu. Tu envoyait toujours de la nourriture pour le poisson.

174Un jour, deux hommes arrivèrent de Hiva ’Oa, de la vallée de Hanapa’aoa. C’est parce qu’ils avaient entendu parler de la beauté de la femme de Tu qu’ils étaient venus. À leur arrivée, ils dirent au chef :

175– Nous voudrions habiter ici.

176Le chef répondit :

177– Il n’y a pas de motif de refus, installez-vous.

178Tu comprit que ces deux étrangers étaient des scélérats. La loi de ce pays était que, lorsqu’il arrivait un étranger, on devait lui donner sa femme. Le chef dit à Tu :

179– Il faut donner ta femme aux étrangers.

180Tu répondit :

181– C’est bien.

182Et on leur donna deux femmes, l’une était celle de Tu, l’autre celle du chef, la sœur de Tu. À la nuit tombée, les deux hommes se rendirent dans une maison avec leurs femmes. Tu alla écouter à l’extérieur de la maison. L’un des étrangers était en train de dire à la femme de Tu :

183– Cesse de vivre avec Tu, cet homme, c’est une fausse couche qui a été rejetée par sa mère. Cesse de l’aimer, vivons ensemble tous deux.

184Tu se mit alors à pleurer. Cette même nuit, il se rendit chez les deux vieilles et leur dit :

185– Allons construire notre maison dans un autre endroit, nous avons assez habité ici.

186Ils partirent construire leur maison dans un autre endroit. Ils habitèrent là désormais. Les deux étrangers et leurs femmes firent de même : ils déménagèrent dans la maison de leur femme, chez Ku’a. Ils ne faisaient aucun travail, ils restaient couchés sans rien faire. Ils ne préparaient pas leur repas. Avaient-ils faim ? Qu’importait : c’étaient les deux femmes qui faisaient cuire le repas. Ils ne se réveillaient que lorsque le repas était cuit. Lorsqu’ils étaient rassasiés, ils retournaient se coucher. C’était toujours ainsi.

187Quant à Tu, il avait repris son corps de jeune garçon. Il passait son temps à jouer à des jeux d’enfants pour attraper les deux scélérats. Un jour, les deux maris dirent à leur femme :

188– Hé ! Ho ! Nous nous sommes aperçu que les deux vieilles avaient un petit garçon.

189Leurs femmes leur répondirent :

190– C’est vrai, elles ont un petit garçon. Tout à l’heure, nous irons le chercher pour qu’il grimpe sur les arbres à pain pour nous cueillir des fruits.

191Elles allèrent dire aux deux vieilles :

192– Donnez-nous votre petit garçon pour qu’il monte sur les arbres à pain.

193Les deux vieilles dirent au gamin :

194– Va grimper sur les arbres à pain pour ces deux femmes.

195– C’est bien, dit le gamin, et il partit.

196Les deux femmes allèrent se coucher avec leurs maris dans la maison. Tu était là qui regardait. Les femmes lui dirent :

197– Va vite monter cueillir des fruits d’arbre à pain.

198Tu partit. Arrivé au pied de l’arbre à pain, il dit :

199– Tu ne sait pas grimper aux arbres à pain ; est-ce que ces fruits qui sont là vont se détacher et tomber à terre ?

200Les fruits se détachèrent de l’arbre et tombèrent sur le sol. Il prit quatre fruits et alla à la maison. Il dit aux femmes :

201– Voici les fruits d’arbre à pain.

202Les deux femmes dirent :

203– Va chercher des noix de coco ; quand tu en auras, allume le feu pour faire du ka’aku (on dit ko’ehi dans la langue de Hiva ’Oa).

204Tu partit chercher des noix de coco. Il dit :

205– Tu ne sait pas grimper aux cocotiers ; est-ce que les noix de coco vont se détacher et tomber ici ?

206Toutes les noix de coco se détachèrent et tombèrent sur le sol. Il prit deux noix et les rapporta à la maison. Les deux femmes lui dirent :

207– Fais cuire le repas.

208Tu y alla, et dit :

209– Tu ne sait pas allumer le feu ; est-ce que le feu va s’allumer ?

210Le feu s’alluma.

211– Tu ne sait pas râper le coco, dit-il.

212Le coco se râpa tout seul. Lorsque les fruits d’arbre à pain furent cuits, Tu dit :

213– Hé ! Ho ! Qu’une femme vienne éplucher les fruits !

214Les deux femmes répondirent :

215– C’est toi qui doit faire tout le travail.

216Tu dit :

217– Tu ne sait pas piler le ka’aku. Est-ce que ce ka’aku va se piler ?

218Le ka’aku se pila entièrement. Il alla chercher un rat, un margouillat, un cent-pieds, les mit au milieu du ka’aku et dit aux gens de venir manger. Ils se réveillèrent et vinrent manger. Comme ils se servaient du ka’aku, la queue du rat dépassa. L’un des compères se servit : le dard du cent-pieds dépassa, le margouillat dépassa. Les deux hommes se consultèrent, l’un dit à l’autre :

219– Hé, l’ami, ce garçon, c’est Tu ! Filons, Tu nous fera mourir si nous restons davantage.

220Ils partirent tous les deux. Les deux femmes eurent beau pleurer, ils ne revinrent pas, ils allèrent jusqu’à leur pirogue, pagayèrent et retournèrent à Hiva’ Oa. Les deux femmes se mirent en colère contre le jeune garçon, car leurs maris s’étaient enfuis par sa faute. Elles prirent le plat de ka’aku et le jetèrent à la tête du garçon. Et le plat et le ka’aku restèrent collés, impossible de les faire tomber de sa tête. Le garçon se mit à pleurer. Alors une femme alla tirer le plat de sa tête, il ne se décolla pas. Ce jeune garçon s’en alla. Les femmes eurent peur de la colère des deux vieilles. Le jeune homme s’en alla jusqu’au bord de la mer et dit :

221– Que la pluie tombe, que la rivière coule, Tu veut se baigner sur la terre ferme.

222La maison des deux femmes se trouvait près du lit de la rivière. La pluie obéit. Pendant la nuit, elle se mit à tomber. Au cœur de la nuit, la rivière se mit à couler. Au point du jour, l’eau se mit à couler très fort. Les deux femmes ne s’étaient pas réveillées. Avant qu’elles ne se réveillent, la maison fut emportée dans le fort courant d’eau. Tu dit au poisson :

223– Approche-toi d’ici, voici qu’arrive ton repas.

224La maison filait avec les deux femmes à l’intérieur. Elle tomba dans la mer. La maison fut engloutie, les deux femmes nagèrent sur la mer. Le poisson alla les manger. La vengeance de Tu est finie.

Notes de bas de page

1 La population soulevait de terre et portait sur ses épaules celui qu’elle voulait désigner comme son chef.

2 Le centre de l’île, avec ses pics et ses aiguilles escarpées, était le lieu de refuge des mécontents et des vaincus.

3 Il s’agit sans doute des mères classificatoires du père. On se rappelle que selon la logique de la parenté dite, en anthropologie, « classificatoire », il existe des tuteurs rituels (pahupahu) plus forts que les liens de parenté biologiques. Un garçon peut être ainsi fils (i’amutu) des épouses des frères de sa mère.

4 Havaiki est, aux îles Marquises, le pays souterrain des morts.

5 À Ua Pou, il arrive souvent que les ruisseaux se perdent dans les éboulis ou bien s’infiltrent dans les sédiments avant d’avoir atteint la mer.

6 Onomatopée imitant le son du tambour ; la dernière syllabe de l’onomatopée est le nom de la jeune fille.

Précédent Suivant

Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.