Conclusion de la première partie
p. 107-108
Texte intégral
1La science de l’homme de Reid apparaît à la fois comme une réussite et comme un échec. Sur le plan de la pure épistémologie, grâce à une démarche qui mêle aspects réalistes et accents transcendantalistes, le philosophe écossais parvient à définir une épistémologie et à rétablir la raison comme instance épistémique. Il ouvre le domaine de l’investigation intérieure après avoir déterminé la validité de la connaissance extérieure et garanti toute connaissance par les principes du sens commun.
2C’est au niveau de sa méthode que cette entreprise semble échouer car cette nouvelle science se condamne à la recherche de ses propres axiomes qu’elle ne peut atteindre au moyen de la méthode inductive dont elle se réclame. La tentative de définir l’homme comme objet de science, ouvert à une instance épistémique garantissant la connaissance par l’irrésistibilité de la croyance qui l’accompagne, semblait engager la philosophie dans une recherche susceptible de renouveler la pensée par sa réconciliation avec la raison commune. Mais l’accent mis sur la découverte et la justification d’une axiomatique ne laisse à la recherche plus aucun autre objet que ses principes fondamentaux établis a priori, d’une manière dogmatique et comme tâche que la justification de l’état de fait. Là où, dans la connaissance extérieure, le sens commun fournit à la fois des certitudes irrésistibles et des objets de recherche qui ne sont pas donnés d’emblée, mais susceptibles de se découvrir inductivement, au point de remettre en cause parfois le sens commun lui-même, la psychologie introspective de Reid ne peut fournir d’objet au-delà du contenu évident de ses principes. Rien ne peut se découvrir au sujet sans être une hypothèse posée par le sujet sur lui-même, ce que Reid condamne explicitement. À force de vouloir maintenir l’analogie entre l’objet intérieur et l’objet extérieur, cette philosophie se borne à l’éternelle contemplation du contenu du sens commun.
3Même si Reid peut prétendre avoir créé une science de l’homme fondée sur le sens commun, il faut admettre qu’il s’agit d’une démarche qui n’a rien à découvrir. Le sens commun fournit effectivement une base à la connaissance, mais celle-ci ne trouve dans l’introspection que ce quelle connaît déjà de manière évidente. Le problème réside bien dans l’exercice de cette introspection inductiviste par analogie avec les sciences dites objectives et dans la confusion entre intérieur et extérieur. Demi-échec donc dont le point fort est l’affirmation d’une épistémologie fondée sur la raison commune qui réintègre dans la philosophie les présupposés et l’implicite inhérents à toute activité humaine dont Reid entend établir les limites transcendantales.
4Ce retour du réalisme des certitudes communes, allié à l’essor de la nouvelle science de l’homme, ouvre la voie à une évolution qui transformera l’idéalisme en idéologie par le renversement des rapports entre individu et collectivité. Sur ce point, la pensée de Reid recèle un intérêt historique particulier car la science de l’homme qui étudie ce dernier du point de vue du sens commun, sous l’angle d’une généralité fondant un individualisme, prépare le passage de l’idée intérieure, individuelle, celle de l’empirisme post-cartésien, à l’idée extérieure, générale, collective et totalisante du xixe siècle.
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