Les penseurs écossais des belles-lettres
p. 23-56
Texte intégral
1Parmi toutes les manifestations du renouveau de l’Écosse au milieu du xviiie siècle, le mouvement des belles-lettres revêt une importance particulière, quoique souvent inaperçue, dans l’histoire des idées et l’histoire littéraire. Victime de l’extraordinaire succès de la pensée spéculative et scientifique, ou des avancées de la réflexion politique et économique qu’il a indirectement suscitées, ce vecteur de progrès demeure encore largement inconnu. L’une des caractéristiques majeures de la pensée écossaise, à la suite de l’union des parlements de 1707 et au lendemain de l’ultime tentative de soulèvement jacobite de 1745, réside pourtant dans sa caractéristique rhétorique et dans la place qu’elle accorde au discours littéraire comme pierre d’angle de l’édifice du savoir. Bien loin de jouer le rôle mineur dévolu aux arts d’agrément, les belles-lettres ont été à l’origine et sont demeurées le pôle unificateur du Scottish Enlightenment, que Richard B. Sher définissait fort justement dans sa diversité comme « la culture des lettrés écossais du xviiie siècle ».1 À côté de grandes figures comme Adam Smith, plus connu pour d’autres recherches mais dont ce fut le point de départ épistémologique, on trouve le noms de Henry Home, magistrat d’Edimbourg qui prit en 1752 le titre de Lord Kames et de Hugh Blair, pasteur de la paroisse du Canongate, puis de la High Kirk d’Édimbourg.
2C’est à l’automne 1748 que le jeune Adam Smith, âgé alors de vingt-cinq ans seulement, introduit en Écosse les fondements de ce nouvel enseignement de la rhétorique et de l’analyse littéraire. Dans les locaux de l’université d’Édimbourg, mais en marge de l’institution proprement dite, il entreprend une série de « Leçons de rhétorique et de belles-lettres » sous la protection de l’influent Henry Home. C’est ce que rapporte le biographe Alexander Fraser Tytler of Woodhouselee :
C’est grâce à son talent de persuasion et à ses encouragements que M. Smith, peu après son retour d’Oxford, ayant abandonné tout objectif de carrière au sein de l’Église, fut amené à faire partager au public l’objet de ses premières études et à proposer un Cours de rhétorique et de belles-lettres. Il enseigna ce cours en 1748 à Édimbourg devant un auditoire respectable, principalement composé d’étudiants en droit et en théologie, (a)2
3En faisant appel au jeune Smith, Henry Home, en magistrat responsable, cherche à offrir à la nation écossaise, par l’intermédiaire de sa future élite intellectuelle et sociale, la possibilité d’un renouveau linguistique qui servira de propédeutique à un renouveau de la pensée. De ce cours de 1748, il ne reste malheureusement aucune trace, Smith ayant ordonné la destruction de tous ses manuscrits peu avant sa mort en 1790. On sait seulement, par exemple, que Hugh Blair, qui s’en inspira par la suite, les suivit, alors qu’il était étudiant en théologie. Fort heureusement, la découverte en 1958 par John M. Lothian d’une série ultérieure de notes d’étudiants d’après les « Leçons de rhétorique » que Smith enseigna, à l’université de Glasgow cette fois, entre novembre 1762 et février 1763, dans le cadre de ses cours de logique et de philosophie morale, permet d’imaginer ce que furent ces premières leçons.
4L’étude de la rhétorique complétée par la référence aux belles-lettres apparaît chez Smith comme le complément indispensable de tout enseignement universitaire. Il entre dans le tronc commun des disciplines enseignées aussi bien aux futurs pasteurs qu’aux futurs médecins. L’introduction d’une locution d’origine étrangère, le léxème français « belles-lettres », vient souligner le déplacement d’axe, et sert à encourager ceux pour qui la rhétorique, vieille comme le monde, n’a plus rien à apporter aux hommes des Lumières. Comme Smith, Henry Home of Kames est persuadé du contraire. La publication à Edimbourg en 1762 des Éléments de critique en témoigne. Kames tente d’y réunir, à la façon d’éléments de géométrie, les règles essentielles qui doivent servir de fondement à la critique du discours. La même année, Hugh Blair qui, parallèlement à sa carrière ecclésiastique, a repris à Édimbourg le flambeau des cours de Smith après le départ de ce dernier pour Glasgow, reçoit du roi George III le titre de « Regius Professor » pour sa chaire de « rhétorique et de belles-lettres » créée deux ans plus tôt. L’inspiration smithienne de ces leçons ne présente aucun doute, et Blair en fait l’aveu dans une note de l’édition de son cours publié pour la première fois en 1783 :
Plusieurs idées ont été empruntées à un traité de rhétorique manuscrit dont une partie m’a été communiquée par le savant et ingénieux Dr. Smith, (b)3
5De toute évidence, entre 1748 et 1783, une communauté de pensée se tisse à Édimbourg entre un certain nombre de savants pour lesquels la rhétorique, une fois renouvelée, peut et doit jouer un rôle déterminant dans le champ des connaissances. Cette convergence s’exprime à travers la détermination « belles-lettres » qui traduit la préoccupation linguistique commune à la plupart des penseurs écossais du xviiie siècle.
Les conditions d’un enseignement nouveau : la préoccupation linguistique
6Lorsque les belles-lettres font irruption sur la scène écossaise, le sujet y est « nouveau » et « à la mode », pour reprendre les termes d’un biographe de Smith, John Rae.4 En juillet 1755, le rédacteur en chef du premier numéro de l’Edinburgh Review, John Wedderburn, ami de Smith, souligne dans sa Préface que l’Écosse, parvenue au milieu du xviiie siècle, a déjà progressé dans bien des domaines, mais il appelle de ses vœux un autre type de réussite, plus grande encore :
S’il est un domaine dans lequel les avancées [de l’Écosse] ont été considérables au point de consacrer un état de progrès, c’est la science. [...] Le potentiel éducatif et les moyens d’acquérir les connaissances dont dispose notre pays devraient lui permettre, même si le génie y était très médiocrement répandu, de s’illustrer dans le domaine des lettres, (a)
7L’utilisation d’une expression dévalorisée depuis lors dans sa langue d’origine par l’assimilation au « bel esprit » et à la préciosité ne doit pas entraîner dans un même rejet les pratiques que désigne le terme « belle-lettres » dans le contexte culturel de l’Écosse du xviiie siècle. En effet, à l’intérieur du projet éducatif national que définit l’intelligentsia écossaise, la maîtrise de la rhétorique dans sa détermination de science des belles-lettres a pour but primordial de créer les « moyens d’acquérir la connaissance » par le vecteur de la langue. Or, comme le rappelle Wedderburn, l’inadaptation de l’idiome demeure l’un des deux obstacles majeurs au progrès général de l’Ecosse :
Deux obstacles considérables empêchent depuis longtemps le progrès de la science. Le premier réside dans la difficulté à définir un outil d’expression convenable dans un pays dépourvu de modèle linguistique, ou dont le modèle est très éloigné, (b)
8Le second obstacle, à savoir l’archaïsme de l’imprimerie en Écosse, semble surmonté en 1755, au moment où Wedderburn lance sa revue. En revanche, il faut poursuivre l’effort entrepris depuis peu afin de surmonter le premier, et l’on ne peut s’empêcher de penser que Wedderburn fait référence, entre autres, à son ami Smith lorsqu’il écrit plus loin :
De récents exemples ont démontré cependant que cette difficulté n’est pas insurmontable, et qu’en s’y appliquant sérieusement, un homme né au nord de la Tweed est susceptible d’acquérir un style correct et même élégant, (c)5
9Se faisant l’écho de bon nombre de ses compatriotes, David Hume, commis-voyageur de la pensée écossaise du xviiie siècle en Europe, déplore lui aussi, dans une lettre à Sir Gilbert Elliot of Minto, l’inadaptation de l’instrument linguistique dont dispose le penseur écossais de son temps : « Nous parlons un dialecte très abâtardi de la langue que nous utilisons. »6 L’ancienne langue écossaise des Basses-Terres, le Scots, rameau de l’anglo-saxon primitif dont est également issu l’anglais, s’est progressivement dialectalisé, victime de la diffusion de la Bible anglaise de 1611 sous l’influence de la Réforme, et de la pénurie de grands auteurs en langue vernaculaire depuis la fin du xve et le début du xvie siècle (l’époque brillante de Robert Henryson et William Dunbar). Face à ceux qui, à la suite d’Allan Ramsay, défendent le caractère « dorique » du dialecte écossais, c’est-à-dire son égalité de statut avec l’attique (l’anglais), d’autres, parmi lesquels David Hume et James Beattie, pourchassent tous les « scotticismes ».7 Certains nationalistes ont hélas politisé à outrance cette opposition entre deux courants de la pensée écossaise caractéristiques du moment où l’ancienne culture communautaire fait place à l’idéal cosmopolite du siècle des Lumières. Dans un récent article, James G. Basker a bien analysé le problème de l’identité culturelle écossaise à travers l’attention portée par tous les hommes de lettres aux fameux scotticismes.8 Les tenants de l’école des belles-lettres, qui défendent la politique d’intégration anglo-écossaise (britannique), ne cherchent cependant pas seulement à ordonner leur dialecte à l’anglais, majoritaire au sein de la nouvelle entité politique unitaire. Leur effort n’est pas réductible à l’ambition superficielle, perceptible dans les rangs de la bourgeoisie d’Édimbourg de se faire passer, en paroles, pour anglaise, fidèle qu’elle est aux conseils de maîtres d’élocution tel l’Irlandais Thomas Sheridan, père de l’écrivain, et directeur de théâtre reconverti dans la phonétique anglaise pour faire vivre sa famille. Familier de ces problèmes linguistiques, le romancier écossais Smollett, parti lui-même à la conquête de Londres dès juin 1739, fait dire à son porte-parole Matthew Bramble, le héros gallois de son dernier roman, The Expédition of Humphry Clinker (1771) :
Il m’est avis que les Écossais feraient bien, dans leur propre intérêt, d’adopter les idiomes et la prononciation des Anglais ; surtout ceux qui sont décidés à aller gagner fortune dans le sud de la Grande-Bretagne. (a)9
10Mais le romancier n’est pourtant pas favorable aux méthodes artificielles de ces professeurs de diction qu’il raille dans The Adventures of Roderick Random (1748) en la personne d’un compatriote que le jeune Écossais Random rencontre à Londres :
Ce personnage, qui était arrivé d’Écosse trois ou quatre ans auparavant, avait ouvert une école en ville, où il enseignait le latin, le français et l’italien ; mais son enseignement principal concernait la prononciation de l’anglais suivant une méthode plus rapide et plus extraordinaire que celles pratiquées jusque-là. D’ailleurs, si ses élèves parlaient comme leur maître, ce dernier devait accorder une attention très minutieuse à la deuxième partie de ses attributions ; en effet, alors que je n’avais eu aucune peine à comprendre tout ce que j’avais entendu depuis mon arrivée en Angleterre, les trois-quarts de son sabir m’étaient aussi incompréhensible que de l’arabe ou de l’irlandais. (b)10
11Smith le premier n’a que faire de tels maîtres, dont la langue rappelle parfois le français de la prieure de Chaucer, appris « à l’école de Stratford-at-the-Bow ». John Rae rapporte à son sujet le détail suivant :
Les Anglais qui rendaient visite à Smith [...] était frappés par la pureté et par la correction de l’anglais qu’il utilisait dans sa conversation, sans donner l’impression de se contrôler, (p. 28) (c)
12C’est que l’entreprise de Smith consiste moins à asservir culturellement l’Écosse à sa voisine anglaise, qu’à l’inciter à rivaliser avec elle. Justifiant le bien-fondé du choix de l’école des belles-lettres, l’historien William Robertson, contemporain et ami de Smith résume ainsi la situation linguistique de l’Écosse au siècle précédent :
Depuis le départ de la Cour, il ne restait plus de critère national de propriété et de correction linguistiques ; les quelques compositions que l’Écosse produisait étaient jugées d’après les critères anglais, si bien que tout mot, toute expression qui s’écartait un tant soit peu de ce modèle, était condamné comme barbare... (a)11
13Un siècle plus tard la situation sera totalement renversée, et c’est du nord de la Tweed que viendront en grande partie les jugements critiques les plus redoutés des romantiques anglais. En 1809, Byron, pourtant écossais par son ascendance maternelle, publie une satire mordante de l’Edinburgh Revient dans un poème au titre évocateur, English Bards and Scotch Reviewers, preuve que le temps des bardes écossais aux prises avec la critique londonienne est bel est bien révolu : c’est même le contraire qui se produit maintenant. Six ans plus tard, Wordsworth, dans une note de l’« Essai supplémentaire » qui accompagne la Préface des Ballades lyriques, met violemment en cause Smith et ses successeurs :
Cette opinion semble avoir été celle d’Adam Smith, le critique le plus épouvantable hormis David Hume, que l’Écosse – terreau auquel cette engeance semble être naturelle – ait produit, (b)12
14Quoi qu’il en soit, dans les années 1740-1750, afin de mener à bien la rénovation linguistique de l’Écosse sur des bases intellectuelles solides et non superficielles, Smith trouve son inspiration dans la lecture de Français tels que l’abbé Rollin, professeur d’éloquence, auteur en 1726 d’un Traité des études, dont le titre exact est De la manière d’enseigner et d’étudier les belles-lettres. Pour les penseurs écossais des belles-lettres, la correction linguistique et l’étude des bons auteurs doivent conduire à la maîtrise de moyens d’expression et de communication susceptibles d’accompagner le progrès général des connaissances. À l’exemple des éducateurs jésuites français de la fin du xviie siècle, des pères Rapin et Bouhours, ou du Père Lamy, de l’Oratoire, ils veulent fournir un nouveau langage, et de là un nouveau visage, à l’érudition scientifique. Les sociétés savantes, qui se constituent tout au long du siècle à Edimbourg et à Glasgow, mais également à Aberdeen, ont pour objet de développer l’échange des idées scientifiques dans une langue commune et accessible à tous. Ainsi, une « Belles Lettres Society » voit le jour à Edimbourg le 12 janvier 1759.13 Sans être l’auteur du « rapprochement des termes de rhétorique et de “belles lettres” », comme le suggère dans sa thèse Liliane Gallet-Blanchard14, Smith en perçoit la nécessité et la justification dans l’Écosse de son temps. En outre, il y trouve un terreau où leur association sera particulièrement féconde.
Adam Smith, ou l’avènement des belles-lettres en Écosse
15C’est à John Millar, qui suivit les cours de Smith à Glasgow où il devint lui-même professeur de droit, que le philosophe Dugald Stewart doit ce témoignage sur le « système de rhétorique et de belles-lettres » du maître :
La méthode la plus parfaite pour décrire et illustrer les diverses capacités de l’esprit humain, la partie la plus utile de la métaphysique, découle de l’examen des manières de communiquer nos pensées par la parole, et de l’étude des principes des compositions littéraires qui participent à la persuasion ou au divertissement. (a)15
16Sous sa nouvelle détermination de science des belles-lettres, la rhétorique revêt une importance renouvelée, adaptée aux conditions socio-historiques de la seconde moitié du xviiie siècle. Plutôt que de « nouvelle rhétorique »,16 il conviendrait de parler au sujet des enseignements de Smith de définition des règles de la communication humaine. C’est en considérant leurs impératifs que Smith établit son système autour des deux qualités simples de « clarté de style » (perspicuity of stile) et d’« adaptation aux circonstances » (propriety).17
17Dans les Lectures on Rhetoric and Belles Lettres, le rejet des systèmes traditionnels (et non de leur héritage positif) se fonde sur la constatation de l’inutilité de la surabondance des figures et des tropes qui souvent viennent parasiter le schéma de la communication :
C’est l’étude de ces figures et de leurs ensembles et sous-ensembles, qui a présidé à l’établissement de tant de systèmes de rhétorique, aussi bien anciens que modernes. Ce sont généralement des ouvrages fort sots et nullement instructifs, (a) (p. 26)
18Cette condamnation porte du reste davantage sur la méthode que sur le contenu des manuels classiques, et on aurait tort d’y lire un rejet total des figures de la part de Smith qui entend puiser dans la tradition ce qui peut être utile à l’efficacité de la communication :
Cependant, comme il pourrait paraître étrange de passer sous silence dans un système de rhétorique ces figures qui ont tant exercé les esprits, nous proposerons quelques observations à leur égard, quoique suivant un plan différent de celui qu’adoptent d’ordinaire les auteurs, (b) (p. 26-27)
19Ainsi au nom de la clarté, on rejettera l’ornement inutile et la variété à tout prix :
Ce que l’on nomme généralement ornements ou fleurs du langage, comme les expressions allégoriques, métaphoriques, etc., risquent fort d’obscurcir et d’embrouiller le style. [...] L’effort de variété dans l’expression conduit également souvent aux oubliettes de l’obscurité métaphorique, (c) (p. 8)
20Les mots sont donc à considérer de manière utilitaire, comme vecteurs d’une pensée, et l’utilitarisme naissant rejoint le classicisme éternel pour lequel, selon l’heureuse formule de Boileau, « ce qui se conçoit bien s’énonce clairement » :
Les phrases courtes sont en général plus claires que les longues du fait qu’elles se peuvent embrasser d’un seul regard ; mais dans notre effort de concision, nous devrions éviter la discontinuité qui nous guette à chaque instant et manque tout autant de clarté, (d) (p. 7)
21Quant au sentiment esthétique, il n’est pas pour autant absent de cette nouvelle définition de la rhétorique. Si la clarté est la condition essentielle à la réception de tout message linguistique, l’adaptation de l’expression aux conditions particulières des processus de communication en détermine la qualité, que Smith définit comme beauté :
Lorsque votre langage traduit avec clarté et netteté ce que vous voulez exprimer, ainsi que le sentiment ou l’affect que ce sujet suscite en vous, et lorsque ce sentiment est plus noble ou plus beau que ceux que l’on rencontre d’ordinaire, alors votre langage possède toute la beauté dont il est susceptible, et les figures rhétoriques n’y contribuent ou ne peuvent y contribuer que si elles se présentent comme la manière juste et naturelle d’exprimer ce sentiment. (a) (p. 26)
22Les figures de style, inutiles en tant que telles, ne sont efficaces et ne se justifient donc que par leur degré d’adaptation au contexte de la communication :
Elles n’ajoutent ni ne retranchent à la beauté de l’expression. Lorsqu’elles sont plus adaptées que les moyens d’expression habituels, alors seulement elles doivent être utilisées, et pas autrement. (b) (p. 26)
23En l’absence de critères de beau a priori, il existe autant de beaux styles que de communications bien réussies, où la clarté de l’expression est complétée par l’adéquation entre l’émotion ou l’idée et les moyens linguistiques mis en œuvre :
Le résultat de tout ce que nous avons posé comme règles est que la perfection du style consiste dans l’expression la plus concise, la plus adaptée, et la plus précise de la pensée de l’auteur ainsi que dans la manière de traduire le mieux le sentiment, la passion, ou l’affect qu’éprouve ou prétend éprouver ce dernier, et qu’il souhaite communiquer à son lecteur, (c) (p. 55)
24Il convient ainsi d’observer la variété des circonstances, le caractère particulier du locuteur ou de l’écrivain, qui déterminent toute une variété de styles acceptables. La préoccupation normative qui subsiste chez Smith comme chez les Classiques prend la mesure de l’expérience et du particulier, en rejetant l’universel absolu :
De même, au lieu de condamner certains styles pour leur déficience en beautés peut-être incompatibles avec celles qu’ils possèdent, on peut les considérer bons dans leur genre et adaptés aux circonstances de l’auteur, (d) (p. 34)
25Seul universel admis par l’école écossaise issue de la pensée de Francis Hutcheson, qui enseigna la philosophie morale à Smith entre 1737 et 1740, celui du bon sens ou sens commun. Smith en fait la caractéristique principale de sa rhétorique régénérée :
Cela, direz-vous, n’est pas autre chose que du bon sens, et c’est bien ce dont il s’agit. Mais si l’on y regarde de près, toutes les règles de la critique et de la moralité considérées dans leurs fondements se ramènent à quelques principes de bon sens auxquels souscrit tout un chacun...(a) (p. 55)
26En proposant à ses étudiants de parcourir avec lui en toute impartialité le corpus des belles-lettres européennes, Smith leur offre autant d’exemples de communication particulière. Il les met en garde contre une démarche trop théorique en rhétorique comme dans toutes les sciences :
Les pensées de la plupart des hommes de génie de notre pays se sont récemment orientées en direction de raisonnements abstraits et spéculatifs qui sont sans doute très peu susceptibles d’améliorer notre pratique, (b) (p. 97)
27Il convient donc de considérer d’abord l’objectif du processus de communication et de juger sous ce rapport les moyens mis en œuvre. Ainsi, par exemple, l’historien et l’auteur didactique ne poursuivent pas la même fin que l’orateur, et il apparaît naturel que leurs styles s’en fassent l’écho :
L’auteur didactique et l’historien utilisent rarement les figures appuyées auxquelles l’orateur a recours à son profit. Les objectifs qu’ils poursuivent sont différents, si bien que les moyens par lesquels ils espèrent y parvenir doivent être de même. L’orateur et l’historien se trouvent à coup sûr dans des circonstances très différentes. Le travail de l’un consiste seulement à relater des faits souvent très éloignés de son temps et dans lesquels il n’est pas partie prenante, ou ne devrait pas l’être, s’efforçant de ne pas le paraître. L’orateur [...] aborde des sujets qui le touchent de près lui ou ses amis ; il importe donc pour lui de paraître, s’il ne l’est réellement, étroitement concerné par le sujet, et d’utiliser tout son art pour prouver ce dans quoi il s’engage. Leurs styles n’en sont pas moins différents, (c) (p. 35-36)
28La nouvelle classification qui s’établit est d’autant moins normative qu’elle autorise autant de « styles » que de circonstances particulières. La perspective historique introduit un relativisme qui bouleverse les perspectives esthétiques héritées de la tradition classique. Tout en restant fidèle à ce précieux héritage par goût personnel autant que par respect pour ses maîtres, Smith ouvre la porte à l’expérience individuelle en matière de composition et de style.
Kames, ou les belles-lettres comme science de l’homme et culture du cœur
29Depuis Smith, le mouvement écossais des belles-lettres, qui entend offrir à l’ancienne rhétorique la possibilité d’un renouveau scientifique, a fait sienne la méthode expérimentale newtonienne de l’analyse et de la synthèse. Elle seule est susceptible de fonder un discours générique qui tienne compte des données de l’expérience, à l’image de la démarche de la science nouvelle. Le grand ouvrage de Kames, Éléments de critique, publié à Edimbourg en 1762, illustre admirablement cette perspective. Dès l’Introduction, Kames annonce sa méthode :
Le plan [de l’auteur] consiste à s’élever progressivement en direction des principes, en partant des faits et des expériences, au lieu de commencer par les principes, traités abstraitement, pour descendre en direction des faits, (a)18
30Dans l’esprit de Kames, il ne s’agit nullement d’abolir les préceptes classiques, mais de passer au crible d’une « critique » scientifique tout ce qui est communément admis sans aucun discernement. Ne seront écartés au terme de ce processus que les aspects arbitraires ou infondés d’une tradition multiséculaire que Kames, épris d’ordre et admiratif des anciens, cherche plutôt à sauvegarder du discrédit dans lequel le succès des sciences a plongé la rhétorique et la création littéraire.
31Selon Kames, le langage est naturel à l’homme en tant qu’animal social : « Le langage est donné à l’homme pour le rendre apte à la vie en société » (Speech is bestow’d on man, to qualify him for society) (2, p. 8). Le langage est donc, chez Kames comme chez Smith, le fondement de toute communication entre individus, et les mêmes données expérimentales conduisent l’un comme l’autre à formuler des règles semblables. Ainsi, Kames réitère dans ses Éléments de critique les deux règles essentielles de Smith :
La communication de la pensée étant l’objectif principal du langage, il est de règle que la clarté ne soit pas sacrifiée à quelque autre beauté que ce soit. [...] La règle suivante, qui suit en importance, est que le langage doit correspondre au sujet. On peut considérer le langage comme le vêtement de la pensée ; et lorsque l’un n’est pas adapté à l’autre, nous percevons l’incongruité, de la même manière que si un juge était vêtu comme un gandin, ou un paysan comme un homme de qualité. Là où l’impression créée par les mots ressemble à l’impression créée par la pensée, les émotions semblables se mêlent agréablement dans l’esprit, et redoublent le plaisir ; mais là où les impressions créées par la pensée et par les mots sont dissemblables, l’union artificielle qui les réunit est désagréable. [...] (a) (2, p. 19-24)
32L’originalité de Kames par rapport à Smith consiste dans le tableau qu’il propose des diverses caractéristiques ou « principes » de la nature humaine (1, p. 13). Leur examen et le respect des règles qui s’en dégagent par induction doivent permettre d’asseoir la critique sur un fondement stable. Réfutant comme « utopiques » (1, p. 35) les systèmes simplificateurs qui réduisent l’humanité à l’expression d’une « passion prédominante », Kames ramène la multitude des ressorts de l’esprit humain à des lois psychologiques simples, comme le principe de succession. Se fondant sur l’argument de Hume, Kames développe le thème de la succession des perceptions et des idées dans un premier chapitre intitulé « De l’association des perceptions et des idées » (Perceptions and ideas in a train). De ces réflexions sur les données de la conscience, il tire une règle essentielle pour toute œuvre d’art :
Toute œuvre d’art qui peut être rapportée au cours naturel de nos idées est de ce fait agréable ; et toute œuvre d’art qui renverse ce cours est pour cela désagréable. C’est pourquoi il faut que dans toute œuvre de ce type comme dans un organisme, les parties soient ordonnées et reliées entre elles, chacune entretenant une relation avec l’ensemble, certaines de manière plus étroites, d’autres moins, suivant leur destination : lorsqu’on prête attention à ces détails, on éprouve un sens de juste composition, et en ressent pour cela du plaisir, (b) (1, p. 27)
33Les préceptes classiques de grandeur, d’agrément, de simplicité, de mouvement, de nouveauté, d’uniformité et de variété trouvent ainsi une double justification scientifique et humaine. Détachés de leur fondement commun, les jugements de Kames peuvent apparaître parfaitement arbitraires. En se référant aux lois naturelles, ils ont cependant le mérite d’offrir une unité fondamentale aux distinctions sans nombre de la rhétorique classique.
34Chacune des catégories esthétiques redéfinies par Kames correspond à une catégorie anthropologique particulière, de sorte que s’établit un réseau de correspondance entre émotions et passions et leur transcription stylistique :
Les passions tendres et toutes les émotions qui procèdent de la sympathie ont leur place la plus convenable dans le domaine du sentiment. Il s’ensuit clairement que les passions tendres sont plus précisément du domaine de la tragédie, et les actions élevées et héroïques de celui de la poésie épique, (a) (2, p. 375)
35C’est cette observation qui permet à Kames de conclure que Corneille n’est au bout du compte pas plus respectueux des principes génériques que Shakespeare, que le classicisme français rejette en raison de ses « irrégularités » : « Corneille aurait fait meilleure figure dans un poème épique » (2, note p. 376). Dans cette perspective, pourtant toujours nourrie de l’héritage classique, les grands auteurs de la tradition ne méritent pas davantage louange pour ce qu’ils représentent que les nouveaux venus : « Ce sont les œuvres, et non les auteurs, qui constituent le sujet de notre entreprise » (1, p. 506). Ossian peut être rapproché de Tacite : « On ne saurait s’égarer en cherchant des exemples chez lui » (2, p. 358). En revanche, Pope, malgré sa correction, n’a pas choisi le vers qui convenait à son Essay on Man. Tout comme Smith, Kames se méfie de la « coutume » et de la « mode » qui ont entraîné des styles contraires à la nature des sujets, d’où l’appel à une refonte totale des traditions. Ainsi en ce qui concerne la délimitation entre le champ de la poésie et celui de la prose :
Les jeux de l’amour, la gaieté, l’humour et le ridicule sont du domaine de la rime. Les limites que la nature lui avait fixées furent étendues en des temps barbares et incultes ; et cette usurpation a longtemps été protégée par la coutume : mais le goût en matière d’art comme en matière de morale fait tous les jours de nouveaux progrès ; ce progrès en direction de la perfection est certes lent mais il est uniforme ; et on ne saurait raisonnablement douter que la rime, en Grande-Bretagne, sera un jour contrainte d’abandonner ses injustes conquêtes et de rentrer dans ses frontières naturelles. (b) (2, p. 176)
36Cette théorie du progrès et de la lente adaptation des styles à la nature, caractéristique de l’esprit des belles-lettres écossaises au xviiie siècle, a pour effet de tourner la rhétorique vers l’avenir au lieu de la confiner à l’admiration du passé.
37Autre caractéristique des belles-lettres, la justification du recours à la fiction littéraire comme expression la plus parfaite de la nature humaine dans sa double détermination intellectuelle et émotive. Avant même de définir ses théories esthétiques, Kames, dès le premier chapitre consacré à la psychologie humaine, puise abondamment dans la fiction littéraire afin d’illustrer les déterminations psychologiques qu’il définit. L’œuvre de fiction dessine selon Kames une « présence idéale » qui suscite une émotion véritable :
La description animée et précise d’un événement important suscite en moi des idées non moins distinctes que si j’avais été moi-même témoin de la scène : je deviens à mon insu spectateur et j’ai l’impression que tous les incidents se déroulent en ma présence, (a) (1, p. 92)
38En agissant sur la sensibilité, les fictions, – le théâtre surtout –, ont un effet bénéfique sur l’homme. L’étude des belles-lettres n’est donc pas un « divertissement » au sens pascalien du terme, mais bien une science pour les bienfaits qu’elle peut apporter à l’humanité. Tournant le dos aux détracteurs de l’immoralité de la scène tels Jeremy Collier19 ou Rousseau dans son Discours sur les sciences et les arts (1750), Kames et avec lui tous les théoriciens écossais de l’école des belles-lettres prétend que les fictions de toutes sortes, et le théâtre en particulier, constituent au contraire le fondement d’une « culture du cœur » indispensable à la vertu. Dans son dernier ouvrage, Loose Hints upon Education, Chiefly Concerning the Culture of the Heart (1781), Kames développe plus particulièrement ce thème de l’éducation de la vertu par la sensibilité littéraire :
Sachant que les émotions éprouvées dans l’enfance sont les plus profondes et les plus permanentes, on ne peut qu’admirer grandement le dessein de notre Créateur qui a par ce biais rendu le cœur accessible, mais à un aussi jeune âge. (b)20
39Si l’enfant, chez qui les sentiments sont plus forts que la raison, se prête à une culture du cœur plus aisée, l’adulte y est également ouvert grâce à la puissance du langage :
Il est remarquable d’observer sur quelles infimes fondations la nature érige quelques-unes de ses œuvres les plus solides et les plus éclatantes [...] [comme] cette influence que le langage exerce sur le cœur, influence qui, plus que tout autre moyen, renforce le lien social et guide les individus hors de leur système individuel, leur permettant d’accomplir des actes de générosité et de bonté. (a) (1, p. 96)
40Pour l’individu capable de « scruter attentivement son cœur » (1, p. 61), les belles-lettres offrent la possibilité de réitérer des impressions bénéfiques ; c’est là leur supériorité sur les autres beaux-arts :
La peinture semble occuper une position intermédiaire entre la lecture et le théâtre : son aptitude à susciter une présence idéale n’est pas moins importante que l’une qu’elle n’est inférieure à l’autre.
Il ne faut cependant pas croire que les passions suscitées par la peinture soient capables d’atteindre l’intensité de celles que les mots font naître : la peinture se limite à un instantané et ne peut restituer une succession d’incidents. [...] C’est pourquoi la lecture et le théâtre l’emportent sur elle, (b) (1, p. 97)
41On comprend dès lors la part prise par les lettrés d’Edimbourg dans la défense du dramaturge et pasteur John Home mis en accusation par l’Église d’Écosse pour sa tragédie Douglas (1757). Le théâtre comme l’ensemble des belles-lettres, quoique d’essence profane, leur paraît capable d’exciter ce que Kames décrit comme « l’émotion compatissante de la vertu » (1, p. 61). Il est vrai que le langage dramatique est le plus apte à susciter cette « présence idéale » qui permet de confronter la sensibilité à des situations pédagogiquement intéressantes :
De tous les moyens propres à susciter une impression de présence idéale, le théâtre est le plus puissant. Tout être doté d’une sensibilité a nécessairement ressenti que les mots ont un pouvoir égal, quoique de plus faible intensité, à celui des actions : une bonne tragédie suscitera des larmes en privé, mais pas autant que sa représentation théâtrale, (c) (1, p. 96)
42La fréquentation des bons auteurs et du bon théâtre peut ainsi propager, par le canal de la sensibilité, une « habitude de vertu » qui correspond à la terminologie aristotélicienne :
[La vertu] s’installe chez le spectateur ou chez le lecteur à partir du spectacle d’actions vertueuses de toutes sortes à l’exception de toute autre chose. Quand nous contemplons une action vertueuse, exercice qui ne manque jamais de nous ravir, notre esprit, ainsi échauffé, se met à l’unisson de ce qui inspira les actions vertueuses, de telle sorte qu’il s’anime jusqu’à parvenir, l’espace d’un instant, à une authentique émotion. [...] Les émotions vertueuses [...] constituent dans une certaine mesure un exercice de vertu, au moins mental si elles n’apparaissent pas à l’extérieur. Et chaque exercice de vertu, interne comme externe, conduit à forger une habitude. [...] Ainsi, au prix d’une discipline appropriée, tout homme peut acquérir une habitude bien ancrée de vertu, (a) (1, p. 63-65)
43Par « sympathie », au sens étymologique où Smith la définit dans la Théorie des sentiments moraux (1759-1790) – « sentiment altruiste à l’égard de toute passion »21 la vertu fictive devient donc contagieuse et bien réelle. Et Kames de renchérir sur l’intuition de Smith :
L’émotion de la sympathie dont il est question ici accorde au bon exemple l’influence la plus grand, en ce qu’elle nous pousse à imiter ce que nous admirons, (b) (1, p. 64-65)
44Le sujet n’importe pas autant aux yeux de Kames qu’on pourrait le croire. Ainsi Kames distingue le théâtre moral (qui incité à la vertu) d’un théâtre moralisateur :
Les sujets adaptés au théâtre ne sont pas assez nombreux pour nous permettre de rejeter l’innocence infortunée qui suscité notre sympathie, même si elle n’inculque pas de morale, (c) (2, p. 380)
45Le véhicule apparaît donc plus important aux yeux de Kames que le sujet proprement dit, et l’idéal est que les deux soient intimement liés (2, p. 339). Kames ne croit pas au « castigat ridendo mores », se méfiant des excès de la comédie qui flatte parfois le vice en lui prêtant un caractère divertissant et joyeux :
Mais parce que ces personnages, envisagés sous leur véritable jour, apparaîtraient abominables, on prend soin de déguiser leur laideur sous le charme de l’esprit, de la vivacité et de la bonne humeur, dont on fait si grand cas dans le commerce des sexes. Point n’est besoin de beaucoup réfléchir pour se rendre compte de l’influence délétère de telles productions. [...] L’infection se répand peu à peu à travers tous les étages de la société et devient généralisée, (a) (1, P-55-56)
46Parce qu’elles ne sont jamais à proprement parler le reflet exact de la nature, les belles-lettres, comme la langue pour Ésope, peuvent être aussi bien la meilleure que la pire des choses. D’où la nécessité d’une critique avisée et d’un jugement sain, fondés tous deux sur la connaissance de la nature humaine.
Hugh Blair, ou la mutation des belles-lettres en littérature
47C’est avec Hugh Blair que le projet pédagogique et moral qui accompagne le mouvement de sauvetage de la rhétorique par les belles-lettres reçoit son couronnement. Titulaire de la première chaire royale de rhétorique et de belles-lettres du monde anglophone, Blair fait entrer les œuvres littéraires pour elles-mêmes dans le cursus universitaire. Progressivement, les exemples du bien écrire et du bien parler comme autant de modèles de vertu trouvent en eux-mêmes leur propre justification, celle d’émouvoir la sensibilité. Entre 1759 et 1783, année de la retraite du professeur-pasteur et de la publication de ses cours sous le titre smithien de Lectures on Rhetoric and Belles Lettres, les œuvres de fiction profane accèdent au domaine de l’utilité publique. Sans prétendre, en bonne orthodoxie calviniste, que les progrès du goût et ceux de la moralité aillent de pair, Blair rappelle cependant l’effet cathartique de la fiction que les Grecs avaient vu dans leur théâtre :
Je n’irai pas jusqu’à affirmer que le progrès du goût et celui des vertus soient une seule et même chose. [...] En même temps, il faut admettre que l’exercice du goût est, par essence, moral et purificateur. (b) (p. 14)
48Mais la consécration civique, nationale et internationale que reçoivent les belles-lettres grâce à Blair est secondaire par rapport au nouveau regard inauguré sur le corpus des œuvres.
49Avec Blair, les grands textes perdent leur caractère d’illustration des règles de composition pour s’imposer pour la simple raison de leur succès et du fait qu’ils ont su plaire, forgeant ainsi en quelque sorte leur propre règle. L’enseignement de Blair s’attache à décrypter les conditions particulières du plaisir des textes, selon une esthétique de la réception. Le seul arbitre en la matière est le goût, fondé en nature : « Rien n’est plus universel dans la nature humaine que l’appréciation de la beauté quelle qu’elle soit » (p. 19). Confiant dans « cette grande loi de notre nature » qui consiste en une « sensibilité instinctive à la beauté », Blair ne conçoit d’autre critère que ce sentiment du beau :
C’est que toutes les règles de la critique véritable, comme je l’ai montré, se fondent en dernier ressort sur le sentiment, et que le goût et le sentiment sont nécessaires pour nous guider dans l’application de ces règles à tous les exemples particuliers, (a) (p. 43-44)
50Tout en s’inspirant de la définition du goût que proposait Addison dans The Spectator de 1712 — « Cette faculté de l’âme qui discerne la beauté d’un auteur à travers le plaisir, et son imperfection à travers le déplaisir » —, Blair entreprend de rectifier les incertitudes et les inégalités de la sensibilité par le recours à la raison et au bon sens :
Mais bien que le goût soit fondé, en dernier ressort, sur la sensibilité, il ne doit cependant pas être seulement considéré comme une sensibilité instinctive. La raison et le bon sens [...] détiennent une telle influence sur toutes les opérations et les décisions du goût, que le bon goût véritable peut se définir comme un mélange de sensibilité à la beauté et d’entendement exercé, (b) (p. 24)
51Tout en rappelant, à la suite de Francis Hutcheson, que le goût est fondé sur un « sens interne » du beau qui participe de la nature humaine, Blair évite cependant de succomber à un naturalisme excessif. Comme Smith et Kames, il croit aux bienfaits de l’éducation, qui doit fournir à la sensibilité des exemples passés au crible du bon sens et de la raison, c’est-à-dire du « bon goût » :
C’est de ces deux sources, d’abord l’exercice fréquent du goût, et ensuite l’application du bon sens et de la raison aux objets de goût, que le goût, en tant que capacité de l’esprit, progresse. Dans l’état de perfection, il est sans nul doute le résultat commun de la nature et de l’art. Il suppose que notre sentiment naturel de la nature et de la beauté soit raffermi par la fréquentation des beaux objets, et en même temps qu’il soit guidé et développé par la lumière de l’entendement. (c) (p. 26)
52L’école écossaise des belles-lettres se débat dans sa tentative de résoudre les apories du goût. Kant y mettra un terme dans sa Critique du jugement (1790) en affirmant : « Est beau ce qui plaît universellement et sans concept. »22 Pour l’heure, et par provision, Blair, comme Smith et Kames dont il s’inspire, fait appel à l’arbitrage d’une élite éclairée, capable d’universaliser des jugements esthétiques instinctifs et forcément individuels, afin d’en garantir la validité :
Lorsque nous faisons des sentiments convergents des hommes l’épreuve suprême en matière de beau artistique, il s’agit toujours d’hommes placés dans des situations permettant un exercice convenable du goût. [...] Il s’agit des sentiments des hommes appartenant à des nations civilisées et florissantes, à des époques où les arts sont cultivés et les mœurs raffinées, où les œuvres de génie sont sujettes à une libre discussion, et le goût se trouve promu par la science et la philosophie, (a) (p. 37)
53Telles sont les contradictions de l’École du goût, qui brandit l’argument de nature face aux défenseurs de la norme absolue et celui du bon goût face aux tenants de la souveraineté individuelle.
54La critique de Shakespeare que propose Blair est caractéristique de la démarche nouvelle qu’empruntent les penseurs écossais du xviiie siècle afin de juger du mérite des productions littéraires. Partant de la réception des œuvres, Blair constate préalablement que « Shakespeare plaît » (p. 45). Face à une telle évidence, la tâche du critique ne pourra que s’attacher à définir les causes positives de cet agrément qui fait goûter Shakespeare malgré tous ses « défauts » (blemishes) :
Il plaît par ses représentations animées et magistrales des caractères, par la vivacité de ses descriptions, la force de ses sentiments, et par sa maîtrise, plus que tout autre écrivain, du langage naturel de la passion ; autant de beautés que non seulement la critique véritable nous enseigne à placer au plus haut point, mais que la nature aussi nous enseigne à ressentir, (b) (p. 45-46)
55La critique des belles-lettres se borne ainsi à recenser ces beautés que « la nature nous enseigne à ressentir » sous forme de plaisir, afin d’inciter d’autres hommes à les éprouver à leur tour. Le discours critique, devenant moins normatif, vise à guider l’appréciation personnelle au même titre qu’une « lecture assistée ». C’est dans cette perspective que les textes de la tradition comme ceux de l’actualité doivent être examinés. Au dogme de la vénération aveugle des anciens, Blair substitue un comparatisme ouvert sur l’avenir : « J’ai défini le principe général qui doit permettre d’établir une comparaison équitable entre [anciens] et modernes » (p. 30). Le génie et la correction, le sublime et le beau, Homère et Virgile, sont placés sur pied d’égalité. Dans sa « Critical Dissertation on the Poems of Ossian, the Son of Fingal » (1760) publiée immédiatement après la première édition des Fragments of Ancient Poety « traduits » par James Macpherson, Blair célèbre l’avènement d’un nouveau classique « primitif » et « original » : « Nous pouvons sans crainte lui accorder une place parmi les auteurs dont les œuvres traverseront les siècles » (We may boldly assign him a place among those whose works are to last for ages)23 On comprend l’intérêt porté par tous les penseurs de l’école des belles-lettres, de Smith à Blair, pour les pseudo-traductions de Macpherson et leur aveuglement vis-à-vis de l’imposture. Blair, mécène convaincu, a même hébergé Macpherson en-dessous de chez lui le temps de la traduction/composition de Fingal, dont il réclamait tous les jours de nouvelles feuilles à son protégé.24 Au-delà de la polémique sur l’authenticité des poèmes, la controverse d’Ossian et la défense des « traductions du gaélique » par les théoriciens d’Edimbourg révèlent une tentative de rénovation du corpus classique qui correspond de moins en moins aux goûts des lecteurs et à la rhétorique dépoussiérée.
56Dans les premières décennies du xviiie siècle, la notion de « classiques » renvoie exclusivement au corpus des textes grecs et latins de la tradition qui constituent l’unique source d’exemples rhétoriques et de modèles de bon goût littéraire. Pour Blair, adepte d’un calvinisme modéré, l’inspiration a plus de prix que le dogme. Sans renier l’immense héritage classique qu’il entend transmettre aux générations futures, le professeur-pasteur admet que d’autres textes puissent être inclus au rang des belles-lettres s’ils sont conformes, non pas à la tradition, mais aux catégories objectives du sublime et du beau.
57La pensée du sublime n’est pas neuve au moment où Blair l’utilise dans sa réévaluation du sens esthétique. Le célèbre traité Du Sublime, attribué à Longin, faisait procéder cette catégorie de « la grandeur de la nature ».25 Son utilisation, valorisée par la référence à un auteur du iiie siècle et conforme au naturalisme de l’école écossaise, va contribuer à renouveler l’imaginaire néo-classique, épris d’ordre et nourri de préceptes, et lui faire admettre des thèmes que le Romantisme a universalisés. Blair en donne un aperçu dans son cours :
Rien n’est plus sublime que la puissance et la force débordantes.
Un ruisseau qui court entre ses rives est beau, mais lorsqu’il dévale avec l’impétuosité et le fracas d’un torrent, il devient sublime. Les poètes tirent des comparaisons sublimes des lions et autres animaux puissants. [...] Toutes les idées graves et effrayantes, à la limite même de l’horrible, contribuent considérablement à susciter le sublime : c’est le cas des ténèbres, de la solitude et du silence. Parmi les scènes de la nature, quelles sont celles qui élèvent l’esprit au plus haut degré et produisent la sensation du sublime ? Ce n’est pas le paysage riant, le champ parsemé de fleurs, ni la cité florissante, mais la montagne enneigée et le lac solitaire, la forêt vénérable et le torrent qui saute par dessus le rocher, (a) (p. 55)
58La recherche du sublime autorise ainsi un dépassement des règles et des bienséances traditionnelles, tandis que l’inspiration naturelle parvient à se détourner de l’imitation servile des modèles. Si certaines normes demeurent, c’est qu’elles sont utiles, comme auxiliaires de la nature et du « génie » :
Quoique les règles et les préceptes ne puissent pas tout faire, ils peuvent cependant apporter beaucoup de choses vraiment utiles. Ils ne peuvent certes pas inspirer le génie, mais ils peuvent le diriger et l’assister. Ils ne peuvent guérir la stérilité, mais sont en mesure de corriger la luxuriance, (b) (p. 7)
59Blair prend soin de souligner que les seules règles que retient la critique des belles-lettres sont elles-mêmes fondées en nature :
Un génie magistral apprend tout seul, sans instruction, à composer en parfait accord avec la plupart des règles matérielles de la critique, car ces règles étant fondées sur la nature, la nature les suggère souvent dans la pratique. (c) (p. 42)
60Le sublime répond ainsi tout autant aux aspirations profondes de la nature humaine que le beau régulier. À ce titre, le sublime peut légitimement figurer parmi les catégories des belles-lettres. Blair rappelle la définition de la « culture du cœur » chère à Kames en définissant le sublime d’Ossian-Macpherson comme « la poésie du cœur » :
Sa poésie mérite peut-être plus que tout autre le titre de poésie du cœur. C’est un cœur paré de nobles sentiments et doté de passions sublimes et tendres ; un cœur débordant qui s’épanche, (a) (« Dissertation» p. 388-389)
61En faisant du cœur l’arbitre suprême en matière d’appréciation littéraire, Blair renie en quelque sorte sa propre entreprise, classificatrice et normative : « Ossian n’écrivait pas, comme les poètes modernes, pour plaire aux lecteurs et aux critiques. Il chantait par amour de la poésie et de la musique » (Ossian did not Write, like modem poets, to please readers and critics. He sung from the love of poetry and song) (« Dissertation » p. 389). Possédé lui-même par l’enthousiasme ossianique, le critique appelle de ses vœux une autre imagination et d’autres modes de composition que ceux qu’autorise la tradition. Le néo-classicisme, parvenu à une impasse c’est-à-dire à une stérilité presque complète, doit désormais susciter son contraire. De toute évidence, le cycle ossianique lui fournit une passerelle inespérée, qui vaut bien une supercherie de plus dans le monde des lettres...
62Mais on peut aller plus loin dans l’analyse de ce retournement des conceptions littéraires qui, on le voit, puise en grande partie son origine dans la culture des penseurs écossais du xviiie siècle. En envisageant la possibilité d’un génie « non éduqué », Blair semble annoncer prophétiquement celui que Henry Mackenzie, héritier immédiat de Blair, saluera comme le « laboureur instruit par le ciel » (heaven-taught ploughman) : Robert Burns.26 En recevant chez lui le jeune poète pendant l’hiver 1786, Blair manifeste l’approbation de l’Athènes des belles-lettres vis-à-vis d’un « barde naturel » suffisamment nourri de culture antique par son éducation scolaire et autodidacte pour être admis dans leur panthéon. Burns représente bien, en cette fin du siècle, le « nouvel Ossian » que les vieux Syméon des belles-lettres attendaient dans le temple vide : un poète contemporain, patriote et universaliste à la fois, capable de fondre le génie naturel et la culture classique au creuset d’une inspiration authentiquement écossaise.
63Peu à peu, au fil des enseignements de Blair, le processus de rénovation de la rhétorique et de l’appréciation des œuvres a transformé la vieille discipline de la rhétorique. Celle-ci a jeté les bases de l’étude contemporaine de la littérature dans sa double détermination d’histoire littéraire et d’initiation à la critique textuelle. Les penseurs écossais des belles-lettres ont, sans le savoir, « inventé la littérature anglaise » (au sens pédagogique du terme English Lit) pour reprendre l’heureuse formule que Robert Crawford propose dans un ouvrage récent.27 La grande synthèse de Blair, dont le succès fut sans précédent jusqu’à la fin du xixe siècle dans toute l’Europe et jusqu’aux États-Unis a fini par détacher les belles-lettres de l’emprise de la rhétorique formaliste et de l’érudition. Comme l’écrit Marc Fumaroli à propos de la mutation de la rhétorique au siècle précédent en France :
Une littérature consciente de son autonomie et de son magistère s’est développée et libérée définitivement du cocon de l’éloquence. Elle se forge elle-même des rhétoriques à son usage et à l’usage des écrivains professionnels. Le traité de rhétorique profondément métamorphosé s’est mué en œuvre littéraire, qui cherche dans l’histoire des littératures – et non plus dans le recueil canonique des poètes et des orateurs antiques – les autorités propres à justifier des normes moins précises, moins techniques, moins contraignantes, mais tout de même des normes.28
64C’est de ce type d’enseignement que la nation écossaise ressentait le besoin à un moment décisif de son histoire. Blair, en professeur consciencieux, s’acquitte de la mission civique d’aide à la composition et au discernement critique avec le même sérieux qu’il prêche, dimanche après dimanche, devant une communauté de fidèles de plus en plus gagnés par l’indifférence ou le scepticisme, et qu’il réussit à maintenir par son éloquence dans le giron de l’Église. Il résume ainsi son objectif en matière de belles-lettres à propos de l’étude du style de Addison :
Mon intention, dans les quatre leçons qui précèdent, n’était pas simplement de juger les mérites du style de M. Addison en indiquant les fautes et les beautés qui se trouvent mêlées dans les écrits de ce grand écrivain. Je n’ai pas cherché à y gagner une réputation de critique, mais les ai conçues pour aider ceux qui cherchent à acquérir la syntaxe anglaise la meilleure et la plus élégante. C’est à ceux-là qu’on peut leur souhaiter d’être utiles, car les exemples constituent toujours le moyen privilégié d’appliquer correctement les règles, (a) (p. 129)
65Afin d’encourager la muse nationale dans la course au progrès et dans la voie de l’émulation avec l’Angleterre et le reste de l’Europe, la « République des lettres » d’Edimbourg se devait de fournir des outils appropriés à ses contemporains, aussi bien dans le domaine de la rhétorique que dans ceux de l’épistémologie et de la morale. L’union politique avec l’Angleterre désormais acquise ne pouvait qu’entraîner une révision de l’identité culturelle écossaise. Les belles-lettres l’y ont encouragé, ouvrant la possibilité d’un nouvel âge pour la création nationale écossaise, marqué du sceau d’une critique tolérante et relativement ouverte. La dette de l’Ecosse envers Blair est donc immense, n’en déplaise à ceux qui ne voient en lui qu’un assimilationniste moralisateur et passéiste. La réalité apparaît pourtant tout autre dès lors qu’on accepte de ne pas s’en tenir à l’image du vieux pasteur emperruqué que le caricaturiste écossais John Kay a malicieusement tourné en dérision dans un dessin intitulé « Paroissiens assoupis » (A Sleepy Congregation). Derrière l’apparente acculturation que prône Blair en se faisant le chantre de la langue anglaise et de ses chefs-d’œuvre, et par delà l’ambition morale omniprésente, c’est à la conquête extérieure qu’il incite en réalité l’identité écossaise. Cette tentative part du même constat que celui que faisait le poète Seamus Heaney au sujet de son pays :
L’Ulster était britannique, mais dépourvu de droits
Sur le chant anglais. [...] (b)29
66Comme l’Irlande de 1960 après elle, l’Ecosse de 1760, politiquement dominée, cherche à faire entendre sa voix dans le concert britannique. Les belles-lettres lui ont permis de le faire d’une manière jamais égalée avant la « Renaissance » du xxe siècle.
67Entre 1748 et 1783, l’âge d’or des belles-lettres a profondément transformé l’Ecosse, au même titre que toutes les tentatives engagées conjointement dans les domaines agraire, économique, industriel et moral, parfois par les mêmes personnes (Smith, philosophe moral dans Théorie des sentiments moraux de 1759-1790, ou précurseur de l’économie politique dans An Inquiry into the Nature and Causes of the Wealth of Nations de 1776 ; Kames, qui publie la même année des conseils dans le domaine de l’agriculture dans The Gentleman Farmer). En préservant l’idéal classique de l’éloquence dans un monde de plus en plus régi par l’économie et soumis à l’efficacité technique, Smith, Kames et Blair, pour ne citer que les grands noms de l’école d’Edimbourg, ont inauguré l’âge de la littérature sans tourner le dos au progrès général des sciences et des arts. Pressentant les dangers d’une culture devenue technicienne, ils se sont efforcés de combattre l’idée selon laquelle des connaissances pourraient exister en dehors de la langue, et ont voulu au contraire rappeler que, parce que la pensée habite la langue, tout enseignement, coupé de l’étude de ces « éléments » (nous dirions aujourd’hui ces « rudiments ») indispensables est d’avance voué à l’échec. Il est donc parfaitement logique qu’à leurs yeux le domaine littéraire se révèle indissociable de la connaissance historique et de la pensée philosophique ou scientifique. C’est pourquoi il serait injuste de reprocher, comme on le fait parfois, à ces défenseurs des belles-lettres de n’avoir pas été, avant l’heure, des théoriciens de « l’art pour l’art ». L’otium studiosum a trouvé dans leur témoignage une ultime manifestation humaniste. Au moment où l’ascension solitaire de la science menace de rejeter le beau dans la sphère de l’inutile et du futile, la devise de William Robertson, cofondateur, en compagnie de Smith et de Blair,30 de la section littéraire de la Société royale d’Edimbourg (1783), résume en quelques mots l’inspiration du mouvement des belles-lettres en Écosse au milieu du xviiie siècle. Inspirée d’une lettre à Lucilius de Sénèque, elle proclame, par delà les siècles, une même vérité humaine : Vita sine litteris mors est.
COURS DE RHÉTORIQUE ET DE BELLES-LETTRES*
68par Hugues Blair, docteur et théologien, de la Société Royale d’Édimbourg, l’un des ministres de l’église cathédrale, Professeur de Rhétorique et de Belles-Lettres à l’université d’Édimbourg. Traduit de l’anglais31 par Pierre Prévost, pr. de ph. à Genève, C. de l’I. N., de l’Ac. R. de Berlin, des Soc. R. de Londres et d’Édimbourg, etc. 4 vols. À Genève, chez Marget et Cherbuliez, 1808.
Leçon I. Introduction. 1, p. 1-4
69Un des plus beaux privilèges que la providence ait accordé aux hommes, est la faculté de se communiquer mutuellement leurs pensées. La raison privée de cette faculté, seroit une lumière isolée et en quelque sorte inutile. La parole est le principal instrument par lequel l’homme travaille au bonheur de l’homme. C’est au commerce et à la transmission de la pensée, dont la parole est l’organe, que la pensée elle-même est redevable de ses plus grands progrès. Tout ce qu’un individu peut faire, seul et sans secours, pour perfectionner ses facultés, est bien peu de chose. Ce que nous appelons la raison humaine est moins la raison d’un seul homme, ou le fruit de ses efforts et de ses dispositions naturelles, que le résultat de la raison d’un grand nombre d’hommes, ou du concours des lumières qu’ils se communiquent mutuellement par la parole ou par l’écriture.
70Il est donc évident que l’écriture et le discours méritent toute notre attention. Soit que nous ayons en vue l’influence de celui qui parle, ou l’amusement de ceux qui l’écoutent ; l’utilité ; ou le plaisir ; nous avons les plus forts motifs d’étudier l’art de présenter nos pensées sous une forme propre à produire l’effet désiré. Aussi voyons-nous tous les peuples, à l’époque où leurs langues commencent à s’étendre au-delà des premiers besoins, tourner leurs regards sur les moyens de perfectionner le discours. On aperçoit même, dans le langage des barbares, ou des hordes sauvages et grossières, une sorte d’attention à s’exprimer avec grâce et avec force lorsqu’ils ont à cœur de persuader ou d’émouvoir. Ils ont senti de bonne heure que le discours est susceptible d’être embelli ; ils ont tâché d’y introduire les ornements qui lui sont propres ; et ont été instruits à cet égard par les leçons de l’expérience, long-temps avant que l’étude de ces ornemens eût été réduite en système.
71Mais, chez les nations civilisées, il n’y a point d’art que l’on cultive avec plus de soin, que celui du langage, du style et de la composition. On peut même envisager le degré d’attention qu’on y donne chez une nation, comme une marque de ses progrès dans la civilisation. Car à mesure que la société fait des progrès, les hommes qui la composent acquièrent, les uns sur les autres, plus d’influence par le raisonnement et par le discours. Et à mesure que cette influence croît et s’étend, ils ne peuvent manquer de rechercher avec plus de soin les moyens de donner à leurs pensées une forme avantageuse, en s’exprimant avec propriété et même avec éloquence. Nous voyons en conséquence que, chez toutes les nations polies de l’Europe, cette étude a été jugée importante, et a occupé une place considérable dans tous les plans d’éducation libérale.
72Je n’ignore pas que bien des gens sont disposés à concevoir des préventions contre l’art de parler et d’écrire. Ils l’envisagent comme l’art de tromper et d’éblouir ; ils n’y voient qu’une étude de mots, méprisable et minutieuse ; une vaine pompe de langage ; des artifices de rhéteurs ; des ornemens mis à la place des choses utiles. Il ne faut pas s’étonner si ces imputations ont fait impression sur les hommes de sens et les portent à dédaigner toute étude du discours présentée sous la forme d’un art régulier. Je suis loin de nier que la rhétorique et la critique n’aient été quelquefois traitées de manière à favoriser la corruption du goût et de l’éloquence, plutôt qu’à hâter leurs progrès. Mais il est sans doute possible d’appliquer à cet art, comme à tout autre, les principes de la raison et du bons sens. Si ce cours a quelque mérite, il consiste principalement dans l’entreprise de substituer l’application de ces principes à une rhétorique artificielle et scholastique ; de faire disparaître les faux ornemens ; d’appeler l’attention sur le fond plus que sur la forme ; de présenter le bon sens comme le fondement de toute bonne composition, et la simplicité comme faisant l’essence de tout véritable ornement.
1, p. 5-7
73Je pense [...] que l’étude de la rhétorique et des belles-lettres, suppose, exige même, la connaissance des autres arts libéraux. Elle les embrasse tous dans son enceinte, et leur donne une nouvelle importance. Le premier devoir de ceux, qui veulent obtenir quelque succès dans l’art de parler ou d’écrire, est d’orner leur esprit de connaissances utiles ; de se composer en quelque sorte un riche magasin d’idées, sur tous les sujets qu’ils pourront être appelés à traiter. C’était en conséquence un principe reçu che2 les anciens et une maxime souvent répétée (Quod omnibus artibus et dsciplinis debet esse instructus orator), que l’orateur doit avoir un assortiment complet de connaissances, et n’être étranger à aucune partie des études. En effet il est tout-à-fait impossible, et sûrement fort peu désirable, d’inventer un art qui donne du mérite à des compositions, riches par l’expression et pauvres par la pensée, brillantes par la forme et au fond pleines d’erreurs. Les tentatives qu’on a faites à cet égard ont avili l’art oratoire, et empêchent encore souvent de l’estimer à sa juste valeur. On s’est efforcé de suppléer aux idées par les grâces de la diction ; on a préféré les applaudissemens passagers d’une multitude ignorante et légère, à l’approbation durable des hommes instruits et judicieux. Mais il est impossible qu’une telle imposture se soutienne. Il faut, pour qu’une composition ait quelque mérite, que l’instruction et la science fournissent les matériaux qui en font le corps et l’essence. C’est à donner le poli que peut servir la rhétorique, et l’on sait assez qu’il n’y a que les corps solides qui reçoivent un beau poli.
1, p. 12-13
74Mais comme il y a bien des gens qui ne songent ni à composer, ni à parler en public, il sera à propos d’examiner quel fruit ils pourront tirer de l’étude qui fait l’objet de ce cours. La rhétorique est moins pour eux un art pratique, qu’une science spéculative. L’instruction qui sert aux autres à composer, pourra leur servir à discerner et à goûter les beautés des diverses compositions. Ce qui rend le génie capable de bien exécuter doit mettre le goût en état de bien juger et d’exercer une juste critique.
75Ce mot de critique réveillera peut-être des préventions de même genre que celle dont nous avons parlé à propos du mot rhétorique. Comme ce dernier a paru quelquefois n’annoncer qu’une étude scholastique de mots, de phrases et de tropes, on a cru que le premier n’étoit que l’art de découvrir des fautes dans un ouvrage ; que cet art consistait à appliquer froidement certains termes techniques, au moyen desquels on apprenait à chicaner et à censurer d’une manière scientifique. Mais c’est là seulement la critique des pédans. La véritable critique est un art libéral, intimement lié à l’étude des belles-lettres. Le bon sens et le goût l’ont fait naître. Cet art a pour but de discerner le vrai mérite des auteurs. Il contribue à faire sentir plus vivement leurs beautés, en même temps qu’il prévient ce respect aveugle qui nous fait confondre dans notre estime les beautés et les défauts. Il nous apprend en un mot à admirer ou à blâmer avec connaissance, et non au gré de la multitude.
1, p. 15-16
76Belles-lettres et la critique considèrent particulièrement [l’homme] comme doué de goût et d’imagination ; facultés dont l’objet est d’orner son esprit et de lui procurer des plaisirs utiles et approuvés par la raison. Elles ouvrent un champ de recherches qui leur est propre. Tout ce qui a rapport à la beauté, à l’harmonie, à la grandeur et à l’élégance ; tout ce qui peut flatter l’esprit, plaire à l’imagination, émouvoir les affections ; est de leur dépendance. Elles présentent la nature humaine sous un aspect différent de celui sous lequel les autres sciences le considèrent. Elles mettent à découvert des ressorts secrets et des principes d’action qu’on n’auroit pas aperçus sans elles ; et qui, quoique d’une nature délicate, ne laissent pas d’avoir beaucoup d’influence.
Leçon II. Du Goût. 1, p. 51-53
77Quand, pour juger en dernier ressort de ce qu’on doit réputer beau, nous nous en rapportons au sentiment général des hommes ; nous entendons parler de ceux qui sont placés dans les circonstances propres à former le goût. [...] Le goût auquel nous nous en rapportons, est celui des nations polies et florissantes, qui cultivent les arts, et dont les mœurs sont exemptes de rudesse ; qui sont accoutumées à discuter le mérite des productions du génie, et dont les jugemens sont éclairés par les lumières de la science et de la philosophie.
78Et même chez les nations parvenues à ce haut degré de civilisation, on doit convenir que le goût peut être altéré par quelques causes accidentelles. L’état de la religion, la forme du gouvernement, peuvent avoir à cet égard, une pernicieuse influence. Une cour corrompue peut introduire le goût des faux ornemens, ou des écrits licentieux. L’admiration que l’on porte à un homme de génie, peut s’étendre à ses défauts, et les mettre même à la mode. L’envie quelquefois peut rabaisser pour un temps les ouvrages d’un grand mérite. Quelquefois aussi la faveur populaire et l’esprit de parti peuvent élever trop haut certaines réputations de courte durée. Mais quoique ces circonstances donnent aux décisions du goût une apparence de caprice, il n’est pas difficile de voir comment elles se rectifient. Avec le temps, le goût vrai, qui est propre à notre nature, ne manque point de se développer. Il l’emporte à la fin sur le goût faux et fantastique, qu’avoit favorisé le hasard des circonstances. Ce goût faux peut durer quelque temps et séduire des juges superficiels. Mais il ne supporte pas l’examen. Il passe et disparaît peu à peu, pour faire place à celui qui se fonde sur la raison et sur nos sentimens naturels.
79Je ne prétends pas dire qu’il y ait un maître en fait de goût, ou une mesure fixe toujours applicable, à laquelle, dans tous les cas particuliers, nous puissions recourir pour terminer toutes les questions qui se présentent. Et où trouve-t-on un pareil tribunal tout prêt à terminer les disputes qui s’élèvent dans les sciences philosophiques ? Celles qui ont pour objet le goût n’exigeoient pas l’emploi d’un moyen nouveau. Pour nous aider à juger de ce qui est bon ou mauvais moralement, de ce que le devoir prescrit ou défend, il convenoit sans doute que nous reçussions une instruction claire et précise. Mais que nous eussions le même avantage pour distinguer avec une pleine sûreté, les vrais caractères de l’élégance et de la beauté ; c’est ce qui n’étoit nullement nécessaire à notre bonheur. Ainsi, à cet égard, nous avons une règle moins sûre ; quelque diversité nous est permise ; nous pouvons librement discuter des motifs de notre application, et le degré de mérite des productions du génie.
Leçon XXXVII. Des ouvrages philosophiques. Du dialogue. Du genre épistolaire. Des histoires fabuleuses. 3, p. 291-302
80Il me reste à traiter d’une autre espèce de composition en prose, qui comprend une classe très-nombreuse et en général très-insignifiante d’ouvrages, connus sous le nom de contes ou de romans. Ils pourraient paraître, au premier coup d’œil, indignes d’une mention particulière ; mais je ne suis pas de cette opinion. M. Fletcher de Salto[u]n cite quelque part le propos d’un homme de sens, qui, pourvu qu’on lui laissât faire les chansons d’une nation, cédoit volontiers à d’autres le droit de faire ses lois. Cette maxime, bien réfléchie et fondée sur le bon sens, trouve ici son application. Des écrits, quelque frivoles qu’ils soient en apparence, lorsqu’ils sont fort accueillis et qu’ils s’emparent des jeunes imaginations des deux sexes, appellent sur eux l’attention la plus vigilante ; car on doit présumer qu’ils auront une grande influence sur les mœurs et sur le goût...
81La pompe des romans héroïques fit place au ton familier des contes. Ces contes, tant en France qu’en Angleterre au temps de Louis XIV et de Charles II, furent en général d’un genre futile, sans la moindre apparence d’un but moral ou d’instruction utile. Depuis on a tenté un meilleur genre, et il s’est opéré, dans les romans, un commencement de réforme. On les a dirigés vers l’imitation de la vie commune et des caractères réels. On s’est proposé d’y faire agir des personnes placées dans certaines situations intéressantes, et telles qu’il peut s’en offrir dans le cours de la vie ; au moyen de quoi, on peut indiquer ce qui est louable ou blâmable dans le caractère ou la conduite, et le présenter sous un jour propre à faire une impression utile. Les Français ont composé sur ce plan des ouvrages qui ont beaucoup de mérite. Le Gil Blas de Le Sage est un livre plein de sens, et qui, pour la connoissance du monde, peut donner de très bonnes leçons. Les ouvrages de Marivaux, surtout sa Marianne, annoncent beaucoup de finesse d’esprit et de connoissance du cœur humain. Cet auteur trace avec un pinceau délicat les traits et les nuances les plus fines, qui distinguent les caractères. La Nouvelle Héloïse de Rousseau est une production d’un genre très extraordinaire. Les événemens en sont peu naturels et invraisemblables ; on y trouve des détails fastidieux, et quelques tableaux répréhensibles. Mais en totalité, par l’éloquence, la chaleur du sentiment et l’ardeur de la passion, ce livre mérite d’être mis au premier rang parmi les histoires fabuleuses.
82Il faut convenir qu’en ce genre la France a sur la Grande-Bretagne une supériorité décidée. Nous ne possédons pas au même point que nos voisins le talent de narrer, et de marquer avec délicatesse toutes les nuances des caractères. Il y a cependant en anglais quelques productions de cette espèce, qui font honneur au génie de la nation. Aucune fiction, en aucune langue, n’est mieux conduite ou mieux soutenue que celle de Robinson Crusoé. Il y règne partout cet air de vérité et de simplicité, qui gagne le lecteur, en s’emparant de son imagination ; et en même temps elle offre une instruction très-utile, en faisant voir comment les facultés naturelles de l’homme peuvent surmonter les difficultés d’une situation en apparence désespérée. Les romans de M. Fielding ont le mérite de la gaîté, et si quelquefois cette gaîté manque un peu de délicatesse, elle a du moins toujours un air d’originalité qui distingue cet auteur de tout autre. Ses caractères sont animés, naturels et dessinés d’une manière hardie. Ses fictions tendent en général à inspirer des sentimens de bonté et d’humanité. Dans Tom Jones, qui est son ouvrage principal, l’art avec lequel la fable est tissue, et la manière adroite dont les incidens sont dirigés vers le même but, méritent beaucoup d’éloge. Le plus moral de nos romanciers est Richardson, l’auteur de Clarisse. Ses intentions sont toujours pures, et on ne peut lui refuser beaucoup de capacité ; et du génie : mais il a le malheureux talent de prolonger sans fin des ouvrages de pur agrément. Les chétives productions que publient journellement des auteurs anonymes, sous le titre de vies, aventares, ou histoires, lorsqu’elles ne sont pas nuisibles, sont au moins d’ordinaire fort insipides. Et quoiqu’en général des romans, qui peignent la vie et les caractères d’après la vérité et la nature, sans licence et sans folie, puissent offrir à l’esprit un utile délassement ; il faut avouer qu’en voyant ce que sont la plupart de ces écrits, on les jugera plus propres à favoriser la dissipation et l’oisiveté, qu’à remplir aucun but raisonnable. Hâtons-nous donc de faire retraite, et de quitter la région des fictions romanesques.
LeçonXLVI. De la tragédie. Tragédie grecque, française et anglaise. 4, p. 286-287
83En nous résumant, et comparant les compositions tragiques des différentes nations, nous pouvons nous arrêter aux résultats suivants. La tragédie grecque est l’exposition d’un événement quelconque d’une nature triste et malheureuse ; quelquefois cet événement est la suite d’une passion ou d’un crime, plus souvent il est l’effet d’un décret des dieux ; l’histoire en est faite avec beaucoup de simplicité, et n’offre pas une grande variété d’incidens ; mais elle se développe à nos yeux d’une manière naturelle. La beauté du plan et de son développement est réhaussée par la poésie lyrique du chœur. La tragédie française est une suite de conversations composées avec beaucoup d’art et d’élégance, fondées sur une variété de situations tragiques et intéressantes ; où règne peu d’action et de véhémence ; mais pleines de beautés poétiques, et où toutes les convenances et les bienséances sont exactement observées. La tragédie anglaise est un combat de fortes passions, présentées dans toute leur violence, et avec toutes leurs funestes suites ; souvent sa marche est irrégulière ; mais elle abonde en action, et fait une impression profonde. Les anciennes tragédies étaient plus naturelles et plus simples ; celles des modernes ont plus d’art et sont plus compliquées. Les Français sont plus corrects ; les Anglais ont plus de feu. Andromaque et Zaïre touchent le cœur ; Othello et Venise sauvée le déchirent.
Notes de bas de page
1 Richard B. Sher, Church and University in the Scottish Enlightenment. The Moderate Literati of Edinburgh, Edimbourg, University Press, 1985, p. 8.
2 Alexander Fraser Tytler, Memoirs of the Life and Writings of the Honourable Henry Home of Kames, (Edimbourg et Londres, 1807, 1, p. 190. À l’exception des extraits du Cours de rhétorique, traduits par Prévost et présentés ci-après, et en l’absence du nom d’un traducteur, les citations données dans le texte sont traduites par l’auteur.
3 Hugh Blair, Lectures on Rhetoric and Belles Lettres (1783), Basil, James Decker, 1801 2 note p. 22.
4 John Rae, Life of Adam Smith, Londres, Macmillan, 1895, p. 32.
5 John Wedderburn, Préfacé, Edinburgh Review 1 (1755), éd. Hiroshi Mizuta, Nagoya, University Press, 1975, p. 2-3.
6 David Hume, « To Sir Gilbert Elliot of Minto, 2 july 1757, letter 135 », The Letters of David Hume, éd. J.Y.T. Greig, Oxford, Clarendon, 1932.
7 David Hume, « A List of Scotticisms », PoliticalDiscourses (1752), vol. 1 de The Philosophical Works of David Hume, Édimbourg, 1826, p. 125-128 ; James Beattie, Scot[t]icisms Arranged in Alphabétisai Order, Designed to Correct Improprieties in Speech and Writing, Edimbourg, 1787.
8 James G. Basker, « Scotticisms and the problem of cultural identity in eighteenthCentury Britain », Sociability and Society in Eighteenth-Century Scotland, éd. John Dwyer and Richard B. Sher, Eighteenth-Century Life 15, 1991, p. 81-9.
9 Tobias Smollett, The Expédition of Humphry Clinker ; ed. L.M. Knapp ; rév. P.G. Boucé, Oxford, University Press, 1984, p. 231.
10 Tobias Smollett, The Adventures of Roderick Random, éd. P.G. Boucé, Oxford, University Press, 1979, p. 66-67.
11 William Robertson, The History of Scotland during the Reigns of Queen Mary and of King James VI (1759) 4e édition, vol. 2, Londres, 1761, p. 303-304.
12 William Wordsworth, « Essay Supplementary to the Preface », The Prose Works of William Wordsworth, éd. W.J.B. Owen and Jane Worthington Smyser, Oxford, Clarendon, vol. 3, 1974, note page 71.
13 « Proceedings of the Belles Lettres Society », ms., National Library of Scotland.
14 Liliane Gallet-Blanchard, La Rhétorique et les rhétoriciens au xviiie siècle en Grande-Bretagne : fondements et fondateurs de la stylistique, thèse, Paris III, 1984.
15 « Dugald Stewart, Account of the life of Adam Smith, LLD », éd. I.S. Ross, Essaye on Philosophical Subjects, by Adam Smith, éd. W. P. D. Wightman and J. C. Bryce, Oxford, Clarendon, 1980, p. 274.
16 Wilbur Samuel Howell, Eighteenth-Century British Logic and Rhetoric, Princeton, University Press, 1971, p. 441.
17 Adam Smith, Lectures on Rhetoric and Belles Lettres, éd. J.C. Bryce, Oxford, Clarendon, 1983, p. 3.
18 Henry Home, Lord Kames, Eléments of Criticism, Edimbourg, 1774, 5e éd., vol. 1, p. 13.
19 Jeremy Collier, A Short View of the Immorality and Profaneness of the English Scene, Londres, 1698.
20 Henry Home, Lord Kames, Loose Hints upon Education, Chiefly Concerning the Culture of the Heart, Londres, 1782, 2e éd., p. 2.
21 Adam Smith, The Theory of Moral Sentiments, éd. D.D. Raphaël and A.L. Macfie, Oxford, Clarendon, 1976, p. 10.
22 Emmanuel Kant, Critique du jugement, trad. J. Gibelin, Paris, Vrin, 1928, p. 55.
23 Hugh Blair, « A Critical Dissertation on the Poems of Ossian, the son of Fingal », dans J. Macpherson, The Poems of Ossian, the Son of Fingal, Edimbourg, Oliver and Boyd, 1812, p. 448.
24 Fiona Stafford, The Sublime Savage. A Study of James Macpherson and the Poems of Ossian, Edimbourg, University Press, 1988, p. 157.
25 Longin, Du Sublime, trad. Jackie Pingaud, Paris, Rivages, 1991, p. 64.
26 Henry Mackenzie, The Lounger, 97, 1786.
27 Robert Crawford, « The Scottish invention of English literature », chap. 1 de Dévolving English Literature, Oxford, Clarendon, 1992, p. 17-44.
28 Marc Fumaroli, L'Âge d'or de l'éloquence : rhétorique et « res literaria » de la Renaissance au seuil de l'époque classique, Genève, Droz, 1980, p. 4.
29 Seamus Heaney, « The Ministry of Fear », Selected Poems Londres, Faber, 1980, p. 131.
30 Kames, mort en 1782, n’a pu en voir le jour, mais tout porte à penser qu’il en aurait été membre, puisqu’il faisait partie de la « Select Society » dont est issue la Société royale d’Edimbourg.
31 À partir de la 5e édition publiée en 1793 à Londres.
Notes de fin
* Les textes originaux se trouvent en annexe, p. 349.
Auteur
Université de Nantes
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