Esquisse biographique
p. 11-14
Texte intégral
1La vie de Thomas Reid fut celle, calme et paisible, de pasteur puis de professeur, à tel point que Dugald-Stewart, auteur de sa biographie en 180313 s’excuse presque du manque d’intérêt de son sujet. Reid naquit le 26 avril 1710 à Strachan dans le Kincardineshire, une paroisse rurale à environ trente kilomètres d’Aberdeen. Son père, le Révérend Lewis Reid, fut pasteur de cette paroisse pendant cinquante ans. Issu d’une très ancienne famille du comté d’Aberdeen, Reid hérita son goût pour l’étude de ses ancêtres pasteurs, lettrés ou médecins. L’un d’entre eux, Thomas Reid, fut secrétaire du roi Jacques Ier d’Angleterre dont il traduisit une partie des œuvres en latin. Un frère de ce Thomas Reid fut le médecin du roi Charles Ier. Par sa mère, Margaret Gregory, Reid est également le descendant d’une des familles les plus remarquables d’Écosse. Son grand-oncle n’était autre que James Gregory l’inventeur du télescope réflecteur et célèbre contradicteur de Huyghens. Parmi ses oncles maternels, Reid comptait David Gregory, professeur d’astronomie à Oxford et ami intime d’Isaac Newton. Deux autres oncles, mathématiciens également, introduisirent la physique newtonienne en Écosse. À l’âge de douze ans, il entra au Marischal College à Aberdeen où il eut pour maître George Turn-bull dont l’influence fut sans doute déterminante. Il trouva auprès de ce professeur la base de ce qui allait constituer sa philosophie avec notamment l’utilisation de la méthode inductive.14 Ses études achevées, il demeura à l’université en qualité de bibliothécaire et à cette époque il se lia d’amitié avec John Stewart qui devint plus tard professeur de mathématiques dans la même université. Cette amitié le confirma dans son goût déjà prononcé pour cette science et pour l’étude de la physique newtonienne. Les Principia exerçaient alors pour lui et pour les jeunes esprits de l’université la fascination de la découverte. En 1736 Reid quitta pour la seule et unique fois son Écosse natale pour l’Angleterre, en compagnie de John Stewart. Leur périple les mena à Londres, Oxford et Cambridge. Dans cette dernière université il fit la connaissance du mathématicien aveugle Saunderson, objet des attentions et des études de la plupart des épistémologues du temps et qui marqua de son exemple la réflexion sur les facultés de l’esprit humain. À vingt-sept ans, en 1737, Reid fut nommé pasteur de la paroisse de New Machar dans le comté d’Aberdeen. D’abord en bute à l’hostilité de ses paroissiens outrés de la mauvaise conduite de ses prédécesseurs, il sut vite, par son humanité et sa modestie, se faire accepter et s’attacher leur affection. Il épousa sa cousine Élisabeth Reid en 1740. Dans le relatif isolement de cette paroisse eut lieu la découverte qui décida de sa place dans l’histoire des idées. La lecture du Treatise of Human Nature de Hume l’ébranla au point que comme l’écrit A. D. Woozley :
Les conclusions ne lui laissèrent pas plus d’occasion de poursuivre son sommeil dogmatique que Kant après la lecture de Hume dans la version plus édulcorée de sa pensée présentée dans l’Enquiry Concerning Human Understanding.15
2En 1752, il fut élu professeur de philosophie au King’s College d’Aberdeen. Il lui revenait alors d’enseigner aussi bien les mathématiques et la physique que la logique et la morale. Il créa avec son ami James Gregory une société littéraire dont l’influence sur la vie intellectuelle et le débat philosophique fut considérable. Elle devait donner naissance à l’École écossaise du sens commun. Non seulement Reid mais aussi Beattie, Gregory, Campbell et Gerard firent connaître leurs œuvres à travers cette société.16 L’Inquiry into the Human Mind on the Principles of Common Sense fut publié par son entremise en 1764. Reid y présentait le fruit de ses recherches sur la perception et son premier essai de réfutation du scepticisme humien. Voulant se garder de tout risque de fausse interprétation, il alla jusqu’à soumettre son manuscrit à Hume lui-même par l’entremise du Dr Blair. Son adversaire, loin de contre-attaquer, le félicita dans un passage célèbre, ironique et ambigu, autorisant toutes les interprétations.
J’aurai la vanité de prétendre à une part de la louange et me féliciterai que mes erreurs, en ayant au moins le mérite de montrer quelque cohérence, vous avaient conduit à un examen plus strict de mes principes, qui n’étaient que les principes communs, et à la perception de leur futilité.17
3En 1763, il succéda à Adam Smith à la chaire de philosophie morale de l’université de Glasgow. Dans ce nouveau poste, il pouvait approfondir ses recherches sur l’esprit humain et les principes moraux dans un cours qu’il donnait cinq heures par semaine pendant six mois de l’année. Toujours passionné de mathématiques, il allait jusqu’à suivre les cours de son collègue le Dr Black avec, selon Dugald Stewart, « une curiosité et un enthousiasme juvéniles ». Durant cette période, il donna les Lectures on the Fine Arts, écrites en 1774. Toutefois, avec l’approche de la vieillesse, soucieux d’écrire son œuvre philosophique avec des facultés encore intactes, il se retira de l’enseignement en 1781 pour se consacrer exclusivement à l’écriture. Il avait alors 71 ans. Quatre ans plus tard, en 1785, il publia les Essays on the Intellectual Powers of Man dans lesquels il développe sa doctrine sur la perception et le langage. En 1788, il fit paraître les Essays on the Active Powers of the Human Mind où il développe une théorie rationaliste de la morale contre les idées de Hume et de Hutcheson alors en vogue. Reid publia, en outre, l’Essay on Quantity pour la « Royal Society of London ». Et l’Analysis of Aristotle’s Logic en appendice au troisième volume des Sketches de Henry Home, Lord Kames. À quatre-vingt-six ans, peu avant sa mort, il prépara une contribution pour la société philosophique de Glasgow, les Physiological Reflections on Muscular Motions, réflexions sur les infirmités de l’âge. Il agrémentait sa retraite par la poursuite de l’étude des mathématiques toujours en relation avec les recherches de Newton. De ses cinq enfants, il ne lui restait alors qu’une seule fille. Sa femme était morte en 1792 et ses quatre autres enfants, deux garçons et deux filles, n’avaient pas atteint l’âge adulte. Les dernières années de sa vie se passèrent à Glasgow où il continua à résider entouré de sa fille et de son gendre, le Dr Carmichael. Durant l’été 1796 il fit un dernier voyage à Édimbourg chez le Dr James Gregory son petit cousin et ami de longue date. En septembre, il tomba gravement malade et mourut le 7 octobre de la même année. De petite taille, mais doté d’une robuste constitution qui, dans les dernières années de sa vie, lui permettait de jouir de toutes ses facultés intellectuelles, il était connu pour son caractère aimable allié à une grande droiture. Son courage transparaît dans la ligne philosophique suivie dès la publication de l’Inquiry, qui implique le renversement de l’essentiel des canons philosophiques de l’époque. Intrépide, mais avec sagesse et réflexion, modeste, il fut un homme de modération haïssant les excès de la dispute philosophique ou du fanatisme, que se soit en matière religieuse ou politique. À cet égard, en bon libéral, il avait d’abord accueilli avec bienveillance les idéaux de la révolution française, avant de la condamner pour ses excès, à l’image de l’ensemble de ses compatriotes. Peu sensible aux charmes de la gloire littéraire, il ne tenta à aucun moment de s’élever au-dessus de sa position. Il n’est suspect de compromission d’aucune sorte avec les puissants. À la différence de son contemporain et ami Beattie, la belle société et la cour de Londres n’exercèrent aucun attrait sur lui. Il est peu coutumier des traits acerbes et des vitupérations que l’on trouve souvent chez d’autres philosophes du sens commun. Le style, comme l’homme, clair mais souvent foisonnant, manque de la rigueur de celui de Kant, ou de la vivacité de Hume.
4Reid se présente donc à nos yeux comme un philosophe du bon sens, bien sûr, et de la modération, mais également de la curiosité scientifique. Il est l’auteur d’une « Géométrie des visibles » très novatrice et déjà non euclidienne, et surtout du renouveau que la philosophie puise auprès de la science.
Notes de bas de page
13 La principale source biographique est The Account of the Life and Writings of Thomas Reid, publié par Dugald Stewart en 1803, reprise en introduction des Complete Works.
14 George Turnbull, Principles of Moral Philosophy.
15 A. D. Woozley, Reid’s Essays on the Intellectual Powers of Man, Londres, 1941. Introduction, p. X. The conclusions left him no more opportunity for dogmatic slumber than Kant found after reading the milder version in Hume’s Enquiry Concerning Human Understanding.
16 Sur la Société philosophique d’Aberdeen et ses activités, voir Pierre Morère, L’œuvre de James Beattie, Paris, Honoré Champion, 1980, p. 32-35.
17 Voir Reid, Works, p. 6. I shall be so vain as to pretend to a share of the praise ; and shall think that my errors, by having at least some coherence, had led you to make a more strict review of my principles, which were the common ones, and to perceive their futility.
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