Léon Dierx
p. 75-76
Texte intégral
1Si je disais que Léon Dierx est parmi les plus grands poètes de notre temps, sa modestie s’en effaroucherait. Cette épithète le choquerait, il ne la trouverait pas mesurée et il ne m’en saurait assurément pas gré. Je dirai donc qu’il est entre les plus exquis, les plus tendres et les plus délicats, les plus originaux aussi, bien qu’on l’ait souvent considéré, dans le Parnasse, comme un bon élève de celui qu’il se plut toujours à saluer du nom de maître : Leconte de Lisle.
2Cependant, sur cette colline singulière, peuplée d’êtres disparates et où souvent Cadet-Bitard72 remplaça Thyrsis, Léon Dierx fut celui dont la flûte, si elle exécuta des variations sur des thèmes connus, sut chanter de rares, précieuses et personnelles chansons.
3Ce n’est point dans ses poèmes égyptiens, arabes ou bibliques, que sa personnalité s’est manifestée, et, pour louer Rhamsès ou Hemrik le Veuf, il n’a pas trouvé d’accents nouveaux. Il a fait mieux. Il a su exprimer, en des vers inoubliables, tout le charme enveloppant, sinueux, profond et captivant de la mélancolie passionnée. Il est, dans la poésie contemporaine, un triste, grave et voluptueux chanteur ; il a compris l’amoureuse et morose beauté de la nature, la plaintive et angoissante douceur des automnes, la tiède tendresse des soirs septembraux.
4Il a peuplé ce monde mélancolique de formes voilées, à la démarche onduleuse et lasse. Aux jardins et aux bois, aux coteaux où se pressent des arbres un peu sombres et où traînent des brumes d’un bleu moelleux, aux plaines à l’herbe grasse et mouillée, aux fleuves dont les ondes s’étirent, il a prêté une âme, et cette âme, c’est la sienne : une âme de créole73, d’une élégante et hautaine mollesse, pleine de morbidesse et de noble sentimentalité, amante des belles harmonies et des grâces touchantes.
5Mais en cet âge de cabotinage, en cette époque d’apparat illusoire, bruyant et faux, l’originalité de Léon Dierx aura été de dédaigner la gloire, de mépriser le tapage, de vivre d’une admirable vie de rêveur et d’artiste, soucieux seulement de connaître ses songes et de les réaliser. C’est par là que Léon Dierx mérite plus que l’estime si haute qui lui est due, et qu’il commande le sentiment moins répandu du respect. Il apparaît, silencieux et solitaire, comme un de ces vieux maîtres d’autrefois, qui vouaient leur existence à ciseler les buires, à inciser les pierres précieuses, ou à émailler les poteries. Par sa probité, par la beauté de son caractère et de sa vie, il semble d’hier, et cependant il est plus que d’aujourd’hui, car il a trouvé des rythmes nouveaux, des rythmes lâches, enlaceurs, souples et vivants, et cet enfant du rêve, comme l’appela un jour Villiers de l’Isle-Adam, est parmi les éducateurs de ceux qui cherchent, au-delà des métriques consacrées et des officielles poétiques, un art nouveau.
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