III. La méthode inductive
p. 59-93
Texte intégral
1. Reid, héritier de Bacon et Newton
1Après avoir mis en place le cadre épistémologique et le champ de ses recherches, après avoir défini l’homme comme objet de science, Reid procède à l’application de la méthodologie des sciences de la nature à ce nouvel objet. Il suit les traces des philosophes empiristes qui ambitionnaient de donner un statut scientifique à la psychologie. L’Écosse avait bénéficié des enseignements des disciples écossais de Newton, au premier rang desquels se trouve l’arrière grand-oncle de Reid, David Gregory (1661-1708), professeur de mathématiques à l’université d’Édimbourg, tout comme un second disciple, Colin Maclaurin (1698-1746)1. La méthode mathématico-inductive était donc bien connue des penseurs écossais et l’influence qu’elle exerçait sur toute la philosophie empirique allait les conduire à étendre son emploi en dehors de son champ propre car elle apportait une garantie et une certitude jusqu’alors inconnues en philosophie et en morale. Tout le champ de la connaissance semblait désormais ouvert à cette démarche, et les philosophes se voulaient des Newton de l’esprit.2 Ainsi Turnbull, le maître de Reid à Aberdeen, mettait en épigraphe de ses Principles of Moral Philosophy le célèbre vers de Pope : « Expliquer la morale comme la nature. »3 C’est d’ailleurs Turnbull que Cousin crédite de la transposition de la méthode expérimentale à la philosophie morale.4 On peut donc penser que Reid, baigné par l’atmosphère newtonienne de son époque, particulièrement au fait des découvertes mathématiques grâce à son arrière-plan familial et à son amitié avec John Stewart, ne pouvait manquer d’invoquer Newton pour fonder sa « pneumatologie » qui se voulait enfin fidèle à l’esprit du grand savant après toutes les trahisons des philosophes. En effet, plus que la méthodologie inductive, ce qui intéressait au premier chef les philosophes, et notamment Hume, était de conférer le crédit de la science à leurs recherches et de proposer des systèmes à l’image du système physique découvert par Newton. Reid peut légitimement reprocher leur newtonianisme de façade aux philosophes empiristes.5 D’ailleurs, comme le remarque James Noxon, Hume ne possédait pas les connaissances mathématiques, que Reid maîtrisait, pour comprendre les raisonnements des Principia.6 Ainsi, Reid peut légitimement se prévaloir d’une application véritable de la méthode inductive en acceptant ses prémisses promues au rang d’axiomes du sens commun. Il est bien à ce titre le véritable disciple de Newton en philosophie.
2La méthode de Newton est le complément nécessaire qui justifie le fondement axiomatique de l’épistémologie de Reid. Avec l’aide de Newton, il propose de régénérer la philosophie et de défaire le scepticisme.
Les progrès dans la connaissance de l’optique dans cette dernière période et à présent, avec principalement les découvertes de Sir Isaac Newton, honorent, non seulement la philosophie, mais la nature humaine. De telles découvertes devraient à jamais couvrir de honte les ignobles tentatives de nos sceptiques modernes qui déprécient l’entendement humain et découragent ceux qui recherchent la vérité lorsqu’ils montrent les facultés humaines comme bonnes à rien d’autre que de nous mener à l’absurde et à la contradiction.7
3Il peut ambitionner, contrairement à Hume, de devenir un Newton de l’esprit et il pourrait reprendre à son compte le sous-titre du Treatise, car en appliquant effectivement la méthode, il peut aussi s’appuyer sur l’implicite qu’elle contient. De plus, Reid se considère comme l’héritier d’une histoire de la pensée s’étendant d’Aristote jusqu’à lui, en passant par Descartes et Newton. Une histoire du progrès de la connaissance qui, partant du simple avec Aristote et l’hypothèse, procède à un élargissement progressif du domaine des principes et des axiomes avec Newton et la méthode de Bacon, pour aboutir avec lui-même au dénombrement des principes par l’application de cette méthode à l’esprit.8 La méthode inductive permet l’essor de la nouvelle science de l’esprit qui, débarrassée de l’hypothèse, atteint le degré de certitude de la physique, car elle peut procéder, comme cette dernière pour les corps, à une anatomie de l’esprit.9
4À partir de cette assurance nouvelle, Reid développe le programme de la nouvelle psychologie qui la fera passer d’un stade embryonnaire à la maturité que signifie une axiomatique établie et inductivement justifiée, base de progrès futurs.10 C’est bien l’équivalent du travail opéré par Newton sur la physique que Reid veut entreprendre pour la psychologie, en purgeant la philosophie de tout ce qui n’est pas induction, en respectant la maxime hypotheses non fingo.11 Pour que le travail inductif aboutisse à un corps d’axiomes constitutifs d’une science, il reste au philosophe à s’atteler à l’analyse des facultés et au dénombrement des lois de la constitution humaine, à les organiser en un système, tout comme Newton avait procédé au recensement des lois et des principes de la physique. Tel est le programme de la science de l’homme.
Voilà qui peut vraiment être appelé une analyse des facultés humaines et, tant que cette entreprise n’est pas effectuée, il est inutile d’espérer un quelconque vrai système de l’esprit, c’est-à-dire une énumération des facultés originales et des lois de notre constitution, ainsi qu’une explication menée à partir d’elles sur les divers phénomènes de la nature humaine.12
5Reid voit la psychologie livrée à la confusion et au scepticisme. Loin de la clarté des sciences de la nature, les tentatives de création de la science de l’esprit ne livrent qu’obscurité et incertitude. En fait, l’introspection ne livre pas aisément l’objet de sa connaissance si l’on omet d’appliquer à cet objet – l’esprit – une méthode capable d’assurer une connaissance véritable fondée sur l’évidence naturelle. Ayant défini l’homme comme un objet de science ouvert à la connaissance et dans lequel l’évidence naturelle, plus qu’ailleurs, peut se manifester, il s’agit dès lors pour le philosophe de suivre pas à pas le cheminement méthodologique de Newton qui, après avoir permis d’ordonner le chaos du monde extérieur, pourra fournir la clé du chaos intérieur. La « Pneumatologie » de Reid se veut donc l’héritière de deux traditions opposées. Comme le relève Victor Cousin, elle se situe au carrefour du cartésianisme et de l’inductivisme empirique. Non seulement elle emprunte à Descartes son intuitionnisme, mais encore elle repose sur l’introspection, sur le regard de la conscience appliqué à elle-même, comme objet intérieur et défini par elle. Pourtant, elle refuse le schéma déductif cartésien, vu comme une fiction hypothétique, pour adopter l’inductivisme expérimental. Pourtant l’analogie entre le monde physique et le monde psychologique ne va pas de soi, même si pour Reid elle découle du naturalisme. Se réclamant de Bacon, il doit faire face à la réserve suivante de la part du père de l’induction : « Quand l’observation s’applique à la nature, elle en tire une science réelle comme la nature, quand elle s’applique à l’âme, elle n’aboutit qu’à des rêveries frivoles. »13 Cette délimitation trouve son origine dans la différence d’extension du concept de nature chez les deux auteurs. Face à la disjonction classique entre la nature, monde des corps, et l’âme, Reid étend le naturalisme jusqu’à englober le monde intérieur. Là où Bacon ne voyait qu’une âme, unique et indivisible, le philosophe écossais conçoit un monde à l’image du monde extérieur, régi par des principes essentiellement analogues.14 Mais Reid ignore l’objection, voyant en Bacon le théoricien de la méthode inductive et en Newton son utilisateur, à qui l’honneur doit revenir d’avoir fait coïncider méthode et champ épistémologique.15 À la suite de Newton, Reid se déclare disciple de Bacon et adepte de la méthode inductive dans sa profession de foi adressée à Lord Kames.
Or, Monseigneur, depuis que j’ai connu Bacon et Newton, j’ai toujours pensé que cette doctrine est la véritable clé de la philosophie naturelle et la pierre de touche par laquelle tout ce qui est légitime et solide dans cette science se distingue du faux et du creux.16
6Victor Cousin, pour sa part voit dans le « Socrate écossais » un digne continuateur de la méthode expérimentale :
Encore au-dessus de ces rares qualités est une méthode admirable qui, à elle seule, ferait de Reid un philosophe du premier ordre. Lui aussi, il n’admet d’autre méthode légitime que celle à laquelle les sciences physiques doivent tous leurs progrès, la méthode expérimentale, mais il la pratique sincèrement et selon les règles immortelles tracées par Bacon et par Newton.17
7Mais, si Reid est bien un newtonien convaincu, il n’est pourtant pas un vrai disciple de Bacon. S’il s’inspire de la méthodologie baconienne, il ne va pas jusqu’à en appliquer tous les principes. Certes, il rejoint Bacon dans son rejet de la recherche de la simplicité qui mène à l’hypothèse. La remarque du Novum Organum : « L’entendement humain est naturellement disposé à supposer l’existence de plus d’ordre et de régularité qu’il n’en trouve »18, est reprise dans les Intellectual Powers.19 À cette marque d’allégeance, s’oppose le rejet de la méthode réductionniste prônée par Bacon. Reid suit en cela Newton qui conçoit en fait un type d’induction radicalement différent.20
8En fait, Reid introduit dans la psychologie l’aboutissement de l’évolution subie par la méthode expérimentale après un siècle de mises au point qui ont amené les découvertes de Newton et la mathématisation des domaines de la connaissance. Le grand courant scientiste qui anime tout le xviiie siècle cherche non seulement à se parer de la légitimité des sciences de la nature, mais aussi de celle des mathématiques dont l’utilisation par Newton, en complément de l’induction, permettait dans le domaine du contingent de disposer d’une certitude appartenant au monde de la nécessité.
2. Mathématisation et nécessité
9Enthousiasmé par la découverte de son ami Newton, Locke voyait dans les mathématiques la clé qui, en permettant la formalisation du réel, pouvait ouvrir des pans entiers de ce dernier à la connaissance.21 En préconisant une telle application, lui et toute la philosophie dont il est l’initiateur pouvaient se prévaloir de l’autorité du maître. Reid, qui partage l’estime pour les mathématiques et le goût pour le raisonnement de ses aînés, n’est pourtant pas prêt à aller si loin. Pour lui, le champ d’application des mathématiques concerne la quantité et l’étendue ou encore les domaines purement quantitatifs comme les rapports et les relations que l’on trouve dans les phénomènes. Le domaine de la morale leur demeure fermé. Il admet, comme toute la philosophie du xviiie siècle, la pertinence de l’application des mathématiques au réel, dans la mesure où ce dernier s’accorde à leur nature quantitative et seulement dans ce cas. C’est d’ailleurs le souci de définir strictement ce domaine d’application qui l’amène à publier sa première communication, l’Essay on Quantity, en1748. Il se propose de resserrer la définition de la quantification au-delà de la définition commune concernant tout ce qui est susceptible de plus ou de moins.22 Dépasser le domaine de la quantification étroitement définie signifie poser une hypothèse sur le réel, opérer une mise en forme fallacieuse. Le mathématicien n’est pas le philosophe et il ne lui appartient pas de sortir de sa discipline pour s’aventurer dans le domaine de la morale ou la métaphysique.23 Les domaines ouverts à la connaissance sont donc compartimentés, et loin de l’enthousiasme qui animait les philosophes empiristes, Reid tient à contenir l’envahissement de la philosophie par la science mathématique. Pour lui elle doit rester un outil adapté à certains objets de science seulement.24
10On pourrait penser qu’en ce domaine, Reid s’inscrit en réaction à son époque et n’est pas loin de partager l’opinion de Hume. Tout au contraire, il s’oppose à son compatriote et défend l’apodicticité, car ce qui l’intéresse au premier chef dans les mathématiques ce n’est pas leur cheminement déductif mais bien plutôt leur axiomatique. En réponse à Locke qui répudie les principes inutiles à la science, il cite Newton pour preuve de la validité des axiomes.25 Les mathématiques sont l’exemple même d’une science constituée, développée et certaine parce que construite sur des axiomes ou principes. L’idéal à atteindre pour une science est de s’approcher de cette perfection et de rejeter l’opinio, la conjecture qui, faute de fondements ne peut mener au vrai savoir.
Le mathématicien n’accorde pas le moindre crédit au témoignage ou à la conjecture. Il déduit tout, au moyen du raisonnement démonstratif, de ses définitions et de ses axiomes. Bien sûr, tout ce qui est construit sur la conjecture est appelé science improprement, car la conjecture peut engendrer l’opinion, mais ne peut produire la connaissance.26
11C’est l’attrait pour les fondements qui motive l’intérêt de Reid pour les mathématiques. Les fondements, les définitions étant proprement constitutifs d’une science, la méthode propre à cette science, en l’occurrence la déduction, peut être disjointe et ne constituer qu’un mode d’application de l’axiomatique, un accessoire. Le raisonnement ne peut s’appliquer aux axiomes eux-mêmes, il ne peut s’exercer qu’à l’intérieur du domaine défini par eux.27 C’est bien le modèle et non la méthode des mathématiques qui intéresse Reid. Ce modèle, il ambitionne de le transposer à la science de l’homme, tout comme il le voit transposé dans les sciences de la nature. L’induction, comme méthode, peut être l’opposé de la déduction, il demeure que le modèle est respecté si cette méthode s’applique à partir d’une axiomatique.
12Cependant, Reid est conscient qu’il tente une transposition hardie. En effet, l’induction repose sur une évidence non démonstrative et sur une intuition qui n’est pas assimilable à l’apodicticité mathématique, laquelle appartient à l’ordre du nécessaire.28 Mais, pour que l’imposition du modèle mathématique puisse être valide, il est nécessaire que l’induction repose sur une évidence comparable sur le plan de la certitude obtenue. L’induction repose donc sur une intuition qui est donnée par les principes sur lesquels elle repose et, bien qu’appartenant au domaine de la contingence, ces principes n’en sont pas moins nécessaires. « Mais le principe est nécessaire pour nous avant que nous ne soyons capables de le découvrir par le raisonnement ».29 Les principes innés et originaux fournissent une intuition dont la nécessité ressemble à la nécessité mathématique, bien que Reid se défende d’assimiler les deux types d’intuition. Pour lui, le principe : « N’est pas fondé sur le raisonnement, pas plus qu’il ne possède cette sorte d’évidence qui est l’apanage des axiomes mathématiques ».30 Il se trouve effectivement confronté à deux types de nécessité‚ mais il se refuse à le reconnaître.
13En fait, il s’opère chez Reid un glissement implicite du contingent vers le nécessaire encouragé par le naturalisme. Il met en parallèle, sur le même plan, la nature humaine et la nature extérieure, sans toutefois explicitement l’admettre. La distinction philosophique qui subsiste après la reconnaissance de la nécessité des principes du sens commun n’est plus entre le nécessaire et le contingent, que Reid ne conserve que par convention, mais entre deux types de nécessité, l’un abstrait, l’évidence intuitive apodictique ; l’autre concret, l’évidence empirique, application occasionnaliste de la nécessité des principes à l’expérience. Par ailleurs, il ne peut maintenir longtemps le monopole mathématique de l’intuition et finit par concéder celui-ci également pour les principes :
De là, je crois qu’il découle nécessairement que dans chaque domaine de la connaissance nous devons faire usage de vérités qui sont connues intuitivement, desquelles déduire celles qui demandent des preuves.31
14Pourtant on ne peut utiliser le modèle axiomatique des mathématiques sans faire tomber le contingent dans le nécessaire. Il existe aussi, selon Reid, des principes dépourvus d’évidence naturelle irrésistible qui pourraient demeurer dans la contingence, ce sont les principes d’évidence probable. À la suite de Newton qui rejetait l’hypothèse en montrant l’impossibilité de mener l’experimentum crucis, Reid montre que la gravitation n’est que connaissance probable, dépourvue de la certitude apodictique, mais qu’elle n’en est pas moins fondée sur des principes.32 Les principes en question sont en l’occurrence des principes « expérimentaux »33 fort différents, car postérieurs à l’expérience et non antécédents, comme le sont les principes des vérités contingentes, tels qu’il les définit. Ainsi, le premier principe de ces vérités est-il aussitôt défini comme intuitif, immédiat et irrésistible.34 Il en va de même pour le principe d’identité et les principes contingents en général dans la mesure où ils servent à définir le cadre transcendantal de l’expérience. Ils sont donc ainsi nécessaires à toute connaissance. De même que la conception d’un triangle à deux côtés parallèles est impossible car contraire à la définition, de même l’expérience sans sujet et sans objet est inconcevable car elle est en contradiction avec la définition de ces deux principes.
15À l’image des mathématiques dont le cheminement est tautologique et dont le formalisme ne permet que l’analyse, la science des principes du sens commun ne peut se livrer qu’à l’approfondissement du contenu de ses axiomes de base. Hors de ces axiomes la recherche perd son sens. Contrairement aux sciences de la nature, dans lesquelles le cheminement est non tautologique car dépendant des faits, on retrouve dans la science de l’esprit, par-delà les affirmations dogmatiques, le même type d’enfermement à l’intérieur d’une axiomatique qui caractérise la nécessité.35 Il existe dans la philosophie de Reid un parallèle rigoureux entre le nécessaire et le contingent dans la mesure où la principale propriété de l’axiome réside dans l’irrésistibilité de la croyance qu’il détermine, aussi bien dans le domaine nécessaire du syllogisme que dans le domaine contingent des sciences.
16Ce rapprochement fonde la réfutation du scepticisme car si les principes des vérités contingentes se parent des attributs des principes des vérités nécessaires, le scepticisme devient aussi absurde que le refus des démonstrations logiques et mathématiques. La constitution de l’homme le conduit à confondre nécessité apodictique et évidence naturelle, toutes deux étant porteuses du même degré et du même type de certitude. Ce genre de glissement aurait pu rapprocher Reid de la position de Descartes qui, lui, voyait la contingence englober la nécessité, les évidences mathématiques elles-mêmes étant soumises à la volonté de Dieu, même trompeur : « Que sais-je s’il n’a point fait que je me trompe aussi toutes les fois que je fais l’addition de deux et de trois, ou que je nombre les côtés d’un carré… »36 Mais cela équivaudrait à une concession aux sceptiques puisque seule la preuve ontologique de Descartes peut, en fin de compte, renverser l’argument du Dieu trompeur et rétablir toutes les vérités. Reid, quant à lui, s’en tient à l’argument des causes finales fondé sur un des principes des vérités nécessaires, la causalité37, pour prouver l’existence de l’artisan du monde comme antécédent causal des effets perçus. Il doit donc maintenir la précédence de la nécessité. La question se résout alors dans le cadre du naturalisme et de la théodicée. Si, comme il a été dit, Reid fonde son naturalisme sur une théodicée, l’esprit humain et le monde étant deux formes de la nature créées par Dieu, la nécessité des mathématiques pourrait être remplacée par la contingence et le philosophe écossais rejoindre finalement Descartes pour affirmer la toute-puissance d’un Dieu non soumis aux idées. Pourtant, il préfère se conformer à la vision platonicienne d’un Dieu appliquant un schéma nécessaire fait d’idées extérieures à lui car, dans la lutte contre le scepticisme, son intérêt immédiat repose sur l’existence d’une irrésistibilité égale pour les axiomes mathématiques et les principes du sens commun. Cela est d’autant plus judicieux qu’en dernière analyse, il admet que les évidences apodictiques reposent sur la perception sensorielle. « Les notions mathématiques se forment dans l’entendement au moyen d’une abstraction […] à partir des perceptions grossières de nos sens. »38 Le réalisme précède l’abstraction et le contingent le nécessaire.
17En rapprochant les principes des vérités contingentes et les principes des vérités nécessaires, on s’aperçoit d’une correspondance et d’une interpénétration qui font douter du bien-fondé de la distinction. Ainsi, les premiers principes des deux classes se fondent-ils réciproquement l’un sur l’autre. La contingence de l’existence est fondée sur l’existence nécessaire d’un sujet de la conscience. À l’inverse, la nécessité du sujet repose sur la contingence de l’existence de tout objet de la conscience.39 L’entreprise de Reid consiste à donner une importance et une irrésistibilité au moins égales aux principes contingents et aux principes nécessaires. C’est là la conséquence ultime de l’application des mathématiques à la science car il ne peut y avoir de mathématisation que si, dans une certaine mesure, il existe une nécessité commune au plan des axiomes entre la formalisation et le monde. C’est-à-dire, qu’il faut que l’outil mathématique ne soit pas essentiellement différent du monde concret, que le monde de la scientia et de l’opinio ne soient pas radicalement étrangers l’un à l’autre.40 Reid, qui veut fonder sa « pneumatologie » en tant que science sur le sens commun est en cela très cohérent car il lui faut implicitement transférer les certitudes communes du domaine de l’opinio à celui de la scientia. De plus, cette science de l’esprit voulant rendre compte des autres sciences elles-mêmes et de toute la connaissance41, il est d’une grande importance que lui soit conférée la nécessité de la mère des sciences alors que les sciences de la nature peuvent demeurer dans l’espace de la contingence déterminant la connaissance probable.42 Il reste que la mathématisation selon Reid est en fait une légitimation des principes du sens commun comme axiomatique, ces principes faisant l’objet, non pas d’une quantification, mais plutôt d’une définition, puis d’une nomenclature à établir par induction. Le philosophe est alors chargé d’élever une science sur la base d’une axiomatique de l’opinio.
La nature a donné ces facultés à tous les hommes et ils peuvent les exercer quand l’occasion le réclame, mais ils laissent au philosophe le soin de leur donner des noms et de discourir sur leur nature. De la même manière, la nature a donné des yeux à tous les hommes et ils en font bon usage, mais la structure de l’œil et la théorie de la vision sont l’affaire des philosophes.43
18Il s’agit d’une démarche de formalisation nominale des principes intuitifs et évidents à l’image des grands systèmes botaniques ou zoologiques. À la suite des tentatives nombreuses au xviiie siècle pour établir des classifications de principes, comme par exemple celles d’Addison, d’Akenside ou de Gerard pour l’esthétique44, ou encore de Wilkins pour le langage45, Reid applique effectivement une méthode d’essence baconienne qui ne s’éloigne pas trop de la tradition nominaliste de l’École.46 Cette nomenclature n’est pas un système mathématique déductif qui enchaîne les vérités les unes aux autres, mais une juxtaposition de principes indépendants les uns des autres et d’égale autorité qui ne tiennent leur évidence que d’eux-mêmes.47 Ce système n’est lui même qu’un ensemble de noms plaqué sur un ensemble de phénomènes : une taxinomie.
Ce n’est pas un système de vérités, mais un système de termes généraux avec leurs définitions. C’est non seulement un grand aide-mémoire, mais encore cela facilite grandement la définition des termes eux-mêmes.48
19La découverte des principes fondateurs du sens commun sera le résultat de l’application d’un nom sur une évidence inductive, tout comme pour les sciences de la nature. Reid propose ainsi pour sa science de l’homme une méthode héritée des sciences et fondée sur une axiomatique nécessaire. La connaissance probable se transforme avec lui en connaissance de la nécessité transcendantale des principes obtenue avec l’aide de la méthode inductive et appliquée aux phénomènes de la conscience.49
3. Induction et hypothèse
20Reid, l’héritier de Newton et de Bacon et le défenseur de la méthode inductive est fidèle aux principes définis par le découvreur de la gravitation. Sa lettre à Kames de 1780 contient une paraphrase presque littérale de la « query » xxxi de l’Opticks.50 Il reprend à son compte l’intégralité de la méthode analytique-synthétique qui consiste en un mouvement d’élargissement du particulier au général pour aboutir à la définition d’une loi qui doit ensuite rendre compte des phénomènes dans une démarche inverse, du général au particulier. Elle dérive ensuite de nouvelles conclusions à partir de cette loi.51 Les Regulae Philosophandi deviennent des règles du sens commun car elles sont l’expression d’un principe constitutif de la nature humaine : le principe inductif.
Par notre constitution nous avons fortement tendance à envisager les faits particuliers sous des lois générales et à appliquer ces lois générales pour rendre compte d’autres effets ou pour nous guider dans leur production. […] L’homme qui, le premier, découvrit que le froid fait geler l’eau et que la chaleur la transforme en vapeur mit en œuvre les mêmes principes généraux et la même méthode que Newton lorsqu’il découvrit la loi de gravitation et les propriétés de la lumière. Ses Regulae philosophandi sont des maximes du sens commun et sont pratiquées tous les jours dans la vie courante.52
21Le principe inductif est ainsi un autre nom à la fois pour le principe de causalité et pour le principe de régularité codifiés par Newton.53
22Mais ce principe à lui seul n’est pas suffisant pour fonder une méthode scientifique, il est également à l’origine des superstitions et des erreurs. Son utilisation raisonnée en association avec l’expérimentation, en comparant les résultats de l’induction avec d’autres faits, par un élargissement de la base inductive, peut seule donner la connaissance de la nature. Le succès de la méthode provient d’une double application à la nature de principes innés. D’une part, le cadre transcendantal des principes d’existence et de validité des sens fonde l’expérience ; d’autre part, le principe inductif permet la mise en forme cognitive de cette expérience.
Tous ces différents élèves n’ont qu’un seul maître, l’expérience, éclairée par le principe inductif. Retirez la lumière de ce principe inductif et l’expérience est aussi aveugle qu’une taupe.54
23Cette méthode met en œuvre la confirmation empirique du naturalisme qui garantit l’adéquation des principes à la nature. L’application successive de deux niveaux de principes fournit à l’esprit la clé de la nature. L’esprit lui-même est informé par la nature, et pénétré par elle. Par ailleurs, la théodicée naturaliste55 permet une conception de la science comme interprétation d’un langage. Le déisme du xviiie siècle tendait à voir la connaissance sous l’angle de la signification et concevait la nature de plus en plus comme le langage de Dieu à déchiffrer. Dans cette perspective, la méthode inductive devenait un outil de déchiffrage de ce langage inscrit dans la nature. Le Novum Organum est ainsi compris comme une grammaire.56
24Déjà chez Berkeley, la science apparaît comme une connaissance des signes plutôt que des causes, et les lois de la nature sont vues comme des règles de grammaire, alors même que ce même auteur attaque la méthode inductive, et notamment sa phase synthétique, en se réclamant du sens commun. Reid ne se soucie pas de cette objection car, selon lui, il existe un langage des faits dont l’interprétation est donnée par un principe naturel. Tout risque d’erreur semble donc écarté. Seule l’application d’une méthode autre, par essence fausse, puisque ignorant le principe, explique l’erreur. Le fait, le phénomène, est paré d’une autorité divine face à la théorie qui n’est que conjecture humaine.57 L’hypothèse, qui ne part pas des faits mais de l’idée de l’homme, constitue donc, non seulement une erreur, mais encore une offense à Dieu, dans la mesure où elle exprime la prétention ridicule qui consiste à vouloir comprendre l’œuvre divine à partir d’un esprit borné. À l’inverse, suivre la voie inductive indique la soumission à la volonté de Dieu et le désir de parfaire la nature humaine par la connaissance de ce qu’Il met à la portée de l’homme grâce aux principes.58
25L’hypothèse que Reid oppose constamment à l’induction est sa cible favorite car il y voit la source de toutes les erreurs et de toutes les aberrations de la philosophie ou de la science, ainsi que le déguisement de l’ignorance.59 Il oppose l’autorité de Newton à son adversaire Hartley, grand défenseur de la méthode hypothético-déductive, et ce d’autant plus que dans les Observations on Man Hartley se déclare en être le disciple.60
26L’autorité supérieure du langage des faits, qui ridiculise l’intelligence humaine, fonde le rejet de l’hypothèse, fiction de l’esprit. Reid se méfie du génie, non pas tant par amour de la modestie que par haine de l’hypothèse. Le génie ne se conforme pas à la hiérarchie de la nature qui met l’homme au-dessous du fait et condamne toute tentative de percer les secrets de la création sans permission du créateur.
Mais les œuvres de la nature sont conçues et exécutées par une sagesse et une puissance infiniment supérieures à celles de l’homme et quand les hommes s’efforcent par leur génie de découvrir les causes des phénomènes de la nature, ils n’en ont que plus de chances de se plonger avec plus de talent dans l’erreur.61
27À l’opposé du génie solitaire, se trouve la grande masse de l’humanité ordinaire qui, en se fiant à sa raison naturelle, ne peut qu’accéder à la connaissance vraie.
28Une autre objection, plus scientifique, est le rejet de l’introduction d’un concept étranger au réel, celui de la simplicité. Reprenant la formule de Bacon qui se méfie de l’application du schéma conceptuel sans vérification expérimentale, il réfute les systèmes hypothético-déductifs qui procèdent d’un principe unique censé sous-tendre l’ensemble du monde. Il trouve dans le cogito de Descartes, et dans les monades de Leibniz, des paradigmes de l’hypothèse62 qui ne sont à ses yeux que des théories vides, créations de l’homme et donc étrangères à la création divine. Comme nous l’avons expliqué à travers le naturalisme, le principe inductif, décret de la nature humaine est lui-même pour Reid une autre des créations de Dieu, donnant la clé du déchiffrage de la nature extérieure. Suivre cette méthode signifie suivre la voie épistémologique tracée par le créateur.63 Reid se refuse même à suivre son maître en induction sur la voie de l’hypothèse et sépare soigneusement les Queries qui sont des conjectures, du corps des axiomes newtoniens figurant dans les Regulae et l’Opticks.64 Il ressort finalement de cette attaque de l’hypothèse au nom de la méthode inductive que pour un philosophe, se livrer à la conjecture constitue une transgression des limites de la connaissance contenues dans le sens commun et exposées par lui. En s’éloignant de la raison commune de la sorte, l’hypothèse obscurcit et complexifie là où elle ambitionnait de simplifier et d’expliquer.65
29L’induction et la critique de l’hypothèse permettent à Reid d’attaquer sur le plan méthodologique la théorie des idées, laquelle représente aussi à ses yeux le paradigme de la conjecture, une théorie digne de l’obscurantisme scolastique dont il demande les preuves expérimentales.
Tous ces philosophes ont-ils donné une preuve solide de la validité de cette hypothèse, sur laquelle l’ensemble d’un système si étrange repose ? Non. Ils n’ont même pas essayé. Mais, parce que les philosophes anciens et modernes se sont accordés sur cette opinion, ils l’ont prise pour acquise.66
30Il confond ainsi la métaphysique scolastique et l’idéalisme empiriste dans la même opprobre en dénonçant le sophisme que constitue leur fondement dans l’hypothèse. L’hypothèse idéaliste est marquée du sceau de l’absurdité et Hume particulièrement attaqué car, bien que se réclamant de la vraie méthode, il la trahit en l’invoquant pour la défense d’une conjecture. S’abandonner à l’hypothèse, aller au-delà des faits et donc au-delà de l’expérience signifie s’éloigner du sens commun et sombrer dans le ridicule d’un esprit coupé des réalités du monde et qui pourtant prétend l’expliquer. L’idéalisme représentatif est « Juste un rêve de la part d’hommes à l’imagination fertile qui se sont pris eux-mêmes dans la toile d’araignée tissée par leur esprit. »67
31La théorie des idées n’étant qu’une conjecture absurde, il appartient au philosophe de donner une nouvelle méthode à la science de l’esprit. Seule la méthode inductive, appliquée à l’introspection, pourra exposer l’erreur de l’idéalisme représentatif hypothético-déductif, tel est le programme que Reid se fixe dans la dédicace de l’Inquiry.
Monseigneur, j’ai cru déraisonnable d’admettre sur l’autorité des philosophes une hypothèse qui, selon moi, renverse toute philosophie, toute religion, toute morale, toute vertu et tout sens commun. Trouvant que tous les systèmes sur l’entendement humain que je connaissais étaient construits sur cette hypothèse, je résolus de reprendre l’enquête sur ce sujet, sans me préoccuper d’aucune hypothèse.68
32Pourtant, nonobstant cette déclaration, Reid est trop bon savant et trop bon newtonien, pour ignorer complètement l’hypothèse. Là encore nous retrouvons une distinction récurrente dans l’œuvre du philosophe entre l’emploi polémique d’une notion et son acception proprement philosophique. L’attaque contre l’hypothèse tirait le concept du côté de l’absurde et du ridicule, qui ne manquèrent point tout au long de l’histoire de la science. Cela fournit à Reid nombre d’occasions de se gausser. Cette critique radicale et en partie justifiée est menée d’abord parce qu’elle lui permet de réfuter l’idéalisme représentatif comme système scientifique. Mais cela ne l’empêche pas de considérer également l’hypothèse sous un autre angle, non plus celui de la conjecture vaine, mais celui de l’intuition scientifique. Dans cette optique, l’hypothèse se justifie comme explication théorique provisoire des faits, à confronter au réel au moyen d’une induction fondée sur l’expérience.69
33Hypothèse et induction jouent alors un rôle complémentaire et même une conjecture fausse peut conduire au progrès pour peu qu’elle ne passe pas pour un savoir constitué a priori. Reid ne rejette donc l’hypothèse que comme système explicatif abstrait, ce que l’on pourrait qualifier d’hypothèse arrogante. Mais il admet la conjecture modeste qui n’est qu’une voie de recherche susceptible d’infirmation par les faits. Pour qu’elle devienne acceptable, il lui suffit de se soumettre à leur épreuve.70 C’est dans cette catégorie que Reid place les Queries de Newton.71 L’hypothèse, en soi n’a aucune valeur probante. Seule l’induction qui doit nécessairement la suivre peut apporter la preuve. L’explication fournie par la conjecture n’est pas une preuve dans la mesure où elle n’est que jeu de langage humain sur le réel. Or la preuve qui détermine la croyance appartient au langage de l’évidence naturelle, donc au langage du réel qui ne joue pas.
34En fait, ce que Reid rejette est davantage le schéma hypothético-déductif que l’hypothèse elle-même. Il défend à la place une science hypothético-inductive dans laquelle l’hypothèse est régulée par l’induction. Il s’agit d’une induction seconde, d’une vérification empirique de la proposition contenue dans l’hypothèse. Il anticipe ainsi sur la théorie de la vérification proposée par le Cercle de Vienne et les philosophes de Cambridge, notamment par A. J. Ayer. Le sens d’une proposition et sa reconnaissance comme vraie dépendent de sa vérifiabilité expérimentale. Pour Reid une théorie est vraie si elle est analytique, c’est-à-dire si son application au réel est confirmable.72
35Pourtant toute hypothèse, qu’elle soit arrogante ou modeste, est une imposition du logos sur le cosmos, un essai de mise en forme du monde par l’esprit et ce faisant, elle prédétermine le champ d’application de l’induction. Par ailleurs, cette même induction qui elle-même repose sur une axiomatique, comme nous l’avons vu, relève aussi en dernière analyse d’une mise en forme du monde comportant ses présupposés, car les principes qui sont affirmés comme non soumis à l’analyse sont de même nature que les hypothèses que Reid dénonce. Certes, ils expliquent un grand nombre de phénomènes, mais Reid qui suit Newton rejette ce type de justification. Pourtant ils ne peuvent, à l’instar des conjectures, être soumis à la preuve par l’expérience, puisqu’ils sont antérieurs à elle et non pas dérivés des faits. Ainsi l’affirmation dogmatique de l’existence et de l’antécédence des principes se conforme à la définition de l’hypothèse arrogante. L’induction repose en fait sur une hypothèse, celle du sens commun.
4. L’hypothèse du sens commun
36Pour fonder sa « pneumatologie », Reid transpose l’axiomatique de Newton dans la psychologie, ce que l’empirisme n’avait pu effectuer, car il était contraint de faire cohabiter la théorie des idées représentatives menant au scepticisme et l’induction dépendant d’axiomes. Reid, qui raisonne presque un siècle après Locke, peut contempler l’incompatibilité subsistant entre la théorie des idées menée à son terme par Hume, et l’exigence d’un fondement objectif et universel des inférences réclamé par la science. C’est parce que chaque individu se retrouve en quelque sorte prisonnier de sa représentation intime que seul le nominalisme peut rendre compte d’une généralité qui ne dit rien des choses elles-mêmes, et que la science doit se résoudre à n’être qu’une taximonie. Or, si la science se soucie de la vérité et non seulement du nom des choses, il lui faut découvrir un fondement réel dans les choses pour ses inférences alors que les idées représentatives ne lui donnent jamais que l’accès aux représentations. Reid voit bien tout le parti qu’il peut tirer d’une telle antinomie. Selon Reid, puisque la science de la nature a prouvé qu’elle était vraie, il s’ensuit nécessairement qu’elle se préoccupe des choses réelles et non des idées, une nouvelle preuve de l’inanité de la théorie représentative.
37Reid rétablit la cohérence entre axiomatique newtonienne et méthode inductive en se débarrassant des idées, et pour cela il doit imposer le sens commun, c’est-à-dire les états de fait de la conscience, promus au rang d’axiomatique. Partant de cette position, le réalisme va de soi et l’induction devient une méthode tautologique ne pouvant que confirmer les principes sur lesquels elle repose. Ainsi, selon P. Feyerabend : « Les phénomènes sont donc des expériences sélectionnées et idéalisées dont les caractères correspondent point par point aux particularités de la théorie à prouver. »73 La méthode elle-même est alors en cause, son objectivité n’est que de façade, car quelque ordre que recèle le langage des faits, il n’est constitué en langage que par l’interaction entre l’esprit et les choses. L’esprit impose de facto son ordre au monde et la méthode est ensuite chargée de reconnaître cet ordre. La simplicité s’impose alors comme décodage du monde, ainsi selon Wittgenstein : « Le processus de l’induction consiste dans le fait que nous admettons la loi la plus simple qui puisse être admise en accord avec nos expériences. »74 La méthode est bien le résultat de l’imposition d’une abstraction sur le réel, abstraction injustifiée qui ne peut se légitimer qu’au moyen du naturalisme qui décrète dogmatiquement la correspondance nécessaire entre schéma abstrait et réalité concrète. Il en résulte que Reid donne une extension naturaliste à l’aphorisme de Leibniz : « Le concret n’est tel que par l’abstrait. »75
38La méthode inductive repose en somme sur un pari, une hypothèse sur la correspondance entre l’esprit et le réel, laquelle réside au cœur du sens commun, mais impossible à justifier rationnellement. On en revient à un schéma inductif de type aristotélicien postulant l’adéquation de l’homme et du cosmos, de l’observateur et des phénomènes, comme un a priori, un axiome et aussi une hypothèse indémontrable.76 Cela, loin de gêner Reid, constitue plutôt une confirmation de son fondationalisme, lequel repose sur la primauté de la croyance en l’état de fait. La connaissance résulte de la rencontre de l’empirisme et d’un implicite, comme le montre Bertrand Russell, et cet implicite n’est autre que le corpus des principes du sens commun.77
39Reid considère que Newton codifie le sens commun dans les Regulae, lesquelles sont aussi les cadres dans lesquels toute philosophie pourra s’exercer.78 Les principes de régularité et de causalité sont inscrits à l’intérieur de la nature humaine et forment la grammaire de cette lecture du monde que constitue la science. Ils ne forment pas une hypothèse pour Reid car ils ne sont pas des créations de l’esprit lui-même, mais le cadre naturel de son fonctionnement. Ils représentent l’autorité de la nature :
Les premiers principes de toute espèce de raisonnement nous sont donnés par la nature. Ils ont une autorité égale à celle de la raison elle-même qui est aussi un don de la nature. Les conclusions de la raison sont toutes construites sur des premiers principes et ne peuvent avoir d’autre fondement.79
40Cette manière de poser en principe ce qui est hypothèse implicite est caractéristique du fondationnalisme de Reid qui ne combat l’hypothèse qu’en tant qu’elle s’affiche comme une théorie explicite. Le sens commun est dépourvu d’erreur car il est l’implicite qui rend compte du monde, alors que l’hypothèse remet explicitement en cause cet implicite.80 Le principe de régularité n’est ainsi pas une hypothèse invérifiable, même si nous ne pouvons pas ne pas la poser, il est la forme même de l’expérience, le décret de la nature, un cadre transcendantal.81 Ce principe inductif qui permet la généralisation à partir du particulier ne peut être révoqué en doute comme une hypothèse puisqu’il est naturel.
41En refusant de considérer les fondements implicites de la connaissance et de les reconnaître tout simplement comme une hypothèse imposée du dedans à l’esprit, la voie empruntée par Hume, Reid pose le sens commun comme un système de vérités premières. Son recours à la croyance comme premier critère de l’évidence ne lui permet pas, en effet, de transgresser les limites de ce qui se donne immédiatement à la conscience. Nous ne pouvons pas ne pas poser l’hypothèse du sens commun car elle dispose de la croyance immédiate, critère de l’évidence. Ainsi, là où l’on pouvait dire : « Je crois en cette proposition parce qu’elle m’apparaît vraie », Reid dit : « Cette proposition est vraie parce qu’elle emporte ma croyance. » Comme le fait remarquer C. S. Pierce, la croyance n’est en elle-même nullement un critère objectif de vérité. Il suffit que nous soyons persuadés qu’elle le soit.
On peut croire que nous cherchons non seulement une opinion, mais une opinion vraie. Qu’on soumette cette illusion à l’examen, on verra qu’elle est sans fondement. Sitôt qu’on atteint une ferme croyance, qu’elle soit vraie ou fausse, on est entièrement satisfait… Ce que l’on peut tout au plus soutenir, c’est que nous cherchons une croyance que nous pensons vraie. Mais nous pensons que chacune de nos croyances est vraie, et le dire est réellement une pure tautologie.82
42La croyance étant une détermination subjective, irrésistible dans le cas des principes du sens commun, la recherche sur le caractère hypothétique de cette croyance est exclue puisqu’elle implique un doute. Or, on ne peux douter d’une véritable croyance qui n’en serait alors plus une. La remise en question du sens commun, et des principes auxquels on ne peut que croire est absurde. La recherche du philosophe du sens commun s’affiche, non pas comme une recherche de la vérité, mais comme la recherche de la croyance et de ses lois. Le sens commun est bien dans ce sens un système des présupposés de la science.
43Considérée sous cet angle, la méthode scientifique n’apparaît plus comme une démarche inductive idéale, à la recherche des lois de la création et de la vérité. Elle ressemble à une déduction à partir de principes qu’il serait imprudent de voir comme un corpus hypothétique, car alors, toute connaissance devrait s’effondrer.
44En dernière analyse, puisqu’il est nécessaire que les principes ne soient pas fallacieux, le sens commun se révèle être une véritable théodicée évoquant le dieu non trompeur de Descartes. Dieu ne pouvant se muer en malin génie, il en découle que les principes sont obligatoirement vrais et que l’homogénéité du sens commun et du monde est garantie. L’ultime rempart contre l’hypothèse réside dans la révélation.83 Et ce d’autant plus que Reid refuse de considérer les principes comme les causes efficientes de notre vision du monde, susceptibles d’investigation. Ils demeurent des lois, similaires aux lois de la nature et soumis à la cause première. Il en ressort, comme le fait remarquer Hamilton, qu’un principe est une cause inconnaissable, une cause occulte, un instinct84 ne servant qu’à justifier ses effets. Le sens commun est bien une entreprise de justification de l’état de fait, masquant une volonté de ne pas remonter aux causes autrement que par la théodicée. Il s’agit de la justification d’une hypothèse qui légitime la croyance au moyen d’un corps de principes téléologiques.
5. La causalité
45Au premier rang des principes téléologiques on trouve le principe de causalité qui organise toute la connaissance.
Je conçois qu’il existe une notion de cause originale implantée dans la nature humaine et qu’il s’agit de cette notion sur laquelle se fonde la maxime qui dit que tout changement ou tout événement doit avoir une cause. Cette maxime est si universelle et elle s’impose au jugement avec tant de force que je pense qu’il faut que ce soit un premier principe ou ce que vous appelez une loi de la pensée humaine.85
46L’homme, naturellement conduit à rechercher les causes des phénomènes, est pourtant destiné à être toujours frustré dans ses attentes car le véritable lien causal, à l’œuvre dans la réalité extérieure, l’efficience, lui échappe toujours.
Nous ne percevons aucune véritable causalité ou efficience dans les causes naturelles, mais seulement un lien établi par le cours naturel des choses entre celles-ci et ce qu’on appelle leurs effets.86
47Ce qui répond à son attente et qui est en quelque sorte l’objet du principe inductif n’est en fait qu’une apparence de cause, dépourvue d’efficience, de sorte que le lien causal reste définitivement mystérieux.87
48Le point d’arrivée est une sorte d’aporie de la causalité. D’une part, le principe est un principe des vérités nécessaires qui dit que « Tout ce qui commence à exister doit avoir une cause qui l’a produit ».88 Par ailleurs, on ne peut trouver de cause nulle part dans le monde. L’homme est donc investi d’un principe manifestement fallacieux, puisque sans référent dans le monde. À ce point, Reid élabore deux théories causales complémentaires pour résoudre ce dilemme. Il étudie d’abord la conjonction constante des phénomènes sous l’angle sémiotique, ainsi, l’effet devient signe de sa cause. Le but de la science est alors de suivre Bacon dans le déchiffrage des signes qui toutefois ne livrent la cause que sous forme de lois grammaticales n’expliquant pas l’efficience.89 La seconde théorie venant soutenir et éclairer celle du langage de la nature est une théorie de l’efficience volontaire dont le paradigme se trouve à l’intérieur de l’homme. Si l’on examine le premier niveau sémiotique, Reid est en difficulté pour accorder un statut causal à la conjonction constante, ce qui l’obligerait à se ranger aux côtés de Hume.
Mais aucun raisonnement n’est plus fallacieux que celui qui dit que parce que deux choses sont toujours jointes, l’une doit être la cause de l’autre. La nuit et le jour se succèdent d’une manière constante depuis l’origine du monde, mais qui est fou au point d’en conclure que le jour est la cause de la nuit ou la nuit la cause du jour suivant ?90
49Il faut pourtant admettre cette conjonction pour sa valeur pratique91 et pour sa valeur signifiante. Cette même conjonction constante, indicatrice de la cause, est d’ailleurs partie intégrante du principe de régularité et du principe inductif.92 La signification naît de la conjonction de l’effet et de son antécédent qui, bien que nommé cause par le sens commun, n’est chez Reid qu’un relais de la cause efficiente, dépourvu lui-même de cette efficience. Loin d’Aristote qui établissait la connaissance comme savoir des causes antécédentes93, Reid envisage ce premier niveau causal comme un intermédiaire. L’induction ne peut donner que la connaissance des lois qui sont des règles de la signification du langage de la nature.
Il est indéniable et d’ailleurs reconnu par tous que lorsque nous avons trouvé deux choses constamment jointes dans le cours de la nature, l’apparition de l’une est immédiatement suivie de la conception de l’autre et de la croyance dans son existence. La première devient alors un signe naturel de la seconde.94
50Reid résout la causalité aristotélicienne en une sémiotique. Il s’accorde en cela avec Hume pour dire que le monde ne peut livrer la cause. La causalité est donc un premier principe inné par lequel les signes naturels sont interprétés.
51Au-delà de ce premier niveau, qui appartient au domaine de la science95, il en construit un deuxième, celui de la cause efficiente.96 Par l’application du concept newtonien de puissance opposé à celui de matière, vue comme substance inerte, il découle que la matière ne peut être une cause. La gravitation, par exemple, ne pouvait être conçue que comme l’effet d’une cause inconnue, ou plutôt inconnaissable par le raisonnement scientifique97 car, comme le souligne Reid, l’esprit humain est désarmé pour découvrir la cause efficiente par le raisonnement : « Pour ce qui concerne les causes efficientes, je crains que nos facultés ne nous conduisent pas très loin et presque toujours à des conclusions générales. »98 Mais l’esprit trouve en lui le modèle de l’efficience. Reid utilise, pour élaborer sa théorie volontariste, une démarche qui n’est pas sans anticiper sur Maine de Biran et Schopenhauer.99 La volonté que l’homme trouve en lui est le paradigme de la causalité efficiente appliquée au monde.
Je ne suis pas capable d’élaborer une conception distincte des facultés actives autre que celle que je trouve en moi. Je peux seulement exercer mes facultés actives par la volonté, qui implique la pensée. Il me semble que si je n’étais pas conscient de l’activité en moi-même, je ne pourrais jamais, à partir des choses que je vois autour de moi, avoir eu la conception ou l’idée de faculté active. Je vois une succession de changements, mais je ne puis voir le pouvoir qui en constitue la cause efficiente. Mais, comme j’ai la notion de faculté active à partir de la conscience de ma propre activité, et comme je trouve qu’il y a un premier principe selon lequel tout produit demande une faculté active pour le produire, je peux raisonner sur une faculté active de similaire je connais bien, qui implique la pensée et le choix et qui s’exerce par la volonté. Mais si il existe quelque chose dans une créature inanimée et inintelligente que l’on souhaite appeler faculté active, je ne sais pas ce que c’est et ne puis raisonner sur elle.100
52Parce que l’homme se représente comme différent du monde, la notion d’efficience qu’il trouve en lui est étrangère à ce monde bien qu’elle s’y applique. Nous retrouvons ici un aspect du solipsisme phénoménologique qui court à travers l’œuvre de Reid et qui ne trouve sa solution que dans une théodicée dépassant même le naturalisme puisque l’efficience est clairement rejetée hors du monde physique naturel.101 Mais, à nouveau, la causalité risque de tomber dans l’hypothèse, encore que, comme nous l’avons vu pour la régularité, Reid refuse de considérer le contenu original de l’esprit sous cet angle, car ce principe qui ne vient pas du monde, s’y applique par l’extrapolation d’un modèle existentiel subjectif rappelant l’argument ontologique de Descartes. Alors que le philosophe français tirait la nécessité de Dieu de son idée d’infini et de perfection, Reid tire son idée de Dieu comme cause du monde de la volonté et de l’efficience découverte en lui-même. Le monde ressemble aux effets de la volonté de l’homme appliquée aux choses, et ces effets signalent l’intelligence et la bonté de leur créateur. Mais, comme ce monde n’est clairement pas le résultat de la volonté humaine, il doit nécessairement avoir été produit par une cause similaire dont l’efficience est à l’échelle des effets produits. Le principe de causalité ainsi défini fonde l’argument des causes finales sur un concept inné, dont le modèle n’existe pas dans la nature et qui, comme le défend Hume102 ne pourrait être après tout qu’une hypothèse, appliquée par analogie à Dieu et au monde. À ce stade, il faut que la philosophie cède la place à la révélation pour inverser l’analogie et affirmer avec Reid que le principe de causalité est donné par Dieu comme signe et comme délégation de son pouvoir dans l’homme. Comme souvent, le sens commun se délivre du soupçon de n’être qu’une hypothèse au moyen de la théodicée.
6. La science de l’esprit, introspection et analogie
53Si régularité et causalité sont des hypothèses inhérentes à la démarche cognitive que Reid prend le parti de considérer comme des fondements épistémologiques, il est une autre hypothèse dissimulée au cœur de sa « pneumatologie » qui, elle, correspond entièrement à la définition de ce qu’il entend rejeter. Il s’agit de ce rapport d’analogie entre l’esprit et le monde comme objets épistémologiquement similaires et accordés, justifiant l’utilisation d’une même méthode à appliquer aussi bien à l’introspection qu’à la connaissance de la nature.103 Ces deux branches de la connaissance sont parallèles, elles sont même plus ou moins similaires car, comme nous l’avons vu, les principes sur lesquels toutes deux reposent sont, en fin de compte, les principes métaphysiques nécessaires ainsi que, antérieurement même à ces principes, les principes d’existence du sujet et du monde. Il existe une unité de fond des deux domaines qui ramène au monisme naturaliste. Si les sciences de la nature, ayant une architecture similaire et des principes de fond identiques, ne diffèrent de la science de l’esprit qu’au niveau des principes secondaires d’évidence probable, l’analogie peut s’appliquer aussi à la méthode et le système de l’esprit peut suivre l’exemple du système astronomique de Newton.104 Par une analogie de fond permise par le naturalisme, Reid peut tenter la transposition de la méthode inductive expérimentale à la psychologie. Pourtant il n’a de cesse de pourfendre l’analogie comme source de l’erreur en ce domaine.105 Il y voit un préjugé naturel. « Il n’y a pas de préjugé plus naturel à l’homme que de concevoir que l’esprit a quelque similitude avec le corps dans ses opérations ».106 On pourrait l’interroger sur le critère permettant la différentiation entre un préjugé naturel et un principe naturel. Pour lui, ce critère est fourni par la faculté réflexive qui autorise l’objectivation des états de conscience de la même manière que pour les objets extérieurs. Reid, comme Locke, pense que la réflexion fournit la clé du monde intérieur.
Nous tenons pour acquis, donc, qu’au moyen d’une réflexion attentive, on peut avoir une connaissance claire et certaine des opérations de son propre esprit, une connaissance non moins claire et certaine que celle que l’on a d’un objet extérieur que l’on pose devant les yeux. Cette réflexion est une sorte d’intuition, elle procure une conviction identique, qu’il s’agisse d’objets internes ou de choses dans l’esprit, à celle que la vision donne sur ses objets propres.107
54De cette manière il définit une instance d’accès épistémique par laquelle l’introspection peut s’exercer, mais il concède aussi l’extrême difficulté à se saisir des objets de cette connaissance intérieure.108
55La difficulté est d’autant plus grande que le philosophe doit reconnaître et distinguer des faits qui ne sont pas donnés séparément dans l’expérience, mais qui sont au contraire intimement confondus. Ce qui apparaît simple aux yeux du sens commun est en fait affirmé comme complexe et nécessitant un travail d’analyse.109 Le problème se pose alors en termes d’intrusion du sujet dans l’objet de sa recherche. Comme le souligne Maurice Merleau-Ponty, le problème de l’introspection réside dans l’illusion de l’extériorité du sujet à lui-même qui rend toute transposition de la méthode des sciences objectives fallacieuse. Pour pouvoir étudier l’esprit comme la physique, il faudrait que l’on puisse se poser en observateur objectif de soi-même, c’est-à-dire hors de soi.110 Reid n’envisage pas cette difficulté et pense qu’en dépit des obstacles inhérents à un objet qui se refuse à l’examen, la conscience dispose de facultés, l’attention et l’abstraction, déjà utilisées dans la connaissance extérieure, qui permettent un accès en tous points similaire au monde intérieur. En dernière analyse, la conscience elle-même, en témoignant de l’existence d’objets intérieurs et d’objets extérieurs, fonde l’analogie et la théorie de la connaissance à deux directions. L’attention a la charge de proposer des objets à la conscience, mais c’est la conscience qui d’une manière générale fournit ses propres objets. Reid résout cette obscurité en déclarant les objets primaires du sens interne obscurs, confus et évanescents. Il faut alors que l’attention intervienne pour les fixer et les définir.111 Il affirme en même temps que les opérations de l’esprit sont conscientes mais qu’elles doivent faire l’objet d’un effort volontaire pour les rendre plus conscientes. Il définit ainsi deux degrés de conscience.112 Mais, pour que l’attention puisse effectuer le tri des objets mentaux, il lui faut une conception préalable de ces objets. Si nous considérons l’application de ce système à une opération de l’esprit analysée par Reid, nous constatons que ce qui paraît simple à la conscience est en fait analysé comme complexe par l’attention et codifié par elle en éléments dissemblables. La sensation propre est disjointe de la perception par une analyse du phénomène conduite par l’attention du philosophe. Pourtant, ce même phénomène est conçu par le sens commun comme un tout indivisible.
La perception implique une conviction et une croyance immédiates que quelque chose d’extérieur existe. Quelque chose qui est différent à la fois de l’esprit qui a perçu et de l’acte de percevoir. Des choses de nature si différente devraient être distinguées, mais notre constitution les unit toujours.113
56L’induction ne peut dans ce cas rien découvrir, puisque la conscience ne livre cet objet complexe particulier que sous une forme apparemment indivisible. Il faut alors appliquer une analyse à partir de concepts préexistants que l’on plaque sur le phénomène. Cette analyse est une démarche d’abstraction et de définition qui ne provient pas des faits, mais d’une conception des faits, c’est bien une hypothèse. Puisqu’il est impossible suivant les termes mêmes de Reid de séparer la perception de la conception et de la croyance qui l’accompagnent immédiatement, vouloir la définir comme un objet complexe équivaut à donner la définition d’un objet non existant dans l’expérience. La méthode inductive sert d’alibi à l’introduction d’une théorie de la perception qui cherche à se justifier a posteriori par des expériences prédéterminées.
Appuyons la main contre un corps dur et prêtons attention à la sensation ressentie en excluant de notre pensée toute chose extérieure et même le corps qui est la cause de ce que nous sentons. Cette abstraction, en vérité, est difficile, et semble avoir été peu pratiquée ; peut-être pas du tout. Elle n’est pourtant pas impossible, et c’est bien sûr la seule façon de comprendre la nature de cette sensation.114
57Le protocole ainsi défini tient pour assuré ce que Reid veut prouver. Cependant, je ne peux mobiliser mon attention sur un objet que si j’en ai déjà une conception antérieure à l’expérience. La circularité est claire. Comme le montre cet exemple, il ressort que Reid s’écarte de la pure induction et que la science de l’esprit ne se pare de la méthodologie inductiviste que pour mieux défendre une théorie de l’esprit.115 Cela est à rapprocher de l’observation faite par Bertrand Russell à propos de toute connaissance empirique qui procède par abstraction à partir du divers sensible et opère donc une sélection des faits sensibles en fonction de critères et de conceptions qui n’appartiennent pas aux faits eux-mêmes.116 Un tel aspect conceptualiste est, par ailleurs, parallèle à l’analyse de la volonté et de la mémoire menée par Reid.117
58On pourrait sans difficulté paraphraser cela pour mettre en lumière l’aspect conceptualiste de cette introspection en disant que nous devons déjà avoir une conception des faits de conscience pour pouvoir les trouver dans l’expérience interne. Pour Reid, analyser l’esprit, revient à rendre le contenu de la pensée clair à lui-même, or, ainsi que nous l’avons vu, il s’agit en fait de projeter les conceptions du sujet sur sa conception de lui-même comme objet. Analyser signifie alors imposer un schéma aux faits mentaux, mais ce schéma échappe toujours à l’analyse, l’ordre de l’analyse est inanalysable et c’est en cela que le fondationnalisme de Reid tente de se légitimer. Les pouvoirs de l’esprit sont les modes d’apparence de l’inanalysable. Ils sont alors de plus d’importance que ce que l’on croit découvrir inductivement par leur entremise. La méthode introspective inductive118 ne recèle donc qu’un inductivisme de façade et cela n’est d’ailleurs pas la préoccupation première de Reid qui ne l’invoque en fin de compte que pour donner une légitimité scientifique au sens commun. Son souci de fonder une axiomatique pour la science des sciences le conduit davantage à rechercher les facultés et les principes de la nature de l’esprit. À ce titre, l’implicite et l’inanalysable sont effectivement les objets de sa recherche mais il lui faut pour cela laisser à la polémique la méthode inductive et fonder sa démarche fondationnaliste sur une autre méthode, la méthode réductive.
Notes de bas de page
1 Sur la pénétration de la méthode newtonienne en Écosse, voir Norbert Waszek, « The Scottish Enlightenment and Hegel’s Account of Civil Society », Archives internationales d’Histoire des Idées, no 120, Dordrecht, Kluwer, 1988, p. 3, et T. C. Smout, A History of The Scottish People 1560-1830, Glasgow, 1972.
2 Sur l’émulation exercée par le progrès des sciences de la nature qui amène les philosophes à devenir des « Newton de l’esprit », voir Waszek, p. 32. Sur l’alliance de l’abstraction mathématique et des sciences de la nature, voir G. E. Davie, The Democratic Intellect, p. 147 qui situe Reid entre Hume et Kant, à mi-chemin entre empirisme et a priorisme, par l’influence de la tradition universitaire écossaise au xviiie siècle.
3 Alexander Pope, Essay on Man, Londres, J. Butt, éd., Methuen, 5e éd, 1984, p. 510. Account for Moral as for Nat’ral Things.
4 V. Cousin, p. 237
5 Voir 251b.
6 J. Noxon, Hume’s Philosophical Development, Oxford, 1975 p. 27-33.
7 132b. The advances made in the knowledge of optics in the last age and in the present, and chiefly the discoveries of Sir Isaac Newton, do honour, not to philosophy only, but to human nature. Such discoveries ought for ever to put to shame the ignoble attempts of our modern sceptics to depreciate the human understanding, and to dispirit men in the search of truth, by representing the human faculties as fit for nothing but to lead us into absurdities and contradictions.
8 Voir 471a-b.
9 Voir 98a.
10 Voir 241a.
11 Voir 241b.
12 99b. This may be truly called an analysis of the human faculties ; and, till this is performed, it is in vain we expect any just system of the mind – that is, an enumeration of the original powers and laws of our constitution, and an explication from them of the various phenomena of human nature. Voir aussi 201b, 217a et 431b.
13 F. Bacon, De Augmentiis Scientarum, I.
14 Voir 437a.
15 Voir 271b, 272a. Pour Reid, Newton applique fidèlement les règles du Novum Organum (voir 712b). Ailleurs, les « Regulae » ne sont que la transposition des découvertes de Bacon. Voir 200a, 251a et 436b.
16 56b. Lettre à Lord Kames du 16 décembre 1780. Now, my Lord, I have, ever since I was acquainted with Bacon and Newton, thought that this doctrine is the very key to natural philosophy, and the touchstone by which everything that is legitimate and solid in that science, is to be distinguished from what is spurious and hollow.
17 V. Cousin, Philosophie écossaise, p. 22.
18 Bacon Novum Organum. L. I, chap. xlv. The human understanding is of its own nature prone to suppose the existence of more order and regularity than it finds.
19 Voir 470b et 471a.
20 Sur Bacon et l’induction, voir M. Hesse, « Francis Bacon, » Critical History of Western Philosophy, Londres, D. J. O’Connor, éd., 1964.
21 Voir Locke, « Some Thoughts Concerning Education, » The Educational Writings of John Locke, Cambridge, J. L. Axtel éd., 1968, p. 308.
Locke inclut même la morale dans le domaine ouvert aux mathématiques. voir Essays Concerning Human Understanding, L. IV, chap. iv, § 6, 7 ; L. I, chap. ii, § 1 ; L. IV, chap. x, § 1. Reid oppose d’ailleurs le plus ferme démenti à cette assertion, car la morale ne peut être réduite pour lui à la quantité et à l’extension (voir 477b).
22 Voir 715a-b sur la limitation du champ mathématique à la quantité propre et impropre et l’usage de l’unité de mesure (716b, 717a).
23 Voir 473b où Reid raille les tentatives de mathématisation en morale ou en matière de religion qu’il assimile à une simple manie d’intellectuels. Voir aussi 477b.
Hartley, n’envisage rien moins que la mathématisation totale de toute les sciences, Observations on Man, cité par Reid, 251a.
24 Voir 58a.
25 Voir 467a.
26 234a. The mathematician pays not the least regard either to testimony or conjecture, but deduces everything, by demonstrative reasoning, from his definitions and axioms. Indeed, whatever is built upon conjecture, is improperly called science ; for conjecture may beget opinion, but cannot produceknowledge.
Pour C. S. Pierce la conjecture, le jaillissement de l’hypothèse est le premier degré indispensable du savoir, avant toute expérience, et déterminant cette dernière. De plus, pour le philosophe américain, le rôle du sens commun, de l’instinct, s’affirme dans le choix d’une hypothèse parmi la multitude des conjectures, choix qui révèle une tendance, une « lumière naturelle » dirigée vers la vérité. Il s’agit là, à la différence de Reid, d’une conception non fondationaliste du sens commun. Voir C. S. Pierce, Collected Papers, C. Hartshorne, P. Weiss & W. Burks, éd., Cambridge, Mass. : Harvard University Press, 1974, vol. 1, p. 80-81 ; 1, p. 121. Et Textes anticartésiens, J. Chenu, éd., Paris, Aubier, 1984, p. 30
27 Voir comment Reid renvoie dos à dos les protagonistes de la querelle qui opposait newtoniens et leibniziens sur la question des rapports entre force et vitesse. Essay on Quantity, 71a-b. Il montre comment tout raisonnement est impuissant à réduire une querelle entre savants si les axiomes ou définitions de l’un sont différents de ceux de l’autre.
28 Voir 272a.
29 451b. But the principle is necessary for us before we are able to discover it by reasoning.
30 451b, voir aussi 436a. Is neither grounded upon reasoning, nor has that kind of intuitive evidence which mathematical axioms have. It is not a necessary truth.
31 465b. From this, I think, it necessarily follows, that, in every branch of knowledge, we must make use of truths that are intuitively known, in order to deduce from them such as require proof.
32 Voir 436a.
33 Le principe d’uniformité ne peut en aucun cas être considéré comme intuitif dans la mesure où il procède par comparaisons successives et extrapolation, il s’agit en fait d’un raisonnement inductif. Il n’est pas donné avec l’expérience mais tiré d’elle a posteriori. Il est donc conforme à la définition donnée par Reid concernant les généralisations a posteriori qui sont des résultats inductifs, sortes de principes seconds. « Les maximes générales, fondées sur l’expérience, n’ont qu’un degré de probabilité proportionnel à l’étendue de notre expérience. » General maxims, grounded on experience, have only a degree of probability proportioned to the extent of our experience. Voir Newton, Regulae Philosophandi.
34 Voir 442b.
35 Au sujet de l’aspect tautologique des concepts a priori, voir A. J. Ayer, Language, Truth and Logic, p. 86 et L. Wittgenstein : « La vérité de la tautologie est certaine, celle de la proposition possible, celle de la contradiction impossible. » Tractatus Logico-Philosophicus, § 4.464. Wittgenstein montre que l’axiomatisation est un schéma de la vérité nécessaire et de la certitude. Vouloir parler d’axiomes à la manière des mathématiciens, c’est parler le langage de la définition et par suite, celui de la nécessité logique.
36 René Descartes, Méditations Métaphysiques,1re méditation.
37 Voir le second principe des vérités nécessaires (455a). Pour Reid, les axiomes newtoniens contenus dans les Regulae, forment les principes métaphysiques et sont donc nécessaires. Toute connaissance de la nature est d’abord fondée sur la nécessité.
38 453a et 454a. Mathematical notions are formed in the understanding by an abstraction […] out of the rude perceptions of our senses.
39 Voir 442b et 454a et également sous le même rapport 443b (le 2e principe des vérités contingentes) et 454a.
40 Sur le concept d’opinio et son origine voir Ian Hacking, The Emergence of Probability, Londres, 1975 p. 46-47.
41 Cette conception de la science de l’homme comme science des sciences se faisait jour déja chez Hume. Voir introduction du Treatise of Human Nature. Et chez Reid notamment 97a et 218a.
42 Les principes définis par Newton dans les Regulae demeurent contingents bien que Reid soit forcé d’admettre que leur évidence n’est en rien moins irrésistible que celle des axiomes mathématiques puisqu’ils ont une sorte de nécessité pratique. Les principes d’existence pour leur part, ont une évidence si possible encore plus convaincante, ce qui fait que la distinction conservée par Reid entre nécessaire et contingent devient purement scolastique, l’un et l’autre domaine disposent de la même évidence irrésistible. Voir, pour la limitation des sciences au contingent, 57a et 481b.
43 441a. Nature has given those powers to all men, and they can use them when occasions require it, but they leave it to the philosophers to give names to them, and to descant upon their nature. In like manner, nature has given eyes to all men, and they can make good use of them ; but the structure of the eye, and the theory of vision, is the business of philosophers.
44 M. Akenside, The Pleasures of Imagination, 1744, Addison, « On the Pleasures of the Imagination ». The Spectator, 1712, A. Gerard, Essay on Taste, 1759.
45 J. Wilkins, Essay Towards a Real Character and a Philosophical Language, 1668.
46 Voir L. L. Laudan, p. 120.
47 Voir 642b.
48 402a. It is not a system of truths, but a system of general terms, with their definitions ; and it is not only a great help to memory, but facilitates very much the definition of the terms.
Sur le nominalisme de Reid voir infra, 2e partie, chap. ii. Sur l’interaction de la quantification algébrique et de la définition nominale dans la philosophie classique qu’il nomme mathésis et taxinomie, voir M. Foucault, p. 86.
49 Reid se conforme au schéma défini par Kant à propos de la correspondance donnée par les principes de l’entendement et de la nature phénoménale. Le problème qui se pose à la science de l’homme est que ses principes sont ainsi chargés de s’autovalider puisqu’ils sont les instruments de leur propre découverte. Voir infra chap. v. La méthode réductive et Kant, Prolégomènes… p. 78. En outre, Reid, qui se veut un initiateur n’ambitionne nullement de constituer un dénombrement complet, il se contente de fonder une science que d’autres, après lui pourront poursuivre. Voir 244a.
50 Voir 57a. Voir Laudan, p. 124 et A. Koyré, « Hypothèse et Expérience chez Newton », Bulletin de la Société française de philosophie, 50, 1956, p. 5-7.
51 Voir D. Schulthess, p. 20 sur l’analyse de la méthode inductive de Reid.
52 231a. By our constitution, we have a strong propensity to trace particular facts and observations to general rules, and to apply such general rules to account for other effects, or to direct us for the production of them. […] The man who first discovered that cold freezes water, and that heat turns it into vapour, proceeded on the same general principles, and in the same method by which Newton discovered the law of gravitation and the properties of light. His regulae philosophandi are maxims of common sense, and are practised every day in common life. Voir aussi 436a et le manuscrit des Lectures on Natural Philosophy conservé à l’université d’Aberdeen dans lequel Reid qualifie les Regulae de rules for philosophising by induction, p. 7.
Voir aussi dans les manuscrits de la Birkwood Collection, Library of King’s College, Aberdeen, le fascicule intitulé ; Of the Order in which Natural Philosophy Ought to Be Taught, Birkwood Collection mss., classeur 2131.7, section 2. Également les Lectures on Pneumatology (vers 1768-1769) où il appelle les Regulae « the axioms upon which men reason in Physics ». Birkwood collection mss., classeur 2131.5 (8), feuillet 37.
53 Voir 113a.
54 200a. All these different classes have one teacher – Experience, enlightened by the inductive principle. Take away the light of this inductive principle, and Experience is as blind as a mole.
55 Voir supra, chap. ii, sect. 2.
56 Sur l’induction conçue comme déchiffrage du langage de la nature voir aussi : 199b, 472b, 513a et 712b.
57 Cette primauté du fait, c’est-à-dire ce que l’on décrit par le langage, est à rapprocher de la conception de Wittgenstein qui considère le monde comme l’ensemble des faits et non pas l’ensemble des choses : « Le monde est tout ce qui arrive. » voir Tractatus Logico-Philosophicus, § 1 à 1.12.
58 Voir 236a, et aussi 132b, 254b, 460b et 513a.
59 Voir Lectures On The Fine Arts, p. 2.
60 Voir 24b et 251a. Voir D. Hartley, Observations on Man, et L. L. Laudan, p 111.
61 472a. But the works of Nature are contrived and executed by a wisdom and power infinitely superior to that of man ; and when men attempt, by the force of genius, to discover the causes of the phenomena of Nature, they have only the chance of going wrong more ingeniously. Voir aussi 472b.
62 Voir 470a-b pour le cogito et 235a pour Leibniz. Voir aussi comment Reid se moque de l’hypothèse, 179b.
63 Voir 97b.
64 Voir 216b, 217a.
65 Voir 305b, 306a.
66 127b. Have those philosophers, then, given any solid proof of this hypothesis, upon which the whole weight of so strange a system rests. No. They have not so much as attempted to do it. But, because ancient and modern philosophers have agreed in this opinion, they have taken it for granted. Voir aussi 106a.
67 242a. Only a dream of fanciful men, who have entangled themselves in cobwebs spun out of their own brain. Voir aussi 520a-b sur l’utilisation du ridicule comme argument du sens commun que l’on trouve aussi dans Shaftesbury, « A Letter Concerning Enthusiasm », Characteristics, p. 170. Voir Schulthess, p. 93. Berkeley est également attaqué au nom du sens commun pour son dépassement du plan empirique de l’évidence naturelle. Voir 154b, 155a. Emporté par son zèle à réfuter l’hypothèse idéaliste, Reid va même jusqu’à délaisser pour un temps la méthode newtonienne pour utiliser l’experimentum crucis qui est pourtant le fleuron de la méthode hypothético-déductive dont il accuse l’idéalisme d’être l’avatar (voir128a). Il avait pourtant à la suite de Newton rejeté cet argument comme fallacieux. Peut-être faut-il voir en cela une tentative de réfutation de l’idéalisme sur ses propres critères, mais cela impliquerait l’acceptation d’une méthode noninductive constamment rejetée, par ailleurs, par Reid.
68 96. I thought it unreasonable, my Lord, upon the authority of philosophers, to admit a hypothesis which, in my opinion, overturns all philosophy, all religion and virtue, and all common sense and, finding that all the systems concerning the human understanding which I was acquainted with, were built upon this hypothesis, I resolved to inquire into this subject anew, without regard to any hypothesis.
69 Voir 56b, 57a, voir aussi 141b, 142a.
70 Voir 163a, 169a et 397a-b.
71 24a.
72 Ayer, « The foundations of Empirical Knowledge », Language Truth and Logic, p. 5-11, 36 et 146. Lazerovitch, « The Principle of Verifiability », Mind, 1937, p. 372-378. A. C. Ewing, « The Linguistic Theory of a priori Proposition », Proceedings of the Aristotelian Society, 1940.
73 P. K. Feyerabend, « Classical Empiricism », The Methodological Heritage of Newton p. 163. Phenomena, then, are selected and idealised experiments whose features correspond point for point to the peculiarities of the theory to be proved.
74 Wittgenstein, Tractatus Logico-Philosophicus, § 6.363, voir aussi § 6.3631 et § 6.3611.
75 Leibniz, Nouveaux essais sur l’entendement humain. Voir aussi L. Brunschwicg, Héritage de mots, héritage d’idées, p. 26.
76 Voir Feyerabend, p. 151. Chez Aristote, également, le sujet et le cosmos sont naturellement en phase et leur rencontre orientée vers la connaissance : « Il est donc évident que c’est nécessairement l’induction qui nous fait connaître les principes, car c’est de cette façon que la sensation elle-même produit en nous l’universel », Seconds Analytiques, L II, chap. i.
77 Voir B. Russell, « The Limits of Empiricism », Proceedings of the Aristotelian Society, no 36, 1936, p. 146-147.
78 Voir 97b.
79 185b. The first principles of every kind of reasoning are given us by Nature, and are of equal authority with the faculty of reason itself, which is also the gift of nature. The conclusions of reason are all built upon first principles, and can have no other foundation.
80 Voir 274b. Reid y défend l’opinion du vulgaire comme vraie car ne reposant que sur l’implicite du sens commun face aux diverses théories des écoles philosophiques.
81 Voir 54b et 199a. Reid justifie de cette manière le fondement de la inductive de Bacon (Novum Organum, LI, p. 36) Sur le principe de régularité voir 367b et 451a-b.
82 C. S. Pierce, Textes anticartésiens, Paris, Aubier, J. Chenu, trad., 1984, p. 275.
83 Laudan, p. 126-127.
84 Voir 196b, et note Hamilton 182b.
85 Voir 75b. I apprehend that there is one original notion of cause grounded in human nature, and that this is the notion on which the maxim is grounded – that every change or event must have a cause. This maxim is so universally held, and forces itself upon the judgment so strongly, that I think it must be a first principle – or what you call a law of human thought. Voir aussi 112b-113a.
86 199a. We perceive no proper causality or efficiency in any natural cause ; but only a connection established by the course of nature between it and what is called its effect.
87 Voir 157a et 314a.
88 Voir 455a. Whatever begins to exist, must have a cause which produced it. Voir aussi 323a, 455b, 460a, 521b et 617b.
89 Voir 122a. Les lois de Reid peuvent être rapprochées du principe de raison suffisante de Leibniz qui se contentait d’une causalité explicative sur un modèle plus ou moins mécaniste. Mais le philosophe écossais ne peut se satisfaire d’une cause qui n’est qu’une simple explication d’un phénomène. Cela fait de la loi, de la raison suffisante, seulement un mode de réalisation de l’efficience, or Reid conçoit la causalité comme un pouvoir d’induire des effets. Il passe donc d’une conception régressive de la causa lité, à partir de l’effet vers son explication, à une conception progressive, du pouvoir vers sa réalisation effective, son actualisation. Voir 624a-b, 625b.
90 Voir 253b. But no reasoning is more fallacious than this – that, because two things are always conjoined, therefore one must be the cause of the other. Day and night have been joined in a constant succession since the beginning of the world ; but who is so foolish as to conclude from this that day is the cause of night, or night the cause of the following day ? Voir aussi 457b.
91 Voir la définition de la cause naturelle, 526b.
92 Voir 199a et 113a. On mesure l’interdépendance et l’interpénétration des différents principes.
93 Voir Seconds Analytiques, L I, chap. ii.
94 Voir 197b. It is undeniable, and indeed is acknowledged by all, that when we have found two things to have been constantly conjoined in the course of nature, the appearance of one of them is immediately followed by the conception and belief of the other. The former becomes a natural sign of the latter. Voir aussi 67a.
95 Voir 163b et 236a-b. Sur l’étude de la causalité comme loi chez Reid, voir Laudan, p. 127-128.
96 Reid emprunte à Turnbull sa distinction de la causalité en loi naturelle et pouvoir actif. Cette dernière notion était elle-même dérivée de Cicéron. Voir Cicéron, De Fato, chap. xv, aussi Turnbull, Principles of Moral Philosophy et Woozley, Introduction, Intellectual Powers, p. 8.
97 Voir 321a-b.
98 58b. As to Efficient Causes, I am afraid our faculties carry us but a very little way, and almost only to general conclusions. Voir aussi 321b, 355a, 526a et 527b. Sur la causalité chez Newton, voir G. Buchdahl, « Gravity and Intelligibility, Newton to Kant », The Methodological Heritage of Newton, p. 79-81, et Newton, Opticks.
99 Schopenauer, Le Monde comme volonté et comme représentation, Roos éd., 1966, et Maine de Biran, « Réponse aux arguments contre l’aperception immédiate d’une liaison causale entre le vouloir primitif et la motion et contre la dérivation d’un principe universel et nécessaire de causalité de cette source », Œuvres, Cousin, éd., t. IV.
100 59a-b. I am not able to form any distinct conception of active power but such as I find in myself. I can only exert my active power by will, which supposes thought. It seems to me, that, if I was not conscious of activity in myself, I could never, from things I see about me, have had the conception or idea of active power. I see a succession of changes, but I see not the power, that is the efficient cause of them ; but, having got the notion of active power, from the consciousness of my own activity, and finding it a first principle, that every production requires active power, I can reason about an active power of that kind I am acquainted with – that is, such as supposes thought and choice, and is exer ted by will. But, if there is anything in an unthinking inanimate being that can be called active power, I know not what it is, and cannot reason about it. Voir aussi 456a, 523a-b, 531b, 603b, 604a et 619a. La théorie volontariste de Reid constitue sa réponse à Hume qui s’arrête à la conjonction constante et à Priestley qui défend la même théorie au sein de sa doctrine nécessitariste. Voir J. Priestley, Doctrine of Philosophical Necessity.
101 Reid peut, en fait, s’accorder avec Hume pour qui la nécessité est une détermination de l’esprit appliquée aux choses (voir Treatise L. I, chap. iii, § 14). Hume voit dans la conjonction constante l’occasion de l’application de la détermination causale par l’esprit. Reid voit dans la volonté le modèle de la détermination appliquée aux choses. Dans les deux cas l’esprit interprète en terme de détermination un rapport entre les choses.
102 Hume, Treatise L I, chap. iii, p. 3. La causalité est d’autant plus invérifiable qu’il est impossible d’en démontrer la nécessité.
103 Reid, Lectures on the Fine Arts, La Haye, Kvyp. éd., Archives internationales d’Histoire des Idées, Martinus Nijhoff, 1973, p. 21. Voir aussi 89a-b.
104 Voir 217b.
105 Voir 241b, voir aussi 199b, 201b et 202a-b. Reid concède tout de même une valeur d’évidence probable à l’analogie. Voir 237a.
106 254a. There is no prejudice more natural to man than to conceive of the mind as having some similitude to body in its operations.
107 232a. We take it for granted, therefore, that, by attentive reflection, a man may have a clear and certain knowledge of the operations of his own mind ; a knowledge no less clear and certain than that which he has of an external object when it is set before his eyes. This reflection is a kind of intuition, it gives a like conviction with regard to internal objects, or things in the mind, as the faculty of seeing gives with regard to objects of sight. Voir aussi 141a.
108 Voir 120a-b.
109 Voir 312a-b où Reid s’éloigne du sens commun et du donné empirique pour affirmer la nature composite d’un phénomène ressenti comme simple : la perception.
110 M. Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, p. 453. D’après Merleau-Ponty, la connaissance du monde est même exclusive de la connaissance de l’esprit dans la mesure où la pure connaissance intérieure supposerait l’évanouissement des délimitations extérieures, la connaissance à deux directions, à la manière de Reid, devient alors une contradiction.
111 Voir 258a, voir aussi 240b et 380a. Selon G. Ryle, comme pour Reid, l’introspection résulte de l’application de l’attention à la conscience. Mais cela signifie qu’il faudrait disposer d’une attention double pour rendre compte de l’intégralité du processus introspectif. L’attention devrait se porter sur le phénomène mental-objet et également sur le phénomène mental-introspectif. Il en résulte que, l’attention étant une faculté limitée, certains processus mentaux doivent lui échapper.
« Certains processus mentaux ne peuvent donc faire l’objet d’introspection car on ne saurait examiner introspectivement l’introspection centrée sur le plus grand nombre possible de manisfestations simultanées d’attention. »
Voir G. Ryle, The Concept of Mind, Stern-Gillet, éd., Paris, Payot, 1978 p. 158.
On pourrait aussi invalider l’attention en allant un degré plus loin, car si le processus d’introspection est un phénomène mental qui requiert de l’attention pour en rendre compte, il existe encore un autre degré d’introspection appliqué à l’attention elle-même comme processus mental, introspection requérant elle-même une attention et cela à l’infini.
112 Les relations entre conscience et attention sont ambigües et posent une difficulté dans la pensée de Reid. Il définit toujours la conscience comme instance épistémique première, (voir supra chap. ii, sect. 1) il n’est donc pas concevable qu’elle puisse posséder divers degrés et qu’il existe une conscience plus obscure. Par ailleurs, l’attention ne peut à elle seule faire surgir un objet de l’inconscience (voir 240b). Elle ne peut que l’isoler et le maintenir.
113 312b. Perception implies an immediate conviction and belief of something external – something different both from the mind that perceived, and from the act of perception. Things so different in their nature ought to be distinguished ; but, by our constitution, they are always united. Voir aussi 22b et 311a-b.
114 317b. Let a man press his hand against a hard body, and let him attend to the sensation he feels, excluding from his thought every thing external even the body that is the cause of his feeling. This abstraction, indeed, is difficult, and seems to have been little, if at all practised. But it is not impossible, and it is evidently the only way to understand the nature of the sensation. Voir aussi 311a-b et 318b.
115 Voir 318b. Reid y considère que les résultats obtenus par l’analyse des phénomènes mentaux sont des conclusions inductives à opposer à l’hypothèse idéaliste.
116 Voir Russell, « The Limits of Empiricism », Proceedings of the Aristotelian Society, no 36, 1936, p. 134.
117 Voir 35b et 531a-b.
118 Voir Marcil-Lacoste qui définit ainsi la méthode de Reid et supra, chap. ii, sect. 3. Dans la perspective étudiée, le système introspectif inductif contient une véritable antinomie. L’introspection ne pouvant livrer que des objets préconçus par l’esprit et ne fournissant qu’un pseudo-objet de science. L’induction, le langage des faits, pour parler comme Reid, ne peut s’y appliquer.
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