Deuxième livre de la chronique de Dino Compagni
p. 101-179
Texte intégral
II, 1. Aux Guelfes noirs de Florence
1Levez-vous, ô perfides citoyens avides de scandales, prenez donc le fer et le feu, de vos mains, et répandez-vous davantage encore en actions malfaisantes. Dévoilez vos iniques désirs et vos intentions exécrables, ne vous donnez plus la peine de les cacher, allez et mettez en ruine les beautés de votre ville. Répandez le sang de vos frères, dépouillez-vous de la foi et de l’amour, que chacun refuse à autrui aide et service. Semez vos mensonges, lesquels iront combler les greniers de vos enfants1. Faites donc ce que fit Sylla dans la ville de Rome ; mais de tous les maux qu’il causa en dix années, Marius en quelques jours fit vengeance2. Croyez-vous que la justice de Dieu ait disparu ? celle de ce monde aussi rend coup pour coup. Voyez vos anciens, quelle récompense ils ont reçue de leurs discordes. Galvaudez les honneurs qu’ils ont acquis. Ne tardez pas, malheureux, car on consume davantage en un seul jour de guerre qu’on ne gagne en de nombreuses années de paix. Et toute petite est l’étincelle qui porte à la destruction d’un grand royaume.
II, 2. Le pape Boniface VIII institue Charles de Valois pacificateur en Toscane, pour le malheur des Guelfes blancs (1301, automne)
2Ainsi divisés, les citoyens de Florence commencèrent à se dénigrer les uns les autres dans les villes voisines, et à la cour de Rome auprès du pape Boniface, au moyen d’informations trompeuses. Et dans Florence, les paroles perfides qui furent prononcées firent plus de mal que le fer des armes. Elles en firent tant auprès de ce Pape, à qui on disait que la ville retombait aux mains des Gibelins et qu’elle allait être le refuge de la clique des Colonna3 – paroles accompagnées de fortes sommes d’argent –, que le Pape, recevant le conseil d’abattre l’orgueil des Florentins4, promit aux Guelfes noirs de leur prêter la grande puissance de Charles de Valois, de la maison royale de France5. Celui-ci était parti de France pour aller en Sicile marcher contre Frédéric d’Aragon6. Le Pape lui écrivit qu’il voulait le faire pacificateur en Toscane, contre les opposants de l’Église. Le titre de cette mission fut tout à fait bon, mais l’intention en était tout le contraire : le Pape voulait en effet renverser les Blancs et élever les Noirs, faire des Blancs les ennemis de la maison de France et de l’Église.
II, 3. Ambassades des Noirs et des Blancs de Florence auprès de Charles à Bologne. Son passage devant Pistoia (1301, août)
3Messire Charles de Valois étant déjà arrivé à Bologne7, des ambassadeurs des Noirs de Florence vinrent le trouver avec ces paroles : « Seigneur, nous sommes, par la grâce de Dieu, les Guelfes de Florence, vassaux de la maison de France : par Dieu, prends garde à toi et à tes gens, car notre ville est gouv[ernée par les Gibelins]. »8
4Lorsque les ambassadeurs des Noirs furent partis, arrivèrent les Blancs qui, avec une très grande déférence, s’offrirent tout à son service, le considérant comme leur seigneur9. Mais les paroles pleines de malice eurent sur lui plus de pouvoir que les paroles sincères : il estima ainsi recevoir une plus grande marque d’amitié par les mots « fais attention à toi », que par les offres qu’on lui fit. Il reçut le conseil10 de venir par la route de Pistoia, qu’on lui donna dans le but d’irriter contre lui les habitants de cette ville. Ceux-ci s’étonnèrent fort de le voir passer par là11, et dans le doute garnirent les portes de leur ville, en y cachant des armes et des gens. Les semeurs de scandales lui disaient : « Seigneur, n’entre pas à Pistoia, tu vas te faire capturer car ils ont armé la ville en secret, et ce sont des hommes de grande audace, ennemis de la maison de France. » Ils lui firent si peur qu’il vint par l’extérieur de Pistoia, dont il s’approcha en longeant une petite rivière, montrant de l’animosité contre la ville. Et ici se réalisa la prophétie d’un vieux paysan qui avait dit il y a bien longtemps : « Du couchant viendra un seigneur qui remontera l’Ombroncello, pour accomplir de grandes choses, à tel point que les bêtes de somme, par suite de sa venue, monteront au sommet des tours de Pistoia. »12
II, 4. Charles de Valois à la cour de Rome. Ambassade des Guelfes blancs auprès du Souverain Pontife (1301, septembre)
5Messire Charles se rendit à la cour de Rome sans entrer dans Florence. On l’y invita pourtant de façon pressante, mais on insinua aussi bien des soupçons dans son esprit. Ce seigneur ne connaissait pas les Toscans ni leurs actions malignes. Messire Musciatto Franzesi13, un chevalier d’une grande malignité, petit de taille mais d’une grande force d’âme, connaissait bien la perfidie des paroles qu’on disait au seigneur. Et comme il était lui-même acheté, il confirmait ce que disaient à messire Charles les semeurs de scandales qui, tous les jours, rôdaient autour de lui.
6Les Guelfes blancs avaient des ambassadeurs à la cour de Rome14, et les Siennois étaient avec eux, mais tous n’étaient pas intègres. Il y en avait parmi eux qui cherchaient à nuire : dont messire Ubaldino Malavolti, un juge siennois15 chicanier, lequel fit une halte sur sa route pour réclamer certaines juridictions sur un château que détenaient les Florentins, disant que c’était à lui qu’il appartenait ; et il retarda ses compagnons, tant et si bien qu’ils n’arrivèrent pas à temps16.
7Une fois les ambassadeurs parvenus à Rome, le Pape les reçut en privé dans son cabinet, et leur dit en secret : « Pourquoi êtes-vous aussi obstinés ? Humiliez-vous devant moi. » Et « Je vous dis en vérité que je n’ai d’autre intention que d’obtenir la paix entre vous. Que deux d’entre vous s’en retournent17, avec ma bénédiction s’ils s’emploient à faire exaucer ma volonté. »
II, 5. Nouvelle Seigneurie à Florence, laquelle tente en vain, et avec une excessive douceur, de ramener la paix entre les partis. Les Guelfes noirs en de très mauvaises dispositions (1301, octobre)
8Dans l’intervalle furent élus à Florence de nouveaux Seigneurs18, presque d’un commun accord entre les deux partis, des hommes de qualité et au-dessus de tout soupçon19, desquels le menu Peuple tira grand espoir, de même que le parti blanc car ce furent des hommes d’union, dépourvus d’arrogance, qui avaient la volonté de partager les charges et disaient à ce sujet : « C’est là l’ultime remède. »20
9Leurs adversaires eurent grâce à eux quelque espoir, car ils savaient ces hommes faibles et pacifiques et croyaient, en simulant un désir de paix, pouvoir facilement les tromper.
10Les Seigneurs qui entrèrent en fonction le 15 octobre 1301 furent les suivants : Lapo del Pace Angiolieri, Lippo di Falco Cambio, et moi Dino Compagni, Girolamo di Salvi del Chiaro, Guccio Marignolli, Vermiglio d’Iacopo Alfani, et Piero Brandani gonfalonier de justice. À peine élus, ils allèrent directement à Santa Croce, car le mandat des précédents n’était pas terminé21. Aussitôt les Guelfes noirs se mirent d’accord pour aller leur rendre visite, par groupes de quatre ou de six, comme cela tombait, et ils leur disaient : « Seigneurs, vous êtes des hommes de valeur22 et c’est d’hommes tels que vous qu’avait besoin notre cité. Vous voyez la discorde qui règne entre vos concitoyens, c’est à vous qu’il appartient de l’apaiser, sinon la ville périra. C’est vous qui avez le pouvoir, et nous, pour vous permettre de parvenir à cette fin, nous vous offrons nos biens et nos personnes, de grand cœur et en toute loyauté. » C’est moi, Dino, qui leur répondis au nom de mes collègues, en leur disant : « Chers et fidèles citoyens, nous acceptons volontiers votre offre et nous voulons commencer à en tirer parti ; nous requérons donc votre conseil et votre bonne volonté, de sorte que notre ville puisse trouver le repos. » C’est ainsi que nous perdîmes les premiers moments, n’osant pas fermer les portes, ni refuser de donner audience aux citoyens23. Nous doutions néanmoins d’offres aussi trompeuses, persuadés que par leurs paroles mensongères ils couvraient leur malignité.
11Nous leur fîmes part de notre intention de négocier la paix, quand il eût été nécessaire d’aiguiser les armes. Et nous commençâmes par les capitaines du parti guelfe, qui étaient alors messire Manetto Scali et messire Neri Giandonati, à qui nous dîmes : « Honorables capitaines, interrompez vos tâches et, toutes affaires cessantes, employez-vous uniquement à rétablir la paix à l’intérieur du parti de l’Église ; l’aide de notre magistrature vous est entièrement acquise pour tout ce que vous demanderez. »
12Les capitaines prirent congé tout heureux et remplis de bonne volonté, pour se mettre à exhorter les gens avec des paroles de conciliation. Les Noirs, apprenant cela, dirent aussitôt qu’il n’y avait là que malignité et traîtrise, et commencèrent à ne plus prêter l’oreille à leurs discours24.
13Messire Manetto Scali prit la chose tant à cœur qu’il se mit à tenter de ramener la paix entre les Cerchi et les Spini25, mais tout ne fut considéré que comme traîtrise. Les gens qui étaient du côté des Cerchi pour autant se montrèrent pusillanimes : « Inutile de se donner de la peine, la paix va se faire », disaient-ils26. Pendant ce temps leurs adversaires ne pensaient qu’à mettre en œuvre leurs projets malfaisants. Aucun préparatif de guerre ne fut fait, car ils ne pouvaient imaginer27 qu’on pût en venir à autre chose qu’à la concorde, et cela pour plusieurs raisons. Premièrement, pour l’amour du parti, afin de ne pas diviser les honneurs de la ville28 ; deuxièmement, parce qu’il ne s’agissait encore que d’une simple discorde29, étant donné que les offenses commises n’étaient pas encore telles que la réconciliation ne pût être faite par la mise en commun de tous les honneurs. Mais les Noirs se dirent que ceux qui avaient commis l’outrage30 ne pourraient s’en tirer sans que les Cerchi et leurs partisans fussent détruits. Et cela ne pouvait guère être réalisé sans détruire la ville31, tant ils étaient puissants.
II, 6. Charles arrive à Sienne et envoie des ambassadeurs à Florence qui sont reçus par la Seigneurie (1301, octobre)
14Les Guelfes noirs décidèrent de faire venir à Florence messire Charles de Valois, qui se trouvait à Rome, et firent en sorte qu’il vînt : ils effectuèrent le dépôt pour sa solde et celle de ses cavaliers, soixante-dix mille florins32, et le menèrent à Sienne. Lorsqu’il fut là, il envoya comme ambassadeurs à Florence son chancelier français messire Guillaume33, un homme déloyal et méchant bien que d’apparence droit et bienveillant, et un chevalier provençal qui était tout le contraire, tous deux munis de lettres de créance de leur seigneur.
15Une fois arrivés à Florence, ils se présentèrent à la Seigneurie avec grande déférence, et demandèrent à prendre la parole au Grand Conseil34, ce qui leur fut accordé. Là, c’est un avocat de Volterra qu’ils avaient avec eux, un homme faux et peu judicieux, qui traduisit leurs propos. Et c’est de façon très décousue qu’il s’exprima, disant que le sang royal de France n’était venu en Toscane que pour rétablir la paix au sein du parti de la sainte Église, au nom du grand amour qu’il portait à la ville et à ce parti ; que c’était le Pape qui l’envoyait, en tant que seigneur en qui on pouvait avoir totale confiance, parce que le sang de la maison de France n’avait jamais trahi ni ami ni ennemi ; et voilà pourquoi ils devaient agréer qu’il fût venu remplir cette mission.
16De nombreux orateurs se levèrent alors, brûlant de prendre la parole et de magnifier messire Charles, et allèrent à la tribune, chacun se précipitant pour être le premier. Mais les Seigneurs ne laissèrent parler personne. Ils furent si nombreux cependant, que les ambassadeurs se rendirent bien compte que ceux qui voulaient de messire Charles étaient plus nombreux et plus hardis que ceux qui ne voulaient pas de lui. Et ils écrivirent à leur seigneur qu’ils avaient pu se rendre compte que le parti des Donati était très bien en place, tandis que celui des Cerchi était au plus bas.
17Les Seigneurs dirent aux ambassadeurs qu’on donnerait une réponse à leur maître par une ambassade, et entre-temps ils réunirent leur Conseil car, vu l’importance de l’événement, ils ne voulaient rien faire sans le consentement de leurs concitoyens35.
II, 7. Après avoir convoqué le Conseil du parti guelfe et des Arts, la Seigneurie envoie des ambassadeurs à Charles, pour lui faire jurer de préserver la sûreté de la ville. Les Noirs hâtent sa venue (1301, octobre)
18Ils convoquèrent donc le Conseil général du parti guelfe et des soixante-douze métiers des Arts36, lesquels y avaient tous des consuls, et imposèrent que chacun se prononce par écrit, en donnant l’avis de son Art, pour savoir si on devait laisser messire Charles de Valois venir à Florence comme pacificateur. Tous répondirent, oralement et par écrit, qu’on le laisse venir, et qu’on l’honore en tant que seigneur de sang noble ; sauf les boulangers, qui dirent qu’il ne devait être ni reçu ni honoré, car il venait pour détruire la cité.
19On envoya les ambassadeurs – et ce furent de grands citoyens du Peuple37 – pour lui dire qu’il était libre de venir. On les chargea d’exiger de lui des lettres marquées de son sceau, attestant qu’il ne gagnerait aucune juridiction contre nous38, n’occuperait aucune dignité de la ville39, ni au titre de l’Empire40 ni pour quelque autre raison que ce fût, pas plus qu’il ne modifierait les lois de la ville ou ses coutumes41. Leur rédacteur fut messire Donato d’Alberto Ristori, qui eut le concours de plusieurs autres juges. On pria le chancelier du prince d’engager son seigneur à ne pas venir le jour de Toussaint, car le menu Peuple fêtait ce jour-là avec le vin nouveau : il pourrait se produire bien des désordres qui, favorisés par la méchanceté de citoyens pernicieux, risquaient de semer le trouble dans la ville. Aussi décida-t-il de ne venir que le dimanche suivant, estimant qu’il était bon de retarder sa venue.
20Les ambassadeurs allèrent à sa rencontre davantage pour obtenir la lettre avant son arrivée que pour quelque autre raison. On les avait avertis que, s’ils ne pouvaient obtenir cette lettre attestant ce qu’il avait promis, ils devraient se défier grandement de lui et s’opposer à son passage, à Poggibonsi42 où des mesures de défense avaient été prises afin de garantir la sauvegarde de la ville. Et messire Bernardo de’ Rossi, qui en était le vicaire, fut chargé de veiller à ce qu’il ne trouve pas là de ravitaillement. Entre-temps la lettre arriva, et je la vis, la fis copier et la conservai jusqu’à l’arrivée du seigneur. Et une fois qu’il fut là, je lui demandai si elle avait bien été écrite de sa propre volonté : « Oui, certes », répondit-il.
21Ceux qui le faisaient venir43 se hâtèrent, et le tirèrent hors de Sienne44 presque de force. Ils lui offrirent dix-sept mille florins afin de le presser. Il avait grand crainte, en fait, de cette précipitation des Toscans, et c’est avec beaucoup de prudence qu’il venait. Ils le réconfortaient, lui et ses gens, en lui disant, entre autres incitations : « Seigneur, ils sont déjà vaincus, ils ne te demandent de retarder ta venue que par quelque malice, ils complotent quelque chose. » Mais aucun complot n’était en train de se faire.
II, 8. Dino rassemble les citoyens dans San Giovanni, pour les exhorter à la concorde et à la défense de la ville. Faux serments et paroles trompeuses (1301, octobre)
22Les choses en étaient là quand il me vint, à moi Dino, une pensée sainte et honnête, car j’imaginais la situation : « Ce seigneur va arriver et trouver tous les citoyens divisés, et il va s’ensuivre un grand scandale. » Mu par la charge que j’occupais et par les bonnes dispositions que je sentais en mes collègues, j’eus l’idée de rassembler de nombreux citoyens de qualité dans l’église San Giovanni, et c’est ce que je fis. Tous les magistrats s’y trouvèrent, et lorsque le moment me sembla venu, je leur parlai ainsi :
23« Chers et valeureux citoyens qui avez tous reçu, en commun45, le baptême sacré sur ces fonts, la raison vous force et vous contraint à vous aimer comme des frères chéris ; et cela également parce que vous possédez la plus noble cité du monde. Entre vous est née quelque dissension, par rivalité pour les charges que, comme vous le savez, mes collègues et moi, nous vous avons promis sous serment de partager46. Ce seigneur va venir, et il convient de l’honorer. Chassez vos dissentiments et faites la paix entre vous, afin qu’il ne vous trouve pas désunis ; oubliez toutes les offenses et coupables intentions qui ont existé entre vous par le passé ; qu’elles soient pardonnées et laissées de côté, pour l’amour et pour le bien de votre cité. Et sur ces fonts sacrés, d’où vous avez reçu le saint baptême, jurez-vous les uns aux autres une paix sereine et parfaite afin que le seigneur qui vient trouve les citoyens tous unis. »
24Tous furent d’accord avec ces paroles, et ils le firent, la main sur la Bible : ils jurèrent d’observer une paix sereine et de préserver les dignités et juridictions de la ville47. Et cela fait, nous quittâmes ce lieu.
25Les perfides citoyens qui montraient des larmes d’attendrissement et baisaient la Bible, et qui firent montre de la plus ardente volonté, furent les principaux acteurs de la destruction de la cité48. De ceux-là, par pudeur je ne citerai pas les noms, mais je ne puis taire celui du premier d’entre eux, car il fut la cause qui donna aux autres prétexte de suivre son exemple49 : ce fut messire Rosso dello Stroza, furieux dans son apparence comme dans ses actions, instigateur des autres, lequel peu de temps après eut à porter le poids de son serment50.
26Ceux qui étaient malintentionnés disaient que cette paix charitable avait été imaginée pour tromper. S’il y eut la moindre fraude dans les paroles prononcées51, c’est moi qui dois en subir la peine, bien que pour une bonne intention on ne doive pas être récompensé par un outrage. À cause de ce serment j’ai versé bien des larmes, en pensant à toutes les âmes qui en ont été damnées pour leur malignité.
II, 9. Arrivée de Charles de Valois à Florence ; l’accueil qui lui est fait (1er novembre 1301)
27Messire Charles de Valois entra dans la ville de Florence le dimanche 4 novembre 130152, et il fut très honoré par les citoyens, avec des courses de chevaux et avec des joutes. Ceux qui étaient animés d’esprit civique perdirent leur vigueur, et les passions malignes commencèrent à se répandre. On vit arriver les Lucquois qui disaient qu’ils venaient rendre hommage au seigneur, les Pérugins, avec deux cents cavaliers, messire Cante da Gubbio, avec de nombreux cavaliers siennois et avec beaucoup d’autres, adversaires des Cerchi, par six ou dix à la fois53. À Malatestino et à Maynardo da Susinana on ne refusa pas l’entrée, pour ne pas déplaire au seigneur54. Et chacun montrait un visage ami. Si bien que, avec les cavaliers de messire Charles, au nombre de huit cents, et ceux des gens venus des localités alentour, il y eut là mille deux cents cavaliers sous ses ordres.
28Le seigneur descendit chez les Frescobaldi55. On le pria avec insistance de descendre là où était descendu le grand et honorable roi Charles, et où descendaient tous les grands seigneurs qui venaient dans la ville, car le lieu était très spacieux et très sûr56. Mais ceux qui l’avaient fait venir ne laissèrent pas faire cela ; bien au contraire ils firent en sorte de se fortifier avec lui de l’autre côté de l’Arno, en pensant : « Si nous perdons le reste de la ville, nous rassemblerons nos forces ici. »
II, 10. La Seigneurie élit des citoyens des deux partis, et prend conseil auprès d’eux pour la sauvegarde de la ville. Proposition d’une nouvelle Seigneurie composée de Blancs et de Noirs. Pour quelle raison elle ne put être acceptée par les Prieurs d’octobre. (Entre les derniers jours d’octobre et les premiers de novembre 1301.)
29Les Seigneurs Prieurs élurent quarante citoyens57 choisis au sein des deux partis, et avec eux ils délibéraient sur la sauvegarde de la ville, afin de n’être par aucun des partis tenus en suspicion. Ceux qui avaient de coupables intentions se taisaient, les autres avaient perdu toute combativité.
30Bandino Falconieri58, un homme vil, disait : « Seigneurs, quant à moi je me sens bien ; auparavant je ne dormais plus tranquille », montrant ainsi sa lâcheté à ses adversaires. Il accaparait la tribune la moitié de la journée, et nous étions à l’époque des jours les plus courts de l’année.
31Messire Lapo Salterelli, qui avait grand peur du Pape à cause du sévère procès que ce dernier avait intenté contre lui59, pour chercher appui auprès de ses adversaires, s’emparait de la tribune et blâmait les Seigneurs, en leur disant : « Vous faites du tort à Florence ; élisez donc la prochaine magistrature partagée ; faites revenir les relégués en ville. »60 Et il hébergeait chez lui messire Pazzino de’ Pazzi qui était relégué, comptant sur lui pour le sauver lorsque celui-ci serait rentré en grâce.
32Alberto del Giudice, un riche membre du Peuple, bilieux et pervers61, montait à la tribune en blâmant les Seigneurs de ne pas se hâter pour élire leurs successeurs, ni pour faire revenir les relégués. Messire Lotteringo da Montespertoli leur disait : « Seigneurs, vous voulez un bon conseil ? faites la nouvelle magistrature, laissez les relégués revenir dans la ville et retirez les portes de leurs gonds. En effet si vous faites ces deux choses-là, vous pouvez ordonner de supprimer la fermeture des portes. »
33Je demandai à messire Andrea da Cerreto, un légiste digne de foi, d’ancienne famille gibeline devenu Guelfe noir62, s’il était possible de faire une nouvelle magistrature sans contrevenir aux Ordonnances de la justice. Il répondit que ce n’était pas possible63. Et moi qui de cela avait été accusé, à qui on avait fait grief d’avoir contrevenu aux Ordonnances64, je me proposai de les respecter, et de ne pas laisser élire la magistrature à l’encontre des lois.
II, 11. Deux des ambassadeurs reviennent de Rome. La Seigneurie s’en remet à la volonté du Souverain Pontife et, en secret, lui demande un légat. Les Noirs viennent à l’apprendre. Leurs craintes et suppositions. L’organisation interne du parti noir (… - premiers jours de novembre 1301)
34Entre-temps revinrent les deux ambassadeurs renvoyés par le Pape : l’un d’eux était Maso de messire Ruggierino Minerbetti, un homme du Peuple plein de fausseté, qui défendait moins ses propres opinions qu’il ne suivait celles des autres ; l’autre était Corazza da Signa, lequel s’estimait tellement guelfe qu’il pensait que c’est à peine si cette passion n’était pas éteinte dans le cœur des autres. Ils rapportèrent les paroles du Pape65, et là je fus coupable pour ce qui est de la relation de cette ambassade66 : j’en fis retarder le compte rendu, et je leur fis jurer le secret. Mais ce n’est pas avec mauvaise intention que je l’ai retardé. Puis je réunis six sages légistes pour la faire relater devant eux, et sans laisser les Conseils délibérer, en accord avec mes collègues, je fis la proposition, je la fis examiner et je décidai le parti à prendre67 : il fallait obéir à ce seigneur, et lui écrire sur-le-champ que nous étions à ses ordres et que, afin de nous diriger, il nous envoie le cardinal messire Gentile da Montefiore68. Par « ce seigneur », comprenez non pas messire Charles mais le Pape.
35Celui-ci, qui d’un côté tenait un langage de flatterie et de l’autre poussait le seigneur à nous dominer, nous ayant fait espionner pour savoir qui se trouvait dans la ville69, abandonna la flatterie pour employer la menace70. Un des ambassadeurs, plein de fausseté, dévoila le contenu de l’ambassade dont les autres n’avaient pu avoir connaissance71. Simone Gherardi leur avait écrit depuis la cour de Rome que le Pape lui avait dit : « Je ne veux pas perdre les hommes à cause de femmelettes. »72
36Les Guelfes noirs se consultèrent là-dessus et, estimant d’après ces paroles73 que les ambassadeurs devaient s’être entendus avec le Pape, se dirent : « S’ils se sont mis d’accord, nous perdons tout. » Ils jugèrent qu’il fallait voir ce qu’allaient décider les Prieurs, et dirent : « S’ils choisissent de dire non, nous sommes perdus ; s’ils choisissent de dire oui, c’est nous qui prenons les armes, de façon à leur enlever tout ce qu’il est possible de leur enlever. »74 Ce qu’ils firent. À peine surent-ils que le Pape allait être obéi par les gouvernants, qu’aussitôt ils prirent les armes et s’employèrent à mettre la ville à feu et à sang, à la consumer et à la détruire.
37Les Prieurs écrivirent secrètement au Pape, mais le parti noir fut au courant de tout, car ceux qui avaient juré le secret ne le gardèrent pas. Le parti noir avait deux prieurs que personne ne pouvait connaître à l’extérieur du parti ; et leur mandat durait six mois. L’un d’eux était Noffo Guidi75, un homme du Peuple inique et insensible, car il travaillait d’une façon on ne peut plus préjudiciable pour sa ville. Il avait pour habitude de blâmer les choses qu’il avait lui-même secrètement tramées, et c’est publiquement qu’il blâmait ceux qui les avaient mises à exécution ; aussi passait-il pour une bonne nature, alors que c’était de malfaisance qu’il tirait sa pâture76.
II, 12. Les Prieurs consentent à la proposition d’une nouvelle Seigneurie mixte. Les exigences des Noirs empêchent sa mise en œuvre. Ardente honnêteté de Dino (… - premiers jours de novembre 1301)
38Les Seigneurs recevaient de fortes incitations de la part des citoyens les plus influents pour élire une nouvelle Seigneurie. Bien que ce fût contraire aux lois de la justice77, car le moment de l’élection n’était pas encore venu, nous tombâmes d’accord pour les nommer, davantage par amour pour la ville que pour quoi que ce soit d’autre. Et je me rendis, moi, au nom de la magistrature tout entière, dans la chapelle San Bernardo, où furent présents de nombreux citoyens du Peuple, les plus puissants, car on ne pouvait procéder à l’élection sans eux78. Il y eut Cione Magalotti, Segna Angiolini, Noffo Guidi, pour le parti noir ; messire Lapo Falconieri, Cece Canigiani et Corazza Ubaldini, pour le parti blanc. Je leur parlai humblement, avec une profonde tendresse, du salut de la ville, et leur dis : « Je veux bien faire une magistrature commune, puisque c’est à cause de la rivalité pour les charges que règne une telle discorde. » Nous fûmes d’accord et nous élûmes six citoyens au sein des deux partis, trois choisis parmi les Noirs et trois parmi les Blancs. Pour le septième79, qu’on ne pouvait diviser, nous élûmes quelqu’un de si peu de valeur que personne ne pouvait craindre ce choix. Leurs noms, une fois inscrits, je les déposai sur l’autel. Noffo Guidi prit alors la parole et dit : « Je vais dire quelque chose par quoi tu vas me considérer comme un citoyen sans cœur. » Je lui répondis donc de se taire. Mais il parla quand même, et fut d’une telle exigence qu’il me demanda d’accepter de donner à leur parti, au sein de la magistrature, un rôle plus important qu’à l’autre ; ce qui revenait à me dire « défais l’autre parti », et à faire de moi un Judas. Je lui répondis alors que, plutôt que de commettre une pareille trahison, je préférerais donner mes propres enfants à manger aux chiens. Et sur ce nous mîmes fin à la réunion80.
II, 13. Pièges tendus par Charles aux Prieurs. Assemblée dans Santa Maria Novella (5 novembre). Conseils donnés à la Seigneurie, et mesures prises par cette dernière (… - premiers jours de novembre 1301)
39Messire Charles de Valois nous faisait souvent inviter à sa table. Nous lui répondions que, en vertu du serment que nous avions prêté, nous étions tenus par la loi si bien que nous ne pouvions accepter – ce qui était vrai –, car nous pensions bien entre nous qu’il nous aurait retenus contre notre volonté. Pourtant, il réussit un jour à nous faire sortir du palais, en disant que, à Santa Maria Novella en dehors de la ville81, il voulait réunir une assemblée pour le bien des citoyens, et qu’il priait la Seigneurie de bien vouloir s’y trouver. Mais, comme un refus aurait laissé paraître trop de méfiance de notre part, nous décidâmes que trois d’entre nous s’y rendraient, tandis que les autres resteraient au palais.
40Messire Charles fit armer ses gens, et les fit placer à la garde des portes de la ville, à l’intérieur et à l’extérieur, parce que ses perfides conseillers lui dirent qu’il ne pourrait plus rentrer et que la porte lui serait fermée. Et sous ce prétexte, ils avaient pensé, les scélérats, nous tuer à l’extérieur de la porte si la Seigneurie s’y était rendue toute entière, et investir la ville qui leur aurait alors appartenu. Mais cela ils ne purent le faire, car ne s’y rendirent pas plus de trois Prieurs ; auxquels il ne dit rien, comme quelqu’un désireux non de parler mais de tuer.
41Bien des citoyens nous plaignirent de devoir y aller, car il leur semblait que les Prieurs allaient au martyre82. Et lorsqu’ils furent de retour, les citoyens rendirent grâce à Dieu de les avoir fait échapper à la mort.
42Les Seigneurs étaient pressés de toute part. Les bons leur disaient de bien faire attention à eux et à la ville ; les mauvais les harcelaient par des objections83, et entre les questions et les réponses la journée s’écoulait : les barons de messire Charles, en effet, les occupaient avec de longues prises de parole. Et c’est ainsi qu’ils vivaient sans connaître de répit.
43Un jour, un saint homme, déguisé, qui nous pria de ne pas citer son nom, vint nous trouver en cachette et nous dit : « Seigneurs, vous êtes amenés à subir de grandes tribulations, vous et votre ville. Envoyez dire à l’évêque qu’il nous fasse faire une procession et imposez-lui qu’elle ne franchisse pas l’Arno84 ; elle fera en grande partie cesser le danger. » C’était un homme de sainte vie, qui pratiquait une sévère abstinence et jouissait d’une grande réputation, de son nom appelé frère Benedetto. Nous suivîmes son conseil, et beaucoup se moquèrent de nous, disant qu’il valait mieux affûter les armes. Au moyen des Conseils, nous fîmes des lois sévères et fortes et nous donnâmes pouvoir aux officiers de justice d’agir contre quiconque provoquerait rixe ou tumulte, en imposant des peines individuelles – avec ordre d’exposer le billot et la hache – afin de punir les malfaiteurs et les contrevenants.
44Nous accrûmes les pouvoirs de messire Schiatta Cancellieri, le capitaine de guerre, et nous l’encourageâmes à bien faire son devoir85, mais cela ne servit à rien, car ses envoyés, ses serviteurs et ses gardes le trahirent. Et on découvrit que vingt de leurs propres gardes devaient recevoir mille florins pour tuer les Prieurs ; on les chassa du palais. Les Prieurs faisaient tout ce qu’ils pouvaient pour essayer de défendre la ville contre les mauvaises intentions de leurs adversaires, mais rien n’y fit, car ils n’usèrent que de moyens pacifiques alors qu’il y fallait la violence et la force. À rien ne sert la manière douce contre la grande malignité.
II, 14. Les menaces des Noirs et leur dispositif. Embarras et médiocrité des Blancs (premiers jours de novembre 1301)
45Les citoyens du parti noir s’exprimaient avec impudence, et disaient : « Nous avons le seigneur chez nous, le Pape est notre protecteur, nos adversaires ne sont préparés ni à la guerre ni à la paix, de l’argent ils n’en ont pas, et les soldats ne sont pas payés. » Ils avaient organisé tout ce qu’il fallait pour se battre et pour recevoir tous leurs alliés dans le sextier d’Oltrarno, dans lequel ils concertèrent le stationnement des Siennois, des Pérugins, des Lucquois, des gens de San Miniato, de Volterra, de San Gimignano. Ils avaient corrompu tous leurs voisins86. Et ils avaient pensé tenir le pont Santa Trinita et fait dresser sur deux de leurs palais87 quelque mangonneau destiné à lancer des pierres. Ils avaient également fait venir, en nombre, des gens de la campagne depuis les alentours88, ainsi que tous les bannis de Florence.
46Les Guelfes blancs n’osaient pas mettre des hommes chez eux, car les Prieurs avaient menacé de punir cela, ainsi que quiconque tiendrait un rassemblement armé, effrayant de la sorte amis et ennemis. Mais ils n’auraient pas dû croire que les Prieurs auraient fait tuer leurs propres amis pour avoir travaillé à la sauvegarde de leur ville, même si l’ordre en était donné. Mais s’ils s’abstinrent de rien faire, ce fut non tant par crainte de la loi que par avarice, car à messire Torrigiano de’ Cerchi on avait dit : « Armez-vous, et faites passer le mot à vos amis. »
II, 15. Les Noirs commencent le scandale. Première effusion de sang, due aux Médicis. Les Ordonnances de justice demeurent sans effet. La ville prend les armes (4 novembre 1301…)
47Sachant leurs ennemis vils et désormais dépourvus de toute combativité, les Noirs se hâtèrent de s’emparer de la ville, et un samedi, le […] novembre89, ils prirent les armes et, avec leurs chevaux caparaçonnés, commencèrent à mettre à exécution ce qui avait été projeté. Les Medici90, de puissants membres du Peuple, agressèrent et frappèrent, ce jour-là, après vêpres, un homme du Peuple de grande valeur, appelé Orlanduccio Orlandi, et le laissèrent pour mort. On prit les armes et, à pied et à cheval, on vint au palais des Prieurs91. « Seigneurs », leur dit un valeureux citoyen appelé Catellina Raffacani, « vous êtes trahis. C’est presque la nuit, ne vous embarrassez de rien, envoyez chercher les milices vicariales92, et demain matin à l’aube engagez le combat contre vos adversaires ». Le podestat n’envoya pas ses officiers chez l’auteur du méfait, le gonfalonier de justice non plus ne bougea pas pour punir le méfait, car il pouvait attendre dix jours pour cela93.
48On envoya chercher les milices vicariales. Elles vinrent et déployèrent leurs bannières, mais ensuite, en cachette, elles allèrent se ranger du côté du parti noir, et, à la commune, elles ne se présentèrent pas94. Il n’y eut personne pour encourager les hommes à se rassembler armés au palais des Seigneurs, bien que le gonfalon de la justice fût aux fenêtres95. S’y rendirent les mercenaires, ceux qui n’étaient pas corrompus, et d’autres hommes. Se tenant en armes au palais, ils étaient quelque peu suivis : d’autres citoyens encore, amis, s’y rendirent, à pied et à cheval ; ainsi que certains autres, ennemis ceux-là, pour voir quelle tournure prenaient les choses.
49Les Seigneurs étaient peu habitués à la guerre, et accaparés par tous ceux qui voulaient être entendus ; en peu de temps il fit nuit. Le podestat n’envoya pas ses hommes chez le coupable, et ne prit pas les armes ; il laissa aux Prieurs le soin de remplir son office, alors qu’il aurait pu se rendre à la maison des auteurs du méfait, armé, avec le feu et les outils. Les gens assemblés au palais ne prirent aucune décision. Le capitaine, messire Schiatta Cancellieri, ne prit pas l’initiative d’agir et de s’opposer aux ennemis, car c’était un homme davantage fait pour le repos et la paix que pour la guerre, même si la rumeur populaire dit alors qu’il se vanta de tuer messire Charles ; mais ce n’était pas vrai.
50La nuit venue, les gens en armes commencèrent à partir et se retranchèrent dans leurs maisons, qu’ils protégèrent de poutres de bois placées en travers des rues afin d’empêcher quiconque de passer96.
II, 16. Négociations pour une conciliation entre puissantes familles du parti blanc et du parti noir. Comment cela put nuire aux Blancs (… premiers jours de novembre)
51Messire Manetto Scali, en qui le parti blanc avait grande confiance, car il était puissant par ses amis et par sa suite, se mit à fortifier son palais, et y édifia des pierriers. Les Spini avaient leur palais principal face au sien, et s’étaient employés à renforcer leurs positions, car ils savaient bien qu’à cet endroit il était nécessaire de se protéger, à cause de ce qu’on estimait être la grande puissance de la maison des Scali97.
52Entre-temps les deux partis commencèrent à employer une nouvelle ruse, s’adressant les uns aux autres des paroles d’amitié. Les Spini disaient aux Scali : « Voyons, pourquoi agissons-nous ainsi ? Nous sommes pourtant amis et parents, et tous Guelfes. Nous, nous n’avons d’autre intention que d’ôter la chaîne qui pèse sur notre cou, que le Peuple nous met, à vous comme à nous. Nous serons alors plus grands que jamais. Pour l’amour de Dieu, ne soyons qu’un98, comme nous devons l’être. » Les Buondalmonti firent de même avec les Gherardini, et les Bardi avec les Mozzi, et messire Rosso dalla Tosa avec Baschiera, son parent ; et beaucoup d’autres encore en firent autant. Ceux auxquels étaient adressées ces paroles s’attendrissaient, mus par l’amour du parti99 ; aussi leurs amis tiédirent-ils. Devant un tel spectacle, les Gibelins, croyant être trompés et trahis par ceux en qui ils plaçaient leurs espoirs, en restèrent tout déconcertés. C’est pourquoi peu de gens armés demeurèrent dans la rue, excepté quelques membres des Arts mineurs, auxquels on confia un tour de garde100.
II, 17. Charles demande à la Seigneurie la garde de la ville et de ses portes, ce qui, pour le sextier d’Oltrarno, lui est accordé, sans les clefs de la ville toutefois. Son manque de parole. Retour des bannis, et violence des Tornaquinci. La Seigneurie décontenancée (… 5 novembre et nuit d’après)
53Les barons de messire Charles et le sinistre chevalier messire Musciatto Franzesi rôdaient sans cesse autour des Seigneurs, leur demandant de leur confier la garde de la ville et de ses portes, en particulier pour le sextier d’Oltrarno, disant aussi que c’était à leur seigneur qu’incombait la garde de ce sextier, et qu’il voulait que les auteurs de méfaits fussent âprement punis. Et là-dessous ils cachaient leur malice : c’était pour acquérir une plus grande juridiction dans la ville qu’ils agissaient ainsi.
54Les clefs de la ville lui furent refusées, mais les portes d’Oltrarno lui furent confiées101 : on enleva de là les Florentins et on mit à leur place les Français. Le chancelier de messire Charles, messire Guillaume, et son maréchal jurèrent devant moi, Dino, qui recevais leur serment au nom de la Commune102, que leur seigneur s’engageait à assumer lui-même la garde de la ville, à la surveiller et la tenir sur la demande de notre Seigneurie, et ils m’assurèrent de sa parole. Et jamais je n’aurais cru qu’un si grand seigneur, de la maison royale de France, pût faillir à sa parole. En effet, la nuit suivante était à peine commencée que, par la porte dont nous lui confiâmes la garde, il permit d’entrer à Gherarduccio Buondalmonti, qui était frappé de bannissement, en compagnie de beaucoup d’autres bannis103.
55Les Seigneurs reçurent une demande d’un estimable membre du Peuple, nommé Aglione di Giova Aglioni, qui leur dit : « Seigneurs, il serait bon de faire renforcer plus solidement la porte San Brancazio. »104 On lui répondit qu’il la fît renforcer comme il le jugerait bon, et on y envoya les maîtres de l’art avec leur bannière105. Les Tornaquinci, puissante lignée, lesquels étaient bien entourés de sbires et d’amis, assaillirent les maîtres de l’art en question, les frappèrent et les mirent en fuite. Et certains fantassins qui se trouvaient dans les tours abandonnèrent leur poste, apeurés106. Aussi les Prieurs virent-ils, et par une nouvelle et par l’autre107, qu’il n’y avait aucun remède possible. Et ils le surent lorsqu’un individu fut pris une nuit, alors que, se faisant passer pour un marchand d’épices, il allait de maison en maison pour convoquer les puissants et leur faire savoir qu’avant le jour ils devaient prendre les armes. C’est ainsi que toutes leurs espérances s’évanouirent108. Ils décidèrent alors d’entreprendre la défense lorsque les troupes des campagnes seraient arrivées à leur secours.
56Mais cela échoua : les félons paysans en effet les abandonnèrent. Ils dissimulaient leurs enseignes en les détachant de leurs hampes. Leurs domestiques aussi les trahirent. Quant aux gentilshommes de Lucques, ayant été volés par les Bordoni, car les maisons qu’ils habitaient leur avaient été enlevées, ils s’en allèrent sans plus faire confiance à personne109. Et nombre de mercenaires tournèrent casaque pour se mettre au service de leurs adversaires. Le podestat ne prit pas les armes, au contraire, par ses paroles il travaillait à aider messire Charles de Valois110.
II, 18. Charles pratique la simulation avec la Seigneurie. Corso Donati à Florence. Charles demande à la Seigneurie des otages pris dans les deux partis, et manque honteusement à sa parole envers ceux du parti blanc (… 6 novembre 1301)
57Le jour suivant111, les barons de messire Charles, messire Cante da Gubbio, et plusieurs autres encore, allèrent trouver les Prieurs afin de les occuper toute la journée et de paralyser leurs projets avec de longs discours. Ils juraient que leur seigneur se tenait pour trahi112, et qu’il faisait armer ses chevaliers, les assurant, ce qui ne pourrait leur déplaire, que sa vengeance serait grande : « Soyez sûrs que si notre seigneur n’a pas à cœur de tirer vengeance du méfait à votre manière, vous pouvez nous faire trancher la tête. » Et c’était cela même que disait le podestat, qui venait de chez messire Charles : il l’avait entendu jurer de sa propre bouche qu’il ferait pendre messire Corso Donati. Ce dernier, pourtant banni, avait pénétré dans Florence le matin113 avec douze compagnons, venant d’Ognano. Il passa l’Arno, longea les murs jusqu’à San Piero Maggiore, lieu qui n’était pas surveillé par ses adversaires, et entra dans la ville comme un franc et hardi chevalier. Messire Charles ne jura pas la vérité, parce que c’est avec son consentement qu’il revint.
58Une fois messire Corso dans Florence, les Blancs furent avisés de son retour et, avec les forces qu’ils purent rassembler, marchèrent sur lui. Mais ceux qui étaient en meilleure posture, à cheval, n’osèrent pas s’attaquer à lui. Les autres, se voyant abandonnés, se retirèrent, de sorte que messire Corso, en toute liberté, prit les maisons des Corbizzi de San Piero et y accrocha ses propres bannières. Et il força la prison, si bien que les détenus s’en échappèrent. Beaucoup de gens le suivirent, avec des forces importantes. Les Cerchi se réfugièrent dans leurs maisons, gardant leurs portes fermées.
59Ceux qui favorisaient tout ce mal firent une démarche destinée à tromper : ils gagnèrent à leur cause messire Schiatta Cancellieri et messire Lapo Salterelli, lesquels vinrent chez les Prieurs et leur dirent : « Seigneurs, vous voyez messire Charles très courroucé ; il veut que la vengeance soit grande, et que la commune reste maîtresse. Pour cela il nous semblerait bon qu’on choisisse dans les deux partis les hommes les plus puissants, et qu’on les envoie à lui, sous sa garde, et qu’ensuite on mette à exécution la vengeance, très sévèrement. »114
60Leurs paroles étaient très éloignées de la vérité. Messire Lapo inscrivit les noms ; messire Schiatta ordonna à tous ceux qui furent inscrits de se rendre chez messire Charles, pour le repos de la ville. Les Noirs y allèrent avec confiance, mais les Blancs avec méfiance. Messire Charles les mit sous bonne garde ; il laissa partir les Noirs, mais les Blancs il les retint prisonniers cette nuit-là115, sans litière ni paillasse, comme des meurtriers.
61Ô bon roi Louis116, toi qui vivais dans un si grand respect de Dieu, jusqu’où est tombée la parole de la maison royale de France, pour avoir suivi des conseils pernicieux, sans crainte du déshonneur117 ! Ô perfides conseillers qui avez fait du sang d’une si sublime couronne non seulement un mercenaire mais encore un assassin, qui emprisonne injustement les citoyens, manque à sa parole et déshonore le nom de la maison royale de France ! Le maître Ruggieri, serviteur juré de cette maison118, un jour que messire Charles était allé à son couvent, lui dit : « Sous toi périt une noble cité. » Auquel il répondit qu’il n’en savait rien.
II, 19. Après avoir appelé en vain les citoyens à la défense, la destruction de la ville commençant, la Seigneurie se démet. Réforme de l’État avec une Seigneurie nouvelle, de Prieurs noirs. Élection d’un nouveau podestat (6-9 novembre 1301)
62Alors que les chefs du parti blanc étaient ainsi retenus, la population stupéfaite commença à souffrir. Les Prieurs ordonnèrent qu’on fît sonner la grosse cloche qui se trouvait en haut de leur palais. Mais cela ne servit à rien car les gens, frappés de stupeur, ne se rassemblèrent pas. De la maison des Cerchi ne sortit pas un homme armé, ni à pied ni à cheval. Seuls messire Goccia et messire Bindo Adimari, leurs frères et leurs fils, vinrent au palais. Mais comme n’y venait personne d’autre, ils retournèrent à leurs maisons, laissant la place abandonnée. Le soir, apparut dans le ciel un signe surnaturel : ce fut une croix vermeille, au-dessus du palais des Prieurs. L’épaisseur de son trait était de plus d’un palme et demi ; et une de ses lignes paraissait longue de vingt brasses, celle de la traverse un peu moins. Elle dura aussi longtemps que mettrait un cheval à courir deux longueurs de lice. Aussi les gens qui la virent, et moi-même qui la vis clairement, nous pûmes comprendre que Dieu était fortement courroucé contre notre ville119.
63Tous ceux qui craignaient leurs adversaires120 se cachaient dans les maisons amies. Chacun attaquait ses ennemis : on se mit à brûler des maisons, à commettre des pillages ; et ce qui avait de la valeur était emporté vers les maisons des gens les moins puissants. Les Noirs puissants réclamaient de l’argent aux Blancs. Des jeunes filles étaient mariées de force, des hommes étaient tués. Et lorsqu’une maison était la proie des flammes, messire Charles demandait : « Quel est cet incendie ? » On lui répondait que ce n’était qu’une cabane, alors que c’était un riche palais. Ces méfaits durèrent six jours121, car il en avait été décidé ainsi. Quant aux campagnes, elles brûlaient de toutes parts.
64Par amour pour la ville, voyant les méfaits se multiplier, les Prieurs demandèrent de l’aide à de nombreux puissants membres du Peuple122, les priant au nom de Dieu d’avoir pitié de leur cité. Mais ils ne voulurent rien faire, aussi les Prieurs se démirent-ils de leurs fonctions123.
65Les nouveaux Prieurs entrèrent en charge le 8 novembre 1301. Ce furent Baldo Ridolfi, Duccio di Gherardino Magalotti, Neri de messire Iacopo Ardinghelli, Ammannato di Rota Beccannugi, messire Andrea da Cerreto, Ricco di ser Compagno degli Albizzi, Tedice Manovelli gonfalonier de justice : de bien tristes membres du Peuple, et puissants dans leur parti. Ceux-ci firent des lois au nom desquelles les Prieurs sortants ne pourraient se réunir nulle part, sous peine de mort124. Et une fois que se furent écoulés les six jours utiles125 établis pour les rapines, ils élurent comme podestat messire Cante Gabrielli da Gubbio, lequel couvrit de nombreux méfaits commis, et étouffa quantité de plaintes déposées, mais donna suite à bien d’autres126.
II, 20. Corso Donati. Charles de Valois. Donati, Rossi, Tornaquinci, Bostichi : leurs pillages et actions malfaisantes (novembre 1301 - …)
66Un chevalier ressemblant au Romain Catilina127, mais plus inflexible que lui – noble par le sang, beau de sa personne, orateur agréable, paré de belles manières, fin d’esprit, toujours rempli de mauvaises intentions, entouré de nombreux sbires et accompagné d’une longue suite –, fit allumer quantité d’incendies et commettre quantité de pillages, et causa de grands dommages aux Cerchi et à leurs amis. Il en retira grand gain, et s’éleva à une haute importance. Ce fut messire Corso Donato, qui pour sa superbe fut appelé le Baron128. Et lorsqu’il passait dans la ville beaucoup s’écriaient : « Vive le Baron ! » ; on aurait dit alors que la ville était à lui. C’était l’orgueil qui le guidait, et il répandait largement ses faveurs.
67Messire Charles de Valois, ce seigneur qui dépensait beaucoup et de façon désordonnée, dut bien un jour dévoiler ses coupables intentions, et il commença à vouloir extorquer de l’argent aux citoyens. Il fit comparaître en justice les anciens Prieurs, ceux qu’il avait tant magnifiés, et si instamment invités à sa table, et auxquels il avait promis, par serment et par des lettres marquées de son sceau, de ne pas jeter à bas les honneurs de la ville ni porter atteinte aux lois municipales129. Il voulait leur extorquer de l’argent, faisant valoir qu’ils avaient fait obstacle à son passage, usurpé sa fonction de pacificateur, offensé le parti guelfe, et qu’à Poggibonsi ils avaient commencé à bâtir des défenses, contre l’honneur du roi de France et le sien propre. Voilà de quelle façon il les persécutait, pour obtenir de l’argent. Baldo Ridolfi, un des nouveaux Prieurs, se faisait son porte-parole et leur disait : « Acceptez de payer de vos deniers, plutôt que d’aller en prison dans les Pouilles. »130 Mais ils ne payèrent pas le moindre sou, car l’indignation monta tellement dans la ville qu’il finit par les laisser tranquilles.
68Il y avait à Florence un riche membre du Peuple, d’une grande générosité, appelé Rinuccio di Senno Rinucci qui, avec de grands honneurs, avait reçu messire Charles dans une jolie propriété à lui, lorqu’il allait à la chasse avec ses barons. Messire Charles le fit arrêter et lui imposa une taille de quatre mille florins, sans quoi il l’enverrait en prison dans les Pouilles. Néanmoins, grâce aux prières de ses amis, il fut relaxé contre huit cents florins. Et c’est de manière semblable qu’il récolta beaucoup d’argent.
69Les Donati, les Rossi, les Tornaquinci et les Bostichi causèrent énormément de mal. Ils brutalisèrent et volèrent bien des gens. En particulier les fils de Corteccione Bostichi : ceux-ci se chargèrent de protéger les biens d’un de leurs amis, un riche membre du Peuple appelé Geri Rossoni, et obtinrent de lui cent florins pour cette protection ; et une fois qu’ils furent payés, ils le volèrent eux-mêmes. Lorsqu’il alla s’en plaindre, leur père lui dit que, en échange de ses possessions131, il lui donnerait tant de ses terres qu’il serait pleinement dédommagé. Et il voulut lui donner une propriété qu’il avait à San Sepolcro valant plus que ce que ses fils lui avaient enlevé. Comme il voulait la différence de prix en argent comptant, Geri lui répondit : « Tu veux donc que je te donne de l’argent, afin qu’ensuite tes fils me prennent le domaine ? je ne le ferai pas, ce serait un bien mauvais dédommagement. » Et il en resta là.
70Ces Bustichi commirent de très nombreux méfaits, et continuèrent à en commettre longtemps encore132. Ils donnaient dans leurs propres maisons l’estrapade à leurs ennemis, lesquelles étaient situées place du Mercato Nuovo, au centre de la ville. Et c’est en plein jour qu’ils les soumettaient à la torture. Aussi disait-on couramment à travers la ville : « Ce ne sont pas les cours qui manquent. » Et en dénombrant les lieux où on donnait la torture, on disait : « Dans la maison des Bostichi, place du Marché. »
II, 21. Victoire des Noirs. Défense des anciens Prieurs blancs
71Bien des péchés ignobles furent commis : sur des filles vierges, ou des mineurs qu’on spoliait, et des hommes sans défense, qui étaient dépouillés de leurs biens, et qu’ensuite on chassait de leur ville133. Et ils firent quantité de lois, celles qu’ils voulaient, autant qu’ils en voulaient et comme ils les voulaient. Beaucoup furent traînés en justice. Il leur fallait avouer qu’ils avaient comploté alors qu’il n’en était rien, et on les condamnait à payer mille florins chacun. Celui qui ne venait pas se défendre était déclaré coupable et, comme contumace, condamné sur ses biens et sur sa personne. Et celui qui obéissait devait payer, mais par la suite, accusé de nouveaux délits, il était chassé de Florence sans la moindre pitié.
72Bien des trésors furent cachés en des lieux secrets134. Bien des langues se retournèrent en quelques jours : quantité d’injures furent lancées contre les anciens Prieurs, à grand tort, par ceux-là mêmes qui peu auparavant les avaient magnifiés. Beaucoup ne les vitupéraient que pour plaire à leurs adversaires. Et ils reçurent bien des offenses. Mais ceux qui dirent du mal de ces hommes mentaient, car tous n’eurent à cœur que le bien commun et l’honneur de la république. Seulement il n’était pas utile de combattre, car leurs adversaires avaient toutes les chances : ils jouissaient de la faveur de Dieu, avaient l’aide du Pape, messire Charles pour champion, et ne craignaient pas leurs ennemis. À tel point que, un peu par peur, un peu par avarice, les Cerchi ne prirent aucune disposition. Ils étaient pourtant les principaux concernés dans la discorde135. Et pour ne pas avoir à nourrir les soldats136, et par leur lâcheté, ils ne se défendirent pas et ne prirent aucune mesure de défense au moment où ils furent chassés. Quand on le leur reprochait et qu’on les en blâmait, ils répondaient que c’était parce qu’ils respectaient les lois. Mais ce n’était pas vrai parce que, lorsque messire Torrigiano de’ Cerchi vint trouver les Seigneurs pour savoir que faire, on l’incita, moi présent, à s’armer et à se préparer à la défense, à répéter cela aux autres amis et à se montrer vaillant137. Ils n’en firent rien ; à cause de leur pusillanimité, ils n’en eurent pas le courage. Dès lors, leurs adversaires s’enhardirent et acquirent de l’ascendant. Voilà pourquoi les Prieurs donnèrent les clefs de la ville à messire Charles138.
II, 22. Aux citoyens responsables de la destruction de la ville
73Ô citoyens malfaisants, qui avez causé la destruction de votre ville, qu’avez-vous fait d’elle ? Et toi, Ammannato di Rota Beccannugi, citoyen déloyal, qui de façon inique te retournais contre les Prieurs et t’employais à les menacer pour qu’ils confient les clefs139. Regardez vos actions malignes, où elles nous ont conduits !
74Ô toi, Donato Alberti, qui irritais constamment tes concitoyens, où est passée ton arrogance, depuis que tu t’es caché dans une vile cuisine de Nuto Marignolli140 ? Et toi Nuto, prévôt et Ancien de ton sextier141, qui par grande passion pour le parti guelfe te laissas abuser ?
75Ô messire Rosso dalla Tosa, satisfais ta grande ambition, toi qui, pour obtenir le pouvoir, disais que ta part devait en être plus grande et qui excluais tes frères de la part qui leur en revenait142.
76Ô messire Geri Spini, satisfais tes désirs : obtiens donc l’éradication des Cerchi, afin que tu puisses vivre en sécurité malgré tes félonies143.
77Ô messire Lapo Salterelli, spécialisé dans la menace et la violence faites aux officiers de justice qui ne te donnaient pas raison dans tes procès, où t’es-tu armé ? dans la maison des Pulci144, en restant caché.
78Ô messire Berto Frescobaldi, qui te montrais si ami des Cerchi, et te faisais médiateur dans la discorde car tu leur étais redevable de ce prêt de douze mille florins, les as-tu remboursés ? et as-tu comparu pour cela145 ?
79Ô messire Manetto Scali, toi qui voulais passer pour si grand et être si redouté, croyant en tout temps triompher des autres, où as-tu pris les armes ? où est ta suite ? où sont tes chevaux bardés ? Tu t’es laissé soumettre par ceux qui, en comparaison de toi, n’inspiraient pas le moindre respect146.
80Ô vous membres du Peuple qui couriez après les charges et vous délectiez des honneurs et occupiez en maîtres les palais des officiers de justice, où fut votre défense ? dans les mensonges, simulant et dissimulant, désavouant vos amis et flattant vos ennemis, uniquement pour vous tirer d’affaire147. Pleurez donc maintenant sur vous-mêmes et sur votre cité148.
II, 23. Chute et ruine des Guelfes blancs (novembre 1301…)
81Dans les actions malfaisantes, beaucoup devinrent grands, alors qu’avant cela ils n’avaient même pas de nom. Prospérant dans la cruauté, ils chassèrent de nombreux citoyens, les déclarèrent rebelles et prononcèrent leur condamnation, sur leurs biens et sur leurs personnes. Ils dévastèrent de nombreuses demeures. Ils punissaient ainsi quantité de personnes, selon ce qui avait été décidé entre eux et même mis par écrit. Aucun n’y échappa sans recevoir sa punition ; ni parenté ni amitié ne servirent ; et les peines ne pouvaient être ni réduites ni commuées pour ceux à qui elles étaient infligées ; les mariages récents n’y firent rien149 ; tout ami devint ennemi ; le frère abandonnait son frère, le fils abandonnait son père ; tout amour, toute humanité s’éteignit150. Ils en envoyèrent beaucoup en exil, à soixante milles de la ville. Ils leur infligèrent quantité de lourdes amendes et de nombreuses impositions ; ils leur prirent beaucoup d’argent, ruinant bien des fortunes. Ni compromis ni pitié ni grâce il n’y eut jamais de la part d’aucun d’eux. Celui qui criait le plus fort ce que tous criaient – « À mort, à mort les traîtres ! » –, celui-là était le plus grand151.
82Beaucoup de Blancs, qui avaient même été longtemps Gibelins anciennement152, furent acceptés au sein des Noirs, grâce seulement à leurs mauvaises actions ; parmi eux il y eut messire Betto Brunelleschi, messire Giovanni Rustichelli, messire Baldo d’Aguglione, messire Fazio da Signa153 et bien d’autres ; ils s’employèrent tous à détruire les Blancs. Et outre les autres, il y eut messire Andrea et messire Aldobrando da Cerreto154, qui aujourd’hui se font appeller les Cerretani155. D’origine gibeline par le passé, ils devinrent partisans noirs.
II, 24. Valeur et loyauté du jeune Baschiera Tosinghi
83Le jeune Baschiera Tosinghi156 était le fils d’un chevalier guelfe militant, messire Bindo del Baschiera, lequel eut à souffrir bien des persécutions pour le parti guelfe : il perdit un œil au château de Fucecchio à cause d’un carreau qu’il reçut, et dans la bataille contre les Arétins il mourut de ses blessures157. C’est lui qui prit la succession de son père158. Mais alors qu’il avait droit à certains honneurs civiques, en tant que jeune homme qui en était digne159, il s’en trouvait privé parce que ceux de la branche principale de sa famille prenaient pour eux, sans rien partager, tous les honneurs et ce qu’ils rapportaient. Ardemment attaché au parti guelfe, il prit vigoureusement les armes lorsque la ville se retourna, au moment de la venue de messire Charles. Et contre ceux de sa famille, ses adversaires160, il combattait par le feu et par les armes, avec la compagnie de fantassins qu’il avait avec lui.
84Les fantassins que la commune avait engagés, des Romagnols, voyant la ville perdue, le lâchèrent et allèrent au palais pour avoir leur solde, qu’ils réclamèrent afin d’avoir un prétexte pour s’en aller. Les Prieurs empruntèrent cent florins à Baldone Angielotti, et les donnèrent aux fantassins. Mais celui qui consentit ce prêt exigea que les fantassins restent auprès de lui à la garde de sa maison. Et c’est ainsi que Baschiera perdit les fantassins qu’il avait avec lui161. Ah ! si les autres citoyens de son parti avaient pu avoir autant de vigueur, ils n’auraient pas perdu ; mais ils se contentèrent de rêver en se laissant aller à croire qu’on ne s’en prendrait pas à eux.
II, 25. Charles se rend à Rome (février 1302). Iniques et frauduleuses condamnations de Blancs à son retour à Florence (mars 1302). Proscription d’avril 1302
85Après que messire Charles de Valois eut établi le parti noir à Florence, il se rendit à Rome. Et comme il demandait de l’argent au Pape, ce dernier lui répondit qu’il l’avait introduit dans la mine d’or162. Quelques jours après, le bruit courut que certains du parti blanc négociaient avec messire Pierre Ferrand de Languedoc, baron de messire Charles. Et on trouva des documents de leurs accords : il devait, à leur demande, tuer messire Charles163. Celui-ci, de retour de la cour de Rome, réunit à Florence, de nuit, un conseil secret de dix-sept citoyens : il y fut question de faire arrêter certains citoyens qu’ils désignaient comme coupables et de leur faire trancher la tête. Le conseil en question se restreignit : tandis que dix d’entre eux restèrent, sept autres s’en allèrent. Ils firent cela pour que ceux qui avaient été désignés prennent la fuite et quittent la ville164.
86La nuit même, ils poussèrent en secret messire Goccia Adimari et son fils à se dérober165, ainsi que messire Manetto Scali, qui était déjà à Calenzano et s’en alla à Mangona166. Et peu de temps après, messire Muccio da Biserno167, un mercenaire pourvu de troupes en nombre et messire Simone Cancellieri168, ennemi de messire Manetto, arrivèrent à Calenzano, croyant le trouver là. En fouillant pour le trouver, ils transpercèrent même la paille des lits avec leurs armes.
87Le lendemain messire Charles les fit citer à comparaître, ainsi que plusieurs autres. Et c’est comme contumaces et comme traîtres qu’il les condamna, fit brûler leurs maisons et adjugea leurs biens à la commune pour rétribuer sa charge de pacificateur169. Ces biens, messire Manetto les fit racheter par ses associés contre cinq mille florins, afin que messire Charles ne fît pas saisir les livres de comptes de leur filiale française ; et sa société parvint à les défendre170.
88Cité à comparaître, messire Giano de messire Vieri de’ Cerchi, jeune chevalier, se trouvait dans le palais de messire Charles, confié à la surveillance de deux chevaliers français qui courtoisement le détenaient dans la maison. Messire Paniccia degli Erri et messire Berto Frescobaldi, apprenant sa détention, se rendirent dans le palais, lequel leur appartenait171 : ils se placèrent entre le chevalier et ses deux gardiens, tout en parlant avec eux, pour lui faire signe de s’en aller ; c’est ainsi que discrètement il s’en alla. On dit alors que messire Charles lui aurait arraché beaucoup d’argent, et plus tard la vie172. La même chose arriva à plusieurs autres qui, appelés à comparaître, étaient partis : il les condamnait sur leurs biens et sur leur personne, et confisquait leurs biens au profit de la commune173. De sorte que de la commune il obtint 24 000 florins, et il lui en donna quittance pour tout ce qu’il avait fait entrer dans ses caisses au titre de pacificateur174.
89Au mois d’avril 1302175, ayant fait citer en justice de nombreux citoyens gibelins et guelfes du parti blanc, il condamna les Uberti, les familles des Scolari, des Lamberti, des Abati, Soldanieri, Rinaldeschi, Migliorelli, Tedaldini176. Et il bannit et relégua177 toute la famille des Cerchi ; messire Baldo, messire Biligiardo, Baldo de messire Talano et Baschiera Tosinghi ; messire Goccia et son fils, Corso de messire Forese, et Baldinaccio Adimari ; messire Vanni de’ Mozzi, messire Manetto et Vieri Scali, Naldo Gherardini, les comtes de Gangalandi, messire Neri da Gaville, messire Lapo Salterelli, messire Donato de messire Alberto Ristori, Orlanduccio Orlandi, Dante Alighieri qui était ambassadeur à Rome178, les fils de Lapo Arrighi, les Ruffoli, les Angelotti, les Ammuniti, Lapo del Biondo et ses fils, Giovangiacotto Malispini, les Tedaldi, Corazza Ubaldini, ser Petracca de ser Parenzo dall’Ancisa, notaire au bureau des Réformes179 ; Masino Cavalcanti et quelques-uns de ses parents ; messire Betto Gherardini, Donato et Teghia Finiguerri, Nuccio Galigai et Tignoso de’Macci ; et beaucoup d’autres. Ce furent plus de six cents hommes qui allèrent subsistant avec peine de par le monde, qui d’un côté qui de l’autre180.
II, 26. La Seigneurie de la ville reste aux mains des Guelfes noirs
90La Seigneurie de la ville resta à messire Corso Donati, à messire Rosso dalla Tosa, à messire Pazzino de’ Pazzi, à messire Geri Spini, à messire Betto Brunelleschi, aux Buondalmonti, aux Agli, aux Tornaquinci, à une partie des Gianfigliazzi, aux Bardi, à une partie des Frescobaldi, aux Rossi, à une partie des Nerli, aux Pulci, aux Bostichi, aux Magalotti, aux Manieri, aux Bisdomini, aux Uccellini, aux Bordoni, aux Strozzi, aux Rucellai, aux Acciaiuoli, aux Altoviti, aux Aldobrandini, aux Peruzzi et aux Monaldi, à Borgo Rinaldi et son frère, à Palla Anselmi, à Manno Attaviani, à Nero Cambi, à Noffo Guidi, à Simone Gherardi, à Lapo Guazza181 ; et à beaucoup d’autres, de la ville et du territoire. Aucun d’eux ne peut trouver d’excuse pour nier avoir pris part au ravage de la cité. Ils ne peuvent dire non plus qu’ils y étaient contraints par quelque nécessité que ce fût, si ce n’est par leur orgueil et leur rivalité pour les charges. En effet les haines entre les citoyens n’étaient pas encore telles qu’à cause de leurs guerres la ville dût s’en trouver bouleversée182, si les faux partisans du Peuple183 n’avaient eu l’âme corrompue à faire le mal, par l’appât du gain, ou plutôt du vol, et par l’ambition de détenir les charges politiques de la cité.
91Un jeune homme du nom de Bertuccio de’ Pulci, trouvant à son retour de France ses associés bannis de la ville, abandonna ceux de sa famille à la tête de la cité, et alla s’établir au dehors, avec ses associés. Et c’est par grandeur d’âme qu’il le fit184.
II, 27. Les Noirs poussent Charles également contre Pistoia, toujours tenue par les Cancellieri blancs (décembre 1301). Tentatives infructueuses. Plus tard seulement les gens de Pistoia perdent les châteaux de Serravalle (1302) et de Montale (1303)
92Messire Schiatta Cancellieri, le capitaine (c’est de sa maison que naquirent à Florence ces deux maudits partis au sein des Guelfes)185, s’en retourna à Pistoia et commença à faire armer et équiper les châteaux186, et en particulier celui de Montale du côté de Florence, et celui de Serravalle du côté de Lucques. Ceux du parti noir de Florence allèrent aussitôt trouver messire Charles de Valois, et l’incitèrent à prendre Pistoia, en promettant de lui donner pour cela beaucoup d’argent. Et dans cette intention ils le firent marcher sur elle avec ses troupes, très mal préparées cependant. La ville était forte, munie de solides remparts, de grands fossés et de citoyens valeureux. On le mena contre elle à plusieurs reprises187, tant et si bien que Maynardo da Susinana188 lui en fit reproche, lui disant que c’était une folle entreprise. Mal guidé, par temps de pluie, il s’enfonça dans les marais, lui et ses troupes, dans un lieu où, si les gens de Pistoia l’avaient voulu, ils auraient pu le capturer. Mais, respectueux de sa grandeur, ils le laissèrent aller.
93Les Florentins et les Lucquois mirent le siège devant Serravalle, sachant que la place n’était pas approvisionnée. En effet, messire Schiatta, en parlant avec messire Geri Spini et avec messire Pazzino de’ Pazzi, tous deux plus rusés que lui, leur avait dit189 qu’elle ne l’était pas. Aussi le château dut-il capituler, à la condition de l’immunité pour ses occupants. Mais celle-ci ne fut pas respectée190, car les gens de Pistoia furent emmenés comme prisonniers. Quant à Montale, par suite de tractations que conduisait messire Pazzino de’ Pazzi avec ses occupants, tout près de là à Palugiano, il fut livré pour trois mille florins qu’ils obtinrent des Florentins, et fut démantelé.
II, 28. Charles de Valois quitte Florence pour l’entreprise de Sicile. Les Noirs s’acharnent contre les Blancs exilés. Ceux-ci trouvent refuge à Arezzo auprès d’Uguccione della Faggiuola, à Forlì et à Sienne. Leur infortune au château de Piantravigne (1302, avril-juin)
94Une fois que messire Charles de Valois fut parti – il s’en alla dans les Pouilles191 pour faire la guerre de Sicile –, les Noirs de Florence, qui préféraient voir la ville dévastée plutôt que perdre la Seigneurie192, cherchèrent à détruire leurs adversaires par tous les moyens.
95Les Blancs s’en allèrent à Arezzo193 où était podestat Uguccione dalla Faggiuola, un Gibelin de vieille date, qui s’était élevé de sa basse condition. Celui-ci, acheté au prix du vain espoir que lui avait donné le pape Boniface de faire un de ses fils cardinal, leur fit subir, à la demande du Pape, tant d’injustices qu’ils durent s’en aller. Une bonne partie d’entre eux se rendirent alors à Forlì, où était vicaire de l’Église Scarpetta degli Ordalaffi, un gentilhomme de Forlì194.
96À ceux du parti blanc et gibelin il arriva bien des malheurs horribles195. Ils avaient dans le Val d’Arno un château, dans la plaine de Sco, où se trouvait Carlino de’ Pazzi avec soixante hommes à cheval et beaucoup de gens à pied. Les Noirs de Florence y mirent le siège. On dit alors196 que Carlino les trahit contre de l’argent. C’est ainsi que les Noirs y firent entrer leurs troupes ; et ils firent prisonniers les occupants, en tuèrent une partie et échangèrent les autres contre rançon. Entre autres, un fils de messire Donato de messire Alberto Ristori, appelé Alberto, fut rendu contre trois mille lires. Et deux des Scolari, deux des Bogolesi, un des Lamberti et un des Migliorelli furent pendus, ainsi que plusieurs autres197.
97Les Gibelins et les Blancs qui s’étaient réfugiés à Sienne n’étaient pas assez en confiance pour y demeurer, à cause d’un proverbe qui disait que « la louve fait la putain », c’est-à-dire Sienne qu’on désigne par la louve. Celle-ci tantôt concédait le passage, et tantôt l’interdisait198. C’est pourquoi ils décidèrent de ne pas y rester.
II, 29. Aidés par les Ubaldini et par les Pisans, les Blancs et les Gibelins se battent dans le Mugello (été 1302). Deuxième infortune, due à l’imprudence de quelqu’un de leur parti (… janvier 1303)
98Les Blancs et les Gibelins commencèrent la guerre dans le Mugello, avec l’aide des Ubaldini. Mais ces derniers voulurent être sûrs auparavant que leurs dommages seraient couverts199. Les gens de Pise aussi leur en donnèrent l’assurance. Mais le Pisan Vannuccio Bonconti était du côté du parti noir, par appât du gain ; et c’est pourquoi ils n’eurent de lui nul secours ni appui.
99De retour de Sardaigne, messire Tolosato degli Uberti, apprenant cette discorde, s’entendit avec les Pisans et vint au secours du parti gibelin, et il se rendit personnellement à Bologne comme à Pistoia, ainsi que beaucoup d’autres de la maison des Uberti. Plus de quarante ans auparavant ceux-ci avaient été déclarés rebelles à leur patrie, et jamais ils ne trouvèrent la moindre grâce ni miséricorde. Ils vécurent toujours en exil mais sur un grand pied, et jamais ne déchurent de leur grandeur, car c’est toujours avec des rois et avec de grands seigneurs qu’ils frayèrent, et ils ne se consacrèrent qu’à de grandes entreprises200.
100Le parti noir franchit les montagnes ; ils brûlèrent villages et châteaux, et allèrent dans le Santerno, dans le jardin des Ubaldini, et le saccagèrent201. Et personne ne se dressa les armes à la main pour sa défense ! Si seulement ils avaient coupé des troncs d’arbres qu’il y avait là en quantité et les avaient mis par terre en travers des défilés, aucun de leurs adversaires n’en aurait réchappé.
101Les Blancs connurent une autre infortune, à cause de l’ingénuité d’un citoyen déclaré rebelle par Florence, appelé Gherardino Diedati : se trouvant à Pise, il se confia à ceux de sa famille et leur écrivit que les relégués avaient bon espoir de rentrer à Florence par la force, d’un mois à l’autre ; et il en écrivit autant à quelqu’un de ses amis. Mais on trouva les lettres. C’est pourquoi deux jeunes neveux à lui, fils de Finiguerra Diedati, ainsi que Masino Cavalcanti, un beau jeune homme, furent arrêtés et eurent la tête tranchée ; Tignoso de’ Macci fut soumis à l’estrapade et en mourut ; et l’un des Gherardini également eut la tête tranchée202. Ah ! comme elle fut trompée la mère déchirée des deux enfants, qui dans un flot de larmes, échevelée, se jeta à terre en pleine rue, à genoux devant messire le juge Andrea da Cerreto, le suppliant les bras en croix de faire que, pour l’amour de Dieu, ses enfants soient épargnés. Celui-ci répondit qu’il allait au palais pour cela même. Et il mentit en disant cela, car s’il s’y rendit ce fut pour les faire mourir203. Du fait de tels crimes204, les citoyens qui avaient espéré que la ville trouverait le repos205 perdirent définitivement cet espoir ; car jusqu’à ce jour le sang n’avait pas coulé au point d’interdire à jamais à la ville de trouver le repos206.
II, 30. Troisième infortune des Blancs, repoussés lors de l’expédition de Puliciano qu’ils tentent en compagnie des Gibelins. Ils finissent capturés ou tués, ce qui renforce et affermit l’amitié entre Blancs et Gibelins (1303, février, mars…)
102Les Blancs et Gibelins connurent leur troisième infortune (laquelle les réunit, et fit que les deux noms se confondirent en un seul) pour la raison suivante : Folcieri da Calvoli étant podestat de Florence, les Blancs élurent pour être leur capitaine Scarpetta degli Ordalaffi, un homme jeune et équilibré, ennemi de Folcieri207. Sous son commandement, ils rassemblèrent leurs forces et vinrent à Pulicciano, près de Borgo San Lorenzo, comptant sur Monte Accenico qu’avait édifié le cardinal Ubaldini, messire Attaviano, avec trois enceintes de murailles208. Là, ils firent grossir leurs troupes avec leurs amis, pensant prendre Pulicciano et, de là, venir vers la ville. Folcieri marcha sur eux avec un petit nombre de cavaliers. Les Noirs y allèrent avec grande circonspection mais, voyant que leurs ennemis n’attaquaient pas, bien que le podestat n’eût avec lui que peu d’hommes, et qu’au contraire ils coupaient les ponts et édifiaient des retranchements, ils s’enhardirent au rythme du grossissement de leurs troupes. Les Blancs se crurent perdus, et se retirèrent en désordre. Ceux qui ne furent pas assez rapides pour s’enfuir y restèrent, car les troupes rurales des comtes des environs furent aussitôt sur les passages, et capturèrent et tuèrent beaucoup d’entre eux.
103Scarpetta et plusieurs autres chefs se réfugièrent dans Monte Accinico. L’armée des Blancs et Gibelins était de sept cents chevaux et quatre mille hommes. Et bien que leur retraite ne fût pas honorable, elle fut plus sage que leur avancée.
104Messire Donato Alberti fut si lent qu’il fut capturé, ainsi qu’un valeureux jeune homme appelé Nerlo de messire Goccia Adimari, et deux jeunes Scolari. Et Nanni Ruffoli fut tué par Chirico de messire Pepo dalla Tosa.
105On eut la bassesse de mener messire Donato sur un âne209, vêtu d’un misérable sarrau de paysan, jusqu’au podestat. Celui-ci, en le voyant, lui demanda : « Vous êtes bien messire Donato Alberti ? » – « Je suis en effet Donato, répondit-il, puissent être ainsi devant vous Andrea da Cerreto, et Niccola Acciaiuoli, et Baldo d’Aguglione, et Iacopo da Certaldo, qui ont détruit Florence. »210
106Le podestat le soumit alors à l’estrapade, puis il fit attacher la corde à la poulie et le laissa ainsi suspendu. Il fit ensuite ouvrir les fenêtres et les portes du palais et reçut en comparution maints citoyens pour d’autres affaires, afin qu’ils voient bien le supplice qu’il lui infligeait, et avec quel mépris il le traitait211. Et le podestat s’employa tant et si bien contre lui qu’il lui fut accordé de lui couper la tête. Il faisait tout cela parce que la guerre lui rapportait gros tandis que la paix le ruinait ; ainsi réserva-t-il le même sort à tous les autres212. Ce ne fut pas une juste sentence : elle alla contre les lois civiles213 car des citoyens expulsés ne doivent pas être condamnés à mort parce qu’ils veulent rentrer chez eux, et contre les usages de la guerre car on aurait dû les garder captifs214. Et dès lors que les Guelfes blancs capturés furent exécutés comme on le fit des Gibelins, les deux groupes s’accordèrent mutuellement leur confiance, car jusqu’à ce jour-là les Gibelins avaient toujours douté de l’entière amitié des Blancs215.
II, 31. La division du parti guelfe est consommée. Une fois les Blancs, jusqu’alors Guelfes, devenus Gibelins, les noms de Guelfe et de Gibelin se confondent
107Ô messire Donato, comme ta chance alors a tourné ! car d’abord ils ont capturé ton fils, et il t’a fallu le racheter pour trois mille lires216 ; et ensuite c’est toi qu’ils ont décapité ! Et qui t’a fait cela ? les Guelfes que tu aimais tellement que, dans chacun de tes discours, tu disais pis que pendre des Gibelins. Comment la trompeuse opinion publique a-t-elle pu t’enlever le titre de Guelfe ? Comment par les Guelfes as-tu pu être exécuté au milieu des Gibelins ? Qui a ôté ce titre à Baldinaccio Adimari et à Baschiera Tosinghi217, niant leur appartenance guelfe, à eux dont les pères firent tant pour le parti guelfe ? Et qui s’est arrogé le pouvoir de l’ôter ou de le conférer en un rien de temps, de faire que les Gibelins fussent dits Guelfes, et les plus grands Guelfes dits Gibelins ? Qui eut un tel privilège ? Messire Rosso dalla Tosa218 et ses partisans, lui qui ne faisait rien pour les besoins du parti, et même rien du tout à côté des pères de ces deux-là qu’on a dépossédés de ce titre. Aussi est-ce très justement que s’exprima là-dessus, en voyant qu’on faisait des Gibelins par force219, un homme de grande autorité, guelfissime, messire Corazza Ubaldini da Signa220, qui dit : « Il y a déjà tant de Gibelins et tant de gens qui veulent l’être qu’il vaut mieux ne pas en faire de force davantage encore. »
II, 32. Les Noirs tentent l’entreprise de Bologne. Mais la ville est bien défendue par une faction des Guelfes bolonais et par les Blancs florentins. Ligue de Romagne, à laquelle prennent part Blancs et Gibelins toscans (1303,… avril-juin)
108L’audace des Noirs s’accrut à tel point qu’ils s’entendirent avec le marquis de Ferrare pour s’emparer de Bologne, en marchant sur elle avec six cents cavaliers et six mille hommes à pied221 ; et à l’intérieur de la ville l’un des deux partis, Guelfes tous les deux, devait attaquer l’autre le jour des Pâques de la Résurrection222.
109Les Blancs qui s’étaient réfugiés à Bologne prirent les armes virilement et organisèrent une revue de troupes. Les Noirs eurent peur et n’attaquèrent pas. Le marquis fit désarmer ses hommes et les Noirs s’en allèrent. Aussi la condition des Blancs s’améliora-t-elle à Bologne, ils y furent bien vus par la suite et les Noirs furent considérés comme des ennemis. Les Bolonais se liguèrent alors avec les Romagnols, disant que le marquis avait voulu les trahir et que, s’il y était parvenu, il aurait mis toute la Romagne sens dessus dessous.
110Dans cette ligue entrèrent Forlì et Faenza, Bernardino da Polenta223, le parti blanc de Florence, les gens de Pistoia, le comte Federigo da Montefeltro et les Pisans.
111Au mois de juin 1303 les alliés en question mirent sur pied une taille de cinq cents cavaliers dont ils nommèrent capitaine messire Salinguerra de Ferrare224.
II, 33. Depuis le Mugello, les Blancs lancent une expédition en territoire florentin, et s’unissent aux Arétins, prenant plusieurs châteaux. Mais ils ne savent pas tirer parti de l’occasion. Uguccione est démis de sa charge de podestat d’Arezzo (été 1303)
112Les Blancs marchèrent depuis Monte Accinico jusqu’aux environs de la Lastra, brûlant tout sur leur passage225.
113Les Arétins reprirent Castiglione et Monte a San Savino, et dévastèrent Laterina car elle était aux mains des Noirs226. Ceux-ci ne purent lui porter secours, car ils étaient avec les Lucquois autour de Pistoia. Venant à l’apprendre, ils laissèrent Florence sous la garde des Lucquois et, avec les cavaliers du marquis227, marchèrent sur Montevarchi228 pour secourir Laterina.
114Les Arétins se regroupèrent avec les Blancs, avec leurs amis de Romagne et avec les soldats pisans, et marchèrent sur Castiglione degli Ubertini229. On crut alors que c’était le signe de la bataille. Mais les Noirs s’en allèrent et s’attaquèrent à Castiglione Aretino, où ils subirent des pertes dans les rangs de leurs fantassins. Ils garnirent alors Montalcino et Laterina230.
115Les Blancs comptaient mille deux cents cavaliers et quantité d’hommes à pied, et montrèrent qu’ils attendaient la bataille de pied ferme. Mais ils furent trompés par certains traîtres payés par leurs adversaires, qui empêchèrent la bataille d’avoir lieu en faisant croire que les Pisans ne voulaient pas en prendre le risque, alors que la guerre pouvait être gagnée à coup sûr.
116Il y avait à Arezzo Uguccione da Faggiuola comme on l’a dit, qui, à cause de certains de ses agissements douteux, fut démis de la Seigneurie231, laquelle fut confiée au comte Federigo, fils du bon comte Guido da Montefeltro232, dont l’excellente renommée a fait le tour du monde entier. Il vint à Arezzo et prit le gouvernement, accompagné de Ciappettino Ubertini.
II, 34. Discorde à Florence au sein du parti noir, entre les riches membres du Peuple et Corso Donati. Irritation contre la Seigneurie. Mise en examen des faits passés. Retour des relégués (1303,… août)
117Les Noirs rentrèrent à Florence, et peu de temps après naquit entre eux une dispute, parce que messire Rosso dalla Tosa, messire Pazzino de’ Pazzi et messire Geri Spini, grâce à leurs amis les riches membres du Peuple, détenaient la Seigneurie et les honneurs de la cité233. Messire Corso Donati s’en estimait plus digne qu’eux et, comme il ne lui semblait pas en avoir la part qui lui revenait, à lui, un chevalier qui excellait dans tout ce qu’il voulait entreprendre, il s’efforça de les abaisser, et de briser la magistrature des Prieurs pour s’y élever lui-même avec ses partisans234. Il se mit à semer la discorde et, sous couleur d’amour de la justice et de la patrie, il parlait ainsi : « Les pauvres gens sont maltraités et dépouillés de ce qu’ils possèdent par les impôts et par les lires235, tandis que certains s’en remplissent la bourse. Demandons-nous un peu où est passé tout cet argent, car on ne peut en avoir dépensé autant dans la guerre. »236 Et il réclamait cela avec beaucoup d’insistance, devant les Seigneurs et dans les Conseils. On237 l’écoutait volontiers, croyant qu’il parlait en toute bonne foi. Et quoi qu’il en soit on voulait vraiment enquêter à ce sujet. Les autres ne savaient que répondre, retenus par leur colère et leur orgueil. On s’y employa tant et si bien que, avec l’aide de fonctionnaires de justice qui en étaient partisans, on décida d’enquêter sur les sévices, les violences et les pillages. On fit appel à des juges étrangers pour vérifier les comptes238. Par la suite les propos se firent plus conciliants. Et les membres du Peuple qui gouvernaient, afin de s’attirer quelques sympathies, rappelèrent les relégués qui s’étaient soumis ; ce fut le premier jour d’août 1303.
II, 35. Capture et mort du pape Boniface VIII. Ce qu’en ont pensé les Blancs et les Noirs (1303, septembre-octobre)
118Le samedi 7 septembre 1303, Sciarra dalla Colonna entra dans Anagni239, en territoire de Rome, à la tête d’une troupe nombreuse, avec les gens de Ceccano et avec un chevalier qui était là au nom du roi de France240, arborant son enseigne et celle du Patrimoine, c’est-à-dire celle des clefs de saint Pierre. Ils forcèrent la sacristie et la trésorerie du Pape, et lui prirent une grande partie de son trésor. Le Pape abandonné par sa suite fut capturé241. On dit alors que le cardinal messire Francesco Orsini242 s’y trouva en personne, avec de nombreux citoyens romains. L’opinion courante fut qu’il s’agissait d’une conspiration ourdie avec le roi de France, parce que le Pape faisait tout pour lui faire du tort. Quant à la guerre menée par les Flamands contre lui, où périrent de nombreux Français, on dit aussi qu’elle fut décidée à l’initiative du Pape243.
119Pour cette raison, le roi de France réunit à Paris quantité de maîtres en théologie et de bacheliers244 des frères mineurs, prêcheurs et d’autres ordres : et là il fit déclarer le Pape hérétique, puis il le fit admonester, l’accusant d’une multitude de péchés horribles. Le Pape était donc prisonnier à Anagni ; et sans le laisser présenter la moindre défense ni excuse, on l’emmena à Rome, où il fut blessé à la tête et, quelques jours après, mourut de rage245.
120De sa mort, beaucoup furent satisfaits et joyeux car il gouvernait durement, et fomentait des guerres, brisant bien des gens et accumulant de grands trésors : ce furent les Blancs et les Gibelins qui s’en félicitèrent particulièrement, car il était leur ennemi intime. Les Noirs au contraire en furent très attristés.
II, 36. Sous le commandement de Tolosato degli Uberti, Blancs et Gibelins se rassemblent à Arezzo. L’entreprise de Ganghereto et de Laterina (1303, septembre-novembre)
121Au cours de ce même mois de septembre, les Blancs et les Gibelins de Florence s’unirent à messire Tolosato degli Uberti246, un noble chevalier florentin et homme d’armes très valeureux. Ils marchèrent sur Arezzo avec des soldats pisans. Les Siennois leur concédèrent le passage, car les citoyens de Sienne gardaient de bonnes relations de voisinage avec les deux partis à la fois. Et lorsqu’ils savaient les Blancs forts, s’ils devaient les bannir ce n’était qu’avec un ban truqué, de manière à ne pas leur porter préjudice247. En effet, ils apportaient leur aide aux Noirs dans les expéditions et se montraient leurs alliés ; voilà pourquoi ils sont passés en proverbe, dans celui qui dit, entre autres choses sur les guerres de Toscane, que : « la louve fait la putain », car par la louve on entend Sienne248. À Arezzo se rassemblèrent les Blancs et Gibelins de Florence, des Romagnols, des Pisans et tous leurs autres amis249 ; de sorte que le premier novembre ils furent en selle.
122Les Noirs marchèrent sur Figline250, et les Blancs descendirent sur Ganghereto251. Les Arétins vinrent à Laterina et placèrent leurs forces sur les passages, afin qu’aucun ravitaillement n’y soit apporté252. Le château aurait succombé si n’avaient sévi la faim et la discorde chez les Arétins, car leurs chefs se firent payer secrètement et permirent de le ravitailler253.
Notes de bas de page
1 Les mensonges sont les calomnies répandues par la faction noire qui accuse l’autre de collusion avec les Gibelins. Dans ces phrases toutes sarcastiques, il est fait un libre usage du langage et des images bibliques afin de rendre l’invective plus solennelle, dans la perspective eschatologique.
2 Réminiscence classique, un « souvenir des histoires de l’Antiquité » (I, Prologue). Personnages célèbres de l’histoire romaine dont l’action ici n’est pas prise au pied de la lettre, car Marius n’a rien vengé du tout, il n’a même pas connu le plus dur des temps de Sylla : ses représailles, qui durèrent cinq jours en 87 av. J. -C., contre les tenants de Sylla n’advinrent qu’après la première année du consulat de ce dernier. Le parallèle est vague et fonctionne surtout comme un positionnement politique appuyé sur des clichés traditionnels : Sylla, emblématique figure sénatoriale, représente la déplorable domination oligarchique des Guelfes noirs durant la décennie 1301-1311, par opposition à Marius, ennemi implacable de la noblesse et défenseur passionné du peuple à Rome, auquel s’assimilent les Blancs dans cette schématique évocation analogique.
3 Noble famille romaine (voir I, 23) âprement persécutée par Boniface VIII.
4 Des Florentins blancs au pouvoir. Et on a vu (I, 21, 23, 27) que ces médisances étaient le fait des Noirs.
5 Charles, comte de Valois et d’Alençon, frère du roi de France Philippe IV le Bel (1285-1314), et fils du précédent roi Philippe III le Hardi (1270-1285).
6 Charles de Valois était pressé par Boniface VIII (qui lui offrait armes, argent, mariage prestigieux, dignités somptueuses) pour reconquérir la Sicile au profit de la France et du guelfisme. Il quitta Paris en juin 1301, traversant la Provence au cours de l’été, investi des pouvoirs juridiques et militaires suprêmes sur les terres de l’Église, pour aller combattre Frédéric II d’Aragon, roi de Sicile depuis 1296.
7 Après être passé au cours du mois de juillet 1301 par Milan, Parme, Reggio et Modène, accompagné de sa seconde femme, Catherine de Courtenay, prétendante à l’Empire grec, et d’environ 500 cavaliers.
8 Précédant les ambassadeurs officiels, les Noirs se prétendent les seuls Guelfes et assimilent les Blancs aux Gibelins pour effrayer le prince, et faire croire qu’à cause d’eux, à Florence, sa vie est en danger.
9 En tant que Guelfes, ils le reconnaissent comme représentant du Pape et chef du parti guelfe.
10 De la part des Noirs, de Florence et de Pistoia, que Dino appellera bientôt « semeurs de scandales ».
11 Pour atteindre Florence ce n’était pas, en effet, le chemin le plus court. Il eût été normal plutôt de traverser le Mugello. Faire le détour par le territoire de Pistoia, sans y être invité, prenait donc le sens d’une menace.
12 Comme toute prophétie, celle-ci comporte sa part d’énigme : on veut y voir une allusion à la prise de Pistoia par les Florentins en 1306 (III, 15), lesquels rasèrent ses murailles et ses tours, les mettant ainsi au niveau des bêtes de somme. Songeons en outre que l’expression « un âne sur le toit » désignait chez les Latins, à travers l’ adynaton, un événement terrifiant tenant du prodige (Pétrone, Le Satiricon, 63).
13 Florentin parvenu, de l’exercice du commerce et de l’usure jusqu’à la chevalerie. Conseiller de Charles et de son frère le roi de France. Évoqué également pour ses activités de conseiller perfide par G. Villani (VIII, 147 et IX, 49, 56) et par Boccace (Décaméron, I, 1).
14 L’envoi d’une ambassade officielle mandatée par l’État florentin avait été décidé dès le 13 septembre ; mais les trois ambassadeurs (Maso di Ruggierino Minerbetti, Corazza da Signa et Dante Alighieri, cités aux chapitres II, 11 et II, 25) ne partirent pas avant le début octobre.
15 On sait que, en même temps que les Florentins et sur leur demande, les Bolonais ont envoyé une ambassade à Rome. Et on sait que Sienne aussi a associé ses propres ambassadeurs à ceux de Florence. Parmi les membres de ces délégations, certains jouaient double jeu : Maso di Ruggierino Minerbetti parmi les Florentins (voir II, 11) ; et Ubaldino Malavolti parmi les Siennois, affirme l’auteur. Mais un Ubertino Malavolti, légiste bolonais, est expressément mentionné parmi les membres de l’ambassade bolonaise. Toutefois, Malavolti est aussi le nom d’une famille siennoise connue, et les prétentions sur un château au sud de Florence sont plus conformes à celles d’un Siennois qu’à celles d’un Bolonais. Enfin, que le traître soit siennois participe de la féroce critique de Dino contre la proverbiale duplicité de Sienne (voir II, 28 et 36).
16 Dans les délais prévus, ou bien suffisamment tôt pour empêcher les Noirs de monter définitivement le Pape contre Florence, et plus concrètement avant le départ de Charles de Valois pour la Toscane.
17 Seul Dante Alighieri fut retenu à Rome.
18 Blancs bien entendu. Pour la période allant du 15 octobre au 15 décembre 1301.
19 Des hommes dont l’élection ne soulevait aucune crainte, aucun soupçon de partialité.
20 Partager les charges devait être le remède ultime pour, sinon réconcilier, du moins faire vivre en paix les deux parties dont les disputes donnaient prétexte au Pape et à son envoyé Charles de Valois pour prendre part aux affaires de la cité.
21 Élus huit jours avant le début de leur mandat (le 7 octobre pour commencer le 15), ils durent patienter à l’abri des pressions – quoi de mieux qu’un couvent de franciscains ? – avant de s’installer dans le récent palais de la Seigneurie.
22 Ici la formule administrative (buoni uomini, voir I, 8 note) sert à couvrir l’adulation.
23 Accorder audience aux citoyens faisait partie des missions statutairement confiées aux Prieurs (trois fois par semaine), s’y dérober équivalait pour eux à faillir à leurs devoirs légaux.
24 Les Scali, Blancs, partisans des Cerchi (voir I, 22 ; II, 16 et 22). Les Giandonati, eux, étaient divisés.
25 La rivalité était traditionnelle entre ces deux familles, dont l’inimitié la plus grave s’explique par l’affaire du nez coupé (I, 22), à laquelle il va être fait allusion peu après.
26 Selon l’auteur, l’action très volontariste des capitaines du parti guelfe en faveur de la paix décourage paradoxalement les Blancs, lesquels comptent sur une conciliation prochaine, de s’y employer eux-mêmes.
27 Les Blancs. Dino envisage les motivations de chacune des deux parties en n’accusant les Blancs, au pire, que de faiblesse ; mais surtout en les créditant, et en se créditant lui-même car il était alors Prieur, d’une candeur certes coupable à terme, mais ô combien valorisante comparée aux volontés malfaisantes des Noirs.
28 Pour éviter que la rivalité entre les deux branches du parti guelfe ne conduise à céder une part des charges de gouvernement aux étrangers, comme Charles de Valois, ou, qui pis est, ne profite aux Gibelins.
29 Perché cagion non v’era altro che di discordia : car il n’existait pas de raison plus grave que la simple discorde interindividuelle pouvant empêcher la réconciliation : les Blancs sous-estiment la gravité de la situation intérieure et se font fort d’y remédier aisément par la négociation et la répartition équitable des magistratures. Un raisonnement très proche, après le coup d’État : II, 26. Autres interprétations : « car il n’existait pas de raison telle que seule la discorde dût en découler » (Luzzatto) ; « car faire des préparatifs de guerre ne pouvait qu’être cause de discorde supplémentaire » (Del Lungo).
30 L’outrage qui mit le feu aux poudres : le nez coupé de Ricoverino de’Cerchi par Piero Spini lors de la rixe du 1er mai à Santa Trinita, dont le clan des Cerchi attend « l’heure d’une grande vengeance » (I, 22).
31 Il s’agit essentiellement de la destruction de l’ordre politique en place.
32 Sans doute dans les caisses du Pape. C’était une somme énorme, permise par la grande richesse des Florentins, à propos de laquelle on peut voir ce que dira le Pape à Charles de Valois, au chapitre II, 25.
33 Guillaume de Perche, chancelier de Charles de Valois.
34 Le Conseil général du podestat ou de la commune (voir I, 21), le seul où siégeaient également les Grands aux côtés du Peuple.
35 Le Conseil extraordinaire des Quarante fut convoqué le 24 octobre 1301, en présence du podestat, du capitaine du Peuple et des Prieurs. Mais avant cela ils ont pris l’avis d’une large part de la population.
36 Dans ce Conseil intervenaient les magistrats des 21 Arts (voir I, 4 note). Le chiffre 72 se réfère aux métiers variés qui, par groupes, composaient ces corporations.
37 Appartenant au popolo grasso, influents et de qualité, mais sans noblesse : peut-être par provocation.
38 Les Blancs au pouvoir exigent de Charles de Valois la garantie qu’il ne chercherait pas à obtenir une quelconque autorité sur la ville, à exercer à leur détriment. Cette première personne inclut naturellement Dino, alors au nombre des Prieurs.
39 Ce qui signifierait ôter à la ville le privilège de se gouverner librement.
40 L’Empire était alors vacant (voir III, 23), mais le Pape était considéré dans ce cas comme vicaire de l’Empereur, et il avait nommé Charles de Valois pacificateur de l’Empire : « in terris Tusciæ, Romano Imperio subiectis, tempore vacationis eiusdem Imperii paciarum ».
41 Outre les lois rédigées dans la constitution citadine, était également en vigueur le droit coutumier local, que les cités faisaient valoir avant le jus comune.
42 Ville satellite de Florence, gouvernée par un magistrat (vicaire) envoyé par la ville dominante (voir I, 1).
43 Quelli che ’l conduceano : aux deux sens latins de « mener, acheminer » et « prendre à sa solde, engager », car les Guelfes noirs qui lui disent par où passer (II, 3 ; II, 6), achètent à prix d’or, pour 70 000 florins (II, 6), les services de ce prince, lui-même peu décidé, et hâtent sa venue avec 17 000 florins de plus.
44 Sans doute pour le faire s’avancer jusqu’au château de Staggia, dans le Val d’Elsa, non loin de Poggibonsi (Villani, IX, 49), qui appartenait alors à Musciatto Franzesi, conseiller du prince (voir II, 4).
45 Comunemente : non pas « suivant l’usage commun, communément », mais bien « en commun » car on baptisait ensemble les enfants à la veille de Pâques et de Pentecôte dans le baptistère Saint-Jean (voir Dante Alighieri, Enfer, XIX, 16-21 ; Paradis, XXV, 8-9). Ce qui permet à l’orateur de rappeler à l’assistance, avant toute chose, le lien communautaire profond, sacré, qui unit l’ensemble des citoyens. La cathédrale Saint-Jean était la plus ancienne église de Florence, et saint Jean-Baptiste le patron de la ville.
46 Les répartir équitablement entre Blancs et Noirs de façon à y associer l’ensemble de la communauté (voir II, 5).
47 C’est-à-dire les privilèges de la cité à se gouverner seule, son indépendance, sa liberté en somme. C’est, mot pour mot, ce qui a été demandé à Charles de Valois de garantir par écrit (II, 7).
48 Il s’agit comme toujours de la destruction politique (voir I, 2 ; I, 22 ; II, 1) : renversement du gouvernement blanc certes mais surtout magistratures vendues à l’étranger, soumission à d’autres…, autrement dit le contraire de la préservation des « dignités et juridictions ».
49 Le premier à prêter serment sur l’Évangile, plus coupable que les autres car, par son exemple, il les a tous poussés à se parjurer.
50 Poco poi portò il peso del saramento : il dut payer peu de temps après le prix de son parjure. On ne sait cependant de quelle manière : il ne fait pas partie de ceux qui, à la fin du livre, subiront le châtiment divin. On sait seulement qu’il était mort à l’époque où Dino écrivait. On pourrait comprendre aussi qu’il ne respecta son serment par la suite que quelques jours ou semaines seulement, avant les désordres irréparables.
51 Non pas celles de Dino, mais celles de ceux qui ont prêté serment de faire et de maintenir la paix.
52 Comme il avait été convenu (II, 7). Mais l’erreur est flagrante car les autres chroniqueurs, ainsi que les documents officiels, fixent indiscutablement son entrée au jour de Toussaint, 1er novembre, un mercredi.
53 Guelfes de Toscane, officiellement venus pour rendre hommage à Charles de Valois, en réalité pour se mettre sous ses ordres et favoriser les Noirs. Quant aux Lucquois, on les a déjà vus s’approcher de Florence à l’appel des Donati (I, 21). Cante Gabrielli da Gubbio avait été podestat de Florence en 1298. C’est lui qui prononcera bientôt la sentence d’exil contre Dante Alighieri et les autres Blancs.
54 Malatestino : frère des célèbres Gianciotto et Paolo Malatesta de Rimini, et beau-frère de la Francesca immortalisée par Dante (Enfer, V, 73-142). Comme son père, tyran de Rimini, il était redouté pour sa cruauté (Enfer, XXVII, 46-48 et XXVIII, 85-90). Maynardo : Mainardo Pagani da Susinana. Originaire de la forteresse de Susinana en Romagne toscane, seigneur de Faenza et d’Imola, à la réputation de « démon » (Dante, Purgatoire, XIV, 118-120). Il était déjà venu aider les Guelfes florentins contre Arezzo, en 1289 (I, 7).
55 Dans le sextier d’Oltrarno, au pied du pont Santa Trinita (alors appelé pont des Frescobaldi). Ses gens occupaient également les maisons des Spini à l’autre tête du pont, de la sorte totalement contrôlé.
56 La Seigneurie insista, en vain, pour qu’il fût logé dans le couvent de Santa Maria Novella, lieu d’accueil habituel des personnalités étrangères (voir II, 13 et note).
57 On a déjà vu les Prieurs consulter des sages lors de la venue du cardinal Matteo d’Acquasparta (I, 21). Le Conseil extraordinaire des Quarante fut réuni dès le 24 octobre 1301 pour accepter ou refuser la venue de Charles de Valois (voir II, 6). Il permit ensuite de décider, au sein des conseils institutionnels, des mesures sévères pour assurer le maintien de l’ordre pendant toute la durée de son séjour.
58 Les Falconieri, bourgeois, avaient épousé le parti des Cerchi en 1300 (I, 22).
59 Lapo Salterelli avait accusé, l’année précédente, trois Florentins résidant à la cour pontificale de comploter contre Florence. Un procès fut intenté par Boniface VIII contre lui. Cité à comparaître devant le Pape pour s’expliquer, ne s’étant pas présenté il fut excommunié.
60 Juge, partisan des Cerchi (I, 20) et même apparenté à eux (I, 22), Lapo Salterelli prévoyait la victoire des Noirs et craignait la vengeance du Pape. Il tentait donc de s’attirer les bonnes grâces des futurs vainqueurs (comme encore au chapitre II, 18). Il fera partie, malgré cela, des proscrits d’avril 1302 (II, 25). Dante parlera de son compagnon d’exil comme de l’exemple par excellence du politicien malhonnête (Paradis, XV, 127-129).
61 Alberto del Giudice fit partie des conjurés dressés contre Giano della Bella en 1295 (I, 14).
62 Sa famille était guelfe depuis la première constitution populaire, en 1251, mais auparavant gibeline comme toutes celles qui venaient à la ville depuis les bourgs du territoire. Cette incise anticipe sur ce qui sera présenté comme un comble pour d’anciens Gibelins (II, 23).
63 Les Ordonnances prescrivaient que l’élection de la nouvelle Seigneurie ne devait être faite qu’un jour avant la fin du mandat de la précédente, par les Prieurs sortants assistés par les chefs des Arts et certains sages (I, 11 et II, 12). Or le mandat de Dino et de ses collègues ne se terminerait pas avant le 15 décembre, presque un mois et demi plus tard. Toutefois, Dino lui-même et ses collègues ont été élus huit jours avant la date prescrite (II, 5).
64 Allusion à l’accusation qui fut portée contre lui en 1293, alors qu’il était gonfalonier de justice (I, 12) : il n’aurait pas appliqué les Ordonnances contre des Grands ayant offensé des bourgeois, et l’affaire fut instruite. Mais la justice reconnut alors le bien-fondé de son action.
65 On se souvient que le Pape reprochait aux Florentins leur obstination, exigeait leur entière soumission à lui, et leur donnait sa bénédiction s’ils acceptaient de lui obéir (II, 4).
66 L’habitude voulait que les conseils institutionnels fussent tenus au courant par la Seigneurie du résultat des ambassades, afin de pouvoir en tirer les conséquences utiles.
67 Io propuosi e consigliai e presi il partito : langage officiel, technique et administratif, de l’époque. Ordinairement, un des Prieurs mandaté par l’ensemble de la Seigneurie dirigeait les débats : il faisait les propositions sur les questions du jour à traiter, demandait l’avis des conseillers ou donnait son propre avis, mettait la question aux voix et résumait la décision prise.
68 Les Prieurs, qui ont délégué Dino pour traiter cette affaire, préfèrent un représentant pontifical plus neutre que Charles de Valois dont ils connaissent le parti-pris pour leurs adversaires. Gentile da Montefiore dell’Aso (province d’Ascoli Piceno), franciscain, ordonné cardinal en 1298, était un proche de Boniface VIII, mais un homme en lequel les Blancs florentins avaient confiance.
69 Il songe aux forces militaires acquises aux Noirs qui ont accompagné la venue de Charles à Florence (II, 9).
70 La duplicité de Boniface VIII est confirmée aussi bien par Dante (Enfer, VI, 69) que par G. Villani (IX, 40 ; 43).
71 Il s’agit de Maso Minerbetti, déjà présenté au début du chapitre comme « plein de fausseté ». Il ne respecte pas le serment fait à Dino. C’est bien entendu aux Noirs qu’il communique le contenu de l’ambassade.
72 Io non voglio perdere gli uomini per le femminelle : Boniface s’est engagé ouvertement aux côtés des Noirs et les incite à présent à ne pas se montrer faibles ou indécis (femminelle), et risquer de lui attirer sans aucun profit, en cas d’échec de leur part, l’inimitié définitive des Blancs toujours maîtres de Florence (uomini). Ce langage viril illustre bien le portrait qui a été brossé de Boniface VIII (I, 21).
73 Celles que l’ambassadeur parjure leur à dévoilées. Les prenant au premier degré, et avec le renfort d’inquiétude né de la phrase ambiguë du Pape, les Noirs soupçonnent un accord véritable conclu entre Boniface VIII et les Blancs.
74 Ils partent de l’idée que les ambassadeurs sont parvenus à établir un accord entre Boniface et les Prieurs et que toute réponse est déjà concertée entre eux. Si la Seigneurie refuse d’accepter Charles comme pacificateur, les Noirs seuls ne se sentent pas assez forts pour prendre les armes et avoir le dessus, et s’estiment perdus, car le Pape, en ce cas, rappellerait Charles de Valois, voire le retournerait contre eux. Si au contraire la Seigneurie accepte d’obéir au Pape, Boniface pourrait employer Charles à la pacification véritable dont les Noirs ne veulent à aucun prix.
75 Noffo di Guido Bonafedi : cité au chapitre I, 14 parmi les membres du Conseil extraordinaire des Quatorze qui complotaient, en décembre 1294, contre Giano della Bella.
76 Era tenuto di buona temperanza, e di malfare traeva sustanza : une rime d’illustre tradition noyée dans la prose, qui se termine même sur un hendécasyllabe. Del Lungo avait d’ailleurs signalé ce membre de phrase « d’une efficacité digne de Dante », préparé par la symétrie voulue avec le membre de phrase précédent. L’idée se nourrit aussi de proverbes : « Chi è rio e buono è tenuto, poco starà che fie conosciuto » (Paolo da Certaldo, Libro di buoni costumi, 216) ou « Chi è reo e buono è tenuto, può fare il male e non è creduto » (Boccace, Décaméron, IV, 2, 5).
77 Aux Ordonnances de justice. Voir la question de Dino posée au légiste Andrea da Cerreto (II, 10).
78 L’élection des nouveaux Prieurs était faite par les Prieurs sortants avec l’aide de sages consultés (voir I, 11). Seuls les plus influents vont être nommés, avec un équilibre recherché.
79 Le gonfalonier de justice, qui faisait partie de la Seigneurie.
80 L’assemblée fut donc dissoute sans que fût donné suite à cette élection.
81 Église dominicaine de Florence (voir II, 9 note). En 1301, elle était encore hors les murs car la troisième et dernière enceinte, projetée par Arnolfo di Cambio dès 1284, n’était alors que commencée depuis deux ans, et ne sera achevée qu’en 1333.
82 Il est bien difficile de dire si Dino fit partie du groupe des trois qui se rendirent à Santa Maria Novella. La première personne peut désigner le groupe des trois, ou n’être qu’un collectif pour l’ensemble des Prieurs ; quant à la troisième, il n’est pas sûr qu’elle l’en écarte puisqu’elle rapporte sans doute les discours des citoyens inquiets pour la vie des Prieurs (voir II, 17).
83 Ce sont des objections formulées, des questions posées, des demandes d’explication et de justification adressées, par écrit ou en séance, aux gouvernants sur la politique menée, l’équivalent des questions orales ou écrites, ou préalables, appelant réponse, dans le débat parlementaire d’aujourd’hui.
84 Dans le sextier d’Oltrarno étaient stationnées les forces de Charles de Valois. Il est clair que le saint homme ne tient pas à les faire bénéficier des bienfaits de la procession.
85 Cet homme faible avait, en effet, bien besoin d’encouragements (voir I, 27 ; II, 15). On lui avait d’ailleurs déjà confié des pouvoirs extraordinaires (I, 27).
86 Il ne s’agit pas des villes voisines mais des ligues de voisinage que chaque famille de Noirs avait dressées contre le gouvernement blanc (voir I, 15). Entre voisins (vicini) se formait le voisinage (vicinanza), au lien de solidarité très fort, avec sa propre tour de défense commune (torre della vicinanza ou della compagnia).
87 Le palais des Spini et celui des Frescobaldi, aux deux extrémités du pont (II, 9 et note).
88 Aveano invitati molti villani dattorno : on peut difficilement imaginer un enrôlement de paysans du district (voir I, 10). C’est plutôt un appel lancé à des alliés issus de la noblesse de campagne.
89 Une chronique anonyme (Marciana-Magliabechiana) précise qu’il s’agit du samedi 4 novembre.
90 La famille des Médicis apparaît ici pour la première fois dans l’histoire de Florence et de l’Italie, déjà puissante et arrogante. Sans noblesse, ils font néanmoins déjà partie des Grands. Cette citation ne leur fait pas honneur et peut avoir contribué, à l’instar de quantité d’autres citations de familles puissantes, à condamner le livre de Dino à sa longue clandestinité.
91 En cas d’agression d’un Grand contre un bourgeois, les Ordonnances prescrivaient justement que, tant que la punition n’était pas donnée et exécutée, les citoyens du Peuple devaient cesser le travail, fermer boutique et se tenir armés, prêts à se mettre au service de la Seigneurie. Rappelons que les Prieurs résidaient dans le nouveau palais, habitable depuis deux ans bien que non encore achevé (voir I, 11 note).
92 Les bourgs et villages du territoire florentin étaient organisés en circonscriptions (vicherie) sous la direction de vicaires (vicari) nommés par Florence et fournissaient des milices paysannes du même nom (vicherie), qu’on a déjà vues à l’œuvre (I, 10 et I, 21).
93 Selon le délit, mort d’homme ou bien simples coups et blessures, ils doivent soit agir aussitôt, en arrêtant et châtiant le coupable et en détruisant ses maisons, soit observer le délai légal de dix jours pour qu’il paie l’amende prévue, avant de le punir en cas de refus. Dino leur reproche ici de n’avoir pas agi aussitôt le forfait commis, dès lors que la victime avait été « laissé pour mort » (même si par la suite on apprit qu’Orlanduccio était toujours en vie) et que le Peuple avait pris les armes.
94 Anticipation de faits datant du 6 novembre, deux jours après le point où en est ici la narration (voir II, 17).
95 Signe par lequel on battait le rappel des mille fantassins des compagnies du Peuple devant intervenir sous la houlette et les couleurs du gonfalonier de justice (I, 11), à l’appel du podestat.
96 Des poutres de bois étaient prévues à cet effet, à loger dans des encoches faites dans les murs (voir III, 2, 8, 20, 27, 40).
97 Manetto Scali : voir II, 5 et II, 22. Comme les Spini, il habitait place Santa Trinita. Ce sont deux riches et puissantes familles de banquiers.
98 Expression évangélique (Jean, X, 30 ; XVII, 11), figurant l’union parfaite, au nom ici des intérêts communs entre Grands.
99 Du parti guelfe. Les Noirs parviennent à attendrir les Blancs, une fois encore au nom de l’union sacrée.
100 Les Prieurs confièrent la surveillance de nuit du palais de la Seigneurie à quelques membres du menu Peuple qui étaient accourus dans la soirée. Nous sommes toujours au 4 novembre.
101 Les clefs de la ville au sens figuré, c’est-à-dire le contrôle total de la cité, voilà ce qui était demandé et qui lui fut refusé. Car, concrètement, il reçut les clefs des portes du sextier d’Oltrarno dont il obtenait la garde, et par lesquelles rentreront secrètement les bannis.
102 Giurorono nelle mani a me Dino, ricevente per lo Comune : expressions solennelles et juridiques d’authentification du serment. Mandaté par la Seigneurie, Dino dit avoir eu, une fois encore, le rôle principal. G. Villani affirme (IX, 49) avoir entendu le même serment de la bouche de Charles dans l’église de Santa Maria Novella, le 5 novembre (II, 13), cet épisode-ci doit donc appartenir au même jour, et précéder l’assemblée du 5.
103 La porte « della Cuculia », selon la chronique Marciana-Magliabechiana. La nuit du dimanche 5 au lundi 6 novembre 1301.
104 San Brancazio : idiotisme florentin pour San Pancrazio, nom d’une église ancienne de la ville, mais aussi d’une ancienne porte appartenant à la première enceinte, remplacée par la porte San Paolo dans la seconde, au temps des faits narrés ; et d’un ancien quartier, resté parmi les noms des nouveaux sextiers (voir I, 4 note).
105 I maestri : dans le sens précis alors de l’Art des maîtres maçons et menuisiers (« Ars magistrorum lapidum et lignaminum »).
106 Tours ou tourelles de guet, placées au-dessus des portes et le long de l’enceinte de murailles, parfois en encorbellement. La cité avait à son service des mercenaires romagnols à pied, les fanti qu’on verra plus loin montrer aussi peu de courage qu’ici (II, 24).
107 Génériquement, par tous les faits qui leur étaient rapportés les uns après les autres : la trahison de Charles et l’entrée en secret des bannis, l’agression des maçons, la fuite des soldats…
108 Leurs espoirs de retour au calme, de négociation pacifique, de conciliation et de paix.
109 On a vu les Lucquois venir à Florence pour rendre hommage à Charles de Valois et prêter main forte aux Noirs (II, 9). Déçus par ces derniers (du côté desquels étaient les Bordoni : I, 22), ils auraient pu se ranger du côté de la Seigneurie mais, privés de toit et n’ayant plus confiance en personne, ou ne voulant pas placer leur confiance dans un gouvernement par trop menacé, ils ont préféré quitter la ville.
110 Le podestat, Tebaldo da Montelupone, qu’on a déjà vu critiqué pour n’avoir pas agi aussitôt après l’agression contre Orlanduccio Orlandi (II, 15), cherchait à ne se mettre à dos aucun des deux partis. Il plaidera dès le lendemain la sincérité de Charles de Valois (II, 18).
111 Lundi 6 novembre 1301, jour qui suit le serment de Charles à l’octroi du pouvoir sur le sextier d’Oltrarno, l’agression des maçons par les Tornaquinci, la fuite des fantassins. Le reste du chapitre précédent était encore une anticipation.
112 Trahi par les Noirs. Le méfait par lequel il se dit trahi est soit l’agression commise par les Médicis, soit celle des Tornaquinci, soit l’entrée des bannis.
113 Non pas le matin du jour où en est le récit (6 novembre), mais le matin, premier moment de la journée, du dimanche 5 que donnent les autres sources. Ognano : Santo Stefano a Ugnano, un village non loin de Florence sur la rive gauche de l’Arno. Le trajet de Corso Donati est plus circonstancié dans le récit de P. Pieri (p. 68). Il avait été relégué en juin 1300 (I, 21) et, ayant quitté son lieu de relégation pour Rome, aux côtés de Charles, il avait été banni au printemps 1301, et ses maisons avaient été détruites (I, 23).
114 Interpeller et remettre entre les mains du pacificateur, en quelque sorte comme otages, les chefs des familles ennemies responsables de désordres, afin de garantir le calme en attendant que justice soit faite, était une pratique normale.
115 Durant la nuit du lundi 6 au mardi 7.
116 Saint Louis (Louis IX, roi de France, mort en 1270 au cours de la dernière croisade), grand-père de Charles de Valois à travers Philippe III le Hardi, s’employa à faire régner l’ordre et la justice contre les violences féodales. Vaillant chevalier et chrétien à la piété ardente, il fut canonisé en 1297.
117 La ponctuation et l’interprétation communes à toutes les éditions sont ici erronées. Il ne peut s’agir d’une interrogation, même rhétorique.
118 Maître (en divinité, en théologie, en Écritures) était le titre des religieux diplômés en sciences de la religion. Sa qualification souligne qu’il était très fidèlement attaché à la maison royale, ou peut-être plus précisément qu’il avait la fonction de « clerc-juré », consultant ecclésiastique d’État au service du prince.
119 Le soir du lundi 6. L’apparition d’une comète, durant presque un mois à cette époque, est amplement documentée, et liée à des spéculations astrologiques, par les contemporains (Villani, IX, 48 ; Ptolémée de Lucques, Annales, ad annum ; Simone dalla Tosa, Annali, ad annum ; Dante, Convivio, II, 13…), qui y voient l’annonce de grandes catastrophes pour Florence ou établissent un rapport avec la venue de Charles de Valois. C’est l’un des « signes » par lesquels se manifeste la Providence (I, 2). Et la croix rouge (sur champ blanc) était dans les armes du Peuple (I, 11).
120 Les Blancs, sur lesquels pèse inlassablement de la part du chroniqueur le reproche de lâcheté.
121 Du 4 au 9 novembre inclus.
122 Aussi bien Noirs que Blancs appartenant à la haute bourgeoisie.
123 Le 7 novembre. Les Prieurs blancs élus pour deux mois à compter du 15 octobre, après avoir écarté d’abord, fin octobre, la demande d’une élection anticipée de nouveaux Prieurs (II, 10), puis quelques jours après une nouvelle magistrature, partagée cette fois, qui était presque faite (II, 12), sont obligés désormais d’élire, « casu necessitatis superveniente » selon les termes du décret, un gouvernement exclusivement aux mains des Noirs.
124 Cette disposition abroge celle qu’avaient prise les Prieurs sortants, par le même décret du 7 novembre qui nommait leurs successeurs, dans le but de garantir leur liberté, se réservant la possibilité de se réunir où ils le jugeraient utile, jusqu’au 14 décembre, date théorique de fin de leur mandat.
125 Il faut relever l’ironie amère de l’adjectif utili, tiré de l’ancienne langue commerciale (désignant les périodes de franchise durant les foires) et juridique (désignant le moratoire, la suspension des actions de justice dans le droit civil). Car la préméditation du pillage était allée jusqu’à la fixation d’un délai : les six jours en question.
126 Riparò a molti mali e a molte accuse fatte, e molte ne consentì : Cante de’ Gabrielli favorisa les Noirs en tout point : fournissant l’impunité à de nombreux méfaits commis par eux, étouffant quantité de plaintes déposées contre eux, et couvrant bien d’autres méfaits par la suite (Del Lungo). Le dernier membre de phrase est cependant adversatif et ne se rapporte quoi qu’il en soit qu’aux accuse : à comprendre ironiquement donc comme « mais il donna suite abondamment à celles (accuse) qui furent portées par la suite contre les Blancs », c’est-à-dire aux multiples mises en accusation arbitraires, faites au moyen de délits fabriqués, qu’on verra dès le chapitre II, 21.
127 Le portrait de Catilina se trouve aux chapitres V et XV du livre de Salluste (La Conjuration de Catilina ). D’autres portraits de lui sont faits par Cicéron dans les Catilinaires. Quant à celui de Corso Donati, il sera repris au moment de sa mort (III, 21).
128 Titre sans valeur politique dans la Florence communale, mais toujours chargé du souvenir féodal, et qui laisse entrevoir ce que pouvaient être les Grands et la considération voire la fascination qu’ils soulevaient. Le portrait inclut sans transition cet épisode précis où Corso pénétra dans la ville, vit grossir autour de lui la troupe de ses partisans et fut acclamé de la sorte (voir Villani, IX, 49).
129 Pour le serment de Charles, voir II, 7 et 17. Pour les invitations des Prieurs à sa table, II, 13.
130 Le nom, qui évoquait alors l’ensemble géographique de toute l’Italie méridionale continentale mais aussi l’ensemble politique, continental et insulaire, du royaume de Naples sous domination des Français d’Anjou (« Regnum Siciliæ et Apuliæ »), était une menace terrible : celle des prisons napolitaines et des tortures qu’on y faisait subir depuis l’époque de Frédéric II et celle du roi Robert.
131 Delle sue possessioni : en échange, en compensation, des biens qui lui ont été enlevés ; ou peut-être « sur ses possessions propres », celles de Bostichi père.
132 Bien au-delà des six jours programmés par les Noirs pour les violences.
133 Les « péchés » en question sont, dans l’ordre : violences sur des femmes, captations d’héritage sur des enfants, spoliations de biens sur des hommes, de surcroît chassés de la ville pour les empêcher d’aller se plaindre. Péchés « ignobles » car les victimes sont toutes incapables de se défendre : femmes sans mari, enfants n’ayant pas atteint l’âge légal ou sous tutelle, hommes sans défense ni appui. Ces crimes politiques perpétrés à l’encontre des Blancs deviennent plus odieux en prenant l’aspect de crimes de droit commun particulièrement lâches. On peut y voir un écho de Salluste (Conjuration de Catilina, LI).
134 Par ceux qui voulurent mettre leurs biens de valeur à l’abri des rapines des Noirs (II, 19).
135 En tant que chefs incontestés du parti blanc. Mais aussi en tant qu’à l’origine de la scission, depuis l’inimitié latente avec les Donati qui remontait à 1280 (I, 20), jusqu’à la rixe de Santa Trinita en 1300 (I, 22).
136 Le voile commence à se lever sur cette accusation d’avarice que Dino a plusieurs fois portée contre eux. On n’en saura davantage qu’à la fin du chapitre II, 24, comme si cette vérité ne sortait qu’avec réticence.
137 Voir chap. II, 14.
138 Celles du sextier d’Oltrarno seulement (II, 17), qui ouvrirent par la suite la porte à tout ce qui s’ensuivit, ce qui explique cette généralisation.
139 Un des nouveaux Prieurs noirs du 8 novembre (II, 19). Il aura été l’un des plus pressants autour des anciens Prieurs, à les occuper par de longues chicanes et à réclamer la ville au nom de Charles de Valois.
140 Donato d’Alberto Ristori : juge estimé, compilateur des Ordonnances de justice (I, 12) ; puis Guelfe blanc (I, 20), rédacteur des lettres par lesquelles Florence demandait serment à Charles (II, 7). Nuto Marignolli : grand Guelfe qui donna son soutien à Jean de Châlons contre Giano della Bella (I, 13) ; puis Guelfe blanc (un Guccio Marignolli fut Prieur avec Dino : II, 5) ; mais se laissa fléchir par les Noirs, qui se voulaient les seuls dignes défenseurs du guelfisme (voir I, 27 ; II, 2, 3…).
141 Chaque sextier avait sa propre cour de justice avec ses juges et magistrats particuliers : les gonfaloniers des compagnies et du Peuple ; au sein de l’ensemble des gonfaloniers, étaient élus deux prévôts ayant autorité sur tous. Le titre était en outre, comme celui d’Ancien, une distinction honorifique. On lui fit croire que les Blancs étaient devenus des opposants au parti guelfe.
142 Guelfe noir. S’appropria les honneurs qui revenaient à l’ensemble de sa famille (I, 22 et voir III, 38).
143 Guelfe noir (I, 21 et 22), parmi les chefs (I, 23). Après l’affaire du 1er mai 1300 à Santa Trinita, il craignait toujours la vengeance des Cerchi (I, 22), et ne pensait pouvoir la conjurer que par leur destruction (II, 5).
144 Lapo Salterelli : juge guelfe blanc (I, 20), hypocrite et traître à son parti (II, 10 et II, 18), sera condamné par les Noirs lors de la proscription de 1302 (II, 25), et à juste titre semble-t-il car même les documents officiels font état de fraudes, intrigues et corruption de sa part dans plusieurs procédures judiciaires. Les Pulci : Grands, Guelfes et Noirs (II, 26).
145 Berto Frescobaldi : Grand, acharné contre le Peuple (I, 15) ; prit le parti des Cerchi car il était leur obligé en raison d’un prêt d’argent (I, 22) ; on le verra favoriser l’évasion de Giano de’ Cerchi (II, 25).
146 Capitaine du parti guelfe, animé de bonnes intentions (II, 5) ; Guelfe blanc de grande autorité, puissant et très entouré, se préparant courageusement à la défense contre les Noirs (II, 16) ; mais de la confrontation entre II, 16 et cette apostrophe-ci, il ressort qu’il dut se laisser attendrir par les belles paroles des Spini. Il était aussi le grand-père maternel de Dino.
147 C’est très exactement ce que faisait Lapo Salterelli (II, 10).
148 Le même dépit, anticipé au début de l’œuvre : I, 2.
149 Les mariages de jeunes gens arrangés entre familles opposées tentaient ordinairement de régler les dissensions ou de sceller l’amitié retrouvée pour constituer un gage de pérennité de la paix, car le lien familial, très fort, s’étendait alors aux alliés.
150 Voir les Lamentations, I, 2 et surtout Matthieu, X, 35, Marc, XIII, 12. Une atmosphère de fin du monde, apocalyptique, avec la dissolution des liens les plus forts de la société.
151 Chi più […] colui era il maggiore : on peut comprendre toutefois maggiore, au lieu du plus grand, du plus écouté, du mieux considéré parmi les Noirs revanchards, comme celui qui était lui-même le plus grand traître.
152 Guelfes blancs dont les familles avaient même été longtemps gibelines autrefois. Ce qui accentue l’écart naturel entre eux et les Noirs qu’ils rejoignent désormais. Un comble ! semble s’exclamer Dino.
153 Ces deux derniers étaient des légistes alors célèbres. Baldo d’Aguglione fut au nombre des trois juges qui compilèrent en 1293 les Ordonnances de justice (I, 12) ; il fut de ceux qui complotaient contre Giano della Bella, au sein de la réunion des Quatorze à Ognissanti, l’année suivante (I, 14) ; on l’a vu encore en 1299 en avocat véreux, falsifiant des actes notariés dans le but de faire acquitter un coupable, et condamné pour cela (I, 19). Dante aussi les rapproche tous les deux dans la même invective (Paradis, XVI, 58-60).
154 Le juge Andrea da Cerreto fut prieur dans la Seigneurie qui chassa Giano della Bella en 1294 (I, 18) et dans celle du 8 novembre 1301 qui a chassé les Blancs (II, 19) ; on le voit peu de temps auparavant présenté comme un légiste compétent, consultant juridique ponctuel du Prieur blanc Dino, fin octobre 1301 (II, 10). Parmi ceux qui, d’ancienne origine gibeline, finirent par devenir Guelfes noirs, en plus des Blancs qui tournent casaque au plus fort de l’adversité, Andrea et Aldobrando da Cerreto sont distingués des précédents en ce sens qu’ils ne furent pas blancs, ni opportunistes, ni accueillis au sein du parti adverse comme les autres pour leurs mauvaises actions.
155 Che oggi si chiamano Cerretani : l’incise sur leur dénomination vise sans doute à épingler les gens de la campagne (da Cerreto : Cerreto Guidi, un château du Val d’Arno inférieur ; comme Aguglione : Aquilone, château du Val di Pesa ; et Signa : également dans le Val d’Arno inférieur, tout près de Florence) venus résider à la ville (la « gente nova », les « villani » fustigés par Dante), qui cherchent à donner à leur nom consonance citadine.
156 Tosinghi : ou Dalla Tosa. Dans la division entre Blancs et Noirs le jeune Baschiera prit parti pour les premiers, avec d’autres de sa famille, par opposition à Rosso qui accaparait tous les honneurs revenant à l’ensemble de la famille (I, 22 et II, 22). Il fit partie des Grands irrités contre le gouvernement populaire, qui subirent la relégation l’été 1300 sous le priorat de Dante et sur le conseil de Dino (I, 21).
157 À Fucecchio, les Guelfes florentins soutinrent vaillamment le siège des Gibelins en 1261, au lendemain de Montaperti (Villani, VII, 82). Contre les Arétins, c’est la bataille de Campaldino en 1289 (I, 10). Deux glorieuses actions guelfes auxquelles a pris part ce Guelfe méritant.
158 Questo Baschiera rimase dopo il padre : on pourrait peut-être interpréter plus précisément le démonstratif Questo non pas comme adjectif mais comme pronom : « Celui-ci garda le nom Baschiera après son père. » En effet, toute la querelle familiale découle de cet héritage : le nom de son père et de ses ancêtres prouvant son droit à la succession dans la répartition des charges politiques dues à la famille.
159 Par sa qualité de Grand autant que par ses mérites personnels.
160 Ceux de la branche de Rosso dalla Tosa, qui étaient Noirs (I, 22).
161 Si la commune avait refusé, ils auraient eu un prétexte pour déserter. Mais on les paya, par honnêteté ou par crainte de les voir se retourner contre le gouvernement des Blancs, qu’ils abandonnèrent alors plus satisfaits que ne pouvaient l’espérer des soldats prêts à rompre leur contrat au moment même où ils doivent agir pour l’honorer. Quant à la condition imposée par le prêteur, elle équivalait à priver la commune de leurs services : autre action opposée à la défense du gouvernement blanc, dénonciation de lâcheté et de manque de civisme.
162 Le 13 février 1302, Charles part pour Rome afin de rendre compte du résultat de sa mission et en obtenir le prix. La cynique réponse du Pape lui suggère de se payer en extorquant de l’argent aux Florentins, dont la richesse était bien connue. Dino ne dit pas qu’entre-temps le cardinal d’Acquasparta était revenu à Florence, en décembre 1301, pour tenter quelque sincère pacification. Ne parvenant à rien à cause de la résistance des Noirs, il quittera la ville avant le retour de Charles, en prononçant contre elle l’interdit (Villani, IX, 49).
163 Le document officiel de cet accord entre Baschiera Tosinghi, Baldinaccio Adimari, Naldo Gherardini d’une part et le baron de Charles d’autre part, qui commandite la mort de Charles de Valois en échange de fortes compensations détaillées, existe bel et bien. Il est daté du 26 mars 1302, sept jours après le retour de Charles à Florence, le 19 mars. Tous les chroniqueurs en parlent, et doutent comme Dino de la réalité de ce complot. G. Villani, pourtant féroce contre les Blancs, est catégorique pour affirmer que la conjuration fut montée de toutes pièces par les Noirs pour avoir prétexte à s’acharner contre leurs adversaires, et que même si le document est authentique c’est le baron de Charles, poussé par les Noirs, qui a proposé aux Blancs le marché (IX, 49).
164 Dino présente là un autre coup monté par Charles et les Noirs pour les faire s’enfuir exprès dans le but de les déclarer contumaces – ce qui aggrave toujours le cas de l’accusé (II, 21) et entraîne condamnation supplémentaire, confiscations, et peine de mort – et de tout leur prendre.
165 Feciono cessare : ici le verbe (voir Prologue, et II, 5) ne veut pas tant dire « fuir » que « s’abstenir d’être là, manquer à l’appel, éviter, voire refuser de comparaître » (un exemple très net chez Villani, IX, 8). Les Noirs les poussent par avance à ne pas se présenter à la citation qui va leur être notifiée le lendemain même.
166 Manetto Scali se trouvait déjà à Calenzano, un village sur la route de Prato, à 12 km de Florence. Il s’éloigna davantage en allant à Mangona, un ancien château et village du Val di Sieve, à 30 km environ.
167 Inghiramo comte de Biserno était au service des Florentins comme condottiere.
168 Simone de’ Cancellieri : chef des Noirs de Pistoia, son sinistre portrait a été fait au chapitre I, 25. Il dirigeait les troupes de Charles en espérant assouvir une vengeance attendue depuis l’époque où Manetto Scali avait exercé les fonctions de capitaine et de podestat dans la Seigneurie blanche de Pistoia.
169 E’ beni publicò in comune per l’uficio del paciaro : la première expression est courante pour l’action de faire entrer des biens, généralement confisqués, dans le domaine public, au profit de la commune. La deuxième, plutôt que « au titre de sa fonction, en vertu de son autorité de pacificateur », signifiera, en accord avec tout le chapitre qui montre les intentions de Charles de s’enrichir aux dépens des Florentins, qu’il garda tout pour lui comme rétribution de sa mission, considérée comme une charge, une magistrature communale comportant ses indemnités compensatoires (l’utile dont il était question au chapitre précédent).
170 La compagnie bancaire des Scali fut parmi les plus puissantes d’alors (avec celles des Spini, Mozzi, Bardi, Acciaiuoli). C’est sa filiale française qu’il cherche à protéger contre l’action du frère du roi de France.
171 On se souvient que Charles logeait dans le palais des Frescobaldi (II, 9), Noirs pour la plupart, sauf Berto Frescobaldi qu’on a vu adopter le parti des Cerchi par intérêt (I, 22 ; II, 22 et note).
172 N’en sachant pas davantage, Dino rapporte au conditionnel ce qu’il a entendu dire sur son sort.
173 Dino insinue fortement que les amis de Giano dei Cerchi ne lui auraient pas rendu service en l’aidant (ou en le poussant) à quitter le palais, loin de là, et que ce type d’action ne pouvait qu’être utile à Charles, dès lors que celui-ci cherchait visiblement des accusés en fuite et donc contumaces sur lesquels sa répression pût s’acharner davantage et lui rapporter un plus grand profit.
174 Sa part du seul profit des confiscations. Au total il retirera de son passage à Florence plus de six fois cette somme.
175 La grande proscription de 1302 ouverte par Charles, comparable à celles des Guelfes et des Gibelins à l’époque de leurs luttes, fut exécutée par les podestats Cante de’ Gabrielli da Gubbio jusqu’au 2 juin, puis Gherardino da Gambara, et dura du 18 janvier au 13 octobre, mais celle du 5 avril fut l’une des plus importantes. Les sentences en sont conservées dans le célèbre Libro del Chiodo (voir I. Del Lungo, « Il libro del Chiodo e le condannagioni fiorentine del 1302 », dans Archivio storico italiano, IV, t. VII).
176 Tous Gibelins, déjà chassés depuis longtemps, donc condamnés à de nouvelles peines.
177 Pour les Guelfes blancs à présent, selon les personnes, le bannissement, exil imposé sans limitation de durée et donc plus sévère, ou bien la relégation, résidence forcée et temporaire dans un lieu défini.
178 Ambassadeur à Rome en octobre 1301, Dante avait été depuis retenu par le Pape (II, 4). Condamné une première fois le 27 janvier, une deuxième fois le 10 mars, il le sera de nouveau en 1315. Dino récapitule ici les noms des plus importants parmi les condamnés de l’ensemble des proscriptions de 1302.
179 Le père de Pétrarque qui naquit durant cet exil, à Arezzo où se réfugièrent quantité de Blancs (II, 28). Il était notaire préposé à la rédaction, compilation, conservation des actes des Conseils de la commune.
180 On estime que près de six mille personnes, en comptant les familles et leurs suites, durent s’exiler.
181 On aura remarqué dès le premier nom de cette liste des vainqueurs que, même si formellement la ville restait une démocratie populaire (la première Seigneurie noire, celle du 8 novembre – II, 19 – avait respecté les Ordonnances de justice), ce furent surtout les Grands qui durant les premiers temps détinrent réellement le pouvoir (voir II, 34). Quelques rares citoyens appartenant à la frange la plus riche et influente du Peuple parmi ces noms : les Bordoni, les Magalotti (voir I, 16), Lapo Guazza (voir I, 24).
182 Idée similiaire à celle du chapitre II, 5.
183 Ce sont ceux, qu’on a déjà vus mis au banc des accusés par l’auteur (I, 14 ; II, 11), des membres du Peuple qui ont agi, selon lui, contre les intérêts populaires en prenant parti, qui plus tôt qui plus tard, pour les Noirs. Et cela quelles que puissent avoir été leurs actions auparavant : ainsi, dans cette liste des vainqueurs, condamnés en bloc, le dernier nom est-il celui d’un ardent défenseur du Peuple, Prieur en 1293 avec Giano della Bella, et qualifié par Dino de « bon et loyal partisan du Peuple » pour son action en avril 1301 (I, 24).
184 Les Pulci viennent d’être cités parmi les Noirs vainqueurs.
185 Ce ne sont en fait que les appellations (Noirs et Blancs) qui dérivent de Pistoia, car la division était déjà bien installée à Florence au moins depuis mai 1300 (I, 22), avant la venue de ces noms l’année suivante.
186 Schiatta Cancellieri, capitaine de guerre dans tous ces moments difficiles, ne s’était que provisoirement laissé convaincre par les Noirs (II, 18). Il a compris qu’il avait été abusé.
187 Toujours la même attitude passive et vénale de Charles, manipulé par les Noirs. La première expédition contre Pistoia date de décembre 1301. L’expédition contre le château de Serravalle, à environ 6 km de Pistoia entre le Val di Nievole et le Val d’Ombrone, date de mai 1302 (Villani, IX, 52). Celle de Montale, à quelque 8 km de Pistoia dans la vallée de l’Ombrone, date de mai 1303 (ibid., IX, 65).
188 Venu à Florence prêter ses services à Charles de Valois dès son arrivée (II, 9 et note).
189 Vraisemblablement à l’époque où Schiatta était encore capitaine de guerre à Florence, avant la victoire du parti noir auquel appartiennent Geri Spini et Pazzino de’ Pazzi.
190 Après presque quatre mois de siège tenu par les Lucquois (les Florentins étant partis), Serravalle dut se rendre sans conditions à leur capitaine, le marquis Moroello Malaspina. Les deux cents mercenaires romagnols purent s’enfuir, les mille hommes de Pistoia faits prisonniers furent emmenés à Lucques, ainsi que les gens du lieu (Istorie Pistolesi, p. 19-24). Selon Ptolémée de Lucques (Annales Lucensis, ad annum), ces derniers furent laissés libres.
191 Puglia : voir II, 20 note. Fin de l’équipée de Charles de Valois à Florence, qu’il quitta au début avril 1302 après cinq mois de séjour, pour une expédition malheureuse en Sicile contre les Aragonais.
192 Partie d’un thème de l’historiographie (et lointain écho inversé de la prophétie johannique « Mieux vaut qu’un homme meure pour le peuple, et que la nation entière ne périsse pas » : Jean, XI, 50), ces mêmes sentiments seront attribués par Machiavel à Côme l’Ancien et exprimés dans les mêmes termes (Histoires florentines, VII, 6). Les Blancs au contraire avaient préféré abandonner le pouvoir à leurs ennemis afin de préserver Florence, par amour pour leur cité (II, 19). Voir également les expressions outrées de Giano della Bella (I, 13).
193 Ville gibeline (livre I, chap. 6 à 10), comme Forlì citée juste après. Mais le Pape y avait obtenu alors la réconciliation des Gibelins avec les Guelfes. Et Uguccione, contre la promesse de la pourpre cardinalice pour son fils, donna sa fille pour épouse à Corso Donati.
194 Chef du parti gibelin, bientôt maître de Forlì, il avait alors accepté lui aussi de se mettre sous la protection de Boniface VIII.
195 On voit les Blancs se rapprocher peu à peu des Gibelins, au point que l’expression du chroniqueur tend à les englober dans un même parti, avant qu’il n’affirme la chose clairement (II, 30).
196 Expression identique chez Paolino Pieri (p. 72), mais l’incertitude doit être rapportée seulement au mobile de la trahison (« contre de l’argent »). Celle-ci devait être notoire dès lors qu’elle est amplement confirmée par d’autres (Villani, IX, 53 et Dante, Enfer, XXXII, 69), comme par les documents qui montrent Carlino, l’été 1302, alors que le siège dura tout le mois de juin 1302, rayé de la liste des rebelles à Florence.
197 Donato d’Alberto Ristori, juge guelfe blanc (II, 22). Tous les autres sont de familles gibelines (II, 25). Bogolesi est un autre nom des Fifanti.
198 Référence à une réputation qu’avait Sienne d’amitié peu fiable avec les autres cités, et qu’on verra plus loin en acte : II, 36. La louve était l’emblème de Sienne, comme de Rome.
199 Les Ubaldini : ancienne et très puissante famille gibeline qui dominait la Romagne toscane et le Mugello (vallée au nord de Florence, la partie haute du Val di Sieve, au pied des Apennins). Un contrat, dont l’acte est daté de juin 1302, fut stipulé dans l’abbaye de San Godenzo entre les exilés (au nombre desquels Dante Alighieri) et les Ubaldini, leur assurant des compensations pour les pertes qu’ils auraient à subir.
200 Issu de la très ancienne famille gibeline des Uberti qu’on a vue au premier plan dans la scission de 1215 (I, 2), exilée de Florence depuis 1258, Tolosato, dans cette guerre qui opposait à présent les Noirs de Florence aux Blancs et aux Gibelins, se mit au service de la gibeline Pise pour aider ceux de son parti.
201 Après avoir passé l’Apennin à partir du Val di Sieve, les Noirs s’attaquèrent aux propriétés qu’avaient les Ubaldini dans la vallée du Santerno, en Romagne toscane.
202 Gherardino Diedati était un exilé hors la loi (rubello). Il prit part aux actions de la plaine de Sco (II, 28). Les autres n’étaient que relégués (confinati), tous cités parmi les condamnés à la relégation en 1302 (II, 25), donc dans un lieu sous le contrôle de Florence, et subirent la vengeance des Noirs. L’épisode, relaté également par G. Villani (IX, 59) et par P. Pieri (p. 75), eut lieu en janvier 1303.
203 Andrea da Cerreto fut parmi les premiers Prieurs noirs de novembre 1301 (II, 19 et voir II, 23 note). Mais on ne sait quelle charge il occupait alors.
204 Dino appelle crimes (malifici) ce qui n’en est plus, ce qui relève désormais de la défense de l’État.
205 Expression similaire (biblique : Lamentations, I, 3 ; Apocalypse, XIV, 11) chez G. Villani (rapportée à l’année 1302 : IX, 49) et chez Dante, qui la développe par la métaphore de la malade (Florence) ne parvenant pas à trouver le repos sur son lit, où elle se tourne et se retourne en vain (Purgatoire, VI, 145-151).
206 On n’était pas encore allé jusqu’à des condamnations capitales de Guelfes, fussent-ils blancs. Seuls les Gibelins avaient été condamnés plus durement comme opposants (II, 25). C’est un tournant qui marque la fin de tout espoir de réconciliation, souligné par une scène forte susceptible de soulever l’émotion.
207 Folcieri de la famille des Paolucci, comtes de Calboli et chefs de la faction guelfe de Forlì, fut podestat de Florence du 1er janvier au 31 décembre 1303, occupant successivement deux mandats de six mois, à la suite de Gherardino da Gambara et, avant lui, de Cante dei Gabrielli da Gubbio. Sa cruauté qu’on vient de voir est fustigée par Dante : Purgatoire, XIV, 60-66. Pour Scarpetta degli Ordalaffi, voir II, 28 et note.
208 Borgo San Lorenzo : gros bourg dans le Mugello, à 25 km environ de Florence. Puliciano : château situé à quelque 8 km de Borgo et plus de 30 de Florence. Montaccenico : château fort situé à environ 33 km de Florence (voir I, 1).
209 Probablement tourné vers la croupe de l’animal, comble de la dérision pour un grand personnage.
210 Le juge blanc Donato Alberti (voir II, 22 note) souhaiterait voir à sa place les juges noirs.
211 Tableau terrible que ce podestat en train d’instruire des affaires de justice avec en toile de fond la mise en scène du supplicié abandonné suspendu à sa corde, selon l’usage probablement attachée aux poignets, mains derrière le dos.
212 Tous ceux qui furent capturés à Puliciano. Une quinzaine, dit G. Villani (IX, 60), furent décapités.
213 Mais pas contre les Ordonnances de justice : G. Villani (IX, 60) dit que Donato Alberti fut exécuté « au nom de la loi qu’il avait lui-même faite et fait insérer dans les Ordonnances quand il gouvernait en tant que Prieur » (en avril 1293), loi punissant les citoyens qui aideraient les ennemis de la patrie.
214 Il reste tout de même que ces bannis, en tentant de rentrer à Florence par la force des armes, se sont retournés contre l’État florentin.
215 Dino montre que c’est par la faute des Noirs et de leur cruauté indistinctement appliquée à leurs ennemis blancs comme gibelins, que non seulement la fracture entre Guelfes est devenue irréversible mais que le rapprochement des Blancs avec les Gibelins s’est définitivement consolidé ; alors que jusque-là les Blancs étaient réticents et les Gibelins prudents, dans la confiance qu’on s’accordait entre nouveaux alliés.
216 Voir II, 28.
217 Tous deux firent partie du lot des Grands, partisans des Cerchi, provisoirement relégués en 1300 (I, 21) ; puis des Blancs victimes de la proscription de 1302 (II, 25). Pour le second, voir surtout II, 24.
218 Rosso dalla Tosa a déjà été cité parmi les chefs des Noirs entre les mains desquels tombe le pouvoir, en deuxième position juste après Corso Donati : II, 26.
219 À travers les condamnations qui faisaient des Guelfes blancs des proscrits au même titre que les Gibelins – accusés de trahison contre l’État guelfe –, les poussant à s’allier avec eux, les obligeant à devenir Gibelins.
220 La forte conviction guelfe de ce personnage, qui a fait partie de l’ambassade envoyée par les Blancs à Rome en octobre 1301 et des proscrits de 1302, a déjà été évoquée, mais plutôt en mauvaise part (II, 11).
221 Bologne était alors dans des conditions semblables à celles de Florence : les Gibelins en avaient été chassés et le parti guelfe au pouvoir était divisé en deux factions, l’une favorable, l’autre opposée au marquis Azzo VIII d’Este. L’alliance du marquis et de ses partisans avec les Noirs florentins pour le coup de force comploté contre l’autre faction (auprès de laquelle avaient trouvé refuge nombre de Blancs florentins exilés) répond à une autre ambition de Boniface VIII.
222 Le 7 avril 1303, mais le complot fut éventé le 4 et les coupables furent punis. On appelait Pâques les fêtes de la Nativité, de la Résurrection, de l’Ascension et de Pentecôte (voir III, 26).
223 Seigneur de Ravenne (frère de la Francesca da Rimini rendue célèbre par Dante).
224 Par cette taille, chacun des alliés était tenu de contribuer pour une certaine part à la mise sur pied d’une force armée de cinq cents cavaliers. Salinguerra Torelli : d’une noble famille gibeline exilée de Ferrare, rivale de la famille d’Este.
225 Monte Accinico : voir II, 30 note. La Lastra : Lastra alla Loggia, à moins de 4 km de Florence, sur la route de Bologne (voir III, 10).
226 Castiglione : à l’origine Castiglione Aretino, puis Castiglion Fiorentino, gros bourg dans le Val di Chiana, entre Arezzo et Cortona. Monte a San Savino : dans le Val di Chiana également, près d’Arezzo. Laterina : dans le Val d’Arno supérieur, sur la rive droite. Tous ces châteaux avaient été enlevés aux Arétins par les Florentins en 1289, au lendemain de la bataille de Campaldino (I, 10).
227 Le marquis Moroello Malaspina, à la tête des troupes lucquoises dans la guerre du Val di Nievole. Le récit se rattache aux faits dont la narration a commencé à la fin du chapitre II, 27, à l’époque où les Noirs et les Lucquois se trouvaient dans le Val di Nievole, occupés par le siège de Montale.
228 Montevarchi : dans le Val d’Arno supérieur, rive gauche, à quelque 50 km de Florence.
229 Castiglione degli Ubertini : château sur la droite de l’Arno, entre Montevarchi et Laterina, du nom de la famille gibeline (voir I, 6 et I, 17) à laquelle il appartenait.
230 Battus par les Arétins, que commandait leur podestat Federigo da Montefeltro, près de Cennina où ils subissent des pertes parmi leurs fantassins, les Noirs florentins se replient sur Laterina qu’ils fortifient et sur Montalcino, une place forte appartenant à leurs alliés siennois, à la limite entre le Val di Chiana et le Val d’Orcia, avant de rentrer à Florence. Cette guerre dans le Val d’Arno supérieur eut lieu au cours de l’été 1303.
231 Déjà évoqué sous un jour plutôt sombre au chapitre II, 28, il semble présenté ici comme s’il était au nombre de ces « traîtres » qui ont « trompé » les Blancs. Uguccione avait été podestat d’Arezzo pour la cinquième fois, si bien qu’il était en passe d’en devenir le seigneur absolu, comme il le sera à Pise et à Lucques. Signe que les communes toscanes, confirmant les mêmes hommes dans leurs magistratures principales pour mettre fin aux luttes de factions, prenaient le chemin de la Seigneurie permanente, typique du XIVe siècle (voir III, 2 note).
232 Federigo, comte d’Urbin et de Montefeltro, fils de Guido I de Montefeltro, dit Guido l’Ancien, le plus célèbre des grands Gibelins de Romagne.
233 Les principaux chefs des Noirs, tous Grands, déjà cités dans le même ordre après Corso Donati : II, 26. En fait, c’est à travers les riches bourgeois, à la tête desquels ils s’étaient mis, qu’ils détenaient le pouvoir, car les lois de 1282 et les Ordonnances de justice toujours en vigueur excluaient les Grands des charges civiques.
234 Cette nouvelle dispute est en quelque sorte une rébellion contre les riches bourgeois au pouvoir, de certains Grands qui, en se conciliant les bonnes grâces du menu Peuple (« les pauvres gens »), entendent les chasser du Priorat pour renverser l’État et prendre leur place.
235 Le libbre : la « libra » ou « lira » était l’unité de base de la cote d’imposition affectée à l’estimation des biens immeubles (une certaine somme à payer correspondait à chaque lire de revenu), et cette imposition elle-même.
236 Ces demandes de comptes, qui ressemblent à des accusations de concussion, sont de vieilles recettes politiques, toujours d’actualité, destinées à déstabiliser les adversaires au pouvoir. Quant à la guerre en question, il s’agit de toutes les expéditions menées en Toscane contre les Blancs et les Gibelins au cours des mois précédents (II, 27 à 33).
237 La gente : les citoyens faisant partie des conseils, et peut-être aussi le menu Peuple (« les pauvres gens »), dont Corso cherchait à se concilier les bonnes grâces pour renverser la Seigneurie en place.
238 C’est entre le 24 et le 29 juillet 1303 que furent prises ces dispositions visant à enquêter sur les actions de fraude, extorsion, péculat… qui auraient été commises aux dépens de la commune ou de particuliers, depuis le 15 novembre 1301. L’enquête fut poussée jusqu’à examiner l’action de tous les magistrats de la commune (Prieurs, gonfaloniers, notaires, chanceliers et administrateurs) depuis le 1er novembre 1301. C’était une réaction contre les vainqueurs de novembre 1301, qui aboutit même au rappel des relégués.
239 Giacomo Sciarra di Giovanni Colonna, de la noble famille romaine persécutée par Boniface VIII (voir I, 23 et II, 2). Anagni (Alagna) : patrie et résidence secondaire du pape Boniface, où ce dernier se trouvait l’été 1303, fuyant l’agitation qui secouait Rome.
240 Les forces qui participèrent à l’attentat s’élevaient à 800 hommes environ, dont les seigneurs de Ceccano, féodaux de campagne ennemis du Pape, et Guillaume de Nogaret, chancelier de Philippe le Bel, accompagné de Musciatto Franzesi (voir II, 4 et II, 17).
241 Les Colonna envahirent le palais par la cathédrale attenante et trouvèrent le Pape seul sur son trône, en habit d’apparat. C’est là qu’il aurait été giflé, selon la légende, par Sciarra Colonna. Les membres de sa famille, les Caetani, se battirent pour lui, mais ses gardes et sa cour prirent la fuite.
242 De la famille des Orsini de Campodifiore, qui eut d’abord les faveurs de Boniface avant de tomber en disgrâce.
243 Boniface avait lancé la bulle Unam sanctam pour déclarer la suprématie pontificale sur tous les rois de la terre, et favorisé secrètement la rébellion des populations des Flandres en 1302, qui aboutit à la défaite des Français contre les Flamands, à Courtrai, le 11 juillet 1302 (voir Villani, IX, 56). Après plus d’un an de lutte ouverte, Philippe le Bel décida de mettre fin aux ingérences du Pape dans les affaires de la France.
244 Bachelier était un grade universitaire de la faculté de droit canon, inférieur à celui de Docteur ou Maître. Deux assemblées eurent lieu au Louvre, le 12 mars et le 10 juin 1303, et conclurent à la convocation d’un concile.
245 Boniface VIII mourut le 11 octobre 1303, sans avoir subi de violence. Dino a probablement suivi la rumeur publique qui courait à Florence, car son récit concorde assez avec ceux de G. Villani (IX, 63) et de P. Pieri (p. 75-76), qui eux aussi évoquent des crises de fureur et d’automutilation.
246 Tolosato degli Uberti : voir II, 29 et note.
247 La logique de la duplicité de Sienne est indéniable mais bien difficile à saisir dans ses détails, et on peut hésiter pour dire si ce sont les Blancs ou les Noirs que les Siennois bannissaient seulement pour la forme.
248 La proverbiale inconstance des Siennois dans leurs amitiés politiques a déjà été évoquée au chapitre II, 28.
249 Il s’agit de la ligue qu’on a déjà vue commencer à se constituer l’été 1303, au chapitre II, 33.
250 Figline (Fighine) : dans le Val d’Arno supérieur, rive gauche de l’Arno. Voir I, 1.
251 Ils descendirent depuis Arezzo vers Ganghereto, un château ayant appartenu d’abord aux comtes Ubertini, puis aux comtes Guidi, situé dans le Val d’Arno supérieur, rive droite, à environ 3 km de Montevarchi.
252 Les Arétins établirent leur camp à proximité de Laterina, sur la rive gauche de l’Arno, pour en interdire l’accès aux Noirs depuis Figline où ils se trouvaient, tandis que les Blancs tenaient la position forte de Ganghereto sur la droite.
253 Laterina : voir II, 33 et note. Ce château était une place forte de grande importance aux yeux des Florentins, destinée à faire échec à leurs ennemis Arétins. Il tombera finalement l’été 1304 (Villani, IX, 73).
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