Analyse des styles de pensée réflexifs de la discussion à visée démocratique et philosophique
p. 205-215
Texte intégral
« De la discussion jaillit la lumière »
(Nicolas Boileau)
1Pour analyser le discours dans le cadre des discussions à visée démocratique et philosophique (DVDP), nous avons recours à la typologie de la pensée réflexive de Roy (2005), qui se décline selon un continuum de cinq styles de pensée, soit : « a-réflexif », « non réflexif », « préréflexif », « quasi-réflexif » et « réflexif ». Cette typologie offre une analyse disciplinaire d’ordre épistémologique et une analyse du discours émergent. Elle offre ainsi une double analyse du degré de réflexivité du discours, pouvant être utile pour situer les praxéologies épistémologiques (Chevallard, 1999) et les conduites langagières entretenues explicitement par les élèves lors des DVDP. Par contre, elle n’offre pas d’indications sur le caractère implicite de ces praxéologies et de ces conduites, ni d’informations sur le contexte global où, des gestes, attitudes et relations entre les élèves pourraient apporter des divergences ou complément à notre analyse. Dans les faits, cette typologie a d’abord été conçue pour opérationnaliser la notion de pensée complexe issue des travaux de Matthew Lipman servant à définir des habiletés supérieures de la pensée1. Avec cette typologie de la pensée réflexive, nous voulions également offrir un outil didactique pour aider le personnel enseignant – animatrice ou animateur de discussions à visée philosophique –, à favoriser le développement d’habiletés de pensée réflexives chez leurs élèves en leur permettant de reconnaître le style de pensée réflexif émis lors des pratiques philosophiques.
2Cette typologie émerge du discours des DVDP et des autres outils de collecte de donnée utilisés dans notre recherche doctorale2. Pour faire émerger cette typologie, nous avons d’abord examiné le contenu du discours à l’aide du modèle de Paul Ernest (19913) qui est une extension de la théorie de William G. Perry portant sur le développement intellectuel et éthique dans le contexte de l’éducation mathématique. Par la suite, nous avons examiné la forme du discours en fonction des habiletés de pensée émergentes de chacun des modes de la pensée complexe à l’aide de la théorie de Matthew Lipman (1995). Pour faire comprendre les fondements de cette typologie, nous présentons ici un bref résumé des cinq catégories épistémologiques d’Ernest qui servent à identifier les représentations idéologiques à propos de l’éducation mathématique : le « Dualisme absolu » (les connaissances sont vues comme des vérités absolues qui proviennent d’une autorité) ; le « Multiplicisme absolu » (les connaissances sont vues comme des vérités non questionnées, appliquées de multiples façons en fonction de considérations personnelles, utilitaristes ou pratiques) ; le « Relativisme séparé absolu » (les connaissances sont vues comme absolues et basées uniquement sur des règles logiques) ; le « Relativisme connecté absolu » (les connaissances sont vues comme absolues mais évoluent grâce à la compréhension de l’être humain par rapport au savoir mathématique) ; et le « Relativisme faillible » (les connaissances sont une construction sociale constamment en évolution, faillibles et inter-reliées aux valeurs d’une société démocratique). À la suite d’une analyse par théorisation ancrée, il en a résulté cinq grilles d’analyse détaillant des indications sur les habiletés de pensée propre à chacun des cinq styles de pensée réflexive, et ce, pour les modes de pensée critique, créatif et responsable (Lipman4). Voici d’ailleurs une brève définition pour chaque style de pensée réflexif de cette typologie5. Notons que des exemples seront donnés, plus bas dans ce chapitre, pour chacun de ces styles.
3Une pensée « a réflexive » témoigne d’une absence de réflexivité, qui s’énonce sur le plan du contenu sur la base d’une autorité ou de croyances absolues pour affirmer ou dénier un point de vue, et sur le plan de la forme, à l’aide d’énoncé affirmatif ou dénégatif.
4Une pensée « non réflexive » présente un manque de réflexivité, qui s’énonce sur le plan du contenu sur la base de considérations personnelles, pratiques, physiques ou utilitaristes et, sur le plan de la forme, à l’aide d’énoncés descriptifs.
5Une pensée « préréflexive » montre une amorce de réflexivité, qui s’énonce sur le plan du contenu uniquement sur la base de considérations logiques et, sur le plan de la forme, à l’aide d’énoncés explicatifs.
6Une pensée « quasi réflexive » témoigne d’une réflexivité notable, qui s’énonce sur le plan du contenu sur la base de considérations logiques et humaines et, sur le plan de la forme, à l’aide d’énoncés justificatifs.
7Enfin, une pensée « réflexive » montre une complète réflexivité qui s’énonce sur le plan du contenu sur la base de considérations logiques, humaines et sociales et, sur le plan de la forme, à l’aide d’énoncés justificatifs d’ordre social.
8Dans nos recherches passées (Roy, 2005 ; 2008) cette typologie nous a permis d’analyser les manifestations des habiletés réflexives dans le discours de futures enseignantes et futurs enseignants dans le cadre de cours universitaires en mathématiques ou de stage en enseignement dans des classes de mathématiques aux niveaux primaire et secondaire. Au départ, l’intégration de discussions en communauté de recherche philosophique dans les cours et les stages avait comme but d’amener les étudiantes et les étudiants en enseignement à questionner leur manière de concevoir l’éducation mathématique, à favoriser le développement d’habiletés de pensée complexes et à reconstruire significativement leurs pratiques enseignantes en mathématiques. Dans ce texte, nous montrons que cette typologie peut aussi permettre d’expliquer le fonctionnement d’une DVDP en explorant les différents styles de pensée réflexifs mobilisés par les élèves lors de la discussion animée par Michel Tozzi. En fait, nous tenterons de mettre en évidence, comment à partir des interventions des élèves, nous arrivons à statuer sur le style de pensée réflexif émergeant du contexte dialogal dans le cadre de la DVDP.
9Pour bien mettre en lumière les indicateurs pertinents à l’analyse pour faire ressortir les styles de pensée réflexifs qui émergent de la DVDP, nous procèderons dans ce texte de manière chronologique afin de suivre le dialogue institué par l’animateur avec les élèves. Pour ce faire, nous prenons en considération, par ordre chronologique, un ou des extraits du discours d’un élève qui fournissent une réponse suffisamment complète à la question posée « Pourquoi on dit : c’est pas juste ? ». Par conséquent, les interventions qui ne sont pas complètes n’ont pas été analysées. De plus, nous avons jugé qu’il n’était pas pertinent de faire l’analyse de la seconde partie de la DVDP puisqu’il y aurait eu trop de redondances dans l’analyse du discours. Nous débutons la présentation de notre analyse par l’intervention de Melvil :
61 Melvil : ben moi j(e) pense qu’on dit c’est pas juste parce que c’est vraiment pas juste fin par exemple heu // ma sœur des fois elle a plus de droits que moi et là je dis que c’est pas juste // par exemple elle peut se coucher plus tard que moi parc(e) que son école elle commence plus tard // et ça j(e) trouve ça pas juste pa(r)ce que j(e) suis plus grand
10En fait, Melvil se base sur les âges pour conclure que ce n’est pas juste parce qu’il est plus âgé que sa sœur et qu’il devrait avoir le droit de se coucher plus tard. Selon notre typologie, au niveau du contenu de la pensée, cette intervention est fondée sur des considérations logiques. En effet, nous sommes d’avis que son argument est logique parce que nous considérons qu’il s’appuie sur l’âge, ce qui correspond à une règle logique pour marquer le nombre d’heures de sommeil que des enfants doivent dormir pour être énergiques le lendemain. Du côté de la forme de la pensée, nous considérons qu’il s’agit d’un énoncé explicatif. Dans cette intervention, l’élève apporte un exemple logique qui explique clairement son point de vue : « par exemple elle peut se coucher plus tard que moi parc(e) que son école elle commence plus tard // et ça j(e) trouve ça pas juste pa(r)ce que j(e) suis plus grand. » Ainsi, nous associons cette intervention à un style de pensée « préréflexif ».
11Ensuite, nous continuons notre analyse de la DPVP avec l’intervention de Lou :
68 Lou : ben moi je pense que c’est plutôt pour l’injustice (en)fin:: des fois i(l) y a des injustices par exemple heu // justement l’exemple de Melvil il était bien (en)fin:: : des fois i(l) y a des frères et des sœurs qui ont des injustices mais des fois c’est toi qui a : qui a plus de chance et des fois c’est l’autre qui a plus de chance // donc des fois on dit c’est pas juste // mais (en)fin on le pense vraiment // (en)fin on le pense peut-être mais pas beaucoup beaucoup
12Selon notre typologie, au niveau du contenu de la pensée, cette intervention est fondée uniquement sur des considérations personnelles. En effet, dans cet extrait, Lou apporte seulement des anecdotes personnelles pour répondre à la question en invoquant des souvenirs du passé. Au niveau de la forme de la pensée, nous constatons que cette intervention se manifeste à l’aide d’énoncés descriptifs, car elle fait appel à des exemples personnels, lesquels s’expriment par : (68) « des fois c’est toi qui a : qui a plus de chance et des fois c’est l’autre qui a plus de chance // donc des fois on dit c’est pas juste // mais (en)fin on le pense vraiment // (en)fin on le pense peut-être mais pas beaucoup beaucoup. » Le discours de Lou apporte une appréciation personnelle à ce qu’elle considère comme étant juste ou injuste. Pour cela, nous identifions cette intervention à un style de « pensée non réflexif ».
13Puis, nous faisons l’analyse des deux interventions apportées par Danaé : (75) « ben quand on dit c’est pas juste c’est souvent qu’on n’est pas d’accord avec quelque chose. » Par la suite, l’animateur demande de donner un exemple. La réponse de l’élève s’exprime par : (77) « heu bah je sais pas. »
14Si on regarde au niveau du contenu de la pensée, ces interventions sont fondées uniquement sur des considérations personnelles. De fait, Danaé indique que l’injustice se rapporte souvent à une question de conflit et elle ne parvient pas à trouver un exemple pour faire comprendre son point de vue. Sur le plan de la forme langagière, l’intervention s’exprime essentiellement par des énoncés descriptifs qui ne font qu’illustrer sa définition de l’injustice : « c’est pas juste c’est souvent qu’on n’est pas d’accord avec quelque chose. » Ainsi, cette intervention s’apparente-t-elle à un style de « pensée non réflexif ».
15Ensuite, Dimitri intervient pour aider Danaé à trouver un exemple : (80) « ben oui // heu j(e) pense que nous on dit/quand on dit c’est pas juste des fois // par exemple si nos parents nous di(sent) fais tes devoirs on dit c’est pas juste pa(r)ce qu’on ne préfèrerait (ne) pas les faire // et alors qu’on est obligé. »
16Selon notre typologie, au niveau du contenu de la pensée, nous considérons que cette intervention est fondée sur des considérations logiques. En fait, Dimitri avoue préférer de ne pas faire ses devoirs, mais il n’en reste pas à une seule appréciation ou opinion personnelle, il ajoute qu’il sait qu’il a l’obligation de faire ses devoirs et c’est pour cette raison qu’il trouve cela injuste. Son raisonnement s’appuie sur une logique en lien avec ses devoirs. Sur le plan de la forme langagière, l’intervention s’exprime par des énoncés explicatifs fournissant une explication logique au fait que l’élève trouve injuste de faire ses devoirs. Pour cette raison, nous associons cette intervention à un style de pensée « préréflexif ». Analysons à présent l’intervention d’Éloi en 102 :
ben heu {rires} (il) y a comme elle a comme elle dit Candice (il) y a des exemples où c’est pas juste par exemple // quand on est plus petit et // i(l) veut jouer avec des plus grands par exemple au foot // hé ben les grands ils vont dire // ils vont dire non tu peux pas jouer on va te faire mal et lui il va dire c’est pas juste // mais un peu c’est juste parce que après il peut se faire mal // et voilà
17Cette intervention est basée sur des considérations logiques et humaines. Manifestement, pour défendre l’idée apportée par une autre élève, Éloi fait comprendre que les petits enfants peuvent penser que ce n’est pas juste de ne pas jouer avec les grands, mais qu’en réalité, c’est juste parce que cette décision est prise par mesure de protection pour les enfants. Sur le plan de la forme, l’intervention s’exprime à l’aide d’énoncés justificatifs logiques en évoquant un exemple justifié comme suit : « c’est juste parce que après il peut se faire mal et voilà. » Ainsi, nous identifions cette intervention à un style de pensée « quasi-réflexif ».
18Après avoir fait une réflexion, Candice reprend une idée qu’elle avait émise antérieurement, mais qui n’était pas alors suffisamment complète pour répondre à la question :
110 Candice : heu bah heu je prends je reprends plus clairement heu c(e) que j (ai) dit tout à l’heure
111 Michel T. : ah depuis t’as réfléchi c’est bien ça
112 Candice : ouais j’ai trouvé un exemple par exemple heu ma nièce heu // elle a heu un an et huit mois i(l) m(e) semble heu // et heu par exemple j(e) lui ai dit non à:: à:: prendre des objets qui sont petits pour pas qu’elle heu les avale (en)fin et tout // et heu et après(en)fin j(e) (rire) elle sait pas dire c’est pas juste mais j(e) pense qu’elle le pense // mais au fond c’est pour la protéger (en)fin c’est pas:: // méchamment (en)fin c’est pas:: de l’inégalité parce que après je vais pas faire devant elle heu ouais je joue avec *cque t’as pas le droit et tout // mais heu pour la protéger (en)fin
19Tout comme la dernière intervention d’Éloi, au niveau du contenu, cette pensée est basée sur des considérations logiques et humaines. Candice parvient à l’aide d’un exemple à faire comprendre aux autres qu’il ne s’agit pas de savoir si c’est de l’inégalité. Lorsqu’elle n’autorise pas sa jeune nièce à prendre des petits objets, c’est seulement pour la protéger de peur qu’elle avale les objets et, se rende malade. Au niveau de la forme langagière, l’intervention s’exprime à l’aide d’énoncés justificatifs logiques, car Candice mentionne de manière explicite que ce n’est pas injuste en utilisant un exemple justifié dans son intervention : « mais au fond c’est pour la protéger (en)fin c’est pas:: // méchamment (en)fin c’est pas:: de l’inégalité parce que après je vais pas faire devant elle heu ouais je joue avec * cque t’as pas le droit et tout mais heu pour la protéger (en)fin. » Pour cela, nous associons cette intervention à un style de pensée « quasi-réflexif ».
20Puis, Dimitri répond à l’animateur lorsqu’il lui demande qu’est-ce qui te semblerait plus juste ou moins juste lors d’un tirage au sort : (127) « un p(e)tit peu plus juste le tirage au sort parce que comme ça si c’est pas la personne qui l’a:: qui a dit c’est moi qui l’ai c’est c’est pas cette personne qui l’a eu et bah moi je trouve que c’est juste parce que la personne elle a voulu heu faire une i/ une i/ une inégalité. » Au niveau du contenu de la pensée, cette intervention est basée sur des considérations logiques. En fait, Dimitri s’appuie sur le fait que le tirage au sort se produit de manière aléatoire et non de manière intentionnelle, ce qu’il considère un peu plus juste. De notre point de vue, l’aspect aléatoire du tirage apporte une règle logique. Sur le plan de la forme langagière, l’intervention s’exprime par des énoncés explicatifs, car cette intervention formule explicitement à l’aide d’une explication logique que le tirage au sort s’avère plus juste qu’une simple décision personnelle due au fait que ce n’était pas intentionnel. Pour cela, nous associons cette intervention à un style de pensée « préréflexif ».
21Nous analysons trois interventions de Lou lorsque l’animateur lui demande de définir ce qu’est l’injustice. Voici le dialogue qui se déroule entre Lou et l’animateur :
138 Lou : si si y a une autre sortie et que y a un un demi-groupe les autres seront avantagés donc heu // c’est bien aussi heu
139 Michel T. : alors là l’injustice dans ce cas-là ça ça serait quoi alors à ce moment-là dans l’exemple que tu donnes ?
140 Lou : bah ça serait pas l’injustice ça serait les deux les deux seraient égaux et et:: ce serait bien
141 Michel T. : voilà parce que aujourd’hui y en a un qui a pu venir mais la prochaine fois si on doit choisir ça sera à ce moment-là l’autre // à ce moment-là comment tu tu définirais l’injustice à ce moment-là ? Tu peux donner une définition de l’injustice ?
142 Lou : bah moi je dirais c’est pas de l’injustice parce que // les deux auront eu de l’injustice et donc ça sera pas de l’injustice // ça sera les deux pareils en fait
22Les interventions de Lou sont fondées uniquement sur des considérations personnelles. De fait, Lou apporte son opinion personnelle pour répondre aux questions de l’animateur, mais sans autre fondement. Au niveau de la forme langagière, nous analysons que ces interventions soulèvent une hypothèse personnelle à la définition d’injustice. Elle apporte ainsi une nouvelle façon de concevoir l’injustice, qui demeure néanmoins une opinion personnelle servant à décrire l’injustice. Nous considérons ainsi que cette intervention s’exprime à l’aide d’énoncés relatant des idées personnelles. Pour ces raisons, nous associons cette intervention à un style de « pensée non réflexif ».
23Enfin, voici la réponse de Melvil lorsque l’animateur demande au groupe de justifier en quoi l’injustice des hommes serait plus importante que l’injustice de la nature :
179 Melvil : bah heu bah ça dépend (en)fin non moi j(e) trouve que non parce que si le (x) i(l) se construit une maison en bois dans le cratère d’un volcan ah bah après (en)fin c’est l(ui) i(l) i(l) savait que y aurait peut-être un // une éruption qui pourrait le tuer eh ben // après il avait qu’à choisir un autre endroit pour faire sa maison et puis heum // aussi heu:: si c’est par exemple quelqu’un qui par exemple qui met une bombe et puis ça explose eh ben là c’est pas:: (en)fin c/c’est pas heu:: c’est pas la faute des gens qui sont ici // ben c’est la faute du gars parce que // i(ls) pouvaient pas prévoir que le gars il allait faire une explosion // (en)fin il allait envoyer une bombe et puis:: là c’est pas juste ! mais
24Cette intervention s’appuie sur des considérations logiques, humaines et sociales. De fait, Melvil parvient dans cette intervention à faire comprendre que l’injustice provenant des hommes n’est pas plus importante que l’injustice provenant de la nature. Il énonce peut-être de façon malhabile que dans les deux cas, l’injustice soulève un aspect d’ordre social, bien qu’elle fasse intervenir également des aspects logiques et humains. Lorsque l’injustice provient des hommes, telle que l’explosion d’une bombe placée intentionnellement par quelqu’un, la personne n’a pas le pouvoir social, ni la possibilité de savoir ce qui arrivera dans l’avenir, Melvil en conclut alors qu’il s’agit d’une injustice. Par ailleurs, lorsque l’injustice provient de la nature, cela peut être aussi injuste, mais la personne a le devoir de questionner socialement ce qui passe autour de sa future maison. Autrement dit, la ou le futur propriétaire doit s’informer préalablement de l’endroit où il veut construire sa maison et il est alors en mesure de faire un choix davantage éclairé par rapport aux possibles cataclysmes de la nature. Sur le plan de la forme, l’intervention s’exprime à l’aide d’énoncés justificatifs logiques d’ordre social, car l’intervention justifie que l’injustice n’est pas une question de provenance, mais bien une question d’ordre social. Ainsi, nous identifions cette intervention à un style de pensée « réflexif ».
25Enfin, à titre de conclusion, nous estimons que l’analyse des interventions de cette DVDP a permis de mettre en évidence comment nous parvenons à statuer sur les styles de pensée non « réflexif », « préréflexif », « quasi-réflexif » et « réflexif ». Notons que nous n’avons pas relevé dans le discours des interventions associées au style de pensée « a-réflexif ». Cela indique manifestement que les élèves de cette classe, habitués des DVDP, maîtrisaient déjà en débutant la discussion, une certaine réflexivité sur leur pensée. Nous avons aussi observé que les réponses données à la question posée « Pourquoi c’est : pas juste ? » par le groupe d’élèves ont permis à ces élèves de vivre une expérience démocratique et une réflexion pertinente sur le thème de l’injustice en communauté de recherche. Nous sommes à même de constater qu’après seulement une moitié de discussion, la pratique de la DVDP animée par Michel Tozzi est parvenue à mettre en œuvre des habiletés supérieures de la pensée en mobilisant des styles de pensée « quasi-réflexif » et « réflexif ».
26Par ailleurs, si on voulait faire progresser encore plus les habiletés de pensée dans le cadre de la DVDP, la typologie de Roy (2005) donne l’opportunité au personnel enseignant d’identifier les styles de pensée réflexifs utilisés habituellement par les élèves avant de faire des DVDP en effectuant des entrevues ou, tout simplement, en étant plus sensible aux habiletés de pensée émergentes du discours des élèves. Il est alors possible d’intervenir en accord avec les praxéologies épistémologiques et les conduites langagières qu’entretiennent les élèves à propos des thèmes étudiés. Par exemple, les animatrices ou animateurs pourraient demander aux élèves ayant manifesté un certain style de pensée réflexif de réaliser une réflexion philosophique à l’aide d’un énoncé immédiatement supérieur à leur style de pensée. Plus concrètement, on pourra demander à un élève utilisant régulièrement des énoncés explicatifs (style de pensée « préréflexif ») dans son discours, d’utiliser des énoncés justificatifs (style de pensée « quasi-réflexif ») pour soutenir son point de vue. En mettant en œuvre cette stratégie, nous avons constaté, dans nos recherches précédentes (Roy, 2012 ; Roy, Lechasseur et Michel, 2016), une moins grande résistance à l’égard de l’intégration des pratiques philosophiques dans les classes, ce qui favorise le progrès des discussions tout en amenant les élèves à développer graduellement un style de pensée plus réflexif et des conduites langagières plus évoluées.
Bibliographie
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Bibliographie
Chevallard Y., 1999, « L’analyse des pratiques enseignantes en théorie anthropologique du didactique », Recherches en didactique des mathématiques, vol. 19, no 2, p. 221-265.
Daniel M.-F. (dir.), 2005, Pour l’apprentissage d’une pensée critique au primaire, Québec, Presses de l’Université du Québec, collection « Éducation-Intervention ».
10.1080/0020739890200409 :Ernest P., 1991, The philosophy of mathematics education, Londres, Falmer Press. Lipman M., 1995, À l’école de la pensée, traduction française de N. Decoste, préface de M. Voisin, Bruxelles, De Boeck.
Pallascio R., Daniel M.-F., Lafortune L., 2004, « Une pensée réflexive pour l’éducation », dans R. Pallascio, M.-F. Daniel, L. Lafortune (dir.), Pensée et réflexivité : théories et pratiques, Québec, Les Presses de l’Université du Québec, collection « Éducation-Recherche », p. 1-12.
Roy A., 2012, « Mobilisation d’une pensée réflexive chez des futurs enseignants du primaire en éducation mathématique », dans J.-L. Dorier, S. Coutat (dir.), Enseignement des mathématiques et contrat social : enjeux et défis pour le xxie siècle (actes du colloque du groupe « Espace Mathématique Francophone », Université de Genève, 3-7 février 2012), brochure avec cédérom (accessible en ligne : http://www.emf2012.unige.ch/index.php?option=com_content&view=article&id=54).
—, 2008 (nov.), « Philosopher en mathématiques avec des futurs enseignantes et enseignants au primaire », For the Learning of Mathematics, vol. 28, no 3, p. 36-41.
—, 2005, Manifestations d’une pensée complexe chez un groupe d’étudiantes et étudiants-maîtres au primaire à l’occasion d’un cours de mathématiques présenté selon une approche philosophique, Thèse de doctorat en éducation, Montréal, Université du Québec.
—, 2016, Lechasseur C., Michel M.-J., « Trois principales conditions pour intégrer des communautés virtuelles de recherche dans la classe de mathématiques au primaire durant le stage d’internat », Apprendre et enseigner aujourd’hui, vol. 5, no 2, p. 28-31.
Notes de bas de page
1 La pensée complexe est la traduction française de « higher order thinking » utilisé selon le sens donné par Matthew Lipman.
2 Ces outils sont : l’enregistrement vidéo de 8 DVDP, l’enregistrement audio de 12 entrevues individuelles, la rédaction de textes argumentés rédigés par tous les étudiants et étudiantes du groupe au début et à la fin du cours, ainsi que la passation d’un questionnaire sur la pensée critique et la résolution de problèmes mathématiques au début de la session.
3 Il s’agit du modèle épistémologique des idéologies de l’éducation mathématique.
4 La mode métacognitif n’a pas été analysé dans le cadre de notre thèse. Pour les autres modes, consultez notre thèse aux pages indiqués (Roy, 2005, p. 192, p. 219, p. 251, p. 270 et p. 279).
5 Cette typologie se défend d’être associée aux catégories de la pensée critique dialogique de Daniel (2005), bien que l’utilisation des cinq catégories épistémologiques d’Ernest avec les modes de pensée de Lipman pour faire émerger cette typologie, puisse avoir produit des ressemblances avec certaines caractéristiques des catégories de Daniel.
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Paroles de philosophes en herbe
Ce livre est cité par
- Polo, Claire. (2020) Le Débat fertile. DOI: 10.4000/books.ugaeditions.14879
- Point, Christophe. (2021) La Philosophie pour enfants : une piste pour réconcilier enseignement disciplinaire et vie scolaire ?. Studia Universitatis Babeș-Bolyai Philosophia, 66. DOI: 10.24193/subbphil.2021.1.08
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