Notices bio-bibliographiques
p. 147-171
Texte intégral
1Ces notices concernent les cinquante auteurs auxquels Bernard Lazare consacre un médaillon dans Figures contemporaines
Paul Adam (1862-1920)
2Après un premier roman naturaliste qui lui vaut des poursuites judiciaires (Chair molle, 1885, préface de Paul Alexis), Paul Adam signe en 1886 avec Jean Moréas deux ouvrages de prose décadente (Les Demoiselles Goubert et Le Thé chez Miranda), et devient rapidement l’un des principaux représentants de la jeunesse symboliste. Cofondateur, avec Moréas et Gustave Kahn, de l’éphémère hebdomadaire Le Symboliste (octobre 1886) dont il est le polémiste attitré, il collabore aux principales jeunes revues de l’époque, publie en 1886 le Petit Bottin des lettres et des arts (avec Moréas et Fénéon), en 1888 le Petit glossaire pour servir à l’intelligence des auteurs décadents et symbolistes (sous le pseudonyme de Jacques Plowert), et fonde en 1890, avec Francis Vielé-Griffin et Henri de Régnier, les Entretiens politiques et littéraires, revue symboliste et anarchisante où il côtoie Bernard Lazare. Il y donne régulièrement des articles sociaux et politiques particulièrement virulents, et y tient, au cours de l’année 1893, la Chronique des mœurs. Travailleur acharné, il mène parallèlement une carrière de romancier prolifique qui, après l’esthétisme symboliste de Soi (1886), Être (1891) et En décor (1891), s’oriente vers la critique sociale (Robes rouges, 1891 ; Le Mystère des foules, 1895 ; La Force du mal, 1896), et s’organise en vasques fresques (L’Époque, Le Temps et la vie, Les Volontés merveilleuses). Son évolution idéologique, très influencée par son ami Barrès avec qui il se présente aux élections de 1889, est aussi curieuse que son évolution esthétique : d’abord boulangiste, il glisse rapidement à l’anarchisme, signant en juillet 1892 un tonitruant « Éloge de Ravachol » aux Entretiens politiques et littéraires, mais son culte de l’énergie et sa mystique de la violence vont le conduire à rejoindre les thèses préfascistes d’un Gustave Le Bon, avant de virer, à la veille de 1914, au nationalisme cocardier, militariste et colonialiste.
3Bernard Lazare a également consacré une notice à Paul Adam dans l’ouvrage collectif Portraits du prochain siècle (Girard, 1894).
Jean Aicard (1848-1921)
4Les sobriquets dont Bernard Lazare affuble Jean Aicard – « aède de cérémonies publiques » et « Feuillet des petites gens » – quoique peu charitables, sont assez appropriés. Tout au long de sa carrière littéraire en effet, Jean Aicard manifeste une prédilection singulière pour les discours officiels et les distinctions honorifiques ; dès 1870, il appartient à la Société académique du Var, et en 1896 il fera campagne pour entrer à l’Académie française. Il y sera reçu en 1909, succédant à François Coppée, dont il partage le goût pour la « poésie des humbles », d’un sentimentalisme souvent mièvre (La Chanson de l’enfant, 1876 ; Le Petit Peuple, 1879 ; Le Livre des petits, 1886). Jean Aicard va pourtant trouver sa voie, amorcée dès 1874 avec les Poèmes de Provence : le Roi de Camargue (1890), mais surtout Maurin des Maures (1908), suivi de L’Illustre Maurin (1908) et du Rire de Maurin des Maures (posthume, 1923), feront de lui, autant sinon plus que Daudet, le romancier de la Provence. De lui, Antoine Albalat (qui l’apprécie) dira dans ses Souvenirs de la vie littéraire (1924) : « Une voix admirable, un vrai talent oratoire et surtout un inépuisable entrain méridional donnaient à Jean Aicard une séduction à laquelle n’a résisté aucun de ceux qui l’ont connu d’un peu près. Il eut cependant bien des ennemis littéraires, surtout parmi les jeunes. On ne lui pardonnait pas d’être l’homme de l’improvisation. Aicard n’a jamais travaillé et ne s’en cachait pas. »
Jean Ajalbert (1863-1947)
5Comme beaucoup d’écrivains de l’époque, Jean Ajalbert commence par publier un recueil de vers, qu’il qualifie lui-même d’« impressionnistes » (Sur le vif, 1886), avant de se tourner vers le roman (Le P’tit, 1888). Mais c’est en 1890 qu’il acquiert une certaine notoriété, en adaptant pour la scène La Fille Élisa des frères Goncourt : créée le 26 décembre 1890 au Théâtre-Libre d’Antoine, la pièce est interdite le 19 janvier 1891. Élu en 1917 à l’académie Goncourt, où il succède à Octave Mirbeau, Ajalbert ne demeure guère aujourd’hui dans l’histoire littéraire que comme mémorialiste du tournant du siècle (Mémoires en vrac, 1938), mais dans les années 1890 il apparaît comme l’un des écrivains susceptibles d’incarner, sinon une synthèse entre symbolisme et naturalisme, du moins un relais ou une alternative. Parallèlement à son œuvre littéraire, Ajalbert mène une carrière d’avocat, et d’avocat politiquement engagé dans la défense de la cause anarchiste : quelques mois avant la parution de ce médaillon dans Le Figaro, il a été pressenti pour défendre Auguste Vaillant, auteur de l’attentat contre la Chambre des députés le 9 décembre 1893, puis son ami Jean Grave, lors du procès qui lui est intenté le 24 février 1894 pour la publication de La Société mourante et l’anarchie (mais il ne pourra plaider lors de ces deux procès), et il n’est pas douteux que son engagement politique, plus que ses qualités d’écrivain, détermine en partie le jugement que Lazare porte sur lui.
Maurice Barrès (1862-1923)
6En 1894, l’œuvre du « Prince de la jeunesse » (la formule est de Paul Adam) n’est pas encore très importante, et le jeune esthète des Taches d’encre (revue dont il rédige seul les quatre numéros, de novembre 1884 à février 1885), l’ironiste de Huit Jours chez Monsieur Renan (1888), le romancier égotiste du Culte du moi (Sous l’œil des barbares, 1888 ; Un homme libre, 1889 ; Le Jardin de Bérénice, 1891), et le doux utopiste, mi-anarchiste, mi-écologiste, de L’Ennemi des lois (1892), ne laissent pas encore deviner l’auteur nationaliste du Roman de l’énergie nationale (Les Déracinés, 1897 ; L’Appel au soldat, 1900 ; Leurs figures, 1902). Barrès mène pourtant déjà une double carrière d’écrivain et d’homme politique : candidat boulangiste aux élections de 1889, il se dit nationaliste et socialiste, et siège à l’extrême-gauche ; il rejoindra plus tard l’Action française, et sera député de Paris de 1906 (année où il est également élu à l’Académie française) jusqu’à sa mort. Six jours après la parution de ce médaillon dans les colonnes du Figaro, a lieu la création d’Une journée parlementaire, pièce en trois actes, aussitôt interdite par la censure, et qui annonce déjà l’antiparlementarisme de Leurs figures.
7Les réticences de Bernard Lazare à l’égard de Barrès sont évidentes, et il n’a visiblement guère de sympathie pour sa « touchante philosophie bourgeoise, pratique et doctrinaire, bien faite pour séduire les éphèbes tristes qui veulent donner à leur vie un but », mais la rupture ne sera consommée qu’un an plus tard, à l’occasion de l’affaire Dreyfus : alors que Barrès rédige l’un des comptes rendus les plus haineux qui aient été faits de la dégradation du capitaine Dreyfus, Lazare prend en charge la campagne de révision du procès.
Jules Bois (1871-1941)
8Auteur de drames ésotériques (Les Noces de Sathan, 1890 ; La Porte héroïque du ciel, 1894), d’imitations du théâtre grec (Hippolyte couronné, 1904), et d’études sur la magie (Le Satanisme et la magie, 1896, ouvrage préfacé par Huysmans), le paranormal (Le Monde invisible, 1902 ; L’Au-delà et les forces inconnues, 1902), l’occultisme et les religions initiatiques (Les Petites Religions de Paris, 1894), Jules Bois est l’une des figures les plus curieuses du Paris fin de siècle. Avec Papus et Joséphin Peladan, il fait partie de ces « mages » qui, en marge du mouvement symboliste, revendiquent une conception métaphysique et ésotérique du symbole. Il se veut l’héritier d’une tradition kabbalistique qu’avait déjà illustrée Eliphas Lévi (1810-1875), dont l’œuvre jouit alors d’une ferveur particulière. L’intérêt que Bernard Lazare lui manifeste – même s’il ne dissimule pas ses réticences – n’est pas surprenant si l’on sait que depuis plusieurs années il se passionne pour l’histoire des religions, qu’il a étudiée à la Section des sciences religieuses de l’École pratique des hautes études, dès son arrivée à Paris en 1886. Il s’est même intéressé au parapsychisme, publiant en 1893 un curieux ouvrage sur La Télépathie et le néo-spiritualisme.
Robert de Bonnières (1850-1905)
9Le succès de Robert de Bonnières à la fin du siècle est celui d’un satiriste féroce relatant des anecdotes piquantes, parfois à la limite de la diffamation. Ses deux cibles favorites sont les milieux littéraires, qu’il connaît en particulier à travers le salon que tient sa femme, et la haute société parisienne, dont il fait partie et qu’il décrit dans ses « romans parisiens », Les Monach (1884) et Jeanne Avril (1887) – le premier visant plus précisément la grande bourgeoisie juive et ayant lors de sa parution suscité de vives controverses, deux ans avant la publication de La France juive de Drumont (1886). Mais c’est d’abord comme chroniqueur au Figaro (dès 1880, sous le pseudonyme de Janus) et au Gaulois (sous celui de Robert Estienne) qu’il acquiert sa notoriété : en témoigne le succès rencontré par les trois volumes de ses Mémoires d’aujourd’hui, qui rassemblent ses chroniques du Figaro et paraissent entre 1883 et 1888. Beaucoup moins connus en revanche sont ses contes en vers (Contes des fées, 1881 ; Contes à la reine, 1892), les notes de voyage qu’il donne à la Revue politique et littéraire et le roman exotique qu’il écrit au retour d’un séjour de plusieurs mois dans les Indes britanniques (Le Baiser de Maïna, 1886).
Paul Bourget (1852-1935)
10Comme presque tous les écrivains de la fin du siècle, Paul Bourget commence par publier des recueils de vers (La Vie inquiète, 1875 ; Edel, 1878 ; Les Aveux, 1882), mais c’est avec ses Essais de psychologie contemporaine (1883), suivis deux ans plus tard par les Nouveaux Essais de psychologie contemporaine (1885), qu’il se fait connaître. Très vite pourtant, il se tourne vers le roman : Cruelle Énigme (1885), Un crime d’amour (1886), André Cornélis (1887), Mensonges (1887), Un cœur de femme (1890), romans à succès auxquels s’ajoutent de nombreux recueils de nouvelles (Pastels, 1889 ; Un scrupule, 1893 ; Voyageuses, 1897 ; Complications sentimentales, 1898 ; Les Détours du cœur, 1908), font de lui le principal représentant du roman d’analyse psychologique, le spécialiste des états d’âme féminins, le peintre de la vie mondaine et l’arbitre anglomane des élégances. Avec Le Disciple (1889), encensé par Brunetière, il amorce un virage moraliste et conservateur (La Terre promise, 1892 ; Cosmopolis, 1892), que vient couronner son élection à l’Académie française en 1894, et qu’accentueront son engagement antidreyfusard, puis sa conversion au catholicisme en 1901 : ses romans L’Étape (1902), Un divorce (1904), L’Émigré (1907) et Le Démon de midi (1914), comme ses pièces de théâtre (La Barricade, 1910 ; Le Tribun, 1911), développeront une idéologie conservatrice, nationaliste et royaliste.
Ferdinand Brunetière (1849-1906)
11Incarnation de la critique institutionnelle, Brunetière mène toute sa carrière à la Revue des deux mondes : il y entre en 1875 grâce à Paul Bourget, en devient le secrétaire de rédaction en 1877, puis succède à Buloz en 1894 et en conservera la direction jusqu’à sa mort. Il entreprend en 1880 la publication de ses Études critiques sur l’histoire de la littérature française (l’ensemble formera neuf volumes, le dernier étant posthume, 1907), donne entre 1884 et 1886 les trois volumes d’Histoire et littérature, puis en 1895 les quatre volumes de son Histoire de la littérature française classique, et en 1898 un Manuel de l’histoire de la littérature française. Après deux ouvrages sur la critique (Questions de critique, 1889 ; Nouvelles questions de critique, 1890), il s’intéresse à l’évolution des genres (L’Évolution des genres, 1890, qui ne porte que sur l’évolution de la critique ; L’Évolution de la poésie lyrique en France au xix e siècle, 1894). Critique dogmatique, farouche défenseur du classicisme (il a procuré les éditions critiques de Bossuet, Boileau, Pascal et Corneille) et attaché à une conception moralisatrice de l’œuvre d’art, Brunetière est aussi un ardent polémiste, qui en 1882 prend la tête d’une croisade contre Zola (Le Roman naturaliste), et qui fustige régulièrement la poésie nouvelle. Élu à l’Académie française en 1893, au fauteuil qu’avaient jadis occupé Sainte-Beuve et Jules Janin, il se convertit au catholicisme en 1894 après une visite à Léon XIII, et prendra place dans le camp antidreyfusard (il est l’un des premiers adhérents à la Ligue de la patrie française fondée en décembre 1898).
Francis Chevassu (1861-1918)
12Aujourd’hui totalement oublié, Francis Chevassu a joui d’une certaine notoriété dans les années 1890, grâce aux chroniques qu’il donne au Gil Blas (dont il sera le rédacteur en chef de 1895 à 1897) et qu’il rassemble en volumes dès 1891 : Les Parisiens, portraits d’aujourd’hui (1891), Les Grands Enterrements (1892), que suivront après 1900 Visages, images et reflets, et Sagesse de Paris (posthume). Peu après la parution des Parisiens, Bernard Lazare salue cet « écrivain analyste et spirituel, au style verveux et clair », cet « homme d’esprit délicat et délié » et « son ton de discrète ironie, ou de raillerie sûre », tout en se hasardant à de curieuses comparaisons : « C’est Bourget et Meilhac, Anatole de la Forge et Maurice Barrès, M. Floquet et Alexandre Dumas, Arsène Houssaye et Tony Révillon. » (Entretiens politiques et littéraires, février 1892) Mais c’est indéniablement aux pastiches des Grands Enterrements, d’une ironie beaucoup plus féroce, que vont ses éloges – éloges quelque peu excessifs, essentiellement justifiés par la nécessité d’opposer à Bourget un autre peintre de la vie mondaine, dans le cadre artificiel de ces portraits bilatéraux que sont Ceux d’aujourd’hui, Ceux de demain.
Alphonse Daudet (1840-1897)
13Après un début de carrière difficile, au cours duquel il publie pourtant des œuvres aussi connues aujourd’hui que Le Petit Chose (1868), Les Lettres de mon moulin (1869), Tartarin de Tarascon (1872), Les Contes du lundi (1873) et L’Arlésienne (1872, musique de Georges Bizet), qui est un échec retentissant, Alphonse Daudet trouve enfin, avec Fromont jeune et Risler aîné (1874), un succès qu’il renouvelle dès lors chaque année (Robert Helmont, 1874 ; Jack, 1876 ; Le Nabab, 1877 ; Les Rois en exil, 1879 ; Numa Roumestan, 1881, etc.). Mais il ne donne plus guère d’œuvre originale après 1888, année où il publie L’Immortel, Souvenirs d’un homme de lettres, et Trente Ans de Paris, se préoccupant surtout désormais de faire rééditer ses romans antérieurs, et s’attelant dès 1881 à l’édition de ses Œuvres complètes.
14Daudet est l’une des « bêtes noires » de Bernard Lazare, qui ne perd jamais une occasion de l’éreinter. Il l’a ainsi déjà qualifié de « haut fonctionnaire dans la littérature bourgeoise » (Entretiens politiques et littéraires, août 1891), et de « négociant vulgaire, habile à farder ses produits, adroit à leur donner une importance, et à les vendre, car c’est le dernier mot de tout » (Entretiens politiques et littéraires, mai 1892).
Paul Desjardins (1859-1940)
15Journaliste, critique et philosophe, Paul Dejardins débute en 1884 à la Revue bleue, où il donne des chroniques qu’il recueille en volume en 1888 sous le titre Esquisses et impressions, puis écrit au Journal des débats, au Temps et au Figaro. Humaniste pacifiste dont l’œuvre prône un idéalisme moral (Le Devoir présent, 1892), ami du philosophe Jules Lagneau qu’il rencontre en 1891, c’est aussi un militant culturel et social dont l’influence sera sensible sur les intellectuels de l’entre-deux guerres, et qui tout au long de sa vie fondera nombre d’associations telles que l’École de la liberté (1891), l’Union pour l’action morale (1892), la Ligue internationale pour la défense du droit des peuples (1912), l’École de commune culture (1913), la Ligue de l’amitié civique (1914), la Petite Université (1926), etc. Sa principale création reste celle des Entretiens de Pontigny (1910), ancêtres des Décades de Cerisy.
16Bernard Lazare ne l’aime guère ; il lui a déjà consacré un long article, publié en mars 1892 aux Entretiens politiques et littéraires lors de la parution du Devoir présent, où il le traite d’« inutile déclamateur de phrases creuses et incohérentes » et de « bedeau de cathédrale » : « Il en a la candeur un peu niaise, la présomption désagréable, et même l’incertitude grammaticale, comme la robuste incompréhension. […] Il ne sait rien, et ne croyez pas que ce soit par fausse humilité qu’il le confesse, il ne sait vraiment rien : l’attentive lecture de sa prose le démontre surabondamment. Aussi a-t-il de l’ignorant la facilité à trancher de toutes choses et la paisible imperturbabilité. »
Léon Dierx (1838-1912)
17Originaire de l’île Bourbon, comme Leconte de Lisle (auquel, selon Goncourt, il ressemble physiquement), Léon Dierx a été souvent considéré comme un Parnassien, alors qu’il est plus proche de Baudelaire, ou du Verlaine des Poèmes saturniens et de Sagesse. Après Aspirations (1858) et Poèmes et poésies (1864), il publie son recueil le plus connu, Les Lèvres closes (1867), précédé d’une importante préface, puis Poésies (1872). Sa production poétique prend fin en 1879 avec Les Amants, et il se consacre dès lors à la réédition de son œuvre (Poésies complètes en deux volumes, 1889-1890 ; édition définitive 1894-1896). L’homme et l’œuvre sont appréciés par l’ensemble des poètes contemporains – aussi bien par Catulle Mendès (qui en 1891, lors de l’Enquête sur l’évolution littéraire, déclare à Jules Huret : « Je vois en lui le plus pur et le plus auguste et le plus sacré poète de nos générations »), que par les jeunes symbolistes. Il est à cet égard significatif qu’à la mort de Mallarmé, en 1898, il soit élu Prince des poètes après une enquête menée conjointement par Le Temps, journal institutionnel, et par La Plume, l’une des principales revues de jeunes.
Georges Eekhoud (1854-1927)
18Après quelques recueils poétiques (Myrtes et cyprès, 1877 ; Zigzags poétiques, 1878 ; Pittoresques, 1879), Georges Eekhoud trouve sa voie en 1883 avec un recueil de nouvelles et contes flamands, Kees Doorik, scènes du polder. Dans ses trois volumes de Kermesses (Kermesses, 1884 ; Nouvelles Kermesses, 1885 ; Dernières Kermesses, 1920), dans son Cycle patibulaire (1892), dont Lazare rend compte en novembre 1892 dans les Entretiens politiques et littéraires, comme plus tard dans Les Voyous de velours (1904), il témoigne d’un sens de la couleur et du tableau qui apparaît aussi dans ses critiques d’art consacrées à la peinture flamande, et il manifeste sa sympathie pour les déshérités, les opprimés et les vagabonds. Bien qu’il dénonce vigoureusement la cupidité et l’hypocrisie de la bourgeoisie commerçante (La Nouvelle Carthage, 1888), son réalisme social relève plus cependant de l’humanitarisme que d’aspirations socialistes. Romancier truculent de la vie instinctive et de l’humanité primitive qu’incarnent à ses yeux les paysans frustes de la Campine, sa région natale, mais aussi les hors-la-loi et les marginaux (Escal-Vigor, 1899, roman sur l’homosexualité masculine qui lui vaut un procès), Georges Eekhoud a pu être qualifié de « peintre des ruts et des rixes ». Sa prose lyrique, crue et rocailleuse est souvent comparée à celle de Léon Cladel et de Camille Lemonnier, avec lequel il a fondé en 1881 la revue La Jeune Belgique, vivier du renouveau littéraire belge à la fin du siècle.
Anatole France (1844-1924)
19Après s’être essayé à la poésie (Poèmes dorés, 1873, dédiés à Leconte de Lisle) et au théâtre d’inspiration antique (Les Noces corinthiennes, 1876), Anatole France connaît le succès avec Le Crime de Sylvestre Bonnard (1881), que suivront Les Désirs de Jean Servien (1882), Le Livre de mon ami (1885), Balthasar (1889), Thaïs (1890, mis en musique par Massenet en 1894), La Rôtisserie de la reine Pédauque (1893), Le Lys rouge (1894), etc. Il mène parallèlement, de 1886 à 1893, une carrière de critique littéraire au Temps, et rassemble dès 1888 ses chroniques hebdomadaires dans les cinq volumes de La Vie littéraire : il y pratique, comme Jules Lemaître, une critique impressionniste, plus soucieux de faire partager ses impressions de lecteur que de régenter les lettres à la manière de Brunetière. Mais c’est probablement dans ses chroniques de L’Écho de Paris (rassemblées en 1893 dans Les Opinions de Jérôme Coignard, et que suivront L’Orme du mail, 1897 ; Le Mannequin d’osier, 1897 ; L’Anneau d’améthyste, 1899 ; et M. Bergeret à Paris, 1901), ainsi que dans Le Jardin d’Épicure (1894), qu’Anatole France exprime le mieux sa philosophie humaniste, à la fois sceptique et souriante, héritée des encyclopédistes et philosophes du xviii e. L’affaire Dreyfus va le voir rejoindre Zola, qu’il n’a pourtant guère ménagé dans ses articles du Temps (il a qualifié La Terre de « Géorgiques de la crapule » en 1887), et son œuvre prendra une orientation plus politique et sociale (Opinions sociales, 1902 ; Sur la pierre blanche, 1905 ; Vers les temps meilleurs, 1909). Académicien en 1896, il recevra le prix Nobel de littérature en 1921.
Vicomte André Charles Romain de Guerne (1853-1912)
20Disciple de Leconte de Lisle dont il éditera les derniers poèmes en 1899, le vicomte de Guerne donne entre 1890 et 1897 les trois volumes des Siècles morts (L’Orient antique, 1890 ; L’Orient grec, 1893 ; L’Orient chrétien, 1897), puis publiera encore deux volumes de vers : Le Bois sacré (1898) et Les Flûtes alternées (1900). Parnassien de stricte observance affectant un goût aristocratique de l’érudition archaïsante, le vicomte de Guerne n’a pas laissé de souvenir impérissable dans l’histoire des lettres françaises, bien que Leconte de Lisle, dans sa réponse à l’Enquête sur l’évolution littéraire de Jules Huret, l’ait qualifié en 1891 de « vrai grand poète, le plus remarquable sans contredit depuis la génération parnassienne ».
Ludovic Halévy (1834-1908)
21Associé pendant près d’un quart de siècle à Henri Meilhac (ils se rencontrent en 1860 et se séparent en 1883), avec lequel il écrit une cinquantaine de pièces (la première étant en 1860 Ce qui plaît aux hommes), Ludovic Halévy doit d’abord sa notoriété à sa collaboration avec Offenbach : en une dizaine d’années (1864-1875), le trio Meilhac-Halévy-Offenbach produit neuf opéras-bouffe et rencontre succès sur succès avec La Belle Hélène (1864), La Vie parisienne (1866), La Grande-Duchesse de Gerolstein (1867), La Périchole (1868), Les Brigands (1869), etc. Mais Ludovic Halévy est aussi l’auteur d’Orphée aux Enfers (1858, avec Hector Crémieux), du livret de Carmen (1875, musique de Georges Bizet), de souvenirs de la guerre de 1870 (L’Invasion, 1872), de romans (Un mariage d’amour, 1881 ; L’Abbé Constantin, 1882 ; Criquette, 1883 ; Princesse, 1886), et de trois recueils de récits humoristiques (Monsieur et Madame Cardinal, 1872 ; Les Petites Cardinal, 1880 ; La Famille Cardinal, 1883). L’élection d’Halévy à l’Académie française (1884) précède de quatre ans celle de Meilhac.
Edmond Haraucourt (1856-1941)
22Avant de publier en 1883 à Bruxelles, sous le pseudonyme du Sire de Chambley, La Légende des sexes, poèmes hystériques, recueil de poèmes érotiques qui lui confère une notoriété sulfureuse qu’accentue sa laideur légendaire, Edmond Haraucourt a fait partie de tous les cercles de jeunes du Quartier latin : successivement Hydropathe, Hirsute, Zutiste, Jemenfoutiste, il collabore à la revue Lutèce et est l’un des principaux poètes du Chat noir. Mais il ne tarde pas à rejoindre les rangs de la tradition, avec son recueil de poésie élégiaque, L’Âme nue (1885), et son roman en vers, Seul (1891). Vigoureux adversaire du symbolisme, qu’il qualifie de « boulangisme littéraire » dans sa réponse à l’Enquête sur l’évolution littéraire de Jules Huret (1891), il est dès lors considéré comme un Parnassien. Nommé conservateur du musée du Trocadéro en 1894, il mène parallèlement une carrière de dramaturge (Shylock, 1889, musique de Gabriel Fauré ; Héro et Léandre, 1893 ; puis Don Juan de Manara, 1898), et de romancier (Amis, 1887 ; L’Effort, 1894 ; puis Les Naufragés, 1902 ; Les Benoît, 1905 ; La Peur, 1907 ; Trumaille et Pélisson, 1908 ; Dieudonnat, 1912 ; Daâh le premier homme, 1914 ; etc.).
José-Maria de Heredia (1842-1905)
23Auteur d’un seul recueil de vers, Les Trophées (1893), dont les 118 sonnets reçoivent un accueil triomphal (la première édition est épuisée en quelques heures, le jour même de sa mise en vente), et qui lui vaut d’être aussitôt élu à l’Académie française, José-Maria de Heredia est, plus que tout autre Parnassien, le poète de la perfection lexicale, rhétorique et métrique. Bien que l’esthétique parnassienne soit unanimement rejetée par la jeune génération, et bien que Remy de Gourmont l’ait qualifié de « tortionnaire de la poésie », il bénéficie de l’admiration et de l’affection de la plupart des jeunes poètes symbolistes, qu’il reçoit le samedi après-midi rue Balzac et qui sont sensibles, tant à la cordialité et à la simplicité de l’homme, qu’au charme de ses trois filles (et tout particulièrement de la cadette, Marie, qui épousera Henri de Régnier en 1895 et publiera sous le nom de Gérard d’Houville). « Bienveillant par nature, incapable d’effort ou de dissimulation, il était la sincérité même, et si l’on a toujours respecté son caractère, c’est précisément parce qu’il eut toujours avec tous son franc-parler. Il est certain qu’il ne fut jamais attaqué par les jeunes Revues. Malgré l’hostilité du mouvement symboliste contre les Parnassiens, la poésie d’Heredia fut toujours épargnée. » (Antoine Albalat, Souvenirs de la vie littéraire, 1924)
Paul Hervieu (1857-1915)
24Auteur de Diogène le chien (1882), premier roman qu’il publie après avoir mis fin en 1881 à une courte carrière diplomatique, de La Bêtise parisienne (1884), tableau féroce de la haute société, puis de L’Inconnu (1887), Flirt (1890), et de Peints par eux-mêmes (1893), roman par lettres où il se montre peintre impitoyable des gens du monde, Paul Hervieu aborde le théâtre en 1892 avec Les Paroles restent, qui dénonce les méfaits des ragots mondains. Il amorce déjà une évolution qui le conduira au théâtre à thèse et explique ce jugement de Capus (rapporté par Jules Renard dans son Journal, 30 septembre 1892) : « Hervieu, dont la destinée première était d’être gai, s’applique à être profond. Il fait des choses contorsionnées. Il passe à côté de son genre. » Dès lors, il abandonne sa veine satiriste pour mettre en scène la question du divorce, de l’adultère, du droit des femmes, et plus généralement les drames du couple et de la famille (Les Tenailles, 1895 ; La Loi de l’homme, 1897 ; L’Énigme, 1901 ; La Course du flambeau, 1901 ; Réveil, 1905), suivant la voie d’Alexandre Dumas fils, qui le conduira en 1899 à l’Académie française. Il est plaisant de noter qu’il y occupera le fauteuil d’Édouard Pailleron, auquel Bernard Lazare l’oppose ici.
Joris-Karl Huysmans (1848-1907)
25Avec À rebours (1884), qui a pu être considéré comme l’un des manifestes de la Décadence, Huysmans s’est détaché spectaculairement du naturalisme orthodoxe qui avait marqué la première partie de sa carrière et avait fait de lui l’un des plus fidèles médanistes : « Le naturalisme s’essoufflait à tourner la meule dans le même cercle […], nous devions nous demander [s’il] n’aboutissait pas à une impasse et si nous n’allions pas bientôt nous heurter contre le mur du fond », écrira-t-il en 1903 dans la préface à la réédition d’À rebours. Mais son évolution n’est pas achevée : de plus en plus fasciné par le mystère, l’occultisme, le satanisme et le mysticisme (Là-bas, 1891), Huysmans effectue une première retraite à la Trappe d’Igny pendant l’été 1892 et s’y convertit brutalement au catholicisme, au moment même où Zola séjourne à Lourdes pour rassembler les matériaux de son prochain roman (certains journaux écrivent alors que Zola, lui aussi, est sur le point de se convertir). Il retournera à Igny chaque année jusqu’en 1896, puis séjournera à Solesmes et Ligugé. En 1894, Huysmans n’a pas encore publié de roman postérieur à sa conversion : ce sera chose faite l’année suivante, avec En route (1895), où il la relate, puis viendront La Cathédrale (1898), Sainte Lydwine de Schiedam (1901), L’Oblat (1903), et Les Foules de Lourdes (1906), réponse au Lourdes de Zola (1894). En 1900, Huysmans sera le premier président de l’académie Goncourt.
Gustave Kahn (1859-1936)
26Figure centrale du mouvement symboliste dont il se fera l’historien dans Symbolistes et décadents (1902) puis dans Silhouettes littéraires (1925), Gustave Kahn participe à nombre de petites revues littéraires de l’époque et fonde La Vogue en avril 1886 (avec Léo d’Orfer), où il publie les poèmes de son ami Laforgue, puis Le Symboliste en octobre de la même année (avec Moréas et Adam), avant de rejoindre la Revue indépendante en 1888. Ses Palais nomades (1887) sont salués comme le premier recueil écrit (partiellement) en vers libres, formule dont il revendique la paternité (qui lui est contestée par Marie Krysinska) et dont il a ébauché la théorie dans un article de L’Événement (28 septembre 1886), avant de la définir de façon plus précise dans la préface à ses Premiers Poèmes (1897) puis dans Le Vers libre (1912). Avec leur préciosité fin de siècle, leur atmosphère médiévale et crépusculaire, ses recueils Palais nomades (1887), Chansons d’amant (1891), Domaine de fée (1895), font de lui l’un des poètes les plus représentatifs de l’esthétique symboliste ; il évoluera ensuite vers une poésie plus simple avec La Pluie et le beau temps (1896), Limbes et lumière (1897) et Le Livre d’images (1897). Dans la seconde moitié de sa carrière, Gustave Kahn se consacre essentiellement à la critique : critique littéraire à la Revue blanche (de 1894 à 1902), à La Plume et à la Nouvelle Revue, il publie également plusieurs études de critique d’art avant d’assurer la chronique artistique du Mercure de France, de1911 à sa mort. Parallèlement, il entame une carrière de romancier et de conteur avec Le Roi fou (1896), Les Petites Âmes pressées (1898) et Le Conte de l’or et du silence (1898). Suivront Le Cirque solaire (1899), Les Fleurs de la passion (1900), L’Adultère sentimental (1902), les Contes hollandais (1903), et plus tard les Contes juifs (1926), Terre d’Israël (1933), etc.
Jules Lemaître (1853-1914)
27Jules Lemaître est avec Brunetière l’un des principaux représentants de la critique institutionnelle de la fin du siècle, mais contrairement au « gendarme des lettres » qu’est le dogmatique critique de la Revue des deux mondes, il conçoit la critique comme n’étant que l’expression du plaisir ou du déplaisir du lecteur. C’est essentiellement à la Revue bleue et au Journal des débats qu’il pratique cette critique impressionniste, assez proche de celle d’Anatole France au Temps : il donne en 1878 ses premiers articles à la Revue bleue, dont il devient le critique attitré dès 1884, et entame parallèlement en 1885 une carrière de critique dramatique aux Débats, avant de passer en 1896 à la Revue des deux mondes. Dès le milieu des années 1880, il rassemble ses articles en deux séries : Les Contemporains (7 volumes entre 1885 et 1899, auxquels s’ajoute en 1918 un volume posthume), et Impressions de théâtre (10 volumes de 1888 à 1898, et en 1920 un onzième volume posthume). Poète (il rassemble ses poésies en 1896), romancier et conteur (Sérénus, histoire d’un martyr, 1886 ; Dix Contes, 1890 ; Myrrha, vierge et martyre, 1894), il est également l’auteur d’une œuvre théâtrale qu’il rassemblera en trois volumes entre 1906 et 1908 (Révoltée, 1889 ; Mariage blanc, 1891 ; Le Député Leveau, 1891 ; La Bonne Hélène, 1896 ; La Massière, 1905 ; Le Mariage de Télémaque, 1910, etc.). Conférencier mondain d’une grande culture et d’un style agréable qui lui vaut la faveur de la bourgeoisie lettrée (En marge des vieux livres, 3 volumes, 1905-1914), mais analyste souvent superficiel, Jules Lemaître est élu en 1895 à l’Académie française, et retrouvera Brunetière dans le camp antidreyfusard (il est l’un des premiers adhérents à la Ligue de la patrie française fondée en décembre 1898), avant de rejoindre Maurras à l’Action française.
Camille Lemonnier (1844-1913)
28Romancier belge, auteur d’une trentaine de romans et d’une vingtaine de recueils de contes, cofondateur avec Georges Eekhoud et Eugène Demolder de La Jeune Belgique (1881), vivier du renouveau littéraire belge, Camille Lemonnier est d’abord considéré comme un auteur régionaliste et réaliste, marqué par l’influence de Daudet et de Dickens. Après Nos Flamands (1869), Contes flamands et wallons (1873), il publie Un mâle (1881), Le Mort (1882) et L’Hystérique (1885), dont le naturalisme brutal et parfois sordide n’exclut pas une forme de lyrisme et d’esthétisme flamboyant, qui le rapproche parfois de Léon Cladel et lui vaut souvent de voir son écriture qualifiée de « coruscante ». Très perméable aux modes littéraires, Camille Lemonnier a versé dans le naturalisme social de type zolien (Happe-chair, 1886) et dans la dénonciation de la société bourgeoise (Madame Lupar, 1888 ; La Fin des bourgeois, 1892), avant de produire des fables utopiques prônant la régénération de l’homme au contact de la nature (L’Île vierge, 1897 ; Adam et Ève, 1899 ; Au cœur frais de la forêt, 1900 ; Le Droit au bonheur, 1904). Auteur de nombreuses études de critique artistique, Camille Lemonnier a également publié près de 250 contes ou nouvelles au Gil Blas (1888-1893), puis au Journal (1897-1900). Son écriture est en réalité assez proche de celle de Georges Eekhoud, auquel Bernard Lazare l’oppose.
Jean Lorrain (1855-1906)
29Jean Lorrain est un auteur à multiples facettes. Poète, il est passé de l’esthétique parnassienne (Le Sang des dieux, 1882) à une esthétique verlainienne nourrie de thèmes décadents (La Forêt bleue, 1883 ; Modernités, 1885 ; Les Griseries, 1887). Romancier et nouvelliste, il a donné des romans de mœurs et des romans mondains (Les Lépillier, 1885 ; Très russe, 1886, adapté au théâtre en 1893), mais a été aussi séduit par l’étrange, le pervers et le fantastique (Sonyeuse, 1891 ; Buveurs d’âmes, 1893 ; Histoires de masques, 1900). Chroniqueur mondain au Courrier français (1884-1887), à L’Événement (1887-1890), à L’Écho de Paris (1890-1895), puis au Journal (1895-1905), c’est un satiriste féroce du monde parisien et de ses snobismes (ses chroniques seront recueillies en plusieurs volumes, dont La Petite Classe, 1895 et Poussières de Paris, 1896 et 1902). Ses œuvres les plus importantes ne paraîtront qu’au tournant du siècle (Monsieur de Bougrelon, 1897 ; Monsieur de Phocas, 1901 ; Le Vice errant, 1902), mais il est déjà une figure haute en couleurs du monde littéraire de l’époque, cabotin cultivant en esthète son image de provocateur et d’amoraliste, styliste violent et maniéré, fasciné par toutes les déchéances et dépravations du temps.
Pierre Loti (1850-1923)
30Publié anonymement après un séjour à Constantinople, le premier roman de Pierre Loti, aziyadé (1879), passe inaperçu, contrairement au deuxième, Rarahu (1880, « par l’auteur d’Aziyadé » ; réédité en 1882 sous le titre Le Mariage de Loti). Le Roman d’un spahi (1881), Mon frère Yves (1883), Pêcheur d’Islande (1886) et Madame Chrysanthème (1887) confortent rapidement ce succès, qui ne s’explique pas seulement par la vogue croissante de l’exotisme, liée au développement de la politique coloniale. Au-delà de leur cadre exotique (Moyen-Orient, Océanie, Afrique et surtout Extrême-Orient – mais aussi Bretagne et Pays basque) qui fournit la matière de ses dix volumes de Voyages (1889-1921), les romans de Pierre Loti se définissent en effet par une esthétique particulière, qui récuse le naturalisme sans pour autant verser dans le roman psychologique et mondain, et qui, en greffant les alanguissements fin de siècle sur le récit de voyage, offre une version poétique et mélancolique du roman d’aventures. Sont les plus représentatifs de cette esthétique Fantôme d’orient (1892), Les Désenchantées (1906) et La Mort de Philae (1908), ainsi que ses recueils de nouvelles et de souvenirs publiés entre 1882 et 1910, dont Le Livre de la pitié et de la mort (1891). Engagé dans la marine de guerre en 1867 (où il fera toute sa carrière jusqu’en 1910), Loti est élu à l’Académie française en 1891.
Maurice Maeterlinck (1862-1949)
31Ami de Charles Van Lerberghe dès le collège, Maurice Maeterlinck rencontre Georges Rodenbach dès 1885, et, comme la plupart des jeunes poètes belges qui débutent dans les années 1880 (Elskamp, Gilkin, Rodenbach, Van Lerberghe, Verhaeren), il publie ses premiers vers dans La Jeune Belgique, fondée en 1881 par Eugène Demolder, Georges Eekhoud et Camille Lemonnier, avant de faire paraître en 1889 un premier recueil poétique, Serres chaudes. La même année, il « invente » le théâtre symboliste en publiant son premier drame, La Princesse Maleine, qui lui vaut en août 1890 un article dithyrambique de Mirbeau dans Le Figaro. Suivront sept autres drames en l’espace de cinq ans : L’Intruse (1890), Les Aveugles (1890), Les Sept Princesses (1891), Pelléas et Mélisande (1892, mis en musique par Debussy en 1902), Alladine et Palomides, Intérieur, et La Mort de Tintagiles (1894), ces trois dernières pièces étant écrites pour théâtre de marionnettes. Tout en continuant son œuvre théâtrale, Maeterlinck revient à la poésie avec Douze Chansons (1896), recueil de berceuses populaires, et aborde l’essai avec Le Trésor des humbles (1896), que suivra en 1898 La Sagesse et la destinée, avant de rédiger plusieurs ouvrages d’histoire naturelle (La Vie des abeilles, 1901 ; L’Intelligence des fleurs, 1907 ; La Vie des termites, 1927 ; La Vie des fourmis, 1930). Il recevra le prix Nobel de littérature en 1911.
Stéphane Mallarmé (1842-1898)
32La boutade que rapporte Bernard Lazare pour introduire le médaillon qu’il consacre à Mallarmé, et qu’il considère comme « plus piquante que juste » (« il était célèbre, il va maintenant être connu »), exprime bien la position de Mallarmé dans le paysage littéraire des années 1890 : bien qu’il ait déjà donné la majeure partie de son œuvre anthume (à l’exception d’Un coup de dés, que publiera en mai 1897 la revue Cosmopolis, et de Divagations, qui rassemblera en 1897 des textes jusque-là épars), Mallarmé est d’abord perçu par la jeunesse littéraire du temps – aux yeux de qui il est, avec Verlaine, la référence majeure – comme le brillant et subtil causeur de la rue de Rome, comme son éveilleur et son « éducateur », voire comme une légende vivante. Autant sont rares les articles consacrés à son œuvre et à ses théories esthétiques (tel celui que donne en 1886 à La Vogue Teodor de Wyzewa sous le titre « Le symbolisme de M. Mallarmé »), autant en revanche sont abondants les témoignages sur les mardis de la rue de Rome, qui débutent en 1880, et où se pressent les jeunes poètes après la parution du texte que Verlaine lui consacre dans ses Poètes maudits (1884, première publication dans Lutèce, novembre-décembre 1883), et d’À rebours de Huysmans (1884). Avec la « crise des valeurs symbolistes » (pour reprendre le titre de l’ouvrage de Michel Décaudin, 1960), l’étoile de Mallarmé va décliner dans les années 1896-1897 (il sera néanmoins élu Prince des poètes à la mort de Verlaine en 1896), et sa mort, contrairement à celle de Verlaine, suscitera des articles plus que réticents.
Catulle Mendès (1841-1909)
33Fondateur et directeur de la Revue fantaisiste (1860), gendre de Théophile Gautier (il épouse sa fille Judith en 1866), Catulle Mendès est dès 1866 la cheville ouvrière du Parnasse contemporain, dont il sera plus tard l’historien (La Légende du Parnasse contemporain, 1884). En 1903, le ministère de l’Instruction publique lui confiera la rédaction d’un volumineux rapport sur Le Mouvement poétique français de 1867 à 1900 ; il prendra ainsi la succession de son beau-père, qui avait été chargé par le ministère de faire le bilan poétique de la première moitié du siècle. Mais chez lui le poète, qui en 1885 entreprend de rassembler ses Œuvres complètes en 7 volumes, se double dès les années 1870 d’un dramaturge (La Part du roi, 1872 ; Justice, 1877), d’un romancier (Les Mères ennemies, 1880, adapté au théâtre en 1882 ; Le Roi vierge, 1881 ; Zo’har, 1886 ; La Première Maîtresse, 1887), d’un librettiste d’opéra (Gwendoline, 1886, musique d’Emmanuel Chabrier ; Isoline, 1888, musique d’André Messager), et d’un conteur passablement scabreux (Le Boudoir de verre, 1884 ; Pour lire au bain, 1885). Dans ce médaillon, comme déjà dans « Les quatre faces » (Entretiens politiques et littéraires, décembre 1890), Bernard Lazare présente Mendès comme un petit maître du Parnasse et comme un conteur licencieux, mais il omet de signaler qu’il est aussi l’un des premiers et des plus vigoureux défenseurs de Wagner (Richard Wagner, 1886 ; en 1899 Mendès publiera L’Œuvre wagnérienne en France), un romancier tout à fait estimable, et l’un des plus importants critiques dramatiques et musicaux du moment (il officie à L’Écho de Paris, qu’il quittera en 1895 pour le Journal).
Octave Mirbeau (1848-1917)
34Après une longue période où, pour vivre, il doit « faire le nègre » et mettre sa plume au service d’hommes politiques tels que le préfet de l’Ariège (1877-1879), et de journaux tels que Le Gaulois (1880-1882), dont il ne partage guère les idées, Octave Mirbeau publie un recueil de nouvelles, Lettres de ma chaumière (1886), puis trois romans, Le Calvaire (1887), L’Abbé Jules (1888) et Sébastien Roch (1890), violentes dénonciations de l’hypocrisie et de la cruauté bourgeoises où s’exprime déjà son pessimisme radical. Suivront Le Jardin des supplices (1899), Le Journal d’une femme de chambre (1900), Les 21 Jours d’un neurasthénique (1902), La 628-E 8 (1907) et Dingo (1913), mais aussi plusieurs pièces de théâtre : Les Mauvais Bergers (1897), L’Épidémie (1898), Les Affaires sont les affaires (1903), Farces et moralités (1904). À partir de 1894, son talent de pamphlétaire trouve parallèlement à s’exercer au Journal, où il mène un combat à la fois esthétique, littéraire et politique. Mais dès le milieu des années 1880 il a tenté d’imposer Monet, Rodin, Van Gogh et Cézanne, il s’est fait le défenseur de la jeune littérature (en août 1890 il consacre à Maeterlinck un article dithyrambique dans Le Figaro), et il a proclamé haut et fort ses convictions anarchistes (le 1er mai 1892 il fait l’éloge de Ravachol dans L’Endehors de Zo d’Axa, et en 1893 il préface l’ouvrage de Jean Grave, La Société mourante et l’Anarchie). Antimilitariste, anticlérical, libertaire et dreyfusard, Octave Mirbeau n’a pas toujours évité les dérives idéologiques dans sa haine viscérale et un peu brouillonne de la société bourgeoise.
Comte Robert de Montesquiou-Fezensac (1855-1921)
35Modèle du Floressas des Esseintes de Huysmans (À rebours, 1884), du Paon d’Edmond Rostand (Chantecler, 1910) et du Charlus de Proust, le comte Robert de Montesquiou a moins emprunté à d’Artagnan, son illustre aïeul, qu’à Louis II de Bavière les traits du personnage qu’il joue dans les salons parisiens de la fin du siècle. Esthète aristocrate dont le dandysme quasi caricatural est souvent épinglé par la presse, il bénéficie toutefois d’une aura poétique qui explique le succès, aujourd’hui difficilement compréhensible, que rencontrent ses premiers volumes de vers (Les Chauves-Souris, 1892 ; Le Chef des odeurs suaves, 1893 ; Parcours du rêve au souvenir, 1895, préfacé par Heredia ; et surtout Les Hortensias bleus, 1896), ainsi que la complaisance d’une certaine critique à son égard. Ce succès factice fera néanmoins long feu, et ses Perles rouges (1899), ses Paons (1901), ses Prières de tous (1902), ou ses Sabliers et lacrymatoires (1917) ne susciteront pas plus d’échos que ses Roseaux pensants (1897), son Pays des aromates (1900) ou ses Altesses sérénissimes (1907). Robert de Montesquiou a cependant laissé trois volumes de mémoires, Les Pas effacés (1923), qui restent un témoignage intéressant sur la vie littéraire et mondaine du tournant du siècle.
Jean Moréas (1856-1910)
36Familier des cercles de jeunes de la Rive gauche dès 1875, année où il quitte Athènes pour s’installer à Paris, Jean Moréas devient rapidement une figure pittoresque de la jeunesse littéraire, avant même de produire son premier recueil de vers, Les Syrtes (1884). Au cours de l’année 1886, il publie en collaboration avec Paul Adam un roman, Les Demoiselles Goubert, un recueil de nouvelles décadentes, Le Thé chez Miranda, et le Petit Bottin des lettres et des arts, suite de brefs portraits humoristiques auquel participe également Félix Fénéon. La même année, après avoir publié son deuxième volume de vers, Les Cantilènes, il fait paraître dans le supplément du Figaro du 18 septembre un long article, qui est immédiatement considéré comme le manifeste du symbolisme et fait de lui le chef de file de la nouvelle école, et le i er octobre il fonde avec Paul Adam et Gustave Kahn Le Symboliste, hebdomadaire qui meurt au quatrième numéro. Publié en décembre 1890 et salué par les jeunes poètes, comme par Maurras et Anatole France, Le Pèlerin passionné lui apporte la gloire : La Plume lui consacre un numéro spécial en janvier 1891, et le 2 février a lieu en son honneur un banquet mémorable, que préside Mallarmé. Jean Moréas s’est pourtant déjà éloigné de l’esthétique symboliste, qu’il renie en septembre 1891 en fondant l’École romane, retour à la poésie française du xvi e siècle, et au-delà à l’héritage d’Horace et de Virgile. Son goût des termes rares et des archaïsmes disparaîtra progressivement (Enone au clair visage, Eriphile, Sylves, repris en 1898 dans Poésies), et ses Stances (1899) témoignent d’un retour au classicisme le plus épuré.
Georges Ohnet (1848-1918)
37Après des débuts au théâtre (Regina Sarpi, 1875 ; Marthe, 1877), Georges Ohnet entame une carrière de romancier et connaît la célébrité dès Serge Panine (1881), premier grand succès de librairie (300 000 exemplaires), et Le Maître de forges (1882). Il publie dès lors un roman par an (La Comtesse Sarah, 1883 ; Lise Fleuron, 1884 ; La Grande Marnière, 1885 ; Les Dames de Croix-Mort, 1886 ; etc.), l’ensemble constituant Les Batailles de la vie, qui mettent en scène les drames de l’amour et de l’argent dans la société bourgeoise et aristocratique. Auteur favori de la petite bourgeoisie bienpensante à laquelle il offre une version « convenable » du roman populaire (stigmatisée sous le néologisme « littérature ohnète »), il est aussi l’une des cibles préférées de la critique (Jules Lemaître l’éreinte en 1885, Anatole France en 1888), qui dénonce son style plat et négligé, sa psychologie conventionnelle, son sentimentalisme larmoyant et ses intrigues édifiantes.
Édouard Pailleron (1834-1899)
38Auteur à succès des années 1870-1880, Édouard Pailleron a conquis la faveur du public par son sens du dialogue et par les mots d’auteur dont il parsème ses comédies de mœurs. La première, Le Parasite, en un acte et en vers, est donnée à l’Odéon en 1860 (quelques mois plus tôt, Pailleron a publié Les Parasites, recueil de satires en vers), mais c’est Le Monde où l’on s’amuse, tableau léger et spirituel du monde et du demi-monde, qui lui assure le succès en 1868. Après Les Faux Ménages (1869), L’Autre Motif (1872), L’Âge ingrat (1879), il triomphe en 1881 au Théâtre français avec Le Monde où l’on s’ennuie, qui met en scène un salon d’intellectuels guindés, et est élu un an plus tard à l’Académie française. Alphonse Daudet l’a caricaturé sous les traits de Danjou dans L’Immortel (1888), et l’accusera d’avoir plagié Numa Roumestan dans ses Cabotins (1894).
Joséphin Peladan (1858-1918)
39Ami de Barbey d’Aurevilly, de Villiers de l’Isle-Adam, de Huysmans et de Gustave Moreau, l’extravagant Joséphin Peladan, qui adhère en 1888 à l’ordre de la Rose-Croix, récemment restauré par Stanislas de Guaita, et s’autoproclame Sâr Mérodack Peladan en 1890 (mais que les ironistes ne vont pas tarder à appeller le Sâr pédalant, car il est l’un des premiers fervents de la bicyclette), est une figure étonnante, mais néanmoins caractéristique de la littérature fin de siècle. Son œuvre s’articule autour des 21 volumes d’une « éthopée », La Décadence latine, des six volumes de l’Amphithéâtre des sciences mortes (essais philosophiques) et des 24 volumes de La Décadence esthétique (essais esthétiques), auxquels s’ajoutent plusieurs tragédies inspirées de l’œuvre de Wagner, qu’il traduit en 1894. Dès son premier roman, Le Vice suprême, préfacé par Barbey d’Aurevilly, et qui paraît la même année qu’À rebours (1884), Peladan manifeste son goût pour l’occultisme et l’érotisme pervers, ainsi que sa propension à l’emphase et au lyrisme échevelé. Contempteur de la société moderne dont il dénonce avec autant d’ironie que de violence le positivisme et le matérialisme, il se veut d’abord philosophe, mariant éthique et esthétique dans un idéal artistique qui associe mysticisme et sensualité (Comment on devient mage, 1892 ; Comment on devient fée, 1893).
Francis Poictevin (1854-1904)
40Ami de Villiers de l’Isle-Adam, de Huysmans, de Verlaine et de Mallarmé, Francis Poictevin est d’abord l’un des familiers d’Edmond de Goncourt, souvent évoqué dans son Journal (où il est régulièrement qualifié de pauvre fou et d’halluciné), et qui pousse à l’excès l’« écriture artiste » de son maître : « Tous ses efforts à rendre l’invisible, l’impalpable, n’attrapent que le contourné biscornu et l’incompréhensible tourmenté. » (Journal des Goncourt, 18 juillet 1888) Après La Robe du moine (1882, préfacé par Daudet), il publie plusieurs romans et recueils de récits, où il manifeste une propension croissante au mysticisme fumeux et un goût prononcé pour le style tarabiscoté et les épithètes rares. Après Ludine (1883), Songes (1884), Seuls (1886), Paysages (1888), Derniers songes (1888), Double (1889), Presque (1891), Heures (1892) – dont Lazare rend compte en janvier 1893 dans les Entretiens politiques et littéraires –, Tout bas (1893) et Ombres (1894), Francis Poictevin sombrera définitivement dans la folie à la fin de l’année 1895.
Marcel Prévost (1862-1941)
41Peintre de la vie mondaine et analyste de la psychologie féminine, Marcel Prévost dessine au long d’une œuvre abondante (il publie un roman par an à partir de 1887) le portrait idéal de la jeune fille, sage et saine, et de la femme, épouse dévouée et ménagère exemplaire, qu’il oppose aux Demi-Vierges (1894), aux féministes (Mademoiselle Jauffre, 1889 ; Les Vierges fortes, 1900) et aux Don Juanes (1922). Mais son ambition moralisatrice et son éloge des convenances s’accommodent fort bien, surtout dans la première partie de sa carrière (1887-1900), d’une complaisance à décrire des situations scabreuses, et l’analyse des émois féminins est souvent prétexte à verser dans la confession impudique. La Confession d’un amant (1891), L’Automne d’une femme (1893), et ses trois volumes de Lettres de femmes (Lettres de femmes, 1892 ; Nouvelles Lettres de femmes, 1894 ; Dernières Lettres de femmes, 1897) lui valent auprès du public de la grande comme de la petite bourgeoisie un succès que pimente en 1894 le scandale des Demi-Vierges. Après 1900, Marcel Prévost se fera le gardien des mœurs et le chantre du patriotisme, et sera élu en 1909 à l’Académie française.
Henri de Régnier (1864-1936)
42Fidèle de Mallarmé dès 1886, et de José-Maria de Heredia, dont il épousera en 1895 la fille Marie (poète sous le nom de Gérard d’Houville), ami de Francis Vielé-Griffin qu’il a connu au collège Stanislas, Henri de Régnier publie ses premiers vers dans la revue Lutèce avant de les rassembler en volume (Lendemains, 1885), et adhère très tôt à l’esthétique symboliste. Ses Poèmes anciens et romanesques (1890) et Tel qu’en songe (1892) font de lui l’un des poètes en prose et en vers libres les plus appréciés du moment. Il va toutefois assez vite évoluer vers une poésie d’une facture et d’une inspiration plus classiques (Aréthuse, 1895 ; Les Jeux rustiques et divins, 1897 ; Les Médailles d’argile, 1900, recueil dédié à André Chénier). Avec les Contes à soi-même (1893) il se veut également prosateur, et la publication de La Double Maîtresse (1900) inaugurera une féconde carrière de romancier (Le Bon Plaisir, 1902 ; Le Mariage de minuit, 1903 ; Les Vacances d’un jeune homme sage, 1903 ; etc.). Il sera élu à l’Académie française en 1911, mais à la date où Bernard Lazare rédige ce médaillon, Henri de Régnier n’est encore qu’un jeune poète symboliste, au raffinement aristocratique mais aux idées avancées, qu’il côtoie régulièrement aux Entretiens politiques et littéraires.
Jean Richepin (1849-1926)
43Ancien normalien en rupture de ban se réclamant de Pétrus Borel le lycanthrope et de Baudelaire, Jean Richepin s’invente très tôt une hypothétique ascendance bohémienne et touranienne, et hante assidûment les cafés de la Rive gauche, lorsqu’il ne parcourt pas le vaste monde comme docker ou matelot. Membre du cercle des Vilains Bonshommes, puis fondateur du groupe des Vivants, il accède à la notoriété dès 1876, avec la publication de La Chanson des gueux : l’ouvrage est saisi, et Richepin condamné à un mois de prison pour outrage aux bonnes mœurs. Il récidive l’année suivante avec Les Caresses (1877), et en 1884 avec Les Blasphèmes. Parallèlement, il publie des romans qui ont un certain succès (La Glu, 1881 ; Miarka, la fille à l’ours, 1883) et de nombreux drames en vers qu’il lui arrive de jouer lui-même. Dans les années 1890, Richepin ne fait plus véritablement scandale, quel que soit son souci d’« épater le bourgeois » ; il a même acquis un statut de trublion officiel de la littérature, que consacrera en 1908 son entrée à l’Académie française. Il est amusant de noter qu’il y sera reçu par Barrès, auquel Bernard Lazare le compare déjà.
Georges Rodenbach (1855-1898)
44Ami de Verhaeren depuis l’enfance, Georges Rodenbach fait partie de la jeune littérature belge, très active dans les années 1880 et 1890, et qui rassemble, dans les revues La Jeune Belgique (fondée en 1881) et La Wallonie (fondée en 1886), Max Elskamp, Iwan Gilkin, Maurice Maeterlinck, Georges Rodenbach, Charles Van Lerberghe, Émile Verhaeren. Cette « jeune Belgique » constitue l’un des axes majeurs du mouvement symboliste ; elle lui confère en particulier son sens quasi mystique du mystère et son esthétique impressionniste des brumes mélancoliques. Avant de s’installer à Paris en 1888, où il devient l’un des fidèles de Mallarmé, Rodenbach a déjà publié Le Foyer et les champs (1878), Les Tristesses (1879), La Belgique (1880) et La Jeunesse blanche (1886), mais c’est avec son recueil poétique Le Règne du silence (1891), et surtout avec son roman Bruges-la-Morte (1892, d’abord publié en feuilleton au Figaro, et dont Lazare a rendu compte en juin 1892 dans les Entretiens politiques et littéraires), qu’il se fait véritablement connaître. Son talent va se confirmer avec les contes du Musée des béguines (1894), le recueil poétique des Vies encloses (1896), les romans La Vocation (1895), Le Carillonneur (1897) et L’Arbre (1898), ainsi qu’avec le volume de contes Le Rouet des brumes (1901, posthume).
J.-H. Rosny [pseudonyme commun des frères Boex, Joseph-Henri-Honoré (1856-1940), dit Rosny Aîné, et Séraphin-Justin-François (1859-1948), dit Rosny Jeune]
45Le premier roman de J.-H. Rosny, Nell Horn (1886), est un échec commercial, mais lui ouvre les portes du Grenier d’Auteuil d’Edmond de Goncourt (les frères Rosny seront membres de l’académie Goncourt dès 1900). Le succès vient l’année suivante avec Les Xipéhuz, roman de science-fiction écrit par les deux frères (c’est le premier produit d’une collaboration qui durera jusqu’en 1908), et avec le Manifeste des Cinq, signé le 18 août 1887 dans Le Figaro par de jeunes naturalistes proches de Goncourt et Daudet (Paul Bonnetain, J.-H. Rosny, Lucien Descaves, Paul Margueritte, Gustave Guiches) en geste de dissidence à l’égard de Zola, dont le Gil Blas vient de publier La Terre. De cette « offensive brutale qui continue de faire dans l’histoire littéraire figure de Neuf Thermidor contre la tyrannie naturaliste » (Huysmans, préface d’À rebours, 1903), Rosny manifestera plus tard le regret : « J’ai gardé de cette pauvre aventure un profond dégoût. De vrai, j’avais obéi à un sentiment de justice : j’aboutissais à un acte absurde et sans noblesse. » (Torches et lumignons, 1921)
46De l’œuvre de J.-H. Rosny ne restent guère aujourd’hui que les romans préhistoriques, réédités en 1985, et dont seuls les deux premiers ont été écrits en collaboration (Vamireh, 1892 ; Eyrimah, 1893 ; La Guerre du feu, 1909 ; Le Félin géant, 1918). Ce n’est pourtant pas cette veine qu’apprécie Bernard Lazare dans l’œuvre des frères Rosny (« J’aime peu ce livre », écrit-il en mars 1892 dans les Entretiens politiques et littéraires lors de la parution de Vamireh, auquel il trouve un « côté puéril d’aventure »), mais l’inspiration sociale et politique qui imprègne Le Bilatéral (1887), Marc Fane (1888) et Daniel Valgraive (1891), et qui en 1910 sous-tendra La Vague rouge.
Marcel Schwob (1867-1905)
47D’abord journaliste (dès 1889), chroniqueur et conteur à L’Écho de Paris, à L’Événement, au Gil Blas et au Journal (il réunira certains de ses articles en 1896 sous le titre de Spicilège), Marcel Schwob commence sa carrière littéraire par des contes exploitant une veine fantastique héritée de Poe, Gautier et Baudelaire (Cœur double, 1891 ; Le Roi au masque d’or, 1892, dont Lazare fait un compte rendu assez tiède dans les Entretiens politiques et littéraires du 10 janvier 1893). Son œuvre majeure reste Le Livre de Monelle (1894), premier exemple français de prose nietzschéenne avant Les Nourritures terrestres de Gide (1897), bien que certains considèrent comme son chef-d’œuvre ses Vies imaginaires (1896), préfiguration de l’écriture borgésienne. Dédicataire de l’Ubu roi de Jarry (1895) qu’il a contribué à faire découvrir, Marcel Schwob est aussi un érudit, auteur d’études sur l’argot du Moyen Âge, et un excellent connaisseur de la littérature anglaise, traducteur de Shakespeare et de Defoe.
Armand Silvestre (1837-1901)
48L’œuvre d’Armand Silvestre, comme le souligne Bernard Lazare, est double. Son premier versant est constitué de nombreux recueils de poèmes élégiaques aux titres chastes et aux vers candides : Rimes neuves et vieilles (1866), Les Renaissances (1870), La Gloire du souvenir (1872), Poésies : Les Amours, La Vie, L’Amour (1875), La Chanson des heures (1878), Les Ailes d’or (1880), Le Pays des roses (1882), Le Chemin des étoiles (1885), Roses d’octobre (1889), L’Or des couchants (1892). Le deuxième versant est au contraire composé de recueils, plus nombreux encore, de contes grivois et scatologiques, d’abord parus dans le Gil Blas et Le Gaulois : Pour faire rire (1882), Contes grassouillets (1883), Le Livre des joyeusetés (1884), Contes pantagruéliques et galants (1884), Joyeusetés galantes (1886), Contes incongrus et fantaisies galantes (1887), Histoires inconvenantes (1887), Histoires joviales (1890), L’Effroi des bégueules (1891), L’Épouvantail des rosières (1891), Contes salés (1891), Contes hilarants (1892), Contes divertissants (1892), Contes désopilants (1893), Contes irrévérencieux (1896), Récits de belle humeur (1896), etc. S’ajoutent à cette œuvre plusieurs ouvrages de critique artistique, publiés de 1888 à 1897, qui portent exclusivement sur le Nu, ainsi que quelques pièces (Myrrha, 1880 ; Grisélidis, 1891).
49Comme Catulle Mendès, son confrère du Parnasse dont il est le double grossier, Armand Silvestre a déjà été férocement éreinté par Bernard Lazare dans son premier article de critique littéraire, « Les quatre faces » (Les Entretiens politiques et littéraires, décembre 1890).
Sully-Prudhomme (1839-1907)
50La publication en 1865 de son premier recueil de vers, Stances et poèmes (qui comporte le fameux poème « Le vase brisé »), vaut à Sully-Prudhomme un article de Sainte-Beuve qui lui assure un succès immédiat. Ses premiers volumes (Les Épreuves, 1866 ; Les Solitudes, 1869 ; Les Vaines Tendresses, 1875) s’inscrivent dans la poétique du Parnasse contemporain, auquel il participe, et exploitent une veine intimiste et élégiaque. Avec Les Destins (1872), La Justice (1878) et Le Bonheur (1888), il cherche à réaliser la poésie philosophique qu’il définissait dès 1869 dans la préface à sa traduction du De natura rerum de Lucrèce. Sa volonté de mettre la science en vers dans une poésie didactique marquée par le verbalisme a été beaucoup moquée, mais le théoricien du vers (Réflexions sur l’art des vers, 1892 ; Testament poétique, 1901), bien que contesté par la jeune génération, reste respecté. Élu à l’Académie française en 1881, il sera en 1901 le premier prix Nobel de littérature.
Laurent Tailhade (1854-1919)
51Ancien Hydropathe et habitué du Chat noir, Laurent Tailhade publie deux recueils de poèmes de facture parnassienne (Le Jardin des rêves, 1880, préfacé par Banville ; Un dizain de sonnets, 1881), et collabore à Lutèce au début des années 1880, puis à diverses petites revues, dont Le Décadent d’Anatole Baju (1886-1889). C’est comme poète pamphlétaire qu’il s’impose, avec la publication en 1891 d’Au pays du mufle, satire féroce de la bourgeoisie ; suivront, dans la même veine, À travers les groins (1899) contre les antidreyfusards, et Poèmes aristophanesques (1904). Figure de la bohème littéraire parisienne, dandy cultivant son goût de l’imprécation (Imbéciles et gredins, 1900), Laurent Tailhade n’hésite pas à afficher bruyamment ses sympathies anarchistes : peu après avoir proclamé son admiration pour l’attentat de Vaillant contre la Chambre en décembre 1893, il perd un œil lors de l’attentat du 4 avril 1894 contre le restaurant Foyot ; quelques années plus tard, un article publié le 15 septembre 1901 dans Le Libertaire lui vaudra d’être condamné à un an de prison pour provocation au meurtre du tsar Nicolas II. Il va toutefois renier l’anarchisme en 1907, l’année où il publie ses Poèmes élégiaques, avant de se convertir au catholicisme. Traducteur de Plaute et du Satiricon de Pétrone, Tailhade a également laissé plusieurs volumes d’études et souvenirs (Plâtres et marbres, 1913 ; Quelques fantômes de jadis, 1920 ; Masques et visages, s. d.).
André Theuriet (1833-1907)
52Auteur prolifique (sa notice occupe une quarantaine de pages dans le Catalogue imprimé de la Bibliothèque nationale), André Theuriet a publié plusieurs recueils poétiques (Le Chemin des bois, 1867 ; Le Bleu et le noir, 1874 ; Le Livre de la payse, 1883 ; Jardin d’automne, 1894), quelques pièces de théâtre (Jean-Marie, 1871 ; La Maison des deux barbeaux, 1885 ; Raymonde, 1887 ; Les Maugars, 1901), mais a surtout produit un nombre considérable de romans, dont Mademoiselle Guignon (1874), Le Mariage de Gérard (1875), La Fortune d’Angèle (1876), et Sauvageonne (1881) – son premier succès véritable –, ainsi que de nombreux recueils de contes (Au paradis des enfants, 1887 ; Contes pour les jeunes et les vieux, 1887 ; Contes de la vie intime, 1888 ; Contes pour les soirs d’hiver, 1890). Son œuvre, essentiellement marquée par l’amour de la nature, relève de la littérature morale et sentimentale, et son culte de la simplicité se traduit le plus souvent par la platitude de l’intrigue, la banalité du style, l’inconsistance des personnages et la superficialité de l’analyse psychologique. Il sera élu à l’Académie française en 1896.
Gilbert-Augustin Thierry (1843-1915)
53Neveu d’Augustin Thierry dont il édite en 1875 et 1878 ses Récits de l’histoire romaine au v e siècle, Gilbert-Augustin Thierry se veut d’abord historien comme son oncle (Études sur les révolutions d’Angleterre, 1864 ; Essais d’histoire religieuse, 1867), puis se tourne vers le roman avec L’Aventure d’une âme en peine (1875) et Le Capitaine Sans-Façon, épisodes de l’histoire de la contre-révolution (1882). Bien qu’il continue à publier des romans historiques (La Savelli, 1890), il manifeste assez vite son penchant pour l’occultisme, l’ésotérisme et le surnaturalisme : Marfa (1887), initialement paru sous le titre Le Palimpseste dans la Revue des deux mondes, La Tresse blonde (1888) et surtout les Récits de l’occulte (1892), recueil de trois contes (La Bien-Aimée, Redidiva et La Rédemption de Larmor), illustrent sa profession de foi antimatérialiste et antinaturaliste : « Le roman nouveau devra s’efforcer d’abord à pénétrer les abîmes réputés impénétrables, à percer les ténèbres dont l’absolu enveloppe son être. »
Paul Verlaine (1844-1896)
54Référence majeure, avec Mallarmé, des jeunes poètes de la fin du siècle, Verlaine vient d’être élu Prince des poètes à la mort de Leconte de Lisle (1894) lorsque Bernard Lazare fait paraître ce médaillon dans Figures contemporaines. Bien qu’il ait publié la majeure partie de son œuvre avant 1885 (Poèmes saturniens, 1866 ; Fêtes galantes, 1869 ; La Bonne Chanson, 1870 ; Romances sans paroles, 1874 ; Sagesse, 1880 ; Jadis et naguère, 1884), c’est surtout depuis le milieu des années 1880 que la jeune génération le reconnaît comme l’un de ses maîtres. Il représente alors, avec Mallarmé auquel on l’oppose tout autant qu’on l’associe, l’un des deux pôles autour desquels se structure le mouvement symboliste : il en incarne le versant intimiste et lyrique, alors que Mallarmé en incarne le versant théoricien et « intellectuel ». La vénération qui l’entoure, et qui, paradoxalement, tient en partie au fait qu’il est alors un homme déchu, plus habitué des prisons et des hôpitaux que des salons littéraires, et un poète déclinant qui alterne les « vers pour Saint-Sulpice » et les poèmes pornographiques, s’avérera plus solide et plus fidèle que celle dont bénéficie Mallarmé : les sarcasmes ne manqueront pas à la mort de Mallarmé en 1898, alors que les funérailles de Verlaine, qui en 1896 réuniront l’élite des lettres et des arts ainsi que la foule des jeunes poètes et étudiants, seront l’occasion d’un hommage unanime.
Vicomte Eugène Melchior de Vogüé (1848-1910)
55Après une carrière dans la diplomatie, de 1871 à 1882, qui le conduit en Turquie, en Égypte et en Russie (il utilisera son expérience pour produire de nombreux ouvrages touristiques sur le Proche-Orient et la Russie), le vicomte Eugène Melchior de Vogüé (à ne pas confondre avec le marquis Melchior de Vogüé, 1829-1916, cousin de son père et lui aussi diplomate) entame une carrière littéraire en écrivant dans la Revue des deux mondes et au Journal des débats. Publiée en 1886, l’année où l’émergence du mouvement symboliste réactive la croisade contre Zola, son étude sur Le Roman russe ne fait pas seulement découvrir Dostoïevski et Tolstoï au public français ; elle est d’abord perçue comme s’inscrivant dans une démarche anti-matérialiste et anti-naturaliste : « Le succès présent du roman russe est dû à l’embêtement qu’éprouvaient les lettrés bien pensants en littérature du succès du roman naturiste français : ils ont cherché avec quoi ils pouvaient enrayer ce succès. […] L’homme qui a trouvé cette habile diversion […], est M. de Vogüé. » (Journal des Goncourt, 7 septembre 1888) Bien qu’il ait publié de nombreux autres ouvrages (dont Souvenirs et visions, 1887 ; Spectacles contemporains, 1891 ; Cœurs russes, 1894), ainsi que deux romans (Jean d’Agrèves, 1897 ; Les Morts qui parlent, 1899), le vicomte de Vogüé reste d’abord l’auteur de ce Roman russe, qui lui ouvre dès 1888 les portes de l’Académie française.
Teodor de Wyzewa (1863-1917)
56L’œuvre de Teodor de Wyzewa est aussi diverse qu’abondante : traducteur de Tolstoï, Stevenson, Homère et Virgile, inépuisable préfacier, il est aussi critique littéraire à la Revue des deux mondes, critique musical spécialiste de Beethoven et de Wagner, et critique d’art auteur d’une série d’ouvrages sur Les Grands Peintres de la France (1889), de la Hollande, de l’Italie, de l’Allemagne, etc. Mais il est d’abord l’âme de la Revue wagnérienne, fondée en 1885 par Édouard Dujardin, et qui se voue à la défense, non seulement de l’œuvre de Wagner, mais aussi à celle de Villiers de l’Isle-Adam et de Mallarmé, dont Wyzewa est un fidèle : c’est dans cette jeune revue, berceau du symbolisme, que Wyzewa donne deux articles (« Le pessimisme de Richard Wagner », 8 juillet 1885, et surtout « Notes sur la littérature wagnérienne », 8 juin 1886), qui, avec son étude sur « Le symbolisme de M. Mallarmé » parue en 1886 dans La Vogue, feront de lui le premier théoricien de l’esthétique symboliste. En novembre 1886, il prend (avec Dujardin et Fénéon) la direction de la Revue indépendante et y édite en janvier 1887 un « Hommage à Wagner » sous forme de huit sonnets (dont ceux de Mallarmé, Verlaine, et Stuart Merrill). Mais très vite (dans un article publié en février 1887 dans la Revue indépendante) Wyzewa, au nom d’un idéalisme absolu, part en guerre contre la science et le progrès, voire contre l’intelligence, et se convertit à un christianisme tolstoïsant (Contes chrétiens, 1892). Wyzewa publiera en 1917 un roman autobiographique qui relate son parcours intellectuel et métaphysique, Le Cahier rouge, ou les Deux Conversions d’Étienne Brichet.
57Bernard Lazare a déjà exprimé toutes ses réserves face à cette conversion dans un article publié le 21 juillet 1892 dans L’Événement, « Conseils ».
Émile Zola (1840-1902)
58Lorsque paraît ce médaillon, Zola vient de publier le dernier volume du cyle des Rougon-Macquart (Le Docteur Pascal, 1893), et s’apprête à donner le premier volet des Trois Villes (Lourdes, Rome, Paris) : publié en feuilleton au Gil Blas à partir du 15 avril 1894, et en volume au mois d’août, Lourdes sera aussitôt mis à l’Index. Dans les années 1890, Zola fait l’objet des critiques les plus vives, tant de la part de la critique institutionnelle qui lui reproche inlassablement la vulgarité et l’immoralisme de son œuvre, que de la jeunesse symboliste qui stigmatise l’étroitesse et la platitude d’une esthétique désormais dépassée : l’Enquête sur l’évolution littéraire, menée en 1891 par Jules Huret, enregistre la mort du naturalisme et l’isolement grandissant de son chef de file, dont se sont déjà détachés deux fidèles de Médan, Huysmans et Maupassant. Les attaques contre Zola ne portent pas seulement sur l’esthétique naturaliste ; elles visent aussi l’homme, accusé de trop aimer le succès, l’argent, les honneurs et les décorations. Président de la Société des gens de lettres depuis 1891, il présente sa candidature à chaque élection à l’Académie française (il n’y sera jamais élu) ; fait chevalier de la Légion d’honneur en 1888, puis officier en 1893, il a aussi été décoré des Palmes académiques en 1892. Beaucoup de jeunes, comme Bernard Lazare, lui reprochent d’avoir ainsi perdu la capacité de révolte et d’indignation dont il témoignait au début de sa carrière, et d’être devenu un notable de la littérature : quatre ans plus tard, la publication de J’accuse montrera que Zola sait encore, lorsqu’il le faut, se jeter dans la bataille.
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