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Variations corinthiennes. Le Miroir qui revient d’Alain Robbe-Grillet

p. 239-246


Texte intégral

1Les feux d’« Apostrophes » sont éteints. Le livre n’est plus en pile dans les librairies. Le Miroir qui revient a rejoint sagement sur les rayonnages les volumes de ses frères publiés aux Éditions de Minuit : même format, même couverture blanche, même liseré bleu ciel rappelant discrètement le titre épais de l’étoile emblématique… Pourtant cette « autobiographie en règle » (Bertrand Poirot-Delpech) a défrayé la chronique littéraire, et Alain Garric, dans Libération, a renvoyé le livre et son auteur aux bibliothèques de gare. Célèbre au cours des deux précédentes décennies pour avoir choisi ce qu’il appelle lui-même « l’hétérodoxie des structures narratives », Robbe-Grillet a soudain fait parler de lui, en 1985, parce qu’il semblait revenir à l’orthodoxie.

2Les critiques et les lecteurs avertis auront compris qu’Henri de Corinthe n’appartient pas au même univers que le grand-père Canu, qui chantait Le Temps des cerises, ou que le père antimilitariste et maurrassien à la fois. Le comte Henri est un personnage imaginaire, et Robbe-Grillet l’avoue quand il écrit : « Je n’ai pas connu, personnellement, Henri de Corinthe. » L’intrus s’introduit pourtant dès la première page du livre et il revient comme le miroir, son miroir, qui justifie le titre. Comme l’a fait observer Georges Raillard, il revient sept fois. Ce sont sept images d’une vie, sept variations sur un thème.

3La présentation première d’Henri de Corinthe pourrait être considérée comme l’exposé du thème corinthien. La question liminaire « Qui était Henri de Corinthe ? », les interrogations qui suivent font attendre des réponses : ces variations justifient à elles seules l’entreprise autobiographique.

4Mais ce thème est déjà une variation. Robbe-Grillet se dit tributaire « des récits décousus qui circulaient à voix basse dans (s)a famille, ou aux alentours de la vieille maison », en Bretagne. Le titre, le lieu ont orienté Denis Roche vers une légende bretonne dont on connaît diverses variantes et dont Anatole Le Braz s’est fait le rapporteur dans son recueil Légendes de la mort. Je pense surtout au célèbre conte de E. T. A. Hoffmann, L’Homme au sable. Le père attend avec impatience un visiteur inquiétant, dont la présence occasionnelle semble pourtant l’accabler et fait peser un climat d’angoisse sur toute la maison : comme le terrible avocat Coppélius, Henri de Corinthe est un hôte nocturne prestigieux, mais embarrassant. Les parents semblent liés à lui par on ne sait « quels secrets, quel projet, quelle faute », par « des intérêts ou des craintes (d’on ne sait) quelle espèce ». Ils prennent soin d’écarter de lui l’enfant, mais le petit voyeur cherche à apercevoir « à la dérobée » le voyageur.

5Robbe-Grillet suggère un rapprochement entre Henri de Corinthe et Mathias dans Le Voyeur. Dans un paysage de landes marines, de dunes à la végétation rare, un passant laisse dans son sillage une odeur de crime. L’enfant croit deviner en Coppélius ou en Henri de Corinthe le croquemitaine des contes de nourrice : l’Homme au sable qui lance de grosses poignées de sable dans les yeux des rebelles au sommeil ou qui fait jaillir ces yeux tout sanglants de la tête pour les donner en pâture à ses petits à bec de hiboux. Ces histoires effrayantes ont naturellement leur place dans une autobiographie. Elles font partie de l’histoire de l’enfant, ou du moins elles lui sont contiguës.

6Un étrange voisinage apparaît peut-être dans les débuts de toute existence : celui du père de Nathanaël et de Coppélius, celui du père de Robbe-Grillet et d’Henri de Corinthe, mais déjà, dans Les Gommes, celui du Pr Dupont et du Dr Juard, dans la clinique sise au 11, de la rue de Corinthe. Œdipe, abandonné par son père Laïos, trouvait un second père en Polybe, le roi de Corinthe auquel des bergers l’avaient remis. La rue Bergère est, dans Les Gommes, proche de la rue de Corinthe, et Wallas a été guidé vers la clinique du Dr Juard par une image brodée sur des rideaux recouvrant des fenêtres aperçues au passage : des bergers se penchant avec sollicitude sur un nouveau-né. Les premières pages du Miroir qui revient constituent donc une variation sur un conte d’enfant, sur un motif mythique et sur un thème qui était déjà présent dans le premier roman publié par Robbe-Grillet en 1953 : le mystère de la naissance et de la double paternité.

7Les deux pères cheminent ensemble dans la seconde évocation :

Tout en bas, dans l’immense salle dallée dont la seule obscurité constitue
les limites, improbables, mon père marche de long en large, tandis que le souvenir d’Henri de Corinthe peu à peu s’estompe. Ils ne disent rien, ni l’un ni l’autre, absorbés chacun dans ses pensées, solitaires… L’image affaiblie persiste encore quelques instants, de plus en plus difficilement discernable… Puis plus rien.

8L’adolescence a succédé à l’enfance. Les lectures ont prolongé l’écoute des contes enfantins. L’Homme au sable est toujours là. Mais au pas pesant de Coppélius dans l’escalier s’est substitué un pas silencieux, feutré. On dirait que l’espace gorgé d’eau a dessaisi Henri de Corinthe et son cheval de leur poids…

9L’image hoffmannesque s’accompagne d’autres images romantiques : celle du Hollandais maudit, celle de Tristan blessé. On serait tenté de faire place, parmi ces réminiscences wagnériennes, au Siège de Corinthe de Rossini. Mais aucun personnage de cet opéra ne porte le prénom d’Henri. La « pâle fiancée de Corinthe » est morte, emportée par les flots de la mer. Le drame du comte de Corinthe va-t-il s’achever comme Le Vaisseau fantôme ?

10Cette seconde variation est plutôt une variation-miroir (au sens où l’on parle de canons-miroirs dans L’Art de la fugue). Robbe-Grillet y capte le reflet d’une image venue d’un roman qu’il a écrit très peu de temps avant ces pages, Souvenirs du triangle d’or (1978). Au pied d’une falaise, on a découvert « le corps flottant entre deux eaux d’une jeune fille blonde, dont l’ample chevelure à reflets roux se mêlait aux voiles et filaments des algues ». S’est-elle noyée ? Était-elle morte au moment de l’immersion ? Ces questions ont peu d’importance dans un livre qui est moins que jamais un roman policier et s’avoue clairement comme boîte aux fantasmes. Or l’image de ce corps flottant appelle un nom possible, Caroline de Saxe (répété dans Le Miroir qui revient). Elle est liée aussi à un Opéra, où Caroline de Saxe aurait assisté à une représentation de Tristan et Isolde. Enfin l’un des personnages de Souvenirs du triangle d’or se nomme lord Corynth.

11L’action de Souvenirs du triangle d’or est censée se dérouler en Amérique du Sud, après une guerre désastreuse contre l’Uruguay. Or, dans la troisième variation corinthienne du Miroir qui revient, Robbe-Grillet laisse planer un doute sur les activités du comte de Corinthe à Buenos-Aires et en Uruguay à la fin de la seconde guerre mondiale, puis au cours de la décennie suivante : ces trafics paraissent d’autant plus louches qu’on s’interroge sur les raisons de la présence du comte Henri dans cette région du monde à ce moment-là de l’histoire.

12Cette troisième variation est aussi une variation guerrière. Robbe-Grillet a cru pendant longtemps que Corinthe était d’abord, pour son père, un camarade de tranchées. Puis il a compris que le lieutenant-colonel de Corinthe n’avait pu servir que pendant la Seconde Guerre mondiale. Une gravure découpée dans L’Illustration le représente sur son cheval blanc, jetant un regard d’adieu à un dragon tombé à terre, un compagnon mortellement atteint qui lui ressemble comme un frère. Il est probable que Robbe-Grillet convoque ici le souvenir d’une autre image romantique, celle du Lucius de Charles Nodier, dans Smarra, qui laisse son camarade Socrate sur le champ de bataille de Corinthe. Quant au double, on sait quelle est son importance dans la littérature romantique et aussi dans les romans de Robbe-Grillet (Garinati le tueur était le sosie de Wallas dans Les Gommes).

13La quatrième variation est la plus longue. Henri de Corinthe, chevauchant toujours sa monture blanche, lutte contre les flots pour essayer d’atteindre un objet mystérieux. Son cheval s’enfuit, et Henri parvient à grand-peine à ramener vers le rivage un miroir étonnamment lourd, dont l’énorme cadre semble fait en bois très sombre d’Amérique du Sud. Dans les profondeurs troubles du verre très épais, il croit voir « se refléter le tendre visage blond de sa fiancée disparue, Marie-Ange, qui s’est noyée sur une plage de l’Atlantique, près de Montevideo, et dont on n’a jamais retrouvé le corps ».

14Le miroir qui revient ne serait alors que le miroir magique dont la littérature gothique a usé et abusé. Dans Le Moine de Lewis, Mathilde le tend à Ambrosio pour lui montrer les charmes d’Antonia et attiser en lui les feux du désir. Dans Les Aventures de la Nuit de la Saint-Sylvestre de Hoffmann, le Voyageur enthousiaste raconte comment dans une chambre d’auberge il a vu lui apparaître « au coin le plus reculé du miroir une forme vague et flottante » : Julie, la femme qu’il aimait. Dans un autre conte de Hoffmann, La Maison déserte (dont le nom n’est pas sans faire penser à la « Maison Noire » de Robbe-Grillet), le même Voyageur enthousiaste explique comment un petit miroir magique, vendu par un colporteur italien, lui a permis de voir l’image merveilleuse d’une femme à la fenêtre jusqu’au moment où il n’a plus vu que son propre visage grimaçant.

15Robbe-Grillet a pris le récit de Hoffmann, en l’inversant, dans Souvenirs du triangle d’or : Temple, la jeune vendeuse de roses à la sauvette, devrait remarquer, « se reflétant au fond d’un miroir, la tête chauve du narrateur ». Le narrateur lui-même, policier pris au piège de ses manipulations frauduleuses, a pour compagnon dans sa prison un immense miroir où son image l’effraie. Peut-être en va-t-il de même pour le miroir de l’autobiographie : l’écrivain croit y découvrir de merveilleuses images, et il n’y retrouve pourtant que la sienne, altérée par l’usure du temps.

16Dans La Maison déserte la terreur qu’inspirait le miroir magique s’expliquait par un autre conte de nourrice. Quand Theodor tardait à aller se coucher et restait trop longtemps à se contempler dans le miroir de la chambre de son père, sa bonne lui racontait qu’un affreux visage d’étranger apparaissait dans la glace aux enfants qui s’y miraient pendant la nuit et rendait leurs yeux à jamais immobiles. C’est toujours l’Homme au sable, Coppélius ou Coppola, et c’est toujours un double du père. À côté du bon père (le père de Nathanaël, le père de Robbe-Grillet), il y a toujours un mauvais père, un père menaçant. L’un permet à son fils d’écrire, l’autre le met en garde contre les miroirs. Lequel des deux a raison ?

17Dès la fin de cette quatrième variation, Henri de Corinthe apparaît comme le double de M. Robbe-Grillet père pour une autre raison. Dans les années de l’avant-guerre, il a éprouvé de la sympathie pour les ligues d’extrême-droite. L’écrivain se demande même s’il n’a pas emprunté des traits de caractère, des faits d’armes ou des particularités biographiques à Henri de Kerillis, à François de La Rocque ou au comte Henri de Paris pour faire le portrait de son personnage. Si M. Robbe-Grillet est resté un monarchiste en chambre, Henri de Corinthe prend les traits d’un militant autrement engagé.

18La cinquième variation exploite ce registre. Parmi les « mystérieux voyages du comte Henri », ses pérégrinations dans l’Allemagne nazie sont très inquiétantes. En septembre 1938, Corinthe est à Berlin, et il y rencontre deux proches du chancelier. En octobre, il arrive à Prague quelques heures à peine avant l’explosion d’un train de marchandises en provenance d’Allemagne. Il a entretenu des relations cordiales, peut-être même amicales, avec Conrad Henlein, chef du parti pro-nazi dans les Sudètes et en Bohême du Nord. On pourrait considérer cette cinquième variation comme la variation historique si elle n’était aussi une variation allégorique : elle illustre les excès criminels auxquels peuvent conduire certaines sympathies politiques. Il a fallu la révélation des atrocités commises dans les camps de concentration hitlériens pour que Robbe-Grillet en prenne une totale conscience.

19La sixième variation complète et amplifie la précédente. Elle est, comme l’indique la table des matières analytique, un portrait de Corinthe en nazi halluciné. On comprend mieux, dès lors, pourquoi il aurait dû se réfugier en Amérique du Sud à la fin de la guerre et dans l’immédiat après-guerre. « Fortement impressionné par les cérémonies du culte national-socialiste, à Nuremberg », il en serait devenu le grand prêtre. Du Vaisseau fantôme et de Tristan on est passé à une mise en scène de Parsifal, à Bayreuth, au temps du triomphe de Hitler. Le géant s’est fait ogre, au sens où Michel Tournier emploie le mot dans Le Roi des Aulnes.

20Cette variation de l’ogre est encore une variation-miroir, mais le miroir est déformant. En Bavière, derrière un bureau surchargé de paperasses en désordre, Henri de Corinthe travaillait aux « brouillons sans cesse remaniés » d’un « manuscrit aujourd’hui perdu ». Corinthe autobiographe : l’image n’est que suggérée, mais elle prolonge trop bien la suggestion de la variation précédente pour qu’on puisse l’éluder. Sans crainte, Robbe-Grillet fait émerger à la surface du texte une manière de « Portrait de l’artiste en écrivain nazi ». Il sait désormais cette image trop éloignée de lui-même, et trop éloignée dans le temps, pour ne pas la proposer et mieux s’en débarrasser. Ce péril, qu’il aurait pu connaître lui-même au temps du STO, est encore le péril auquel expose l’entreprise autobiographique : le culte de soi-même, la tentation de la grandeur solitaire, être Chateaubriand ou rien.

21Ne fût-ce que pour cela, il fallait faire mourir Henri de Corinthe. La septième variation n’a même pas à déployer un ample cortège pour l’accompagner à sa dernière demeure et conduire le livre vers sa fin. Quelques personnes seulement ont affronté la petite pluie bretonne de fin d’automne et la réprobation qu’encourent les fidèles de « l’excommunié ». Parmi eux, on n’est pas surpris de trouver le père de Robbe-Grillet. Là, cesse l’analogie avec Hoffmann. Le bon père a survécu à Coppélius, n’en déplaise à tous les Drs Freud ou Juard (cinq lettres aussi), ou à cet « inoffensif docteur en gynécologie » dont le narrateur de Souvenirs du triangle d’or a parfois pris le masque. Pour un adversaire de la psychanalyse, la rue de Corinthe n’est qu’une impasse.

22Le comte Henri est mort d’une blessure. Elle rappelle celle de son double sur le champ de bataille (troisième variation). La presse allemande l’avait dit « gravement blessé à la gorge », et un chroniqueur l’avait décrit avant la guerre « portant autour du cou un épais pansement de gaze blanche » (cinquième variation). Un témoin digne de foi, qui l’avait rencontré en Bavière, l’avait décrit comme « une espèce de cadavre en sursis, un mortvivant, un spectre » et, exsangue, Henri de Corinthe disait lui-même : « Je m’en vais par l’intérieur » (sixième variation). Voici qu’une dentiste de Brest confirme qu’il portait au cou « deux petits trous rouges, espacés d’un centimètre environ » (septième variation).

23C’est, encore une fois, une variation sur un thème de Robbe-Grillet lui-même. À la fin de Souvenirs du triangle d’or, lord Corynth, fiancé depuis neuf mois à Marie-Ange Salomé, a senti ses forces décroître progressivement pendant toute cette période, « tandis que s’accentuaient de semaine en semaine à la base de son cou deux petites marques rouges ». Dans l’interrogatoire qui suivait, passait et repassait l’image d’une cérémonie de mariage — Marie-Ange en robe blanche, éclatante de jeunesse et de santé, lord Corynth pâle comme la mort —, jusqu’au moment du rapt de la jeune fille et de la chute de lord Corynth évanoui sur le dallage en granit. L’homonymie s’étend de Marie-Ange Salomé à Marie-Ange Van de Reeves (vent de rêves ?), la fiancée noyée d’Henri de Corinthe, comme si l’innocente victime était encore la vampire. Angelica von Salomon, « qui a été très liée au jeune comte » (Le Miroir qui revient), est un autre personnage de Souvenirs du triangle d’or, la sœur jumelle, le double de Marie-Ange. Et c’est encore son histoire que celle de Marie-Ange Van de Reeves enrichit d’une variation puisqu’elle a failli se noyer, puisqu’elle s’est noyée peut-être…

24Cette reprise n’a pas échappé aux critiques qui, les premiers, ont lu et analysé le livre. Bertrand Poirot-Delpech l’a soulignée avec un brin d’ironie. Georges Raillard y ajoutait la variation corinthienne du film de Robbe-Grillet, La Belle Captive. Conscient aussi du poids de l’intertextualité dans Le Miroir qui revient, il faisait allusion à l’histoire de la fiancée de Corinthe qui vampirisa un malheureux jeune homme dans le récit grec de Plégon de Tralles dont, en 1797, Goethe fit une célèbre ballade. De Michelet qui la reprit dans La Sorcière à Anatole France qui l’édulcora dans Les Noces corinthiennes, cette histoire a connu maintes variations auxquelles Robbe-Grillet ne se lasse pas d’ajouter. Mais Smarra, le conte de Nodier, est encore ici une source, et nul ne s’en est avisé. Socrate, le compagnon de Lucius, laissé pour mort sur le champ de bataille de Corinthe, revit curieusement en Thessalie. Lucius l’y retrouve, il apprend comment il est devenu le jouet de la sorcière Méroé, et il croit assister à une scène atroce : Méroé suce son sang qu’elle fait jaillir de la blessure que Socrate a reçue au cou lors de la bataille de Corinthe.

25Mythiques ou imaginaires, ces figures appartiennent à l’auteur comme les souvenirs de sa vie même. À ce titre, elles ont leur place dans une autobiographie comme les personnages historiques ou comme les familiers d’une existence passée. Robbe-Grillet projette dans cette autobiographie les fantasmes d’un sadisme constamment reconnu, comme le Dr William Morgan dans son laboratoire de travaux photographiques. Le Miroir qui revient répond aux questions sur lesquelles le texte de Souvenirs du triangle d’or restait suspendu :

Immobile, ai-je dit, solitaire, avec le seul bruit désormais, de l’eau qui s’égoutte, inutile, dans un espace qui s’est encore réduit, disais-je… Qu’ai-je dit. Qu’ai-je fait ?

26Inutile, absurde : ces mots ont une consonance d’époque chez un écrivain qui s’est affirmé comme un admirateur de La Nausée et de L’Étranger, et qui savait l’importance pour lui de l’existentialisme. Henri de Corinthe s’était senti contraint à ce « labeur absurde », ramener le lourd miroir vers le rivage, au péril de sa vie. Alain Robbe-Grillet, rusant avec une commande d’éditeur, n’a pu éviter d’écrire son autobiographie, Le Miroir qui revient, et il s’est demandé sans doute s’il fallait faire couler encore une fois tout ce sable, accumuler toutes ces anecdotes qui, réelles ou imaginaires, sont racontées de la même façon. Du nouveau roman, ce livre, moins orthodoxe qu’il n’y paraît, conserve la technique du registre narratif unique et aussi celle de la répétition et de la variation. Robbe-Grillet reprend ce motif corinthien qu’il a déjà fortement sollicité dans Souvenirs du triangle d’or et qui était déjà présent dans Les Gommes. Il l’emprunte à l’imagerie romantique et encore à la mythologie grecque pour un nouveau jeu dont la gravité ne peut échapper au lecteur. Sophocle et Goethe, Nodier et Hoffmann, il faut rouler tout cela comme le rocher de l’œuvre. Le nom de Sisyphe apparaît une fois dans Le Miroir qui revient. Or Sisyphe était roi de Corinthe…

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