La tentation prométhéenne, une figure mythique de l’engagement littéraire
p. 183-199
Texte intégral
1Il peut sembler inopportun de faire intervenir une figure mythique comme celle de Prométhée dans le cadre d’un débat sur la littérature engagée. Et ceci au moins pour trois raisons qui tiennent à trois antinomies : celle du passé et du présent, celle du mythe et de la réalité, celle du mythe et du livre.
2Peut-on parler en effet d’engagement en dehors de l’actualité ? On attendait une circonstance, non de l’histoire ancienne ; un geste, non une geste. C’est que — si l’on exclut le problème purement terminologique — il n’est pas sûr que l’engagement de l’écrivain date de la Seconde Guerre mondiale, comme tend à nous le laisser croire Jean-Paul Sartre. Quand Eschyle fait jouer sa trilogie de Prométhée, en 472 avant J.-C., il accomplit bien un acte politique, non seulement parce qu’il glorifie l’un des dieux de sa cité, mais surtout parce qu’en présentant aux Athéniens divisés la solution d’un conflit divin, la σωϕροσύνη, il les invite à suivre une conduite exemplaire. Comme l’écrit Paul Mazon, « la trilogie des Prométhée enseignait aux hommes que le dieu de la justice n’était devenu juste qu’au bout de longs siècles ; ses premières violences avaient, en provoquant d’autres violences, retardé longtemps le règne de la paix ; par la clémence seule il avait obtenu la soumission du dernier révolté. C’était dire : la justice, à laquelle aspirent les hommes, n’est pas une puissance qui existe en dehors d’eux, prête à répondre à leur premier appel ; c’est à eux-mêmes qu’il appartient de la faire naître et grandir […]1 ».
3Cette valeur exemplaire du mythe permet de surmonter la seconde antinomie, celle du mythe et de la réalité, antinomie aggravée par l’évolution du mot, des positivistes à Roland Barthes2. La figure mythique, promue au rang de modèle, est susceptible de nombreuses réincarnations. C’est même une semblable palingénésie qui constitue, à proprement parler, la survie du mythe. Dans son dernier récit, André Gide, ou plutôt Dédale, s’explique sur ce point devant Thésée, qui s’étonne d’apprendre qu’Icare est mort alors qu’il le voit devant lui bien vivant :
Ici, Thésée, je crains que ton esprit, pourtant grec, c’est-à-dire subtil et ouvert à toutes les vérités, ne puisse me suivre ; car moi-même, je te l’avoue, j’ai mis longtemps à comprendre et admettre ceci : chacun de nous, dont l’âme, lors de la suprême pesée, ne sera pas jugée trop légère, ne vit pas simplement sa vie. Dans le temps, sur un plan humain, il se développe, accomplit son destin, puis meurt. Mais le temps même n’existe pas sur un autre plan, le vrai, l’éternel, où chaque geste représentatif, selon sa signification particulière, s’inscrit. Icare était, dès avant de naître, et reste après sa mort, l’image de l’inquiétude humaine, de la recherche, de l’essor de la poésie, que durant sa courte vie il incarne. Il a joué son jeu, comme il se devait ; mais il ne s’arrête pas à lui-même.
Ainsi en advient-il des héros. Leur geste dure et, repris par la poésie, par les arts, devient un continu symbole3.
4L’illusion serait de croire, avec Albert Camus, que le mythe eût une vie en dehors de ses avatars successifs4. Vieux dualisme de la chose et de l’Idée, hérité du symbolisme ou d’un platonisme ancien…
5Le livre fait ici figure d’intermédiaire. Il est l’instrument de ces réincarnations. Gide, au début du Traité du Narcisse, semble regretter que les livres aient dû prendre le relais des mythes5. C’est leur faire une mauvaise querelle. Point de mythos sans logos. Et l’admirable est cette vie indissociable, conjointe, du mythe et de l’œuvre. À tel point que l’écrivain engagé pourra tirer du mythe même sa force vive : qu’on songe par exemple aux Mouches de Sartre où l’Oreste antique est la figure exemplaire du résistant à l’occupation allemande en 1942. Car non seulement l’écrivain met en jeu la puissance d’investissement des mythes pour diriger ses semblables, mais encore lui-même en est largement tributaire. Il collabore à une fascination qu’il est le premier à subir. En même temps qu’il réagit à l’événement, il répond à un appel transcendant à l’Histoire.
6À chaque écrivain son mythe. Valéry et Narcisse. Rilke et Orphée. Camus et Sisyphe. Gide, qui a flirté avec beaucoup de mythes grecs avant de se confondre avec Thésée dans son ultime récit, a suggéré le nom de Prométhée comme « patron » des écrivains. Sur ce point, il n’est d’ailleurs pas en désaccord avec la tradition eschyléenne puisque le Prométhée enchaîné se vantait d’avoir donné aux hommes « la science des lettres assemblées, mémoire de toute chose, labeur qui enfante les arts6 ». Mal enchaîné, lui, le Prométhée de Gide, s’étant dégagé de ses liens et ayant quitté le Caucase, descend le boulevard parisien qui conduit de la Madeleine à l’Opéra et, s’attablant à un café devant un bock, engage la conversation avec le garçon :
— […] Monsieur fait ?
— Rien, dit Prométhée.
— Oh ! non. Non, dit le garçon avec un doux sourire. — Rien qu’à voir Monsieur, on voit bien qu’il a fait quelque chose.
— Il y a si longtemps, balbutia Prométhée.
— Tant pis, tant pis, reprit le garçon. D’ailleurs, que Monsieur se rassure ; dans les présentations, je dis bien les noms, quand on veut ; mais ce qu’on fait, jamais. — Voyons, voyons : Monsieur faisait…
— Des allumettes, murmura Prométhée rougissant.
Alors il y eut un silence un peu pénible, le garçon comprenant qu’il avait eu tort d’insister, et Prométhée qu’il avait eu tort de répondre. D’un ton consolateur :
« Enfin ! Monsieur n’en fait plus… reprit le garçon. Mais alors quoi ? Il faut pourtant bien que j’inscrive quelque chose, je ne peux pas mettre comme ça : Prométhée, tout court. Monsieur a bien une petite profession, une spécialité… Enfin, qu’est-ce que Monsieur sait faire ?
— Rien, recommença Prométhée.
— Alors mettons, homme de lettres […]. »7
7Pour l’homme de lettres qui ne fait rien, Sartre choisirait assurément un autre patron mythique, Ariel par exemple. Évoquant la « tentation de l’irresponsabilité » qu’ont connue « tous les écrivains d’origine bourgeoise » — à commencer par Gide, du moins le Gide non engagé d’autrefois —, il examine la « mauvaise conscience » dont souffre l’homme de lettres reclus dans sa profession, dans son cabinet, dans ses états d’âme et dans les volutes de son style :
Autrefois, le poète se prenait pour un prophète, c’était honorable ; par la suite, il devint paria et maudit, ça pouvait encore aller. Mais aujourd’hui,
il est tombé au rang des spécialistes et ce n’est pas sans un certain malaise qu’il mentionne, sur les registres d’hôtel, le métier d’« homme de lettres » à la suite de son nom. Homme de lettres : en elle-même, cette association de mots a de quoi dégoûter d’écrire ; on songe à un Ariel, à une Vestale, à un enfant terrible, et aussi à un inoffensif maniaque apparenté aux haltérophiles ou aux numismates8.
8Pour sa part, Sartre refuse d’être un écrivain-Vestale, un écrivain-Ariel, il refuse de jongler avec les mots comme un haltérophile avec ses haltères, ou de les caresser sans les user comme un numismate caresse ses pièces de monnaie fleur de coin :
Nous ne voulons pas avoir honte d’écrire et nous n’avons pas envie de parler pour ne rien dire. Le souhaiterions-nous, d’ailleurs, que nous n’y parviendrions pas : personne ne peut y parvenir. Tout écrit possède un sens,
même si ce sens est fort loin de celui que l’auteur avait rêvé d’y mettre. Pour nous, en effet, l’écrivain n’est ni Vestale ni Ariel : il est « dans le coup »,
quoi qu’il fasse, marqué, compromis, jusque dans sa plus lointaine retraite9.
9Est-on alors un Prométhée ? Cette figure mythique n’est pas absente de l’œuvre de Sartre. En 1929, il a écrit une pièce en un acte intitulée Épiméthée où à Épiméthée le baladin s’opposait Prométhée l’ingénieur. Il est vrai qu’à l’époque, si l’on en croit Simone de Beauvoir, « l’ingénieur représentait », pour lui comme pour elle, « l’adversaire privilégié » qui « emprisonne la vie dans le fer et le ciment », qui « va droit devant lui, aveugle, insensible, aussi sûr de soi que de ses équations et prenant impitoyablement le moyen pour des fins »10. Mais qu’ils le veuillent ou non — et Simone de Beauvoir reconnaît qu’ils traversaient alors une période d’esthétisme barrésien —, Prométhée est la figure de l’homme en prise sur le réel, par opposition à son étourdi de frère11. Par là, lui, le héros antique, il pourrait être la figure de l’homme moderne. Avant d’être le modèle de l’écrivain engagé, il serait du moins celui de l’homme engagé dans l’existence et qui ne cherche pas à s’y dérober, même s’il entend l’explorer et, pourquoi pas, l’exploiter.
10Plutôt qu’à Sartre, c’est à Camus qu’il convient ici de se reporter et à son essai sur Prométhée aux Enfers : « Que signifie Prométhée pour l’homme d’aujourd’hui ? », demande-t-il ; et, donnant une prudente réponse : « On pourrait dire sans doute que ce révolté dressé contre les dieux est le modèle de l’homme contemporain et que cette protestation élevée, il y a des milliers d’années12, dans les déserts de la Scythie, s’achève aujourd’hui dans une convulsion historique qui n’a pas son égale. »13 Pour Sartre et Simone de Beauvoir, Prométhée n’était que la figure du technicien qui a asservi l’humanité. Pour Camus, au contraire, « ce qui caractérise Prométhée, c’est qu’il ne peut séparer la machine de l’art », c’est qu’« il pense qu’on peut libérer en même temps les corps et les âmes ». Certes, l’homme contemporain a choisi le réel, l’Histoire (Sartre dirait plutôt : l’historicité), comme Prométhée ; mais il a trahi Prométhée en s’asservissant au réel au lieu de s’asservir le réel :
L’homme d’aujourd’hui a choisi l’histoire cependant, et il ne pouvait ni ne devait s’en détourner. Mais au lieu de se l’asservir, il consent tous les jours un peu plus à en être l’esclave. C’est ici qu’il trahit Prométhée, ce fils « aux pensers hardis et au cœur léger ». C’est ici qu’il retourne à la misère des hommes que Prométhée voulut sauver14.
11Aussi le héros mythique lance-t-il encore un appel à l’humanité contemporaine pour qu’elle se libère de toute aliénation, celle des dieux, celle de l’homme par l’homme. Le mythe de Prométhée est là pour rappeler qu’« on ne sert rien de l’homme si on ne le sert pas tout entier » :
Au cœur le plus sombre de l’histoire, les hommes de Prométhée, sans cesser leur dur métier, garderont un regard sur la terre, et sur l’herbe inlassable. Le héros enchaîné maintient dans la foudre et le tonnerre divins sa foi tranquille en l’homme. C’est ainsi qu’il est plus dur que son rocher et plus patient que son vautour15.
12Protestant devant les dieux en faveur de l’homme, protestant devant les hommes à cause du mauvais usage qu’ils ont fait de ses dons, Prométhée apparaît comme une sorte de contestataire universel. Il n’est pas étonnant, dans ces conditions, qu’il soit devenu la figure du « poète maudit »…
13On connaît la fameuse déclaration d’Arthur Rimbaud dans la deuxième des lettres dites « du Voyant », adressée à Paul Demeny le 15 mai 1871 :
Donc le poëte est vraiment voleur de feu16.
14Il n’est pas, sans doute, d’exemple plus parfait de l’identification d’un écrivain avec, sinon la figure de Prométhée, du moins l’une de ses figures mythiques. Ayant pénétré secrètement sur l’Olympe, grâce aux bons offices d’Athéna, Prométhée avait, dit-on, allumé une torche au char de feu du Soleil, en avait détaché un morceau de braise incandescente, l’avait glissé dans la tige creuse d’un fenouil géant et en avait fait don aux hommes17. Je n’entrerai pas dans le détail de cette légende et des discussions qu’elle a suscitées dans le camp des mythologues — le rattachement, en particulier, du nom de Prométhée au mot sanscrit pramatha, « la roue à feu », c’est-à-dire le bâton tourneur avec lequel on fait jaillir le feu18. Je m’attacherai moins ici à l’authenticité de cette figure mythique qu’à la recherche de sa signification précise chez un écrivain.
15Or, dans le cas de Rimbaud, cette signification est ambiguë, pour plusieurs raisons qui ramènent toutes à l’indécision fondamentale entre l’engagement et le non-engagement.
16La première ambiguïté est celle du don et du prêt. Elle apparaîtra peut-être à la lumière d’un examen des sources. Sans abonder complètement dans le sens d’Étiemble qui ferait volontiers du premier Rimbaud un simple épigone des Parnassiens, on est bien obligé de reconnaître dans cette image du poète voleur de feu un cliché de l’époque. Pour s’en persuader, il suffit de relire le recueil des Flèches d’or publié en 1864 par Albert Glatigny — un écrivain admiré par Rimbaud collégien. Dans le poème liminaire, dédié à Théophile Gautier, s’expriment ainsi les exigences de la Muse :
Comme elle est jeune et forte, elle veut, quand on l’aime,
La force et la jeunesse au cœur de ses amants,
Et crache son mépris à la figure blême
De celui qui n’a pas, jusqu’au fond du ciel même,
Volé d’abord le feu sur les autels fumants19.
17Comment s’effectue ce vol du feu ? La suite du poème est très imprécise sur ce point : aller « au-devant des épreuves », « frayer […] des routes neuves ». On sent les besoins de la rime et, si l’on songe que le modèle de cet héroïsme poétique est Théophile Gautier, le dédicataire du morceau, on devine aisément qu’il s’agit d’un pur combat d’esthète.
18On peut serrer davantage encore le rapprochement entre Rimbaud et Glatigny en se référant, toujours dans le même recueil, au Stabat Mater. Ce rapprochement s’impose d’autant plus que, dans l’autre lettre « du Voyant » — celle que Rimbaud adressait à Georges Izambard le 13 mai 1871 —, on lit : « Stat mater dolorosa, dum pendet filius.20 ». La Mère douloureuse qui, chez Glatigny, se lamente sur l’agonie de son fils, n’est autre que la Muse pleurant sur les souffrances du poète-Prométhée qui,
[…] pour donner l’essor à [ses] odes captives
Ruisselantes d’ amour,
[…] présent[e] hardiment [ses] chairs vives
Aux serres du vautour21.
19Nécessité de la souffrance pour parvenir à la création poétique : l’idée, rebattue par Musset, n’est pas surprenante. Mais l’action se réduit-elle à cette Passion ? L’image du Prométhée enchaîné se substitue-t-elle à celle du Prométhée voleur de feu ? Pas tout à fait : malgré les séquelles de romantisme, c’est bien à un Prométhée parnassien qu’on a affaire. La lyre, impuissante à conjurer les luttes fratricides des hommes, est tombée entre les mains des bourreaux, devenant un instrument de l’action politique : d’où le désespoir de la Muse.
Mais ô honte ! La lyre elle-même est tombée
Aux mains des insulteurs,
Et vous n’avez rien dit quand on l’a dérobée,
Ô lâches ! faux lutteurs !
Ses cordes qui vibraient sous le vent des louanges,
Dans les cieux étoilés,
Répètent des refrains honteux qui, dans les fanges,
Courent démuselés !
Ainsi, dans un combat, le chaste et libre glaive,
Défense des héros,
Tombe au pouvoir d’un traître, et son travail s’achève
Dans l’œuvre des bourreaux22.
20Le poète-Prométhée se relève pour consoler la Muse, et il y parvient. Mais il y parvient en désengageant la poésie, en l’arrachant à la fois à l’action et à cette forme détournée de l’action qu’est la Passion romantique. S’il existe un combat mené par le poète, ce sera celui qu’il engagera contre la société en se détournant d’elle :
L’un chante sa maîtresse et dit sa chevelure
Qui ressemble aux moissons,
Et ses yeux transparents et doux, et son allure
Auprès des verts buissons.
L’autre, épris des clartés vivantes de l’aurore,
S’égare par les champs,
Et les bois et la grotte avec l’écho sonore
S’enivrent de ses chants.
Puis, tous, fondant leurs voix en une seule, disent
À la fille des Dieux :
« Les loups et les méchants du monde nous méprisent,
Ô ma mère, tant mieux !
L’eau pure doit rester dans un cristal limpide
Pour rester pure encor,
Et nous ne voulons pas d’une oreille stupide
Pour nos beaux rhythmes d’or. »23
21Pur repli sur la bruyère, pour reprendre l’expression d’Albert Camus24…
22Je ne me suis égaré du côté de Glatigny que pour revenir à la première lettre « du Voyant », celle du 13 mai. Je considère comme une erreur probable l’affirmation de Suzanne Bernard, selon laquelle la mater dolorosa serait Mme Rimbaud, née Cuif25. L’allusion à Glatigny est transparente, donc l’interprétation tout autre. Izambard, son professeur, a enseigné à Rimbaud le principe : « On se doit à la Société. » Lui-même l’applique en roulant dans la bonne ornière — c’est-à-dire en enseignant. Rimbaud prétend lui aussi l’appliquer, mais en roulant dans la mauvaise ornière. Il encourage les vices de la société en en profitant :
Moi aussi, je suis le principe : je me fais cyniquement entretenir ; je déterre d’anciens imbéciles de collège : tout ce que je puis inventer de bête, de sale, de mauvais, en action et en paroles, je le leur livre : on me paie en bocks et en filles26. Stat mater dolorosa, dum pendet filius27.
23Il est livré à la Société. La Muse en souffre. Mais cet abandon, contrairement à celui d’Izambard, est dédain. Or la poésie implique bien le dédain des autres et le retour vers soi, pour connaître et cultiver son âme. Ainsi se trouve, pour ainsi dire, récupéré l’encrapulement, instrument de cette connaissance et de cette transformation de soi. S’engager à l’égard d’autrui, c’est en fait se désengager pour n’être que soi-même. On serait tenté de reprendre, mais évidemment dans un autre contexte, la formule de Montaigne : se prêter à autrui pour ne se donner qu’à soi-même.
24La seconde ambiguïté, dans les lettres « du Voyant », est celle du présent et du futur. Je tenterai cette fois de l’éclairer à la lumière de la situation historique. À la date des deux lettres : 13 mai, 15 mai 1871, la Commune de Paris bat son plein. Est-ce vraiment le moment, pour un Rimbaud communard (comme l’ont cru certains), pour un Rimbaud politiquement engagé, de choisir le parti du parasitisme et du repli sur soi ? Le texte de la lettre à Izambard est si ambigu à cet égard qu’Antoine Adam a parlé d’un défaut d’expression28 :
Je serai un travailleur : c’est l’idée qui me retient, quand les colères folles me poussent vers la bataille de Paris — où tant de travailleurs meurent pourtant encore tandis que je vous écris ! Travailler maintenant, jamais, jamais ; je suis en grève29.
25La tentation de l’engagement du soldat ou du révolutionnaire s’exerce sur lui, soit ; mais il la repousse, parce qu’il repousse pour l’instant tout travail. Il se doit avant tout à lui-même. Mais il la repousse pour l’instant seulement. « Travailler maintenant, jamais, jamais » ne signifie pas « ne jamais travailler ». C’est au contraire se réserver pour l’avenir. Il faut bien prendre garde au futur (« je serai un travailleur ») qu’on transformerait trop facilement en un conditionnel. Rejetant le didactisme de la poésie des bons sentiments (ce qu’il appelle la « poésie subjective »), Rimbaud ne refuse pas pour autant une poésie qui « rhythme l’action »30. Bien au contraire ! C’est l’idéal perdu de la poésie grecque que la lettre du 15 mai invite à retrouver, et ce que la lettre du 13 mai appelle la « poésie objective31 » :
Cet avenir sera matérialiste, vous le voyez. — Toujours pleins du Nombre et de l’Harmonie, ces poèmes seront faits pour rester. — Au fond, ce serait encore un peu la Poésie grecque.
L’art éternel aurait ses fonctions, comme les poètes sont citoyens La Poésie ne rythmera plus l’action ; elle sera en avant32.
26Il n’en demeure pas moins que cet acte du poète, ce travail, cette collaboration au progrès est encore au futur.
27La troisième ambiguïté est probablement la plus gênante. Il faut en rendre responsable la fâcheuse étiquette de « poète maudit », donc Verlaine33, mais aussi Rimbaud lui-même puisqu’il écrivait à Paul Demeny :
Le Poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens. Toutes les formes d’amour, de souffrance, de folie ; il cherche lui-même, il épuise en lui tous les poisons, pour n’en garder que les quintessences. Ineffable torture où il a besoin de toute la foi, de toute la force surhumaine, où il devient entre tous le grand malade, le grand criminel, le grand maudit — et le Suprême Savant34 !
28Sartre, et non sans raison, nous met en garde contre la confusion entre le « poète maudit » et l’« écrivain engagé ». Le « maudit », écrit-il, est « en l’air, étranger à son siècle, dépaysé ». Paria, il a choisi pour style de vie l’ostentation du parasitisme. Au fond, la comédie qu’il joue n’a qu’un but : « l’intégrer à une société symbolique qui soit comme une image de l’aristocratie d’Ancien Régime ». Inutile, comme le courtisan d’Ancien Régime, il veut de plus tout détruire, « il veut pouvoir fouler aux pieds le travail utilitaire, casser, brûler, détériorer, imiter la désinvolture des seigneurs qui faisaient passer leurs chasses à travers les blés mûrs »35. Prométhée ? Non point ; tout au plus « Ariel du capitalisme36 ». Cela conserve-t-il un sens d’être « voleur de feu » quand « les événements fond[ent] sur nous comme des voleurs »37 ? Non, et Sartre le dit avec vigueur : « les belles-lettres ne sont pas des lettres de noblesse » ; « le meilleur moyen d’être roulé par son époque, c’est de lui tourner le dos ou de prétendre s’élever au-dessus d’elle ». On ne transcende pas son époque en la fuyant, mais « en l’assumant pour la changer, c’est-à-dire en la dépassant vers l’avenir le plus proche », seul moyen de parvenir à « une littérature de l’universel concret »38.
29L’étrange, dans la lettre de Rimbaud à Paul Demeny, c’est précisément que sous le résidu mythologique qui rattache Rimbaud, comme malgré lui, à des conceptions de la littérature qu’il refuse (la littérature de la Passion romantique, la littérature enseignante) vibre pourtant cet appel à l’avenir. L’étrange, c’est qu’un mythe de la solitude de l’écrivain n’exclue pas le sens d’une responsabilité devant la collectivité humaine :
Donc le poëte est vraiment voleur de feu.
Il est chargé de l’humanité, des animaux même ; il devra faire sentir, palper, écouter ses inventions ; si ce qu’il rapporte de là-bas a forme, il donne forme ; si c’est informe, il donne de l’informe. Trouver une langue […]39.
30Comment une pareille conciliation est-elle possible ? En étudiant son âme et en la transformant, Rimbaud croit pouvoir découvrir aux autres et à lui-même l’étincelle cachée en l’homme et la possibilité d’une transformation de l’homme. Sa découverte personnelle « Je est un autre » prendra une valeur générale. C’est en ce sens, et en ce sens seulement, que le poète, non content de marcher au progrès, peut devenir « multiplicateur de progrès ». Voler le feu, c’est rendre à l’homme cette étincelle inconnue, ce pouvoir de transformation qui ne relève pas d’une quelconque transcendance, mais qui se trouve en lui-même. Voilà pourquoi Prométhée est nécessairement poète…
31Comme tant d’expressions rimbaldiennes, « voleur de feu » a des sens multiples. En les dégageant, on parviendra peut-être à distinguer les tâches de l’écrivain-Prométhée et à éclairer la figure exemplaire du littérateur engagé.
32Voler le feu, c’est d’abord connaître, et faire connaître ; apporter aux hommes une lumière qui leur a été originellement refusée et à laquelle on estime que pourtant ils sont droit. Le Prométhée d’Eschyle, faisant le catalogue de ses bienfaits, insiste sur celui-ci :
Des enfants qu’ils étaient j’ai fait des êtres de raison, doués de pensée40.
33On songe à cette définition par Sartre de la tâche de l’écrivain :
L’écrivain a choisi de dévoiler le monde et singulièrement l’homme aux autres hommes pour que ceux-ci prennent en face de l’objet ainsi mis à nu leur entière responsabilité41.
34L’idéal reste encore une littérature des Lumières, au sens fort du terme. Et il n’est pas étonnant que dans sa Situation de l’écrivain en 1947 Sartre rattache la tâche de « critique totale » qu’il confie à l’écrivain d’aujourd’hui et qui « engage l’homme entier » à celle des philosophes du xviiie siècle42 — des prométhées qui s’ignoraient et qui parfois, comme Goethe, ne s’ignoraient pas.
35Dans un contexte plus nettement prométhéen, celui du Prométhée mal enchaîné de Gide, le feu que le héros a donné aux hommes devient le symbole de la conscience. Discourant devant le public de la salle des Nouvelles Lunes, Prométhée s’explique très clairement sur ce point :
Messieurs, je me suis occupé des hommes beaucoup plus que je ne le disais.
Messieurs, j’ai beaucoup fait pour les hommes. Messieurs, j’ai passionnément, éperdument et déplorablement aimé les hommes. — Et j’ai tant fait pour eux qu’autant dire que je les ai faits eux-mêmes ; car auparavant qu’étaient-ils ? — Ils étaient, mais n’avaient pas conscience d’être. — Comme un feu pour les éclairer, cette conscience, Messieurs, de tout mon amour pour eux je la fis43.
36Éclairer l’homme, c’est aussi l’éclairer sur sa situation — une situation qui est considérée d’emblée comme défavorable. D’où le caractère revendicateur de la littérature prométhéenne. Le Prométhée d’Eschyle rappelle comment, en face des dieux qui se partageaient le monde, il a tenté de défendre la part des hommes, des oubliés44. Là encore, on est tenté de faire un rapprochement avec Sartre :
Si l’on me donne ce monde avec ses injustices, ce n’est pas pour que je contemple celles-ci avec froideur, mais pour que je les anime de mon indignation et que je les dévoile et les crée avec leur nature d’injustice, c’est-à-dire d’abus-devant-être-supprimés45.
37Ainsi s’explique la confusion, à certains égards regrettable, entre littérature engagée et littérature d’opposition, l’écrivain usant des mots comme d’une arme, comme de « pistolets chargés46 ». Ici on doit citer deux professions de foi. Celle de Gide : « Le monde ne sera sauvé, s’il peut l’être, que par des insoumis.47 » Celle de Camus : « Le seul artiste engagé est celui qui, sans rien refuser du combat, refuse du moins de rejoindre les armées régulières, je veux dire le franc-tireur.48 »
38En cherchant à transformer l’homme, le Prométhée devient le rival du Créateur, et l’opposant à celui qui s’efforce de le maintenir tel qu’il est et qu’il faut bien appeler le conservateur. On peut se reporter encore une fois au Prométhée enchaîné d’Eschyle. À quatre reprises, déjà, les dieux avaient anéanti l’humanité. Zeus s’apprêtait à pratiquer ce génocide une cinquième fois quand Prométhée est intervenu en faveur des hommes :
[…] aux malheureux mortels, pas un instant il ne songea. Il en voulait au contraire anéantir la race, afin d’en créer une toute nouvelle. À ce projet nul ne s’opposait — que moi. Seul, j’ai eu cette audace ; j’ai libéré les hommes et fait qu’ils ne sont pas descendus, écrasés, dans l’Hadès49.
39Cette liberté dont Prométhée fait don à l’homme et que l’Oreste de Sartre, dans Les Mouches, conquiert contre Jupiter, pourrait être une signification nouvelle du feu. Feu libérateur, qui dégage en l’homme les virtualités jusque-là étouffées. L’entreprise du Tête d’Or de Claudel, ce Prométhée, est bien de faire jaillir le feu humain :
Le feu qui dissipe le froid, le feu
Flamboie et vous le chérissez,
Oui, et, de même que le feu dort dans le bois et la pierre,
Si une pensée immortelle anime ce corps périssable,
Comment, pourquoi, comme un sourire invincible, ne prévaudrait-elle pas50 ?
40Révéler à l’homme la part divine qui est en lui, c’est à proprement parler mettre le feu à l’humanité :
Il n’y a pas un de vous qui ne me soit précieux ; pas un de vous, si vil qu’il soit, que je ne désire.
Emprendre comme l’air flamboyant51.
41À la limite, il s’agira de faire de l’homme un dieu :
Ô ce monde ennuyeux ! l’homme, comme un fœtus parmi les glaires, Se repaît de son imbécillité.
L’un vit et chicane pour son manger, et son sommeil, et son loisir, et sa part de malheur, et les lèvres sucrées des demoiselles, et les travaux de la paternité.
Mais l’autre, comme un dieu, aura sa part de commandement52.
42Ce dieu qui a sa part de commandement n’est autre que Tête d’Or lui-même. Or son erreur, et la cause de son échec final, c’est précisément de s’être pris pour un dieu en oubliant qu’il était « boue et cendre ». Il n’a pas réussi à se transformer lui-même, à maintenir le feu en lui ; il n’a pas réussi non plus à transformer les hommes, à les embraser, puisqu’il a été blessé à mort par suite de la lâcheté de ses soldats. Telle est sans doute la première impasse dans laquelle est poussé le Prométhée. Pour aller jusqu’au bout de sa tâche, il faudrait qu’il recrée l’humanité, qu’il vole l’étincelle première, qu’il devienne le nouveau démiurge. Prométhée, dans La Nef d’Élémir Bourges, s’est fixé cette tâche :
Ainsi que le potier refait une coupe avec l’argile et qu’il la marque de son sceau, ainsi, je m’en vais recréer ce monde des dieux à mon image53.
43Il en va de même pour le Rimbaud des Illuminations54. De même pour les « missionnaires » de Péladan ; comme l’explique Mérodack au Père Alta dans La Torche renversée, « Prométhée avec son ébauchoir d’une main et sa boule de terre de l’autre, modelant l’homme, c’est l’oelohim en personne, les doigts poissés d’argile humide55 ». Pour accomplir cette œuvre démiurgique, Prométhée devait se faire voleur de feu. C’est pourquoi, comme l’a souligné Jean-Pierre Vernant, le mythe de Prométhée voleur de feu est un mythe de la création56.
44Dans la suite dramatique d’Élémir Bourges, l’ensemble des créatures met Prométhée en garde contre cette ambition démiurgique :
Les hommes, les morts, les titans, les bêtes. — Quoi ! vas-tu voler, fils du jour, pour en raviver les rayons, jusqu’à la roue d’or du ciel sublime ?
Prométhée. — Non pas si haut, rassure-toi. Et pourtant, avant de prendre soin du triste cœur maternel, il me faudra (ma bouche le redit) faire descendre sur la torche enflammée un feu plus efficace, plus pur. En effet, si je n’en chassais point le dieu souillé, depuis longtemps, par toutes ses besognes terrestres, Héphaïstos, outre qu’il retiendrait, puisqu’il nourrirait la vie, son pouvoir usurpé par Gaia, rendrait vaines aussi mes tentatives pour guérir la mère des mortels.
Les hommes, les morts, les titans, les bêtes. — Prends garde, réfléchis bien, hélas ! Cette extinction du grand flambeau va, sans doute, réjouir l’Hadès, mais me trouble et m’inquiète57.
45Encore le Prométhée de Bourges est-il un dieu, même s’il prétend être entré dans les rangs des hommes58. Mais l’écrivain n’est qu’un homme et il ne peut s’assigner une tâche semblable sans pécher par démesure. Plus grave : il ne peut servir l’humanité sans la renier, sans la trahir.
46Cette considération permet de rendre compte de l’échec de Rimbaud, si souvent glosé ; et de l’illusoire engagement de Gide. Lequel a laissé publier sous son nom un livre intitulé, assez malencontreusement, Littérature engagée59. Prométhée prétendait avoir fait l’homme à son image60. Nul doute que ce soit là aussi l’ambition de Gide, celle qui explique qu’à plusieurs reprises il se soit laissé tenter par l’engagement littéraire. Témoin cette déclaration, recueillie dans Littérature engagée :
Communier avec le peuple… Eh bien, je dis que c’est impossible […] tant que le peuple n’est encore que ce qu’il est aujourd’hui, tant que le peuple n’est pas ce qu’il peut être, ce qu’il doit être, ce qu’il sera, si nous l’aidons61.
47Gide a-t-il besoin, pour cela, de devenir un dieu ? Non point, car il l’est déjà. Grand bourgeois en face du peuple, il est dans la même situation que le Titan en face des hommes. Quand il flirte avec le communisme, il descend de son Olympe :
Ce qui m’a fait venir au communisme, et de tout mon cœur, c’est que la situation qui m’était faite dans ce monde, cette situation de favorisé, me paraissait intolérable62.
48On se lasse d’être un dieu ; mais, une fois descendu de son Olympe, on a hâte d’y remonter. « Persuadez-vous, écrivait Gide à Henri Barbusse, persuadez vos amis que je ne vaux rien que dans la solitude et que c’est de loin que je peux le mieux et le plus efficacement aider à une cause qui me tient au cœur.63 » De l’Olympe au Caucase : l’apparition de Prométhée sur terre n’est qu’un passage entre deux séjours sur les cimes.
49Sartre a suffisamment traqué la mauvaise foi de l’écrivain, et de l’écrivain bourgeois, pour n’être pas dupe des illusions du prométhéisme littéraire et ne pas tomber dans ses traquenards. Il s’emploie, par exemple, à dénoncer le prophétisme et à substituer à la littérature de la veille une littérature du lendemain64. L’écrivain engagé n’est pas un mage à la manière de Victor Hugo ou du Sâr Péladan ; il fait office de médiateur :
Je dirai qu’un écrivain est engagé lorsqu’il tâche à prendre la conscience la plus lucide et la plus entière d’être embarqué, c’est-à-dire lorsqu’il fait passer pour lui et pour les autres l’engagement de la spontanéité immédiate au réfléchi. L’écrivain est médiateur par excellence, et son engagement, c’est la médiation65.
50Pourtant, et lors même qu’il veut faire du livre le reflet (au sens fort : la réflexion et la réflexion sur) d’une situation, il ne peut éviter la permanence d’une attente du futur :
[…] nous nous sentîmes brusquement situés : le survol qu’aimaient tant pratiquer nos prédécesseurs était devenu impossible, il y avait une aventure collective qui se dessinait dans l’avenir et qui serait notre aventure, c’était elle qui permettrait plus tard de dater notre génération, avec ses Ariels et ses Calibans, quelque chose nous attendait dans l’ombre future, quelque chose qui nous révélerait à nous-mêmes peut-être dans l’illumination d’un dernier instant avant de nous anéantir ; le secret de nos gestes et de nos plus intimes conseils résidait en avant de nous dans la catastrophe à laquelle nos noms seraient attachés66.
51Comment pourrait-il en être autrement, d’ailleurs, quand le livre est défini comme un instrument à changer le monde67, conjuguant la conscience critique (la négativité, l’exis) et l’acte (la construction, la praxis)68 ? Sartre continue de s’interroger sur la situation ambiguë de l’écrivain et sur la gratuité de l’œuvre littéraire, sur cette fuite du public devant lui et ce qu’on pourrait appeler le sentiment du vide. Disons : sur le sentiment d’être, malgré qu’il en ait, enchaîné sur les hauteurs, son Caucase, avec son angoisse d’écrivain, cet aigle rongeur que Gide assimilait déjà astucieusement avec la conscience69, avec la mauvaise conscience. La différence, c’est que Sartre est sûr que cet aigle ne peut être mangé et que l’écrivain ne peut échapper à ce « complexe de Prométhée » qui serait, si l’on en croit Gaston Bachelard, « le complexe d’Œdipe de la vie intellectuelle »70.
52Engagé sans gages, héros sans armes, l’écrivain n’a plus qu’à contempler son étrange situation, à se repaître de ce spectacle qu’il se donne à lui-même, à la fois Prométhée et vautour, vivant paradoxalement de cette conscience qui le dévore.
Notes de bas de page
1 Théâtre d’Eschyle, éd. Paul Mazon, Les Belles Lettres, coll. des « Universités de France », t. I, 1963, p. 158-159.
2 Voir Roland Barthes, Mythologies ; et sur l’évolution du mot mythe l’article de Mircea Eliade, « Les mythes du monde moderne », La Nouvelle Revue française, 1er septembre 1953, p. 440 et suiv.
3 André Gide, Thésée, 1946 ; rééd. dans Romans, récits et soties, œuvres lyriques, éd. Y. Davet et J.-J. Thierry, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1958, p. 1436.
4 Albert Camus, Prométhée aux Enfers, dans L’Été, Gallimard, 1954, rééd. coll. « Folio », 1971, p. 123 : « Les mythes n’ont pas de vie par eux-mêmes. Ils attendent que nous les incarnions. Qu’un seul homme au monde réponde à leur appel, et ils nous offrent leur sève intacte. »
5 André Gide, Traité du Narcisse, Librairie de l’Art indépendant, 1892 ; repris dans Romans, éd. cit., p. 3 : « Les livres ne sont peut-être pas une chose bien nécessaire ; quelques mythes d’abord suffisaient ; une religion tout entière y tenait. Le peuple s’étonnait à l’apparence des fables et sans comprendre il adorait ; les prêtres attentifs, penchés sur la profondeur des images, pénétraient lentement l’intime sens du hiéroglyphe. Puis on a voulu expliquer ; les livres ont amplifié les mythes ; mais quelques mythes suffisaient. »
6 Eschyle, Prométhée enchaîné, v. 459-461, éd. cit., p. 177.
7 André Gide, Le Prométhée mal enchaîné, Mercure de France, 1899 ; repris dans Romans, éd. cit., p. 306-307.
8 Jean-Paul Sartre,« Présentation des Temps modernes », 1er octobre 1945 ; repris dans Situations II, Gallimard, 1948, p. 10. Le passage contient une allusion transparente à Jean Cocteau.
9 Ibid., p. 12.
10 Simone de Beauvoir, La Force de l’âge, Gallimard, 1960 ; rééd. coll. « Folio », p. 39.
11 Carl Spitteler avait eu tendance à inverser les deux figures.
12 Camus substitue une fois de plus le temps de l’histoire à l’intemporalité du mythe.
13 Prométhée aux Enfers, dans L’Été, éd. cit., p. 119.
14 Ibid., p. 122.
15 Ibid., p. 124.
16 Arthur Rimbaud, Œuvres complètes, éd. Antoine Adam, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1972, p. 252.
17 Voir Robert Graves, Greek Myths, London, Cassell, 1958 ; trad. franç. par Mounir Hafez, Fayard, 1967, p. 121-122.
18 Cette étymologie, proposée par Adalbert Kuhn et par Ernst Robert Curtius, a été ensuite très critiquée. Voir Jean-Pierre Vernant, Mythe et pensée chez les Grecs, Maspero, 1971, t. II, p. 5 : il rappelle que c’est Hermès qui, dans l’Hymne homérique, nous est présenté comme ayant le premier découvert les moyens de faire jaillir la flamme.
19 Je cite ce recueil d’après l’édition Lemerre des Poésies complètes d’Albert Glatigny, s.d., p. 88.
20 Rimbaud, Œuvres complètes, éd. cit., p. 248.
21 Albert Glatigny, éd. cit., p. 124.
22 Ibid., p. 125. Le jeu de mots muse/démuselé est certainement involontaire !
23 Ibid., p. 126-127.
24 Prométhée aux Enfers (L’Été, éd. cit., p. 124) : « S’il a faim de pain et de bruyère, et s’il est vrai que le pain est le plus nécessaire, apprenons à préserver le souvenir de la bruyère. »
25 Dans son édition des Œuvres de Rimbaud, Garnier, 1960, p. 545, n. 3.
26 C’est-à-dire, rappelons-le, en chopines.
27 Rimbaud, éd. A. Adam, p. 248.
28 Éd. cit., p. 1074, n, 5.
29 Éd. cit., p. 248.
30 Ibid., p. 250.
31 Ibid., p. 248.
32 Ibid., p. 252.
33 Qui présenta Rimbaud dans la première série de ses Poètes maudits (1883-1884).
34 Éd. cit., p. 251.
35 Jean-Paul Sartre, « Qu’est-ce que la littérature ? », Les Temps modernes, 1947 ; repris dans Situations II, éd. cit., p. 169-170.
36 Ibid., p. 229.
37 Ibid., p. 253-254.
38 Ibid., p. 257.
39 Lettre du 15 mai 1871, éd. cit., p. 252.
40 Prométhée enchaîné, v. 442-444 ; éd. cit., p. 176.
41 Situations II, p. 74.
42 Ibid., p. 310.
43 Romans, éd. cit., p. 324.
44 Prométhée enchaîné, v. 228-232 ; éd. cit., p. 169 : « Aussitôt assis sur le trône paternel, sans retard, [Zeus] répartit les divers privilèges entre les divers dieux, et commence à fixer les rangs dans son empire. Mais, aux malheureux mortels, pas un instant il ne songea. »
45 Situations II, p. 111.
46 L’expression est de Brice Parain, cité ibid., p. 31.
47 Journal, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », t. II, 1954, p. 296.
48 Discours de Suède, 1957.
49 Prométhée enchaîné, v. 231-236 ; éd. cit., p. 169.
50 Tête d’Or, première version, Librairie de l’Art indépendant, 1890 ; rééd. dans Théâtre de Paul Claudel, éd. J. Madaule et J. Petit, Gallimard, coll.« Bibliothèque de la Pléiade », 1967, t. I, p. 94.
51 Ibid., p. 98.
52 Ibid., p. 104.
53 Élémir Bourges, La Nef (Ire partie, 1904 ; IIe partie, 1922) ; rééd, Stock, 1940, p. 61.
54 Voir mon article « La poétique du récit mythique dans les Illuminations », dans Versants, 1983, no 4, p. 99-118.
55 Joséphin Péladan, La Torche renversée, Éditeurs associés, 1925, p. 229.
56 Mythe et pensée chez les Grecs, éd. cit., t. II, p. 6.
57 La Nef, p. 90-91.
58 Ibid., p. 58 : « Hommes, je ne suis plus un dieu ; la souffrance et la sainte pitié m’ont fait semblable à vous, fils de la femme. »
59 André Gide, Littérature engagée, textes réunis et présentés par Yvonne Davet, Gallimard, 1950.
60 Le Prométhée mal enchaîné, éd. cit., p. 324 (le passage a déjà été cité plus haut) : « J’ai tant fait pour eux qu’autant dire que je les ai faits eux-mêmes. »
61 Littérature engagée, p. 93 (« Défense de la culture », discours prononcé à Paris le 22 juin 1935 au 1er Congrès international pour la défense de la culture).
62 Ibid., p. 73 (débat « André Gide et notre temps », organisé par Ramon Fernandez le 26 janvier 1955 à l’Union pour la vérité).
63 Ibid., p. 40 (lettre du 31 août 1933. Dans l’hebdomadaire Monde, dont il était alors le directeur, Barbusse avait annoncé que Gide présiderait le Congrès mondial de la jeunesse contre la guerre et le fascisme ; Gide décline l’offre).
64 Situations II, p. 241-242.
65 Ibid., p. 124.
66 Ibid., p. 243.
67 Ibid., p. 264.
68 Ibid., p. 265-266.
69 Le Prométhée mal enchaîné, p. 314.
70 Gaston Bachelard, La Psychanalyse du feu, Gallimard, 1949 ; rééd. coll. « Idées/NRF », 1965, p. 27.
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Mythocritique
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