Troisième livre de la chronique de Dino Compagni sur son époque
p. 181-285
Texte intégral
III, 1. Élection du nouveau Souverain Pontife, Benoît XI, et ses qualités. Ses premières actions : nomination du cardinal de Prato comme pacificateur en Toscane (octobre 1303-janvier 1304)
1Notre Seigneur Dieu qui pourvoit à toute chose, voulant restaurer le monde par un bon pasteur, pourvut à la misère des chrétiens. C’est ainsi que fut appelé à la chaire de saint Pierre le pape Benoît, natif de Trévise, frère prêcheur et prieur général de son ordre, un homme n’ayant que peu de parents et aux origines modestes, constant et honnête, modéré et saint. Le monde s’éclaira d’une nouvelle lumière. Il commença par faire des œuvres pies, pardonnant aux Colonna et les rétablissant dans leurs biens1. Au cours des premiers jeûnes2, il fit deux cardinaux : l’un était anglais ; l’autre fut l’évêque de Spolète, natif du château de Prato, et frère prêcheur, appelé messire Niccolao3 ; il était d’humble origine mais de profonde science ; bienveillant et sage, mais d’ascendance gibeline, ce dont les Gibelins et les Blancs se réjouirent beaucoup ; et ils s’employèrent tant que le pape Benoît l’envoya comme pacificateur en Toscane.
III, 2. Dissensions entre les Noirs à Florence : Rosso dalla Tosa avec les riches membres du Peuple, et Corso Donati avec les Grands et le menu Peuple (… 1304, février)
2Avant sa venue4, apparut au grand jour un complot ourdi contre5 messire Rosso dalla Tosa. Tout ce que ce dernier faisait et faisait faire dans la ville visait à obtenir la Seigneurie à la manière des Seigneurs de Lombardie6. Il renonçait ainsi à de nombreux gains et faisait la paix avec beaucoup de gens, afin de bien disposer les esprits des hommes à ce qu’il désirait.
3Messire Corso Donati, lui, ne négligeait pas la moindre somme ; et, poussé soit par la peur soit par la menace, chacun lui donnait de l’argent. Il ne demandait rien, mais faisait bien comprendre néanmoins ses exigences.
4Les deux ennemis évaluaient les forces à leurs côtés. Messire Rosso craignait de susciter l’abomination des Toscans en agissant contre messire Corso. Il craignait les ennemis de l’extérieur, et s’efforçait de les abaisser avant de montrer son inimitié envers messire Corso. Il craignait aussi, à cause de la renommée que celui-ci avait au sein du parti, que le Peuple n’en prît ombrage. Il avait mis de son côté les riches membres du Peuple, car ils étaient ses tenailles qui saisissaient le fer quand il était chaud.
5Messire Corso, quant à lui, à cause du sentiment qu’il éprouvait d’être un Grand7, ne se souciait pas de petites choses et ne s’y abaissait pas. Il n’avait pas non plus la faveur de ces citoyens-là à cause de son attitude dédaigneuse. Aussi, laissant de côté les riches membres du Peuple, il s’associa avec les Grands, leur montrant au moyen de toutes sortes d’arguments qu’ils étaient pris en otage et asservis par une clique de bourgeois enrichis, par ces chiens qui les dominaient et confisquaient les honneurs à leur profit8. Avec de telles paroles il rassembla tous les citoyens Grands qui se considéraient comme opprimés, et tous entrèrent dans la conjuration. Y prit part messire Lottieri dalla Tosa9, évêque de Florence (ainsi que messire Baldo10, son neveu), parce que messire Rossellino, son parent, détenait un château lui appartenant avec tous ses vassaux, ce dont il n’osa se plaindre tant que le pape Boniface fut en vie11. Y prirent part également les Rossi, les Bardi, les Lucardesi, les Cavalcanti, les Bustichi, les Giandonati, presque tous les Tornaquinci, les Manieri et partie des Adimari ; et de nombreux membres du Peuple en firent partie12. En tout, entre Grands et citoyens du Peuple, il y eut trente-deux conjurés. Et à propos du blé qu’ont importait des Pouilles pour le distribuer à la population, une ration par tête, ils disaient : « Les gens du Peuple sont opprimés, on leur prend tous leurs revenus avec de fortes impositions, et il leur faut encore manger de la paille ! », voulant dire par là qu’on en hachait dans le blé pour augmenter sa quantité13.
6Les riches membres du Peuple commencèrent à avoir peur, et les amis de messire Corso à prendre de l’ascendant ; mais pas outre mesure car, dans les conseils et les assemblées, les membres du Peuple ne donnaient pas raison à messire Corso. Il était sans cesse contré par les Bordoni, des membres du Peuple hardis et arrogants, qui plus d’une fois démentirent ses paroles, sans regarder si leurs adversaires étaient ou non en majorité, ni ce qui pourrait en résulter. Ils retiraient de gros gains de la commune, et s’enivraient d’éloges14. Néanmoins les partisans de messire Rosso ne leur permettaient pas de s’en prendre à lui15. En l’espace d’un mois, ils mirent le blé à douze sous, rétablirent la taxe de la lire et levèrent un impôt de douze cents chevaux à cinquante florins le cheval, sans aucune rémission16. Ils envoyèrent alors des troupes aux abords de Monte Accinico17 et y firent édifier une bastide où ils établirent une garnison.
III, 3. Intervention des Lucquois, appelés par la commune en tant que pacificateurs. Les deux factions en viennent aux mains. Corso attaque le palais de la Seigneurie. On change de magistrature. Outrecuidance des Grands et application des Ordonnances de justice contre les Tornaquinci (1303, décembre ; 1304, février-avril)
7Comme ceux de la conjuration de messire Corso continuaient à s’exprimer avec impudence, les autres envoyèrent chercher les Lucquois18. Ceux-ci crurent pouvoir, par des propos conciliants, enlever à messire Corso certains lieux fortifiés qu’il occupait19. Et on lui fixa un délai pour les rendre, avec condamnation s’il ne les remettait pas aux Lucquois.
8Messire Corso, qui ne voulait pas céder à la force des autres, fit appel à ses amis ; il rassembla aussi de nombreux bannis. Vint également à son aide messire Neri da Lucardo20, un homme d’armes valeureux. Armé et à cheval, messire Corso vint sur la grand place et, avec le feu et les balistes, attaqua violemment le palais des Seigneurs.
9Les autres, qui avaient à leur tête messire Rosso dalla Tosa, avec la plupart de ses parents, avec les Pazzi, Frescobaldi, Gherardini et Spini, ainsi que bonne part de la population et des membres du Peuple21, vinrent défendre le palais, et une grande mêlée s’engagea22, dans laquelle messire Lotteringo Gherardini fut tué d’un carreau d’arbalète. Ce fut une grande perte, car il était valeureux23.
10Messire Rosso dalla Tosa et ses partisans firent élire la nouvelle magistrature des Prieurs, et ils les firent entrer au palais de nuit, sans tambour ni trompette. Les barricades furent mises dans toute la ville ; et on resta mobilisé pendant un mois environ.
11Les Lucquois, qui étaient venus à Florence pour rétablir la paix, obtinrent les pleins pouvoirs de la commune. Les Grands se découvrirent alors beaucoup, ils voulaient que fussent abolies les lois contre eux. On doubla le nombre des Seigneurs24. Néanmoins le parti des Grands demeura avec toute sa superbe et toute son arrogance.
12Au cours de ces journées-là25, sur la place du Mercato Vecchio, Testa Tornaquinci et un fils de Bingieri son parent blessèrent un de leurs voisins membre du Peuple, et le laissèrent pour mort. Personne n’osait lui porter secours, tant on avait peur d’eux. Mais, ayant repris de l’assurance26, le Peuple fut pris de colère et, en armes et brandissant l’enseigne de la justice, on se rendit chez les Tornaquinci pour mettre le feu à leur palais, qu’on brûla et qu’on détruisit pour punir leur outrecuidance27.
III, 4. Le cardinal de Prato arrive à Florence, en tant que pacificateur. Réconciliation des Noirs entre eux. Réconciliation avec les Blancs et les Gibelins, mais mal vue par certains Noirs, les partisans de Rosso en particulier. Leurs agissements pour empêcher que la paix avance. La Seigneurie donne commission pour la mise à exécution de la paix (1304, 10 mars-mai)
13Secrètement réclamé par les Blancs et Gibelins de Florence au pape Benoît pour être légat en Toscane, le cardinal Niccolao de Prato arriva à Florence le 10 mars 130328. De très grands honneurs lui furent rendus par la population de Florence, qui brandit des rameaux d’olivier et lui fit grand fête. Après quelques jours de repos à Florence, trouvant les citoyens très désunis29, il demanda les pleins pouvoirs au gouvernement du Peuple pour contraindre les citoyens à la paix. Cela lui fut accordé jusqu’au premier mai 1304, et fut par la suite prolongé pour la durée d’une année. Il obtint plusieurs réconciliations de citoyens à l’intérieur de la ville30 ; mais plus tard les gens se refroidirent, et on inventa quantité de chicanes.
14L’évêque de Florence31 était pour la paix, car elle apportait avec elle justice et abondance, et à la demande du cardinal il se réconcilia avec messire Rosso son parent. Le cardinal renforça les gonfalons des compagnies. Les amis de messire Corso en firent partie, et lui-même fut élu capitaine du parti32. Chacun soutenait le cardinal, et lui, avec bon espoir de paix, radoucit tant et si bien les citoyens par ses propos de modération qu’on le laissa nommer des représentants : qui furent, pour le parti de l’intérieur, messire Ubertino dello Strozza et ser Bono da Ognano ; et pour le parti de l’extérieur, messire Lapo Ricovero et ser Petracca de ser Parenzo dall’Ancisa33.
15Le 26 avril 1304, le Peuple se trouvant rassemblé sur la place de Santa Maria Novella, et en présence des Seigneurs, de nombreuses réconciliations ayant été obtenues, les ennemis se donnèrent le baiser sur la bouche en gage de paix, et s’y engagèrent par écrit. Des peines furent prévues pour les contrevenants. Des rameaux d’olivier à la main, les Gherardini se réconcilièrent avec les Amieri34. Il semblait bien que la paix faisait plaisir à chacun, à tel point que, malgré une forte pluie survenue ce jour-là, personne ne s’en alla ; on aurait même dit que personne ne la sentait. On alluma de grands feux de joie, les cloches des églises carillonnaient, tout le monde était content. Mais le palais des Gianfigliazzi35, qui à l’occasion des guerres s’illuminait de grands feux de joie, ce soir-là n’en fit rien, et parmi les bonnes gens les commentaires allèrent grand train : on disait que ce n’était pas digne d’une réconciliation. Les compagnies du Peuple défilaient au nom du cardinal pour dignement fêter l’événement, avec les enseignes qu’elles avaient reçues de lui sur la place de Santa Croce.
16Messire Rosso dalla Tosa en conçut une grande irritation, car il trouva que la paix était allée beaucoup plus loin qu’il ne l’aurait désiré. Aussi pensa-t-il hâter l’exécution de son projet avec les autres de son bord, car ceux-ci le laissaient faire et se montraient amicaux à son égard36. Ils mettaient tout en œuvre pour avoir Pistoia, qu’ils craignaient fortement, car elle était tenue par leurs adversaires, et il s’y trouvait messire Tolosato degli Uberti37. Entre temps, les cavaliers et les fantassins des Blancs étant revenus à Monte Accinico après avoir secouru Forlì38, les Guelfes de l’intérieur avaient à ce sujet commencé à tenir des propos hypocrites et à troubler la paix. Entre bien d’autres choses, ils exigèrent des Buondalmonti qu’ils fissent la paix avec les Uberti. Aussi quantité de conseils furent-ils tenus là-dessus, pour retarder la paix, car c’était là chose impossible39.
17Le 6 mai 1304, les Prieurs donnèrent commission au cardinal et à quatre personnes désignées par le Pape, pour mettre à exécution la paix générale : à messire Martino dalla Torre de Milan, à messire Antonio da Forestierato de Lodi, à messire Antonio de’ Brusciati de Brescia40 et à messire Guidotto de’ Bugni de Bergame41.
III, 5. Entre temps les Noirs poussent malicieusement le cardinal à sortir de Florence pour s’assurer de Pistoia. Son voyage à Prato et à Pistoia. À son retour de cette dernière les mains vides, Prato se retourne contre lui (mai 1304)
18Ceux qui étaient opposés au désir du Pape42, ne voulant plus supporter le fardeau de l’autorité du cardinal43, ni laisser la paix s’enraciner davantage, firent tant par leurs paroles trompeuses qu’ils l’éloignèrent de Florence, lui disant : « Messire, avant que vous n’alliez plus avant dans la mise à exécution de la paix, assurez-nous que Pistoia obéira. Parce que si nous, nous faisions la paix et que Pistoia restât aux mains de nos adversaires, nous serions joués. » Mais s’ils parlaient ainsi ce n’était pas parce qu’ils voulaient la paix une fois qu’ils tiendraient Pistoia, c’était pour faire durer les négociations de paix. Et par leurs paroles déguisées, ils réussirent si bien à l’émouvoir que, le 8 mai 1304, il quitta Florence. Sur la route de Campi, il fit halte pour la nuit dans une belle demeure appartenant à Rinuccio di Senno Rinucci44.
19Le jour suivant il poussa son cheval vers Prato, où il était né mais où il n’était jamais retourné. Là il fut reçu très dignement et avec de grands honneurs : au milieu des rameaux d’olivier, des cavaliers arborant des bannières et l’étendard de soie, de toute la population et des femmes en habits de fête, des rues couvertes45, des danses et des musiques, au cri de « Vive le seigneur ». Mais tout cela se changea bientôt en affront, comme les Juifs firent pour le Christ, ainsi qu’on le dira plus loin.
20Le même jour il chevaucha jusqu’à Pistoia, où il s’entretint avec les principaux citoyens et avec les gouvernants de la ville. Avec lui s’y rendit messire Geri Spini, lequel avait fait ses préparatifs croyant obtenir le pouvoir de la cité46. Ils furent reçus avec de grands honneurs par messire Tolosato degli Uberti et par le Peuple, et le gouvernement du Peuple conféra au cardinal quelque pouvoir, mais non celui de confier la cité à d’autres. Aussi, voyant que la ville se protégeait très astucieusement, perdit-il tout espoir de la maîtriser ; c’est pourquoi il s’en retourna à Prato. Mais là, alors qu’il croyait pouvoir entrer grâce à la puissance de ses parents et de ses amis, il ne put le faire47.
III, 6. Retour du cardinal à Florence et excommunication des gens de Prato. L’armée florentine se met en marche contre Prato, qui négocie un accord. Pendant ce temps, à Florence s’aggravent les discordes au sein du parti noir, entre les riches membres du Peuple d’une part et les Grands et le menu Peuple d’autre part (mai 1304)
21Apprenant ce qui, à Prato, avait été décidé contre lui, il s’en alla aussitôt et retourna à Florence. Puis il condamna et excommunia les gens de Prato et décréta la guerre sainte contre eux, accordant l’indulgence à quiconque leur causerait dommage. Sa famille et ses partisans subirent la destruction de leurs biens et furent chassés de Prato.
22Avec les milices citadines à cheval et les fantassins à la solde de la commune, le podestat de Florence marcha sur le territoire de Prato. Ils se mirent en ordre de bataille sur la grève du Bisenzio, à Olmo a Mezzano48, et y restèrent jusqu’après none49. De Prato, sortirent certains pour négocier un accord, adressant leurs excuses au cardinal et affirmant se soumettre à ses volontés, si bien qu’ils firent cesser les hostilités ; car beaucoup auraient volontiers mis à mal leur territoire et tenté de s’emparer de la ville, c’est-à-dire ceux qui étaient du même sentiment que le cardinal.
23Les autres chefs du parti noir et leurs partisans se répandaient en paroles porteuses de scandale. Les cavaliers étaient à peine alignés sur leurs positions que la guerre fut tout près d’être finie, si grand fut le scandale propagé par ces gens-là50. Et s’il s’était développé davantage, ce sont les Grands et le Peuple, qui étaient du côté du cardinal et favorables à la paix comme le montraient les intentions de chacun, qui auraient eu le dessus. Et ceux de la maison des Cavalcanti s’y montrèrent très favorables51.
24L’armée s’en alla, et s’en revint à Campi52, où elle demeura tout ce jour-là. Le jour d’après elle partit, car le cardinal se laissa séduire par de belles paroles. Il crut faire pour le mieux en faveur de la paix. Mais les membres de sa famille qui honteusement en furent chassés ne retournèrent pas à Prato, car ils n’eurent pas confiance, et par la suite ils furent déclarés rebelles.
III, 7. Le cardinal hâte la paix. Venue à Florence de quelques chefs du parti blanc et gibelin, munis d’un sauf-conduit. Déloyauté des Noirs, et manque de courage des Blancs et des Cavalcanti. Les Blancs et Gibelins s’en vont. Par crainte d’une agression, le cardinal quitte la ville indigné et retourne auprès du Souverain Pontife (1304, juin)
25Le cardinal s’employa à hâter la paix et à la mettre à exécution. Afin de régler les différends, il pensa faire venir quelques chefs des exilés. Il en choisit quatorze, lesquels vinrent à Florence avec autorisation et sauf-conduit. Ils logèrent de l’autre côté de l’Arno dans la maison des Mozzi53, où ils dressèrent des barrières de bois et y placèrent des gardes afin de se prémunir contre toute agression. Les noms de quelques-uns d’entre eux sont : messire […] de’ Conti da Gangalandi, Lapo de messire Azzolino degli Uberti, Baschiera de messire Bindo dalla Tosa, Baldinaccio Adimari, Giovanni de’ Cerchi et Naldo de messire Lottino Gherardini, et plusieurs autres54. Quant à ceux du parti noir, qui se trouvaient dans Florence, voici les noms de quelques-uns55 : messire Corso Donati, messire Rosso dalla Tosa, messire Pazzino de’ Pazzi, messire Geri Spini, messire Maruccio Cavalcanti, messire Betto Brunelleschi, et divers autres.
26Lorsque ceux du parti blanc vinrent à Florence, ils furent très honorés par les petites gens56. Beaucoup d’anciens Gibelins, hommes et femmes, baisaient les armoiries des Uberti57 et Lapo de messire Azzolino fut protégé de près par les Grands, proches d’eux58, car de nombreux citoyens guelfes nourrissaient bien des haines mortelles contre ceux de sa famille.
27Baschiera dalla Tosa eut droit lui aussi à de grands honneurs ; et lui-même rendit hommage à messire Rosso, par ses paroles et par son comportement59. Ce qui donna grand espoir au Peuple ; car les Blancs et les Gibelins s’étaient proposé de se laisser guider par les Noirs, et de consentir à ce qu’ils demandaient, afin de ne leur laisser aucun motif de refuser la paix. Mais les Noirs ne désiraient pas la paix ; ils les promenèrent tant et si bien avec de belles paroles qu’on finit par conseiller aux Blancs de se retirer chez les Cavalcanti60 et, là, de renforcer leur position en réunissant de nombreux amis, et de ne pas leur laisser la ville. Maintes personnes d’autorité dirent que, s’ils avaient fait cela, ils auraient gagné. Ils envoyèrent des missives, de la part du cardinal et de leur part à eux, aux Cavalcanti pour requérir leur aide. Ceux-ci tinrent conseil sur ce sujet mais tombèrent d’accord pour ne pas les accueillir. Ce fut pour eux-mêmes une mauvaise décision, dit-on alors communément ; car de graves dommages s’abattirent sur eux et sur leurs maisons – incendies et autres choses encore – comme on va le dire plus loin.
28Les Cavalcanti ayant refusé de les accueillir, devant l’attitude inquiétante de leurs adversaires et les propos qu’ils tenaient, on conseilla aux Blancs de partir ; et c’est ce qu’ils firent le 8 juin 1304. Le cardinal resta. Ceux qui ne voyaient pas sa présence d’un bon œil firent mine de vouloir l’agresser : ce furent les gens d’une famille qu’on appelait les Quaratesi, voisins des Mozzi et du palais où logeait le cardinal, qui firent semblant de le prendre pour cible61. Il s’en plaignit et on lui conseilla de partir. Aussi, craignant pour sa vie, s’en alla-t-il le 9 juin, abandonnant la ville en piteux état. Il partit à Pérouse où se trouvait le Pape.
III, 8. La ville reprend les armes. Noirs et Cavalcanti. Incendie effroyable allumé par les Noirs au moyen d’une mixture incendiaire. Expulsion des Cavalcanti (1304, juin)
29Les citoyens de valeur en restèrent très affligés et sans plus d’espoir de paix. Les Cavalcanti s’en plaignaient, ainsi que beaucoup d’autres. Les esprits s’échauffèrent à tel point que l’on prit les armes et que commencèrent les agressions. Les Dalla Tosa et les Medici62 vinrent en armes sur le Mercato Vecchio, puis se dirigèrent vers le Corso degli Adimari63, avant de descendre vers Calimala, tirant des carreaux d’arbalète. Ils s’attaquèrent à une barricade sur le Corso, et ils l’abattirent bien qu’elle fût tenue par des gens plus enclins à la vengeance qu’à la paix64.
30Messire Rossellino dalla Tosa, avec ceux qui l’entouraient, vint aux maisons des Sassetti65 pour y mettre le feu. Les Cavalcanti, et d’autres, les secoururent. Et au cours de cette escarmouche, Nerone Cavalcanti se heurta à messire Rossellino, contre lequel il abaissa sa lance, le visant en pleine poitrine, de sorte qu’il le jeta à bas de son cheval.
31Les chefs du parti noir avaient fait préparer un mélange incendiaire66, pensant bien qu’il leur faudrait en venir à l’affrontement. Ils s’entendirent avec un certain ser Neri Abati, prieur de San Piero Scheraggio, un homme mauvais et dissolu, ennemi du reste de sa famille67, auquel ils confièrent le soin de mettre le feu le premier. Ce qu’il fit le 10 juin 1304, incendiant la maison de ses proches à Orto San Michele68.
32Depuis Mercato Vecchio on tira des flèches enflammées dans Calimala. Le feu se propagea tellement que, n’étant pas combattu, il vint s’ajouter au premier et consuma quantité de maisons, de palais et d’ateliers.
33Sur Orto San Michele se trouvait une grande loggia avec un oratoire de Notre-Dame, dans lequel il y avait, comme objets de dévotion, de nombreuses représentations en cire de la Vierge69. Le feu ayant pris là, ajouté à la grande chaleur, toutes les maisons alentour brûlèrent, ainsi que les entrepôts de Calimala et tous les ateliers qui se trouvaient autour du Mercato Vecchio jusqu’au Mercato Nuovo, ainsi que les maisons des Cavalcanti, de même que dans Vacchereccia et dans Porta Santa Maria jusqu’au Ponte Vecchio ; à tel point qu’on parla de plus de 1900 maisons incendiées ; et sans qu’aucun remède pût être apporté.
34Les voleurs traversaient le feu aux yeux de tous, pour dérober et emporter tout ce qu’ils pouvaient prendre ; et on ne leur disait rien. Celui qui voyait ses biens emportés n’osait pas les réclamer, parce que la ville était alors dans le désordre le plus complet.
35Les Cavalcanti perdirent ce jour-là leur courage et leur sang70, en voyant brûler leurs maisons, leurs palais et leurs locaux qui, grâce aux loyers élevés qu’ils pratiquaient du fait de l’exiguïté des lieux, faisaient d’eux des gens riches71.
36Par crainte du feu, de nombreux citoyens déménageaient leurs affaires vers d’autres lieux, où ils croyaient les mettre à l’abri de l’incendie. Mais celui-ci s’étendit tellement que beaucoup perdirent leur bien en voulant le sauver, et finirent ruinés.
37Afin qu’on sache la vérité sur un tel acte de malveillance, pour quelle raison fut allumé l’incendie et à quel endroit, il faut dire que les chefs du parti noir, dans le but de chasser de ces lieux les Cavalcanti, dont ils craignaient la richesse et la puissance, élaborèrent cette préparation incendiaire à Ognissanti72. Sa composition était telle que lorsqu’il en tombait à terre elle laissait une trace de couleur bleue. Ser Neri Abati transporta de cette préparation dans une marmite et mit avec cela le feu aux maisons de ceux de sa famille. Et messire Rosso della Tosa et d’autres en lancèrent avec des flèches dans Calimala.
38Sinibaldo de messire Corso Donati, chargé d’une grande quantité de cette préparation incendiaire au point de ressembler à une torche enflammée, vint mettre le feu aux maisons des Cavalcanti sur le Mercato Nuovo, et Boccaccio Adimari avec ses partisans en firent autant le long du Corso degli Adimari jusqu’à Orto San Michele. Les Cavalcanti allèrent au-devant d’eux, les repoussèrent dans le Corso et leur reprirent la barricade qu’ils avaient dressée. Les incendiaires mirent alors le feu à la maison des Macci dans la Cour des Abesses73.
39Le podestat de la ville, avec sa suite et de nombreux soldats, vint au Mercato Nuovo ; mais il n’apporta pas la moindre aide ni le moindre remède. Ils regardaient tous l’incendie, se tenant à cheval, et ne faisaient que gêner à cause de l’encombrement qu’ils constituaient, barrant le passage aux serviteurs et à ceux qui s’y rendaient à pieds.
40Comme beaucoup d’autres, les Cavalcanti regardaient l’incendie, et ils n’eurent pas assez d’audace pour aller s’en prendre à leurs ennemis une fois que le feu fut éteint ; car ils pouvaient très bien les vaincre, et rester maîtres de la ville. Messire Maruccio Cavalcanti et messire Rinieri Lucardesi74 avaient bien conseillé de prendre les torches enflammées et d’aller brûler les maisons des ennemis qui avaient brûlé les leurs. Mais ce conseil ne fut pas suivi. Pourtant s’ils l’avaient fait, étant donné que l’autre parti ne prenait aucune disposition de défense, ils auraient été vainqueurs. Mais, tristes et dolents, ils s’en allèrent dans les maisons de leurs familles. Leurs ennemis s’enhardirent et les chassèrent de la ville. Qui se retira à Ostina, qui aux Stinche – dans des possessions à eux75 –, beaucoup allèrent à Sienne, parce que les Siennois leur donnèrent bon espoir de les réconcilier avec leurs ennemis. Et c’est ainsi que le temps passa, mais la réconciliation ne vint pas, et ils furent considérés par tout le monde comme des lâches.
III, 9. Consternation des citoyens. Les chefs du parti noir vont à Pérouse présenter leurs excuses au Pape. Mort de Benoît XI (1304, juin-juillet)
41À Florence, les citoyens restèrent anéantis, consternés par cet incendie catastrophique. Le fait est qu’ils n’osaient se plaindre de ceux qui l’avaient allumé, étant donné que c’étaient ceux-là mêmes qui, de manière tyrannique, tenaient entre leurs mains le gouvernement. Il est vrai que ceux qui gouvernaient perdirent eux-mêmes quantité de choses.
42Ceux qui avaient la haute main sur les gouvernants, certains qu’ils allaient être vitupérés auprès du Saint-Père76, décidèrent d’aller à Pérouse où se trouvait la Cour77. S’y rendirent messire Corso Donati, messire Rosso dalla Tosa, messire Pazzino de’ Pazzi, messire Geri Spini et messire Betto Brunelleschi, avec quelques Lucquois et Siennois. Avec des paroles déguisées, avec de l’argent et avec la puissance de leurs amis, ils croyaient pouvoir effacer l’outrage fait au cardinal légat et pacificateur en Toscane, ainsi que la grande infamie de cet incendie qu’ils avaient allumé dans la ville avec une très grande férocité. Ils arrivèrent à la Cour, où ils se mirent à répandre cette semence qu’ils avaient apportée avec eux78.
43Le 22 juillet 1304 mourut à Pérouse le pape Benoît XI, par un poison mis dans des figues fraîches qui lui furent envoyées79.
III, 10. Audacieux projet des exilés pour rentrer à Florence, et son échec par la faute de Baschiera (juillet 1304)
44Alors que ceux qu’on a cités se trouvaient à Pérouse, parmi les exilés florentins se fit jour un projet courageux. Ils convoquèrent en cachette tous ceux qui étaient de cœur avec eux80 : tous devaient se retrouver un jour donné, armés, en un certain lieu. Et les démarches qu’ils firent pour cela furent si secrètes que ceux qui étaient restés dans Florence n’en surent rien. Une fois que tout fut au point, ils se trouvèrent rapidement à la Lastra, à deux milles seulement de Florence, avec mille deux cents hommes d’armes à cheval, vêtus de surcots blancs. Il y eut aussi des Bolonais, des Romagnols, des Arétins, et d’autres amis à eux, à cheval et à pied81.
45La clameur fut grande dans la ville. Les Noirs craignaient fortement leurs adversaires, et commençaient à parler avec humilité. Beaucoup allèrent se cacher dans les monastères, et beaucoup s’habillaient en religieux par peur de leurs ennemis ; car ils n’avaient d’autre protection, n’étant pas préparés.
46Les Blancs et Gibelins se trouvant à la Lastra, beaucoup de leurs amis de la ville allèrent une nuit les inciter à venir au plus vite. On était en juillet, le jour de sainte Marie Madeleine, le 2182, et il faisait très chaud. Ceux qui devaient y être n’étaient pas encore tous là, aussi les premiers qui arrivèrent se découvrirent-ils deux jours trop tôt.
47Messire Tolosato degli Uberti avec les gens de Pistoia n’était pas encore arrivé, car ce n’était pas le jour convenu. Les Cavalcanti, les Gherardini, les Lucardesi, les Scolari du Val di Pesa n’étaient pas encore descendus83. Mais Baschiera, qui était en quelque sorte leur capitaine, dominé davantage par son désir que par sa raison comme le sont les jeunes gens, se voyant entouré d’une belle troupe et très sollicité, crut remporter le prix de la victoire et descendit vers la ville avec ses cavaliers, dès lors qu’ils se voyaient découverts. Et c’était ce qu’il ne fallait pas faire, car la nuit leur eût été plus propice que le jour, aussi bien pour éviter la chaleur de la journée que parce que leurs amis seraient allés à eux la nuit, depuis l’intérieur de la ville84 ; mais également parce qu’ils ne respectèrent pas la date fixée avec leurs amis, lesquels ne se découvrirent pas car ce n’était pas l’heure convenue.
48Ils passèrent par San Gallo et85, dans Cafaggio del Vescovo86, ils formèrent leurs rangs, près de San Marco, les enseignes blanches déployées, des guirlandes d’olivier à la main, leurs épées dégainées, au cri de « paix » et sans commettre la moindre violence ni le moindre pillage contre quiconque. Ce fut un beau spectacle de les voir, ainsi alignés, portant le signe de la paix. Il faisait très chaud, à tel point que l’air semblait embrasé. Leurs éclaireurs à pied et à cheval s’avancèrent dans la ville et vinrent jusqu’à la porte degli Spadai87, car Baschiera croyait que des amis s’y trouveraient et qu’ils pourraient entrer par là sans rencontrer d’opposition. Aussi ne vinrent-ils pas équipés, avec haches et outils pour avoir raison de la porte. Les barricades du faubourg leur opposèrent résistance. Ils les forcèrent néanmoins, blessèrent et tuèrent de nombreux hommes des Gangalandi88 qui gardaient cet endroit. Ils arrivèrent à la porte, et par le portillon beaucoup entrèrent dans la ville. Ceux de l’intérieur qui avaient promis leur aide ne respectèrent pas leurs engagements, tels les Pazzi, les Magalotti et messire Lambertuccio Frescobaldi89, indignés contre les leurs, qui à cause d’outrages et d’affronts reçus, qui à cause de l’incendie allumé dans la ville, qui pour d’autres offenses subies. Au contraire, ils se retournèrent contre eux pour montrer qu’ils n’étaient coupables de rien ; ils s’efforçaient même plus que les autres de les repousser ; ils vinrent à Santa Reparata tirant sur eux des carreaux avec des arbalètes à cric90.
49Mais rien n’y faisait, s’il n’y avait eu un incendie qui fut allumé dans un palais à côté de la porte de la ville. Aussi ceux qui avaient déjà pénétré dans la ville craignirent-ils d’être trahis, et firent demi-tour. Ils emportèrent avec eux le portillon de la porte et rejoignirent le gros de la troupe qui n’avait pas bougé, cependant que le feu redoublait d’intensité.
50De là où il était, Baschiera apprit que ceux qui devaient lui donner leur appui lui opposaient résistance ; c’est pourquoi il fit tourner bride et se retira. Leur espérance et leur allégresse se changèrent en pleurs91 ; car leurs adversaires, de vaincus d’avance qu’ils étaient devinrent vainqueurs, et s’enhardirent comme des lions, les poursuivant pour les harceler, avec beaucoup de prudence toutefois. Les fantassins, abattus par la grande chaleur, s’engouffraient dans les vignes et dans les maisons pour se cacher, et beaucoup, à bout de souffle, en moururent92.
51Baschiera envahit le monastère de San Domenico et par la force en fit sortir deux de ses nièces, qui étaient très riches, pour les emmener avec lui. Aussi Dieu l’en a-t-il puni93.
52Dans la maison de Carlettino de’ Pazzi s’arrêtèrent de nombreux gentilshommes afin de rassembler les leurs et d’infliger des dommages à leurs ennemis qu’ils avaient jusque-là harcelés ; mais ils ne les pourchassèrent plus94.
53Non loin de la ville, les autres rencontrèrent messire Tolosato degli Uberti qui, avec les gens de Pistoia, venait pour se trouver là le jour dit. Il voulut leur faire tourner bride, mais ne le put. Aussi est-ce avec une grande douleur qu’il s’en retourna à Pistoia. Et il se rendit bien compte que la fougue juvénile de Baschiera lui avait fait perdre la ville.
54Bien des exilés qu’on trouva cachés dans la ville furent alors tués. On acheva beaucoup de malheureux blessés, qu’on arracha même des hôpitaux. De nombreux Bolonais et Arétins furent capturés, et tous pendus. Mais certains pleins de malice, dès le jour suivant, firent courir une fausse rumeur disant que messire Corso Donati et messire Cante de’Gabrielli da Gubbio avaient pris Arezzo grâce à une trahison95 : leurs ennemis en furent si effrayés qu’ils perdirent toute vigueur et ne se risquèrent plus à faire mouvement.
III, 11. Jugements et observations sur cette tentative des exilés.
55Et c’est ainsi qu’à cause d’une regrettable erreur on perdit la ville reconquise. Beaucoup dirent que s’ils étaient venus par n’importe quelle autre porte ils se seraient emparés de la ville. Il n’y avait en effet aucun défenseur, sinon quelques jeunes gens, lesquels ne seraient pas allés jusqu’à mettre leur vie en péril, comme le fit au contraire Gherarduccio de messire Bondalmonte, qui les poursuivit tellement que l’un des fuyards se retourna et l’attendit, pointa sa lance contre lui et le jeta à terre.
56Le projet des exilés fut bien pensé et courageux, mais leur assaut fut insensé96, car trop soudain et lancé avant le jour convenu. Les Arétins emportèrent avec eux un bout du portillon en bois, et les Bolonais aussi ; à la grande honte des Noirs.
57Bien souvent, le temps met à l’épreuve ces hommes qui ne sont grands que selon leurs propres déclarations et non par leur vertu. On le vit bien ce jour-là où les Blancs attaquèrent la ville, car de nombreux citoyens changèrent de langage, d’habitudes et de manières. Ceux-là mêmes qui d’ordinaire s’exprimaient avec le plus d’arrogance contre les exilés changèrent alors de discours, disant sur les places et autres lieux publics qu’il convenait de leur faire retrouver leurs maisons. Mais c’était davantage la peur qui leur faisait dire cela que la bonne volonté ou la raison. Et beaucoup cherchèrent refuge chez les religieux, non par humilité mais par une affreuse et misérable lâcheté, croyant que la ville était perdue. Mais une fois que les Blancs furent partis, ils se remirent à tenir le langage précédent, inique, violent et mensonger.
III, 12. Élection du nouveau souverain pontife, français, avec le nom de Clément V ; son couronnement ; ses relations avec le roi de France (1305, juin-novembre…)
58La justice divine97, laquelle bien souvent punit en secret, ôtant les bons pasteurs aux mauvais peuples qui n’en sont pas dignes, et ne leur donnant que ce que mérite leur malignité, leur ôta le pape Benoît. Selon le vœu du roi de France et à l’instigation des Colonna, les cardinaux élurent messire Raymond de Got, archevêque de Bordeaux en Gascogne, en juin 1305, lequel prit le nom de Clément V98. Celui-ci ne quitta pas l’autre côté des monts et ne vint pas à Rome, mais fut consacré à Lyon sur Rhône99. On dit qu’au moment de sa consécration, il y eut un effondrement là où il se trouvait et que la couronne tomba de sa tête100, et que le roi de France ne voulait pas le laisser partir. Il créa plusieurs cardinaux français à la demande du roi de France101, prit des dispositions de dîmes en sa faveur102, et accepta d’autres choses encore. Mais, bien que sommé de déclarer publiquement le pape Boniface hérétique, jamais il n’accepta.
III, 13. Les Noirs, qui avaient déjà essayé de s’emparer de Pistoia par l’intermédiaire du cardinal de Prato, jettent de nouveau leur dévolu sur elle et y mettent le siège (1305,… mai)
59Le cardinal Niccolao de Prato, lequel avait grandement favorisé son élection, avait toute sa faveur. Ayant été légat en Toscane, il avait eu pouvoir, comme on l’a dit, par les gens de Pistoia de nommer leurs fonctionnaires de Seigneurie pendant une durée de quatre années103, afin qu’il pût obtenir pour la mise en œuvre de la paix ce qu’on attendait de cette ville104. Et cela pour la raison que ceux du parti noir voulaient que les Guelfes exilés105 fussent réadmis à Pistoia, disant : « Nous, nous ne ferons pas la paix tant que Pistoia ne sera pas réformée, parce qu’une fois faite les Gibelins garderaient Pistoia, puisque messire Tolosato en est le maître, et nous serions ainsi bernés. »106 On disait donc que Pistoia était passée à l’Église. Mais la promesse du cardinal107 resta vaine puisqu’il fut chassé de Florence, comme on l’a déjà dit.
60Ayant perdu tout espoir d’obtenir Pistoia de cette manière, les Noirs décidèrent de s’en emparer par la force, et avec l’aide des Lucquois108 ils vinrent y mettre le siège. Ils y établirent une position forte, encerclant la ville de palissades et construisant là de nombreuses bretèches bien garnies de sentinelles.
61La ville était en plaine, toute petite, bien fournie de murailles et de créneaux, avec fortifications et portes de défense, et de grands fossés remplis d’eau, si bien qu’elle ne pouvait être prise par la force. Mais ils s’appliquèrent à l’affamer. Aucun secours en effet ne pouvait lui être apporté. Leurs amis pisans les aidaient bien avec de l’argent mais non avec leurs hommes. Quant aux Bolonais, ils ne leur étaient guère favorables109.
III, 14. Siège de Pistoia (mai 1305-premiers mois de 1306)
62Les Noirs choisirent, pour être leur capitaine de guerre, Robert, duc de Calabre, fils aîné du roi Charles des Pouilles110. Il vint à Florence avec trois cents cavaliers. Et avec les Lucquois ils restèrent au siège de Pistoia pendant un bon bout de temps111, car les hommes de Pistoia, vaillants de leur personne, sortaient souvent de la ville pour tenter des coups de main contre leurs ennemis, accomplissant de grandes prouesses. Ils tuèrent ainsi beaucoup d’hommes venus des campagnes de Florence et de Lucques. Ils défendaient leur ville avec une troupe peu nombreuse car la pauvreté de la cité avait fait partir beaucoup d’hommes112. Ne se doutant pas qu’ils allaient subir un siège, ils n’avaient pas fait provision de vivres ; et une fois que le siège fut mis ils ne purent plus le faire, aussi étaient-ils tenaillés par la faim. Les fonctionnaires chargés de la garde des vivres, sagement, ne les distribuaient qu’en secret113. Les femmes et les hommes peu aptes à combattre, de nuit, traversaient le camp en cachette et allaient chercher des vivres à la Sambuca, et dans d’autres lieux et d’autres châteaux, du côté de Bologne, et parvenaient aisément à les rapporter dans Pistoia. S’en étant aperçus, les Florentins renforcèrent ce côté-là, de sorte qu’on ne pouvait plus en faire entrer beaucoup. Néanmoins, avec de l’argent114 et en cachette, il en rentrait tout de même, jusqu’au moment où le fossé fut bouclé et les bretèches bâties. À la suite de quoi il ne fut plus possible d’en faire entrer, car ceux qui en rapportaient étaient capturés et on leur coupait le nez, et à d’autres les pieds115. Ils en furent si épouvantés que personne ne se risquait plus à faire entrer des vivres dans la ville.
63Les Seigneurs et les dirigeants ne voulaient pas abandonner leur ville, mettant tous leurs espoirs dans la résistance. Les Pisans les aidaient bien avec de l’argent mais pas avec des hommes. Les vivres venant à manquer, messire Tolosato Uberti et Agnolo de messire Guiglielmino116, les officiers de justice, firent sortir de la ville tous les pauvres gens, et les enfants, les veuves, et presque toutes les autres femmes de basse condition117.
64Ah, quelle épreuve insoutenable ce fut pour les citoyens ! voir conduire leurs femmes aux portes de la ville, et les laisser aux mains des ennemis, et voir refermer les portes derrière elles ! Et celles qui dehors n’avaient pas de parents puissants, ou qui ne pouvaient être recueillies au nom de leur condition, étaient déshonorées par les ennemis. Les exilés de Pistoia surtout, reconnaissant les femmes et les enfants de leurs ennemis, en déshonorèrent beaucoup, mais le duc en défendit beaucoup également.
65Sur la demande du cardinal Niccolao de Prato, le nouveau pape Clément V ordonna au duc Robert et aux Florentins de lever le siège de Pistoia118. Le duc obéit et s’en alla. Les Florentins, eux, restèrent et élurent comme capitaine messire Cante de’ Gabrielli da Gubbio119, lequel n’avait aucune pitié pour les citoyens de Pistoia. Ceux-ci, à l’intérieur de la ville, retenaient leurs larmes et ne montraient pas leur douleur, car ils voyaient bien qu’il était nécessaire de se comporter ainsi pour ne pas mourir. Ils déversaient leur fureur contre leurs adversaires. Lorsqu’ils en prenaient un, ils le tuaient sans pitié. Mais le spectacle le plus pitoyable était celui de ces malheureux qu’on mutilait dans le camp : les pieds tranchés, ils étaient placés au bas des murailles, afin que leurs pères, frères ou enfants les voient, sans pouvoir les recueillir ni les aider, car la Seigneurie ne le permettait pas afin que le reste de la population n’en soit pas effaré, de même qu’elle ne les laissait pas voir non plus du haut des murailles par leurs parents et amis. Et voilà comment mouraient les meilleurs citoyens de Pistoia, mutilés par leurs ennemis et ensuite repoussés vers leur ville martyrisée et affligée.
66Sodome et Gomorrhe, et les autres villes, quand elles furent englouties ensemble et que moururent leurs habitants, connurent un sort bien meilleur que celui des gens de Pistoia qui mouraient dans des souffrances aussi atroces. Avec quelle force s’abattit sur eux la colère de Dieu ! Mais quels et combien pouvaient être leurs péchés pour mériter un châtiment aussi violent120 ?
67Ceux qui tenaient le siège, dehors, le supportaient très mal à cause du mauvais temps, du terrain défavorable et des frais élevés qu’ils avaient à charge. Ils imposaient alors lourdement leurs concitoyens, et dépouillaient les Gibelins et les Blancs de leur argent, de sorte que beaucoup en furent ruinés. Pour obtenir de l’argent ils mirent au point un moyen très subtil, à savoir une taille imposée aux citoyens qu’on appela la Scie121. Ils taxaient les Gibelins et les Blancs à tant par tête et par jour : qui trois lires, qui deux, qui une seule, selon qu’ils leur semblaient pouvoir le supporter. Et la taille pesait aussi bien sur ceux qui étaient en relégation que sur ceux qui étaient dans la ville. En outre tous les pères d’enfants en âge de porter les armes furent soumis à une certaine taille si dans les vingt jours leurs fils ne se présentaient pas au service militaire. La ville les y envoyait par sextiers, et par détachements relevés tous les vingt jours. Les Florentins et les Lucquois finirent par ruiner beaucoup des leurs, parmi ceux qui venaient de la campagne, en les gardant sans solde, car ils étaient pauvres et il leur fallait rester en armes122 au siège de Pistoia.
68Ceux qui gouvernaient Pistoia, au courant pour les vivres, continuaient à garder le secret123, et, aux étrangers qui portaient les armes au service de la ville, ils en distribuaient en quantité suffisante, ainsi qu’aux autres hommes utiles à la défense, eu égard à ce qu’il leur fallait, car on voyait venir le moment où on allait mourir de faim.
69Ceux qui connaissaient la pénurie des vivres étaient face à des choix difficiles. Leur idée était de tenir jusqu’à la dernière extrémité avant de dire la vérité à la population et de faire armer tout le monde, puis de se jeter sur les ennemis, le fer à la main et avec l’énergie du désespoir. Et alors « Soit nous mourrons pour rien124 – disaient-ils –, soit peut-être nos ennemis perdront courage, iront se terrer et choisiront la fuite ou d’autres vils partis ». Et c’est ce qu’ils décidèrent de faire quand ils verraient approcher l’épuisement des provisions, donc sans abandonner tout espoir de salut.
III, 15. Les amis de Pistoia implorent auprès du Souverain Pontife l’envoi d’un cardinal légat en Toscane : Napoleone Orsini. Cela décide les Noirs à traiter avec la ville. Réduite aux dernières extrémités, elle se rend sous conditions. Des conditions qui ensuite ne seront pas respectées. Colère du légat, qui s’en va à Bologne (1306,…-avril)
70Les gens de Pistoia firent connaître leur misère au cardinal de Prato, ainsi qu’à d’autres de leurs amis qu’ils avaient à l’extérieur, lesquels s’employaient secrètement en leur faveur. Ceux-ci firent tant et si bien qu’à la cour du Pape fut élu légat en Toscane et dans le patriarcat d’Aquilée messire le cardinal Napoleone Orsini125. Et cela dans le but de secourir Pistoia, qui était terre d’Église126. Le cardinal partit aussitôt et en quelques jours arriva en Lombardie.
71Dieu glorieux, qui frappe et châtie les pécheurs sans les réduire entièrement, fut pris de pitié et inspira dans le cœur des Florentins la pensée suivante : « Ce seigneur va venir chez nous127 et, une fois arrivé, dira : cette ville est terre d’Église, et il voudra y entrer ; nous en arriverons alors au scandale avec l’Église. » Ils se décidèrent donc à en venir aux accommodements.
72On redoute en effet les choses davantage de loin que de près, car on pense alors à toutes sortes d’éventualités. De même que lorsqu’on édifie une forteresse ou un château, beaucoup éprouvent des craintes pour diverses raisons, mais une fois l’ouvrage achevé, les esprits se rassurent et on n’en a plus peur du tout, de même les Florentins qui de loin eurent peur du cardinal, de près ne se soucièrent plus guère de lui128. On avait pourtant des raisons de le craindre, tant à cause de la puissance de l’Église, que du fait de sa dignité de cardinal, ou parce qu’il était influent à Rome, ou encore à cause de la grande amitié qu’il entretenait avec des Seigneurs et des Communes. Ils eurent donc si peur de sa venue qu’ils décidèrent de chercher un accord de la manière suivante : ils disposaient d’un frère de Santo Spirito, d’autorité et de qualité, qu’ils envoyèrent à Pistoia auprès de messire […] de’ Vergellesi, un des principaux citoyens de la ville, avec lequel il était très ami129. Au cours de leur entretien, le frère lui fit de nombreuses promesses particulières et générales de la part de la Seigneurie de Florence, l’assurant que la ville resterait libre et intacte dans ses beautés, ainsi que leurs châteaux, et que les personnes auraient la vie sauve.
73Lorsque le chevalier entendit cela, il en fit part aux Anciens130, lesquels, mis au courant des paroles du frère et des pouvoirs qu’il avait, conclurent l’accord. Ce ne fut pas néanmoins sans la volonté de Dieu, qui dispose des grandes choses comme des petites et qui ne voulut pas que cette ville fût entièrement détruite. Ô clémence miséricordieuse, à quelle fin extrême les conduisis-tu ! car ils n’avaient de vivres plus que pour une journée, après quoi il aurait fallu révéler à tous les citoyens qu’il ne leur restait plus qu’à mourir de faim. Louée sois-tu de cela, très sainte Majesté, pour l’éternité ! car du pain que mangeaient alors même les citoyens de qualité, les cochons n’en auraient pas voulu131 !
74Une fois l’accord conclu, avant la venue du cardinal, on ouvrit la porte le 10 avril 1306. Et il se trouva quelqu’un qui, après avoir tellement souffert de la faim, mangea jusqu’à en crever.
75Les Noirs de Florence s’emparèrent de la ville, mais ne respectèrent pas les accords qu’ils avaient passés avec eux. Ils furent en effet si pressés par la crainte de devoir la rendre, qu’aussitôt, sans le moindre délai, ils firent tomber ses murailles, qui étaient très belles.
76Le cardinal légat, ayant appris ce qui s’était passé à Pistoia, fut fortement irrité car il se croyait bien capable de remédier lui-même à la situation. Il s’en fut à Bologne où il établit sa résidence132.
III, 16. Situation du parti guelfe de l’autre côté des Apennins après que Giberto da Correggio, Seigneur de Parme, a favorisé (janvier 1306) la rébellion de Reggio et de Modène contre le marquis de Ferrare
77Parme, Reggio et Modène s’étaient révoltées contre le marquis de Ferrare133. À cause de la tyrannie exagérée qu’il exerçait sur elles, Dieu ne put le supporter plus longtemps en place. Et c’est quand il eut atteint les plus hauts sommets qu’il tomba134. Il avait en effet épousé la fille du roi Charles des Pouilles135, et pour que le Roi condescendît à la lui donner, il l’acheta, en dehors de tous les usages, et mit dans sa dot Modène et Reggio. Ses frères et la noblesse citadine s’indignèrent de devoir se soumettre à autrui. En outre, s’ajouta à cela l’inimitié d’un puissant chevalier de Parme, appelé messire Ghiberto, que le Marquis essayait sournoisement de chasser. Mais le chevalier encouragea grandement les citoyens de ces deux villes à se rebeller et, leur fournissant des hommes et des armes, les délivra de leur servitude.
III, 17. Déjà devenue noire (mars 1306), et ayant expulsé les Blancs et les Gibelins, Bologne chasse peu après le légat lui-même. Après avoir en vain rappelé les Bolonais à la raison, celui-ci fait à Arezzo un rassemblement de forces blanches et gibelines, qui finit mal à cause de l’incapacité ou de la malhonnêteté du cardinal. Et c’est le dernier que font les exilés (mai 1306 - juillet 1307)
78Alors que le légat se trouvait à Bologne, il crut pouvoir réconcilier les Bolonais qui avaient renversé leur gouvernement et chassé leurs ennemis hors de la ville136. Avec de l’argent et des pressions, les Florentins firent tant et si bien qu’il fut accusé d’intrigue et de trahison137. Et c’est de façon misérable et honteuse qu’on le chassa de Bologne, même un de ses chapelains fut alors tué138. Il se rendit en Romagne pour entrer à Forlì ; les Florentins l’en empêchèrent. Il s’en alla à Arezzo, et par des lettres et des ambassades il tenta de les fléchir, mais n’y réussit pas139.
79À Arezzo où il se trouvait, le cardinal rassembla une troupe nombreuse, et il y fortifia sa position, car il apprit que les Noirs de Florence allaient venir attaquer la ville. Vinrent à son aide, depuis les Marches, le Marquis et de nombreux gentilshommes de là-bas, et beaucoup de Guelfes blancs et de Gibelins de Florence, ainsi qu’un grand nombre de cavaliers depuis Rome et depuis Pise, ou envoyés par différents prélats de Lombardie140. Au total on estimait qu’il y avait là deux mille quatre cents cavaliers d’élite.
80Les Noirs de Florence y allèrent, mais avec beaucoup de circonspection. Ils ne s’approchèrent pas d’Arezzo toutefois : ils prirent la direction de Sienne, puis contournèrent une montagne avant d’entrer sur le territoire d’Arezzo, où ils détruisirent plusieurs forteresses des Ubertini. Ils ne descendirent pas dans la plaine141 car les passages pouvaient leur être disputés. Et la bataille ne fut pas engagée, car les Noirs la redoutaient fortement. Leurs ennemis, pourtant, exhortaient le cardinal à faire engager la bataille, en lui montrant qu’ils avaient un large avantage et que la victoire était certaine. Le cardinal n’y consentit jamais, ni qu’on aille occuper les passages, ou leur arracher leurs vivres au moment de leur retraite. Aussi est-ce sans être nullement menacés ni assaillis que les Noirs s’en retournèrent à Florence142.
81Le cardinal fut fortement blâmé pour les avoir laissés repartir en toute sécurité. Beaucoup dirent qu’il avait fait cela pour de l’argent, ou contre la promesse qu’ils lui auraient faite de lui obéir et de l’honorer ; ou encore que Messire Corso Donati lui aurait promis quatre mille florins contre l’assurance que le cardinal lui donnerait la ville ; et qu’il serait venu dans cette direction-là avec ses troupes pour que les Florentins quittent le champ de bataille, afin d’avoir l’argent sans avoir ensuite à lui donner la ville143.
82Les gens qui étaient venus apporter leur aide au cardinal repartirent inconsolables, car ils voyaient que tout était joué144. Ils avaient dépensé beaucoup dans l’espoir de reconquérir leur propre ville, sans le moindre résultat. Et ils ne se rassemblèrent jamais plus.
III, 18. Abandonné par les Blancs, le cardinal est tourné en dérision par les Noirs qui l’amusent avec de fausses négociations de paix, jusqu’au moment où la légation lui est retirée. Discordes au sein du parti gibelin d’Arezzo (derniers jours de 1307-1308)
83Pour se moquer du cardinal, les Noirs cherchèrent par différents moyens à l’outrager, tout en faisant mine de vouloir lui obéir. Une fois retournés à Florence, ils envoyèrent comme ambassadeurs auprès de lui messire Betto Brunelleschi et messire Geri Spini. Ceux-ci le faisaient virer et tourner à leur guise, lui arrachant des faveurs, et paraissaient les maîtres à sa cour. Les Noirs le poussèrent même à envoyer aux Seigneurs un certain frère Ubertino145, mais ils émettaient tant de réserves et objectaient tant de prétextes sur un point ou sur un autre, que le frère et le cardinal attendirent les nouveaux Seigneurs, espérant qu’ils leur seraient plus favorables.
84Certains disaient que le légat considérait les Noirs comme des hommes justes et qu’il assurait à ses amis que la paix allait se faire. Jamais une femme ne se laissa à ce point séduire puis outrager par des ruffians comme il le fut par ces deux chevaliers. Et on dit alors du plus jeune des deux qu’il menait l’affaire plus finement, en amusant le cardinal par de belles paroles, dans la poursuite des pourparlers de paix qui traînèrent en longueur un bon bout de temps à cause de ses discours146.
85Finalement, du fait du discrédit jeté sur lui à la cour, le cardinal fut démis de sa légation, et c’est avec bien peu d’honneurs qu’il rentra à Rome.
86Les gens de bon sens se rendirent compte que les ambassadeurs ne se trouvaient à Arezzo que pour susciter le scandale parmi les Arétins. Et Uguccione da Faggiuola avec les Magalotti et un grand nombre de nobles, semèrent une telle discorde dans Arezzo que c’est comme ennemis qu’étaient regardés les Gibelins au pouvoir. Par la suite, néanmoins, le calme revint147.
III, 19. Les discordes parmi les Noirs florentins se rallument : entre la faction de Corso Donati et celle de Rosso dalla Tosa. Corso s’apprête à passer à l’attaque (1308,… octobre)
87Comme le ver naît dans le fruit sain, de même toutes les choses créées pour avoir une fin doivent par force porter en elles la cause de leur propre fin148. Entre les Guelfes noirs de Florence, à cause de l’envie et de la cupidité149, naquit une fois de plus un grand scandale. Le fait est que messire Corso Donati, considérant avoir le plus contribué à reconquérir la ville150, estimait n’avoir reçu qu’une part infime, autant dire rien, des honneurs et des profits qu’ils rapportaient. Messire Rosso della Tosa, messire Pazzino de’ Pazzi, messire Betto Brunelleschi et messire Geri Spini, avec leurs partisans au sein du Peuple151, prenaient les honneurs, favorisaient leurs amis, rendaient leurs verdicts et accordaient leurs grâces152 ; et de la sorte ils l’avaient abaissé. Ils excitèrent ainsi une grande animosité contre eux-mêmes, qui s’accrut au point de se transformer en une haine ouverte.
88Messire Pazzino de’ Pazzi fit un jour arrêter messire Corso Donati, pour le motif qu’il lui devait de l’argent. De nombreux propos injurieux étaient échangés, car on voulait la Seigneurie sans lui. Messire Corso était en fait un personnage d’une telle ambition et de si grande envergure qu’ils avaient peur de lui, et pensaient qu’on ne pouvait lui donner suffisamment pour satisfaire son appétit153.
89Dès lors messire Corso rassembla autour de lui des gens de diverses provenances. Il eut avec lui une bonne partie des grands, parce qu’ils haïssaient les membres du Peuple, à cause des sévères Ordonnances de la justice qu’ils avaient faites contre eux154 et qu’il leur promettait d’abroger. Il rassembla nombre de ceux qui espéraient s’élever tellement à ses côtés qu’ils pourraient entrer à la Seigneurie, et beaucoup d’entre eux par de belles paroles qu’il colorait fort bien155, en disant partout en ville : « Ceux-là s’approprient tous les honneurs ; et nous autres, qui sommes des gentilshommes puissants, vivons ici comme des étrangers ; ceux-là disposent des mercenaires156, dont ils se font escorter ; ils ont de leur côté les prétendus gens du Peuple157, et ils se partagent le trésor dont nous, en tant que plus Grands qu’eux, devrions être les maîtres. » Et de même il attira à lui quantité de ses adversaires158, qu’il amena à ses vues : dont les Medici et les Bordoni, qui d’ordinaire lui étaient contraires et soutenaient messire Rosso della Tosa.
90Une fois qu’il eut rassemblé de nouveau autour de lui bon nombre de conjurés, ceux-ci se mirent à prendre la parole avec une audace plus grande, sur la place publique comme dans les conseils. Et si quelqu’un venait à s’opposer à eux, ils lui montraient un visage ennemi. Le torchon brûla à tel point que, par décision des conjurés, les Medici et les Bordoni, ainsi que d’autres qui furent chargés de cela, agressèrent Scambrilla pour le tuer, et le blessèrent au visage en plusieurs endroits159. Sur quoi leurs adversaires estimèrent que cela avait été fait pour les provoquer. Ils lui rendirent visite souvent et lui prodiguèrent quantité de paroles réconfortantes. Une fois qu’il fut guéri, ils lui donnèrent des gardes du corps aux frais de la commune et l’incitèrent à se venger férocement de ce qu’on lui avait fait. Ce Scambrilla était puissant aussi bien physiquement que par l’amitié de ceux qu’il suivait ; ce n’était pas un homme de haute condition, car il avait été soldat.
91La haine croissant avec les paroles d’orgueil qu’on s’échangeait, on se mit de part et d’autre à faire venir des troupes et des amis. Les Bordoni pouvaient compter sur beaucoup de gens de Carmignano, de Pistoia, du Monte di Sotto, et sur Taio de messire Ridolfo et les hommes de sa famille et de son parti, personnage important de Prato, si important qu’il apporta aux conjurés une aide précieuse160.
92Messire Corso avait fortement excité l’indignation des Lucquois161, en leur faisant voir les tristes œuvres de ses adversaires et les moyens qu’ils utilisaient, ce que, vrai ou pas, il savait fort bien présenter à sa façon. Une fois de retour à Florence162, il décida qu’un jour déterminé tous les conjurés devraient être en armes et se rendre au palais des Seigneurs pour réclamer à tout prix un autre gouvernement pour Florence, de sorte que par de telles paroles on en vienne à l’affrontement.
III, 20. Le parti de Rosso se soulève. La Seigneurie fait citer les Donati et les Bordoni, et prononce leur bannissement. Ils organisent la résistance et sont attaqués. Leur fuite (6 octobre 1308)
93Messire Rosso et ses partisans eurent vent des levées de troupes, et des propos tenus, ainsi que des préparatifs de combat. Très en colère, ils s’enflammèrent dans leurs propos à tel point qu’ils ne purent s’empêcher d’en venir au soulèvement. Et un dimanche matin, ils allèrent trouver les Seigneurs. Ceux-ci réunirent le Conseil, firent prendre les armes et citèrent en justice messire Corso et ses fils ainsi que les Bordoni163. La citation et la publication de l’accusation furent faites en même temps, et ils furent aussitôt condamnés. Le jour même, dans un soulèvement populaire, la force publique se rendit aux maisons de messire Corso. Celui-ci fit dresser des barricades sur la place de San Pier Maggiore164, qu’il renforça de nombreux gardes. Et les Bordoni accoururent sur les lieux énergiquement, avec une escorte nombreuse, et des bannières peintes à leurs armes165. Messire Corso souffrait d’une forte crise de goutte et n’était pas en état de se battre, mais de la parole il exhortait ses amis, louant et encourageant ceux qui se comportaient vaillamment. Des gens il en avait peu, car ce n’était pas le jour convenu166.
94Les assaillants étaient nombreux, car il y avait tous les gonfalons du Peuple167, avec les soldats et avec les mercenaires catalans contre les barricades, venus avec les balistes, les pierres et le feu. Les quelques hommes de messire Corso se défendaient vigoureusement, armés de lances, de balistes et de pierres, en attendant que ceux de la conjuration viennent à leur secours : il devait y avoir les Bardi, les Rossi, les Frescobaldi et presque tout le sextier d’Oltrarno, les Tornaquinci168, les Bondalmonti, sauf messire Gherardo. Mais personne ne bougea, ni fit mine de vouloir bouger. Messire Corso, voyant que la défense n’était pas possible, décida de s’en aller. Les barricades tombèrent ; ses amis prenaient la fuite à travers les maisons et beaucoup, alors qu’ils étaient de son côté, déclaraient qu’ils étaient contre lui.
95Messire Rosso, messire Pazzino, messire Geri et Pinaccio169, ainsi que beaucoup d’autres, se battaient vigoureusement, à pied et à cheval. Piero et messire Guiglielmino Spini, un jeune homme récemment fait chevalier, armé à la catalane170, et Boccaccio Adimari et ses fils avec quelques-uns de ses parents, rattrapèrent, au bout d’une âpre poursuite, Gherardo Bordoni, à la Croce a Gorgo. Ils l’assaillirent et il tomba à terre à plat ventre. Ils descendirent alors de cheval et l’achevèrent ; et le fils de Boccaccio lui coupa une main et l’emporta chez lui. Certains l’en blâmèrent ; il répondit qu’il faisait cela parce que Gherardo avait agi contre eux à la demande de Tedice Adimari, leur parent et beau-frère du Gherardo en question171. Ses frères en réchappèrent, et son père trouva refuge dans la maison des Tornaquinci, car il était âgé172.
III, 21. Mort de Corso Donati. Ses qualités (6 octobre 1308…)
96Malade de la goutte, messire Corso s’enfuyait vers l’abbaye de San Salvi, maintenant qu’il avait commis et fait commettre tant de méfaits173. Les mercenaires catalans le capturèrent et le reconnurent ; ils voulaient l’emmener mais il se défendait avec de belles paroles, en chevalier intelligent qu’il était. Entre temps survint un jeune homme, beau-frère du maréchal174. Incité par d’autres à le tuer, il ne voulait pas le faire ; mais alors qu’il faisait demi-tour, on l’y renvoya ; et la deuxième fois il le frappa avec une lance catalane à la gorge, et lui donna un autre coup dans le côté. Messire Corso tomba alors à terre. Quelques moines l’emportèrent dans l’abbaye, et c’est là qu’il mourut, le […] septembre 1307, et fut enterré175.
97Les gens commencèrent à trouver le repos, et on commenta beaucoup sa mort tragique, de différentes façons selon l’amitié ou l’inimitié qu’on avait pour lui. Mais à vrai dire, si sa vie ne fut que menace176, sa mort fut condamnable. Il fut un chevalier de grande ambition177 et de grand renom, noble par le sang et les manières, très beau de sa personne jusqu’à son vieil âge, bien fait avec des traits délicats, le teint clair178. Orateur agréable, intelligent et au style fleuri, il ne se consacrait qu’à de grandes choses. Il frayait avec de grands seigneurs et gentilshommes, avec lesquels il était très lié, bénéficiait de puissantes amitiés et était célèbre à travers toute l’Italie. Ennemi des régimes populaires et des citoyens du Peuple, aimé de ses sbires, il était rempli de pensées malignes, criminel et rusé. Il fut tué par un soldat étranger de cette façon ignoble. Et sa famille sut parfaitement qui fut le meurtrier, car tout aussitôt ce soldat fut éloigné par les siens179. Ceux qui le firent tuer furent messire Rosso della Tosa et messire Pazzino de’ Pazzi, ce que tout le monde disait communément. Certains les en bénissaient, d’autres pas, bien au contraire. Beaucoup crurent que c’étaient ces deux chevaliers-là qui l’avaient tué ; et moi, voulant retrouver la vérité, je m’appliquai à la chercher et découvris que non, tout s’était bien passé comme je l’ai dit180.
III, 22. Les relations qu’entretenait à ce moment-là la commune de Florence avec l’Église. Sanctions spirituelles contre la ville. Élection d’un nouvel évêque et manigances des Noirs pour cette nomination (… - été 1309)
98Mère des chrétiens lorsque les pasteurs criminels ne la font pas s’abîmer dans l’erreur, alors tombée bien bas en raison de la diminution du respect que lui témoignaient ses fidèles181, la sainte Église de Rome cita les Florentins en justice, ouvrit un procès en excommunication, et prononça contre eux la sentence. Elle excommunia leurs magistrats, lança l’interdit contre la ville182 et priva son clergé séculier des offices divins. Les Florentins envoyèrent des ambassadeurs auprès du Pape183.
99L’évêque Lottieri dalla Tosa mourut. Et c’est par simonie que quelqu’un d’autre fut appelé à cette charge : de basse naissance, ardent partisan guelfe, et très populaire, mais non pas de sainte vie184. Le Pape en fut fortement blâmé, et à grand tort car les mauvais pasteurs sont quelquefois concédés par Dieu, dit le philosophe, pour punir les péchés des hommes185. On intrigua beaucoup à la cour, à coups de promesses et de deniers : l’un obtint les voix, et l’autre l’argent, mais lui, il obtint l’évêché. C’est à un chanoine que les membres du chapitre accordèrent leurs suffrages pour le faire évêque. Messire Rosso et les autres Noirs, parce qu’il était de leur côté, lui donnaient leur appui, pensant le diriger à leur gré. Il se rendit à la cour, et dépensa beaucoup d’argent, mais n’obtint pas l’évêché186.
III, 23. L’Empire étant vacant, l’Église, afin de se débarrasser de l’emprise du roi de France, et du discrédit ainsi jeté sur elle, favorise l’élection d’un bon empereur. Est élu Henri comte de Luxembourg (… - 27 novembre 1308)
100L’Empire était vacant depuis la mort de Frédéric II187. Ceux qui penchaient pour le parti de l’Empire étaient tenus sous un joug pesant188 et avaient presque disparu de Toscane et de Sicile189 ; les pouvoirs avaient changé de mains, la renommée de l’Empire et jusqu’à son souvenir étaient pour ainsi dire éteints. C’est alors que l’Empereur du ciel pourvut à tout cela en suggérant à l’esprit du Pape et de ses cardinaux de constater combien le bras de la sainte Église était devenu impuissant, au point que ses fidèles ne lui obéissaient pour ainsi dire plus190.
101Ayant été à l’origine de la mort du pape Boniface191, le roi de France avait plus d’orgueil que jamais : il estimait sa force redoutée par tout le monde ; il faisait élire les cardinaux à son gré en usant de la peur ; il réclamait que la dépouille du pape Boniface fût brûlée et qu’il fût déclaré hérétique ; il retenait le Pape presque de force ; il faisait la guerre aux juifs pour les dépouiller de leur argent à son profit192 ; il faisait accuser les Templiers d’hérésie et usait envers eux de la menace193 ; et il abaissait l’honneur de la sainte Église, si bien que, toutes ces choses ayant retourné les idées des gens, l’Église ne recevait plus obéissance. Comme elle n’avait plus ni bras ni défenseur, le Pape et les cardinaux eurent l’idée de créer un empereur, un homme qui fût juste, sage et puissant, fils de la sainte Église194, amant de la foi. Cherchant donc qui pût être digne d’un si grand honneur, ils trouvèrent195 quelqu’un qui était demeuré longtemps à la cour, un homme sage, de sang noble, juste et renommé, d’une grande loyauté, valeureux au combat et d’une noble lignée, un homme d’une grande intelligence et de grande tempérance : Henri comte de Luxembourg, de la Vallée du Rhin en Allemagne, âgé de quarante ans, de taille moyenne, à la parole facile et beau de sa personne, même s’il louchait un peu.
102Ce comte avait été à la cour, dans le but de favoriser l’obtention d’un grand archevêché d’Allemagne pour son frère. Une fois ce bénéfice acquis, il s’en alla196. Cet archevêché comportait l’une des sept voix de l’élection à l’Empire197. Les autres voix, par la volonté de Dieu, s’accordèrent avec elle et il fut élu empereur198. Et la longue vacance de l’Empire fit qu’il n’accorda pour ainsi dire aucune importance à la seule possibilité d’être roi.
III, 24. Bien que les Florentins le lui aient déconseillé, Henri descend en Italie, et s’approche de Milan (novembre 1308 - décembre 1310)
103Le cardinal de Prato, qui avait déjà grandement favorisé son élection en pensant aider ses propres amis et punir ennemis et adversaires199, abandonna tout autre souci, jugé de moindre importance, pour s’employer à son ascension. Son élection se fit le 16 juillet 1309, avec confirmation et émission des lettres cachetées la même année200. Une fois élu et confirmé, il franchit les montagnes, tel le seigneur loyal qu’il était, désireux de respecter son serment, car il avait promis et juré de venir prochainement au mois d’août pour le couronnement201. Au cours du premier conseil, il reçut offense des Florentins, car c’est sur leurs instances que l’archevêque de Mayence lui conseillait de ne pas descendre en Italie, disant qu’il lui suffisait d’être roi d’Allemagne, le mettant fortement en garde contre le danger d’une telle expédition.
104Dieu tout-puissant, gardien et guide des princes, voulut que sa venue servît à abattre et à châtier les tyrans de Lombardie et de Toscane, jusqu’à ce que toute tyrannie fût éteinte202. L’Empereur arrêta sa décision de respecter sa promesse, tel un grand seigneur qui tenait beaucoup à la parole donnée. Et avec peu de cavaliers il franchit les montagnes, traversant les terres du comte de Savoie, sans armée203 car la région était sûre ; si bien qu’à la date promise, il fut à Asti204. Et là il rassembla des troupes, prit les armes et harangua ses cavaliers. Puis il vint vers le Sud, descendant d’une ville à l’autre, répandant la paix comme un ange divin, recevant les actes de soumission jusqu’aux environs de Milan205 ; mais il reçut une forte opposition du roi Robert qui était en Lombardie206.
III, 25. En route vers Pavie, Henri est poussé par Matteo Visconti à prendre la direction de Milan, ce qui n’enchante guère Guido della Torre (décembre 1310)
105L’Empereur était arrivé à un carrefour de deux routes, dont l’une menait à Milan, l’autre à Pavie, quand un noble chevalier appelé messire Maffeo Visconti de Milan leva la main et lui dit : « Seigneur, cette main peut te donner ou t’enlever Milan. Viens à Milan, où se trouvent mes amis, car personne ne peut nous l’enlever. Si tu vas vers Pavie, tu perds Milan. »207 Messire Maffeo avait été banni de Milan, et il commandait presque toute la Lombardie208. C’était un homme plus capable et plus rusé que loyal. À Milan était alors capitaine et Seigneur messire Guidotto dalla Torre, un seigneur loyal mais non pas aussi capable209. Les Dalla Torre étaient des gentilshommes, et d’ancienne souche ; et dans leurs armoiries ils portaient une tour dans la moitié droite de l’écu et de l’autre côté deux lys entrecroisés. Ils étaient ennemis des Visconti.
106Le seigneur envoya à Milan un de ses maréchaux, de la famille des Dalla Torre210, qui adressa à messire Guidotto maintes paroles d’amitié, lui témoignant la bonne volonté de son seigneur. Mais messire Guidotto continuait à redouter sa venue et craignait de perdre la Seigneurie, et pourtant il ne lui semblait pas bon de se défendre en s’engageant dans la guerre. Il fit habiller tous ses soldats d’uniformes blancs avec bande vermeille211 ; et il fit détruire de nombreux ponts jusqu’à une grande distance de la ville. L’Empereur, d’un cœur serein, suivit le conseil de messire Maffeo Visconti et se dirigea vers Milan, laissant Pavie à sa droite.
107Le comte Filippone212, Seigneur de Pavie, se montrait, avec grande bienveillance, prêt à le recevoir et à l’honorer à Pavie. L’Empereur, qui suivait la route de Milan, traversa à gué le Tessin213, et chevaucha sans opposition à travers le district214.
108Les Milanais vinrent à sa rencontre215. Voyant toute la population aller au-devant de lui, messire Guidotto se déplaça lui aussi. Et lorsqu’il fut auprès de lui, il jeta son bâton, mit pied à terre et lui baisa le pied. Comme sous le charme, il fit le contraire de ce qu’il voulait faire216.
III, 26. Henri entre à Milan et rétablit la paix. Son couronnement et sa cour (décembre 1310 - janvier 1311)
109Il fut reçu en grande fête par la population de Milan. Il réconcilia messire Guidotto et messire Maffeo, ainsi que leurs partisans, fit bien d’autres belles choses et tint diverses assemblées217. Il envoya plusieurs lettres en Allemagne, car on l’avait informé que son fils, qui était couronné roi de Bohême, venait de prendre femme, ce qui le ravit beaucoup218.
110Une coutume ancienne voulait que l’Empereur prît sa première couronne à Monza219. Par affection pour les Milanais, et pour ne pas revenir sur ses pas, il prit la couronne de fer220, lui ainsi que sa femme, à Milan dans l’église Sant’Ambrogio, le matin de la fête de Noël, le 25 décembre 1310221. Cette couronne de fer était en métal fin, forgé en forme de feuilles de laurier, polie et luisante comme une épée, sertie de quantité de grosses perles et autres pierres précieuses222.
111Il tint à Milan une grande et somptueuse cour. Et l’Impératrice fit de nombreux dons à ses chevaliers, au matin du 1er janvier 1310223. Il ne voulait pas entendre parler de parti guelfe ou gibelin. Et c’est à tort que l’accusait la fausse rumeur. Les Gibelins disaient : « Il ne veut voir que les Guelfes » ; et les Guelfes disaient : « Il n’accueille que les Gibelins. » Voilà comment on se craignait les uns les autres. Les Guelfes n’allaient plus à lui, mais les Gibelins lui rendaient visite souvent, car ils avaient davantage besoin de lui. Pour avoir supporté tant de lourdes charges au nom de l’Empire, ils pensaient mériter un meilleur rang. Mais la volonté de l’Empereur était on ne peut plus juste, car il les chérissait et les honorait et les uns et les autres, en tant que ses sujets.
112Là, vinrent les gens de Crémone faire acte d’allégeance en pleine assemblée, et d’un cœur sincère ; les Génois aussi, qui lui firent des présents, et par amitié pour eux il mangea en grande fête dans une écuelle d’or224. Le comte Filippone était à sa cour. Messire Manfredi di Beccheria, messire Antonio da Foscieraco Seigneur de Lodi et d’autres seigneurs et barons de Lombardie lui faisaient cortège225. Il ne passait pas sa vie à jouer de la musique, ni à la chasse ni dans les divertissements, mais continuellement en conseils, à établir ses vicaires dans les villes226, et à réconcilier ceux qui s’opposaient.
III, 27. Mécontentement et tumulte à Milan. Expulsion des Torriani, triomphe des Visconti. L’Empereur quitte la ville, la confiant à Matteo Visconti et au vicaire impérial (1311, janvier-avril)
113Les Milanais avaient fixé une certaine somme d’argent à offrir à l’Empereur, et pour la réunir il y eut conflit entre ceux de l’intérieur et les exilés qui étaient rentrés227. Messire Guido avait deux fils, lesquels commençaient à regretter ce que leur père avait fait et prêtaient l’oreille à ceux de leur parti qui s’en plaignaient228. L’Empereur conçut alors le projet suivant : attirer certains parmi les plus puissants d’un parti comme de l’autre et les emmener avec lui, et en reléguer certains autres.
114Les fils de messire Mosca – dont l’un était archevêque –, cousins de messire Guidotto mais devenus ses ennemis par rivalité pour le pouvoir (aussi les retenait-il prisonniers), furent libérés par l’Empereur qui réconcilia tout le monde229. Mais les fils de messire Guidotto ne purent se tenir tranquilles, et un jour, de propos délibéré, ils firent appel à leurs amis. La haine s’étant ranimée, au cours d’un conseil on échangea des paroles injurieuses230, lesquelles s’amplifièrent tant qu’ils prirent les armes et se barricadèrent dans le Guasto des Dalla Torre231. Il y eut un grand désordre ; le maréchal de l’Empereur s’y rendit, [avec] messire Galeazzo, le fils de messire Maffeo Visconti ; et [messire Maffeo] se rendit à pied auprès de l’Empereur232. Le maréchal vint à leur retranchement avec soixante cavaliers, il l’enfonça et mit les gens en fuite.
115Messire Guidotto souffrait de la goutte ; il fut transporté ailleurs. On dit alors qu’il s’était enfui dans les États du Dauphin233. Ses fils trouvèrent refuge dans un château à eux près de Côme, à vingt milles de Milan. Tout ce qu’ils possédaient leur fut volé. C’est ainsi que la fête tourna mal, mais la bienveillance de l’Empereur, elle, resta la même. Il voulut en effet leur pardonner, mais ils ne s’y fièrent pas. Dès lors messire Maffeo Visconti commença à dominer, et les Dalla Torre et leurs amis à décliner234. Le soupçon se fit plus fort encore que la haine235. L’Empereur confia la ville à messire Maffeo, et comme vicaire il laissa sur place messire Niccolò Salimbeni de Sienne, un chevalier capable et énergique, aux belles manières, magnanime et d’une grande libéralité236.
III, 28. Rébellion de Crémone contre l’Empereur, à laquelle prêtent main forte les Noirs de Florence. Henri marche sur Crémone, y pénètre et fait emprisonner les rebelles (1311,… - mai)
116Le grand ennemi, qui jamais ne dort mais toujours sème et récolte237, inspira à la noblesse de Crémone le désir factieux de la révolte : deux frères, fils du marquis Cavalcabò, maîtres de la ville, et messire Sovramonte degli Amati, un sage chevalier, en quelque sorte leur adversaire du fait de la rivalité pour les honneurs, se mirent d’accord à cet effet. Poussés par des lettres envoyées par les Florentins contenant de malignes instigations, ils se soulevèrent contre l’Empereur et chassèrent son vicaire238.
117En apprenant cela, l’Empereur, sans se troubler, tel un homme de grand caractère, les cita à comparaître. Ils ne lui obéirent pas et rompirent leur serment de fidélité239. Les Florentins y envoyèrent aussitôt un ambassadeur afin de ne pas laisser le feu s’éteindre. Celui-ci leur offrit une aide en hommes et en argent ; les gens de Crémone acceptèrent et fortifièrent leur ville.
118L’Empereur marcha sur Crémone. Les ambassadeurs de là-bas se jetèrent à ses pieds, disant qu’ils ne pouvaient supporter les obligations qui leur étaient imposées, qu’ils étaient pauvres et que, pourvu que ce fût sans vicaire, ils acceptaient de lui obéir. L’Empereur ne répondit pas, les gens de Crémone furent informés par des lettres cachetées que, s’ils voulaient être pardonnés, il leur fallait envoyer nombre de citoyens de qualité lui demander sa grâce, car l’Empereur voulait recevoir leurs hommages. Ils en envoyèrent beaucoup, nu-pieds, tête découverte, vêtus d’une simple tunique, la ceinture autour du cou. Et devant lui ils allèrent demander grâce240. Il ne leur parla point, mais, les laissant continuer à implorer son pardon, il poursuivait sa marche vers la ville. Une fois arrivé, il trouva la porte ouverte et fit son entrée ; là, il s’arrêta et porta la main à l’épée, il la tira et les reçut sous sa lame241. Les Grands et puissants242, c’est-à-dire les coupables, et le noble chevalier florentin messire Rinieri Buondalmonti, podestat de la ville, s’en allèrent avant l’arrivée de l’Empereur. Ce podestat y avait été envoyé afin de les encourager à continuer de s’opposer à l’Empereur. Celui-ci fit capturer tous les puissants qui y étaient restés, ainsi que messire Sovramonte qui, par trop grande sagesse ou par trop grande assurance243, n’avait pas pris la fuite. Il fit capturer aussi tous ceux qui étaient allés implorer sa grâce, et les mit tous en prison. Il changea le régime politique de la ville, leva sa condamnation et envoya les prisonniers à Riminingo244.
III, 29. Rébellion et siège de Brescia. Après une longue guerre, Henri obtient la ville sous conditions (1311,… - octobre)
119Tandis que l’Empereur demeurait à Crémone, les gens de Brescia avaient obéi à ses commandements et reçu son vicaire. Messire Tibaldo Brociati et messire Maffeo di Maggio étaient tous deux chefs d’un parti. Messire Maffeo qui était au pouvoir déposa la Seigneurie entre les mains de l’Empereur pour lui prêter obéissance245.
120Messire Tibaldo le trahit, lui qui avait reçu les bienfaits de l’Empereur – car alors qu’auparavant il allait errant à travers la Lombardie, pauvre, avec ses partisans, il fut par lui rétabli dans la ville. En effet, lorsque l’Empereur, depuis Crémone, envoya chercher des chevaliers de Brescia pour le servir, il lui envoya tous ceux, du parti de messire Maffeo, qui lui avaient obéi246. Lorsque l’Empereur s’en aperçut, il demanda nommément à certains de venir, lesquels ne vinrent pas. Il les fit citer à comparaître en leur fixant un délai assorti de peines ; mais malgré tout cela ils ne vinrent pas. L’Empereur, comprenant leur fourberie, sortit de sa résidence accompagné de peu de gens, se fit ceindre de son épée, tourna son visage vers Brescia, mit la main à l’épée, la tira à demi de son fourreau et lança sa malédiction sur la cité de Brescia247. Et il mit la ville de Crémone sous la juridiction d’un nouveau vicaire248.
121Le 12 mai 1311 l’Empereur marcha avec ses troupes sur Brescia, accompagné d’une grande partie des Lombards, de comtes et de seigneurs249. Il y mit le siège, ainsi qu’on le lui conseilla en lui disant qu’elle ne pouvait tenir, n’étant pas ravitaillée, et qu’ils étaient à la fin des provisions de la récolte précédente : « et en voyant le campement dressé ils se rendront vite – lui dit-on – ; mais si tu la laisses, toute la Lombardie sera perdue, et tous ceux qui te sont contraires y feront leur nid ; ce sera là une victoire qui fera peur à tous les autres. »250 Il décida le siège : il fit quérir des maîtres de l’Art, commanda des machines de guerre, des galeries et des caponnières, donnant ainsi de nombreux signes évidents de sa volonté de combattre. La ville était très fortifiée et dotée d’une population valeureuse. Du côté des montagnes il y avait une forteresse, et ces hauteurs étaient à pic ; on ne pouvait leur couper la route de cette forteresse et la ville était capable de résister à toute attaque directe. On demeura à cet endroit une journée, pensant assaillir la forteresse du côté de l’Allemagne ; car une fois la forteresse enlevée, la ville était prise.
122Voulant la secourir, messire Tibaldo s’y rendit. Mais, par la volonté de la justice divine, son cheval trébucha et il fit une chute. Il fut capturé et amené devant l’Empereur qui se félicita de cette prise. Et l’ayant fait juger, il le fit traîner tout autour de la ville sur une peau de bœuf, puis lui fit trancher la tête et le fit écarteler. Quant aux autres prisonniers, il les fit pendre.
123Aussi ceux qui se trouvaient à l’intérieur se mirent-ils à traiter avec cruauté ceux de dehors ; au point que, lorsqu’ils en prenaient un, ils le plaçaient sur les créneaux, afin qu’il fût bien en vue ; et là ils l’écorchaient vif, montrant une grande férocité. Et si c’était un de ceux de l’intérieur qui était pris, il était pendu par ceux de dehors. Ainsi donc, avec tours et balistes, dedans comme dehors, on combattait durement d’un côté comme de l’autre. La ville ne pouvait toutefois être si bien assiégée que n’y pénètrent des espions envoyés par les Florentins qui, par lettres, leur prodiguaient des encouragements, et leur envoyaient de l’argent.
124Un jour, messire Gallerano, le frère de l’Empereur, grand de taille, bien fait de sa personne, chevauchait autour de la ville pour la regarder, sans heaume sur la tête, vêtu d’un pourpoint vermeil. Il fut atteint d’un carreau d’arbalète au cou, de sorte qu’il ne survécut que quelques jours. Il fut paré comme un seigneur ; on le transporta à Vérone, et c’est là qu’il reçut les honneurs de la sépulture251. De nombreux comtes, chevaliers et barons, aussi bien allemands que lombards, y trouvèrent la mort ; beaucoup y tombèrent malades, car le siège dura jusqu’au 18 septembre.
125C’est le 19 septembre 1311 – en fait le lieu où était dressé le camp était malaisé, la chaleur était grande, le ravitaillement venait de loin, et les chevaliers étaient des gentilshommes252 ; quant à ceux de l’intérieur de la ville, beaucoup mouraient de faim et de souffrances, à cause des tours de garde qu’il leur fallait assurer et de leur constant état d’alerte – c’est le 19 septembre 1311 que, par l’intermédiaire de trois cardinaux qui avaient été envoyés par le Pape à l’Empereur, à savoir messire d’Ostie, messire d’Albano et messire dal Fiesco, l’accord se fit entre l’Empereur et les gens de Brescia pour que la ville lui fût donnée, contre le respect des biens et la vie des personnes : ils se rendirent donc aux cardinaux en question253.
126L’Empereur entra dans la ville et respecta les accords conclus254. Il fit abattre les remparts et relégua quelques habitants de Brescia, puis il leva le siège et s’en alla avec beaucoup de ses chevaliers en moins, qui y trouvèrent la mort, tandis que bien d’autres s’en retournèrent chez eux malades255.
III, 30. Henri passe à Pavie et à Gênes, où il reçoit de grands honneurs ; là, meurt son épouse (1311, octobre-décembre)
127L’Empereur quitta Brescia et se rendit à Pavie256, parce qu’une discorde était née entre la famille Beccheria et messire Riccardino, fils du comte Filippone, pour la raison que, lorsque mourut l’évêque de Pavie, chacun d’eux voulait un nouvel élu de son choix257. Et la dispute alla si loin que les Beccheria tuèrent quatre de leurs adversaires. Le vicaire et messire Riccardino se battirent contre les Beccheria, de sorte qu’ils les chassèrent de la ville et leur enlevèrent leurs châteaux à l’extérieur.
128Estimant n’avoir perdu que trop de temps, l’Empereur chevaucha en direction de Gênes, que tenait messire Branca d’Oria ; où il arriva le 21 octobre 1311. Celui-ci le reçut avec les honneurs et lui jura fidélité258.
129Messire Obizzino Spinola, chef de l’autre parti qui était déclaré rebelle, se présenta à lui et, très respectueusement, lui rendit hommage. On estima parmi les sages que la division des deux partis ne l’en honorait que davantage, car ils rivalisèrent d’hommages. Les Génois, en effet, sont par nature particulièrement altiers et superbes, et querelleurs entre eux ; au point que même le roi Charles l’Ancien n’a jamais pu les réconcilier259. Et on n’aurait jamais cru non plus qu’ils lui auraient seulement permis d’entrer, moins encore qu’ils l’auraient accepté comme Seigneur260, vu leur superbe, « car – disait-on – les habitants sont hautains, la côte est montagneuse261, les Allemands sont familiers avec les femmes et les Génois jaloux des leurs : querelle il y aura ».
130Dieu, qui régit et gouverne les princes et les peuples, leur fit la leçon : s’étant inclinés, sagement, comme des hommes pleins de noblesse, ils l’honorèrent et le gardèrent dans leur ville plusieurs mois durant. Au cours de cette période, la mort ne pardonnant à personne même au bout d’un long terme262, par la volonté de Dieu la noble Impératrice quitta ce monde, laissant le renom fameux d’une grande sainteté pour sa vie honnête consacrée à servir les pauvres du Christ. Elle fut enterrée en grande pompe, le 12 novembre, dans l’église principale de Gênes263.
III, 31. Avec l’aide des Florentins, Giberto da Corregio soulève Parme et Reggio contre l’Empereur, et lui reprend Crémone. Il y rassemble des exilés de Milan et de Brescia. La Lombardie de nouveau en proie aux désordres (octobre 1311-janvier 1312)
131Les Florentins dévoilèrent au grand jour leur hostilité envers lui en fomentant la rébellion des villes de Lombardie. Ils achetèrent, avec de l’argent et des promesses faites par lettres, messire Ghiberto, Seigneur de Parme, et lui donnèrent quinze mille florins afin qu’il trahisse l’Empereur et soulève la ville contre lui264. Ah ! que de mal se mit à faire ce chevalier qui avait reçu de lui en si peu de temps de si grandes faveurs ! Il lui avait offert en effet le beau château de San Donnino, et un autre noble château qu’il enleva aux gens de Crémone, sur la rive du Pô, pour le lui donner. Et il lui avait confié la garde de la belle ville de Reggio, croyant qu’il était un chevalier fidèle et loyal265. Mais celui-ci, armé, sur la place de Parme, cria « Mort à l’Empereur ! », et chassa son vicaire de la ville pour accueillir ses ennemis. Il couvrait ses mobiles par des mensonges, disant que ce n’était pas pour de l’argent qu’il faisait cela, mais parce que l’Empereur avait rétabli à Crémone le marquis Palavisino, qu’il considérait comme son ennemi266.
132Les Florentins pressuraient leurs malheureux concitoyens, leur prenant leur argent pour le dépenser en de semblables marchandises. Et ils manœuvrèrent tant et si bien que messire Ghiberto rétablit à Crémone les adversaires de l’Empereur. Il les aidait en effet à rester sur la rive du Pô et à y renforcer leur position267. Un jour, au service des gens de Brescia, avec peut-être cent cavaliers, il marcha contre messire Galasso qui se trouvait à la garde de Crémone. Ils entrèrent dans la ville et se firent épauler par tant de gens qui s’unirent à eux qu’il n’en resta que bien peu toujours fidèles à l’Empereur, lesquels durent vider les lieux268.
133Messire Guidotto dalla Torre s’y rendit avec les cavaliers qu’il avait reçus de Toscane269. On fortifia la ville à l’aide de fossés et de palissades. Le comte Filippone en voulait beaucoup à l’Empereur ; il cherchait à s’apparenter avec messire Ghiberto et à former une conjuration et une ligue270. Les exilés de Brescia s’unirent à eux. Aussi ce que la mansuétude de l’Empereur pardonna, Dieu ne le pardonna pas : ainsi le parti de messire Tebaldo Bruciato, après avoir reçu le pardon de l’Empereur, voulut-il une fois de plus lui reprendre la ville, mais l’autre parti, ayant obtenu des secours plus rapidement, les chassa de Brescia et des environs les armes à la main271. Ah ! combien proliféra en un rien de temps la méchanceté parmi les Lombards, les faisant s’entre-tuer et rompre le serment qu’ils avaient prêté272 !
III, 32. Artifices et manigances des Noirs florentins contre l’Empereur, déployés auprès du roi de France et du Pape, avec, spécialement auprès de ce dernier, l’appui du cardinal Pelagru, légat pontifical à Bologne pendant la guerre de Ferrare (1312, 1311, 1310)
134Les Florentins qui étaient dans Florence273, remplis d’incertitude et de terreur, ne s’employaient qu’à corrompre les seigneurs de tous lieux avec des promesses et de l’argent274. C’était de l’argent qu’ils soutiraient à leurs malheureux concitoyens qui, afin de conserver leur liberté275, se le laissaient arracher peu à peu. Ils en dépensèrent beaucoup dans des manœuvres coupables. Ils ne passaient leur vie qu’à cela.
135Les Seigneurs mandatèrent des envoyés secrets. Parmi eux il y eut un certain frère Bartolomeo, fils d’un changeur, un homme astucieux connaissant bien l’Angleterre, qui avait pratiqué les bonnes manières dans son jeune âge276, et d’une fine intelligence. Ils l’envoyèrent à la cour solliciter le Pape et les cardinaux. Et avec des lettres qu’apporta messire Baldo Fini da Fighine, ils sollicitèrent le roi de France, auquel le cardinal d’Ostie dit alors : « Quelle grande audace que celle des Florentins, qui avec leurs dix lentes de poux osent solliciter n’importe quel seigneur277 !»
136Au Pape, ils envoyèrent deux ambassadeurs, messire Pino de’ Rossi et messire Gherardo Bostichi, deux valeureux chevaliers. Beaucoup d’argent leur fut soutiré, et ils en gaspillèrent beaucoup, mais ils n’obtinrent pas du Pape quoi que ce fût de ce qu’ils désiraient278.
137Le cardinal Pelagru, né en Gascogne, neveu du Pape, fut envoyé comme légat à Bologne279. Après la mort du marquis de Ferrare, c’était un bâtard à lui qui gouvernait la ville et, celle-ci ne pouvant résister à l’opposition, il fit un pacte avec les Vénitiens et la leur vendit. Les Vénitiens y vinrent, s’en emparèrent par la force et la tinrent pour eux280. Messire Francesco da Esti, frère du marquis, avec les Bolonais et avec messire Orso degli Orsini de Rome281, fit alliance avec l’Église. Le cardinal alla à Ferrare, mais il ne fut pas obéi des Vénitiens ; c’est pourquoi il intenta un procès contre eux et les condamna. Il lança contre eux la croisade, et de maints endroits beaucoup marchèrent contre eux pour avoir le pardon et en retirer une solde. Les Vénitiens tenaient une forteresse dans Ferrare que le marquis avait encore fortifiée, telle un donjon. Ils y vinrent par la voie des eaux, mais ils furent battus, et beaucoup furent pris et tués. Ce fut un grand malheur pour eux, car c’est de façon bien peu glorieuse qu’ils connurent l’échec, étant donné que les nobles qui se trouvaient là abandonnèrent le combat282.
138Le cardinal Pelagru vint à Florence et fut reçu avec de très grands honneurs283. Le chariot284 et les jouteurs allèrent à sa rencontre jusqu’à l’hôpital de San Gallo ; les religieux en procession et les membres du Peuple influents du parti guelfe noir, à pied et à cheval, allèrent lui rendre hommage.
139Il arriva à Florence, et les Florentins tinrent avec lui de nombreux conseils. Ils l’informèrent en détails de la façon dont ils manœuvraient avec le Pape afin de lui faire retarder la venue de l’Empereur285. Et ils le prièrent d’insister auprès du Pape, ce qu’il promit de faire. Ils lui offrirent de l’argent, qu’il accepta volontiers, se payant ainsi de sa légation. Et après s’être mis d’accord avec eux, il quitta Florence.
140Le cardinal se rendit auprès de l’Empereur286, lequel était au courant des entretiens qu’il avait eus avec les Florentins et ne lui fit pas un très bon accueil. Il retourna auprès du Pape : ce dernier, en rassurant le cardinal sur ce que les Florentins voulaient de lui, les faisait vivre d’espoir, si bien qu’il leur soutira beaucoup d’argent. Quant à eux, ils n’agissaient ainsi qu’afin d’épuiser les forces de l’Empereur.
III, 33. Mort de l’un des nonces apostoliques envoyés à Henri, de l’évêque de Liège, et des deux ambassadeurs florentins auprès du Pape (… 1311… 1312…)
141Des trois cardinaux que le Pape avait envoyés auprès de l’Empereur lorsqu’il était au siège de Brescia, l’un mourut, celui d’Albano ; il tomba malade à Lucques, et c’est là qu’il mourut287.
142Mourut également l’évêque de Liège, grand ami de l’Empereur288. Il lui avait offert Rezuolo289, entre Reggio et Mantoue, que les Mantouans par la suite reprirent à celui au pouvoir de qui ce lieu était resté.
143Les deux ambassadeurs florentins qui se trouvaient à la cour pontificale y moururent : messire Pino de’ Rossi d’abord ; et en récompense de son travail, deux de ses alliés et parents furent faits chevaliers par la cité et reçurent en cadeau beaucoup d’argent, de celui qu’on arrachait aux Gibelins et aux Blancs290. Même si les Blancs conservaient encore quelque vestige d’appartenance au parti guelfe, ils n’en étaient pas moins traités comme des ennemis jurés291. Mourut ensuite messire Gherardo, mais les siens ne reçurent pas les honneurs de la chevalerie ni ceux de l’argent, car il ne s’était pas montré aussi fidèle que le précédent292.
III, 34. Conditions politiques de la Toscane lors de la descente d’Henri. Ligue guelfe toscane contre l’Empereur. L’accueil reçu par ses ambassadeurs dans la région. Projets qu’il avait faits concernant la route à emprunter pour venir en Toscane (1311… 1310…)
144Aveuglés par leur orgueil, les Florentins se rangèrent contre l’Empereur non comme d’habiles guerriers, mais comme des présomptueux, se liguant avec les Bolonais, Siennois, Lucquois, avec les gens de Volterra, de Prato, de Colle et avec les autres châteaux du même bord que le leur293. Les gens de Pistoia, appauvris, lassés, épuisés et ruinés par la guerre, ne marchaient pas vraiment avec eux : non qu’ils ne fussent pas de tout cœur à leurs côtés, mais parce qu’on leur imposait des podestats auxquels il fallait payer des salaires tels qu’ils ne pouvaient en assumer la dépense294. Aussi n’auraient-ils pu payer leur quote-part de la taille, car ils payaient déjà quarante-huit mille florins par an au maréchal et à ses troupes, qu’ils ne maintenaient chez eux qu’afin d’empêcher les Florentins d’y entrer295.
145Les Lucquois avaient toujours des ambassadeurs à la cour de l’Empereur, et parfois se disaient prêts à lui obéir, s’il leur concédait des titres leur permettant de conserver les terres d’Empire qu’ils détenaient, sans qu’il y fît rentrer les exilés. L’Empereur ne fit aucun marché avec eux, ni avec d’autres, mais il envoya en Toscane messire Louis de Savoie et d’autres ambassadeurs296. Ceux-ci furent accueillis avec les honneurs par les Lucquois et reçurent en cadeau de la soie fine et d’autres présents. Les gens de Prato leur firent de magnifiques présents, comme toutes les autres villes, s’excusant pour leur appartenance à la ligue des Florentins297.
146Sienne faisait la putain, car tout au long de cette guerre elle ne s’opposa jamais au passage de ses ennemis, ni ne s’écarta complètement de la volonté des Florentins298. Les Bolonais serrèrent les rangs avec les Florentins contre l’Empereur, car ils le redoutaient fortement : ils renforcèrent grandement leurs défenses et entourèrent leur ville de palissades299. On dit alors que, contre lui, ils n’avaient aucun moyen de défense, dès lors que l’Église le laissait passer300. Mais comme cette route lui parut difficile pour entrer en Toscane, il ne la choisit pas. On dit aussi que les marquis Malispini voulaient le faire passer par la Lunigiana, et qu’ils firent réparer les routes et les firent élargir dans les passages étroits ; et que, s’il était venu par là, il serait entré au milieu de vassaux infidèles301. Mais Dieu lui fit la leçon.
III, 35. Henri vient à Pise par Gênes. Florence ne lui envoie pas d’ambassadeurs, confirmant de la sorte l’hostilité qu’elle lui avait déjà montrée en méprisant les siens et en leur refusant de se soumettre. Guerre ouverte entre Florence et Henri VII (1311-1312 … 1310)
147Il se rendit à Gênes pour venir ensuite à Pise, une ville entièrement dévouée et acquise à l’Empire, qui plaça plus que toute autre ses espérances dans sa venue, et qui lui envoya soixante mille florins en Lombardie, lui en promettant soixante mille de plus lorsqu’il serait en Toscane302. Elle croyait ainsi reprendre ses châteaux et dominer ses adversaires, elle qui lui présenta cette riche épée en signe de fidélité, elle qui de ses succès se faisait une joie et une fête, elle qui recevait bien des menaces à cause de lui, elle qui a toujours été une porte d’accès direct pour lui comme pour les autres seigneurs, venus en Toscane par voie de terre ou bien de mer, qui militaient pour leur parti ; elle que les Florentins surveillent de près quand ses habitants se réjouissent des succès de l’Empire.
148L’Empereur arriva à Pise le 6 mars 1311 avec trente galères303. Là il fut reçu et honoré comme leur Seigneur avec de grandes fêtes et manifestations de joie. Les Florentins n’y envoyèrent pas d’ambassadeurs, car les citoyens n’étaient pas d’accord là-dessus. Une fois, ils en désignèrent pour les lui envoyer, et finalement ils ne les envoyèrent pas, préférant employer la simonie et la corruption auprès de la cour de Rome que traiter avec lui304.
149Vint à Florence messire Louis de Savoie, envoyé comme ambassadeur en Toscane par l’Empereur305. Il n’y fut guère honoré par la noblesse citadine, qui fit le contraire de ce qu’elle avait le devoir de faire. Il demanda qu’un ambassadeur fût envoyé à l’Empereur pour l’honorer et faire acte de soumission comme à leur Seigneur. On répondit – ce fut messire Betto Brunelleschi de la part de la Seigneurie – que « jamais pour aucun seigneur les Florentins n’ont courbé l’échine ». Et ils ne lui envoyèrent pas d’ambassadeur, alors qu’ils auraient obtenu de lui les meilleurs accords306 ; car le plus grand obstacle qu’il pouvait avoir, c’étaient les Guelfes de Toscane.
150Une fois parti, l’ambassadeur s’en retourna à Pise. Et les Florentins firent dresser une bastide à Arezzo et rouvrirent les hostilités contre cette ville. Ils manifestèrent ouvertement leur totale inimitié envers l’Empereur, l’accusant de tyrannie et de cruauté, et de s’unir aux Gibelins sans accepter de voir les Guelfes307. Et dans leurs édits ils écrivaient : « Pour l’honneur de la sainte Église et pour la mort du roi d’Allemagne »308. Ils ôtèrent les aigles des portes, et de partout où elles étaient sculptées ou peintes, imposant des sanctions à qui en peindrait ou n’effacerait pas celles qui étaient déjà peintes309.
III, 36. Henri passe de Pise à Rome et se rapproche des Gibelins. Négociations entre les Florentins et le roi Robert de Naples. Couronnement d’Henri à Saint-Jean-de-Latran (1312)
151Bafoué par les Florentins, l’Empereur quitta Pise et s’en alla à Rome, où il arriva le 7 mai 1312 et fut reçu avec les honneurs en tant que Seigneur, et où il fut installé dans la charge de sénateur310. Comprenant les offenses que lui faisaient les Guelfes de Toscane, et trouvant de bonne volonté les Gibelins qui s’unissaient à lui, il changea d’opinion et fit alliance avec eux. Il retourna vers eux les bons sentiments et la bienveillance qu’il avait eus auparavant pour les Guelfes. Ainsi se proposa-t-il de les aider, de les aider et de les rétablir chez eux, de considérer les Guelfes et les Noirs comme ses ennemis et de leur faire la chasse311.
152Les Florentins maintenaient toujours auprès du roi Robert des ambassadeurs, afin qu’ils l’exhortent à attaquer l’Empereur avec ses troupes, par la promesse et l’offre de beaucoup d’argent.
153Le roi Robert, allié des Florentins, en tant que seigneur qui se respecte, leur promit de les aider, et c’est ce qu’il fit. Il montrait à l’Empereur qu’il poussait les Florentins et les sermonnait pour qu’ils se soumettent à lui comme à leur Seigneur312. Et lorsqu’il apprit que l’Empereur était à Rome, il envoya aussitôt sur place messire Jean313, son frère, avec trois cents cavaliers, faisant mine de l’y envoyer pour assurer sa défense et l’honneur de sa couronne. Mais s’il l’y envoya ce fut pour qu’il s’entende avec les Orsini, ennemis de l’Empereur, afin de corrompre le sénat et empêcher son couronnement ; ce que l’Empereur comprit bien314.
154Affichant une grande dévotion envers lui, le Roi renvoya à l’Empereur des ambassadeurs à lui pour le féliciter de sa venue, pour se répandre en offres de service, lui demander une alliance de parenté, et lui dire qu’il lui envoyait son frère pour honorer son couronnement et pour le servir en cas de besoin315.
155L’Empereur dans sa très grande sagesse leur répondit de sa propre bouche : « Les offres de service du Roi sont bien tardives, et la venue de messire Jean est trop hâtive. » Sage fut la réponse impériale, car il comprit parfaitement la raison de cette venue.
156Le 1er août 1312, Henri, comte de Luxembourg, fut couronné à Rome empereur et roi des Romains, dans l’église Saint-Jean-de-Latran, par messire Niccolao cardinal de Prato, messire Luca dal Fiesco cardinal de Gênes et messire Arnaud Pelagru cardinal de Gascogne, sur ordre du pape Clément V et de ses cardinaux, et en tant que leurs représentants316.
III, 37. La justice de Dieu contre les Noirs. Ceux qui demeuraient les chefs du parti noir (1308…)
157Oh, combien Dieu par sa justice fait louer samajesté317, lorsque par des miracles extraordinaires elle montre aux petites gens que Dieu n’oublie pas les offenses qu’elles ont reçues318 ! quelle grande paix elle apporte dans le cœur de ceux qui sont offensés par les puissants, lorsqu’ils voient que Dieu s’en souvient319. Et comme elle apparaît au grand jour cette vengeance, quand Dieu a beaucoup tardé et longtemps patienté ! mais lorsqu’il la retarde, alors que beaucoup croient que cela lui est sorti de l’esprit, ce n’est que pour mieux punir320.
158Au nombre de quatre étaient les chefs dans cette discorde, du côté des Noirs : à savoir messire Rosso dalla Tosa, messire Pazzino de’ Pazzi, messire Betto Brunelleschi et messire Geri Spini. Par la suite s’en ajoutèrent deux autres : messire Tegghiaio Frescobaldi et messire Gherardo Ventraia, un homme de peu de foi321.
159Ces six chevaliers poussèrent Folcieri, podestat de Florence, à trancher la tête à Masino Cavalcanti et à l’un des Gherardini322. Ces hommes faisaient nommer les Prieurs selon leur bon vouloir, ainsi que les autres fonctionnaires, de l’intérieur comme de l’extérieur. Ces hommes faisaient libérer ou condamner qui ils voulaient, ils faisaient valoir leurs avis, et ils accordaient des grâces ou infligeaient des brimades selon leur bon plaisir323.
III, 38. Le portrait et la fin de Rosso dalla Tosa. Sa famille (1309…)
160Messire Rosso dalla Tosa fut un chevalier de grand caractère, le principal instigateur324 de la discorde entre les Florentins, l’ennemi du Peuple, l’ami des tyrans. Il fut celui qui divisa entièrement le parti guelfe de Florence, et contre les Blancs et au sein des Noirs325 ; celui qui enflamma les discordes citadines ; il fut celui qui, par des pressions, des complots et des promesses, tenait les autres à sa botte. Il fut très fidèle au parti noir, et persécuta les Blancs. C’est avec lui que les villes environnantes acquises au parti noir étaient en confiance et c’est avec lui qu’elles nouaient des liens.
161Celui-ci – Dieu avait longtemps patienté326, puisqu’il avait plus de soixante-quinze ans –, un jour allait à pied lorsqu’un chien passa entre ses jambes et le fit tomber, de sorte qu’il se brisa le genou, et sur celui-ci se développa un abcès. Torturé par les médecins, il mourut dans de grandes souffrances. Il fut enterré avec de grands honneurs, ceux qui sont dus aux grands citoyens327.
162Il laissa deux fils, Simone et Gottifredi, qui par le parti furent faits chevaliers, et avec eux un jeune parent à eux, appelé Pinuccio. On leur fit don en outre de beaucoup d’argent. On les appelait les chevaliers du rouet, car l’argent qu’on leur donna était pris à ces pauvres femmes qui filaient au rouet328.
163Ces deux chevaliers, fils de messire Rosso, en voulant mener grand train pour être dignement considérés – car il leur semblait que l’œuvre de leur père méritait cela –, commencèrent à décliner, tandis que messire Pino commença à s’élever et en peu de temps devint grand.
III, 39. Le portrait et la fin de Betto Brunelleschi (1311)
164Messire Betto Brunelleschi et sa lignée étaient d’ascendance gibeline329. Il fut riche, pourvu de nombreux domaines et d’un important patrimoine. Il avait très mauvaise réputation auprès du Peuple, car en période de disette il gardait son blé sous clé en disant : « J’en tirerai tel prix ou il ne sera jamais vendu. » Il s’acharnait contre les Blancs et les Gibelins sans la moindre pitié, et cela pour deux raisons : la première, pour avoir plus grand crédit auprès de ceux qui gouvernaient ; l’autre, parce qu’il ne pouvait attendre d’eux le moindre pardon pour une faute telle que la sienne330. Il servait souvent comme ambassadeur car il était bon orateur. Il fut très proche du pape Boniface. Avec le cardinal messire Napoleone Orsini, quand celui-ci fut légat en Toscane, il entretint une grande familiarité, et il l’abreuva de belles paroles, lui ôtant toute chance de rétablir la paix entre les Blancs et les Noirs de Florence331.
165Ce chevalier fut en grande partie responsable de la mort de messire Corso Donati332. Et il s’était à tel point adonné au mal qu’il n’avait cure ni de Dieu ni du monde, négociant des arrangements avec les Donati, niant ses fautes et les rejetant sur les autres. Un jour333, alors qu’il était en train de jouer aux échecs, deux jeunes Donati avec d’autres de leurs amis vinrent le trouver chez lui, et le frappèrent de plusieurs coups à la tête jusqu’à le laisser pour mort. Mais l’un de ses fils blessa à son tour un fils de Biccicocco334, qui ne survécut que quelques jours. Messire Betto resta en vie quelque temps encore si bien qu’on croyait qu’il allait survivre. Mais quelques jours plus tard, c’est bouillant de rage, sans se repentir ni donner satisfaction à Dieu et au monde, et en grande défaveur auprès de nombreux citoyens, que misérablement il mourut. Et beaucoup se réjouirent de sa mort, car ce fut un bien triste citoyen.
III, 40. Le portrait et la fin de Pazzino de’ Pazzi (1312, janvier…)
166Messire Pazzino de’ Pazzi, un des quatre principaux dirigeants de la ville, chercha à faire la paix avec les Donati335 pour lui-même et pour messire Pino, bien que ce dernier ne fût pas pour grand-chose dans la mort de messire Corso, n’ayant été que son grand ami et s’étant peu soucié du reste336. Mais les Cavalcanti, qui étaient une famille puissante, comportant quelque soixante hommes en état de porter les armes, haïssaient au plus haut point ces six chevaliers maîtres de la ville, qui avaient forcé le podestat Folcieri à trancher la tête à Masino Cavalcanti, et c’est sans rien laisser paraître qu’ils portaient cela au fond d’eux-mêmes.
167Un jour, Paffiera Cavalcanti, un jeune homme d’une grande force de caractère337, apprenant que messire Pazzino était allé sur la grève de l’Arno à Santa Croce avec un faucon et accompagné d’un seul serviteur, monta à cheval avec quelques compagnons, et ils allèrent le trouver. À peine les vit-il qu’il se mit à fuir vers l’Arno. Au cours de la poursuite Paffiera lui traversa les reins d’un coup de lance, et une fois qu’il fut tombé dans l’eau ils lui ouvrirent les veines, puis ils s’enfuirent vers le Val di Sieve. Et c’est de cette façon misérable qu’il mourut338.
168Les Pazzi et les Donati s’armèrent et coururent au palais. Avec le gonfalon de la justice et une partie du Peuple339, ils coururent au Mercato Nuovo chez les Cavalcanti, et à l’aide de brandons ils mirent le feu à trois de leurs palais. Puis ils se retournèrent contre la maison de messire Brunetto340, croyant que c’était lui qui avait fait faire cela.
169Messire Attaviano Cavalcanti fut secouru par les fils de messire Pino et par d’autres de ses amis. Ils dressèrent des barricades et, avec cavaliers et fantassins, se retranchèrent tant et si bien qu’on ne put rien contre eux. À l’intérieur de leur retranchement en effet se trouvaient messire Gottifredi et messire Simone dalla Tosa, Testa Tornaquinci341 et quelques-uns de leurs parents, ainsi que certains des Scali, des Agli et des Lucardesi et de plusieurs autres familles, qui les défendirent vaillamment, jusqu’au moment où ils furent contraints de déposer leurs armes.
170Une fois que le Peuple se fut apaisé, les Pazzi déposèrent plainte contre les Cavalcanti, et quarante-huit d’entre eux furent condamnés sur leurs biens et sur leurs personnes. Messire Attaviano trouva refuge dans un hôpital, avec la protection des Rossi, avant de s’en aller à Sienne.
171Messire Pazzino laissa plusieurs fils. Deux d’entre eux furent faits chevaliers par le gouvernement du Peuple, ainsi que deux de leurs parents. Et ils reçurent quatre mille florins et quarante boisseaux de blé.
III, 41. Après la mort affreuse des principaux chefs des Noirs, ne reste misérablement en vie que l’un d’eux, Geri Spini (1312)
172Sur quel espace réduit sont morts cinq abominables citoyens ! exactement là où on rend la justice et où on punit de mort violente les malfaiteurs342 ! Il y eut messire Corso Donati, messire Niccola de’ Cerchi, messire Pazzino de’ Pazzi, Gherardo Bordoni et Simone de messire Corso Donati. De mort violente également moururent messire Rosso dalla Tosa et messire Betto Brunelleschi, qui furent punis de leurs erreurs343.
173Messire Geri Spini après cela se tint toujours fortement sur ses gardes, car les Donati et leurs partisans ainsi que les Bordoni furent réadmis dans la ville et avec grand honneur, eux dont pourtant peu auparavant, à leur grande honte et à leur grand dommage, le Peuple avait détruit les habitations344.
III, 42. Conclusion
174Voilà donc dans quelles tribulations vit notre cité ! Voilà avec quelle obstination nos concitoyens persistent à faire le mal ! Et tout ce qu’on fait aujourd’hui on le blâme dès le lendemain. Les sages avaient coutume de dire : « Le sage ne fait rien dont il ait à se repentir. »345 Mais dans cette cité et par ces citoyens, il ne se fait chose aussi louable soit-elle qui ne soit méprisée et ne soit blâmée. Les hommes s’y entre-tuent et le mal n’y est pas puni par la loi ; car, dès lors que le malfaiteur a des amis et peut payer, il est disculpé de tout méfait commis.
175Ô iniques citoyens, qui avez corrompu le monde entier et l’avez gâté de vos mauvaises mœurs et de vos gains malhonnêtes ! C’est vous qui avez introduit dans le monde tous les mauvais usages. À présent le monde commence à se retourner contre vous346 : l’Empereur avec ses forces vous fera prendre et tout enlever sur terre comme sur mer347.
Notes de bas de page
1 La famille persécutée par Boniface VIII (voir I, 23 et II, 2). Seul Sciarra Colonna (II, 35) fut exclu du pardon.
2 Le 18 décembre 1303, lors de la première période du jeûne des quatre-temps, au début de son pontificat.
3 Évêque de Spolète puis d’Ostie et de Velletri, procureur général de l’ordre des Dominicains, connu sous l’appellation de cardinal de Prato. G. Villani le dit sympathisant gibelin (IX, 69).
4 Nommé pacificateur en Toscane, le cardinal de Prato arriva à Florence le 10 mars (III, 4). Les discordes entre Noirs de Florence firent rage en février (Villani, IX, 69) mais leurs débuts remontent, on l’a vu (II, 34), à l’été précédent.
5 Le texte porte ici da (« par »), mais c’est bien Rosso qui est visé par le complot fomenté par Corso.
6 Contrairement à la Toscane où les cités se gouvernaient seules sur le modèle républicain, en Italie du Nord la majorité des communes étaient en train d’abandonner leur autonomie à l’autorité permanente d’un Seigneur unique, issu d’une famille illustre : ainsi les Scaligeri à Vérone, les Torriani puis les Visconti à Milan, les Este à Ferrare, les Da Polenta à Ravenne, les Da Correggio à Parme, les Da Camino à Trévise, les Da Carrara à Padoue, les Malatesta à Rimini, les Montefeltro à Urbin… D’où une signification très différente pour les mots Seigneur et Seigneurie à propos de l’Italie du Nord.
7 Per l’animo grande che avea : il ne faut pas voir ici un compliment, mais l’expression d’un sentiment de supériorité né de la conscience de classe et s’exprimant à travers la superbe : voir II, 20.
8 Le discours méprisant de Corso Donati envers les riches bourgeois rappelle d’assez près celui de Berto Frescobaldi fait au nom des Grands dix ans plus tôt, à l’époque des Ordonnances de justice (I, 15).
9 Lottieri dalla Tosa : de la branche des Dalla Tosa Guelfes blancs (voir Villani, IX, 68).
10 Baldo dalla Tosa : l’un des Grands qui s’élevaient contre les bourgeois en 1294 (I, 15). Il se rangea du côté des Cerchi en 1300 par opposition à la branche de Rosso (I, 22) ; il fut banni en 1302 (II, 25). Corso Donati ne dédaignait pas à présent de recruter ses partisans parmi les Guelfes blancs réintégrés à Florence par l’amnistie d’août 1303. Autres Blancs dans la liste qui suit : les Cavalcanti.
11 L’évêque dont le château était occupé par Rossellino dalla Tosa (Guelfe noir de la branche de Rosso, cité au chapitre I, 21 et qui réapparaîtra au chapitre III, 8), n’osait se plaindre car le pape Boniface était tout acquis aux Noirs qu’il protégeait. Les disputes familiales des Dalla Tosa ont été évoquées à maintes reprises (I, 22 ; II, 22 ; II, 24).
12 On a vu que c’est le menu Peuple que cherche à séduire Corso Donati, non la riche bourgeoisie. Ici pourtant on peut douter.
13 La famine de 1303 avait obligé la commune à importer du blé depuis le royaume de Naples (les « Pouilles », voir II, 20 note), de Sicile plus précisément, dont la transaction donna prétexte à un nouvel examen des comptes de l’État. Profitant de l’occasion, Corso Donati tente de nouveau (voir II, 34) de soulever le menu Peuple contre le gouvernement populaire, avec des arguments démagogiques de choc : il était d’usage dans les temps difficiles de mélanger au blé d’autres céréales de moindre valeur, comme l’orge par exemple, ou le sorgho, plante à fourrage (voir Villani, X, 12). Corso insinue qu’ils y mélangeaient des déchets pour s’enrichir aux dépens des pauvres gens affamés.
14 Les Bordoni avaient pris le parti de Corso Donati en 1300 (I, 22), mais volé les gentilshommes lucquois venus aider les Noirs en octobre 1301 (II, 17). Ils firent partie des Noirs demeurés maîtres de Florence après les proscriptions de 1302 (II, 26).
15 Rosso dalla Tosa et ses partisans ne permettaient pas aux Bordoni, sans noblesse, d’aller trop loin dans l’opposition à Corso Donati, le principal représentant des Grands, le « baron » (II, 20) : réflexe de classe peut-être. Mais on peut penser également que Rosso le ménageait uniquement parce que le moment n’était pas encore venu de pousser plus loin la discorde, comme Dino le dit plus haut dans ce même chapitre.
16 Afin de rétorquer aux accusations lancées contre eux par Corso Donati, les gouvernants firent vendre le blé importé de Sicile à 12 sous le boisseau, un prix très bas pour l’époque (G. Villani dit que le prix du boisseau était monté avant cela jusqu’à 26 sous : IX, 68), révisèrent la cote mobilière (la libra, voir II, 34 note) et instaurèrent une maltôte sur les chevaux de guerre (les cavallate : voir I, 10 et note), qui frappait les moins démunis.
17 Monte Accinico : place forte, refuge des exilés blancs et gibelins (voir I, 1 ; II, 30 et II, 33).
18 Les gouvernants avaient fait appel dès le 21 décembre 1303 aux gens de Lucques, leur donnant pouvoir pendant une année pour faire fonction d’arbitres dans la querelle (Villani, IX, 68).
19 Palais et tours fortifiés dans la ville, notamment la tour des Corbizzi à San Pier Maggiore qu’il occupait depuis son retour à Florence, en novembre 1301 (II, 18 et P. Pieri, p. 77).
20 D’une ancienne famille de Grands, Guelfes, originaires du Val d’Elsa.
21 E il popolo e molti popolani : on dirait bien que Corso Donati ne fut pas suivi par le menu Peuple car, si les seconds sont de toute évidence les riches bourgeois que Rosso dalla Tosa avait gagnés à sa cause, le premier est vraisemblablement le menu Peuple.
22 Ces désordres eurent lieu en février 1304, selon G. Villani (IX, 68), le 4 selon P. Pieri (p. 77).
23 Les Gherardini furent, dès le début, partagés entre Blancs (la famille : II, 16, 29, III, 10 ; Naldo : I, 21, 22, 23, II, 26, III, 7 ; Carbone : I, 23 ; Andrea : I, 26 ; Betto : II, 26) et Noirs (la famille : III, 3, 4 ; Lotteringo : III, 3).
24 Pendant deux magistratures, celle du 16 février et celle du 16 avril 1304, le nombre des Prieurs, gonfalonier compris, fut renforcé et passa de 7 à 14 : c’était la réponse aux desseins des Grands.
25 L’affaire eut lieu en avril 1304. Les faits sont considérés par Dino dans leur enchaînement plutôt que dans leur stricte chronologie.
26 Ce regain d’assurance du menu Peuple vient vraisemblablement de tout ce qui s’est passé au cours des semaines précédentes : apaisement des désordres grâce à l’arbitrage des Lucquois, doublement du nombre des Prieurs, fin de l’état d’alerte dans la ville, arrivée du cardinal de Prato (III, 4)…
27 Cas proche de celui de novembre 1301 où des Grands (les Médicis) avaient agressé et laissé pour mort un membre du Peuple (II, 15), tout comme les Tornaquinci, coutumiers du fait (voir II, 17). Mais cette fois-ci les Ordonnances de justice seront appliquées : les compagnies du Peuple s’arment et marchent sur les maisons des coupables avec le gonfalon de la justice.
28 Date selon le style florentin (voir I, 11 note). Les pouvoirs lui furent conférés par délibérations de conseils le 17 mars 1304.
29 À Florence et hors de Florence. Les divisions : au sein des couches les plus élevées de la population, entre Guelfes et Gibelins, entre Guelfes noirs et Guelfes blancs ; puis la division active en 1304, entre Noirs partisans des Donati (Grands et menu Peuple) et partisans des Dalla Tosa (Grands et riche bourgeoisie) ; au plan plus proprement social, entre classes, où s’opposaient les Grands, la riche bourgeoisie et le menu Peuple… si on s’en tient aux divisions qui rassemblent assez de représentants d’un groupe pour le faire entrer dans un classement.
30 Donc uniquement parmi les rivaux récents, partisans des Donati ou des Dalla Tosa.
31 Lottieri dalla Tosa, évêque de Florence : voir III, 2.
32 Les milices citadines, instituées en 1250 à l’époque du premier gouvernement populaire, étaient constituées de trois ou quatre compagnies par sextier, chacune dotée de son gonfalon et dirigée par son gonfalonier. Elles étaient, en 1304, au nombre de dix-neuf (voir Villani, VII, 39 et IX, 69). Tout en renforçant les organes de la démocratie populaire, le cardinal de Prato cherchait à distribuer équitablement les responsabilités.
33 Pour tenter ensuite de réconcilier les Noirs (le « parti de l’intérieur ») avec les exilés blancs et gibelins (le « parti de l’extérieur »), le cardinal désigna des représentants des deux parties, ayant pouvoir de se faire obéir : un juge (messer) et un notaire (ser) pour chacune.
34 Amieri : famille du sextier San Pancrazio. Mais la chronique Marciana-Magliabechiana et P. Pieri (p. 78), les seuls en dehors de Dino à rapporter l’événement, disent que la paix fut faite entre les Gherardini (la branche des Noirs, partisans de Rosso dalla Tosa : III, 3) et les Manieri (partisans de Corso Donati : III, 2). L’inimitié entre ces derniers et la branche des Gherardini blancs a été évoquée à l’occasion de l’incident de mai 1300 (I, 22).
35 Gianfigliazzi : famille de Grands, Guelfes noirs (voir II, 26).
36 Les autres Guelfes noirs, y compris ceux que Corso Donati avait ralliés.
37 Rosso dalla Tosa n’aurait pas voulu que la réconciliation allât jusqu’à la paix avec les exilés blancs et gibelins, car son intention et celle de tous les Noirs était de s’emparer de Pistoia, toujours tenue par les Cancellieri blancs (II, 27), soutenus par les Blancs et les Gibelins florentins (II, 29).
38 Forlì, ville gibeline qui accueillait les Blancs florentins exilés (II, 28).
39 C’est la paix recherchée par le cardinal de Prato entre eux, Guelfes noirs (« les Guelfes de l’intérieur »), et les exilés blancs et gibelins, qu’ils cherchent à saboter. Pour cela, ils vont réclamer la réconciliation la plus difficile, celles des deux familles à l’origine des troubles florentins les plus anciens, ceux de 1215 : les Buondalmonti, alors chefs de file de ceux qui seront plus tard les Guelfes, comme les Uberti pour les Gibelins (I, 2), auxquels les Guelfes n’avaient jamais voulu accorder le pardon (voir I, 3 et II, 29).
40 Selon la lettre du Pape, ce fut en fait Guglielmotto de’ Brusati de Novara.
41 Sur demande des Florentins, Benoît XI avait proposé quatre gentils-hommes pour que l’un d’eux assure la charge de podestat à Florence pendant le second semestre 1304, afin de seconder le cardinal de Prato dans la mise en œuvre des décisions de paix entre toutes les factions florentines. Aucun d’eux n’accepta. Les négociations se poursuivirent mais furent compliquées par la mort du Pape au début juillet. Et c’est le comte Ruggiero da Dovadola qui fut finalement nommé podestat, à compter du 1 er août, avec des pouvoirs extraordinaires.
42 En particulier Rosso dalla Tosa et ses partisans, qui ne voyaient pas la paix générale d’un bon œil.
43 Il fascio del Cardinale : au double sens, propre, du faisceau antique, symbole de l’autorité conférée, et figuré, du poids que cette dernière constituait pour eux, sens qui semble bien primer ici.
44 La même que celle où avait été reçu Charles de Valois lors de ses parties de chasse (II, 20).
45 On tendait des toiles entre les maisons pour transformer les rues en galeries.
46 Geri Spini, un des chefs noirs de Florence (II, 26), comptait bien être nommé podestat ou capitaine de Pistoia.
47 En l’absence du cardinal, les Noirs florentins qui ne voulaient pas la paix, c’est-à-dire au moins la faction de Rosso dalla Tosa, avaient dressé contre lui les gens de Prato, en particulier la puissante famille des Guazzalotri, l’accusant de favoriser les Blancs et les Gibelins. La ville s’était soulevée, et sa famille et ses partisans avaient dû s’enfuir (Villani, IX, 69).
48 Sur le Bisenzio, un affuent de l’Arno qui baigne les murs de Prato, au niveau du lieu-dit Olmo a Mezzano, par la suite Mezzana, à un peu plus de 3 km de Prato.
49 Jusqu’au milieu de l’après-midi, peu après 15 heures.
50 Les intentions des différents groupes peuvent être recontruites en confrontant ce paragraphe de Dino avec ce que dit là-dessus G. Villani (IX, 69) : l’armée florentine aurait bien aimé châtier Prato qui s’était rebellée contre le cardinal, mais les Noirs partisans de Rosso dalla Tosa (« les autres chefs du parti noir » et « ces gens-là ») critiquaient le cardinal (« se répandaient en paroles porteuses de scandale »), en disant qu’il cherchait à favoriser le retour des exilés, à tel point que la guerre contre Prato dut se terminer sans coup férir, car l’armée ne pouvait, dans ces conditions, rester loin de Florence.
51 Si le scandale avait été poussé jusqu’à l’affrontement, les Grands et le menu Peuple (provisoirement d’accord entre eux, ralliés par Corso Donati), favorables comme le cardinal au retour des exilés, auraient eu le dessus. Parmi les Grands, les Cavalcanti, de la branche principale, avaient pris le parti des Cerchi en 1300 (I, 22) et furent exilés en tant que Guelfes blancs en 1302 (II, 25), et donc naturellement portés à travailler au retour des exilés.
52 Campi Bisenzio, sur la route du retour, à quelque 10 km de Florence.
53 Au cours de l’été 1300, c’était le cardinal Matteo d’Acquasparta qui, à la suite d’une agression, avait trouvé protection dans cette maison bien défendue appartenant à la famille Mozzi (voir I, 21 et note).
54 Dino a laissé en blanc le nom (Piggello) de celui des Gangalandi, de même qu’il ne cite de mémoire que la moitié d’entre eux et croit se souvenir qu’ils furent quatorze, alors que P. Pieri, qui donne leurs noms (p. 79), G. Villani (IX, 69) et la chronique Marciana-Magliabechiana disent qu’ils furent douze, deux par sextier, Blancs et Gibelins.
55 Ce sont ceux qui furent désignés comme représentants du parti noir pour négocier la réconciliation.
56 Le menu Peuple avait de la sympathie pour les Blancs depuis que les Cerchi avaient défendu Giano della Bella (I, 20 et I, 22).
57 Sur les Uberti, voir I, 2-3 ; II, 29 ; III, 4 note. Lapo de messire Azzolino était neveu du célèbre Farinata degli Uberti.
58 Les Grands, Gibelins mais sans doute aussi Guelfes (car théoriquement il n’y a plus beaucoup de Gibelins, déclarés tout au moins, dans Florence depuis près de vingt-cinq ans), défendent ce membre de la famille gibeline des Uberti contre les bourgeois guelfes, au nom de leur commune appartenance de classe : l’ordre social concurrence l’appartenance politique.
59 On se souvient des querelles d’intérêt qui opposent les membres de cette famille (II, 24). Baschiera était encore un jeune homme (voir loc. cit.) tandis que Rosso, en 1304, avait plus de soixante-dix ans (voir III, 38).
60 Pour les Cavalcanti, voir III, 6 et note.
61 Quaratesi : une famille de bourgeois guelfes noirs, du sextier d’Oltrarno, voisins des Mozzi chez lesquels logeaient les représentants des exilés (voir plus haut dans ce même chapitre), ainsi que le cardinal.
62 Après la scission du parti noir entre la faction des Donati et celle des Dalla Tosa qui avait entraîné avec elle les différents groupes sociaux, provisoirement réglée par le cardinal de Prato (III, 4), voici une nouvelle querelle. Elle oppose d’une part un groupe hétérogène, essentiellement de Blancs et grands bourgeois, ayant pour principaux représentants les Cavalcanti, irrités par l’échec d’une paix attendue avec les exilés (Villani, IX, 71 : « la coterie qui était favorable au cardinal, à la tête de laquelle se trouvaient les Cavalcanti, les Gherardini, Pulci, et les Cerchi blancs de la rue du Garbo, banquiers du pape Benoît, suivis par plusieurs maisons de bourgeois qui craignaient que les Grands n’abattent le gouvernement du Peuple s’ils venaient à s’emparer de la Seigneurie ; et ils furent des plus grandes maisons et familles bourgeoises de Florence, telles que les Magalotti, Mancini, Peruzzi, Antellesi, Baroncelli, Acciaiuoli, Alberti, Strozzi, Ricci, Albizzi et bien d’autres ») ; et d’autre part des Noirs sans distinction de faction (Villani, loc. cit. : « Les opposants étaient du parti noir, les principaux : messire Rosso dalla Tosa avec sa faction des Noirs, messire Pazzino de’ Pazzi avec tous les siens, la branche des Adimari appelée Cavicciuli, messire Geri Spini et ses parents, messire Betto Brunelleschi »). Au milieu, « messire Corso Donati restait neutre parce qu’il était atteint de la goutte, et à cause de sa colère contre ces chefs du parti noir ; et presque tous les autres Grands restaient neutres, ainsi que les bourgeois, sauf les Medici et les Giugni, qui étaient entièrement du côté des Noirs » (ibid.).
63 Corso degli Adimari : actuellement Via Calzaiuoli, du côté du Duomo. Calimala : la rue existe toujours, entre Piazza Vittorio Emanuele (alors Mercato Vecchio) et le Mercato Nuovo. Le nom s’est transmis à l’Art (Calimala) qui s’exerçait dans cette rue. Corso : ancienne artère qui reliait Via Calzaiuoli à la petite place des Strozzi.
64 La barricade était défendue par des partisans des Cavalcanti et des Blancs, qui désiraient moins obtenir la paix avec les Noirs que venger les offenses subies.
65 Grands, Gibelins, dont les maisons et les tours se trouvaient entre Via de’ Ferravecchi et Piazza de’ Vecchietti.
66 Préparation sur le modèle du feu grégeois. Sa composition secrète (alternativement à base de chaux vive, pétrole, salpêtre, soufre – Dino va parler de résidus bleutés –, poix…) en faisait une arme incendiaire redoutable qui alimentait autrefois les plus grandes terreurs.
67 Prieur de l’ancienne église de San Pier Scheraggio, près du palais de la Seigneurie. Il était guelfe noir, alors que les Abati étaient gibelins et avaient été condamnés en 1302 (II, 25).
68 Sur la place d’Orsanmichele, du nom d’une ancienne église alors déjà disparue.
69 Des bustes aux visages de cire remplissaient alors l’oratoire, ainsi que de nombreux cierges, en hommage à la Vierge dont on commença à adorer l’image dans ce lieu en 1292 (voir Villani, VIII, 155 et Simone dalla Tosa, Annali, ad annum). Les membres de la confrérie des Laudesi d’Orsanmichele, dont Dino faisait partie, y chantaient les psaumes de louange à la Vierge au cours de régulières cérémonies vespérales.
70 G. Villani, dans son récit très concordant avec celui de Dino, dit des Cavalcanti qu’ils perdirent ce jour-là toute vigueur et toute puissance (« il vigore e lo stato », loc. cit.).
71 Le développement spectaculaire de l’activité économique avait rendu insuffisant l’espace nécessaire à l’exercice des métiers, si bien que les locaux devaient être fractionnés pour accueillir davantage d’artisans et rapportaient ainsi énormément aux bailleurs, pourtant étroitement surveillés par les statuts des Arts qui tentaient de contrarier l’inflation des loyers.
72 Ognissanti : domaine ecclésiastique étendu, autour de l’église qui a déjà été évoquée (I, 14), situé hors des murs de la ville (de la deuxième enceinte, voir II, 13 note), comprenant de vastes espaces non construits.
73 Les Macci étaient de riches marchands, Guelfes blancs. L’un d’eux mourut sous la torture au début 1303 (II, 29). La Cour des Abbesses était une cour intérieure qui faisait partie des habitations appartenant aux Macci, près d’Orsanmichele, dans lesquelles étaient abritées des tertiaires franciscaines.
74 Les Cavalcanti étaient les chefs de file du mouvement de réconciliation avec les exilés auquel travaillait le cardinal de Prato (III, 6), mais Maruccio Cavalcanti a été nommé au chapitre précédent parmi les principaux chefs des Noirs. Rinieri Lucardesi, de l’ancienne famille de Grands, guelfes, du sextier de San Pier Scheraggio, les Da Lucardo ou Lucardesi, originaires du Val d’Elsa, est le même Neri da Lucardo venu aider Corso Donati contre Rosso dalla Tosa (III, 3 ; et voir II, 2).
75 Ostina : château appartenant aux Pazzi du Val d’Arno (famille gibeline – I, 6 – différente de celle des Pazzi guelfes et noirs de l’intérieur de Florence), dans le Val d’Arno supérieur. Le Stinche : château entre le Val di Pesa et le Val di Grieve appartenant aux Cavalcanti, qui sera détruit par Florence peu de temps après, en 1304.
76 Par le cardinal de Prato qui ne manqua pas de se plaindre de l’attitude des Florentins à son égard (Villani, IX, 72).
77 Les délibérations de conseils pour désigner ceux qui devraient faire ce déplacement eurent lieu le 30 juin 1304. Il fallut certes donner des explications sur les désastreux événements récents, mais surtout répondre à l’injonction du Pape qui, par une longue bulle du 21 juin, citait à comparaître devant lui une douzaine de chefs du parti noir florentin, ainsi que plusieurs Lucquois. Au total plus de 150 personnes à cheval firent le déplacement (Villani, loc. cit.).
78 Leur citation date du 5 juillet, selon P. Pieri (p. 80), qui ajoute que, à Pérouse, le Pape était mort entre-temps. Pour la semence en question, sans doute leurs « paroles déguisées » (voir « semez vos mensonges » : II, 1 ; les « semeurs de scandales » : II, 3 et 4 ; et « semer la discorde » : II, 34) : métaphore tirée de la parabole évangélique (Matthieu, XIII). Ou peut-être leur argent, avec lequel ils achètent tout le monde.
79 C’est le 7 juillet qu’il s’est éteint, de mort naturelle, peut-être de typhus. Dino semble laisser entendre, par une accusation indirecte certes – simple juxtaposition d’informations sans commentaire – mais implicite, que les Florentins noirs pourraient ne pas être étrangers à la mort du Pape.
80 Blancs et Gibelins. Ils cherchaient à profiter de l’absence temporaire des principaux chefs des Noirs. G. Villani (IX, 72) impute l’initiative du coup de force et les appels à la guerre au cardinal de Prato désireux de se venger de l’affront subi.
81 Les autres chroniqueurs avancent des chiffres élevés : entre 1 200 et 1 600 cavaliers et entre 6 000 et 10 000 fantassins.
82 Ce fut en réalité le 20, jour de sainte Marguerite.
83 Les Cavalcanti, Blancs (III, 6 et note). Les Gherardini, Noirs de la faction de Rosso dalla Tosa (III, 3). Les Lucardesi, Noirs de la faction de Corso Donati (III, 2), comme les Gherardini, probablement chassés après l’incendie. Les Scolari du Val di Pesa, Blancs (III, 7). Et Tolosato degli Uberti, chef de file des Gibelins (II, 29 note), à la tête de Pistoia (III, 4 et 5). Enfin, Baschiera Tosinghi, Blanc, dont a déjà été évoqué le grand courage (II, 24).
84 Leurs amis de l’intérieur sont les Guelfes blancs qui n’ont pas été exilés (tel Dino, par exemple), ou ceux, Blancs et Gibelins, qui ont été pardonnés et réadmis à Florence. Ils ont également reçu une promesse d’aide de la part de certains Guelfes noirs (qui ne seront pas appelés amis), mécontents à cause de l’incendie ou de la rupture des accords de paix, ou bien en désaccord avec ceux de la faction au pouvoir. Ainsi les Pazzi, Magalotti et Lambertuccio Frescobaldi qu’on va voir quelques lignes plus bas.
85 San Gallo : route qui menait à Florence par le nord et aboutissait à la porte du même nom, de la troisième enceinte encore très loin d’être achevée. G. Villani dit que les nouvelles murailles et les nouveaux fossés n’existaient pas encore et que les anciennes murailles étaient écroulées en maints endroits (IX, 72).
86 Cafaggio del Vescovo : lieudit entre l’église San Marco et celle de l’Annunziata, hors des anciennes murailles.
87 Porta degli Spadai : c’est la porte della Via Nuova, au bout de Via degli Spadai, mais désignée par le nom de l’ancienne porte de la première enceinte, à l’autre bout de la rue, aujourd’hui Via de’ Martelli donnant sur Piazza Duomo. Les nouvelles portes, bien que baptisées d’un nom à elles, continuaient à être couramment appelées par le nom de la porte correspondante appartenant à l’enceinte précédente (voir II, 17 note).
88 Des hommes du château de Gangalandi, dans le Val d’Arno inférieur, venus défendre Florence au titre du service dû par les milices de campagne (voir II, 15 note).
89 Guelfes noirs, appartenant pour la plupart à la faction de Rosso dalla Tosa (III, 3).
90 Il s’agit de grosses arbalètes puissantes, sur pieds, qu’on armait au moyen d’un treuil à main. Santa Reparata : église très ancienne désormais incorporée dans la cathédrale de Santa Maria del Fiore commencée en 1298.
91 E la speranza e l’allegrezza tornò loro in pianto : correspondance avec un vers de Dante qui fait relater par Ulysse son dernier voyage (Enfer, XXVI, 136) : « Noi ci allegrammo, e tosto tornò in pianto ».
92 De nombreux assaillants moururent de chaleur, de soif et d’épuisement (Pieri, p. 80 ; Villani, IX, 72).
93 Baschiera Tosinghi enleva ses deux nièces au couvent de San Domenico al Maglio, sur les pentes de Fiesole (de force car il enlevait avec elles une source de richesse certaine pour le couvent), afin de les soustraire aux représailles des Noirs. La punition divine pour le sacrilège réside probablement dans l’échec de l’entreprise, car on sait que Baschiera Tosinghi ne mourut qu’en 1323.
94 En suivant la leçon de Del Lungo : les Noirs qui défendaient Florence établirent un point de ralliement dans la maison de Carlettino dei Pazzi, près de la porte degli Spadai. Mais la phrase pourrait se référer aux assaillants.
95 Les Noirs les plus vindicatifs s’empressent de nettoyer la ville de tous leurs adversaires tandis que les plus malins, craignant que les ennemis ne reviennent en force pendant que Corso Donati et les autres chefs noirs sont à Pérouse, tentent de les effrayer en faisant courir le bruit de la prise d’Arezzo.
96 Ma folle fu la venuta : voir le vers de Dante : « Temo che la venuta non sia folle » (Enfer, II, 35).
97 L’action divine dans les événements terrestres a déjà été évoquée aux chapitres I, 10 ; I, 22 ; III, 1. Elle le sera de plus en plus fréquemment.
98 Élection difficile : le conclave fut ouvert à Pérouse en août 1304 ; s’y opposaient ceux qui étaient restés fidèles à la mémoire de Boniface VIII et ceux qui, au contraire, faisaient le jeu des intérêts français ; le nom de l’archevêque bordelais Bertrand (et non pas Raymond, lui aussi archevêque puis cardinal de Bordeaux) de Got ne fut accepté que le 5 juin 1305, sous la pression française et celle de la famille Colonna, elle aussi mortelle ennemie de Boniface VIII et de sa politique, et désireuse d’avoir la haute main sur Rome.
99 Clément V fut couronné pape à Lyon le 14 novembre 1305. C’est avec lui que commença l’exil de l’Église en France, avec résidence en Avignon à partir de 1309, jusqu’à ce que Grégoire XI ramène la curie à Rome en 1377.
100 Un mur céda sous le poids des spectateurs au moment même où le Pape défilait dans les rues de la ville, monté sur un cheval dont les brides étaient tenues par Philippe le Bel et Charles de Valois. Dans cet accident un frère du Pape et un cardinal trouvèrent la mort, Charles de Valois lui-même fut blessé, et le Pape chuta à terre. La rumeur populaire y vit un présage de châtiment pour l’abandon du siège naturel de l’Église.
101 Il créa douze cardinaux, dont deux de la famille Colonna. Pour l’influence du roi de France sur le Pape : III, 23.
102 Clément V leva l’excommunication sur Philippe le Bel lancée par Boniface VIII, lui rendit tous les honneurs de l’Église, et lui offrit la rente des dîmes sur la totalité de son royaume pour une durée de cinq années (Villani, IX, 81).
103 Le pouvoir de nommer leurs officiers de justice, capitaine du Peuple et podestat : voir III, 5 et note. Pour ce sens exceptionnel de signoria, voir I, 5 et note.
104 Afin que le cardinal ait les moyens de faire que Pistoia devienne guelfe noire, ce que demandaient les Florentins comme condition préalable à l’acceptation de la paix avec les Blancs et Gibelins exilés (III, 5).
105 Le parti noir, florentin bien sûr, exigeait de Pistoia qu’elle fît rentrer ses propres exilés Guelfes noirs pour partager le pouvoir avec eux.
106 C’est un rappel de l’exigence formulée au chapitre III, 5 : les Noirs florentins posent comme condition à la réconciliation, c’est-à-dire au retour de leurs propres exilés (Blancs et Gibelins) à Florence, le retour des exilés (Noirs) de Pistoia dans leur ville pour le moment tenue par les Blancs et les Gibelins (Tolosato degli Uberti), et au minimum un partage du pouvoir entre les deux partis à Pistoia.
107 La promesse de réconcilier Noirs et Blancs.
108 Lucques était alors avec Florence le principal soutien de la ligue guelfe en Toscane.
109 Pise : ville gibeline qui accueillait les exilés blancs de Florence (II, 29). Bologne : ville guelfe favorable aux Blancs depuis l’été 1302 (II, 32), mais dont le gouvernement était alors sur le point de passer aux Noirs (III, 17).
110 Robert d’Anjou, fils de Charles II d’Anjou (voir I, 7), roi de Naples.
111 Il arriva fin avril 1305 et en mai mit le siège sous les murs de Pistoia, un siège qui fut tenu plus de onze mois (I, 26). Mais il quitta le siège sur injonction de Clément V au mois d’octobre 1305.
112 Sans doute à cause des difficultés à assurer la paye des soldats mercenaires.
113 Sans révéler l’état réel de la pénurie de provisions, pour ne pas démoraliser leurs troupes.
114 En soudoyant les sentinelles ennemies.
115 Dans une parenthèse lyrique du premier livre qui anticipait sur ces événements de 1306, Dino, ayant d’abord parlé des « membres », avait ensuite précisé « le nez » pour les femmes, « les mains » pour les hommes (chap. 26). Ceux auxquels on coupait les pieds étaient les combattants capturés lors des affrontements, les « meilleurs citoyens » comme il sera précisé quelques lignes plus bas.
116 Agnolo di Guglielmino, des Pazzi du Val d’Arno, venu à Florence parmi les chefs des exilés lors de la tentative de réconciliation à l’initiative du cardinal de Prato (III, 7 note).
117 Faire sortir les pauvres, les enfants, les veuves et les autres femmes, de basse condition, répond sans doute à l’idée qu’ils ne pourront constituer des otages, n’ayant aucune valeur d’échange.
118 Deux légats pontificaux, l’évêque de Mende et l’abbé de Lombez, arrivèrent à Florence le 29 septembre pour ordonner, au nom du Pape, la levée du siège sous peine d’excommunication.
119 C’est en réalité Bino de’ Gabrielli da Gubbio qui fut capitaine de l’armée florentine (les deux Gabrielli furent en fait podestats de Florence en 1306, Bino au premier semestre, Cante au second). Après le départ du duc Robert en octobre 1305 (qui laissa néanmoins sur place la plupart de ses troupes), le capitaine général des assiégeants fut son maréchal catalan Diego de la Rath. Le capitaine des Lucquois était le marquis Moroello Malaspina.
120 Voir Genèse, XVIII, 20 : « La clameur au sujet de Sodome et de Gomorrhe, comme elle est grande ! Et leur péché, comme il est grave ! »
121 Impôt spécifique mis alors sur chaque citoyen chef de famille, qui devait payer chaque jour pendant la durée de la guerre une faible somme, sur la base de son imposition courante.
122 Avec leurs propres armes, à acheter et à entretenir, que la ville ne leur fournissait pas.
123 I governatori di Pistoia, che sapeano il segreto della vittuaglia, sempre la celavano : au sens concret, eux qui connaissaient la cachette des vivres continuaient à garder ce lieu secret ; ou bien : « eux qui étaient les seuls à savoir à quel point manquaient les vivres continuaient à taire ou à minimiser l’importance de la pénurie », en accord avec ce que Dino a déjà dit et va répéter, mais peut-être moins crédible pour cela même.
124 Même s’ils ne gagneront rien à mourir au combat, ils n’y perdront rien non plus, n’ayant plus rien à perdre, étant déjà condamnés à mourir de faim.
125 Napoleone Orsini, romain, cardinal depuis la première année du pontificat de Boniface VIII, fut plusieurs fois légat pontifical. Il fut mêlé à l’affaire d’Anagni (II, 35) et à la difficile élection de Clément V.
126 Bien que gouvernée par les Gibelins, elle avait fait acte de soumission au cardinal de Prato (III, 13).
127 Il va venir en Toscane, et voudra entrer à Pistoia.
128 Idée et raisonnement assez communs à l’époque, appartenant sans doute aux exemples scolaires : pour la crainte fondée de choses réellement redoutables, voir Dante, Enfer, II, 88-90, et pour la réalité de la chose modifiée par l’éloignement ou par l’absence, voir Dante, Convivio, I, III, 6-11.
129 Le couvent de Santo Spirito Oltrarno accueillait les Ermites de Saint-Augustin. On a déjà vu une médiation politique faite par un religieux (I, 13) ; on en verra une autre peu après (III, 18). Ses qualificatifs ici (savio e buono) le définissent comme apte à une telle mission (voir I, 8 note). Quant au nom que le manuscrit laisse en blanc, il s’agit de Lippo, ou Filippo, dei Vergellesi, alors chef des Blancs de Pistoia.
130 Pour la magistrature des Anciens, voir I, 25 et note.
131 Ils en furent réduits, après avoir mangé leurs chevaux, à manger le fourrage : « du pain de sorgho et de son, noir comme les mûres et dur comme de la pierre » (Villani, IX, 82).
132 Le 10 avril 1306 s’ouvrent les portes de Pistoia. Le 20, le podestat de Florence, Bino de’ Gabrielli, reçoit un accueil triomphal des Florentins. En mai, on ne sait trop si le cardinal se voit refuser l’accueil à Florence ou bien s’il y entre mais n’y reste que très peu avant d’aller s’installer à Bologne.
133 Reggio et Modène étaient sous la juridiction du marquis de Ferrare, Azzo VIII, qu’on a vu (II, 31) tenter de s’emparer de Bologne avec l’aide des Noirs florentins. C’est Parme en fait qui, dirigée par Giberto da Correggio, fomenta la rébellion des deux premières. Cette digression hors de Florence et de la Toscane trouve sa justification dans le fait que de tels événements sont en relation avec les factions florentines : le marquis de Ferrare était lié aux Noirs florentins (II, 32) et son affaiblissement pourrait profiter aux Blancs. Dino omet pour autant de signaler des faits importants de l’histoire intérieure de sa ville : le renouvellement des compagnies du Peuple et le renforcement, par la loi du 23 décembre 1306, des Ordonnances de justice édictées en 1293 contre les Grands (Villani, IX, 87).
134 Il venait en effet de s’allier par mariage avec la maison royale d’Anjou et on disait qu’il voulait être le maître de toute l’Italie du Nord (Villani, IX, 88). Cette remarque est une anticipation par l’exemple d’une sentence d’origine biblique qui sera énoncée dans l’épilogue (III, 37), si bien que cette chute a déjà saveur de châtiment.
135 Béatrice d’Anjou, fille de Charles II roi de Naples (voir I, 7 et III, 15), qu’Azzo d’Este épousa en avril 1305, contre vingt mille florins ou plus, s’attirant l’inimitié de la noblesse ferraraise et de ses propres frères, Aldo-brandino et Francesco, ainsi que la jalousie des villes voisines Reggio et Modène, où courut le bruit (peut-être répandu par Giberto da Correggio) qu’il voulait mettre ces dernières dans la corbeille de la dot de sa femme.
136 Stando il Legato in Bologna : après la chute de Pistoia, fin avril 1306, le cardinal était parti à Bologne. Là, la ville a changé de parti, les Blancs et Gibelins ont été vaincus et remplacés au mois de mars par les Guelfes noirs (après la tentative avortée du printemps 1303, chap. II, 32). La précision circonstancielle doit donc se rapporter, non aux bouleversements de Bologne, mais à son action pour la paix (voir Villani, IX, 85).
137 Les Noirs florentins prirent une part active, en effet, dans la disgrâce du cardinal auprès des Bolonais.
138 C’est le dimanche 22 mai 1306 que le cardinal dut s’enfuir en toute hâte pour échapper à un mauvais sort.
139 Parti de Bologne, le cardinal Orsini fut d’abord à Imola en juin et juillet 1306, puis à Faenza en août et à Cesena en septembre. À Forlì, ville gibeline (voir II, 28 ; II, 32), où il semblerait néanmoins que les Noirs florentins réussirent à étendre leur influence, il ne put entrer qu’en novembre. Et ce n’est qu’au printemps 1307 qu’il arriva à Arezzo. Ceux qu’il tenta de ramener à la raison ce sont les Bolonais qui l’ont expulsé (et non pas les Florentins) : par une lettre monitoire écrite d’Imola, il citait 173 révoltés qui, ne s’étant pas présentés, sont condamnés et excommuniés. Dans un second temps, il excommuniera la ville tout entière.
140 À Rome le cardinal Orsini avait de nombreux amis (voir III, 15). Pise était une ville gibeline. Quant aux derniers, il s’agit de dignitaires ecclésiastiques de l’Italie du Nord (« Lombardie »), titulaires d’un fief et disposant donc de leurs propres milices.
141 L’expédition eut lieu à partir de la mi-mai 1307 et dura trois mois environ.
142 Pour comprendre pourquoi les Noirs florentins repartirent sans coup férir, il faut savoir que le cardinal refusa aussi bien de les attaquer que d’entraver leur marche sur le chemin du retour, dans le but de les effrayer par un imposant mouvement de troupes en direction de Florence : aussi, craignant pour leur propre ville, durent-ils abandonner l’expédition en toute hâte et le cardinal rentra tranquillement à Arezzo (voir Villani, IX, 89). Le récit de Dino est incomplet, et pour cause : il ne montre pas la moindre admiration pour cette ruse de guerre réussie par le cardinal (chargé après tout d’une mission de paix), tout occupé qu’il est à faire constater qu’une fois de plus les Noirs de Florence s’en tirent à bon compte alors qu’ils n’avaient aucune chance d’avoir le dessus.
143 Corso Donati aurait donné quatre mille florins au cardinal pour que ce dernier lui permît de triompher à Florence contre la faction de Rosso dalla Tosa. Mais en faisant revenir les Noirs à Florence, le cardinal s’interdisait d’y aller lui-même, et aurait ainsi gagné son argent sans pouvoir tenir sa promesse.
144 Vedeano il partito vinto : ils voyaient que c’en était fini, qu’il n’y avait plus rien à faire, que la partie était perdue ; ou bien littéralement et en dramatisant l’idée, en accord avec la dernière phrase : ils voyaient leur parti (celui des exilés) définitivement battu.
145 Le frère mineur Ubertino da Cassi fut envoyé par le cardinal, non pas auprès de la Seigneurie de Florence, mais à une sorte de congrès de représentants des communes de la ligue guelfe, réuni à Fuccecchio en décembre 1307, dans le but de poursuivre les négociations en vue d’une réconciliation avec les Blancs et les Gibelins exilés de Florence, qu’il était chargé de représenter en face de Betto Brunelleschi, Geri Spini et d’autres représentants du gouvernement florentin.
146 Il semblerait que ce fût plutôt Betto Brunelleschi, si on tient compte du fait que Dino dira de nouveau (III, 39) qu’il était bon orateur et qu’il amusait le cardinal par de belles paroles.
147 À Arezzo, ville gibeline, la division était entre les Verdi, à la tête desquels se trouvait Uguccione della Faggiuola, et les Secchi dirigés par la famille des Tarlati de Pietramala. Les Verdi chassés l’été 1303, Uguccione avait été remplacé par le comte Federigo da Montefeltro (II, 33). Il y revint en 1308 et, avec l’aide des Noirs de Florence (Corso Donati avait épousé la fille d’Uguccione), chercha à semer la discorde pour faire triompher les Verdi au détriment des Secchi, déconsidérés dans leur ville alors qu’ils étaient au pouvoir. Les désordres s’apaisèrent quand, en 1309, les deux factions finirent par s’unir sous la direction d’Uguccione.
148 Cette réflexion sur le caractère corruptible de toute chose prépare le récit de l’autodestruction souhaitée du parti noir de Florence dans les trois chapitres qui viennent. Sans aucun caractère naturaliste, elle trouve sa source dans le « memento mori », thème de prédication populaire utilisé par l’Église pour mettre en garde contre le péché, laquelle répète alors inlassablement que la mort est déjà en l’homme comme le ver est dans le fruit.
149 Dante aussi fait dire de Florence : « superbia, invidia e avarizia sono/le tre faville c’hanno i cuori accesi » (Enfer, VI, 74-75) et des Florentins : « gent’è avara, invidiosa e superba » (XV, 68). Et G. Villani, qui précisément à propos de cette reprise de leur dispute fait un récit très proche de celui de Dino : « per invidia di stato e di signoria » et « per le peccata della superbia, e invidia, e avarizia, e altri… » (IX, 96). Dans cette rhétorique de la déploration politique, le terme avarizia oscille entre cupidité et soif de charges civiques (voir encore Dino, I, 2 et Villani, IX, 68).
150 Pour arracher aux Blancs le pouvoir, à l’époque de Charles de Valois, en 1301 (voir II, 18 et II, 20).
151 La faction de Rosso dalla Tosa s’appuyait sur la riche bourgeoisie au pouvoir (III, 2).
152 C’était, dès le début de la querelle contre Corso Donati, le comportement de Rosso dalla Tosa, lequel dispensait ses largesses pour chercher à s’entourer de gens qui lui seraient obligés (III, 2).
153 Corso Donati « aurait voulu être le Seigneur de la ville et non pas l’égal des autres » (Villani, IX, 96). Mais Rosso dalla Tosa également voulait s’imposer seul et briguait le pouvoir à la manière des Seigneurs de l’Italie du Nord (III, 2).
154 Les Ordonnances de justice, édictées en 1293 par la bourgeoisie contre les Grands (I, 11), avaient précisément été renforcées peu de temps auparavant, en décembre 1306, par la création d’un nouveau magistrat, appelé l’exécuteur des Ordonnances de justice (Villani, IX, 87).
155 Les belles paroles de Corso Donati (on sait déjà qu’il était un agréable orateur : II, 20), peuvent être en effet parées des couleurs de la rhétorique, dès lors qu’elles sont pour une part modelées sur le discours que Salluste met dans la bouche de Catilina au moment ou celui-ci s’applique à galvaniser ses troupes (La Conjuration de Catilina, XX).
156 Scherigli : ou « sgherigli » ou « sgarigli » (III, 20), était le nom qu’on donnait alors aux milices catalanes envoyées par les rois de Naples, depuis celles qui vinrent à Florence avec Robert d’Anjou pour le siège de Pistoia en 1306.
157 Les membres de la riche bourgeoisie qui gouvernent au nom du groupe de Grands opposés à Corso Donati (Rosso dalla Tosa) dans la Florence guelfe noire (III, 2), et ne sont donc popolani que de nom.
158 Les paroles précédentes de Corso Donati étaient destinées à lui attirer la faveur des Grands. Ce sont à présent des adversaires (au double titre de popolani et de partisans de Rosso) qu’il réussit à convaincre de le suivre : des membres de la riche bourgeoisie guelfe noire et instruments de Rosso dalla Tosa, tels que les Médicis (voir II, 15), et les Bordoni qui auparavant s’opposaient ouvertement à lui (III, 2) ; ils vont même être parmi les plus virulents à ses côtés, et ses agents des basses œuvres.
159 Les blessures au visage furent vraisemblablement faites de façon volontaire ; on a déjà vu en effet que la défiguration était une violence particulièrement outrageante (I, 22 note).
160 Taio di messer Ridolfo : de la puissante famille guelfe noire des Guazzalotri de Prato que, déjà en 1304, les Noirs de Florence avaient dressée contre le cardinal de Prato (III, 5).
161 Les Lucquois avaient été sollicités dès décembre 1303 pour faire fonction d’arbitres, avec des pouvoirs de justice, dans la querelle opposant Corso Donati à Rosso dalla Tosa (III, 3). Mais en décembre 1308 justement, la Seigneurie licenciait des soldats lucquois qu’elle avait pris à son service trois mois plus tôt, au motif, entre autres, de conspiration avec certains Grands de Florence.
162 Corso Donati exerça la charge de podestat à Trévise au cours du premier semestre 1308. Mais il peut aussi n’être revenu que d’un rapide déplacement à Lucques pour tenter de tirer leur arbitrage en sa faveur.
163 Le 6 octobre 1308. Les Prieurs réunirent le Conseil général du podestat et firent armer le Peuple en appelant les compagnies sous leurs gonfalons. Les chefs d’accusation sont énumérés par G. Villani : « tentative de trahison contre le gouvernement populaire, de subversion et de renversement de l’État, avec l’aide d’Uguccione della Faggiuola et des Gibelins et ennemis de la commune » (IX, 96). Il dit aussi que citation, publication, condamnation, tout fut réglé en moins d’une heure.
164 Là où Corso Donati avait ses maisons (voir II, 18).
165 Avec des bannières marquées de leurs propres armoiries. On sait pourtant que les Bordoni n’étaient pas nobles (III, 2), ce qui montre les aspirations des grands bourgeois à le devenir.
166 Corso Donati comptait surtout sur les troupes arétines d’Uguccione della Faggiuola, lequel se trouvait déjà non loin de Florence, arrêté par une ruse de la Seigneurie. Il se retirera à l’annonce de la mort de Corso (Villani, loc. cit.).
167 Les milices citadines, chacune avec son propre gonfalon (III, 4 et note), pouvaient totaliser un millier d’hommes. Quant aux soldats (soldati), ce sont des troupes étrangères engagées à la solde de la commune, de même que les mercenaires catalans (sgarigli).
168 Les Rossi, Bardi et Tornaquinci furent avec Corso Donati dès le début, dès 1303 (III, 2). Les Frescobaldi au contraire s’étaient d’abord rangés du côté de Rosso dalla Tosa (III, 3).
169 Pinaccio : il pourrait s’agir de Pinuccio dalla Tosa, qu’on a rencontré au chapitre I, 22, mais qui y est dit grand ami de Corso Donati en 1300 (et voir III, 38).
170 Suivant la mode catalane, dont l’exemple à Florence était toujours présent avec les mercenaires catalans au service de la commune, qu’on a vus au chapitre précédent et plus haut dans ce même chapitre.
171 Ce détail cruel de la main tranchée emportée comme trophée est rapporté aussi par G. Villani, qui précise que l’agresseur l’emporta pour la clouer sur la porte du palais de Tedice Adimari, son parent (loc. cit.). Les Adimari étaient pour la plupart Guelfes blancs comme Tedice Adimari, sauf la branche appelée Cavicciuli, à laquelle appartenaient Boccaccio et ses fils (Dino, I, 22 et Villani, IX, 39).
172 Les Bordoni trouvèrent refuge principalement sur le territoire de Lucques, et Florence réclama avec insistance aux Lucquois pendant tout l’hiver 1308-1309 qu’ils fussent mis hors d’état de nuire.
173 Dove già molti mali avea fatti e fatti fare : on ne connaît pas de lien entre ses méfaits passés et l’abbaye des moines de Vallombrosa (dans le faubourg Est de la ville, au-delà de la porte Alla Croce par où ses partisans s’étaient enfuis). Le dove doit sans doute être compris comme temporel, mettant en évidence la triste fin de sa triste carrière.
174 Le beau-frère du maréchal Diego de la Rath, resté à Florence avec ses troupes catalanes comme vicaire de Robert d’Anjou depuis le siège de Pistoia en 1306 (III, 14 note).
175 Corso Donati est mort le dimanche 6 octobre 1308. Le récit de sa mort ne varie guère entre les divers chroniqueurs (jusqu’au romancier contemporain Vasco Pratolini qui évoque même les arcades sous lesquelles il a été transpercé, au début de Il quartiere). Il est en revanche assez différent dans la poésie de Dante (qui, ayant épousé en 1295 Gemma Donati, fut son beau-frère) : Purgatoire, XXIV, 82-87.
176 Même si, sa vie durant, il mit en péril la république, il ne méritait pas de mourir ainsi. Exemple de jugement équilibré sur un adversaire politique : Dino se propose de faire un portrait bilan (après le portrait présentation de II, 20) et, pour cela, d’éviter l’écueil du jugement partisan. On pourrait comprendre que sa vie (pericolosa) fut remplie d’aventures, de péripéties, de dangers ; mais alors on ne voit plus le balancement entre les deux choses.
177 Di grande animo : comme au chapitre III, 19 (« di sì alto animo »), doit être compris plutôt en bonne part, contrairement à « l’animo grande che avea » au chapitre II, 20.
178 Di pelo bianco : se rapportait alors non pas à la couleur de cheveux mais à la carnation.
179 Selon les mœurs de l’époque la famille avait la charge de la vengeance, aussi l’assassin fut-il protégé par les siens : aussitôt séparé des autres soldats ou bien éloigné de Florence.
180 Trovai così esser vero : « je trouvai qu’ils ne l’avaient pas tué eux-mêmes mais qu’ils l’avaient fait tuer ainsi que (così) je l’ai raconté ». Le scrupule de l’auteur qui n’a pas assisté à l’événement, vérifiant une rumeur partielle qui faisait de Rosso et de Pazzino les meurtriers véritables au lieu des simples commanditaires, illustre l’intention initiale, exprimée au début de l’ouvrage pour la quête de la vérité, de suivre « ce qu’en disent la majorité des gens » (I, 1), auquel correspond ici la phrase « ce que tout le monde disait communément ».
181 Discréditée soit à cause de l’exil en France, soit à cause du scandale provoqué par Boniface VIII, à travers qui l’Église avait permis de faire prévaloir une partie des chrétiens contre une autre.
182 L’évocation de ces procédures contre Florence englobe dans un même bilan des moments historiques différents, correspondant aux mécontentements exprimés d’abord par le cardinal d’Acquasparta en 1300 (I, 21) puis en 1302, ensuite par le cardinal de Prato en 1304 (III, 7), enfin par le cardinal Orsini en 1307 (III, 18). L’excommunication fut prononcée contre les magistrats. L’interdit local général, qui privait les fidèles des offices religieux et de la plupart des sacrements sans rompre leur communion avec l’Église, englobait tout le territoire.
183 Les Florentins envoyèrent dès 1306 des ambassades auprès du Pape pour demander l’absolution. Mais n’eurent d’effet que les prières de l’été 1309, renforcées par une aide militaire spontanée apportée à l’Église dans sa guerre contre Ferrare : l’interdit fut levé par une bulle du 11 septembre 1309, solennellement annoncée aux Florentins le 26 par le cardinal Pelagru (voir Dino III, 32 et Villani, IX, 115).
184 Pour Lottieri dalla Tosa, voir III, 2. Quant aux précisions de Dino sur son successeur, Antonio d’Orso di Biliotto dell’Orso : la première s’explique par le fait que seuls les Grands généralement, comme Lottieri dalla Tosa, accédaient à cette charge ; pour la deuxième et la troisième on sait que cet ardent défenseur du guelfisme armera et commandera lui-même le clergé trois ans plus tard contre Henri VII (Villani, X, 47), ce qui peut expliquer sa popularité ; enfin, personnage d’une nouvelle de Boccace (VI, 3) et d’une autre de Sacchetti (CXXVIII), il y semble mériter la critique de Dino sur ses mœurs.
185 Voir Livre de Job, XXXIV, 11 et 30.
186 L’élection de l’évêque de Florence se faisait alors par le chapitre des chanoines. L’élu était ensuite proposé à l’approbation du Pape. On ne sait quel fut ce chanoine qui recueillit les suffrages du chapitre avec l’appui de la faction de Rosso dalla Tosa, mais fut écarté par ceux de la faction opposée qui achetèrent certaines personnes bien placées à la cour du Pape. L’affaire, qui dura cinq mois, paraît brûlante si Dino, sur un ton philosophe faussement amusé, hésite même à nommer Antonio d’Orso. Clément V non plus n’en sort pas grandi.
187 Frédéric II de Hohenstaufen, mort en 1250, avait bien eu des successeurs sur le trône de roi de Germanie et des Romains, depuis Rodolphe de Habsbourg (1273-1291) jusqu’à Albert d’Autriche (1298-1308) ; mais aucun n’avait assumé dans les règles la dignité de l’Empire d’Occident, qui voulait, depuis sa restauration par Charlemagne, que le sacre se fît à Rome par la main du Pape ; faute de quoi, l’Empire était considéré comme vacant.
188 Erano tenuti sotto gravi pesi : pour dire la même chose que Dino à propos des Gibelins, Dante à propos des Guelfes blancs utilise la même expression : « tenendo l’altra sotto gravi pesi » (Enfer, VI, 71).
189 En Toscane, le parti guelfe avait définitivement pris le dessus sur les Gibelins en 1289, par la victoire de Campaldino (I, 10). En Sicile, à la maison d’Anjou qui dominait le parti guelfe avaient succédé les rois Aragonais.
190 L’Empire considéré comme le bras temporel de l’Église, son affaiblissement signait également celui de l’Église, tombée sous la coupe de la monarchie française. Même les Guelfes blancs, ses véritables fidèles selon ce qu’estime Dino, se sont en quelque sorte retournés contre elle, en se rapprochant des Gibelins.
191 Philippe le Bel avait été à l’origine de l’attentat d’Anagni (II, 35), même s’il n’avait pas cherché la mort du Pape. Pour les élections de cardinaux et sa volonté d’effacer tout souvenir de Boniface, III, 12 et Villani, IX, 80.
192 Philippe le Bel imposa de lourds tributs à tous les prêteurs, banquiers juifs et italiens.
193 L’ordre des chevaliers du Temple sera supprimé par une bulle pontificale du 22 mars 1312.
194 Un Empereur fidèle à l’Église et vouant au Pape un respect filial, et non pas en lutte contre lui comme Henri IV ou Frédéric II, c’est ce que souhaitaient les Guelfes blancs. Et c’est aussi ce que souhaite Dante dans la conclusion de la Monarchia (III, xvi, 18).
195 Ceux qui le choisissent sont bien entendu les princes électeurs de Germanie. Il faut croire que ce choix fut favorisé par la Curie, à laquelle ne revient d’ordinaire que le couronnement.
196 Son frère cadet Baudoin, âgé de dix-huit ans, fut élu le 7 décembre 1307 à la tête de l’archevêché de Trèves. Henri se rendit auprès du Pape pour faire entériner cette élection, en dépit de ce jeune âge.
197 Les électeurs, ces princes de Germanie dont les suffrages permettaient, par une sorte de droit coutumier avant la bulle d’or de 1356, de pourvoir le trône impérial (auparavant pourvu, jusqu’à Othon III, par transmission héréditaire), étaient au nombre de sept : trois ecclésiastiques (les archevêques de Mayence, de Trèves et de Cologne) et quatre laïcs (le roi de Bohême, le duc de Saxe, le margrave de Brandebourg et le comte palatin de Rhénanie) : voir Villani, V, 3.
198 Il fut élu, le 27 novembre 1308 à Francfort, roi de Germanie et des Romains, couronné roi le 6 janvier 1309, jour de l’Épiphanie, à Aix-la-Chapelle, reconnu et confirmé par le Pape le 21 juillet 1309 en Avignon.
199 Ceux qu’il aidait ainsi étaient les Guelfes blancs et les Gibelins ; ceux qu’il punissait, les Noirs et Philippe le Bel, qui auraient tenté de faire élire au trône de l’Empire Charles de Valois (Villani, IX, 101).
200 On a vu au chapitre précédent (dernière note) que le 21 juillet 1309 est la date de la confirmation par le Pape de son élection, advenue en novembre de l’année précédente. On remarquera que les erreurs de date – certaines d’ailleurs magistrales comme celle-ci ou l’entrée à Florence de Charles de Valois (II, 9) –, quand elles ne sont pas le fait des copistes, concernent souvent les plus grands événements, ceux dont la date précise serait la plus aisée à retrouver ou à vérifier. Ce qui montre que là n’est pas l’intérêt profond du chroniqueur.
201 Ayant promi au Pape de restaurer l’autorité impériale en Italie, afin de tenir sa promesse, Henri s’y rendit deux ans avant la date initialement fixée pour son sacre (2 février 1312, jour de la purification de Marie), et traversa les Alpes en franchissant le col du Mont-Cenis en octobre 1310.
202 Allusion au pouvoir entre les mains d’un seul, comme dans les Seigneuries de l’Italie du Nord ou comme aurait voulu l’obtenir Rosso dalla Tosa à Florence (voir III, 2). Mais pas seulement, car l’oligarchie noire à Florence est bien elle aussi identifiée à la tyrannie (III, 9).
203 Senza arme : ses cavaliers sont par définition armés, mais pour sa défense et sa sécurité. Escorté de seulement trois cents cavaliers (cinq cents, selon certains) et trois cents fantassins, il n’a pas encore avec lui les nombreuses troupes qui vont bientôt le rejoindre en vue de ses entreprises militaires.
204 Henri passa à Soleure (où il rencontra, le 29 septembre 1310, le comte de Savoie, Amédée V), Lausanne (et s’y arrêta longtemps, selon Villani : X, 7 et 9), Genève, Chambéry, Suse (le 24 octobre), Turin (où il s’arrêta huit jours), Asti (où il demeura du 10 novembre au 12 décembre).
205 Il réconcilia Guelfes et Gibelins à Casale, Vercelli, Novare, Magenta, cherchant dans un premier temps la reconnaissance et la soumission de tous ; mais il se contentera par la suite (III, 36) de l’appui des seuls Gibelins.
206 Robert d’Anjou, le Sage ou le Bon, roi de Naples après Charles II mort le 5 mai 1309 (voir III, 14). De retour d’Avignon où il avait été couronné par le Pape « roi de Sicile et des Pouilles » en juin 1309, il se trouvait alors en Italie du Nord, en qualité de vicaire pontifical, pour aider au renforcement du parti guelfe.
207 Les Visconti, Gibelins, et les Dalla Torre ou Torriani, Guelfes, se disputaient le pouvoir à Milan, que Matteo Visconti tint, comme vicaire impérial, de 1288 à 1302. Il avait rejoint Henri à Asti comme beaucoup d’autres exilés gibelins, espérant grâce à lui rentrer à Milan qui, depuis 1307, était aux mains de Guido (Guidotto, l’appelle Dino) dalla Torre. Mais l’Empereur avait déjà été sollicité lors de son passage à Asti par les Guelfes de Lombardie pour qu’il se rende à Pavie, afin de le détourner de Milan. Les accords passés entre Henri et Matteo Visconti font état d’une promesse de soixante mille florins.
208 Il était chef des Gibelins de l’Italie du Nord, pour la plupart exilés, comme lui, de leurs villes respectives.
209 La comparaison porte probablement sur les seules qualités de Guidotto (moins capable que loyal), car le parallèle entre les deux adversaires (le Visconti et le Dalla Torre) est assuré par l’opposition des deux phrases et des deux comparaisons. C’est un jugement qui oppose la loyauté du Guelfe à la déloyauté du Gibelin qui renversera Milan à la première occasion après leur réconciliation (III, 27).
210 L’ambassadeur d’Henri VII auprès de Guido dalla Torre fut Henri de Flandres, mais il est possible qu’il ait été accompagné d’un des quatre frères de l’archevêque Gastone Dalla Torre – tous brouillés avec Guido et réconciliés par Henri avec Matteo Visconti – qui accompagnaient Henri.
211 Les couleurs guelfes.
212 Filippone comte de Langosco, beau-frère de Guido dalla Torre, autre potentat guelfe de l’Italie du Nord.
213 La chose provoqua la stupeur générale, car il était rarissime que les eaux fussent pour cela assez basses.
214 Distretto : territoire environnant, sous la juridiction de la ville, plus étendu que le « contado ».
215 Le cérémonial exigeait une telle manifestation de bon accueil que, en l’occurrence, Henri VII avait autoritairement fait organiser par son ambassadeur à Milan.
216 Guido fut contraint d’aller lui aussi au devant d’Henri VII, mais de très mauvaise grâce et avec l’intention de ne pas se soumettre, si bien que, n’ayant pas fait abaisser les enseignes de ses troupes, les soldats de l’Empereur durent les leur arracher de force. Néanmoins, face à l’Empereur, il se plia. Le détail du bâton (symbole de son autorité) jeté à terre en signe de dépit n’est pas exact car c’est le podestat de Milan qui le remit à Henri, lequel le lui rendit pour qu’il continue à exercer son autorité en son nom, mais cela ne contredit pas l’attitude réelle de Guido dalla Torre.
217 Henri entra à Milan le 23 décembre. Il remplaça le podestat communal par un vicaire impérial. La réconciliation officielle des deux partis eut lieu le 27 ; puis le 28, le 2 et le 3 janvier, il la fit manifester par des assemblées publiques tenues en grande pompe sur la place Sant’Ambrogio.
218 Jean de Luxembourg, nommé par son père roi de Bohême, épousa Élisabeth, veuve de Venceslas IV de Bohême.
219 Trois couronnements étaient en fait nécessaires : dans l’ordre, celui de roi de Germanie à Aix-la-Chapelle, celui de roi d’Italie à Milan (autrefois à Pavie, avec la couronne de fer conservée dans la basilique de Monza) et celui d’empereur à Rome. Dino désigne à l’italienne le deuxième comme premier, car c’est le premier des deux à faire en Italie : signe d’un horizon d’intérêts plus restreint que celui de Giovanni Villani qui le désigne comme la prise de la deuxième couronne (X, 9).
220 Celle d’Aix-la-Chapelle était appelée couronne d’argent, celle de Rome couronne d’or. On appelait celle de Milan la couronne de fer.
221 Il fut couronné non pas le jour de Noël (suggestion venue probablement du couronnement de Charlemagne dont Henri est le continuateur) 1310, mais le 6 janvier 1311, jour de l’Épiphanie (selon certains dans la cathédrale de Milan), par l’archevêque Cassone dalla Torre.
222 La « couronne de fer » de Monza ne put être retrouvée alors, et elle ne réapparaîtra qu’en 1319. Il reçut donc une véritable couronne de fer (d’acier en fait), fabriquée pour l’occasion comme celle, en or, de sa femme Marguerite de Brabant.
223 En style florentin (voir I, 11 note). Il adouba pour l’occasion cent soixante nouveaux chevaliers et leur fit offrir destriers et riches vêtements.
224 Le 4 janvier 1311 il reçut à Milan la soumission de Crémone, qui sera renouvelée à Crémone le 10 mai. Il reçut également la visite des Génois et des Vénitiens qui lui firent des présents d’amitié mais non de soumission.
225 Présentation hiératique correspondant aux images du cérémonial impérial d’alors. Filippone di Langosco, Seigneur guelfe de Pavie (II, 25), Manfredi da Beccaria, chef du parti gibelin de Pavie (voir III, 30), Antonio da Fisiraga (appelé Antonio da Forestierato au chap. III, 4), Seigneur guelfe de Lodi.
226 Il plaça au gouvernement des villes soumises, guelfes ou gibelines, ses propres représentants, généralement pour remplacer le podestat. Au-dessus d’eux, le vicaire général de Lombardie (l’Italie du Nord, comme toujours), qui fut au début Amédée V comte de Savoie.
227 Dans un premier temps, soixante mille florins d’or, sur proposition de Matteo Visconti (les Gibelins, « les exilés qui étaient rentrés »). Mais Guido dalla Torre (les Guelfes, « ceux de l’intérieur ») proposa au Conseil la somme de cent mille florins par surenchère.
228 Francesco et Simone dalla Torre regrettaient, avec d’autres Guelfes, qu’on n’eût pas résisté à Henri VII.
229 Il s’agit de l’archevêque de Milan Cassone dalla Torre, son frère Napino et trois autres de ses frères, tous les cinq fils de Corrado dalla Torre, dit Mosca, cousin germain de Guido dalla Torre. Ayant comploté pour enlever à Guido la Seigneurie de Milan, ils furent emprisonnés le 1er octobre 1309. L’archevêque fut libéré rapidement et exilé. Les autres furent libérés en décembre 1310, avant l’arrivée de l’Empereur. La réconciliation eut lieu quelques jours après son entrée à Milan.
230 Au cours de l’assemblée du 12 février 1311 qui préluda au tumulte populaire, le vicaire impérial réclamait une nouvelle contribution pour couvrir les frais de ceux des Milanais qui devaient accompagner Henri VII à Rome.
231 Guasto : les maisons de la famille Dalla Torre avaient été reconstruites sur leur site autrefois dévasté (« guastato »), auquel l’événement avait donné le nom de « Guasto Torriani ».
232 Pendant que son fils Galeazzo participait à la répression contre les Dalla Torre avec le maréchal de l’Empereur, Matteo se rendait auprès d’Henri VII pour plaider son innocence dans les désordres.
233 Les possessions du Dauphin de Vienne s’étendaient entre le Rhône, la Savoie, les Alpes et la Provence. Le Dauphin d’alors était parent de Robert d’Anjou, et pouvait donc être favorable au Guelfe Guidotto.
234 Les deux branches des Dalla Torre, celle de Guido et celle de l’archevêque Cassone, furent exilées. Matteo et son fils Galeazzo Visconti furent eux aussi relégués, l’un à Trévise, l’autre à Asti ; pour peu de temps car le 17 mars Matteo était déjà de retour à Milan, aux côtés d’Henri VII qui revenait de Pavie.
235 Il est clair que la haine entre les deux partis dut croître plus que jamais ; mais plus qu’à de la méfiance réciproque quant au futur, ce peut être aux soupçons des Dalla Torre sur le passé – d’avoir été joués par un accord entre les Visconti et l’Empereur – que se rapporte la phrase.
236 Niccolò Salinbeni da Siena : c’est Niccolò Bonsignori de Sienne qui exerça cette charge à partir du 12 janvier 1311, un sinistre personnage aux dires des chroniqueurs lombards. C’est le 19 avril qu’Henri VII partit vers les cités lombardes en révolte, et Matteo Visconti reçut le pouvoir sur Milan, devenant même vicaire de l’Empereur dès le mois de juillet.
237 Le grand ennemi de l’humanité, le diable. La phrase reprend des termes de la parabole évangélique du semeur d’ivraie (Matthieu, XIII ; voir également la première Épître de Pierre, V, 8).
238 À Crémone, ville qui avait fait acte d’allégeance à l’Empereur (III, 26), rivalisaient deux factions guelfes : celle des nobles avec à leur tête Guglielmo Cavalcabò et son frère Iacopo, alors au pouvoir, et la faction populaire dirigée par Sovramonte Amati. Les Florentins cherchaient à dresser des obstacles face à Henri VII.
239 Par un acte dressé à Milan le 5 mars 1311, Henri VII annula tous les privilèges de cette ville.
240 Tous ces détails sont les manifestations d’un rituel d’humilité et de soumission, jusqu’à celui de la ceinture autour du cou, comme la portait le coupable qui implorait pitié après avoir avoué.
241 Cérémonial très codifié avec lequel l’Empereur manifestait son mépris envers les insoumis et son autorité sur eux : l’épée tendue au-dessus des gens de Crémone implorant son pardon, à l’intérieur de la ville, signifiait l’acceptation d’une reddition et une prise de possession sans conditions, affirmation du « jus gladii ».
242 C’est-à-dire ceux de la faction aristocratique des Cavalcabò.
243 Per troppo senno o per troppa sicurtà : pour avoir trop bien su combien il est sage de ne pas chercher à échapper à l’Empereur ou pour avoir cru trop aveuglément à sa clémence (c’est-à-dire pour avoir trop cru que sa responsabilité véritablement moindre dans la révolte le sauverait). La réaction d’Henri VII, qui voulait faire un exemple, fut unanimement considérée comme excessive. Dino se contente de cette très mince réserve.
244 Riminingo : Romanengo, sur le territoire de Crémone ; beaucoup y moururent. À la place des Guelfes, Henri VII mit alors à la tête de l’État les Gibelins qu’il fit rentrer d’exil.
245 Henri fit rentrer à Brescia les Guelfes exilés, à la tête desquels se trouvaient les Brusati, et enleva le pouvoir aux Gibelins qui le détenaient alors à travers les Maggi, pour le confier à son vicaire, en janvier 1311.
246 Henri VII demanda à Brescia, comme aux autres villes lombardes, un tribut sous forme de troupes militaires. Tebaldo Brusati fit que n’y allèrent que des chevaliers gibelins du parti de Matteo Maggi, de sorte que la ville se vida des Gibelins pour rester aux mains des Guelfes.
247 Là aussi, le cérémonial impérial est d’une rigidité absolue : l’épée dont il se fait ceindre marque un acte de souveraine justice qu’il s’apprête à accomplir, à demi dégainée elle exprime la menace de la peine capitale.
248 Dernier acte accompli avant son départ. Ce vicaire fut Galeazzo Visconti de Milan, le fils de Matteo (voir III, 27).
249 Le siège commença le 19 mai. En plus de ses troupes allemandes, l’Empereur était entouré de nombreux seigneurs, pour la plupart Gibelins, de Milan, Verceil, Côme, Pavie, Lodi, Novare, Crémone, Vérone, Mantoue.
250 On sait par d’autres sources que cette alternative – mater Brescia ou aller directement contre Florence et Robert d’Anjou avant le couronnement romain – fut débattue en conseil. Dans son épître du 16 avril 1311, Dante fait reproche à Henri VII d’avoir choisi de s’attarder en Lombardie.
251 Le frère de l’Empereur, Walerand, inspectait une tour d’assaut que les assiégés avaient incendiée. Il mourut au bout de six jours. La préparation à laquelle il eut droit peut se référer seulement à l’habillement, mais aussi à l’embaumement vu le rang du personnage.
252 En tant que tels, délicats et supportant malaisément les rudes conditions d’un siège difficile.
253 Interviennent en effet au siège de Brescia trois des cinq cardinaux dépêchés par le pape Clément V, par une bulle du 8 juillet, pour le représenter lors du couronnement d’Henri à Rome : le cardinal de Prato, ancien évêque d’Ostie ; Leonardo Patrasso da Guercino, cardinal d’Albano ; Luca Fieschi des comtes de Lavagna, génois, diacre cardinal de Santa Maria in Via Lata. Les deux autres étant Arnaud Fauger, gascon, évêque cardinal de Sabina et le cardinal Francesco Orsini.
254 L’Empereur pénétra dans la ville le 24 septembre. Les chroniques de Brescia disent au contraire qu’il ne respecta pas les conditions de l’accord.
255 Les troupes d’Henri VII furent en effet décimées par la faim et les épidémies.
256 Le 2 octobre 1311, en emmenant avec lui des otages de Brescia. Les désordres à Pavie datent du mois de juin de la même année.
257 On a déjà vu que les Beccaria, Gibelins, s’opposaient aux Langosco, Guelfes (voir III, 26). La lutte pour cette charge entre les deux familles était âpre. En 1294 avait été élu par le chapitre Ottone Beccaria, mort avant même d’être confirmé par le Pape, et lui avait succédé, de 1295 à 1311, Guido Langosco.
258 C’était plus exactement son fils Barnabò di Branca d’Oria qui gouvernait Gênes, alors qu’Obizzino Spinola en était depuis peu (11 juin 1311 : Villani, IX, 114) exilé. Les deux familles, D’Oria et Spinola, d’origine gibeline, avaient réduit les Guelfes avant de s’entre-déchirer.
259 Charles Ier d’Anjou, appelé en Italie par la papauté en 1263 contre la dynastie souabe de Naples, ramena à la raison (à la raison guelfe) bien des villes d’Italie, mais ne put venir à bout de Gênes par aucun moyen.
260 Le 1er novembre 1311, Henri VII fut institué en grande pompe Seigneur de Gênes pour une durée de vingt ans, à la stupeur générale (voir Villani, X, 24).
261 Montagneuse et donc difficile d’accès pour Henri, si les Génois avaient voulu s’opposer à son passage.
262 Dino reviendra sur cette idée de l’inéluctabilité de la mort comme jugement divin (déjà proposée au chapitre III, 19) ; ici pliée vers la résignation religieuse, il la pliera, au chapitre III, 37, vers la jubilation vindicatrice.
263 Il est établi que Marguerite de Brabant mourut le 14 décembre 1311, de l’épidémie de peste que les troupes d’Henri avaient apportée avec elles jusque dans Gênes.
264 Giberto da Correggio (III, 16), Seigneur de Parme depuis 1303, se trouva à Milan lors du couronnement d’Henri VII (III, 26), et l’accompagna sous les murs de Brescia. C’est par une convention signée à Bologne le 1er novembre 1311 avec une ligue guelfe de Toscane (regroupant Florentins, Siennois, Lucquois et autres Toscans) qu’il reçut cet argent pour soulever la ville contre le vicaire impérial.
265 On n’a pas connaissance du cadeau de San Donnino ; au contraire, ce château, il l’occupa brutalement au lendemain de sa révolte contre l’Empereur. Par contre le deuxième don concerne le château de Guastalla, ancienne propriété de Crémone, dont s’empara Giberto da Correggio en 1307 mais qui lui fut repris en 1311 : Henri VII le lui restitua comme fief perpétuel après la soumission de Crémone en mai 1311. Quant à Reggio, Henri avait fait de lui son vicaire dans cette ville.
266 Le marquis Manfredo Pallavicino, descendant d’Uberto Pallavicino, féroce Gibelin qui avait dirigé Crémone à l’époque d’Ezzelino da Romano.
267 Les exilés de Crémone et de Brescia que Giberto aidait à se fortifier dans les environs.
268 Galasso : Galeazzo Visconti, nommé vicaire impérial de Crémone après le départ de l’Empereur (III, 29), que Giberto, au service des gens de Brescia et des autres exilés guelfes, attaqua le 22 janvier 1312.
269 Guido dalla Torre, Guelfe chassé de Milan au début de l’année précédente (III, 27), s’opposait à l’Empereur par tous les moyens : il fut à la convention avec la ligue guelfe de Toscane en novembre 1311, et de Bologne il obtint une force de cent cavaliers instituée par Florence. Crémone devint ainsi le foyer de réunion de tous les ennemis de l’Empereur.
270 Filippone Langosco, Guelfe de Pavie (voir III, 30), maria en 1312 sa fille Elena à Giberto da Correggio.
271 Les exilés guelfes de Brescia, qui pourtant avaient été châtiés par l’Empereur (III, 29 et note), sont considérés par Dino comme ne l’ayant pas été suffisamment : les Guelfes de Tebaldo Brusati, pardonnés par Henri VII en octobre 1311 (loc. cit.), avaient tenté en décembre de se soulever contre les Gibelins, mais ils furent battus et chassés.
272 Serment de paix et de fidélité à l’Empereur.
273 L’expression n’a rien de surprenant quand on songe aux nombreux exilés que n’inclut pas cette qualification.
274 Entre 1311 et 1312, les Noirs au pouvoir à Florence firent tout leur possible pour dresser contre Henri VII, par l’envoi d’innombrables missives, toutes les villes de l’Italie du Nord, les cités guelfes confédérées de Toscane et de Romagne, le roi Robert d’Anjou, le Pape, les cardinaux, leurs officiers, ambassadeurs, condottieres…
275 On pourrait penser à des contributions forcées, sous peine d’emprisonnement ; mais il est clair ici qu’il s’agit de la liberté communale florentine à préserver collectivement face à la menace de l’Empereur. On ne s’étonnera pas de trouver cette expression sous la plume de Dino, car il rapporte la propagande gouvernementale, par rapport à laquelle il prend tout de suite après ses distances.
276 Ayant fréquenté le monde avant d’entrer dans les ordres.
277 Il s’agit du cardinal de Prato (III, 1, 4, 13, 15, 24…), ancien évêque d’Ostie. Son expression crûment méprisante fait allusion aux modestes dimensions du territoire des Florentins plutôt qu’aux moyens dont ils pouvaient disposer. Toutes ces tractations datent du premier semestre 1311.
278 Cette ambassade officielle date du début novembre 1310. Toutefois, ses membres étaient au nombre de quatre, les deux autres (Fazio da Signa et ser Gianni de’Siminetti) employés à des missions secrètes.
279 Arnaud Pelagru de Bordeaux, fait cardinal diacre de Santa Maria in Portico par son oncle Clément V en 1305, fut envoyé d’Avignon comme légat pontifical pour la guerre de Ferrare dès le 23 avril 1309.
280 Il marchese di Ferrara : Azzo VIII d’Este (voir III, 16 note), mort le 31 janvier 1308. Il confia le pouvoir de la ville à Folco, le fils légitime de son fils naturel Fresco. Contesté par les frères d’Azzo, Francesco et Aldobrandini, Folco dut recourir à l’assistance des Vénitiens, lesquels avaient déjà un podestat à Ferrare et rêvaient d’étendre leur pouvoir sur elle. Contre de l’argent, il leur permit de s’en emparer (voir Villani, IX, 88, 103, 115).
281 Orso di Gentile degli Orsini da Ponte, neveu de Nicolas III, favori également de Boniface VIII, dirigeait les milices pontificales engagées contre les rebelles de l’Église. En plus des Bolonais, faisaient partie de la ligue les gens de Ravenne et de Padoue.
282 Les Vénitiens tenaient Castel Tedaldo, érigé depuis le Xe siècle sur les berges du Pô, avec le podestat Vitale Michiel. Ils y envoyèrent par voie fluviale des renforts commandés par Marco Quirini della Ca’Grande, qui remontèrent le Pô, mais leur flottille fut coulée le 28 août 1309, la forteresse fut prise et la garnison sauvagement exterminée. Le capitaine Marco Quirini put s’enfuir et rentrer à Venise : c’est sans doute à cela que fait allusion la dernière phrase de Dino.
283 Le 22 août 1310. Cet accueil fut sans doute dû à son action pour faire lever l’interdit contre Florence, quelques mois auparavant (III, 22 notes).
284 Symbole de la commune depuis 1251, c’était un chariot rouge à quatre roues portant l’étendard mi-parti blanc et vermeil de Florence, tiré par deux bœufs sacrés, pour rassembler autour de lui les meilleures troupes citadines et transporter en grande pompe les gouvernants du Peuple, à la guerre ou lors des grandes cérémonies.
285 Ces manœuvres des Florentins datent d’août 1310, avant le franchissement des Alpes par Henri VII.
286 Nommé légat apostolique auprès d’Henri VII, il lui rendit visite à Asti, au début décembre 1310.
287 Leonardo Patrasso da Guercino, évêque cardinal d’Albano (III, 29 note), en route pour Rome, arriva à Lucques le 3 novembre 1311. Il y mourut le 6 décembre.
288 Théobald de Barry, évêque de Liège, prélat guerrier qui fit partie des barons d’Henri VII et le suivit en Italie où il mourut tragiquement, à Rome, le 27 mai 1312 au cours d’un combat livré dans la rue aux ennemis de son Empereur (Villani, X, 43).
289 Rezuolo : Reggiolo, gros bourg de la province de Reggio, que se disputaient Reggio et Mantoue. L’Empereur l’avait probablement confié à son fidèle évêque avant d’en décider l’attribution.
290 Pino de’ Rossi mourut en Avignon en mars 1311. Trois de ses parents furent faits chevaliers par la commune.
291 Leur rapprochement avec les Gibelins ne les avait pas totalement coupés de leurs racines guelfes (voir chap. II, 31). Ils furent néanmoins traités avec la plus grande sévérité, jusque dans les conditions, et les nombreuses exceptions, de l’amnistie qui leur fut proposée en septembre 1311 par la réforme de Baldo d’Aguglione.
292 Gherardo Bostichi mourut sans doute au cours du second semestre 1311. La dernière remarque s’applique à un moindre zèle de partisan guelfe noir comparé à celui de Pino de’ Rossi, plus probablement qu’à quelque manquement dans sa mission d’ambassade.
293 La ligue guelfe toscane fut décidée en novembre 1310, ratifiée le 1er juin 1311 (Villani, X, 17).
294 Après la prise de Pistoia en 1306 (III, 15), les vainqueurs florentins et lucquois imposèrent à la ville leurs propres magistrats (capitaine et podestat), continuant en quelque sorte des accords antérieurs (III, 5 et III, 13), mais payés à prix d’or.
295 Ce maréchal est le vicaire du roi de Naples Robert d’Anjou, auquel Pistoia avait confié sa Seigneurie en 1309. Elle préférait même ces Catalans, pourtant très mal vus alors, aux milices florentines qu’ils remplaçaient ; c’est une illustration de la présentation liminaire de Florence : « redoutée et respectée par ses voisines […] plus qu’elle n’est aimée » (I, 1).
296 Louis II, neveu du comte de Savoie Amédée V ; il fut lui aussi un très fidèle partisan d’Henri VII. Avec lui vinrent à Florence lors de cette ambassade de l’été 1310 l’évêque de Bâle et des exilés toscans.
297 En lui offrant leurs cadeaux, Prato et les autres s’excusaient de ne pouvoir jurer fidélité à l’Empereur du fait de leur appartenance à la ligue toscane : Florence est présentée comme obligeant en quelque sorte ses voisines à la suivre dans la voie de la résistance à Henri VII.
298 Pour la troisième fois (après II, 28 et II, 36), Sienne est accusée de duplicité.
299 Les Bolonais redoutèrent surtout qu’Henri ne descendît directement vers eux après la capitulation de Brescia, à l’automne 1311. On ne savait encore quelle route il choisirait pour atteindre Rome.
300 Toute la Romagne était territoire de l’Église et soumise au Pape et au vicariat du roi Robert de Naples.
301 Des vassaux déloyaux ou peu fiables : les Malaspina en fait n’étaient pas tous Gibelins comme Franceschino, Moroello et Corradino qui offrirent l’hospitalité à Dante en octobre 1306 ; un Moroello di Giovagallo de’Malaspini (évoqué en II, 33) était au contraire Guelfe noir.
302 Cette reprise du récit de la marche d’Henri se rattache à la fin du chapitre III, 30. Pise était ville gibeline d’ancienne date. Quant aux châteaux en question, il s’agit de ceux que le comte Ugolino della Gherardesca avait cédés à Florence (Pontedera) et à Lucques (Viareggio, Ripafratta) en 1285 (voir Dante, Enfer, XXXIII, 85-87).
303 Après avoir dû faire escale plus d’une quinzaine de jours à Portovenere à cause d’une tempête, Henri entra dans le port de Pise le 6 mars 1312, selon le calendrier actuel (voir I, 11 note).
304 C’est en novembre 1310 que les Florentins avaient choisi comme ambassadeur auprès d’Henri VII leur évêque Antonio d’Orso, avec l’abbé du monastère de Settimo et divers autres, clercs et laïcs (Villani, X, 7). Quant aux tentatives de corruption de la cour pontificale (étrangement dite ici « de Rome », au lieu de « d’Avignon »), elles sont amplement illustrées au chapitre III, 32.
305 Mission de juillet 1310 déjà évoquée au chapitre précédent.
306 L’Empereur était prêt à faire de Florence, unie bien sûr – condition indispensable –, sa résidence de prédilection en Italie, peut-être son centre administratif et financier (Villani, X, 7).
307 Ce sont les accusations mensongères déjà dénoncées au chapitre III, 26.
308 Ainsi, par exemple, dans un décret du 25 juillet 1312 : « Ad exaltationem regiæ maiestatis [Robert d’Anjou] et mortem depressionem et conculcationem ipsius regis Alamanniæ suorumque complicum ». L’appellation roi d’Allemagne est un évident refus de le considérer comme roi des Romains et surtout comme Empereur.
309 L’aigle impériale, symbole de la souveraineté d’Henri VII.
310 Parti de Pise le 23 avril 1312, Henri VII arriva à Rome le 7 mai. Il fut bien accueilli par les Colonna mais dut faire face à la résistance armée des Orsini et des gens du roi Robert (Villani, X, 39-40). Le 13 juin on lui offrait la ville par la fonction de président du sénat, l’équivalent à Rome de celle de podestat ailleurs.
311 Jusque-là Henri VII avait tenu à ne favoriser aucun parti au détriment d’un autre, rétablissant les exilés des deux partis dans toutes les villes qu’il traversait. Son impartialité s’effondre, détruite par l’obstination des Guelfes noirs de Florence, nous dit le chroniqueur.
312 Sa promesse d’aide date de 1310. Robert d’Anjou pratiqua une double politique, se montrant fidèle à Henri et se dressant contre lui dans le même temps, en Lombardie (III, 24) et aux côtés de la ligue guelfe toscane avec l’aide du Pape.
313 En vérité, Jean d’Anjou, prince de Tarente, avait occupé Rome alors qu’Henri se trouvait encore à Gênes.
314 Che ben la ’ntese : l’Empereur comprenant parfaitement la manœuvre du roi Robert, c’est là une anticipation de ce qui sera répété plus explicitement deux paragraphes plus loin. Certains comprennent qu’il s’agit d’une formulation populaire (agrémentée d’une reprise en écho du verbe) signifiant au contraire que le roi Robert parvint à obtenir ce qu’il cherchait, l’entente avec les Orsini.
315 Deux ambassadeurs d’Henri, envoyés auprès de Robert de Naples en mars 1312, revinrent à Rome auprès de l’Empereur, en mai, pour des négociations (déjà entamées, pour certaines, dès 1311) portant sur le couronnement romain d’Henri d’une part et sur le mariage du fils de Robert, Charles duc de Calabre, avec Béatrice la fille de l’Empereur d’autre part. Ces noces n’eurent pas lieu, au grand soulagement des Florentins.
316 Comme G. Villani (X, 43), Dino se trompe, car c’est le 29 juin 1312 qu’eut lieu le couronnement d’Henri. Les deux dates sont consacrées à la commémoration de saint Pierre : explication possible de la confusion. Le lieu prévu par le Pape était la basilique Saint-Pierre, et le jour celui de l’Assomption, le 15 août ; mais tout le quartier était occupé par les troupes angevines et par les Orsini, et Henri voulut presser l’affaire. Quant aux officiants, ce sont là trois des cinq cardinaux préposés à cette tâche (voir III, 29 note) ; deux d’entre eux étaient morts entre-temps (III, 33) et Dino confond le cardinal Arnaud Pelagru, absent au couronnement, avec le cardinal Arnaud Fauger, gascon lui aussi.
317 L’idée vient des Psaumes, VII, 18.
318 L’Empereur est couronné. Les Blancs attendent impatiemment qu’il vienne à Florence pour punir la ville et la réformer. On est à l’épilogue du livre. La justice de Dieu a commencé l’œuvre de réparation des torts causés, avec la mort de Corso Donati en 1308, et va la continuer avec celles qui suivront dans les derniers chapitres.
319 L’idée reprend celle des Psaumes, LVII, 11.
320 L’inflexibilité de la justice divine dans la vengeance est ici mesurée à la durée d’attente de cette vengeance, d’autant plus sévère qu’elle sera plus tardive : c’est un concept, présent dans le deuxième livre des Maccabées (VI, 13-16), répandu sous différentes formes dans les sentences morales du Moyen Âge depuis Plutarque.
321 Gherardo Ventraia : des Tornaquinci (I, 22). Ce sont là tous les chefs du parti noir.
322 Folcieri da Calboli fut l’un des tristes podestats de la répression en 1303 (II, 29 et II, 30).
323 Après la présentation du tribunal divin et la désignation des coupables, voici l’énoncé de l’accusation. Dans les mêmes termes sur les mêmes personnages, voir chapitre III, 19.
324 Principio della discordia : non pas au sens de l’initiateur mais de l’un des principaux responsables, comme il est dit plus clairement au chapitre II, 8. C’est le même sens qu’on avait au chapitre I, 1.
325 La intera Parte guelfa di Firenze divise e i Bianchi e’ Neri : il participa deux fois au déchirement du parti guelfe, une première fois dans la fracture de 1300 qui opposa aux Blancs la faction des Noirs dirigée par Corso Donati mais dont il fit partie en tant que principal acteur (I, 22), et une deuxième fois au sein même du parti noir par son opposition personnelle à Corso Donati dès 1304 (III, 2).
326 Aspettato da Dio lungo tempo : c’est Dieu qui a décidé d’attendre, de retarder le moment de son châtiment, afin de le punir plus sévèrement, en vertu de ce qui est dit au chapitre précédent. Ce n’est pas tant le cours serein de la justice divine agissant sans précipitation qui est mis en relief, que la proportionnalité du châtiment – toujours inéluctable et inflexible, mais ici particulièrement sévère – en fonction de l’importance des méfaits commis, pour ce premier accusé et principal coupable.
327 Il mourut le 10 juillet 1309.
328 On a déjà vu ce genre de récompense, pour services rendus à la commune, transmise aux héritiers (III, 33 puis 40). Ironie amère du partisan du Peuple, qui critique la destination des impôts levés sur la population socialement et économiquement humble, et dénonce la poursuite des injustices par transmission héréditaire.
329 Comme quelques autres, ils étaient de ceux qui, d’ancienne origine gibeline, puis partisans des Guelfes blancs, avaient fini par s’intégrer au parti noir : une conversion totale dénoncée au chapitre II, 23.
330 Il savait qu’en cas de victoire des Blancs et Gibelins, ceux-ci ne lui auraient jamais pardonné sa conversion politique ; aussi faisait-il tout pour qu’ils ne puissent jamais reprendre le dessus.
331 Pour sa familiarité avec le cardinal Orsini, et les vaines paroles avec lesquelles il lui fit perdre son temps, entre 1306 et 1308, voir III, 18 ; pour ses missions d’ambassade, voir III, 35.
332 Au chapitre III, 21, ce sont d’autres que Dino signale comme les commanditaires de ce meurtre. Mais il est vrai qu’il dit aussi que de nombreuses versions sur la mort de Corso Donati avaient couru en ville. Et G. Villani (X, 12) rapporte que la mort de Betto Brunelleschi vengea celle de Corso Donati, dont Betto était considéré comme responsable au point que les Donati, satisfaits, rééditèrent alors les funérailles de Corso.
333 Vers la fin de février 1311. L’un des deux agresseurs fut Pagno di Sinibaldo de’ Donati, neveu de Corso.
334 L’un du groupe des agresseurs, fils de Biccicocco de’ Donati.
335 Ayant été un des commanditaires de la mort de Corso Donati (III, 21), Rosso craignait la vengeance du clan.
336 Pino de’ Rossi, ambassadeur auprès du Pape en 1310 (III, 32), mourut en Avignon en mars 1311 (III, 33). Des Rossi, Corso Donati attendait l’aide en octobre 1308, mais, comme les autres, ils ne bougèrent pas (III, 20).
337 Giovane di grande animo : plutôt que son courage c’est sa force de caractère qui est ici louée pour la prise en charge d’une vengeance difficile et longtemps attendue.
338 Expression identique à celle qui qualifie la mort de Betto Brunelleschi au chapitre précédent. Ce fut le 11 janvier 1312 (Villani, X, 33).
339 Sous la houlette de ces bourgeois qui dirigeaient indirectement l’État, l’ordre guelfe noir était tel désormais que les milices du Peuple, organisées pour répondre à l’appel du gonfalonier de justice, servaient à présent à faire appliquer les Ordonnances même dans le cas d’une victime faisant partie des Grands.
340 Probablement Brunetto Brunelleschi : les Brunelleschi aussi auraient participé à la mort de Pazzino de’ Pazzi, par vengeance pour la mort récente de Betto (Villani, loc. cit.).
341 Gottifredi et Simone sont les fils de Rosso dalla Tosa (III, 38). Quant à Testa Tornaquinci, on l’a vu en 1304 blesser à mort un bourgeois, sans trouver d’opposition dans la population à cause de la peur qu’il inspirait (III, 3).
342 Les cinq cités sont morts dans un même espace, à l’est de la ville, celui d’une plaine hors les murs, au-delà de la porte Alla Croce, près du Campo di Fiore, précisément là où, entre les torrents Affrico et Mensola, on procédait aux exécutions capitales. Voir III, 20 pour Gherardo, III, 21 pour Corso et III, 40 pour Pazzino. Mais cette tentative de bilan est un peu forcée car Nicola de’ Cerchi et Simone Donati, proches parents d’ailleurs, se sont entre-tués le jour de Noël 1301, et cette agression du premier par le second, racontée en détails par G. Villani (IX, 49) et P. Pieri (p. 70), Dino l’avait jusqu’ici passée sous silence.
343 De mort violente ou affreuse eux aussi (III, 38 ; III, 39), même si ce ne fut pas au même endroit.
344 Geri Spini vécut au moins jusqu’en 1321, avec la crainte perpétuelle de subir la vengeance de ses ennemis, Donati et Bordoni qui, dès 1311 par la réforme de Baldo d’Aguglione, purent rentrer à Florence, après avoir été châtiés en 1308 (III, 20) et exilés.
345 La sentence, stoïcienne, est rapportée par Cicéron (Tusculanes, V, 28).
346 Dino met un point final à son récit, l’été 1312, quand l’Empereur est sur le point de s’attaquer à Florence.
347 Vi farà prendere e rubare per mare e per terra : on peut comprendre cette dernière phrase soit au sens propre et littéral (l’Empereur avec ses forces armées, pour vous infliger le châtiment mérité, vous fera capturer, et vous enlèvera tout ce que vous possédez, aussi bien par voie de mer que par voie de terre), soit au sens figuré et sarcastique (l’Empereur, qui avec ses forces armées va vous infliger le châtiment mérité, vous apprendra à prendre, c’est-à-dire à conquérir, et à voler, c’est-à-dire à vous emparer de tout par la malhonnêteté des gains illicites que vous répandez partout, dans le monde entier, sur mer comme sur terre). La première interprétation pourrait être confortée par les termes d’une lettre adressée par les Florentins le 16 octobre 1311 aux communes de Pérouse, Orvieto, Città di Castello et Gubbio, afin qu’elles s’opposent au passage d’Henri VII sur la route de Florence depuis Rome : « Si contingeret ipsum regem, sive per mare sive per terras, ad partes vestras accedere », et par le fait que l’expression était alors couramment utilisée en ce sens (voir III, 35 et Villani, X, 99 ou XIII, 59). Dans le cas de la deuxième on peut y voir une reprise sarcastique des termes d’un vers de l’inscription épigraphique placée en exergue, depuis 1255, sur la façade principale du palais du Peuple à Florence, une inscription dans laquelle les Florentins se vantent, entre autres choses, de leur présence sur les places commerciales du monde entier, voire de posséder le monde entier : « que mare, que terram, que totum possidet orbem ». Quoi qu’il en soit, les espoirs des Blancs et des Gibelins seront déçus : le 31 octobre 1312, Henri VII, après un mois et demi de siège, abandonnait les hostilités et se retirait sans gloire. L’entreprise militaire traînait en longueur dans l’Italie centrale quand, le 24 août 1313, Henri VII mourut à Buonconvento, sur le territoire de Sienne.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Journal de Bourbon & Autobiographie (extrait)
Sir Walter Bersant Sophie Geoffroy (éd.) Sophie Geoffroy (trad.)
2013
Un traité sur les passions hypocondriaques et hystériques
Bernard Mandeville Sylvie Kleiman-Lafon (éd.) Sylvie Kleiman-Lafon (trad.)
2012
Récits marquisiens
Récits traditionnels des îles Marquises
Jean-Marie Privat et Marie-Noëlle Ottino-Garanger (éd.) Henri Lavondès (trad.)
2013
Histoire du Futur
Livre antépremier. Clavis Prophetarum. Fragments et extraits, nouvellement versés en langue françoise
António Vieyra Bernard Emery (éd.) Bernard Emery (trad.)
2015